Tome II Correspondances de directions mystiques au sein de L’École du Cœur au siècle des LumièreTome I Correspondances de directions mystiques au sein de L’École du Cœur




















CORRESPONDANCES

DE DIRECTION AU SEIN

DE L’ÉCOLE DU CŒUR



Tome II



Lettres échangées entre Madame Guyon et la « petite duchesse » de Mortemart, directions du neveu de Fénelon, de disciples « cis » et « trans », directions par Fénelon, échanges entre disciples écossaisListes et tables.,





Correspondances assemblées par Dominique Tronc













Fin

Notes de fin


Listes de figures mystiques

Table

Echanges entre disciples écossais “mystics of the North-East”Directions de disciples “cis” et « trans »

Directions assurées par Fénelon

Fénelon à Marie-Anne de Mortemart

Direction du marquis neveu de Fénelon.



Mme Guyon à la « petite duchesse » Marie-Anne de Mortemart



Tome II : Lettres échangées entre Madame Guyon et la « petite duchesse » de Mortemart, Directions du neveu de Fénelon, de disciples « cis » et « trans », directions par Fénelon, échanges entre disciples écossais, Listes et tables


CORRESPONDANCES DE DIRECTION AU SEIN DE L’ÉCOLE DU CŒUR



Tomes I : Correspondances entre le Père Chrysostome, Monsieur de Bernières, Mère Mectilde, Monsieur Bertot, Madame Guyon, Fénelon

Présentation

Les directions de Bernières et de Mectilde par le P. Chrysostome

Conseils d’une grande Servante de Dieu appelée Sœur Marie des Vallées

« Frère Jean » de Bernières confident puis directeur de Mectilde

Mr de Bernières à Mère Mectilde, relevé complet

Mr de Bernières à Mr Bertot

Mère Mectilde à des compagnes et compagnons

Mère Mectilde & Monsieur Bertot

Mr Bertot dirige Madame Guyon

L’influence du P. Maur de l’Enfant-Jésus.

Père Lacombe & Madame Guyon

Madame Guyon est établie comme « dame directrice »

Madame Guyon dirige le duc de Chevreuse

Madame Guyon dirige l’abbé Fénelon

I. La « Correspondance secrète » d’octobre à décembre 1689

II. Le « complément » de l’année 1690

III. L’Archevêque Fénelon maintient le contact

Notes de fin

Fin



Madame Guyon à la « petite duchesse » Marie-Anne de Mortemart



Ce qui nous permet de mieux connaître la « petite duchesse » chère à madame Guyon se réduit presque aux nombreuses lettres que « n m » et « n p »  lui adressèrent. Car elle eut la chance d’être « formée mystiquement » conjointement par madame Guyon et par Fénelon.

Madame Guyon lui écrivit de juin 1695 à mai 1698 : lorsqu’il faut protéger le duc de Chevreuse, tout passe par la « petite duchesse » qui devint la « secrétaire » bientôt chère confidente. Ce qui nous surprend le plus c’est que le flux de lettres ne fut pas interrompu par l’arrestation de Mme Guyon à la fin décembre 1695. Cette abondante correspondance couvre la plus grande partie du présent dossier. Il ne concerne qu’incidemment ce qui est personnel à la petite duchesse1.

Fénelon lui écrivit avant et après cette période critique, et même très tardivement. Ne nous sont parvenues de lui que 28 lettres, mais elles portent sur la longue durée : les premières seraient de 1693, la dernière est datée de la fin juillet 1711 (toutefois la majorité de cette correspondance est non datée tandis que le nom de la destinataire fut longtemps inconnu).

Enfin dans la correspondance de madame Guyon dont les pièces autographes ou copies furent assemblées et reliées en volumes par I. Noye, le grand connaisseur et ami des membres de cercles quiétistes auquel nous devons d’avoir souvent levé l’identité de la destinataire de Fénelon, figurent d’assez nombreuses lettres échangées entre les Amis membres des cercles de Blois et de Cambrai, dont une série de 16 lettres de la large écriture très particulière à la « petite duchesse ». Elle écrit au marquis de Fénelon depuis sa blessure de 1711, mais avant la mort de Fénelon qui survint en janvier 1715.

Les lettres adressées à la petite duchesse de Mortemart furent jusqu’aujourd’hui négligées : il fallait attendre que I. Noye en rétablisse le plus grand nombre dans le volume [CF 18] et la révèle comme destinataire par de solides présomptions. Ce dernier volume de la Correspondance de Fénelon n’a été publié en 2007. Malgré un titre bien peu porteur2, il permet enfin de révéler Fénelon comme essentiellement mystique et conforte l’attribution d’un rôle directeur à la « petite duchesse ».

§

Cette première lettre apparaît isolée au sein de la série adressée au duc de Chevreuse qui est alors l’intime secrétaire de madame Guyon par lequel passe à une époque paisible une correspondance abondante.

      1. . A LA « PETITE DUCHESSE » (?) Décembre 1693.

J’ai tous les sujets du monde de croire que monsieur de Meaux ne désire voir tant d’écrits que pour me condamner hautement, et ce qui me le fait croire est qu’il en a assez vu pour juger ; mais sûrement, il ne s’arrête pas à la chose, mais aux termes, afin de me condamner. Vous voyez l’état où l’on m’a mise, mais Dieu l’a permis1.

P.2 me mande qu’il m’envoie 50 livres. Vous les a-t-il données ? Il est vrai que je me retire tout à fait, voyant bien que tout tourne à me condamner, et s’il ne le fait pas d’abord, c’est qu’il garde des mesures. Mais Dieu saura bien Se faire aimer et connaître malgré tout le monde. Je crois qu’ils brûleront tous mes écrits. Je souhaiterais fort que l’Apocalypse, qui est à présent entre les mains de monsieur de Chartres, fût exempte du feu. Si b p3 voulait la redemander à monsieur de Chartres, et le prier au nom de Dieu, et vous aussi, de ne l’emporter pas à monsieur de Meaux ! car je suis certaine qu’il ne veut tout que pour le condamner au feu. Il dit que je suis dans l’hérésie de Luther. Et cependant monsieur de Chartres est content de lui ; il se flatte assurément sans en avoir de sujet, car je vous donne ma parole que je serai condamnée, comme mon Maître des docteurs de la loi. Si l’on avait voulu garder l’Apocalypse sans la brûler, on aurait vu que je mets tout cela. J’eusse [f° 21 v°] été bien aise que monsieur de Meaux ne l’eût point vue ! Mais monsieur de Chartres la veut, je crois, montrer. Soyez certaine, encore un coup, qu’on ne cherche point à me justifier, mais à me perdre. Plus je serai perdue aux yeux des hommes, moins je le serai devant Dieu4.

Pour vous, ma très chère5, soyez persuadée que je vous aime toujours, que vous me trouverez toujours en Dieu et que je vous distingue beaucoup dans mon cœur. Je suis très contente des miséricordes que Dieu vous fait, j’espère qu’il les augmentera et aura un soin très particulier de vous. Vous me trouverez toujours dans le besoin. J’emmène Famille6. La petite Marc reste à la maison : vous pourrez y envoyer vos lettres, mais les réponses seront bien tardives. Obligez-moi de gagner sur monsieur de Chevreuse qu’il ne donne plus rien à monsieur de Meaux et qu’ils me laissent en repos. Telle que je suis, innocente ou coupable, Dieu est toujours Dieu, cela suffit. Laissons les hommes raisonner en hommes. Madame de Maintenon a donné parole qu’elle n’empêcherait point qu’on ne me mît en prison, ceci en secret. Le c [uré] de Vers Je vous avoue, ma bonne pÀ LA « PETITE DUCHESSE » [DE MORTEMART]. Juin 1695.


Dix-huit mois s’écoulent, les conférences d’Issy ont été un échec du côté du faible parti de la quiétude, tout se gâte. Il faut maintenant protéger Chevreuse.

Cette seconde lettre débute l’importante série adressée à la « petite duchesse », car elle devient la secrétaire de madame Guyon, seul lien écrit avec le cercle des fidèles extérieur. Madame Guyon est soumise à la pression de Bossuet au sein de la Visitation de Meaux et sera saisie par la police à la fin de la même année 1695 pour subir de nombreux interrogatoires à Vincennes.

Mon dossier qui prend la suite du Crépuscule de l’abbé Cognet éclaire les conditions de cette abondante correspondance qui couvre plus de cent lettres3.

6 Fille de compagnie, Marie de Lavau, v. Index.

3 Monsieur Tronson (« bon père ») ?

4 Renouvellement de confiance en son expérience.

5 « Ma très chère » désigne le plus souvent la « petite duchesse » de Mortemart.

2 Put pour Dupuy (cf. les premières lettres du latin puteus, puits).

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 21], « dec. 93 » — A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [21].

1 Madame Guyon a repris confiance en son expérience.

[ailles] est une partie secrète bien forte4.

[etite)] d Lorsque j’ai prié qu’on gardât le secret sur le passage de M. de Mors. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1695.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 119] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [149].

1 La mère Le Picard, supérieure du couvent de Meaux.

[uchesse], que je crains pour vous le voisinage de la femme autant que je vous désire celui du M. : l’on voudra éplucher toutes vos actions, l’on s’en fera une matière de chagrin à soi-même et à nous aussi. D’un côté, je vois les commodités que cela vous apporterait, mais en vérité les troubles de cœur que vous en pourriez recevoir l’emportent beaucoup. Que la petite C [omtesse] vous en dise simplement sa pensée. La liberté est au-dessus de tous les accommodements, c’est ce qui me vient à vous dire.

Il est vrai que les duretés de M. de M [eaux] et ses menaces, qu’on ne peut point exprimer comme elles sont, vont à l’excès. Jusqu’à présent Notre Seigneur m’a donné des réponses : une égalité, une douceur à son égard qui ne me seraient point naturelles. La Mère1 croit que ma trop grande douceur et honnêteté le rend hardi à me maltraiter parce que son caractère d’esprit est tel qu’il en use toujours de la sorte avec les doux, et qu’il plie avec les gens hauts. Cependant je ne changerai pas de conduite.

J’espère que Dieu me donnera la grâce qui me sera nécessaire pour achever ma vie en patience. Le livre qu’il fait est presque imprimé. L’on ne voit pas d’apparence que je reste dans son diocèse. Je vous prie de ne dire ceci à personne de peur que l’inquiétude ne prenne. Je ne tomberai sur les bras de personne et je saurai si bien laisser ignorer à toute la terre où je serai, qu’on ne doit point se faire de la peine là-dessus. Dieu, qui ne manque pas aux corbeaux, ne me manquera pas en cela. Je vous manderai sûrement lorsque je ne serai plus ici sans rien mander autre chose ; ainsi tout commerce cessera. Mais comme je dis, ne dites ceci à personne, afin que la sagesse ne fasse pas prendre des [119 v°] mesures pour me faire rester dans un lieu qui m’est un enfer et où je ne puis croire que Dieu me veuille longtemps. Les plus rudes coups ne nous sont pas toujours portés de nos ennemis, mais tout est bon de la main de Dieu, et Il suffit tout seul, même à un cœur qu’il semble accabler au — dedans aussi bien qu’au-dehors du poids de Sa rigueur. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Une religieuse de vingt et un ans est morte en quatre jours, je ne l’ai point quittée qu’après son dernier soupir. Que la mort est digne d’envie, mais il faut supporter patiemment la vie. Adieu.

[tein], c’est plutôt pour les autres qui prennent facilement des ombrages que pour moi, et aussi pour lui-même. Je vous prie donc qu’on le garde avec la même exactitude qu’il est gardé ici. L’on peut dire à madame de Chevreuse que j’ai écrit au t [uteur]. Elle comprendra facilement que je l’ai adressée à madame de Mors [tein] comme étant à portée de la lui donner plus que personne.

Lorsque je vous ai mandé que je me retirerai, c’est parce que j’espérais que M. de M Je vous suis tout à fait obligée des marques d’amitié que vous me donnez. J’en conserverai toute ma vie, dans le fond de mon cœur, toute la reconnaissance que je dois, et pour celles de tous ceux qui ont la même charité pour moi. Je prie Dieu qu’Il vous soit à tous toutes choses.

J’avais prié qu’on n’eût point de familiarité avec les s. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1695.

– — A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 119v°] — A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [149].

[eaux] finirait, mais l’on prétend qu’il ne veut rien finir. La dernière soumission que je lui ai donnée, il y eut samedi huit jours, a été mise comme les trois autres dans la poche. Il dit à présent qu’il viendra disputer avec moi et qu’il attend qu’il ait cinq heures pour faire sa dispute en présence de témoins, puis qu’il m’excommuniera. J’ai répondu que je n’avais garde de disputer contre lui puisque j’étais soumise à tout, et que c’était des vérités que j’avais toujours crues. Voilà où en sont les choses.

Je vous prie [120 r°] de ne point dire que j’ai eu ni que j’ai dessein de me retirer tout à fait, de peur que certaines personnes, qui se disent mes amis et qui ne le sont, je crois, guère, m. B., ne se prévalussent de cela pour avoir une lettre de cachet pour me faire rester de force où je suis volontairement. Je vous demande donc cette seule marque d’amitié, qui est de ne dire cela à personne.

Si je sors, je vous le manderai afin qu’on ne m’écrive plus, mais assurément je n’embarrasserai personne, et mon dessein est de me retirer de tout commerce, étant aussi inutile que je le suis, et ne pouvant que nuire de toute façon. C’est le seul parti que je puis et dois prendre. Je ne puis même que nuire aux personnes que j’ai le plus voulu servir.

J’espère que Dieu vous maintiendra dans l’union les uns avec les autres ; cela suffit pour moi. Il me faut laisser là comme un vieux meuble pourri. Il me suffit que Dieu connaisse la sincérité de mon cœur et pour Lui et pour vous tous. Ne me répondez point sur tout ceci, car j’ai peur qu’on n’ouvre les lettres.

J’ai reçu avec joie la réponse de mon t. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1695.

1 [sic] : une personne vue par l’intermédiaire du « Chinois » ? Le « Chinois », comme la « sœur grise », restent indéterminés.

2 Dans l’emploi figuré, être soumis à une douleur intense.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 120] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [150].

[oeurs] grises ; j’avais pour cela de fortes raisons, mais l’on a cru devoir suivre plutôt l’inclination de certaines personnes que ce que je connaissais. Je prie Dieu que cela ne fasse tort à personne. Je crois qu’on craint où il ne faut pas, et l’on ne craint pas où il faut ; mais Dieu permet à Baraquin, je crois, [120 v°] de pervertir le jugement, en sorte qu’on craint ceux que Dieu semblait avoir donnés et l’on ne craint pas où il faut craindre. Je prie Dieu de nous donner à tous une lumière sûre, et qu’Il ne permette pas qu’on s’égare : c’est Son affaire. Je n’ai pu m’empêcher de dire encore cela, car le Chi [nois] qui nous l’a fait voir, sait mon intention mieux que personne sur cela, mais peut-être est-elle1 plus éclairée que moi. Je n’ai pas dessein de nous géhenner2. Je ne dis cela que parce que j’en suis pressée. Je ne prétends pas que mes amis prévalent sur ceux des autres, Dieu le sait, mais je le dis parce que cela m’afflige.

[uteur]. La conversation que j’ai écrite à M. de Mors [tein] a précédé de huit jours celle que j’ai écrite à mon t [uteur]. Pour ce que j’ai dit à M. de Mors [tein] qu’on voulait couler à fond, il faut, s’il vous plaît, que cela soit du dernier secret, parce qu’il m’est venu par la Mère. Vous jugez bien le tort [121 r°] que cela lui ferait, et je suis d’autant plus obligée de lui garder le secret qu’elle s’est confiée sur des choses de cette importance. Elle m’a encore dit que M. de M [eaux] lui avait dit que mes amis reconnaissaient à présent de bonne foi qu’ils s’étaient égarés et qu’ils revenaient.

J’attends ce qu’il dira sur le modèle que je lui ai donné, qu’il a mis dans sa poche et dont il ne dit plus rien. Il fait comme cela de tous, puis il revient, à huit jours de là, plus échauffé qu’auparavant. Je vous prie donc que la Mère ne soit compromise en rien, car c’est la chose du monde qui me répugne davantage que de compromettre quelqu’un. J’aime mieux encore tout porter. Faites savoir à M. de Mors [tein] la dernière conversation accompagnée d’un bon nombre d’injures.

J’ai bien de la joie que ma petite fille se porte mieux. Je ne vois nulle nécessité que vous écriviez, ni la bonne p [etite] d [uchesse] à la Mère ; il suffit de me mander des amitiés pour elle. Comme madame de Cha [rost] est sa parente, sa lettre était fort à propos.

Soyez persuadée que je vous aime tendrement tous deux, je ne puis vous séparer l’un de l’autre, parce que Dieu qui vous tient unis en Lui nous unit aussi ensemble. Je vous embrasse de tout mon cœur. Je vous prie que personne ne sache que j’ai vu M. de Morst Je suis fort en peine du paquet que je vous ai envoyé où étaient les deux billets de M. de M. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1695.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 120v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [151].

[ein], personne du monde ne s’en est aperçu ici et la Mère est d’un grand secret.

[eaux]. Mandez-moi si vous les avez reçus, et ne me manquez pas pour dimanche, car il faudrait aller coucher à Claye. Si vous ne pouviez venir, envoyez-moi un carrosse de louage et je le paierai, et ce qu’il faudra, mais j’eusse été plus consolée que c’eût [121 v°] été vous, mais à petit bruit. Je vous aime de tout mon cœur. Je crains des ordres nouveaux de M. de M [eaux], et lorsque je vous verrai, vous saurez les puissantes raisons, qui regardent l [e] p [etit] M Je vous avoue, ma p.  A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

Ici prennent place deux attestations et une soumission (v. la série des documents à la fin du volume) : « PREMIERE ATTESTATION DE M. de MEAUX. 1er juillet 1695 »., et « SECONDE ATTESTATION DE M. de MEAUX. 1er juillet 1695 ». Puis trois « SOUMISSIONS ».

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 121] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [151].

[aître], que j’ai de n’y demeurer pas. Adieu. Ecrivez-moi un mot pour m’ôter de peine.

[etite] d [uchesse], que je suis toute prête de me livrer plutôt que d’être cause que les autres souffrent pour moi. Brûlez la lettre pour [destinée à] être montrée à Eud [oxe] 1, et montrez seulement à mon t [uteur] celle pour M. de M [eaux]. J’aimerais mieux aller chez Cal.2 que chez madame de Mors [tein] à cause que c’est leur faire tort, mais je crains aussi d’en faire à Cal. Ainsi, ou je resterai ici à attendre la Providence, ou je retournerai à Meaux avec serment de ne signer jamais [123 r°] rien de nouveau, quelque tourment qu’on me puisse faire ; mais je sais qu’il n’y a tourment que M. de M [eaux] ne me fasse souffrir. Voyez donc avec le t [uteur] la lettre que je lui écris ; et si je demeure ici, que tous, à la réserve de vous, croient que je n’y suis pas. Il n’y a que les lettres, car je voudrais aussi que M. Thev [enier] me crût hors d’ici, et je n’ai personne de connaissance. Il vaut pourtant mieux se fier à Dieu qu’aux hommes.

Si vous croyez qu’en me livrant, j’arrête la tempête3, voyez avec L B [Fénelon], car j’irai me mettre à la Bastille si mon t [uteur] et L B le jugent à propos. J’aime mieux ce dernier parti que d’être tourmentée par M. de M Je me suis trouvée si mal depuis hier que j’appris la mort imprévue de M. l’archevêque que je ne suis guère en état d’écrire. [124 r°] Une douleur de tête fort grande m’a même empêchée quelques temps de lire vos lettres. Cette nouvelle qui vraisemblablement me dev. A LA PETITE DUCHESSE. Avant le 15 août 1695.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 123v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [154].

Enfin, l’archevêque de Paris est donc mort, et mort subitement ; j’en souffre une douleur extrême à cause de la perte de son âme. Hélas ! Seigneur, donnez-lui un successeur qui répare tout ! Je vous prie de le mander à S. B. Je ne me porte pas bien et peut-être ne vivrai-je pas longtemps. Adieu. Il sait ce qu’Il veut faire de moi. Ecrivez sans différer à S. B.

. A LA PETITE DUCHESSE. Peu après le 6 août 1695.

1 Mme de Maintenon.

2 L’abbé de Beaumont.

3 La persécution du cercle « quiétiste ».

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 122v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [153].

[eaux] comme je l’ai été. Si en me tenant cachée, je ne leur nuis pas, je resterai comme je vous dis. Proposez-leur aussi la Bastille, ou rester cachée en quelque lieu, mais ne leur dites pas où. Ou bien s’ils croient que je fusse en assurance chez mon fils, dites-leur bien tout cela, ensuite répondez-moi. Dans les terres, les gens d’affaires, les curés et tout cela nuit. J’ai encore un parti, c’est d’aller à Lyon incognito, mais je ne sais où trouver des maisons. Sur les chemins, l’on m’arrêterait : il faut passer par une route où je suis connue. Enfin je ne vois d’autre parti que de rester cachée, d’aller chez mon fils ou à Meaux. Réponse ?

[r] ait faire plaisir, m’ayant trouvée assez dépouillée de mes propres intérêts, ne m’a laissée que l’horreur effroyable de sa destinée éternelle. Je ne crois pas que notre ami soit archevêque de ce coup. Je n’en sais pourtant rien, mais comme j’ai cru longtemps qu’il y en aurait un entre, je vous écris ce que je pense. Si c’est l’homme à la pension1 qui est archevêque, j’en serai d’autant plus fâchée que nos amis le connaissent peu. Le t [uteur], sur une conversation qu’il a eue avec lui, le croit le mieux intentionné du monde et est plus pour lui que jamais, au lieu de juger de la duplicité par les différents personnages qu’il fait.

Pour ce qui nous regarde tou [te] s deux, je crois que le démon fait tous ses efforts pour nous désunir dans ce temps où il voit qu’il est de la dernière conséquence pour madame de Mors [tein] qu’elle soit bien avec nous. Ce que je crois donc, c’est qu’elle doit se faire violence pour ne se rien cacher à elle-même et à nous. Je suis fâchée qu’elle ait été voir la maison, cela ne convient pas. Je la prie donc de vous croire absolument, et vous de lui dire vos pensées avec moins de véhémence et plus de douceur. Défiez-vous de l’ennemi, et je vous dirai ce que dit le bon abbé Abraham 2 à un solitaire qui vint le consulter pour le défaire d’un autre qui le chargeait fort : ils se voulaient séparer. Il leur dit : « Prenez garde que, lorsque le Maître viendra, Il ne vous trouve pas divisés, car Il vous demandera compte à vous de l’âme de votre frère, et à lui de l’abus de Ses grâces ».

Quand je serai en état, je vous écrirai plus au long. J’écrirai aussi à la Colomb[e]. Mandez-lui en attendant que je m’appelle Jeanne de baptême et Marie de confirmation. J’ai toujours oublié de vous dire que je devais recevoir des lettres de conséquence par l’hôtel de Mors [tein]. J’ai peur que les domestiques ne s’en soient saisis. Je vous prie de les faire chercher : il doit y en avoir une du P [ère] l [a] C [ombe] et l’autre des Ben [édictines]. Si vous avez reçu toutes mes lettres, faites-le moi savoir. Je prie Dieu qu’Il unisse votre cœur avec celui de la p [etite] c [omtesse] ; cela est nécessaire. Cela eût été bien joli que nous eussions été à Château3, mais le t [uteur] ne le voulant pas, il faut avoir patience. Je suis si certaine que madame de M Ma bonne p. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

1Noailles ?

2 Père du désert.

3Châteauvillain ? Le château de Châteauvillain appartenait à l’époux de Mme de Morstein, qui venait d’être tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), 123 v° – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), 154.

[aintenon] fait à leur égard un personnage faux sur l’affaire du Général [Fénelon] que je n’en puis douter. Cela m’est trop imprimé pour en douter, mais comme on ne me croit pas, je laisse toutes choses. Adieu, je vous embrasse toutes deux.

[etite] d [uchesse], je ne manquerai pas d’avoir des affaires avec M. de M [eaux]. Il faudrait que le t [uteur] lui écrivît pour ne l’irriter pas, et lui mandât qu’il a appris que madame de Cha [rost] lui a renvoyé une lettre pour moi, qu’il croit lui pouvoir dire qu’il sait de bonne part que je me suis retirée dans une solitude ou pour y être en repos — je n’ai voulu dire à personne le lieu où je me retirais — ; qu’il doit être fort en repos sur mon chapitre, ces dames n’étant plus à portée de me voir ni personne ; que j’ai dit que j’enverrai quérir ma pension tous les trois mois : comme je ne suis point à Paris, l’on peut toujours l’assurer. Il ne s’agit que de couler le temps, car Dieu est tout-puissant ; ou Il m’ôtera bientôt du monde ou Il mettra les choses sur un autre pied. Je vous prie que mon t [uteur] parle à M. et à Mme de No [ailles] 1, qu’il leur montre la décharge [125 r°] et qu’il leur dise ce que M. de M [eaux] dit, car il parle aux autres bien différemment qu’à lui. Cela est nécessaire pour le repos de la petite Colomb[e] 2 qu’on mette les choses sur un pied que M. de M [eaux] ne pense plus à moi.

Si madame de Maintenon continue de me persécuter, je lui écrirai, quoi qu’il m’en puisse arriver, une lettre si forte que, si elle m’attire des malheurs, j’aurai la consolation de lui avoir dit ses vérités que la lâcheté de tous les hommes lui cache et que la justice de Dieu découvrira un jour et peut-être plus tôt qu’elle ne pense. Il y a un juge qui ne reçoit point les mauvaises excuses et qui la fera payer pour elle-même et pour le salut du roi.

Vous pouvez montrer au t [uteur] cette première partie de votre lettre, je vous en prie même. Pour madame de Mors [tein], n’ayez nulle complaisance mauvaise pour elle, mais aussi tâchez par la douceur de gagner sa confiance : je crains tout, mais plus il y a à craindre, plus il la faut ménager de vous à elle. Je vous plains bien, mais vous êtes engagée : il faut enterrer la synagogue avec honneur3. Faites-lui prendre le deuil et meubler de noir. Cela serait mal ; voilà ce qu’elle m’écrit. Je ne sais que lui dire, car il ne la faut pas rebuter, il faut plutôt tirer que rompre. Offrez-lui la pensée de me voir, vous en voyez la conséquence.

Attendons, cette année débrouillera peut-être bien des choses. Vous ne sauriez croire combien j’ai été touchée de l’effroyable mort de cet homme4 ; l’horreur de sa destinée m’a rendue malade. S’il avait été en état de recevoir du soulagement, il n’y a rien à quoi je ne me fusse offerte pour cela. J’ai même prié que, s’il était en état de cela, que Dieu m’exauçât, [125 v°] et s’il n’était pas encore jugé, que Dieu reçût mes vœux et mon sacrifice.

Je ne sais si vous faites réflexion que cinq personnes des persécuteurs sont déjà mortes subitement : M. l’Official 5, M. de la Pérouse 6, madame de Raffetot, M. de Gus.7 et celui-ci. Peut-être en mourra-t-il bien d’autres avant la fin de l’année. Je prie Dieu qu’ils aient le temps de se reconnaître. C’est être trop vengée que de l’être une éternité. Cette pensée me fait tant de peine que je me livrerais à tous les maux possibles pour leur salut.

Je ne laisse pas d’être indignée contre nos amis pour leur aveuglement sur madame de M [aintenon] et sur M. de M [eaux]. Adieu, petite femme que j’aime tant. Dites-moi ce que je pourrai donner à M. Thev Vous ne me répondez pas aussi simplement que je vous écris, ma p [etite] d [uchesse], sur ce qui regarde M. Thev [enier]. Il est question que je dois et veux lui donner quelque chose, mais comme il ne me rend autre service que les lettres et de payer la maison, ce quelque chose ne doit pas être bien considérable. Or comme je n’imagine rien, je vous prie dans votre simplicité de me mander ce que je dois donner selon ce que je suis et ce qu’il fait. Voilà tout.

Pour ce qui vous regarde, souffrez la vue de vos misères ; ces pensées que ce que vous faites est bon ne sont pas volontaires, il les faut laisser tomber. Ne vous inquiétez de rien, je vous aime fort.

Pour madame de Morst. A LA PETITE DUCHESSE. Avant le 20 août 1695.

1 Marie-Christine de Noailles (1672-1748), « La colombe », mariée le 12 mars 1687 à Antoine de Gramont, comte de Guiche. V. Index.

2petite colom [be], fille de la « colombe. »

3 Familièrement, bien finir une chose. « Ils [les premiers chrétiens] vivaient à l’extérieur comme les autres juifs […] ce qu’ils continuèrent tant que le temple subsista, et c’est ce que les Pères ont appelé enterrer la synagogue avec honneur. » (Fleury cité par Littré).

4 L’archevêque de Paris Harlay. Il mourut d’apoplexie le 6 août 1695, sans trouver de secours.

5 L’Official Nicolas Chéron, « homme assez connu dans le monde par le dérèglement de ses mœurs. »

6 « L’abbé de la Pérouse, et plusieurs docteurs de Sorbonne faisant au commencement de l’année 1689, une grande mission dans la paroisse de Saint Michel de Dijon, découvrirent que le sieur Guillot [Quillot] dont j’ai déjà parlé, enseignait à ses dévotes la nouvelle spiritualité. Le Moien court était répandu dans toutes les maisons, et ils en firent brûler 300 exemplaires par Madame Languet, veuve de M. Languet, Procureur Général du Parlement. Cette bonne dame très vertueuse, était chargée de les distribuer sans en connaître le poison et l’illusion… » (Phelipeaux, Relation…, 1732, t. I, p. 35).

7 Ces deux derniers noms nous sont inconnus.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 124v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [155]

[enier]. Parlez-moi simplement.

[ein], je crains beaucoup. La voilà privée de tout secours, monsieur son père ayant droit d’empêcher qu’elle ne m’écrive ; quoiqu’il demande la même chose pour vous, je ne vous crois pas sujette ni à son obéissance ni à celle d’Eud [oxe]. Cette jeune veuve fera sans doute quelques écarts, mais que faire ? Si elle n’a point de confiance, on ne la donnera pas : Dieu seul [126 r°] la peut donner. Il faut souffrir et ne pas rompre. Tâchez de couler1 jusqu’à la fin du mois. Je prends part à vos peines, mais elle me fait bien plus de pitié à cause des suites. Bon courage sans courage.

Tout le baraquinage est une momerie, ceci dans le dernier secret de madame de M [aintenon], qui fait semblant de souhaiter que S B [Fénelon] ait la place que vous savez2 ; elle l’empêche assurément et fait croire le contraire, disant que c’est lui qui ne le veut pas, et sur cela emploie le bon [Beauvillier], quoiqu’elle sache, à ce qu’elle dit, que c’est inutilement, et fait cent momeries, qu’ils croient ; et j’ai la certitude que c’est elle seule qui s’y oppose : ceci m’est donné sous un grand secret, ne le dites à personne. Si on vous en parle, dites, comme l’apprenant dans ce moment, que c’est un jeu joué de cette femme, qui est si bonne comédienne qu’ils la méconnaissent toujours : elle et M. de M [eaux] sont deux bons acteurs de théâtre.

Je ne me porte point bien. J’ai des maux de cœur continuels. Demandez pour moi au t Voilà m b p d [ma bonne petite duchesse] un brouillon de lettre que j’ai fait pour M. de M. A LA PETITE DUCHESSE. Avant le 20 août 1695.

1 Tâchez d’être souple, de laisser s’écouler le temps.

2 Les amis de Fénelon espéraient l’archevêché de Paris pour lui en remplacement de Mgr de Harlay. On sait qu’ils furent déçus et que Fénelon avait été éloigné de la Cour en étant nommé archevêque de Cambrai.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 125v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [156].

[uteur] une bible de M. de Sassi [Sacy] sans explications : il m’est venu de lui demander cela par vous, et je le fais.

[eaux]. Si le t [uteur] [Chevreuse] le trouve bien, qu’il me le renvoie afin que je l’écrive. J’écrirai, comme de loin, à la mère et lui adresserai la lettre au prélat tout ouverte1. Je crois qu’après, le t [uteur] pourra parler à madame de M [aintenon] et lui proposer ce que j’ai dit sans montrer ma lettre, car j’ai peur qu’elle ne soit pas bien. Enfin, consultez avec lui, et si l’on veut me donner parole de ne me point inquiéter chez mon fils ni ne point envoyer de lettre de cachet, je m’y retirerai. Ne serait-il point mieux d’y aller d’abord secrètement, ensuite de faire voir le [126 v°] parti que j’ai pris, qui est bien éloigné de vouloir avoir commerce avec personne, m’étant retirée à plus de quarante-cinq lieues de Paris, en une campagne déserte ? Consultez sur cela le B [on] [Beauvillier] et le T [uteur] ? Réponse au plus tôt. Ou si je resterai cachée, si on le trouve mieux ; on ne me découvrira pas, sûrement. Je suis bien fâchée de l’exil, non à cause de lui, mais de vous tous. C’est un tour de messieurs de No [ailles] et Ch [alons]. Ce dernier avait parlé assez mal, comme j’étais à Meaux, du père A [lleaume]. Voilà un mot pour la pauvre Colom [be].

Je vous laisserai mes quittances : je vous prie d’écrire tout ce que vous avancez pour moi. Adieu, je vous plains, mais vous êtes trop vive. Si m [on] B [on] [Beauvillier] continue la charité qu’il fit l’année passée au P [ère] l [a] C [ombe] et qu’il fait tous les ans, qu’il vous la donne avant que je parte. Demandez-moi une bible au tJ’ai pensé, Ma p. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

1 Il s’agit de la lettre n° 335 transmise à Bossuet par la lettre n° 334 de la mère Le Picard. Elle avait été envoyée au duc de Chevreuse (lettre n° 331).

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 126] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [156].

[uteur].

[etite] d [uchesse], que peut-être ne me laissera-t-on pas en repos chez mon fils si l’on sait que j’y suis. Cependant la violence en paraîtra beaucoup plus grande de m’aller chercher à cinquante lieues de Paris pour me tourmenter. Parlez-en au tut [eur] sous le secret de confession, et en ce cas j’écrirai à mon fils selon ce qu’on aura résolu. Si la lettre n’est pas portée, ne l’envoyez pas que vous n’ayez vu le tut [eur]. Voilà une lettre que je lui écris à telle fin que de raison : il en fera l’usage qu’il lui plaira. Je m’adresse à vous pour cela et, à la réserve de la personne destinée à mes commissions, je n’écrirai à personne.

Vous pouvez en assurer. Voilà ce que j’ai pensé. Réponse lorsque vous aurez vu le tut [eur]. Voilà un mot pour Dom Al [leaume]. Madame de No [ailles] n’a rien dit que de concert avec ma [dame] de M [aintenon] au tut [eur] ; je l’ai connu, mais je ne retournerai point à Meaux du vivant de M. de M Le tut. A LA PETITE DUCHESSE. Peu après le 16 août 1695.

1 Le 15 août.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 126v°] — A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [157].

[eaux] : j’en ai [f° 127r°] fait serment à mon Maître. Vous me ferez, s’il vous plaît, réponse sur tout ceci. La fièvre ne me quitte pas depuis la Notre-Dame1, et de grands maux de cœur.

[eur] me mande de sortir d’ici sans délai et de chercher une maison. Je vous envoie la lettre, brûlez-la lorsque vous l’aurez lue, et voyez où je puis aller. L’aum [ônier] me propose Beaurepaire. Cela vaut bien la peine que vous fassiez un tour à Paris pour voir où l’on me peut mettre, sinon je resterai ici. Je connus le jour de la Vierge, à la messe, que ce serait M. de Cha [lons] 1 : je le dis à l’aum [ônier] au sortir de la messe, et j’en pensais mourir de douleur. Je suis bien affligée de l’exil du P [ère] Al Je n’ai point été fâchée contre vous et je ne veux pas même que vous fassiez réflexion sur tout cela. Les fautes que vous faites servent à vous humilier et à vous [128 r°] éclairer. Avez-vous reçu tant de lettres que je vous ai envoyées, et une si ample que je vous ai écrite, où il y en avait une du tut. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1695.

1Louis-Antoine de Noailles (1651-1729) fut nommé évêque de Cahors, rapidement transféré à Châlons, et le 16 août 1695 nommé archevêque de Paris après la mort de Mgr de Harlay. « D’abord déclaré pour Fénelon dans l’affaire du quiétisme, il se livra ensuite à Bossuet… »

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 127] — A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [157].

[leaume], mais je la suis bien plus du prélat ; nos amis ne le connaissent point. Faites pour une maison ce que vous voudrez. Je prétends vous écrire toujours. Vous n’êtes redevable qu’à vous-même. Envoyez cette lettre au tuteur.

[eur] [Chevreuse] ? Je suis étonnée que vous ne l’accusiez pas ; elle avait huit pages. Je vous ai aussi écrit des lettres pour le Ch.1 ? Je vous prie que j’aie l’Apocalypse qui est en cahiers : le P [ère] l [a] C [ombe] me le demande et je l’attends pour lui envoyer les autres livres. Tâchez, lorsque vous parlez, de ne point suivre votre naturel ; lorsque cela vous est échappé, ne vous en étonnez pas.

Il faut ménager madame de Mors [tein]. Que dites-vous de l’envie qu’elle a d’aller à Chateauvilain [Châteauvillain] 2 avant ses couches ? Dites-lui ce que vous en pensez,  et voyez avec M. et Mme de Ch [evreuse]. M. de Ch [evreuse] m’ayant interdit de lui écrire, comme vous l’avez vu dans sa lettre, souffrira encore moins que j’y aille avec elle. Ainsi il faut se préparer à tout. J’y aurais été volontiers si monsieur de Chevreuse, à qui elle doit l’obéissance, ne m’avait priée de n’avoir plus de commerce avec elle. Je le lui ai mandé, il y a plus de quatre jours ; je suis étonnée que vous n’ayez pas recu la lettre. J’admire comme M. de Ch [evreuse] est toujours la dupe de madame de M [aintenon] et de M. de M [eaux] 3. Dieu les bénisse tous. Je n’ai pas le temps de vous en dire davantage. Je n’en serai pas moins unie à Mme de Mors Ma bonne p. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

1 Il peut s’agir aussi de « M. de Ch. » : le chevalier de Gramont (v. lettre du 13 octobre 1695 à son fils de La Sardière).

2 Le château de Châteauvillain appartenait à l’époux de Mme de Morstein, qui venait d’être tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695.

3 Sur la conduite étonnante de Chevreuse, compte tenu de la situation, on tiendra compte du jugement de Saint-Simon : « J’ai parlé ailleurs […] de la droiture de son cœur, et avec quelle effective candeur il se persuadait quelquefois des choses absurdes… »

4 Fénelon.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 127v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [158].

[tein], pour ne lui oser écrire. Je vous mande dans cette lettre que je ne croyais pas que N.3 fut cette fois archevêque de Paris. Je salue votre compagne.

[etite] d [uchesse], la lettre qui a été perdue est quelque chose de bien affligeant à cause d’une lettre de l’aumô [nier] [l’abbé de Charost]. Il faut que la cervelle lui soit tournée pour écrire une lettre comme celle-là. Il n’y a à cela nulle réplique, à moins de dire que c’est un fol. Il m’écrit les choses les plus affreuses, dit-il, par esprit de liberté, et me dit cela comme s’il faisait tous les maux et que je les lui conseillasse, et en des termes étonnants, [qu’] on1 ne le connaît pas, et que des vétilles lui paraissent des monstres. Tout l’assaisonnement y est. Deux lettres adressées sous mon nom qui ne laissent plus lieu de douter que c’est à moi qu’on écrit. Il y a de la friponnerie sur la lettre. Premièrement j’avais envoyé prier M. Thev [enier] avec la dernière instance, de ne me point envoyer les lettres s’il en recevait, [f° 127v°], et que je les enverrais quérir. Lorsqu’on apporta la boîte, j’envoyai demander à la femme s’il n’y avait point de lettres ; elle répondit que non. Le lendemain, en apportant un autre paquet, elle dit à propos de rien : « Au moins j’en donnais hier un plus petit que celui-là, et selon ce qui était dedans, il devait être plus gros ». J’envoyai dans le moment à M. Thure [Theu] ; il a toujours dit, trois fois que j’y ai envoyé, que sa femme n’était pas chez elle, et n’a rien fait chercher ; tout est adressé à Mme Lep [autre ?].

Voilà la pensée qui m’est venue que j’écris au tut [eur], vous lui donnerez ouverte et vous verrez ensemble. Vous lui direz que, par imprudence, l’aumônier, sans dire quoi, m’a écrit des choses qui, prises d’un sens, me peuvent perdre, que vous parliez de Les. et d’Eud Je n’ai pas plus tôt fait une proposition qu’elle me paraît impertinente : Dieu permet que je sois présentement incapable de bien juger. J’ai oublié de dire au tut. A LA PETITE DUCHESSE. Début septembre 1695.

2Chal [ons] La Pialière

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 128] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [159].

1Morstein ?

Madame de M. 1 a t-elle retiré les papiers de son mari ? Depuis que je vous ai écrit, je me sens si fort portée à rester ici, abandonnée à Dieu, qu’il me paraît que c’est le seul parti [128 v°] que je puisse prendre. Le pis qui me puisse arriver, étant prise, est d’être mise entre les mains de

M. de M [eaux] ou de Ch [alons] 2. Mandez-moi ce qu’il y avait dans le paquet de lettres qui a été perdu. Ce ne sont point les industries humaines qui me sauveront, mais la volonté de Dieu. Je suis sûre qu’on ne dit tout cela à M. de Ch [evreuse] que parce qu’on croit qu’il me le peut faire savoir. Je crains de la friponnerie sur le paquet, et ce n’est pas sans sujet que je le crains. J’ai laissé, chez M. The. [Theu], une cassette : que l’aumônier [l’abbé de Charost] l’aille prendre lui-même, et qu’on me la serre.

. A LA PETITE DUCHESSE. Début septembre 1695.

1 Nous ajoutons « qu’ », tentant de rendre ce passage plus clair.

2Desgr. qui pourrait être la sœur de Famille ?

3 Petit Archange ? (une statue de saint Michel).

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), f° 127r°, A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [158].

[oxe] [Madame de Maintenon]. Ne pourrait-on point faire que ces deux noms fussent deux personnes ? Car on s’offenserait moins du dernier nom que du premier. Jusqu’à présent, j’étais innocente ; à présent, je puis passer pour coupable et sans réplique. S’il y a de la sûreté à la proposition que je fais au tut [eur], c’est le mieux pour nous tirer tous d’embarras. Ne m’envoyez ni desg.2 ni Put [Dupuy], que vous ne voyiez si l’on se charge de cette proposition. Ensuite vous m’enverrez qui vous voudrez, mais j’aimerais mieux desg. car de demeurer ici [sic], le paquet étant adressé à madame Lep [autre]. Mais le plus fâcheux, c’est les dessus de lettres de mon fils. Ne m’envoyez pas le p. arch.3 : cela n’est pas de saison.

[eur] [Chevreuse] qu’il vît s’il y avait lieu de se fier qu’on ne m’arrêtât pas chez mon fils après une parole donnée. En tout cas, qu’il ne fasse, s’il vous plaît, la proposition qu’après la Notre-Dame1. J’ai pensé que si vous avez quelque chose d’absolument nécessaire, le Ch. pourrait bien apporter les lettres : venant très rarement, cela serait plus sûr que personne. Ma p [etite] d [uchesse], servez-moi de directeur, et qu’on ne m’écrive jamais de lettres pareilles à celles de l’aum [ônier] qui sont pires que je ne puis dire. Avez-vous recommandé les lettres au p [etit] M J’attendrai ici les ministres de la fureur de Jes. [Jésus ?]. Vous ne me mandez rien sur le parti d’aller demeurer avec mon fils et vous avez raison ; je n’y serais pas sûrement. J’ai payé M. The. [Theu] et l’ai remercié, en lui faisant entendre que je m’en vais. Lorsqu’on écrira par lui, ce qui ne sera que dans une extrême nécessité, il ne faut pas demander réponse sur le champ, comme on a fait toujours, mais attendre trois ou quatre jours pour avoir la réponse. Je ne suis nullement surprise de la trahison d’Eud. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

1 Le 8 septembre. Cette lettre serait donc à placer peu après celle adressée à Chevreuse et reçue par celui-ci le 12.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 128v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [159].

[aître] ? Que ne lui faites-vous reproche ! S’Il ne les a pas gardées, si elles sont en mauvaise main, nous en entendrons bientôt parler. Ainsi ne remuez rien, même pour chercher une maison de quelque temps.

Le paquet est perdu : M. Thev. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 128v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [159].

[oxe] [Madame de Maintenon]. S’ils voyaient tout, ils en verraient bien d’autres, mais il n’y a pas moyen de les changer.

[enier] l’avait envoyé par une femme qu’il croyait sûre et cette femme l’a perdu, ainsi vous voyez que je ne puis répondre sur la maison. Voyez cette lettre et me la renvoyez. Vous pouvez m’écrire tous les vendredis, et le jeudi suivant, vous aurez la réponse. N’écrivez à B. [Beauvillier] par la poste qu’avec précaution, et sachez de lui ce qu’il pense pour retourner où l’on était ou demeurer caché. Si le paquet de lettres est tombé dans de certaines mains, où en sommes-nous ! Mais Dieu sur tout. Fam [ille] s’imagine qu’on pourrait se confier à sa sœur, mais je ne sais si cela serait sûr, et qu’elle apporterait toutes les semaines les lettres et me donnerait le temps d’y répondre. Mais à moins que vous n’ayez cela au cœur, ne le faites pas, car j’ai toujours cru Desg.1 très indiscrète. Je crois qu’il faut que, selon toutes les apparences, le b. [Beauvillier] agisse de concert avec M. de Ch [alons], mais qu’il ne s’y fie que de bonne sorte. Cela est bien lâche à M. et Mme de No [ailles] de dire ce qu’ils disent de M. de C [ambrai] : quand cela serait vrai, un bien dont on se vante, et qui est reproché, devient un [f° 129v°] mal et désoblige. Dites-lui que je l’aime de toute mon âme. Mandez-moi sans déguisement ce que vous dit le cœur sur la lettre de M. de Ch Ma bonne. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1695.

1Desg. : la sœur de Famille ?

2 Beauvillier eut treize enfants : Marie-Françoise (morte à deux ans), Marie-Antoinette, Marie-Geneviève, Marie-Louise, Marie-Thérèse, Marie-Henriette, Marie-Paule, Marie, Marie-Françoise… en neuvième enfin, un fils ! Deux fils restèrent en vie : l’aîné était le comte de Saint-Aignan, le cadet, le comte de Séry. (v. G. Lizerand, Le duc de Beauvillier 1648-1714, Belles- Lettres, 1933, p. 341 et 345).

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 129] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [160].

[alons], mais cela sans déguisement. Je vous réponds que, quand vous ne me seriez pas venu quérir, il suffirait que je fusse dehors pour donner de l’ombrage. Si ma lettre est perdue, il n’y a rien à faire, ni pour la maison que vous avez vue ni pour rester ici. Faites des amitiés pour moi à m b. [Beauvillier]. Je voudrais qu’il eût nommé Jean-Michel cet enfant2.

] p [etite] d [uchesse], rien n’est plus certain qu’il y a de la friponnerie du côté de M. The [Theu], car lorsque je reçus la boîte, j’envoyais demander à la femme d’où vient qu’il n’y avait point de lettres ; elle manda qu’il n’y avait que la boîte. Je suis sûre de madame Lapierre, qui m’aime, qui a de la confiance et qui en est fort affligée. Lorsqu’on a demandé à la femme, qui dit avoir donné le paquet, sa grosseur, elle a dit qu’il était comme une lettre. Il vaut mieux ne me plus écrire du tout. Ne m’envoyez personne.

La lettre de l’aum [ônier], par sa mauvaise manière de s’exprimer, est à me faire brûler. Dieu a poussé les choses à la dernière extrémité, et il faut qu’Il veuille notre ruine totale puisque les lettres sont perdues, car je crois qu’elles sont en main de gens qui sauront s’en prévaloir. Cette lettre prise à la lettre convainc de crime, et le mot que vous mettez : « Ne voulez-vous pas faire m. cette Jes1 » est inexcusable, quoique qu’il soit très innocent au sens que vous l’entendez. Les lettres de mon fils et de ma belle-fille font connaître qu’elles sont pour moi et à [f° 130r°] cela, il n’y a pas d’excuse et de remède. Je n’ai point au cœur de me fier à pet. J’aime mieux n’avoir point de lettres : je ne veux point me mettre entre les mains de madame de M [aintenon], surtout après la perte des lettres. Je crains plus les recherches de madame de N. a que toutes les autres. Il me semble qu’il ne fallait point écrire une lettre comme celle de l’aum [ônier]. Cependant, Dieu sur tout.

Si j’avais une personne sûre, de basse condition, qui louât une maison à boutique et qui me donnât un appartement, mais il n’y a personne. Mon fils me demande avec instance, mais on me trouverait chez lui. Demandez au b. [Beauvillier] ce qu’il en pense. Sinon, je resterai ici et je prendrai une chambre, en cas qu’il arrivât quelque malheur, pour me retirer. J’irais à cent lieues d’ici pour éviter de tomber entre les mains de m [adame] de M [aintenon]. Put [Dupuy] avait une femme sûre : voyez avec lui. Je savais bien dès M [eaux] les sentiments de madame de M [aintenon] et je ne m’y suis jamais fiée ; elle est dévouée à la fortune, je m’attends au dernier supplice. Il semble que Dieu ne Se veuille point apaiser. Je doutais s’il y aurait batt 1Peut-être : « m– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [129 v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [160].

a Plusieurs mots barrés dans La Pialière.

[erie] 3, mais nous l’aurions gagnée avec grande perte. Consolez-vous, bonne p [etite] d [uchesse], la p [utain] 4 n’osera, je crois, s’attaquer à vous. Il faut bien se donner de garde, dans la conjoncture des choses, de m’envoyer la femme de Monfort. Sachez ce que pense le b [Beauvillier] pour aller chez mon fils. Si les lettres sont trouvées, il faut se résoudre à la mort, cela n’est pas difficile. N’allez point pour moi au p. arch.5, mais bien pour les autres.

[adame] cette Jés [uiterie] ?

3 Au sens de : bataille.

4 Injure utilisée à la Cour pour désigner Madame de Maintenon, par exemple par la princesse Palatine ; exceptionnellement ici par Madame Guyon, acculée.

5 PeSi je vous ai mandé quelques mots sur le tort que je craignais que le Ch.1 vous pût faire, c’est parce que j’ai longtemps porté une conviction que Ba. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1695.

tit Archange (saint Michel) ?

1 Ch. pour Charost ? Grand et petit Ch. : il s’agit d’une mère et de sa fille ; le féminin est indiqué par “… j’ai appris que le grand [Ch.] lui avait insinué d’assez dangereuses maximes, dont je l’ai détrompée…” puis à la fin de la lettre, par « elle est bien loin sur cela de la simplicité… » ; ce qui n’exclut pas de façon certaine un surnom qui lui aurait été associé de “ch[raquin] ferait tout ce qu’il pourrait pour nuire aux Enfants. J’en avais même écrit à M. f.2, et j’appréhendais, dès ce temps-là, pour le Ch. Je vous prie de ne lui rien témoigner, car vous savez de quelle conséquence cela m’est. Ce qui m’a encore porté à vous dire cela, c’est que, ayant vu le petit Ch., qui m’a parlé avec toute sorte d’ouverture, j’ai appris que le grand [Ch.] lui avait insinué d’assez dangereuses maximes, dont je l’ai détrompée et lui ai fait voir la vérité. J’en ai été extrêmement satisfaite, mais le grand Ch. est demeuré dans son entêtement, sans vouloir démordre de quoi que ce soit. Son obstination a

2 Non identifié.[eval]”.

Je suis en peine, Ma p. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1695.

[etite] d [uchesse], si vous avez reçu dimanche une lettre qu’on vous porta, à ce qu’on dit, à l’hôtel de C [hevreuse], mandez-le moi incessamment. Plus j’ai d’éloignement pour la d [ame] et plus j’aime Lam1. Je vous avoue que plus je vois le Ch., plus je le trouve égaré et éloigné. Je vous en ferais voir des circonstances qui vous étonneraient ; mais c’est à présent le temps de souffrir et de se taire. Il semble que bar 1 Indéterminé.

2 Indéterminé. Au marquis ?

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 133] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [163].

[aquin] ait puissance pour un temps, mais que dire et que faire ? Souffrir et se taire. Dites au m.2, lorsqu’il sera arrivé, qu’il y a longtemps que vous gardez cette lettre et que je vous l’ai envoyée en partant. Il est de conséquence que vous ne témoigniez rien au Ch. de ce que je vous ai mandé, car elle me peut beaucoup nuire, n’épargnant rien pour se maintenir. Ce sera Dieu qui sera juge entre les infidèles et moi. Je vois avec frayeur les cèdres tomber tandis que les petites herbes demeurent fermes. Je prie Dieu qu’Il soit votre force et votre soutien.

.J’ai au cœur de vous dire que je crains que le Ch. ne vous nuise, car je la trouve bien pleine d’amour-propre. Je vous avoue, ma p A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1695.

[etite] d [uchesse], que je suis étrangement surprise de ses manières, de ses frayeurs et du risque qu’elle croyait courir en me venant voir. Je crois qu’il ne me la faut plus envoyer et nous passer de nous écrire. Il faut que l’aum [ônier] envoie chez lam, comme p [ut] [Dupuy] le lui dira, un gros paquet de livres que Dom [Alleaume] a laissé pour moi en partant. Vous y pourriez joindre encore une lettre si vous avez quelque chose à me faire savoir. Il faut que je reste ici, abandonnée au p [etit] M [aître]. Je crois que le défaut de foi du tut [eur] [Chevreuse] vient du défaut de soumission pour n’avoir pas voulu venir seul. Je ne doute point qu’Eu [doxie] [Madame de Maintenon] ne pousse les choses à toute extrémité. Dieu y peut seul mettre remède ; s’Il ne le veut pas, il faut le souffrir.

Je vous aime bien tendrement et j’espère que m [on] p [etit] M [aître] vous bénira de cela. Si vous aviez quelque chose de conséquence à me faire savoir, desgr1 pourrait porter les lettres chez M. Cam2, comme p 1Desg., sœur de Famille ?

2 Non identifié.

3 Liberté dans l’appréciation des différences religieuses. On sait qu’elle sera à la fin de sa vie en relation avec de nombreux protestants, dont son éditeur Poiret.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 133] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [164].

[ut] [Dupuy] en conviendrait avec vous afin que nul de nos gens n’ouït cela, et j’enverrais tous les jeudis chez lui. Mandez-moi si vous entrez là-dedans ou si nous ne nous écrirons plus tout à fait. Mais je ne suis point contente du Ch. en façon que ce puisse être : je crains pour le secret. Mais je laisse tout. Peut-être que comme elle craint qu’on ne sache qu’elle a eu commerce avec moi, cela pourra l’empêcher de dire où je suis.

Où trouve-t-on des âmes vides de tout intérêt ? Je demeure ici en paix, attendant ma destinée, car partout, ne me voyant jamais sortie, je serai suspecte. Je voudrais trouver une maison d’huguenots3, car je n’y serais pas examinée. D’un autre côté, il me paraît que je ferai mieux de rester ici dans mon abandon. Que vous dit le cœur sur tout cela ? Mandez-le moi.

Je crois, ma très chère, qu’il ne faut pas penser à venir à présent. Je vous assure que je le souhaite autant et plus que vous, mais le p. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1695.

[etit] M – A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 133v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [164].

1 Non identifié ; de même plus bas, pour Cam.

[aître] ne le permet pas : Lb. [Beauvillier] ne pourrait s’empêcher de le dire à B. [Fénelon]. Pour N.1, je donnerais ma vie afin qu’elle fût comme Dieu la veut si elle avait acquiescé ! Je sais bien de quoi il s’agit, mais elle ne l’avouera jamais : c’est son inclination pour N. qui la fait si fort souffrir. Ne témoignez jamais que je vous l’ai mandé, ni que vous le soupçonniez. Si elle avouait cette faiblesse, qui n’est rien, elle serait guérie. Ne m’écrivez pas par Cam que le gros enfant [La Pialière] ne soit parti. J’entre dans ce que vous me dites pour vous adresser toutes les lettres. Je vous écrirai demain plus au long. Je vous aime bien tendrement.

J’ajoute ce passage de saint Aug je cherche les ténèbres pour faire le mal ! lorsque j’ai paru, l’on dit que je ne l’ai fait que pour séduire. Quel parti [182] peut-on prendre, qui ne soit pas condamné ? Si je parle, mes paroles sont des blasphèmes ; si je me tais, mon silence m’attire l’indignation. C’est pourtant l’unique parti que je puis et dois prendre, après toutes les protestations que j’ai données de ma foi pour laquelle je suis prête de mourir, ne m’étant jamais écartée un moment des sentiments de l’Église ma mère, condamnant tout ce qu’elle condamne et dans moi et dans les autres, étant prête de répandre jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour la pureté de sa doctrine. Ce sentiment n’est jamais sorti de mon cœur, même pour un instant.

      1. Mais pour tant de choses qu’on m’impute par des sens si violents qu’on donne à mes écrits, qu’il serait très aisé de justifier et d’en faire voir la pureté et l’innocence, je déclare qu’on m’impute des pensées, qu’on donne des tours auxquels je n’ai jamais pensé. L’on attribue à péchés énormes ce que je dis de simples défauts ; l’on fait des crimes réels de ce qui n’est qu’une simple impression de l’imagination, que Dieu permet qui soit remplie et offusquée de telle sorte que celui qui souffre ces peines ne discerne pas s’il y consent ou n’y consent pas. L’on prend des épreuves des démons — où Dieu permet que ces misérables esprits, par des coups redoublés et des rigueurs inouies, exercent encore de pauvres âmes en ce siècle, comme ils ont fait du temps des Hilarion et des Antoine —, pour des choses abominables, les maximes du plus pur amour pour des exécrations, parce qu’il a paru dans ce siècle de misérables créatures livrées au dérèglement de leur cœur, que j’ai tâché de tirer du désordre, que j’ai indiquées, qui m’ont toujours trouvée en leur chemin, dont je produirais même de bons témoins, si je ne prenais pas le parti du silence ; ce sont ces misérables qui m’accusent, et qui veulent trouver dans mes livres le sens corrompu qu’elles donnent à toutes choses. Le soin qu’on a pris de tronquer les passages, d’ajouter à d’autres, marque assez le peu de bonne foi qu’on a conservé en tout cela.

      2. Mais c’est à ce Dieu fort et puissant, qui S’est revêtu en S’incarnant de la faiblesse de notre chair, à faire connaître la vérité, à la faire sentir et éprouver dans les cœurs qu’Il a choisis pour cela. Il n’a que faire d’aucune créature pour en venir à bout ; Il pénètre les lieux les plus cachés, et l’onction enseigne toutes choses à Ses enfants. Et cette onction étant produite dans les âmes par le Saint-Esprit qui ne peut enseigner que la vérité, Il ne permettra pas qu’ils prennent le change ; il faut l’espérer de Sa bonté. Il ne me convient pas de réfuter les endroits ajoutés à mes écrits, non plus que ceux qui sont tronqués ou mal entendus, laissant cela aux personnes plus éclairées, et m’étant imposé un silence éternel.

      3. 4 Les Torrents restés en manuscrit depuis 1685, Molinos fut condamné en 1687.

      4. 5 Sous la pression de Madame de Maintenon.

      5. [181] découvertes depuis4. Je proteste, devant Ses yeux divins, que j’ignorais entièrement ces choses lorsque j’ai écrit, et que je n’en avais jamais ouï parler. Le petit traité des Torrents fut la première chose que j’écrivis au sortir de ma patrie : la vie que j’y avais menée justifierait pleinement toutes choses. Il me suffit de dire que je n’ai jamais pensé ce qu’on me veut faire penser. Pourquoi juger des intentions d’une personne ? Si j’ai pensé ces choses, je dois les avoir dites pour que l’on puisse juger de mes pensées ? Si je les ai dites, qu’on produise les personnes auxquelles je les ai dites ? Si je ne les ai point dites, pourquoi me faire penser ce que je ne pensai jamais ? J’ai été examinée tant et tant de fois, et après des examens si rigoureux et de personnes si fort prévenues, l’on n’a rien trouvé. Je ne suis sortie de Meaux, où je m’étais mise moi-même pour être examinée, qu’après une décharge de toutes ces choses, et une reconnaissance du prélat qu’il ne me trouvait avoir aucun des sentiments qu’on m’impute.

      6. Je n’ai point promis de retourner à Meaux, comme on fait courir le bruit. Si je l’avais promis, je l’eusse tenu, quoi qu’il m’en dût coûter. Il est vrai qu’après la décharge donnée, je demandai à ce prélat s’il agréerait que j’allassea passer les hivers dans son diocèse ; il me dit que je lui ferais plaisir. Je ne dis cela que parce que j’aimais les religieuses de ce monastère, et comme une action libre de faire ou ne faire pas. Depuis ce temps, j’ai vu que ce prélat, plein de grandes qualités, loin de s’arrêter à ses lumières propres, desquelles je n’ai pas sujet de me plaindre, agissait le plus souvent contre ses propres sentiments par l’instigation de personnes mal intentionnées5, ce qui faisait que les choses ne prenaient point de fin, et qu’après tant et tant d’examens où l’on avait paru content, l’on en revenait toujours aux impressions étrangères. J’ai cru qu’il était plus à propos de garder le silence et de me retirer dans un lieu à l’écart, non pour fuir la lumière, comme on veut le persuader. Ai-je fui la lumière, puisque je me suis toujours présentée lorsqu’il a été question de répondre de la pureté de ma foi que j’ai toujours été prête de soutenir aux dépens de ma vie ? Il est vrai que, voyant les esprits si fort indisposés, je me suis retirée dans une profonde solitude, éloignée de tout le monde, où je n’ai commerce avec personne. Si je suis dangereuse, et que mon commerce le soit, pouvais-je prendre un meilleur parti pour me mettre à couvert de tout soupçon, surtout ne l’ayant fait qu’après avoir rendu jusqu’à la fin toutes sortes de témoignages de ma foi ? Je me suis même rendue inconnue à mes meilleurs amis, je me suis retirée à l’écart et dans la solitude, sans nul commerce avec les hommes, et l’on dit que

      7. 1Dieu sonde les reins et les cœurs : Psaumes, 7, 10 ; Jérémie, 11, 20.

      8. 2 Ordonnance du 21 novembre 1695.

      9. 3I Corinthiens, chap. 15, par ex. 42 :… Le corps, comme une semence, est maintenant mis en terre plein de corruption, et il ressuscitera incorruptible. (Sacy).

      10. Jusqu’à présent, j’ai gardé un profond silence dans toutes les calomnies qu’on a inventées contre moi, parce qu’elles ne regardaient que ma personne, et que j’ai cru qu’il suffisait que Dieu, qui sonde les cœurs et les reins1, fût témoin de mon innocence. Mais à présent que je vois que la malignité de ceux qui [ne] me persécutent que parce que j’ai découvert leur turpitude, a trompé la crédulité des plus saints prélats et des plus gens de bien, je dois un aveu de la vérité au public. Je dirai donc que je ne reconnais point l’écrit des Torrents dans la lettre pastorale de M. de Chartres2, que je le vois seulement travesti, qu’il est absolument méconnaissable, ceux qui l’ont transcrit avec une fin malicieuse ayant ajouté des endroits et tronqué d’autres qui le rendent tout à fait différent de lui-même. Si le manuscrit est de ma main, qu’on le fasse voir, mais ce sont des copies auxquelles on a malignement ajouté des choses qui ne furent jamais ; par exemple, il y a que l’homme renaît de sa cendre, et est fait un homme nouveau3. Ils ont mis que l’homme prend vie dans son désordre, et des endroits où il y a trois ou quatre lignes ajoutées, qui rendent les propositions très mauvaises ; d’autres où on coupe le vrai sens pour prendre des mots de côté, et d’autres dont on fait une liaison. Puisqu’on ajoute bien aux imprimés, comme a fait M. Nicole dans sa Réfutation, pénultième feuillet, que ne fait-on point aux manuscrits, qui, n’étant pas de ma main, sont habillés de toutes sortes de couleurs ? C’est néanmoins sur ce fondement si faux qu’on explique deux livres que j’ai soumis tant et tant de fois.

      11. La bonne foi de ma soumission fait que je n’ai pas écrit un mot pour les éclaircir ni défendre. Dieu, qui voit le fond des cœurs, sait que j’ai écrit dans un temps où il n’était point mention des abominations que l’on a

. A LA PETITE DUCHESSE. 27 novembre 1695.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 159] — A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [180]. — Fénelon 1828, t. 7, 1. 93, p. 206.

a je retournasse Fénelon 1828.

b faire chasser de Fénelon 1828. Mot absent dans La Pialière !

6 De vera religione, écrit en 390 ; P. L. Migne, 34. Long passage déjà cité un an auparavant, dans la lettre à Chevreuse du 10 novembre 1694 : « J’ai trouvé à l’ouverture du livre de St Augustin, intitulé De la véritable religion un endroit qui m’a paru bien beau dans la conjoncture présente. C’est au chapitre 6, page 33 : “Souvent même la Providence de Dieu […] former son peuple spirituel.”

7 Cf. « Car il y a cette extrême différence que la violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque, au lieu que la vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même. » (Pascal, Les Provinciales, en conclusion de la 12lettre, Lafuma, Seuil, 1975, 429 b).

[ustin], au livre de la véritable religion 6, chap. 6, § 11 : « Souvent même la Providence de Dieu permet que quelques-uns de ces charnels dont je viens de parler, trouvent moyen, par des tempêtes qu’ils excitent dans l’Église, d’en faire [chasser] de très gens de bien ; et lorsque ceux qui ont reçu un tel outrage, aiment assez la paix de l’Église [183] pour le prendre en patience, sans faire ni schisme ni hérésie, ils apprennent à tout le monde, par une conduite si sainte, jusqu’où doivent aller la pureté et le désintéressement de l’amour qui nous attache au service de Dieu. Ils demeurent donc dans le dessein de rentrer dans l’Église dès que le calme sera revenu ; ou si l’entrée leur en est fermée, soit par la durée de la tempête ou par la crainte que leur rétablissement n’en fît naître de nouvelles et de plus fâcheuses, ils conservent toujours dans leur cœur la volonté de faire du bien à ceux mêmes dont l’injustice et la violence les ont chassés ; et sans former de conventicules ni de cabales, ils soutiennent jusqu’à la mort et appuient de leur témoignage la doctrine qu’ils savent qu’on prêche dans l’Église catholique ; et le Père qui voit dans le secret de leur cœur leur innocence et leur fidélité, leur prépare en secret la couronne qu’ils méritent. On aurait peine à croire qu’il se trouvât beaucoup d’exemples de ce que je viens de dire ; mais il y en a, et plus qu’on ne saurait se l’imaginer. Ainsi il n’y a point de sortes d’hommes, non plus que d’actions et d’événements, dont la Providence de Dieu ne se serve pour assurer le salut des âmes, pour instruire et former son peuple spirituel. »

Je voudrais mettre ici un autre passage de saint Jean Chrysostome, mais je ne l’ai pas, où ce saint dit que lorsqu’il s’agit de combattre par la raison, on combat une raison par une autre, et il est aisé à la vérité de surmonter le mensonge et la calomnie ; mais lorsqu’on use de violence, il n’y a qu’à céder et souffrir, car la vérité ne peut rien contre la violence7.

Je vous assure que le gros enfant [La Pialière] n’a rien lu de ce que je lui ai donné sans le cacheter ; il est, sur cela comme sur le reste, d’une fidélité inviolable. Lorsque je lui ai donné, je lui ai dit de ne les pas lire, et il ne pourrait porter d’avoir fait une pareille infidélité sans me le dire : soyez en repos sur cela. Pour la jeune v. A LA PETITE DUCHESSE (?) Décembre 1695.

Madame Guyon est arrêtée et transférée à Vincennes. Prennent place les documents suivants : « LE ROI AM. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS. » et « EXTRAITS DES INTERROGATOIRES. »

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 134v°] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [165].

[euve], ne l’obligez plus de vous rien dire, laissez-la agir naturellement. J’ai bien peur qu’elle ne tienne de N. Le gros enfant vous dira les perquisitions qu’on fait de tous côtés. Envoyez-moi, par lui, quelque argent en or pour subsister du temps sans envoyer chez vous. Je ne sais pourquoi vous êtes jalouse, vous aimant comme je fais. Je crois qu’il faut recevoir la lettre du bon M. sans lui promettre de réponse qu’après les Rois. Adieu, je ne cacheterai pas cette lettre autrement que par la sûreté de l’homme à qui je la donne.

Mon cœur me rend un bon témoignage de vous, et je vous aime de tout mon cœur. Bon courage ! Je ne demanderais pas mieux que d’avoir confiance en [le] curé de Saint-Sulpice, et a les premières fois, dès que je sus qui il était, j’en eus une entière. Mais que je m’en trouvai mal, et que ce que je lui dis me fut nuisible ! Je le crois homme de bien, mais tellement prévenu contre moi, si fort dans les intérêts de ceux qui me tourmentent, qu’il n’y a rien à faire. Il me dit toujours que j’ai enveloppé dans mes livres des sens cachés ; il m’a dit à moi-même des choses si fortes en confession de ce qu’il pense de moi, et m’a toujours traitée sur ce pied, étant six semaines sans vouloir que je communie et continuant toujours de même. Il a prévenu la fille qui me garde ici d’une si étrange manière qu’elle me regarde comme un diable. Toutes les honnêtetés que je lui fais l’offensent parce qu’elle croit que c’est pour la gagner. De plus [le] curé ne me parle que d’une manière embrouillée, voulant tantôt savoir entre les mains de qui j’ai mis ma décharge pour la ravoir. Il voit souvent M. de M. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1696.

[eaux] chez l’abbé de Lannion. Jec ne lui ai jamais ouï dire un mot de vrai, ni deux fois de la même manière. Je lui donnai au commencement une lettre pour M. Tronson, pleine de confiance, il me jura foi de prêtre qu’il la lui donnerait sans que qui que ce soit la vît ; il la porta à M. de Paris, quid en fût en colère contre moi, et puis en me parlant il se coupa, et enfin il me fit connaître que M. de P [aris] l’avait vue. Plus je me confie, plus mon cœur est serré. Je fais pourtant au-dehors, dans le peu que je le vois, ce que je puis pour lui marquer de la confiance, mais il me demande par exemple de lui écrire tout ce que [f° 165v°] M. de M [eaux] m’a fait et de le signer, et quelque chose au-dedans m’empêche et me dit que c’est une surprise.

Je suis ici où l’on me fait faire des dépenses excessives en choses qui ne me regardent point, et je n’ai ni linge, qui m’a été pris, ni habits, ne mangeant que de la viande de boucherie, et [ain] si je dépense quatre fois comme à Paris, mais cela n’est rien au prix des autres duretés. Cependant je suis paisible et contente dans la volonté de Dieu. Pour vous dire tout ce qu’on me fait, il faudrait des volumes : on me traite plus mal depuis six semaines ou deux mois qu’on ne faisait auparavant. [Le] Curé veut que mes amis lui soient obligés, lors même qu’il favorise mes ennemis. Il faut toujours que vous lui marquiez une espèce de confiance, mais tenez-vous sur vos gardes. J’ai un testament que je voudrais vous envoyer ; je n’ose le risquer. Payez bien cette bonne femme, je n’ai rien du tout pour lui donner. L’autre ne peut plus rien faire ; on l’a ôtée parce qu’on a cru qu’elle me servait avec affection. N. me demande où je veux aller ; je lui ai dit que je pourrais aller chez mon fils, mais que je ne demandais rien, car je n’ai jamais demandé la moindre chose. J’ai toujours dit que je ne voulais que la volonté de Dieu, et je me suis laissée ballotter comme on a voulu, mais je n’ai rien dit et rien fait que je ne dusse. M. Py [rot] m’a fait des choses qu’on aurait peine à croire, mais Dieu voit tout. Si vous vouliez me mander ce qu’est devenu Dom [Alleaume] et le P [ère] L [a] C Ici prend place (v. la série des documents à la fin du volume) le document suivant : « DECLARATION SIGNEE AVANT DE SORTIR DE VINCENNES. 9 octobre 1696. »

1 La servante de Madame Guyon.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 165] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [183] : « Nbre 1696 » ; « ce qui suit est du temps de Vaugirard ».

a en N. (curé de St-Sulpice add. interl.), et

b De plus N. (curé add.marg.) ne

c La [nion add.interl.). Je

d M. de P (aris add.marg.), qui

e auparavant. N. (Curé add.interl.) veut

[ombe], ou plutôt, si vous l’agréez, Famille 1 irait chez vous le soir et reviendrait.

Je crains extrêmement d’aller chez mon fils et ne le souhaite en nulle manière. Obligez N. à me venir voir, je l’en ai prié avec instance. Je lui en ai écrit ; vous a-t-il envoyé la lettre et les chansons ? Voilà la copie de ce que j’ai écrit à M. Tronson, ensuite de ce que N. m’avait soutenu que j’avais fait des assemblées où il s’était passé des choses horribles. Non content de l’avoir assuré, de la plus forte manière dont je suis capable, que cela n’est pas, il a voulu obliger la pdans la tête, mais la fille qui est ici peut bien, avec mille fantaisies qu’elle a, faire naître des soupçons. L’on ne peut lui témoigner plus de confiance [185] que je fis la dernière fois, mais comme je vous dis, cette hospitalière2 me rend auprès de lui tous les mauvais services qu’elle peut. Elle s’ennuie ici où elle est seule, et me brusque à tout moment, disant qu’elle n’a que faire de moi ici et être gênée pour moi. Vous avez vu ce que je vous ai écrit par lui. Je n’ai reçu de lettre de qui que ce soit au monde que de vous, et c’était sur votre lettre. Je ne me plaignais que de la défiance de N. pour moi. Faites-lui toujours des amitiés, c’est un capital3, et soyez sûre de mon cœur. Je ne crois pas devoir écrire davantage. N. ne m’a jamais donné aucun lieu de m’ouvrir à lui, je lui ai parlé toujours avec simplicité ; lorsque je lui ai voulu parler de moi, il m’a toujours fort rebutée et, lorsqu’il m’a interrogée, je lui ai toujours répondu avec une extrême droiture.

      1. 1La Chétardie, curé de Saint-Sulpice, comme indiqué par addition interligne dans une lettre précédente.

      2. Je vous prie d’empêcher que je n’aille chez mon fils. J’ai prié N. [le curé] 1 de ne le point faire, mais cela n’a servi de rien. Je ne sais ce qu’il a

. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1696.

[etite] m 4 Marc, fille de compagnie de Madame Guyon.

3 Rare au figuré pour « qui se trouve en tête, domine », sens plutôt réalisé par capitaneus, capitaine. (Rey).

2 Sœur hospitalière de la communauté des sœurs de St Thomas de Villeneuve  où se trouve enfermée Madame Guyon.

[arc] 4 de se confesser des choses qui se passaient dans ces assemblées ; il m’a toujours parlé sur ce pied. J’écrivis la lettre dont je vous envoie la copie. Dites-lui qu’il me doit croire lorsque je lui dis que j’ai confiance en lui. Je crois N. très bon, mais prévenu par M. de Chartres. Faitesa qu’il me vienne voir et accommodez tout. Je l’ai prié avec instance de se charger de moi. Je lui ai dit, avec une simplicité d’enfant, les raisons que j’avais eues de ne me pouvoir fier à lui dans certains temps et les sujets que j’en avais, lui marquant en même temps une cordialité et droiture inconcevables, en sorte qu’il me dit que je n’étais que trop droite, m’en blâmant. Depuis ce temps je ne l’ai vu que deux fois, une demi-heure chaque fois, et parlant de choses qu’il voulait savoir et que je lui dis. Enfin je vous laisse tout ménager, mais obligez-le de se charger de moi, et n’écrivons plus que par lui pour aller plus droit et ne rien exposer. Cependant précaution de votre part. Mais soyez persuadée que je sens plus votre bon cœur

N. [La Chétardie] mea marque une si horrible défiance de moi, et il bouche si fort toutes les avenues à s’ouvrir, quoiqu’il me semble que j’agis toujours simplement. Il m’avait proposé de signer certains articles, il ne me les a plus proposés, quoique je lui eusse dit que je les signerais. Vous savez que je ne recherche rien et que je suis toujours plus portée à demeurer comme on me fait être sans me mêler de rien ; c’est pourquoi je ne [186] lui en ai point parlé. Dites-lui que, lorsqu’il voudra me faire faire quelque chose, qu’il parle positivement, et faites-lui entendre que, loin que l’indifférence que je témoigne pour tout ce qu’on fait de moi doive le rebuter et lui faire croire que c’est faute de confiance, cela le doit porter au contraire à prendre soin de moi et à agir d’une façon plus ouverte, car pour moi, je persisterai jusqu’au bout à ne rien demander et à ne rien refuser. L’on me disait à Vin. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1696.

[cennes] : « Demandez », je ne pouvais, et lorsque je l’ai fait par déférence et contre mon cœur, cela m’a toujours attiré des affaires, car si je n’avais point demandé à me confesser, on n’aurait eu nul prétexte de m’envoyer M Py [rot].

Je ne me plains de rien, il suffit que Dieu voie toutes choses. J’ai pourtant été blessée de voir dans une lettre que vous avez écrite à N., que vous disiez que je n’avais pas d’autre ressource que lui. Eh, Dieu n’est-Il pas tout-puissant ? Si je savais qu’une créature me fût une ressource hors de Son ordre divin, je la fuirais comme le diable. Ô ma très chère, ne tombons pas dans l’humain, et quoi qu’on puisse vous avoir dit au contraire, soyez persuadée que je ne fus jamais plus entre les mains de Dieu que je m’y suis laissée dans cette affaire. Les hommes parlent selon leurs vues, mais Dieu voit le fond du cœur. Le P [ère] de la M a N. (Chétardie add. marg.) me

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 166v°] — A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [185].

[othe] est celui qui gouverne les personnes entre les mains de qui je suis ; je n’en ai pas de peine, tout m’est bon.

Je crois vous devoir dire que le curé [La Chétardie] n’aa pas voulu me venir voir, quelque instance que je lui en ai faite. Il vint en passant trois jours après qu’il amena le notaire, il y fut un quart d’heure et n’est pas venu depuis. Ne lui en témoignez plus rien, laissons faire Dieu. On a augmenté ma garde et [l’on m’a] resserrée de plus près depuis ce temps. N’en savez-vous point la raison ? Je suis très contente de souffrir tant et si longtemps qu’il plaira à Dieu ; mais je vois par la conduite de N. [le curé] qu’il faut que ce qu’on lui dit fasse plus d’impression sur son esprit qu’il ne marque. Il n’est point opposé aux jansénistes. Il blâme en général ce qu’il estime en particulier, et je l’ai bien vu sur M. B. À LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1697.

[oileau]. On ne lit ici que la Fréquente communion, les Essais de morale, le Testament de Mons1. Je suis fort tranquille, quoique fort incommodée. Je vous prie d’aller neuf samedis à Notre-Dame : faites dire autant de messes et communiez à mon intention. Je suis fâchée de la maladie de P. [Dupuy ?]. Je prie Dieu qu’Il donne à tous ce qui est nécessaire. Qu’est devenu Dom [Alleaume], n’en savez-vous rien ? Je voulus dire quelques mots d’une sœur d’ici que N. [le curé] n’aimait pas ; sitôt que je lui eus témoigné qu’elle était brusque et que je n’en étais pas contente, il lui donna les preuves d’une considération extraordinaire ; il en fit autant à Bernaville à Vin [cennes], et il est à présent son meilleur ami. Je crois que Dieu, loin de vouloir que je lui parle en confiance sur tout cela, désire de moi un profond silence. Tout ce que je dis pour marquer de la confiance me nuit. Ce qui regarderait mes défauts et mes misères, je le dirais volontiers avec simplicité. On m’a [187] fait entendre que N., et tout le monde, est las de moi, qu’on ne me regarde qu’à cause de l’importunité de mes amis.

Laissons donc faire Dieu : s’Il me veut rendre encore un nouveau spectacle aux hommes et aux anges, Sa sainte volonté soit faite. Tout ce que je Lui demande, c’est qu’Il sauve ceux qui sont à Lui, et qu’Il ne permette pas que personne se sépare de Lui, que les puissances, les principautés, l’épée, etc. ne nous sépare [nt] jamais de la charité de Dieu qui est en J [ésus] — C puisqu’ils ne peuvent me séparer de mon Seigneur J1 Œuvres jansénistes : De la fréquente communion d’Arnauld, 1643 ; le Nouveau Testament de Mons, 1667 ; Les Essais de morale, contenus en divers traités…, 1671, 1675, 1678 de Nicole.

2 Vérifié sur les deux copistes. Le sens devient plus clair en supprimant « ce » (mais on perd la référence concrète à des moyens utilisés pour faire souffrir).

[hrist]. Que m’importe ce que tous les hommes pensent de moi ! Qu’importe ce qu’ils2 me fassent souffrir,

[ésus] — C [hrist] qui est gravé dans le fond de mon cœur ! Si je déplais à mon Seigneur J [ésus] — C [hrist], quand je plairais à tous les hommes, ce serait moins que de la boue. Que tous les hommes donc me haïssent et me méprisent, pourvu que je Lui soit agréable ! Les coups des hommes poliront ce qui est de défectueux en moi, afin que je puisse être présentée à Celui pour lequel je meurs tous les jours, jusqu’à ce que la Vie vienne consumer cette mort. Priez donc Dieu qu’Il me rende une hostie pure en son sang afin de Lui être bientôt offerte. Je Lui demande qu’Il purifie aussi votre cœur, et que nous soyons un dans l’éternité en Celui qui nous est tout. Mandez-moi où sont les deux personnes3 persécutées à mon occasion et si l’on n’a point fait de peine à d’autres. J’embrasse tout de la charité de J [ésus] — C a N. (curé add. interl.) n’a

3 Les deux « filles », Famille et Marc ? (v. lettre 378)..

4 s’inspire de Rom., 8, 35-39.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 167] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [186].

[hrist] 4.

Je désire tout à fait d’avoir des nouvelles du B. A LA PETITE DUCHESSE. Février 1697.

[on] [Beauvillier] que j’aime plus que jamaisa, je voudrais aussi en avoir de M. de p1 : n’est-il pas toujours fidèle ? Qui est-ce qui a tout quitté ? J’espère de la bonté de Dieu que vous ne ferez pas de même. Bon courage, et allons tête baissée, car Dieu nous appelle. Il y a si peu de personnes qui L’aiment alors sans réserve. Donnons-Lui le plaisir de ne rien ménager avec Lui dans un temps où la fidélité est aussi rare qu’elle coûte cher ! C’est le temps d’épreuve où Dieu veut sonder ceux qui sont à Lui sans mélange. L’on est présentement ici toujours appliqué à me faire des propositions et des questions toutes jansénistes. Une petite confiance faite à N. [le curé] sur ce point m’a réussi comme les autres ! Je vous avoue que quoique je fasse de mon mieux pour lui marquer le contraire, mon cœur en a du rebut malgré moi. Je ne lui marque point de confiance qu’elle ne me soit reprochée intérieurement et que je ne m’en trouve mal intérieurement. On m’a fait entendre que sûrement N. [La Chétardie] me voulait enfermer à la Miséricorde; le tas de gens dont cette maison est remplie me répugne beaucoup. J’abandonne tout au p [etit] m 2 Sur la paroisse de Saint-Médard se trouvait l’hôpital de la Miséricorde, fondé en 1624 par Antoine Séguier, Président du Parlement de Paris, pour de pauvres orphelines (v. Lebeuf, Vieux Paris). Mme Guyon n’est cependant pas oubliée de ses amis : « 12 février. La Chétardie rencontre, à son retour de Vaugirard, le duc de Chevreuse à la porte d’Issy : “ils ont parlé ensemble plus “d’une heure, après quoi… le duc a été avec M.N.C.P. [Monsieur Notre Cher Père : M. Tronson]” de 5 heures jusqu’au souper (Journal de M. Bourbon, n° 1129).” (Orcibal, chronologie de la CF).

3 Probablement de la rue de l’Estrapade (car l’austérité ne va pas jusqu’au recours à ce moyen).

4 Il s’agit cette fois-ci d’un « Père Archange », peut-être le P. Archange Enguerrand ?

1 Non identifié.

aj’ayme (tout à fait biffé) plus que jamais

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 175].

[aître]. L’on m’a dit ici que j’incommode, qu’on est géhenné à cause de moi, qu’on ne peut sortir, qu’il faut toujours qu’on me garde. Je ne réponds que par d’extrêmes honnêtetés à tout cela et j’ajoute que tout m’est agréable dans la volonté de Dieu. On traite ici les jésuites avec un mépris outré. A propos, savez-vous la communauté nouvelle de l’Estrapade que N. dit avoir plus à cœur que toutes ses autres affaires. C’est mademoiselle de la Croix qui la commence. On dit qu’on y est plus austère qu’à la Trappe. On n’entend parler que de cela. Soyons les petits [f° 175v°] du Seigneur, et n’éclairons que par notre humiliation. Avez-vous reçu une petite croix d’or ? Ecrivez-moi amplement. Je ne sais rien et ne puis vous rien dire, si ce n’est que je vous aime bien tendrement et que je prie bien le Seigneur pour vous. Je ne m’étonne pas du p. Arch.4 Les personnes qui craignent pour eux, croient s’assurer en donnant sur ceux qui sont persécutés. Cette faiblesse est bien universelle et la vérité est bien abandonnée dès qu’elle est opprimée. Pourvu que mon Maître tire Sa gloire de tout ceci, heureuse vie bien accablée de tant de coups de pierres !

La faiblesse et l’inconstance de N. [le curé] m’étonnent : il fait mille propositions, assure des choses avec des serments horribles ; après, c’est tout le contraire. Je ne fais pas semblant de le voir. Les filles de cette petite maison ne communient point. Presque toute leur vertu consiste à s’éloigner des sacrements. Je vais mon train, et comme les messes coûtent beaucoup à cause qu’on fait venir les prêtres de Paris, je n’en fais dire que deux fois la semaine et les fêtes, n’ayant pas le moyen de le faire tous les jours. Nous sommes vis-à-vis la porte de l’église, et l’on fait grand bruit dans le village de ce que l’on est enfermé sans y aller : on ne sait ce que cela veut dire, on se promet d’en faire bien d’autres à Pâques. Je leur laisse faire tout ce qu’il leur plaît. Je ne puis tomber que debout, car mon Maître fera toujours Sa volonté malgré la malice des hommes. Oh ! ferai-je faire mes amitiés au tut [eur] ? Faites comme il vous plaira, soyez ma gouvernante, aimez-moi autant que je vous aime.

Je vous conjure, au nom du p. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

[etit] M [aître], de m’envoyer le livre1 de S. B. [Fénelon] ena question : je vous promets que personne du monde ne le saura jamais. Ne me refusez pas. N. [le curé : La Chétardie] ne me le donnera pas, assurément. Je fus indignée de la manière dont il me parla de N. [Fénelon] : il me dit qu’il l’avait vu un petit prêtre plus gueux que lui, et tout d’un coup devenir ce qu’il est devenu, qu’il a cherché l’honneur, qu’il n’a eu que de l’ambition, et que l’humiliation lui est venue. Je répondis qu’il n’avait jamais rien cherché, et qu’il n’avait accepté les choses que parce que Dieu le voulait. Il fit toujours de grandes risées de tout cela, et me dit : “Voilà ce que c’est de chercher la grandeur. S’il me l’avait montrée, il ne ferait pas de pareilles choses. M. de M [eaux] m’enverra les feuilles à mesure qu’il les fera imprimer2. Oh ! que si vous étiez à présent à Vin [cennes], vous n’en sortiriez jamais”. Je répondis : « Plût à Dieu que tout tombât sur moi seule et que Dieu en tirât Sa gloire, j’irais de bon cœur au supplice ! ». Il dit : « Tous vos amis sont perdus », et ensuite témoigna beaucoup de refroidissement pour moi. Mais toute la conversation se tourna à blâmer l’auteur avec les derniers excès. Croiriez-vous que, pour l’amitié que je lui porte, cela m’a fait plus souffrir que toutes mes affaires ?

Voilà mon espèce de testament ; il faut [188] l’ajouter au codicille que je fis à Meaux. P. [Put : Dupuy] a tout — c’est un bon enfant —, P [ut], le t [uteur : Chevreuse] et vous pouvez ouvrir celui-ci et le recacheter3. Je crois être obligée de mettre toutes ces choses pour l’avenir, afin que la vérité soit connue. Il fut écrit à Vin [cennes].

Vous m’avez réjouie de me dire que les jésuites soutiennent le livre. N. [le curé] est tout janséniste dans l’âme, et croyez qu’il est vrai. Je rêvais, étant à Vin uniquement, comme vous savez, et qu’il me montrait N. sous la figure d’un chien, et moi je ne voyais qu’un singe. Nous eûmes dispute là-dessus et, après bien du temps, enfin il vit aussi bien que moi que ce qu’il avait cru un chien était un singe.

Je fais carême à feu et à sang : je me mourais avant que de le commencer, mais j’eus mouvement de le faire, m’en dût-il coûter la vie, et je le fais bien, quoique assez mal nourrie et sans provisions. Le Maître fait faire ce qu’Il veut. Je ne suis pas étonnée de la mère de l’aum3 « … enfant —, que P… » : nous supprimons « que » pour rendre un sens à la construction cassée de cette anacoluthe.

1 Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, achevé d’imprimer le 25 janvier 1697. Ce texte majeur de Fénelon mérite un bref aperçu de son histoire bibliographique, v. à la fin du volume : Notices, « Explications des maximes, bibliographie de Fénelon. »

2 l’Instruction sur les états d’oraison de Bossuet, achevé d’imprimer le 30 mars 1697. Sur les interprétations divergentes des 34 articles d’Issy, v. Fénelon, Œuvres I, Gallimard, 1983, « notice sur l’Explication… » par J. Le Brun.

[cennes], que j’étais avec N. [Fénelon ?], que j’aime

[ônier] [Mme de Charost], car la prospérité la rassure et l’adversité la tente. Ce devrait être tout le contraire ; Dieu nous souffre dans nos faiblesses.

Tout ce que je dis à N. [le curé] enb confiance et qu’il paraît approuver, il s’en sert après contre moi, je ne trouve même rien à lui dire. Je vous conjure, par le sang de J [ésus] — C [hrist], qu’on ne fasse rien d’humain pour se tirer de l’oppression. N. [le curé] me dit encore que tout ce livre de N. [Fénelon] était plein de fautes grossières contre la doctrine, qu’il parlait de le prouver par des passages, mais que ce serait passages renversés et mal tournés, comme disait fort bien M. de M [eaux]. Je lui dis que tous les passages étaient si formels qu’on n’y pouvait donner un autre sens. Je souhaiterais extrêmement qu’il en mît de formels dans cette seconde édition, cela est nécessaire : priez-l’en, car, assurément, cela est important. Il en trouvera une infinité de rapportés dans les notes du P [ère] Jean de la Croix. Lorsque N. [le curé] me dit que N. [Fénelon ?] m’avait condamnée, je lui dis : « Il a bien fait si je suis condamnable ». Enfin il me fit entendre que ce qui était de bon dans le livre de M. de C [ambrai] avait été volé dans les manuscrits que M. de M [eaux] lui avait prêtés. J’en fus si mal satisfaite que je ne vous le peux exprimer.

Si vous voulez m’écrire plus au long, tenez vos lettres prêtes, écrivez par jour ce que vous voudrez, et j’enverrai tous les premiers dimanches des mois, et de cette manière sans y aller fréquemment, vous saurez les choses. Pourriez-vous me faire changer ma pendule contre une qui répète ; je l’enverrai par N., cela me serait fort utile. Je la voudrais très bonne, je ne me soucie pas qu’elle soit belle. Si cela vous embarrasse, usez-en librement. D’où vient que je ne puis rien avoir de ce qui était au pavillon ? Il y a des livres de conséquence. Les écrits qu’avait le G. E. [Gros Enfant  : La Pialière] ont-ils été perdus ? L’a-t-on interrogé, etc. ? J’ai déchargé tout le monde. Toutes mes interrogations ont roulé sur deux lettres du P [ère] d [e] L [a] C [ombe], où il me mettait : “La petite [189] Église-Dieu vous salue4”. Il n’est sorte de tourments qu’on ne a livre (de S. B. add. interl.) en

b N. (curé add. interl.) en

5 Madame Guyon se tourmente à juste titre : v. sa quatrième lettre du même mois de mars 1697 : “M. de la Reynie ne me fut contraire que lorsqu’il eut vu cet endroit : « Les jansénistes sont sur le pinacle, ils ne gardent plus de mesure avec moi… »

6 Il pourrait s’agir de Marie-Antoinette, née le 29 janvier 1679, religieuse aux bénédictines de Montargis, au mois d’octobre 1696. Voir le début des mémoires de Saint-Simon qui la demanda en mariage sans succès.

m’ait fait là-dessus. Mais ce qui incite à me tourmenter, c’est qu’il y avait : « Les jansénistes sont à présent sur le pinacle5, etc. »

Ayez bon courage, c’est peu d’être fidèle à Dieu dans la prospérité si l’on ne l’est dans l’adversité. Ce n’est donc pas sans raison que j’aime si fort le tuteur, puisqu’il est comme il doit et si bien. Bon courage, Dieu mérite plus que cela. Empêchez que N. ne soit infidèle : son amie est une pierre d’achoppement, mais parmi tant de bon il faut pardonner les faiblesses. J’ai lu dans la gazette un mariage de la fille aînée du B [on] [Beauvillier] avec le neveu de N. qui m’a surprise : a-t-elle quitté Dieu pour l’homme6 ?

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 168] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [187].

4La « petite église » est souvent présente dans les lettres de 1695 (25 mai, 29 juillet, 20 août, 5 septembre, 10 octobre, 7 décembre). On ne retrouve pas « Église-Dieu », mais, le 25 mai : « La petite Église d’ici vous salue ».


Je ne crains point que le prêtre me trahisse sur la messe et la communion : il y est autant intéressé que moi, et craindrait extrêmement qu’on ne le sût. Pour nous, ma t. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

[rès] c [hère], ne craignez pas, mais continuez de vous délaisser à N [otre] S [eigneur] J [ésus] — C [hrist], notre divin Maître, qui sait ce qu’il nous faut. Faites tous les jours un peu d’oraison pour vous soutenir, et n’y manquez jamais. Je suis très convaincue que cela est de nécessité absolue, quand vous y seriez comme une bûche. Montrez toujours votre fidélité en cela. [169 v°] Lisez quelque chose, ou des écrits ou d’autre chose sur la voie, qui puisse vous renouveler ; l’esprit abattu a besoin de ces petits secours. La fièvre ne m’a pas quittée depuis le dimanche gras. Non seulement on ne se met pas en peine de me faire rompre carême, mais je jeûne à feu et à sang. J’ai un mal d’yeux et de gorge avec la toux. La fièvre me redouble tous les jours avec un violent mal de tête. Tout ce qu’on recommande est que, même à la mort, on ne me fasse venir aucun prêtre. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Depuis ceci écrit, on a changé ici de curé ; celui qui l’était était un docteur fort honnête homme, nommé M. Le Clerc ; celui qu’on y a fait mettre, à cause que l’autre est un peu vieux, s’appelle M. Huon. L’on a pris prétexte des infirmités du premier. Le dernier a demeuré aux Missions Etrangères : informez-vous ce que c’est, car on croit qu’on me le veut donner pour confesseur. C’est un homme dévoué à M. de P [aris]. Je ne crois pas qu’il soit pis que celui que j’ai. Je laisse tout à Dieu. J’ai appris que ce nouveau curé a demeuré à Saint-Eustache. Il est sans doute connu de l’aum [ônier] [l’abbé de Charost] ; vous pourriez savoir de lui ce que c’est, comme une nouvelle que vous avez apprise. Le supérieur de ces filles qui me gardent s’appelle M. l’abbé Bosquin ; il est maître du Collège des Quatre Nations1 et [du] grand pénitencier. Je vous prie de m’informer de tout cela. N’oubliez pas les ceintures de prêtre. La fièvre m’a quittée d’hier. Je vous embrasse.

J’ai songé cette nuit qu’ayant trouvé l [a] bonne c [omtesse] [de Morstein], j’ai voulu lui parler, elle m’a évitée, je l’ai poursuivie et, avec d’extrêmes instances, je l’ai obligée de m’écouter. Elle m’a dit qu’après les impertinences que j’avais dit d’elle, je lui ai dit2 que je la priais de ne pas croire cela, que n’ayant parlé à personne, je n’ai pu parler ni pour ni contre elle ; elle m’a cité M. Py 1 Le collège Mazarin ou collège des Quatre-Nations, ouvert en 1688, fréquenté par la noblesse pauvre, supprimé en 1793, actuellement siège de l’Institut et de la Mazarine. (v. Conti [quai de — ] dans Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris).

2 [sic] : elle m’a dit que je lui ai dit…

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 169] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [189].

[rot] et N. ; je lui ai protesté que cela était faux, et qu’elle se souvînt que je lui avait prédit qu’on se servirait de tout pour me l’arracher : elle est revenue à elle. Ce songe me porte à vous prier de tâcher de la joindre en quelque lieu que vous [170] puissiez, sans égard à votre rang ni à un petit dépit naturel. Entrez en éclaircissement avec elle avec charité, protestant que vous ne le faites que par le devoir de l’amitié et de la charité chrétienne, tâchant de tirer d’elle ce qui l’a obligée à en user ainsi. Si elle vous dit que j’ai dit quelque chose, assurez-la, comme de vous, que vous répondriez bien que cela est faux, et qu’elle se souvienne que je lui ai dit qu’il n’y aurait point d’invention dont on ne se servirait pour la détacher de moi. Jugez ce que j’aurais dit d’elle à ces gens-là !

Ce que vous m’avez mandé de Dom [Alleaume1] m’a donné autant de douleur que ce que vous me mandez du succès du livre me donne de joie : c’est une marque que Dieu l’agrée, puisqu’Il le couronne par une si forte tribulation. Si les méchants en deviennent plus endurcis, ceux qui aiment Dieu en seront fortifiés. Cela m’unit davantage à son auteur, et je prie Dieu qu’Il envoie un plus grand embrasement dans son cœur que celui qu’Il a envoyé dans sa maison. En quelle situation est le B. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

[on] [Beauvillier] ? Et le Tut [eur] [Chevreuse] ? J’aime toujours beaucoup ce dernier.

Tout ce que je crains de tout ceci, c’est que, sous bon prétexte, on ne travaille à descendre de dessus la croix ; J [ésus] — C [hrist] en avait un merveilleux, qui était le salut des Juifs, cependant Il n’en voulut pas descendre. Je ne désire pas non plus d’en sortir, assurément, et j’attends le Seigneur avec grande patience. N. [le curé] m’aa proposé d’aller à la maison de Paris de ces filles d’ici ; je lui ai dit que je lui obéirais en tout. Cependant j’aimerais beaucoup mieux être ici où il y a de l’air et où il ne vient personne, que là où il y aurait bien plus d’examinateurs et de tourmentants. Mais je laisse tout entre les mains de Dieu. Ce n’est pas à présent le temps du succès et de l’applaudissement, [f° 170v°], mais de la contradiction, de l’épreuve et de l’humiliation ; c’est ce dont il faut faire usage, tout autre effet nous déplacerait. Satan a demandé de nous cribler2 et le Seigneur le lui a permis : le temps est fort à passer, mais courage ! Pourvu que Dieu soit glorifié, qu’importe à quel prix.

Tout est-il en paix à présent dans la famille du p [etit] m [aître] ? Je le souhaite et que personne ne prenne le change. Ayez bon courage, je vous en conjure, et ne vous laissez pas abattre. Il faut que le fléau sépare la paille du bon grain. Dom. est-il revenu à Paris ? Le G. E. [Gros Enfant : La Pialière] est-il ferme, et tout va-t-il selon le Seigneur ? Je crains fort le respect humain pour certaines gens que vous connaissez, surtout la mère de l’aum je ne le pourrai, à moins de quelque nouvelle providence. J’eusse bien voulu que vous eussiez été informée des choses qui m’ont été faites, dans mon séjour de Vin1 Suspect de quiétisme, le P. Alleaume fut exilé de Paris. V. Index.

2 Cf. Luc, 22, 31.

3 S’agit-il du manuscrit en très petits caractères de poèmes écrits en réclusion, inclus dans le recueil A.S.-S., ms. 2057 ? (Ils seraient donc composés avant l’embastillement ; nous en avons édité deux à la fin de la Vie, p. 1041).

[ônier] [Mme de Charost]. Pour moi, je suis entre les mains de Dieu : Il fera de moi ce qu’il Lui plaira. Ne pourriez-vous m’envoyer le livre en question par l’homme qui vous porte celle-ci ? Il est sûr.

Voilà mes petites litanies que je fis avec les chansons3. Si je reste ici, je pourrai vous donner de temps en temps de mes nouvelles. Si j’en sors,

[cennes], par ceux du dehors et du dedans, qui vous étonneraient sans doute. Mais je ne les écris pas, et je laisse tout écouler dans le sein [191] de Dieu, prêt à être le sujet, si l’on veut, d’une sanglante tragédie. Lorsque j’aib écrit, je croyais vous mander mille choses ; il ne m’est rien venu. Vous pourrez tout confier au Tut [eur], car il est très secret, et j’ai envie de savoir par vous de ses nouvelles. Plus les gens me coûtent, plus je les aime ; je plains votre sœur et je crains sa faiblesse. C’est à Dieu de garder ce qui est à Lui.

Il est vrai que je n’ai pas été trompée au succès du livre et que je crus bien, lorsque N. [f° 171] m’en parla, qu’il serait mal reçu parce que le temps n’est pas propre pour cela. Je pensai même que M. de M [eaux] ne différerait l’impression du sien que pour voir quel cours aurait celui-ci et pour en tirer avantage. Mais tout cela ne me fit pas en avoir de peine, quoique je comprisse bien qu’il m’en coûterait quelques années ou mois de captivité. Je pensai que Dieu pourrait avoir en cela ou des desseins d’éclaircir la matière, parce que la nécessité obligerait peut-être à prouver par les autorités mêmes ce qu’on ne dit que par citation, ou bien des desseins de destruction, et tout est également bien, pourvu qu’Il Se glorifie Lui-même en nous.

L’aveuglement sur cette matière est si étrange que l’éclaircir, c’est aveugler. Les yeux malades se persuadent que la lumière est douloureuse et propre à aveugler davantage, quoique son caractère soit tout différent de cela. J’eus une impression que le grand-père [Louis XIV] mourrait entre cy et le mois de septembre. J’en dis quelque chose au N. [le curé] avec ma simplicité. La chose n’arrivera pas, je crois, car cette impression m’a paru peut-être un tour de Bar [aquin] pour me décrier dans l’esprit de N. Je n’en ai point eu de peine, et s’il m’arrivait d’être trompée, je crois que je n’en aurais point. S’il m’arrivait encore de pareilles choses et que j’eusse un pareil mouvement, je les dirais de même. Mais N. est bien éloigné de comprendre cette simplicité. Je lui ai parlé avec bien de la confiance, c’est-à-dire que je lui ai dit des choses qui me regardent, mais ni il n’entre en rien et ne comprend pas même ce que je lui dis, ni mon cœur ne correspond pas à cela, car je ne puis parler que légèrement, et des choses de ma jeunesse. Mais comment parler lorsqu’on ne vous entend pas, et même qu’on ne vous écoute pas, faute d’intelligence ?

Je crains, en vous envoyant cet homme de temps en temps, que votre domestique ne soupçonne quelque chose. Avez-vous dit que [f° 171v°] vous avez mis une lettre dans la bourse ? Je le dirai si vous l’avez dit, sinon je ne le dirai pas, car il m’a envoyé le paquet tout cousu : cela est bien commode et bon à lui. Je crois qu’il voudrait peut-être bien mieux faire, mais qu’il n’en est pas le maître. Pour les filles d’ici, leurs supérieurs [sic], leur générale, leurs protecteurs, tous sont intimes ou pénitents du P. de l [a] m [othe] 4. On ne peut les traiter plus honnêtement que je fais, elles ne laissent pas de me regarder comme un démon. Mes honnêtetés leur sont suspectes : c’est pour les gagner. M. de P [aris] les a été voir et leur a dit qu’elles avaient plus de courage et de lumières que toutes les autres [192] religieuses pour ne se pas laisser tromper ni gagner. Tout cela n’est rien.

Je voudrais, avec mes peines, avoir celles de N. Comment prend-il cela ? Est-ce avec peine ou hauteur, ou avec petitesse et sans découragement ? Je prie Dieu qu’Il soit sa force et la nôtre. C’est ici le temps de l’affliction, du trouble et de l’incertitude. Le P [ère] arc [hange ?] 5, quel personnage fait-il ? Vos parents en sont-ils contents ? Heureux qui persévérera jusqu’à la fin. Il n’y a plus de justice ni de vérité dans le monde, le courant entraîne : vouloir s’y opposer, cela est impossible. Souffrons tant qu’il plaira au Seigneur. Tout ce qu’on fait va toujours de mal en pis. Dieu est jaloux, Il veut tout faire par Lui-même : laissons-Le faire. Soyez persuadé que je vous aime tendrement. Mandez-moi la situation de N. [Fénelon] dansc tout ceci, car Dieu en lui est plus que tout. S’il commence comme Job, il pourra achever comme lui. Est-ce malice ou accident qui a mis le feu chez lui ?

Depuis ceci écrit, N. [le curé] m’est venu voir, qui m’a dit le contenu du livre. Je vous avoue que j’en suis affligée, car il ne peut servir aux bonnes âmes n’étant pas selon leurs expériences, et il nuit beaucoup à l’auteur et à la vie intérieure. Mais Dieu l’a permis. Je crains qu’il ne l’ait fait par quelque politique et que Dieu ne l’ait pas béni. Mais quoi qu’il en soit, il faut [f° 172] faire usage de tout. M. d [e] M [eaux] est dans un déchaînement affreux, qui dit qu’il le va pousser à toute extrémité, se promettant de le faire condamner à Rome. Il faut tout abandonner à Dieu. N. m’a dit de ne point vous écrire à l’avenir en vous donnant des commissions. Sa situation sur N. [Fénelon] ne me plaît pas : il croit que N. [Fénelon] a pris des matières de M. d [e] M [eaux] et s’en est servi, qu’il n’a pas voulu approuver le livre de M. d [e] M [eaux], ce qu’il aurait dû faire, que c’est ce qui indigne M. d [e] M vous m’avez écrit, car comme les choses ne viennent pas directement, ces filles auraient vu une lettre dans la bourse et le lui avaient déjà dit. Il faut se priver de cette consolation. Mais bon courage ! M. de P4On connaît les agissements de ce dernier envers sa demi-sœur et le P. Lacombe qui appartenait au même ordre religieux des barnabites (v. Vie, début de la troisième partie).

5 Attribution incertaine. Un indice : ce religieux est en service auprès de la famille de la petite duchesse.

[eaux] contre lui, qu’il ne se relèvera jamais de cela, qu’il est perdu et le reste. Pourvu que Dieu soit glorifié, il n’importe, et ce sera par sa destruction. J’ai dit à N. que

[aris] dit que M. de C a N. (le curé add. interl. de la main de la table des abréviations qui termine le ms.) m’a

bje vous ai Dupuy

cde N. (S. B. add. interl.) dans

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 170] – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [190]. – L’accord est excellent entre Dupuy et La Pialière : nous avons relevé, sur ce long texte, une seule et légère correction par Dupuy, absente de La Pialière, v. la variante « b ».

[ambrai] condamne entièrement mon livre dans tout le sien, et qu’il ne l’a fait que pour faire voir qu’il me condamnait, etc. Ne témoignez rien de ceci à N.

Je ne sais pourquoi vous croyez que je n’aime plus L B [Beauvillier], car je l’aime fort ; mais c’est qu’il ne me vint alors à vous parler que du T. À LA DUCHESSE DE BEAUVILLIER. Mars 1697.

[uteur] [Chevreuse], pour lequel je trouvais un goût particulier. Il n’y avait rien que de très édifiant dans les lettres du P [ère] L [a] C des épreuves3, mais aussi peut-être cela était-il nécessaire. Je trouve en quelques petits endroits le faux trop poussé, et qu’il peut causer bien de la peine à quelques âmes timorées. Je trouve encore qu’il est trop concis en bien des endroits qui auraient besoin de plus d’explication. Tout en gros, je le crois très bon et que les crieries viennent de l’ennemi de la vérité. À Dieu ne plaise que je me plaigne d’y être condamnée en quelques endroits, puisque outre que la condamnation n’est pas formelle, Dieu sait que je voudrais de tout mon cœur, pour le bien de l’Église en général et pour l’utilité des particuliers, être condamnée de tout le monde. Dieu connaît la sincérité de mon cœur. Je peux m’expliquer mal, étant une femme ignorante, mais plutôt mourir que de croire mal et de ne pas soumettre toute expérience à ceux qui doivent juger de tout, et surtout à une personne pour laquelle j’ai tant de respect. Je n’ai jamais été arrêtée à mes pensées, je les ai expliquées le moins mal que j’ai pu, mais j’ai toujours été pressée de les condamner dès qu’on m’aurait dit que je me serais méprise, sans même exiger qu’on me montrât ces méprises. Voilà, devant Dieu, quels ont toujours été et quels seront toujours, s’il plaît à Dieu, mes sentiments : prête à tout et prête à rien. Je prie Dieu qu’Il inspire à l’auteur d’ajouter et d’éclaircir ce qui sera pour Sa gloire, et qu’en nous enseignant le pur amour, il n’y mêle jamais ni politique ni propre intérêt ni considération humaine ; il doit bannir tout cela de sa conduite comme il le bannit de l’amour pur. Je prie donc Dieu de tout mon cœur qu’Il Se glorifie toujours en lui et par lui.

Je crois vous devoir dire le contenu des lettres du P2 L’Explication des maximes des saints sur la vie intérieure de Fénelon traite « toute la matière par articles rangés suivant les divers degrés que les mystiques nous ont marqués dans la vie spirituelle. Chaque article aura deux parties. La première sera la vraie […] La seconde partie sera la fausse, où j’expliquerai l’endroit précis où le danger de l’illusion commence. » (Avertissement, Œuvres I, 1983, p. 1006) — Le faux est en effet très poussé dans les secondes parties, comme va le faire remarquer Madame Guyon.

1 Lettre du 10 octobre 1695.

[ombe] : il m’invitait à aller aux eaux qui sont près de lui ; ensuite, après avoir témoigné la joie qu’il aurait de me voir, il ajoutait qu’il ne serait pas fâché de voir Famille ; ce mot leur avait paru un mystère exécrable et digne du feu, mais lorsqu’ils surent, par les preuves que je leur en donnai, que c’était le nom de ma femme de chambre, ils furent étonnés. Et c’est cela seul qui avait fait dire que c’était des lettres effroyables. Toutes les peines qu’on m’a faites n’ont roulé que sur ce mot : «  La petite Église d’ici vous salue, illustre persécutée1 ». J’avais plus de peine de la peine que vous pouviez avoir que de ce que je souffrais.

J’ai lu le livre2 avec respect et satisfaction, j’y trouve peu de [193] choses à redire. On se pouvait peut-être passer de mettre quelque chapitre

[ère] L [a] C [ombe]. Il y avait qu’une fille, nommée Jeannette, était toujours à l’extrémité, qu’elle avait eu de moi une connaissance si intime, selon ce qu’ils m’avaient mandé ; sur cela, on veut m’obliger à dire ce que c’est que cette connaissance et ce qu’on m’avait mandé. Je refusai constamment de le dire, mais M. de la Reynie me poussant à bout, je lui dis que je ne refusais de le dire que parce qu’il m’était avantageux ; il me dit : « Mais on vous y force, et on vous l’ordonne » ; alors je lui dis qu’elle avait connu que j’étais bien chère à Dieu. Quoique je ne dise que par force et la moindre des choses qu’elle disait, M. Pyrot [Pirot] m’en fit un crime de Lucifer, et encore d’un songe rapporté dans ma Vie, de la chambre de l’Époux trouvée sur la montagne.

M. de la Reynie ne me fut contraire que lorsqu’il eut vu cet endroit : « Les jansénistes sont sur le pinacle, ils ne gardent plus de mesure avec moi », et M. Py qu’il avait été domestique de la maison d’Epernon, qu’une dame de ce nom, qui est aux carmélites et qu’il élevait au-dessus des nues à cause de sa constance à ne rien signer, avait tout pouvoir sur lui, m’insinuant doucement, pour m’accuser ensuite de rébellion, que les grandes âmes se signalaient à ne rien signer. Je lui dis que je faisais gloire de marquer ma simplicité par ma soumission, et non ma grandeur d’âme par la révolte. Ensuite il ne m’épargna plus, et me demanda des signatures infâmes que je ne pouvais faire ni en honneur ni en conscience. Mais il n’y avait pas la moindre chose qu’on pût reprendre dans les lettres du P3 Ainsi l’article IX de l’Explication traite des « épreuves extrêmes ».

[rot] me fit entendre que j’étais à leur discrétion, assurant que M. de la Reynie ne ferait paraître [194] que ce qu’ils voudraient,

[ère] L [a] C [ombe] : s’il y avait eu la moindre chose, on ne m’aurait pas épargnée.

Il y a deux endroits qui me font de la peine, et je porte impression que ceci va avoir des suites fâcheuses. Je prie Dieu que tout tombe sur moi. Il fallait omettre de parler des prières vocales d’obligation, mais le plus fâcheux, c’est l’endroit de l’épreuve de pure foi où il exclut possessions et obsessions : cela fait croire mille choses fausses. L’on ne peut même expliquer cela sans accroître la prévention4, et si tout eût été confondu, les hommes en sont plus capables.

Il me paraît qu’il y a un amour sans raison d’aimer, ou qui n’en peut rendre aucune : elle aime parce qu’elle aime, elle ne songe ni à beauté ni à bonté, elle est enivrée d’une totalité qui absorbe toute distinction spécifique, car Celui qu’on aime est au — dessus du beau et du bon.

Je n’ai pu me résoudre de garder le livre plus longtemps : je vous le renvoie. Soyez persuadée de mon affection. N. [le curé] vient de sortir, il m’a dit d’abord : « M. [la petite duchesse] vousa mande que les bruits du livre s’apaisent un peu ». Mais c’est pis que jamais, les choses seront poussées à toute extrémité. Je viens de dîner avec M. de Blois5 et M. Brisacier, mais M. d [e] M 4Madame Guyon craint que l’on soit trop prévenu contre l’état de pure foi et que les hommes en deviennent moins capables. On ne peut expliquer les dangers attachés à cet état sans créer des malentendus chez ceux qui n’en ont pas fait l’expérience.

5Bertier (1652 – 1698), nommé le 22 mars 1693 à l’évêché de Blois nouvellement créé, ami de Fénelon. v. Index.

6 Indéterminée.

7 Ces initiales désignent habituellement M. de Meaux : Madame Guyon eût-elle conservé le portrait de Bossuet ? Il s’agirait du tableau offert dans la lettre à Bossuet, vers le 10 janvier 1695, qu’il lui aurait renvoyé.  Ce tableau, selon Deforis, représentait une Vierge tenant l’enfant Jésus dans ses bras. Ce qui expliquerait que : « Ni Bossuet, ni Phelipeaux, dans leurs Relations, ni Mme Guyon dans sa Vie, n’ont parlé de ce cadeau. [UL] ». Il peut aussi s’agir d’un portrait de M. ou Mme de Mortemart ?

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 172] qui sépare nettement de la lettre précédente par son indication habituelle de date, attachée à la fin de la lettre – A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [192] : à la suite de la lettre précédente dont elle est seulement séparée par le sigle : « $ ». Les deux lettres ont-elles été envoyées ensemble ? – Fénelon 1828, tome 9, en note 2 à la lettre 403, p. 80-81, reproduit de longs passages de cette seconde lettre, comme « lettres à la duchesse de Beauvillier » : il est probable que les deux lettres firent partie du même envoi, la première adressée à la « petite duchesse », la seconde à la duchesse de Beauvillier, d’où son début : « Je ne sais pourquoi, vous croyez que je n’aime plus L B [Beauvillier], car je l’aime fort. »

a M. [la pd add. interl.] vous

[eaux] fait un livre qui sera approuvé de tous. Je sais ce que m’a dit madame la princesse6. J’ai cru devoir vous renvoyer le livre, et ceci crainte d’accident. Je crains fort votre domestique. Je vous ai envoyé une petite croix et le portrait de M. de M.7

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 175v°] : « mars 1697 ».

      1. a R inversé.

      2. b Un mot rayé.

      3. 1Phil., 1, 21.

      4. 2 Cautèle : « Prudence rusée » (Rey).

      5. 3 De connivence.

      6. Je suis trop en peine de l’état des personnes et des affaires pour ne vous pas demander des nouvelles. Je suis tout à fait affligée, et je ne trouve rien de plus dur au monde que d’être obligée de se confesser à un homme qui vous opprime et se déclare [f° 176] le plus cruel ennemi : on ne me traite que de scandaleuse, d’hypocrite, de sorcière. Tout ce que la gantière dit a un air de vérité, à ce qu’on dit, dont on ne peut douter. J’ai fais des crimes horribles en Bretagne où je ne fus jamais, et cela me sera soutenu. On récompense ceux qui me maltraitent. Que ne me fait-on mon procès ? Je l’ai tant demandé. Je sais que je dois tout attendre des faux témoins, mais qu’importe. La mort me serait un gain1.

      7. Je ne sais si vous êtes informée d’un artifice le plus étrange du monde. Un certain père de St La., ami du c [uré] de V [ersailles] [Hébert], que le tut [eur] connaît de réputation, est venu en cour en habit séculier, s’est fait nommer le m. S. — il s’appelle S. — ; a fait des prophéties au R [oi] a ; il s’est informé auparavant de choses secrètes passées. Le passé qu’il a dit a donné crédit au futur, et tout gît à détruire N N., à m’imposer des crimes qu’on a connus par révélation, à installer la dem [ois] elle La Croix. Il a parlé, il a été écouté, et on se sert de cela pour m’opprimer. Nous voilà dans un étrange temps. Pourvu que Dieu soit content, il n’importe.

      8. Les outrages de N [La Chétardie] me sont plus sensibles, car il veut une confession et m’exhorte à déclarer mes crimes et mes sortilèges. En vérité, si j’étais ce qu’il dit, je me tirerais de ses mains. Les railleries piquantes qu’il fait sur ceux qui me touchent, m’affligent plus que tout. Il dit qu’il s’était tenu suspendu jusqu’à présent. Je vous avoue que je trouve une espèce d’impiété à vouloir me confesser sans me croire ; ou qu’il me

      9. croie ou qu’il cesse de me confesser. Je ne crois pas que j’eusse jamais pu tomber en de plus mauvaises mains. C’est un homme plein de cautèle2, auquel les plus fameux J [ansénistes] vont. Il me veut persuader que M. B [oileau] est de mes amis, un homme plein de charité, il confesse ses pénitentes [f° 176v°] et entre autres, Mad [ame] d’A. On voulait qu’elle me vît, on avait quelque dessein en cela ; je ne sais si on le fera. Enfin, je suis à présent plus criminelle qu’on ne peut dire, et on a eu grand tort de me tirer de Vincennes. On fait tous les jours cent suppositions. Si tout tombait sur moi, à la bonne heure ! Les artifices et les intrigues des J [ansénistes] est horrible. Je ne sais si je puis avec honneur et en conscience continuer d’aller à confesse à N. [le curé] : il affecte de me confesser, sans me laisser communier, pour donner à connaître qu’il agit avec connaissance de cause. Mandez-moi, je vous prie, comme tout se passe, et priez le bon Dieu pour moi : qu’Il ne retire pas Sa force, ou bien, s’Il veut que je sois faible, que Sa volonté soit faite. Depuis ma lettre écrite, N. a envoyé un homme à lui avec les parents de la petite Marc pour me l’enlever, mais elle a fait des si grands cris qu’ils n’ont osé en parler pour le faire. La fille qui me garda, connivant3 avec eux, avait fait venir adroitement la petite Marc… b je redoute de lui parler et l’avait enfermée sous la clef dans sa chambre de peur que Manon ne fût à son secours ; elle l’a fort sollicitée à me quitter. Après des choses comme celles-là et celles qui se sont passées, puis-je en conscience me confesser à lui ? Consultez le b [on : Beauvillier] et me répondez : vous ne me répondez point sur ces choses.

. À LA PETITE DUCHESSE. Mars 1697.

Vous saurez que les deux hospitalières2 sont venues, contre l’ordinaire, me voir bien des fois de suite, me mettant toujours sur les questions les plus outrées du janséniJ’avais résolu de ne plus écrire après la réponse que l’homme [me] dit de bouche1 que vous aviez faite, qui était qu’il ne revînt plus, mais je la crois nécessaire. J’ai eu beaucoup d’inquiétude, ne sachant si l’homme avait porté la lettre, car j’ai peine à comprendre qu’ayant le cœur comme vous l’avez, vous m’eussiez congédiée sans me dire par écrit un mot des raisons que vous en avez. Faites-moi donc la [f° 177] grâce de me faire un mot de réponse, je vous en prie, sur ce qui se passe.

. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

des personnes droites, mais deux filles de rien gagnées et qui font gloire de s’établir en me maltraitant.

N. vint jeudi, il me parla avec beaucoup d’éloges du livre de monsieur de Meaux, qu’on me le ferait voir, et avec beaucoup de mépris de celui de M. de C4 Manon, appelée Famille : Marie de Lavau, très fidèle fille au service de Madame Guyon.

3 Comite : officier préposé à la chiourme d’une galère. (Littré qui cite Saint-Simon).

2 Sœurs hospitalières de la communauté des sœurs de Saint-Thomas-de-Villeneuve : dans une lettre précédente de novembre 1696, Madame Guyon dit : « cette [sœur] hospitalière me rend auprès de lui [le curé] tous les mauvais services qu’elle peut. Elle s’ennuie ici où elle est seule, et me brusque à tout moment… »

[sme], comme me disant par exemple que l’Église était dans un relâchement effroyable, qu’on ne faisait plus de pénitences publiques, et beaucoup d’autres choses. Je dis que l’Église avait ses raisons pour changer de conduite suivant les besoins, qu’il fallait en tout la respecter. Enfin, après bien des poursuites, ils ont connu que je n’étais pas pour cette secte et c’en a été assez. Ils en usent plutôt comme des comites3 que comme des hospitalières ; non contentes de cela, on a fait venir une créature de je ne sais où, qui était en conférence avec elles. Dès qu’une de mes filles la vit, elle s’enfuit et rougit beaucoup, elle ne put voir son visage à cause que le soleil lui donnait en plein sur les yeux. Sitôt que cette créature fut partie, elle s’en fut dans tout le village dire qu’elle m’était venue demander de la part de gens de qualité, afin que cela fît éclat. Ensuite cette supérieure envoya quérir Manon4, c’était le jour de Pâques, disant qu’elle s’allait plaindre et que l’on faisait venir ici des personnes afin de leur parler, qu’elle était sûre que c’était sa sœur, qu’elle lui ressemblait, etc., faisant des grandes plaintes avec des menaces et des emportements fort grands, qu’elle n’avait que faire d’être géhennée à cause de nous. Manon lui répondit fort honnêtement, puis elle me vint dire toutes les menaces qu’on lui faisait. Je lui mandai par elle qu’elle ferait telle plainte qu’il lui plairait, que je n’avais rien à craindre dans toute mon affaire par rapport à la vérité, mais bien par le contraire. L’autre dit que ces discours ne me justifiaient pas. Ensuite elle est allée [f° 177v°] à Paris porter son paquet, où elle a été deux jours. Pour moi, je n’ai rien dit ni témoigné aucune peine, je n’en ai pas écrit un mot à N., quoiqu’on m’ait fort menacée de lui. À des artifices de cette nature, on ne doit répondre que par le silence. Cette fille est d’un emportement et d’une déraison outrée, et par-dessus entêtée de jansénisme. Je suis résolue de tout souffrir jusqu’au bout sans dire rien, et je crois triompher par là de l’artifice. Des créatures, on est bien exposé à tout ; ce n’est pas comme dans un couvent où il y a toujours

[ambrai]. Je lui dis que je croyais que le dernier était bon, par le soin qu’on avait de me le cacher, cela en riant. Il me dit toujours que je serais en liberté sans le livre. Je répondis que je ne demandais rien, que ma liberté était entre les mains de Dieu. Je ne sais quel est leur dessein en me faisant traiter ainsi par ces filles, mais Dieu est le maître : pourvu qu’il me donne la patience, cela me suffit. Il me dit que j’étais une présomptueuse, que je devais trembler d’avoir renversé l’Église par mes livres. Je lui dis que mes livres n’avaient fait de mal que celui qu’on leur avait fait faire, et qu’ainsi je ne prétendais pas me remplir la tête de scrupules, qu’il me laissât au moins la liberté, parmi tant de peines, de penser que je n’avais rien voulu faire que pour Dieu.

C’est une chose étrange que je me meurs toutes les nuits, et le jour je vais médiocrement bien. Je ne sais à quoi Dieu me réserve. Si la fille qui est venue n’est pas de leur part, il faut qu’ellea soit d’elle-même bien mauvaise pour faire de pareils tours. Faites-moi [f° 178r°] le plaisir de vous en informer sous main. Après tant d’éclat, N. [le curé] ne manquera pas de vous en parler. Un mot de réponse, s’il vous plaît. N. me dit encore, en me parlant de M. de C 1 Sens : « … que l’homme [me] dit oralement, que vous aviez… » Nous adoptons cette interprétation, introduisant « [me] ».

a il faut ou qu’elle : nous supprimons le « ou » qui suppose une alternative.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 176v°].

[ambrai] : « Il a parlé, il a écrit, il a imprimé, et c’est plus qu’il n’en faut », et cela en se moquant. Il me dit qu’on avait envoyé son livre à Rome et que, dans la disposition où était le Saint-Siège sur ces matières, on ne doutait point qu’on ne le fît condamner facilement, que pour lui, tout ce qu’il en avait lu lui déplaisait.

1 Nous transcrivons exactement cette phrase obscure, éclairée quelque peu par le début de la lettre suivante. Noter une lacune probable que nous indiquons par les points de suspension (absents chez Dupuy).

      1. 2 Le curé parle facilement.

      2. A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 178].

      3. Cela ne se fait pas sans dessein : on veut m’ôter d’ici et m’enfermer en quelque lieu inconnu, ou m’obliger à me plaindre ou à me fâcher ou à demander quelque chose. Mais j’espère que Celui pour lequel je souffre me donnera la patience. Je n’ai pas le moindre trouble de tout cela, il ne m’arrivera que ce qu’il plaira à Dieu. Plût à Sa bonté que je fusse Sa juste victime. Ils ont d’abord fait courir le bruit que je me voulais faire enlever, qu’il était venu pour cela des hommes à cheval. Ensuite elle m’a fait confidence qu’on me voulait faire enfermer à la Miséricorde. Elle m’a poussée par mille emportements à toute extrémité, sans que j’aie fait un mot de plainte. Je n’en ai pas encore parlé à N. [le curé]. Ainsi je m’attends à tout. J’ai bien cru, lorsqu’on me mettait dans une maison comme celle-là, composée de deux personnes, qu’on avait dessein de m’en imposer, mais Dieu sur tout. Il y a apparence que vous n’entendrez plus parler de moi, mais en quelque lieu qu’on m’enferme, nous n’en serons pas moins unies en Jésus-Christ. Il faut que le règne de la puissance des ténèbres ait tout le temps que le Seigneur lui a permis.

      4. Je vous [f° 179v°] embrasse de tout le cœur. Recevez ces dons du St Esprit. Je ne garde pas vos lettres [un] demi-quart d’heure ; on ne m’en trouvera point. Si N. vous dit qu’on m’accuse de bien des choses dans cette maison et qu’il ne s’en veut plus mêler, dites-lui qu’il ne croie pas sans venir soi-même en savoir la vérité, et cela comme de vous. Elle dit encore à Manon : « Puisque vous n’exécutez pas mes ordres, je ne vous en donnerai plus, mais vous verrez », avec une hauteur horrible. Mais comme j’avais défendu de lui répondre, elle ne dit rien. Elle me dit que je lui avais mandé des impertinences en lui faisant dire que je ne pouvais craindre la vérité, que dans toute mon affaire d’un bout à l’autre, je n’avais à craindre que le mensonge et qu’ainsi elle écrirait ce qui lui plairait, que Dieu serait notre juge. C’est une créature d’un emportement, qui jure comme un charretier, une basse bretonne. Vous devriez aller voir N. [le curé] : comme il est assez facile à dire2, il vous dira peut-être quelque chose. Je crois qu’on me veut enfermer ici et faire croire que je suis ailleurs. Plus on me cachera aux hommes, plus Dieu me voit.

      5. Un procédé de cette violence justifierait un coupable ; comment ne fera-t-Il pas connaître l’oppression d’une innocente, trop heureuse d’imiter notre Maître, jusqu’à mourir même.

      6. Je vous écris encore cette lettre, ne sachant pas si, après les violences qu’on exerce sur moi, je le pourrai encore faire. Ce sont des traitements si indignes qu’on ne traiterait pas de même la dernière coureuse. Cette créature fut hier dans ma chambre pour en faire condamner la seule fenêtre dont je peux avoir de l’air. On m’a réduite à une seule chambre où il faut faire la cuisine, laver la vaisselle. Je l’ai laissé tout faire sans dire un mot. La fille qui était dans la chambre, car j’étais descendue dans le jardin, lui dit qu’elle ne souffrirait pas qu’on me fît étouffer dans ma chambre, que je n’y étais pas et qu’elle ne pourrait permettre qu’on la condamnât. Elle vint avec une fureur de lionne me trouver au jardin. Je me levai pour la calmer, elle me dit : « J’étais allée faire condamner votre fenêtre, et une bête s’y est opposée, mais l’on verra ». Je lui répondis fort doucement et en lui faisant honnêteté que, lorsque N serait venu, je ferais aveuglément ce qu’il me dirait, et que c’était l’ordre que l’on m’avait donné de lui obéir dans le moment. Criant comme une harengère, tenant une main sur son côté et l’autre qu’elle avançait contre moi en me menaçant, elle me dit : « Je vous connais bien, je sais bien qui vous êtes et ce que [f° 178v°] vous savez faire ». Remuant toujours la main levée contre moi : « Je suis bien instruite, vous ne me croyez pas aussi savante que je suis ». Je lui dis, toujours du même ton d’honnêteté, et levée devant elle, que j’étais connue de personnes d’honneur. Elle se mit à crier, avec une servante à elle qu’elle avait amenée : « Vous dites que je ne suis pas fille d’honneur ! ». Je lui dis, sans hausser la voix : « Je dis, mademoiselle, que je suis connue de personnes d’honneur ». Elle se mit à crier plus fort qu’elle me connaissait bien, que je ne croyais pas qu’elle fût si savante sur tout ce que j’avais fait. Je lui dis : « Mademoiselle, je dirai tout cela à N. [le curé]. — Je ne vous conseille pas de lui dire, me répondit-elle ; si vous le lui dites, vous vous en trouverez mal et je sais ce que je ferai ». Je lui dis : « Mademoiselle, vous ferez ce qu’il vous plaira. » Elle fit un vacarme de démon. Et lorsqu’elle voit qu’on ne lui répond rien, elle crie qu’on se veut faire passer pour des saintes, pour obliger de lui dire quelque chose. Elle envoya quérir un homme pour condamner non seulement la fenêtre, mais la porte. Je lui envoyai dire qu’elle pourrait faire condamner toutes les portes, que cela m’était indifférent, que pour la fenêtre, il fallait attendre que N. [le curé] fût venu. « Non, non, dit-elle, on a refusé et [ce] qui est dit est dit ; on verra une géhenne ici ; on n’avait que faire d’y venir ; j’ai de bons ordres ». Manon lui dit : « Si vous avez quelques ordres, montrez-les, mademoiselle, et on les suivra ». « Non, non, je ne les veux pas montrer. » Et [elle] fit toujours les mêmes menaces. Elle s’est mise en tête que je mangerai ses fruits quand ils seront mûrs ; je lui ai fait dire qu’on n’en détachera pas un seul et qu’elle en soit assurée. Elle dit qu’elle sait cultiver le jardin et qu’on en a le plaisir, [f° 179] qu’on n’a que faire de cela ; le jardin est en friche, il n’y a que des choux et des poireaux ! On ne lui répond rien, elle crie et fait l’alarme toute seule. J’ai écrit à N. [le curé] pour le prier de venir, car après le tour qu’ils ont fait de faire venir chez [moi] une créature qui criait qu’elle me venait voir de la part de gens de qualité, toutes les menaces qu’elle fait et ajoutant comme si j’avais fait ici des crimes horribles dont elle est bien informée1, je m’attends à tout ce qu’il y a de pis. J’ai traité, depuis que je suis ici, cette fille avec une honnêteté la plus grande du monde, lui donnant tout ce qui lui a fait quelque plaisir. Je ne lui ai jamais dit une parole.

. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

Depuis ma lettre écrite, j’ajoute que la fille fit tant de bruit en disant des injures et prenant des témoins pour les dire, sans qu’on dise autre chose, sinon que Dieu serait notre juge, menaçant de tout ce qu’il y a de pire, qu’un homme dit : « Il faut que ce soit des coureuses1 qu’elles tiennent là enfermées ». Je crus être obligée d’envoyer prier N [le curé] de venir. Il vint, je lui dis qu’en vérité, c’était bien assez d’être renfermée sans entendre des injures atroces. Je lui contai le fait et lui dis que si j’étais [f° 180] coupable, qu’on me fît mon procès, mais que d’entendre des infâmies de cette nature qu’en vérité cela était odieux. Il fit semblant d’être fâché, puis sortit pour leur aller défendre de me plus injurier, à ce qu’il dit. Il revint et me dit que je n’avais nulle confiance en lui. Je lui répondis qu’on m’avait si fort menacée que, si je me plaignais à lui, que je m’en trouverais mal, qu’il m’était aisé de voir qu’on avait commencé l’effet de la menace. Il me dit ensuite : « M. l’arch. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

[evêque] de Reims a juré sur les Evangiles que N. [Fénelon] vous était venu voir ici ». Je lui dis qu’on le connaissait bien mal de juger cela de lui, et par-dessus cela il ne l’avait pu faire. Ensuite il dit qu’il était chassé de la Cour et bien d’autres2, me fit entendre que, n’ayant plus de protecteurs, que je me devais attendre à tout, qu’on avait fort trouvé à redire que M. l’arch [evêque] de P témoigna qu’il adoucirait tout, mais il désirait un témoignage de moi comme il avait de la charité. Il fit bien des personnages. Je lui écrivis une belle lettre de remerciement. Ensuite il fit condamner ma porte et voulut en faire autant de la fenêtre, mais lui [f° 180v°] ayant fait voir qu’il fallait étouffer si l’on m’ôtait l’air, on l’a condamnée avec des treillis de fer. Dieu qui n’abandonne pas tout à fait, a fait trouver un trou par lequel ces bonnes gens qu’on envoie vers nous, ont témoigné qu’ils nous serviraient jusqu’à la mort. Ils sont pleins d’affection et sans nous, ils auraient quitté la maison, car ils sont bons jardiniers et ils font cela en tournée. Il y a ici un des prêtres qui dit me connaître et avoir une extrême affection de me servir : c’est un homme intérieur ; il les encourage, quoiqu’ils n’en aient pas besoin. Dans le tintamarre qu’ils ont fait, il m’a écrit pour me témoigner son zèle et combien il est touché d’un pareil procédé. La rage de cette fille vient de ce qu’une autre, qui a demeuré ici avec elle au commencement, et contre laquelle elle a une haine et jalousie horribles, paraît être affectionnée pour moi et en dire du bien en toute rencontre. Cela l’a aigrie contre moi. Quand elle me fait faire des honnêtetés par les sœurs qui viennent de Paris, je lui en fais aussi. Elle devient comme un lion. Les autres me témoignent à l’envie, lorsqu’elles en trouvent l’occasion, qu’elles sont bien fâchées des manières d’agir de cette fille, mais que c’est son humeur, personne ne pouvant vivre avec elle. Je ne leur en dis pas un mot, parce que ce que je dirais affaiblirait ce qui se voit. En vérité, de pareilles violences justifieraient un coupable ; comment n’appuiraient-elles pas le bon droit d’un innocent ?

N. n’a plus en bouche que M. de Chartres : c’est l’homme incomparable ! Pour moi je vois M. de C2 Lorsque Fénelon fut envoyé à Cambrai on chassa des emplois de la Cour d’autres personnes moins considérables, dont Dupuy.

1 Fille ou femme de mauvaise conduite (7e sens figuré, Littré).

[aris] m’eût fait sortir de Vincennes, qu’on disait ouvertement que j’étais bien là. Je lui dis que j’étais prête à y retourner si l’on le souhaitait, que je n’étais pas plus renfermée qu’ici, et que j’y étais à couvert des suppositions de ces prétendues visites ; que je ne demandais nulle grâce, étant résolue de tout souffrir pour Dieu à quelque extrémité qu’Il pût aller, que je voudrais être la seule victime.

Ensuite il se radoucit, disant qu’il voulait me communier, que pour cela il était obligé de dire du mal de moi, et que M. de Meaux avait dit : « Voilà un homme, celui-là ; on ne la pourrait mettre en de meilleures mains ». Il m’assura qu’il me protégeait contre la tempête et

abon dieu : Dupuy ne met très généralement aucune majuscule, même à Dieu.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 179v°].

[ambrai] comme un second saint Jean Chrysostome dans toutes les circonstances ; je prie Dieu qu’Il lui en donne le courage, et à nous celui de persévérer jusqu’au bout. Faites amitiés à ces bonnes gens : je leur ai bien de l’obligation. Il faut que ce soit le Bon Dieua qui leur donne tant d’affection, ne pouvant, en l’état où je suis, [f° 181] leur faire du bien. Je suis très contente et n’ai jamais été plus en paix. On m’enferme à mes dépens. C’est de mon argent qu’on paye les chaînes dont on me captive, et les murailles pour m’enfermer.

1 L’Explication des maximes des saints de Fénelon.

      1. 2  « … dès la fin d’avril 1697, la Première réponse […] aux difficultés de l’évêque de Chartres évoquait l’introduction de “correctifs” […] Fénelon ajoutait de nouvelles corrections. Les dossiers, conservés aujourd’hui en partie, ne furent jamais publiés… » (Fénelon, Œuvres I, 1983, « notice » par J. le Brun, p. 1541.) – « Une partie des corrections est représentée par l’introduction d’atténuations… » (id., p. 1543), conformément au souhait de Madame Guyon exprimé dans une lettre de mars : « Je trouve en quelques petits endroits le faux trop poussé… »

      2. – A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 181].

      3. Il est de conséquence d’éclaircir plutôt le livre1 que de l’abandonner. Il est de l’intérêt de la vérité de tendre toujours à l’éclaircissement et à l’explication. C’est de cette manière et par ces sortes de disputes qu’on a donné le jour à la vérité ; je suis sûre que c’est tout ce que les ennemis craignent. Mais si l’auteur a de la fermeté, il faudra bien qu’on en passe par là, puisque c’est un parti qu’on n’a jamais refusé dans l’Église. Si vous avez encore quelque crédit, faites que l’on le prenne et qu’on ne se relâche jamais là-dessus ; c’est à présent qu’il faut faire voir sa fermeté et la fidélité de l’amour. Je vous conjure par les entrailles de Jésus-Christ qu’on n’abandonne pas le livre, mais qu’on l’éclairasse2. Dites-le au b [Fénelon].

. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1697.

Je ne suis point surprise qu’on ait fait tout cela à M. de V.1 et à Rema. Je lui ai mandé bien des fois que je craignais ce qui est arrivé. Elle m’a toujours dit que M. C. 2 l’approuvait : elle est bonne, elle a beaucoup d’esprit et de savoir-faire. Ne lui dites point que vous avez avec moi nul commerce secret, je vous en prie, mais ce que vous lui dites, dites-le comme de vous-même. Ma pensée est qu’elle demeure chez mad. A LA PETITE DUCHESSE. 18 avril 1697.

[ame] puc3 tant que M. de V. n’y viendra point, et il est d’une extrême conséquence que M. de V. ne quitte point sa cure dans le temps où nous sommes. On ne la lui peut point ôter, et ce serait se déclarer coupable que de la quitter. Il faut souffrir et y demeurer ferme : c’est la seule manière de détruire la calomnie. J’ai pensé d’abord que M. Ol.4 ne faisait semblant [f° 181 v°] d’approuver que pour avoir un prétexte spécieux de le perdre. Enfin, je demeurerais ferme dans ma cure. S’il quitte et s’il vient demeurer chez mad [ame] Puc., que Rem.5 quitte et prenne une petite chambre comme elle faisait autrefois. Il faut lui faire la charité, elle en a véritablement besoin. Ce n’est pas comme le ch., car elle n’a rien du tout. C’est à ces personnes qu’on doit borner la charité dans le temps où nous sommes. Ce sont ces fidèles qu’il faut soutenir. Vous pouvez la voir quelquefois, et c’est une fille qui a d’excellentes qualités. Un peu politique : cela est d’usage à présent. Mais ne la prenez point chez vous, ce qui lui ferait tort, et à nous. Elle peut demeurer inconnue aisément dans une petite chambre à Paris au cas que M. de V. vienne chez madame Puc, mais qu’ils ne demeurent pas ensemble : les soupçons et les jalousies de M. de V. vous causeraient toujours des affaires. Il s’est déclaré ouvertement contre moi lorsque je lui ai dit la vérité. Son amour-propre et l’estime de lui-même lui fait croire que tout ce qu’il ne pense pas est mal pensé.

Je prie Dieu qu’Il nous fasse entrer toutes deux en ce que je vous dis, car le pas serait glissant, mais je crois que Dieu nous le fera faire. C’est à présent, comme dans la primitive Église, qu’il faut soutenir ceux que la persécution afflige, trop heureux de partager les chaînes des captifs. Il est aisé de tromper madame de b. et de lui faire entendre que l’on se sert du nom d’anciens domestiques auxquels j’ai été trompée, mais que tout passe par N. Bab [et] 2 et le chien3 peuvent faire bien du mal, mais je ne devinais pas ; j’ai cru toute autre chose et je sentais avoir obligation à des gens qui n’y avaient pas de part. N’ayant pas de robe et étant toute nue, j’ai pensé qu’on s’était servi de cette voie. M on m’assura du contraire, comme je vous l’ai mandé. J’ai approuvé, sur les raisons qu’on me disait, ce que je ne pouvais empêcher ; cela est différent de le conseiller. Ceci entre vous et moi, dont vous ferez usage. Je me souviens d’une circonstance qui vous prouvera ce que je vous ai dit et qui vous remettra en voie : vous vous souviendrez peut-être bien qu’étant revenue de Meaux, nous envoyâmes quérir le Chi [nois] chez N., qu’elle m’apprit que Rem. était allée demeurer chez M de V., que j’en fus surprise, que le chi [en] me dit qu’ils en avaient écrit à Dom Al [leaume] qui l’avait approuvée après qu’elle lui avait exposé son attrait intérieur sur tout cela ; que j’acquiesçais à ces raisons, mais que je persistais toujours à dire qu’il fallait qu’ils prissent une vieille femme pour les servir, et pour cesser le scandale d’obliger le chi [nois], et même Dom Al [leaume], de leur en écrire. Je crois que nous pouvons remettre cela dans notre mémoire. Peut-être que s’ils l’eussent fait, la chose se serait passée plus doucement.

N. [le curé] sort d’ici, jeudi 18 ; il m’est venu défendre de communier de la part de N.6 Je lui ai dit que c’était ma seule force. Il n’est entré en nulle raison sur cela, et ensuite, prenant son sérieux, il m’a dit que la Maillard7 l’était venue voir, qui lui avait dit les choses avec des circonstances si fortes, assurant qu’elle soutiendrait tout en face, de manière qu’on ne peut pas ne la point croire. Ensuite il m’a dit que j’étais responsable devant Dieu de tout le trouble de l’Église, que je devais avoir de grands remords de conscience d’avoir perverti tous les meilleurs, surtout N. [Fénelon]. Je lui ai dit que la souffrance les sanctifierait, qu’il deviendrait un saint Jean Chrysostome. Il s’est mis fort en colère et m’a demandé si Luther et Calvin étaient des saint Jean Chrysostome. Ensuite il m’a exhortée sérieusement à rentrer en moi-même et à me convertir, à ne me pas damner. Je lui ai dit : « Mais, monsieur, après avoir tout quitté et m’être donnée à Dieu comme je l’ai fait ! ». Il m’a interrompue sans me vouloir laisser parler, disant qu’il avait connu des sorcières qui avaient fait de plus grandes choses et qui passaient pour des saintes, que cependant elles s’étaient converties et étaient bien mortes ; qu’il m’exhortait à profiter de la charité qu’il avait pour moi à ne me pas perdre, que pour le diable on faisait encore plus de choses que pour Dieu, et qu’il me conseillait d’y faire réflexion, qu’il me tendait les mains, qu’on devait profiter du temps, qu’il savait de bonne part, et à n’en pouvoir douter, que le P3 Babet probable, surnom que nous retrouvons dans des lettres tardives, entre disciples de Madame Guyon alors résidant à Blois.

4 Non élucidé.

[adame] de b. me [f° 182] paraissait la mère, etc., que vous jugezb assez. Le moyen d’éviter cela ? Qui a pu dire à bab [et] que j’ai eu une domestique de ce nom ? Et comment cela s’est-il pu faire ? J’abandonne tout à Dieu. Je pense quelquefois qu’ils n’auront point de repos qu’ils ne m’aient fait endurer le dernier supplice, et je le regarde comme le plus grand bien. C’est le seul repos que j’aie ici.

Je crois devoir vous dire que je n’ai jamais conseillé à Rem. a de demeurer avec M de V. Ils étaient ensemble que j’étais encore à Meaux, et je ne le sus qu’après. Je mandais les inconvénients que je craignais,

[ère] l [a] C chose, me faisant entendre que si je l’excusais, il me croirait de même ; enfin, qu’on me faisait encore bien de la grâce de me laisser ici. J’ai dis que si N. trouvait qu’il me fallût une autre prison, j’étais prête d’y aller. Je crois bien que je n’ai qu’à m’attendre à tout ce qu’il y a de pis. Il m’a dit qu’un grand seigneur avait eu réponse de Rome qu’on y condamnerait le livre de M. de C7 La Maillard autrement Grangée ou Des Granges.

8 Louis Goffridy, ecclésiastique qui fut brûlé à Aix, le 30 avril 1611.

6 Peut-être l’archevêque de Paris.

[ombe] était un second Louis Goffredi, qui fut brûlé à Marseille8, et m’a toujours soutenu la même

5 Non élucidé : cette lettre est bien un rébus (volontaire) !

2 M. C. : M. de Cambrai (Fénelon) ? peu probable.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 181].

a Lecture incertaine.

b Lecture incertaine.

c Mot illisible.

1 Non élucidé : Mme de Vibraye ?

[ambrai], que c’était un homme perdu sans ressource. On croit que je l’ai ensorcelé. L’on commence même à me refuser les choses sur la nourriture dont j’ai besoin, mais c’est peu que cela. En vérité, j’ai bien besoin que Dieu m’aide, car on me pousse avec bien de la vigueur. J’ai peur qu’on ne fasse quelque nouvelle procédure : ils sont assurés de leurs faux témoins.

N. [le curé] sort d’ici, qui, après m’avoir fait les exhortations ordinaires de me convertir et rentrer en moi-même, que je pourrais mourir subitement, que je ne me damnasse pas ; il m’a enfin fait entendre que le tut. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

[eur] [Chevreuse] avait reçu une lettre d’une personne du premier rang dans l’Église, qui n’est pas M. de Grenoble1, qui mandait des choses abominables et si bien circonstanciées qu’il jurait avec les serments les plus forts, mais qu’il avait promis au tut [eur] [Chevreuse], sans le nommer, qu’il garderait un secret inviolable. Je lui ai fait les dernières instances pour savoir ce dont il s’agit, il n’a jamais voulu me le dire. Enfin, il m’a promis de lui en demander la permission. Il dit que le tut conscience, puisqu’ils me croient mauvaise, ou du moins puisqu’ils le peuvent croire sur de belles apparences. Il me semble qu’il est bon pour moi, si Dieu en est glorifié, que je sois livrée pour tout le monde.

Je vous remercie de votre charité. Allez toujours à Dieu : Il est toujours le même. Quand je serais un démon, Il n’en est pas moins ce qu’Il est. Je ne vous écrirai plus, car je ne veux plus embarrasser personne. Je ne vous en aimerai pas moins en Notre Seigneur Jésus-Christ, et vous ne serez jamais effacée de mon cœur. Il faut attendre l’éternité.

Je m’étonne que le tut1 Il s’agit donc de dom Le Masson rapportant l’histoire de Cateau Barbe et non du cardinal Le Camus. V. sur cette affaire : Orcibal, Etudes…, « Le cardinal Le Camus… ».

2 L’affaire Cateau-Barbe date du séjour de 1684 à Grenoble soit treize ans auparavant. La Maillard est la « dévote de Dijon » sur laquelle des « renseignements accablants » parvinrent à Tronson qui avait entrepris une enquête en 1693. V. Orcibal, Etudes…, « Madame Guyon devant ses juges », à la p. 822.

2bFénelon a été nommé par Louis XIV à Cambrai le 4 février 1695 (non à cause du quiétisme, le Roi ayant jusque-là ignoré le problème ; au printemps 1697 aucune mesure n’avait été prise, mais une campagne y préparait ; voir C. F., t. V, p.263 sv.). Il doit s’agir ici de Beauvillier dont on attendait la disgrâce — qui ne vint pas. Bien au contraire, Louis XIV lui conservera toute sa confiance puisqu’il sera chargé des finances. Il aura dû quand même désavouer Mme Guyon.

[eur] lui avait avoué que jusqu’à présent il m’avait cru bonne, mais qu’il ne savait plus que croire, que tout ce qu’il pouvait était de suspendre son jugement et que je lui avais fait bien de fausses prophéties. Je lui ai dit que je ne me piquais pas d’être prophétesse, mais que pour des crimes, je n’en avouerais aucun. Il a dit : « Nous n’en parlerons pas ». Je lui ai dit que ce n’était pas assez et qu’il fallait me les dire, qu’il me serait peut-être fort aisé de prouver le contraire, que je ne croyais rien de plus étrange que de calomnier et ensuite de demander le secret, que le secret était pour moi la plus petite chose du monde, mais que je demandais qu’on me donnât le moyen de justifier la chose. Il me remet toujours la Maillard, et dit qu’il n’y a pas d’apparence qu’une femme soutînt quatorze ans une chose si elle n’était vraie2. Quand je lui ai dit que c’étaita une mauvaise [f° 183v°] femme, il dit que les larrons s’entre-accusent bien et sont crus.

Je vous prie qu’il ne puisse jamais revenir à N. [le curé] que vous sachiez ceci. Dieu a donc permis que nos meilleurs amis, aussi bien que les autres, aient enfin cru, avec d’apparentes raisons, les calomnies ! La volonté de Dieu soit faite. Nous n’avons que le temps pour souffrir, mais je vous assure que je ne les ai jamais voulu tromper ; Dieu le sait. Si je suis trompée, que Sa sainte volonté soit faite. On ne cessera jamais de faire des calomnies et, quand une fois la porte est ouverte, c’est à qui ira faire la sienne. J’ai la dernière douleur de ce que N. m’a dit que les meilleurs allaient être chassés de la Cour2b. Je souhaite qu’ils me chargent si cela leur est utile : ils le peuvent faire à présent, sans blesser leur

[eur] ait fait cette confiance à N. [le curé]. Il dit que c’est par charité et, à la fin, qu’il m’exhorte à ne me pas perdre ; je l’en remercie et je lui demande ses prières, afin de faire l’usage que Dieu veut de tout ceci. Dès que je réponds un mot à N., pour lui dire la vérité ou pour l’éclaircir, quoique je le fasse le plus doucement que je puis, il me dit que je suis une emportée, que si j’avais de la vertu je ne répondrais rien, et puis il recommence les exhortations sur ce que je profite de la commodité de l’avoir et que je lui fasse un aveu sincère [f° 184] de mes crimes. Il ne vient plus que pour cela. Si je savais les choses, je pourrais en faire voir la fausseté, mais ne les sachant pas, je laisse à Dieu de faire croire ce qu’il Lui plaira. Si j’ai trompé le tut [eur], je prie Dieu qu’Il le désabuse. Enfin il dit que ma Vie est abominable et qu’il l’a vue. Il faut donc qu’on en ait fait une autre ? Ou bien, si c’est la même, comment n’a-t-on pas eu la charité de me le dire lorsqu’on l’a vue ? On en a vu, à ce qu’il dit, donner au public certains endroits critiqués, mais il m’a dit cela si fort entre ses dents que je ne sais quel sens y faire. Ma consolation est que Dieu voit le fond des cœurs. Soit qu’Il me châtie si je Lui ai déplu sans le vouloir et sans le connaître, soit qu’Il m’exerce, c’est toujours un effet de sa bonté. J’oubliais à vous dire que N. [le curé] m’a dit que l’auteur [Fénelon] avait eu la témérité d’écrire à Rome et d’y envoyer son livre, mais qu’il y serait assurément condamné.

Je n’ai de nouvelles que par vous et par lui. Comme il m’avait dit plusieurs fois que le C [uré] de V [ersailles] 3 disait beaucoup de mal de moi, d’ailleurs ayant appris combien on relevait Mlle de la Croix, ensuite ayant lu qu’un nommé Solan était venu de province et m’étant souvenu que M. le C [uré] de V b Un ou deux mots illisibles.

aque (une ligne biffé illisible) c’était

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 183].

ce qu’il plaira à Dieu, mais on me fait bien sentir qu’on m’aurait ménagée à cause de mes amis, mais que leur chute fait qu’on ne veut plus avoir de ménagement. N. ne me parle plus de vous : est-ce que vous ne le voyez plus ? J’oubliais encore à vous dire [f° 184v°] que N. m’a dit qu’il m’apporterait un extrait de la lettre écrite au tut [eur] s’il le voulait. Je me donne la torture sans pouvoir deviner ce que c’est. Il m’a encore dit que la raison pour laquelle on m’ôtait la communion, c’est que cela me justifiait trop de me voir communier, et cela ferait croire qu’on n’avait pas raison de me traiter comme on fait. Il dit que M. et Mme de Renty lui avaient dit que je prêche par-dessus les murailles.

3 Hébert, v. Index.

[ersailles] m’avait dit que son M. Solan demeurait en province en habit séculier, ensuite N. [le curé] m’ayant dit qu’on avait appris de moi, par certaines voies, des choses, cela en manière entrecoupée, j’avais fait un pot-pourri de tout cela dans ma tête. Qu’est-ce qu’une main qui a écrit à Saint-Denis ? M. Lar et N. sont si contents de ma fille ? Elle me doit venir voir incognito. J’attends tout

C’était moi qui avais ouvert la lettre et contrefait mon écriture pour le dessus. N. [le curé] m’a positivement dit tout ce que je vous ai mandé ; il m’a dit de plus que si le tu. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

t [eur] [Chevreuse] le voulait bien, il m’apporterait une copie de cette lettre. Il m’anathémisa en s’en allant, disant que, puisque je ne voulais pas confesser tous mes crimes, il me laissait à la justice de Dieu et aux remords de ma conscience. Il me fit entendre que je pourrais bien rentrer en prison, mais je ne parus point en être fâchée.

La lettre que vous m’avez écrite m’a donné une grande joie, voyant la disposition des serviteurs du Seigneur dans une si forte épreuve. Que ce qui me regarde ne les arrête pas ! Ils n’ont qu’à témoigner qu’ils m’abandonnent et qu’ils laissent à Dieu le jugement de tout. Dieu sait que c’est de tout mon cœur que je me suis offerte à Lui comme une victime pour tous. Plût à Dieu qu’il S’en contentât, mais peut-être ne suis-je pas digne d’un si grand bien ? N. [le curé] me dit qu’il était venu des dames à équipages pour déposer contre moi. Je n’en connais aucune, et il faut que ce soit des personnes qui en aient loué. Enfin je me sacrifie à Dieu sans réserve pour la plus sanglante tragédie ; il me semble qu’on n’aura pas de repos qu’on n’en soit venu là. Je vous en prie, que l’on perde plutôt la vie que de faiblir sur l’intérêt de Dieu et de la vérité ; mais pour ce qui me regarde, qu’on ne se fasse pas d’affaires à cause de moi qui voudrais donner mille vies, si je les avais, pour eux tous. Quel personnage fait madame de B.1 en tout cela ? On n’entend rien d’elle, et je crois bien qu’elle tire son épingle du jeu. Pour nous, ma bonne d 2 Jean, 11, 50.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 184v°].

1 Non élucidé.

[uchesse], vous avez une douleur de compassion et d’amitié qui n’est pas la moindre souffrance. Je n’écrivis point le premier lundi, n’ayant rien à mander et y ayant peu que je l’avais fait. Je trouve trop d’inconvénient à envoyer aux s.1 J’ai toujours oublié de vous dire que b.1 avait servi à ma prise, et ce fut le gantier, mari de cette Maillard, qui vint avec Desgrez me reconnaître. Je crois que pour mon égard, la tragédie n’est pas finie. La seule consolation qui me reste est que cela ira peut-être jusqu’à m’ôter la vie ; j’en ferais un grand régal à moins que Dieu ne me changeât, car forte ou faible, la mort de cette sorte est un bien. J’ai résolu, si Dieu me le laisse faire et qu’on m’interroge de nouveau par les voies de la justice, de ne rien répondre du tout, ayant assez fait connaître la vérité. Plus on est innocent, plus on veut qu’on soit criminel. Il n’y a qu’à laisser faire selon le pouvoir que Dieu en a donné. Il est expédient qu’un périsse pour plusieurs2 : Jésus-Christ en a donné l’exemple.

Je ne suis pas surprise de ce que vous me mandez. Dès que je fus ici et que je vis la disposition des choses, je compris qu’on ne m’y mettait que pour me faire des suppositions. J’en écrivis sur ce pied à M. Tronson. Cela ne me sortit point de l’esprit. Leur premier dessein fut de me faire enlever, et de faire ensuite courir le bruit que c’était moi qui me faisais enlever. Je n’entendais parler que de cavaliers qui venaient, disaient-ils, pour m’enlever de la part de mes amis, et qu’ils viendraient en plus grand nombre. Je dis que je savais que, ni de ma famille ni de mes amis, on ne me viendrait enlever, que si je l’étais, je crierais si fort qu’on saurait de quelle part. Depuis [f° 185v°] ce temps, ils ont changé de batterie[s]. N. [le curé] me dit, dès Pâques, que M. le duc de Villeroy l’avait assuré avoir vu ici M. de C. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

[ambrai], à heure indue, qui me venait voir, et vous, une autre fois ; je n’en fis que rire, parce que cela était si faux et si impossible. Cependant j’ai fait réflexion que comme ils n’en veulent pas à moi seule, et que N. a une maison à côté de celle-ci où il demeure des prêtres, il se peut faire que M. de Vil [leroy] m’ait vue entrer là et que des gens apostés lui aient dit que c’était M. de C La fille qu’on a fait supérieure générale3, apparemment pour signer des faussetés contre moi, me dit en partant : « Si l’on dit que j’aie dit quelque chose contre vous, dites que je vous le soutienne4, que j’ai menti. » Ensuite elle me dit : « Ils prennent des mesures qu’ils croient très sûres, pour que vous ne sortiez jamais de leurs mains ». Celle qui est à N. m’a fait entendre [f° 186] que madame de Lu. était tout ouvertement contre moi, savais toute ma vie5 et la disant d’une manière bien opposée à la vérité. Ne vous affligez pas : Dieu règnera toujours et c’est assez. N’aurait-on point surpris l [a] bonne c [omtesse] pour lui faire aussi signer quelque chose sans qu’elle le sût ? Comment la gouvernez-vous ? Enfin si Dieu permet que mes amis croient toutes les faussetés qu’on fait dire à des gens apostés, la volonté de Dieu soit faite. L’éternité les détrompera, et cela leur fera plus de tort qu’à moi. C’est le dernier coup de Bar [aquin]. [ambrai], ou bien qu’ayant ouï dire que je suis ici, il l’ait cru lui-même. Pour la fille, il faut que ce soit un démon pour avoir donné pareil certificat. Que puis-je avoir fait ici ? Si ce qu’ils disent était vrai, pourquoi appréhender si fort que je le sache, qu’on a fait boucher hier jusqu’à des trous où on ne pourrait passer qu’à peine une aiguille à faire des bas ? Pourquoi défendre qu’on ne me confesse même à l’heure de la mort, ce qu’on ne refuse pas aux plus coupables ? C’est N.2 qui se fait faire lui-même les dépositions, qui les reçoit avec deux hommes à lui. C’est leur dernière ressource après m’avoir voulu faire mourir. Je rêvais il y a quelque temps que ma sœur, la religieuse qui est morte, me disait : « Fuyez. Quand vous n’habiteriez que des cavernes et des carrières, vivant de pain demandé par aumône, vous seriez plus heureuse ». Mon cœur est préparé à tout ce qu’il plaira à Dieu, trop heureuse de donner vie pour vie, sang pour sang.


3 La religieuse qui eut la garde de Mme Guyon était Mme Sauvaget de Villemereuc, de la congrégation dite de Saint-Thomas-de-Villeneuve, « bâtie à la hâte, où l’on me mit en me faisant sortir de Vincennes » (Vie 4.1, p. 900 de notre édition).

4 Sens obscur.

5 Elle aurait lu le manuscrit de la Vie ?

2le curé ?

1M. de Villeneuve ?

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 185].

Je vous avoue que je suis bien fâchée des mouvements que N. [Fénelon ?] se donne ; il aurait mieux fait de tout prévenir à R. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

[ome], mais Dieu saura bien lui ôter ces appuis. Pour bab [ette], je n’ai découvert que depuis peu ce que c’est. Il y a environ deux ou trois mois que N. m’envoya une lettre d’une fort belle écriture signée Anne de la Bi., où cette personne me mandait qu’elle me priait de lui envoyer un de mes habits parce qu’elle avait fait faire une robe de peau d’agneau pour moi et n’avait rien de quoi la couvrir. Je ne savais si c’était ami ou ennemi qui écrivait. Je compris qu’en me demandant une robe, on donnait par là moyen d’écrire. Je n’en voulus rien faire, mais je fis réponse par N. même que je n’avais point d’habits, mais qu’il n’y avait qu’à acheter de l’étoffe pour la couvrir, que je ferais rendre l’argent. Vous ne sauriez croire combien on m’a tourmentée pour avoir une robe à moi : je n’en ai point voulu envoyer, j’ai envoyé de l’étamine en pièce pour me faire un manteau. Ils m’ont envoyé une robe de peau d’agneau la mieux choisie du monde que N. a payée soixante-deux livres ; mais comme il y avait du ruban qu’ils ne comptaient pas, n’ayant rien, j’ai envoyé sans savoir à qui des babioles. Je crus d’abord que c’était le petit ch.1 C’est donc un tour de bar [aquin]. [f° 186v°] Dans la dernière lettre qu’ils m’ont écrite, il y avait : « Ma fille Babette vous salue », mais je me suis mise en tête que le petit ch. s’appelait babet. Bref, de tout cela, j’ai eu deux robes, et c’est N. lui-même par qui tout cela a passé. Il reçoit des lettres de tous ceux qui lui en portent ; pourvu que tout passe par lui, il est content. Les lettres vous feront voir tout cela, mais ce tour-là n’est pas bien.

Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N. [Fénelon], mais Dieu le veut pour Lui. Il me semble que je vois l’effet de mon songe [d’] il y a huit ans : une femme l’a arrêté, l’abandon de cette femme le fera aller. C’est par la perte de tout qu’on trouve tout. Je bénis Dieu de l’abandon du b [Beauvillier] ; Dieu assurément prendra soin de lui, Sa main ne sera pas abrégée2. Je vous prie d’envoyer quérir le petit ch. et lui dire que vous avez appris que bab [et] se vantait de cela. Dites-lui que j’ai assez de chagrin sans m’en attirer encore. Vous savez mieux que moi ce qu’il faut faire. Je crois que Dieu mettra N. [Fénelon] hors d’état de trouver de refuge autre part qu’en Dieu : c’est l’unique appui d’un homme de son caractère. Tout autre appui est un roseau cassé qui perce la main de celui qui s’y appuie. Bon courage en J [ésus] — C [hrist] !

Oh ! ne vous étonnez pas de vos faiblesses, mais confiez-vous à Celui qui est tout, et force et sagesse et bonté et fidélité ; laissez-vous entièrement à Lui pour tout.

J’ai cru qu’il était de conséquence de vous éclaircir sur bab [et] et vous envoyer les preuves. Ces gens-là me font du mal en tous lieux sans que j’y puisse parer. Je n’ai écrit à qui que ce soit au monde qu’à vous par la voie de N. Les autres lettres sont par N., qu’il m’a fait écrire lui-même. Vous voyez qu’ils se plaignent, même que mon billet est court. Enfin j’ai cru ne rien risquer par là et voir de quoi il s’agissait, mais je vois bien à présent que c’est bab [et] et Mlle Van.3 et non le petit ch. Soyez sûre que je [f° 187] n’écrirai à âme vivante qu’à vous, encore appréhendè-je beaucoup lorsque j’envoie. Cela me paraît bien extraordinaire, mais en l’état où je suis, on ne devine guère. Surtout comme tout passait par N., je ne craignais rien.

Je n’ai rien à vous mander sur N. [Fénelon] sinon que l’abandon à Dieu ; j’espère qu’Il le sanctifiera, mais je ne puis supporter sa hauteur et sa sécheresse comme le grand-père [le roi]. On prend plus de mouches avec du miel qu’avec du vinaigre. Tout dépend de R 1 Le petit ch [eval] ? Déjà rencontrée.

2 Isaïe, 59, 1 : La main du Seigneur n’est point raccourcie… (Sacy). Souvent cité par Madame Guyon.

3 Non identifiée.

b Illisible

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 186], « mai 1697 ».

a Lecture incertaine.

[ome], d’y avoir des amis et de l’intrigue, sans quoi rien ne va. M. de Rheims a entre les mains Saint Clément et d’autres écrits. C’est le temps de la tempête et de la destruction. Si mon amitié vous console, vous devez être bien consolée, car je vous aime et vous goûte tout à fait, mais c’est le temps de souffrir. Dieu ne bâtit un édifice que par la destruction : soyons les victimes. N. [Fénelon] s’est si fort consacré et a tant demandé l’humiliation qu’il l’a eue. Dieu lui-même, en lui ôtant tous les appuis, le fera tomber dans Son ordre et fera Son œuvre en lui et par lui, lorsqu’Il l’aura détruit. Bon courage, adieu.

Je ne sais par qui il s’est fait porter ces robes chez N. [le curé ?], mais il dit toujours : « Ce bonhomme et cette bonne femme ». S’il vous en parle, demandez-lui si je n’ai point écrit à quelqu’un par lui ; il dira peut-être « À de bonnes gens » ; vous direz : « C’est les bonnes gens qui sont si aises d’avoir des lettres qu’ils s’en vantent d’ordinaire comme de choses qui leur font honneur et plaisir » ; et si vous approfondissez cela, vous verrez que ce sont ces bonnes gens, car N. fait les choses et les oublie. N’écrivez qu’un mot pour tirer d’inquiétude. Je ne sais si je pourrai écrire.

Je vous dirai que N. [le curé] est venu, qu’il me tourmente avec excès pour me faire avouer mille faussetés, et dit que je suis [f° 187v°] dans l’illusion, qu’on n’en peut douter, et qu’une personne dans l’illusion est capable de tout. Je lui ai répondu que, pour l’illusion, je le croyais lorsqu’on me le disait, que j’étais prête, comme je lui avais toujours dit, à tâcher de faire l’oraison comme on me l’ordonnerait, qu’on ne me prescrivait rien sur cela, et qu’ainsi je demeurais dans ma bonne foi jusqu’à ce qu’on me dise autrement ; que pour des choses de fait, que ni la prison, ni la question, ni la mort ne me feraient point avouer des faussetés, mais que je ne lui dirais jamais une parole de justification. J’ai écouté ensuite, sans lui répondre une parole, les choses du monde les plus dures pendant un temps considérable. Il m’a dit ensuite que le livre était à l’Inquisition, et que cependant c’était mon esprit rectifié ; que l’auteur, le pauvre homme, avait ouvert son cœur et avoué qu’il ne l’avait écrit que parce qu’il avait la tête pleine des maximes que je lui avais débitées. Il ne m’a plus parlé de l’extrait de la lettre qu’il me devait apporter, mais il me fait un péché mortel d’être cause du livre. Il m’en fait un autre de ce qu’il dit qu’on a chassé quatre dames de St-C. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 187].

aLecture incertaine.

2 Le « petit cheval », déjà mentionné ?

de faire voir que cela ne peut être, il lui dit que ce qu’elle dit pour m’excuser lui fait voir qu’elle a une méchante âme, et qu’il juge d’elle toute sorte de maux et sur cela, lui refuse l’absolution. Ma fille m’a envoyé des livres, dit-elle, pour me divertir, que j’ai renvoyés sans les lire étant bien éloignés de me convenir. La prudence est bien nécessaire, et un petit mot que ma fille peut dire, même avec bonne intention, à cet homme-là, peut beaucoup nuire.

Mais je laisse tout. Dites au jardinier, si je change, de suivre de loin jusqu’au lieu où l’on me mettra et de vous le venir dire, que vous reconnaîtrez sa peine : il le fera. N’y aurait-il pas moyen que vous puissiez m’envoyer, par cet homme, un peu de tabac ? Ma toile sera-t-elle perdue ? Il m’est venu dans l’esprit que si l’on me transférait, il serait à propos que j’eusse quelque argent, que je ferais coudre sur quelque endroit, car quelquefois cela est bien nécessaire. En ce cas, je vous enverrai un billet de dix louis à recevoir sur M. L… ; mandez-moi votre pensée. J’ai employé un louis, j’en ai encore un.

Depuis ma lettre écrite, la fille qui me garde s’est avisée de dire qu’elle avait ouï un grand bruit toute la nuit, ce qui est bien faux, car je ne dormais pas et je n’ai rien ouï ; elle fut faire du bruit. C’est le jardinier qui l’assura que cela était faux et qu’on n’avait fait aucun bruit. Je dis la même chose sur ce [f° 188v°] qu’on me vint dire ; elle persista à dire qu’elle n’était pas dupe, et ensuite est allée à Paris faire un fracas horrible. On est venu condamner la seule vue qui restait. C’est tous les jours de nouvelles suppositions, et on a dessein, voyant que je ne donne aucun sujet, de me maltraiter. Le jardinier dit qu’il sait des choses que, si on les savait, que non seulement elle, mais toute la société serait chassée. Son confesseur lui a défendu de les dire, assurant qu’il perdrait cette société s’il les disait. Pour moi, je le ferais plutôt exhorter au secret qu’à le dire, car je laisse la vengeance au Seigneur, et j’ai défendu qu’on lui demandât ce que c’est, cela étant arrivé avant que j’y fusse. Jugez en quelles mains je suis. N.2 leur vaut déjà plus de quinze cents livres de rentes. Dieu soit béni. Mandez-moi qui on a exilé, parce que le bon prêtre, confesseur du jardinier, lui a dit qu’on avait exilé un de ses amis particuliers, que les lettres de cachet volent, que cela est horrible. J’aime bien les trois bons amis, surtout N. et celui qui le sert si bien. Je vous embrasse mille fois. J’ai certaine peine sur le petit ch.2 : est-il revenu de la campagne ?

1 L’Explication des maximes des saints.

[yr], et que c’est moi qui leur ai rempli la tête. Il y en a une que je n’ai jamais vue.

Ce qui me fait plus de peine, c’est le tourment qu’il fait à mes filles pour faire avouer des faussetés. Si elles disent : « Cela n’est pas », ce sont des emportées ; si elles ne disent mot, elles sont convaincues. Je crois qu’il leur fera tourner la cervelle. Manon en est si changée qu’elle n’est pas reconnaissable, je crains qu’elle ne tombe tout à fait malade ; cela me ferait bien tort en l’état où je suis, mais la volonté de Dieu soit faite. Il menace ouvertement du retour à Vincennes. Je lui ai dit que j’étais toute prête si on jugeait que cela fût nécessaire et se duta [faire], mais je suis résolue de ne répondre pas un mot. Si l’on se confesse d’une parole vivea, il nous la reproche ensuite à toutes les autres confessions. Cependant cela me paraît des roses auprès de la peine de nos amis. Je la sens mille [f° 188] fois plus que tout cela, et j’offre tous les jours ma vie en sacrifice pour la leur épargner. Mandez-moi s’il y a des nouvelles certaines du livre1.

Les fréquentes visites que ma fille rend à N. [le curé] ne me sont d’aucune utilité, bien au contraire ; il faut qu’elle lui ait communiqué une partie de l’aversion qu’il a pour Manon, car il est incroyable comme il la traite. Il m’accuse devant elle de mille choses qui non seulement sont fausses, mais même qui n’ont rien de vraisemblable ; si elle tâche

Quand je vous ai demandé de l’argent, m. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

[adame], je l’ai cru nécessaire, car vous comprenez bien que, quelque affection qu’aient ces bonnes gens, étant très pauvres, chargés d’enfants et d’une mère âgée, le peu que je leur donne les encourage. Je n’ai dépensé le louis d’or qu’à les récompenser. Nous tenons l’argent cousu sur nous, en sorte qu’on ne le peut jamais découvrir. Si je n’avais plus d’argent, je n’oserais jamais les employer, quoique je croie bien que vous leur en donnez de votre côté. L’homme a peut-être compris que vous lui demandiez si on l’avait interrogé aujourd’hui, car il a dit les demandes et les réponses qu’il a faites. La femme même a assuré qu’on l’avait connue pour être sa femme. J’avais cru que Des g1 pourrait garder le secret et qu’il était plus sûr de ne point envoyer chez nous. Je vous laisse la maîtresse.

Vous ne sauriez croire combien je suis touchée de l’état de N. [Fénelon]. [f° 189] J’ai toujours cru que le livre2 serait condamné par le crédit des gens, mais Dieu voulant l’auteur pour Lui et détaché de tout, Il ne l’épargnera pas. C’est la conduite ordinaire de Dieu de joindre les épreuves intérieures aux extérieures ; c’est ce qui rend les commencements bien glissants et qui affermit dans la suite. Ce que le P [ère] l [a] C 7 Fénelon devra quitter Paris le 3 août par ordre reçu le 1er août 1697. « Le 6 août, on parlait beaucoup à la cour et à la ville du départ de l’archevêque de Cambrai pour son diocèse, et tout le monde voulait qu’il soit disgracié… » (Mémoires de Sourches cités par Orcibal).

8 Les deux phrases précédentes sont obscures et difficiles à déchiffrer.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 188v°].

a Lecture incertaine.

[f° 190] était dans une cassette et je n’avais rien. Faites ce qu’il vous plaira sur cela, et sur le reste. Il me vient dans l’esprit de vous dire que vous ne vous livriez pas entièrement à Rem., que vous lui gardiez assez de secret pour que M. de V [ersailles] [Hébert], auquel elle ne cache rien et que l’amour-propre porte quelquefois à se mettre du parti des plus forts, ne sache ce que vous vouleza. On fait grand bruit sur un endroit de muraille plus bas. On soutient qu’on y a passé. Pour moi, je n’y ai jamais vu passer que des chats et je ne savais pas qu’on y pût passer. D’où vient que notre ami ne retourne pas à son diocèse7 ? Il faut qu’il ait des raisons pour cela, sans quoi j’y attendrais en paix ce qu’il plairait à Dieu d’ordonner quel personnage faire en tout ceci. Le p. a son ami M de Cr… 8 je voudrais le savoir, si cela se peut. Je prie Dieu de les soutenir tous, et surtout notre ami, que j’honore et aime comme je dois. Je vous embrasse mille fois.

5aMme de Béthune ?

6 Inconnue.

Dieu tire Sa gloire de tout, cela suffit. Je crois qu’on pourrait avertir ma fille que N. [le curé] n’est pas pour moi, qu’elle prenne de grandes mesures avec lui, surtout pour les livres qu’elle m’envoie. Mad [ame] de B.5a ferait bien cela, si elle était d’une autre humeur ; N. tient assez de discours pour qu’on la puisse avertir sur ce qu’on entend. Vous ferez avec prudence ce que vous jugerez, car ma fille se pique aisément. Je vous prie de m’envoyer de la cire d’Espagne, je n’ose en faire acheter, à cause que je n’écris plus. Je souhaite fort que N. [Fénelon] soit ferme ; c’est un bien pour lui de sortir d’un livre où il tient si fort. Dieu n’établit que par la destruction. Souffrons pour la vérité, et c’est une grâce que Dieu nous fait. Plus les tourments sont grands, [f° 189v°] plus Dieu Se glorifie en nous. Je crois qu’on ne me harcèle comme on fait que pour m’obliger à me plaindre ou à dire quelque chose, mais je ne dis pas une seule parole. Voyez devant Dieu s’il ne serait pas mieux d’envoyer Des g., et faites ensuite ce que Dieu vous inspirera. Je trouverai tout bon.

Depuis avoir écrit jusques ici, j’ai eu une peine très grande. Il me semble qu’on ne manquera jamais de suivre l’homme chez nous, ce qui me fait beaucoup de peine. Je ne me suis même pu résoudre à l’envoyer ; ainsi il faut, je crois, hasarder de se confier à Desg. plutôt que s’exposer que l’homme soit suivi. Je vous prie qu’on n’effarouche pas le petit ch. et qu’on ait pour elle beaucoup de douceur pour tâcher de la mettre en voie. Je vous prie d’envoyer ma boite au plus tôt, je la ferai blanchir. Je ne vous dis pas assez combien je vous aime et combien je compatis à vos peines ; je voudrais les porter toutes. Il me vient de vous dire que Rem.6 est un peu vive sur les personnes qu’elle ne goûte pas : prenez vos mesures là-dessus ; elle est très adroite, d’ailleurs d’esprit bon et sûr. Tant que je pourrai empêcher que le jardinier ne dise ce qu’il sait, je le ferai. Je dis : même quand je n’y serai plus. Il me semble que Dieu me porte incessamment à leur faire du bien pour le mal qu’elles me font ; loin de le recevoir d’où il vient, elles m’en traitent plus mal, croyant que je les crains. Je n’ai jamais été plus délaissée au-dedans que je le suis depuis bien du temps, mais tout demeure comme à une personne qui n’espère ni n’attend.

Je souhaite fort que N. [Fénelon] ne sorte jamais de son abandon, quoique pénible : partout ailleurs, il y trouvera plus de peine et moins de paix. Le temps est fort à passer ; Dieu veut qu’il ne tienne qu’à Lui seul et qu’il perde tout pour Lui. Qu’il soit en paix et que Dieu soit sa force.

On a laissé ce qu’on a sur soi et l’on ne nous fouille jamais. Si j’avais eu sur moi de l’argent cousu ou sur Manon, on ne l’aurait pas pris, mais il

1 La sœur de Famille, cette dernière au service de Mme Guyon.

2 L’Explication des maximes des saints.

3 Inconnu.

4 Le petit ch. : la fille du grand ch. [Mme de Charost ?] ?

5 Le comportement extérieur.

[ombe] a souffert, pendant plusieurs années de sa prison, des peines intérieures, passe ce qui s’en peut dire. La moindre petite chose qu’on fait pour se tirer d’affaire, ne réussit pas, au contraire gâte tout, redouble les peines intérieures, affaiblit et déroute tout. Je voudrais de tout mon cœur porter ses peines avec les miennes.

Que ce que vous me dites du b [Beauvillier] me charme. Pour Let.3, sans philosophie, il serait de même insensible ; dans la situation, on doit être tout intérieur. Il y a je ne sais combien de temps que je sens que le petit ch.4 n’est pas bien, cela me faisait de la peine ; elle serait mieux de n’être pas à la campagne. Son état est la suite d’une éducation mauvaise, et de précipiter les gens où Dieu ne les demande pas. Il faut la ménager avec douceur et avec adresse, crainte de pis [pire]. Je suis bien aise que vous soyez liée avec Dom [Alleaume ?]. Conservez le dehors5 et suivez Dieu autant que vous pouvez. Je vous assure que vous m’êtes infiniment chère, Dieu vous soutient, quoique vous ne le voyiez pas. Il faut que les choses aillent aussi loin que l’Apocalypse les a décrites. Pourvu que

Je vous assure, madame, que lorsque vous me mandez qu’on est bien, il me semble que je n’ai plus de mal. Je crois qu’il faut faire tous les efforts possibles pour aller soi-même à R. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1697.

l’assurance qu’aura le V. P. 3 du désir d’y aller, et de suivre, comme un enfant, sa décision, pourra bien l’incliner.

Pour notre mariage, je ne voudrais ni avancer ni reculer, [f° 190v°] laissant faire les choses par providence, sans s’en mêler en prévenant, ni aussi refuser. Je crois que vous ne devez pas balancer de faire monter M. votre fils à cheval à Versailles. S’il faut y aller plus souvent, c’est notre devoir qui nous y engage ; ainsi lorsqu’on fait ce qu’on doit, il faut laisser dire le monde, qu’on ne contente jamais lorsqu’on est à Dieu.

J’ai bien du désir qu’on aille à R2 Le Saint père ?

1A Rome où le pape doit prendre une décision dans la controverse publique entre Fénelon et Bossuet.

[ome] 1, envoyer, si l’on ne peut obtenir d’y aller, les éclaircissements et la traduction, mander qu’on est résolu d’y aller, si l’on en peut obtenir la permission ; faire voir que cette permission ne se doit jamais refuser ; après avoir fait de son mieux, s’abandonner à la Providence. J’écrirai au S.2 une lettre très soumise, très filiale et d’un style qu’il n’a pas appris de voir dans les adversaires. Après cela, se soumettre avec petitesse, attendant plus de Dieu que des propres efforts. C’est la cause de Dieu : s’Il veut cacher Sa vérité pour un temps, qu’y faire ? Il peut ouvrir le cœur du Saint-Père et l’éclairer. Je ne crois pas qu’on puisse refuser d’aller là. Si on le fait,

[ome]. Il faut prier Dieu qu’il se fasse accorder4. N. hait, dites-vous, et le déclarera ? On se déclarera ainsi contre l’abus, mais ce n’est pas contre la vérité qu’on tâchera d’éclaircir et de faire toucher au [du] doigt. C’est tout ce que je puis vous dire là-dessus. L’ecclésiastique dont je vous envoie les deux lettres, me parle souvent de ce qu’on dit sur N. Je ne sais s’il a envie de savoir si je le connais, mais je ne lui réponds jamais rien sur ces sortes de choses.

J’ai appris enfin d’où venait ce bruit de lettres. C’est de N. [le curé] lui-même. Toutes les fois que j’écris par lui, il fait du bruit qu’il est passé des lettres, sans dire que c’est par lui, afin que cette fille veille plus et tourmente davantage. Sur la lettre que j’écrivis à M. Tronson par lui, le tourment dura deux mois. Si l’on va à R [ome], j’espère qu’on pourra aller au Mont Saint-Michel et qu’il protègera. Notre-Dame de Lorette est-elle trop loin ? Prions Dieu qu’on y laisse aller si c’est pour Sa gloire, et de demeurer unis en Son amour et dans Sa volonté. Ça [Ce] sera nos plus fortes armes. On affecte à présent de faire mettre dans les gazettes que nos amis seront chassés, et les éloges de M. de M 4 A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 190], « mai 1697 ».

3 Le Vénérable père ou Pontife.

[eaux].

« Il [Fénelon] avait demandé congé au Roi pour aller à Rome pour y soutenir son livre […] Le Roi lui ayant refusé, il avait pris le parti de s’en aller à Cambrai… » (Mémoires de Sourches). Le 12 août le Roi et Madame de Maintenon ont approuvé que l’abbé Bossuet et Phélipeaux restent à Rome pour y poursuivre la condamnation de Fénelon.

M. de MLes persécutions affligent la nature, mais elles nourrissent l’amour. Il faut à présent exercer l’abandon qu’on n’a eu qu’en spéculation. Il vaut mieux tout perdre que de trahir la vérité, et si on la trahissaita pour se raccommoder, loin de se raccommoder, on se ruinerait. Je suis très fâchée de l’examen qu’on a demandé1. C’est une faute qu’on fit sur moi et qui est la source de tout ceci. C’est ce que N. ne devait jamais faire, mais la chose étant faite, je suis sûre que les gens choisis condamneront par [f° 191] politique et par ignorance. Plût à Dieu que je puisse, par tout mon sang, empêcher tout ceci et être la seule victime ! Dieu connaît mon cœur là-dessus. Pour les livres, si on oblige de les condamner, je dirais, si la chose a été confondue en ce sens par l’auteur : «  Il ne vaut rien » ; mais de cet autre sens, il est bon qu’on fasse contre moi ce qu’on voudra ; mais il faut périr plutôt que de trahir la vérité.

      1. Qu’avons-nous à perdre ou à gagner dans le monde ? Pourquoi parler de l’abandon si nous ne sommes abandonnés dans l’occasion ? Le tonnerre qui gronde si fort n’est pas toujours le plus à craindre. Voyons ce que les martyrs ont souffert. Souffrons avec Jésus-Christ, mais ne trahissons jamais la vérité. Plutôt tout perdre. La vérité nous fera tout retrouver en Dieu. Je ne puis que je ne sois affligée de l’examen : on ne devait jamais demander cela. Pour vous j’espère qu’on vous laissera en repos, vous ne faites ni bien ni mal à ces gens-là. La main de Dieu n’est pas abrégée. Monsieur de Meaux a cherché le crédit et la fortune, il l’a trouvée. Cherchons Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, humilié, combattu, décrié : nous le trouverons. Je suis sûre que si l’on trahit la vérité pour l’établir, on fera tout le contraire, et les peines qui succèderaient seraient de grands bourreaux. Lorsque la conscience ne reproche rien, et qu’on n’a point trahi la vérité, l’on porte en paix les disgrâces. Laissons-nous dévorer à l’amour ; soyons ses victimes, et l’amour établira son empire par notre destruction. Tout ce que nous voyons ne nous doit pas surprendre, si nous considérons par quelles voies Jésus-Christ a établi son Église. La prospérité est le partage des impies, mais l’affliction est le partage des serviteurs de Jésus-Christ. La vie est courte, Dieu a Ses vues et Ses desseins pourvu que nous n’abandonnions point la vérité ; la vérité elle-même nous défendra. Quelle honte serait-ce de l’abandonner après l’avoir obtenue !

. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

4 Comparaison familière et concrète entre expérience et raisons qu’on y oppose.

5 Madame Guyon croit avoir trouvé la solution : méthode expérimentale et témoignages… comme si ces gens étaient de bonne foi et réceptifs, acceptant d’être contrariés !

6 Cette lettre.

3 Affirmation capitale sur le primat de l’expérience.

1 Psaume 73, 19.

c l’expérience (de tant de illisible) peut-on

b Lecture incertaine.

aon la (raccomodait biffé) trahissait

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 190v°] : « Juin 1692 ». Le début (« Les persécutions… Je suis très fâchée de l’examen qu’on a demandé. ») est repris au [f° 207v°].

du ch., car quand on se cherche, on s’égare. J’ai de la joie de tout le reste. J’espère que Dieu vous aidera jusqu’au bout, je L’en prie de toute l’instance dont je suis capable. Il n’est pas vrai qu’on ait découvert aucun commerce. Ces gens sont sûrs et Dieu l’est encore plus. Je prie Dieu qu’Il soutienne tout et qu’Il m’accepte pour victime pour tous.

Je songeais, il y a quelque temps, que je voulais passer par une porte si étroite qu’il m’était presque impossible ; N. me disait d’y passer, et je faisais des efforts qui me paraissaient m’aller écraser ; il me tendit la main, je passais avec bien de la peine ; je crus, en passant, avoir fait tomber la porte sur lui, je restais fort effrayée, mais, avec une main, il la replaça, et je me trouvais avec lui dans une église fort spacieuse et pleine d’un très grand monde ; comme je fus dehors, je trouvais que tout le monde mangeait des feuilles de chêne vertes, et chacun m’en offrait ; je n’en voulais point, disant que je me nourrissais de viandes plus solides ; on me reprocha mon mauvais goût, disant que c’était ce qu’il y avait de plus à la mode et que tout le monde les trouvait excellentes. Il n’est que trop vrai qu’on se repaît de feuilles et qu’on rejette le pain vivant et vivifiant ! Prions tous le Seigneur qu’Il ait pitié de Son peuple, humilions-nous devant Lui. Que savons-nous s’Il ne changera pas le conseil des hommes ? S’Il ne le fait pas, adorons, mais ne cessons [pas] de L’importuner afin qu’Il n’abandonne pas aux bêtes de la terre les âmes qu’Il a rachetées1.

Vous [f° 192] avez dit à l’homme d’aller chez vous lorsqu’il était à Paris. Je vous prie de lui dire de n’y point aller, et je l’enverrai seulement les premiers lundis des mois, à huit heures, aux Jacobins. J’ai une furieuse défiance de votre domestique. Si vous croyez même qu’il y ait du danger aux Jac [obins], il vaudrait mieux se priver d’avoir des nouvelles. Votre pensée sur cela, je vous prie, mais que l’homme n’aille point chez vous.

Je ne puis m’empêcher de me sacrifier sans cesse à Dieu afin que tout tombe sur moi seule. J’ai une extrême peine que N. [Fénelon] se soit soumis à des gens qui n’ont nul droit sur lui, et à gens prévenus. Il est certain que, dans le système de l’intérieur, il y a le droit et le fait ; le droit est ce qui regarde certains dogmes et certaines expressions, ou de vouloir établir en règle générale ce qui n’est qu’une conduite particulière de Dieu, et c’est ce qu’on peut régler par la doctrine et l’autorité ; il y a le fait, qui est l’expérience d’une infinité d’âmes qui ne se sont jamais vues et qui n’ont jamais ouï parler de ces choses. Qu’un médecin veuille persuader à un malade qu’il ne souffre pas une certaine douleur dont il est fort travaillé, parce que lui, médecin, et d’autres ne la sentent pas, le malade qui sent toujours la même douleur, n’en est pas plus persuadé ; tout ce dont il reste persuadé, après bien des raisonnements, est : ou que le médecin ne l’entend pas, ou qu’il ne sait pas expliquer son mal en des termes qui se puissent faire entendre. Il en est de même des expériences de l’intérieur. Je captive et soumets mon esprit pour croire que ce que je souffre ou expérimente n’est ni un tel bienb ni un tel mal, et c’est ce qui est du domaine de la raison et de la foi ; mais je ne suis pas maître de mes douleurs, ni ne puis me persuader ni par la raison ni par la foi, que je ne les sens pas, car je les sens véritablement. Tout ce que je puis faire donc, est de croire que je m’en exprime mal, qu’elles ne sont pas d’un tel ordre de certaines maladies, que je donne à ces [f° 192v°] douleurs des noms qu’elles ne doivent pas avoir ; mais de me convaincre que je ne les sens pas, cela est impossible : elles se font trop sentir. Je n’en sais ni la cause ni les définitions, mais je sais que je les endure. On me dit à cela que tels et tels les ont contrefaites, que d’autres se sont imaginées d’en avoir, etc., qu’enfin peu d’âmes ont ces douleurs, et que par conséquent je ne les ai pas. Je crois tout cela, mais je n’en puis croire la conclusion qui est que je ne les sens pas, parce que ce qu’on sent et souffre tombe sous l’expérience, demeure réel et ne peut être la matière de ma foi. Je croirai que des gens l’imaginent, [que] d’autres contrefont, d’autres exagèrent leurs maux, d’autres abusent ; je croirai encore que la tendresse que j’ai pour moi me fait exagérer mes maux, me leur fait donner un nom qu’ils n’ont pas ; mais je ne croirai point, lorsque je les sens avec tant de violence, qu’ils soient imaginaires en moi, puisque je les souffre.

Je ne dirai donc pas, si vous voulez, que tels et tels sont intérieurs, je ne dirai pas que je le sois moi-même, mais je sais bien que j’ai fait un chemin où j’ai trouvé bons ces passages. Je ne dispute ni du nom des villes que j’ai trouvées en mon chemin, ni de leur situation, ni même de leur structure, mais il est certain que j’y ai passé. J’ai éprouvé telles et telles douleurs, telles et telles syncopes, je ne dispute ni de leur nom ni de leur origine, mais je sais que je les ai souffertes et n’en puis douter. Il me semble qu’on ne peut pas se dispenser, pour savoir la vérité, de soutenir la vérité de l’expérience intérieure, qui est réelle. Pour les noms, les termes, les dogmes qu’ils veulent introduire, plions et soumettons, mais dans le fait de l’expérience de bon de saintes âmes, peut-onc dire, avec vérité ni même avec honneur le contraire ? Et quand nous serions assez lâches pour le faire, l’expérience de tant de saintes âmes qui ont précédé, qui sont à présent et qui viendront après nous, ne rendrait-elle pas témoignage contre nous ? Tout passe, la force, les préjugés, etc., mais la vérité demeure. [f° 193] Il me paraît de conséquence de séparer ici le dogme, je ne sais si je dis bien, du fait de l’expérience3.

Tous les cheveux me sont tombés; ils ne tombent pas, me dira-t-on, en un tel temps, pour telle ou telle raisons ? Je ne sais ni les raisons ni les choses, cependant il est de fait qu’ils me sont tombés, que je n’en ai plus et que j’en avais. Je vous écris simplement ce qui me paraît d’une extrême conséquence à séparer.

Je crois que je ne vous écrirai plus, car je ne puis me résoudre à vous envelopper dans mes disgrâces ; il me suffit de souffrir. Plût à Dieu que je payasse pour tous !

Le droit s’appuie ou se détruit par le raisonnement, mais le fait se prouve par témoins. Il faut donc demander à prouver le fait avancé par une foule de témoignages, changer les termes et les dogmes par soumission, mais soutenir le fait qui, étant toujours ce qu’il est en soi, ne doit être altéré ni par l’autorité ni par les termes, etc. Jusqu’à ce qu’on vienne, et demander de prouver par témoins ; et jusqu’à ce qu’on ait établi tous ces témoignages, on croira toujours qu’on en impose au public. Si le livre n’était pas fait, le meilleur parti serait le silence pour n’engager pas des esprits violents à déchirer la vérité. Mais le livre étant fait, il faut faire croire qu’on n’a rien écrit qui ne soit dans les ouvrages des saints. Du reste des termes, si on a dû écrire ces choses ou ne les écrire pas, si l’Église n’approuve plus ce qu’elle a approuvé, c’est à quoi il faut se soumettre. On dit à l’aveugle-né : « Donne gloire à Dieu, cet homme est un méchant.  —  Je ne sais, dit-il, s’il est méchant, mais je sais que j’étais aveugle et que je vois ». Son père et sa mère dirent de même sur le fait : « Nous n’entrons point dans tout le reste. Le fait est que c’est notre fils, qu’il est né aveugle et qu’il voit ». Que si deux témoins irréprochables suffisent pour prouver un fait en justice, combien ces témoins sans nom ne doivent-ils plus suffire ? Rien ne prouve tant la vérité du fait que la souvenance d’expériences [f° 193v°] qu’ils ont tous. Si l’on examine le livre, que ce soit en présence de l’auteur, qu’il prouve par les auteurs ce qu’il a avancé : il faut faire écrire ce qui sera conclu sur le champ5.

Je ne sais ce qui est arrivé, mais il y a du tracas. On envoya quérir hier fort tard la supérieure. J’envoie celle-ci6 avant qu’elle soit venue, [de] crainte de ne le pouvoir plus faire. J’enverrai, si je le puis et s’il n’y a rien de nouveau, le premier lundi du mois aux Jacobins, mais plus chez vous.

2 Jean 9, 24-25 et 20-21.

2 Quarteron qui reste indéterminé : les juges Romains ?

1 S’agit-il de l’examen demandé par Madame Guyon à Madame de Maintenon, sous la pression de ses amis ? Plus probablement de l’enquête menée par le duc de Chevreuse.

[eaux] parle contre [f° 191v°] ce qu’il croit et connaît, et Dieu saura bien l’en punir un jour. Le livre sera condamné par les examinateurs, cela est sûr. L’Église seule, et non quatre têtes prévenues et politiques2, doit faire la règle, et il ne faut pas plier sur cela ; mais la chose étant faite, point de faiblesse. Mourons, s’il faut mourir. Plût à Dieu que ma mort la plus rigoureuse et la plus ignominieuse pût L’apaiser ! Je ne suis point surprise

Je ne suis point surprise que les choses aillent à toute extrémité, mais je le suis beaucoup, ou plutôt je suis plus affligée que surprise, que les amis aient si peu de cœur. Mais il faut s’attendre à tout des personnes vivantes, et où l’amour-propre règne. Mais pourquoi s’amuser aux conférences ? Qu’on ne perde pas un moment à demander d’aller à R. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

[ome] et à envoyer le livre1. On attend toujours que les choses soient sans remède. Rien ne m’ébranle sur cela, et je persiste dans la pensée qu’on ne doit pas différer d’un moment à le faire. Il faut ensuite en laisser l’événement à la Providence. Mais pourquoi faire d’autres tentatives ? On ne demeure pas ferme dans une résolution. Qu’on se borne à solliciter pour aller à Rome, qu’on commence par envoyer le livre et les éclaircissements, avec une lettre extrêmement soumise qui explique encore l’intention qu’on a eue.

Je rêvais une de ces nuits que tous les amis avaient tourné le dos, que vous étiez seule restée, mais si ferme que vous m’aidiez à marcher dans les rues. Dieu vous bénira, mon enfant, Dieu vous bénira. Il faut, selon l’Apocalypse, que tout aille jusqu’aux plus grandes extrémités. Ce sera un saint Jean Chrysostome s’il est ferme2. Mais que craindre ou qu’espérer ? En Dieu, n’est-on pas au-dessus de tout, et en soi n’est-on pas au-dessous de tout ? Point de paix que hors de nous. Laissons donc tout intérêt, ne songeons qu’à [f° 194] aller à R [ome], et laissons les autres faire ce qu’ils voudront. Si on ne se sent pas assez de courage pour poursuivre d’aller à R [ome] et rompre toutes conférences, qu’on aille dans son diocèse, et que de là, on écrive au P 1 Fénelon restera à Paris jusqu’au 3 août, date à laquelle il se rendra dans son archevêché de Cambrai, n’ayant pu obtenir du Roi la permission d’aller défendre sa cause à Rome.

2 Il s’agit bien entendu de Fénelon. Devenu évêque de Constantinople, l’intransigeance de Saint Jean Chrysostome lui aliéna beaucoup d’intrigants. Il fut déposé, rappelé, déposé à nouveau, banni, et mourut, épuisé par des marches forcées, en 407. (v. DS, 8 333).

3 Les amis de Mme Guyon, et particulièrement Fénelon, hésitaient sur la conduite à tenir vis-à-vis de la très intelligente dame. « Feu » est expliqué par « coup » qui suit.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), f° 193, « juin 1697 ».

[ape], qu’on fasse connaître adroitement la cabale, mais surtout qu’on témoigne vouloir suivre à l’aveugle la détermination du Saint-Siège. Pourquoi n’en demeure-t-on pas là ? Et pourquoi reste-t-on entre deux termes, à écouter le sifflement des troupeaux ? Quand M. de Paris promettrait tout, il ne tiendrait rien : on ne sait à présent ce que c’est que de tenir aucune parole, et la probité est bannie de dessus la terre. Tout court à la faveur, et les plus grandes indignités sont permises par là. Ne cherchons que la faveur du ciel, et nous l’aurons.

C’est un feu bien adroit3 de la dame [madame de Maintenon] pour se tirer de tout blâme, d’attirer à elle les amis, et le coup est d’une adresse et d’une politique étonnante. Je ne puis croire qu’elle les aime, mais lorsqu’ils auront servi à ses desseins, ils l’éprouveront telle qu’elle est. Heureux qui ne s’attache qu’à Dieu : il trouve en Lui la paix au milieu des plus grands maux. Dieu est jaloux du cœur de N. [Fénelon], Il le veut tout pour Soi, Il est fâché de son partage. Une marque qu’il tenait est la peine qu’il a de tout perdre. Quand il aura tout perdu, il trouvera tout.

Je n’ai pas entendu ce que vous voulez dire. Qu’ils demandent seulement que N. [Fénelon] dise qu’il s’est mal expliqué et ensuite qu’il s’explique, puisqu’on trouve son explication aussi mauvaise que son livre. Ce sont nos termes. Si l’explication ne vaut rien, le seul aveu qu’on ne s’est pas bien expliqué la première fois peut-il rendre bonne la seconde explication, si on trouve qu’elle ne l’est pas ? Il est certain que si, pour apaiser toutes choses et rendre la paix à l’Église, il ne fallait qu’avouer qu’on ne s’est pas bien expliqué, je n’en ferais point de difficulté, [f° 194v°] puisque le bien général de la paix est préférable à un intérêt particulier, et ainsi je ne rejetterais pas la négociation de M. de V. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

[ersailles] 1 avec les missions étrangères, si l’on était sûr de cela. Mais comme vous croyez qu’on ne cesserait pas de poursuivre quand il aurait accordé cela, de quelle utilité peut être d’accorder ce qui ne termine rien ? J’enverrais mon livre incessamment à R ajouterais à la seconde édition, car c’est ce qui est le plus propre à faire revenir les gens qui ne sont que prévenus sans être mal intentionnés. Je ne perdrais pas un instant à envoyer toutes choses à R1 François Hébert, v. Index. Il est rare de désigner un curé par « M. de… » on ne sait rien sur la négociation.

[ome], mais je ne l’enverrais pas sans envoyer le recueil des passages qui le soutiennent. Je les

2 Juste pressentiment, v. Vie 4 (le récit des prisons).

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 194].

[ome], car peut-être ne le voudra-t-on plus. Il est sûr que si, en mettant qu’on ne s’est pas assez bien expliqué, tout peut être en paix, il le faut mettre sans hésiter, mais si cela est inutile, il nuirait et ne donnerait pas la paix.

J’ai au cœur que les choses seront encore plus extrêmes2, car Dieu semble ne pas épargner. Peut-être est-ce une terreur panique, qui vient des continuelles malices qu’on a essayées. Je prie Dieu qu’il éclaire et console.

plus, pour comble de malheur, que vous vinssiez à changer ; je ne le crois pas. Je vous aime au-delà de tout. Bon Dieu, qu’est devenu N. [Fénelon] ? Est-ce le même homme ? Comment le tut1 Le 12 janvier 1697, M. Tronson prévient Fénelon qu’il n’a pas fait de démarches auprès de Godet-Desmarais. Mais celui-ci lui a écrit le même jour pour l’inviter à « désabuser » l’archevêque et ses amis « de l’estime qu’ils ont pour Mme Guyon ».  (Orcibal, CF, chronologie)

      1. Je ne vous saurais exprimer la douleur où je suis de la faiblesse de N. [Fénelon], non pour ce qui me regarde, Dieu m’en est témoin, et que je préférerais la mort la plus cruelle à le voir trahir la vérité. Il n’y aurait pas d’autre parti à prendre pour lui que d’attendre la décision du pape et se soumettre à cette décision. Quel droit ont les autres de le juger ? La fermeté l’aurait fait souffrir un peu, mais lui aurait attiré dans la suite l’estime de Dieu et des hommes. Qu’a-t-il à perdre ? Et quelle crainte doit-il avoir d’être chassé, puisque cela même serait son avantage selon Dieu, et lui rendrait la paix ? Pourquoi avez-vous cessé de le voir ? Vous l’eussiez peut-être soutenu. Dieu saura se susciter d’autres défenseurs, s’Il le veut. [f° 195] Je suis sûre qu’il s’attirera même le mépris de ceux qui lui font faire ces choses1.

      2. J’ai vu, il y a environ six semaines, me promenant le matin, ayant levé les yeux au ciel, une grande croix d’un nuage, le mieux formé que j’ai vu, qui dura un demi-quart d’heure, ce qui me fit une grande impression. Quelques temps après, je vis un glaive assez lumineux. Depuis ce temps, je fais des songes les plus affreux. Je ne suis point surprise de la mère du petit ch. Si on l’abandonne de cette manière par amour-propre, à qui Dieu en demandera-t-Il compte ? Il ne faudrait

. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

[eur] [Chevreuse] souffre-t-il2 qu’il fasse de pareilles choses ? Fallait-il commencer par soutenir la cause de Dieu pour l’abandonner ensuite ? Il eût été bien mieux de ne pas écrire. Mais comme le motif d’écrire n’a peut-être pas été pur ; Dieu, qui ne veut rien souffrir de cette nature, permet toutes ces choses. Pour moi, je ne puis que Lui abandonner de plus en plus Sa cause et Le prier de Se faire des cœurs fidèles. Ce livre m’a toujours fait peine. Il fallait attendre que monsieur de M [eaux] eût écrit, et ensuite faire un grand ouvrage soutenu des passages, l’envoyer à R [ome], manuscrit, avant de l’imprimer, et demeurer ferme sur cela. Tout ce que vous dites est très bien pensé. S’il n’a pas encore fait le pas, soutenez-le, je vous prie, sinon gémissons devant Dieu. C’est tout ce que je puis. Je perds les yeux et ne vois quasi pas à écrire. Je ne puis lire une ligne, mais n’importe.

Savez-vous que l’abbé de Lan [ion] 3, qui a commencé le premier avec M. Boi [leau] cette persécution — le tut [eur] le connaît —, s’est allé faire huguenot ; il a été demander au p a Illisible.

2 Chevreuse avait été profondément impliqué lors des épisodes des discussions d’Issy et pouvait donc intervenir facilement auprès de Fénelon. Ce dernier subissait des pressions multiples de la Cour, ignorées peut-être de la prisonnière qui doute de lui. Par tempérament et par finesse, il explore les accommodements possibles — jusqu’au point d’honneur. Cette limite est atteinte lorsqu’on lui demande non seulement de se distancier de la prisonnière (ce qu’elle avait demandé à ses amis), mais de la désavouer ; il écrit alors des lettres courageuse, mais qui demeurent évidemment ignorées de Mme Guyon.

3Inconnu de même que les personnages suivants.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 194v°].

[rince] d’Orange une place de ministre ; il en a été refusé ; il est allé à Genève. C’est cet ecclésiastique qui m’a mandé cela. Il était de ses amis. Il dit que [195 v°] N. écrit pour rétracter son livre : on en triomphe. Si vous m’envoyez ma boîte, cela ferait blanchir ici. Je prie sans cesse pour l’aub. Je ne doute point que Dieu ne récompense votre fidélité. Bon courage. J’aimerais mieux expliquer le livre, mais pour l’abandonner, je ne le ferais jamais. C’est le plus mauvais parti.

Je suis ravie de ce que vous me mandez du p.2 Je voyais bien qu’il commençait à être un peu éprouvé. Il faut qu’il apprenne à ses dépens à perdre tous les appuis de sainteté et de vertu ; c’est une doctrine bien combattue, où néanmoins l’expérience ne rend que trop savant. Pour le bVous ne sauriez croire combien je suis affligée de tout ce que vous me mandez de N.1 Il n’a garde qu’il ne soit troublé. J’espère que Dieu Se servira de cela pour l’éloigner d’un lieu qui lui est si funeste puisqu’il y tient si fort. J’ai toujours connu son attache pour une certaine personne. C’est ce qui lui tient le plus au cœur. Pourquoi ne vous voit-il plus ? Cela m’afflige, mais j’espère que la tempête le jettera au port, et que lorsqu’il sera éloigné de ce lieu, il sentira le repos que son attache lui dérobe. Je prie Dieu pour lui de toute mon âme.

. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

[on] P [ère] 3, Dieu le bénira. Ce sera poussé plus loin.

Vous ferez bien, les choses étant comme vous me les mandez, de laisser le petit ch. à la campagne. Le grand [ch.] est-il toujours fort lié à Rem. ? Je comprends que vous devez avoir le cœur bien serré. Pour M. de V [ersailles ?] 4, il est bien loin de pouvoir vous aider avec son amour-propre. Dieu nous appelle à bien plus de pureté d’amour et de dégagement. Laissez-vous conduire par la Providence : c’est un bon guide, elle ne vous laissera pas égarer, quoiqu’elle vous déroute quelquefois. Ne laissez pas le pauvre N. à lui-même, voyez-le malgré lui, et tâchez de le faire rentrer dans son premier abandon. Je vous donne mission pour cela. Voilà un billet pour prendre deux cents livres sur M. Le L. Il n’est pas juste que vous mettiez [196 r°] du vôtre. J’espère que la bourse du petit Maître fournira à tous. Ne lui témoignez pas que je vous écris. Je ne le date pas : il servira en temps et lieu.

L’ecclésiastique que je vous ai mandé être le confesseur de ces bonnes gens m’a encore écrit. Il m’a mandé que N. avait fait un livre, me l’a même envoyé pour lire, mais je n’ai fait semblant de rien. Je sais qu’il connaît nos adversaires, qu’il est de leurs amis et qu’il est très instruit de ce qui se passe. Cela m’a fait tenir sur mes gardes. Il m’a mandé que le livre était fort combattu, qu’on l’avait envoyé à R A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 195v°].

faut pas s’étonner qu’on presse si fort N. [Fénelon] de le soumettre aux évêques. J’attendrais assurément la décision du pape et tiendrais ferme sur cela sans plus varier. C’était l’unique parti qui était à prendre. Il m’a aussi envoyé une lettre supposée écrite par une personne qui a pris le parti de se faire religieuse. Elle se vend chez Coignard, rue St Jacques, à la Bible d’or. C’est proprement une critique du livre de N. tourné en ridicule par ses propres expressions ; faites-la acheter. Il m’a mandé qu’on disait que je ne serais plus guère ici. Il dit encore que N. a lu son livre en Sorbonne pour le faire approuver. Je me tiens sur mes gardes et ne réponds qu’en général, comme n’y prenant pas d’intérêt. Si j’apprends autre chose, je vous le ferai savoir. Ces bonnes gens paraissent tristes et découragés : ils croient peut-être qu’en ne portant pas les lettres chez nous, ils n’auront rien. Je laisse tout entre les mains de Celui qui doit tout régler. Je vous embrasse et aime de tout mon cœur.

Cet ecclésiastique m’a mandé qu’un grand directeur de la Cour — il le nomme même directeur de M. et madame de B., de madame de Ponchartrain —, a dit au curé d’Issy que j’étais dans sa cure. Le curé a répondu qu’il ne pourrait approuver la dureté avec [196 v°] laquelle on me traitait. Il lui a répondu que j’étais un esprit dangereux, et qu’on faisait bien de m’empêcher de voir personne. Ce curé a toujours soutenu que la conduite était trop rigoureuse, à quoi le directeur répondit : « On aurait pris des mesures, il y a quelques jours, pour l’ôter de là ; je ne sais pourquoi on ne l’a pas encore fait. »

1 Fénelon, attaché à une certaine personne de la Cour : Mme de Maintenon ?

2 puteus (Dupuy) considéré déjà auparavant comme « trop sage » ?

3 Nous ne savons pas attribuer de nom avec certitude. Il en est de même pour presque tous les personnages auxquels cette lettre fait allusion.

4 François Hébert ?

[ome], que le pape n’ayant pas voulu qu’il fût à l’Inquisition, avait nommé deux cardinaux pour l’examiner, et qu’il le croyait approuvé. Si cela est, il ne

condamnait pas mon livre dans son cœur et qu’il ne le faisait que par politique, par respect humain et pour ne pas perdre la fortune. Il m’a dit : « Enfin tout tombe sur la pauvre madame, en me nommant. Vous voyez que vous n’avez plus d’amis. » Je lui ai répondu : « Trop est avare à qui Dieu ne suffit. » Il m’a dit ensuite, [qu’] il avait écrit à R1 Le Moyen court […] et le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique […]

      1. 2 Au premier livre de Fénelon, l’Explication des maximes des saints, publié le 29 janvier, ne succèdera aucun « second » livre en 1697, mais de nombreux — et courts — opuscules (v. Fénelon, Œuvres I, 1983, « Chronologie », XXXIII et suiv.). Il faut attendre la fin août 1698 pour que la Relation sur le quiétisme de Bossuet, écrit qui se veut historique et « présente Mme Guyon comme folle et inquiétante » (Id., « Notice » par J. Le Brun, p. 1608), provoque la nécessaire et substantielle Réponse de Monseigneur l’archevêque de Cambrai à l’écrit de Monseigneur de Meaux intitulé relation sur le quiétisme (Id., p. 1097-1199 ; l’éditeur J. Le Brun).

      2. N. [le curé] sort d’ici. Je ne l’avais point vu depuis trois jours devant la Pentecôte. Je crois devoir vous dire toute notre conversation. Il m’a dit d’abord que N. [Fénelon] faisait un livre pour se rétracter et qu’il m’y condamnait formellement, moi personnellement et mes deux livres1. Je lui ai dit que s’il les croyait condamnables et moi aussi, qu’il faisait bien, et que je n’avais pas assez d’amour-propre pour m’en offenser, que pourvu que l’intérêt de Dieu et de l’Église fût conservé, que cela me suffisait. Il m’a répondu que ce second livre le rendrait encore plus méprisable que le premier2, et ne satisferait personne, parce qu’on était fort persuadé qu’il ne

. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

[ome] une lettre fort mal conçue, et priait le pape d’examiner son livre. Je lui ai dit : « Apparemment, monsieur, qu’il attend la décision du Saint-Siège pour s’y conformer avant d’imprimer. » Il m’a répondu en faisant des éclats de rire : « C’est là le ridicule, qu’il ait écrit à R [ome] sans en attendre la décision : il se hâte de prévenir la condamnation et le coup qui le va achever. » Je lui ai répondu : « Je ne suis qu’une femme, mais si j’étais à sa place, j’aurais assurément attendu la décision du pape tranquillement, et m’y serais ensuite conformée avec une entière soumission. » Il m’a répondu que je disais le plus expédient, qui [197 r°] l’eût tiré d’affaire et lui aurait attiré l’estime de tout le monde ; cette soumission eût confondu les jansénistes. Et puis entre les dents, un mot comme si c’était ce qu’il craignait. J’ai dit : « Monsieur, on peut se tromper, et il faut une soumission entière au chef de l’Église, mais aussi il faut de la fermeté et du courage pour ne rien faire par respect humain. » Il m’a dit : « Le pauvre homme est faible, tout le monde lui tourne le dos, il ne peut supporter cela. »

Je crois qu’on a dessein de me transférer plus loin, et que ce sera dans le diocèse de Chartres. Je suis à Dieu, Il fera de moi ce qu’il Lui plaira. Je perds les yeux, j’écris sans quasi les ouvrir, et bientôt peut-être ne le pourrai-je plus. N’y aurait-il pas moyen que N. se corrigeât et qu’il ne fît rien imprimer qu’il n’eût eu la réponse de R [ome], et ensuite faire imprimer conformément au sentiment du pape ? Il me paraît que c’est l’unique parti ; dites-le au tut

Nous pensons que la « suppléante de Mme Guyon » lui a très probablement succédé : Fénelon meurt trop tôt. Elle intègre alors la « lignée » qui passe de sources franciscaines au sieur de la Forest (?) et au Père Chrysostome de Saint-Lô, à Jean de Bernières, à Jacques Bertot, à Jeanne Guyon.

Mme de Mortemart (†1750) fut probablement secondée par les deux duchesses de Chevreuse (†1732) et de Beauvillier (†1733), par Du Puy († après 1737), par le marquis de Fénelon (†1745), par « la colombe » duchesse de Gramont (†1748).

Ensuite le fil se perd : en Écosse, 16 th Forbes (†1761) & Deskford (†1764) ? en Suisse, Dutoit (†1793) ? en Hollande et dans l’Empire ?

Le successeur dans la filiation ?

Les lettres adressées à la petite duchesse de Mortemart fuent longtemps négligées comme l’explique I. Noye qui en rétablit le plus grand nombre dans le volume CF 18 publié en 2007 : voir supra notre présentation de Mme de Mortemart et la note associée.

Le choix opéré par les membres du cercle quiétiste, qui ôtent nécessairement dates et destinataires dans l’édition Anversoise de 1718, a occulté les rôles et de la « petite duchesse » et de Fénelon comme les deux directeurs mystiques des cercles spirituels durant la mise à l’ombre puis en résidence surveillée de la « dame directrice ».

Analyse de la correspondance.

§

II y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. Vous faites bien de laisser aller et venir la confiance de nos amis. En laissant tomber toutes les réflexions de l’amour-propre, on se fait à la fatigue, et la délicatesse s’émousse. Moins nous attendons du prochain, plus ce délaissement nous rend aimables et propres à édifier tout le monde. Cherchez la confiance, elle vous fuit. Abandonnez-là, elle revient à vous5. Mais ce n’est pas pour la faire revenir qu’il faut l’abandonner.

Plus vos croix sont douloureuses, plus il faut être fidèle à ne les augmenter en rien. On les augmente ou en les voulant repousser par de vains efforts contre la Providence au-dehors, ou par d’autres efforts, qui ne sont pas moins vains, au-dedans contre sa propre sensibilité. Il faut être immobile sous la croix, la garder autant de temps que Dieu la donne sans impatience pour la secouer, et la porter avec petitesse, joignant à la pesanteur de la croix la honte de la porter mal. La croix ne serait plus croix, si l’amour-propre avait le soutien flatteur de la porter avec courage.

Rien n’est meilleur que de demeurer sans mouvement propre, pour se délaisser avec une entière souplesse au mouvement imprimé par la seule main de D [ieu]. Alors, comme vous le dites, on laisse tomber tout ; mais rien ne se perd dans cette chute universelle. Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D [ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. Le silence de l’âme lui fait écouter D [ieu]. Son vide est une plénitude, et son rien est le vrai tout. Mais il faut que ce rien soit bien vrai. Quand il est vrai, on est prêt à croire qu’il ne l’est pas ; celui qui ne veut rien avoir, ne crains point qu’on le dépouille.

Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver : je me vois comme une image dans un songe. Mais je ne veux point croire que cet état a son mérite. Je n’en veux juger ni en bien ni en mal. Je l’abandonne à celui qui ne se trompe point, et je suppose que je puis être dans l’illusion. Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. Mais il faut se contenter de ce que D [ieu] fait. Il me semble que je n’ai nulle envie de tâter du monde. Je sens comme une barrière entre lui et moi qui m’éloigne de le désirer, et qui ferait, ce me semble, que j’en serais embarrassé, s’il fallait un jour le revoir. Le souvenir triste et amer de notre cher petit abbé [de Langeron] me revient assez souvent, quoique je n’aie plus de sentiment vif sur sa perte. Je trouve souvent qu’il me manque, et je le suppose néanmoins assez près de moi.

Je vous envoie ma réponse pour Mad. votre fille, dont la confiance est touchante. Je vous envoie aussi une réponse pour Mad. de la Maisonfort6. Bonsoir, ma bonne D [uchesse] ; je suis à vous sans mesure plus que je n’y ai jamais été en ma vie7.

1479. À LA DUCHESSE DE MORTEMART. À Cambray, 27 juillet 1711.

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D [ieu] donne à ses enfants entre eux. Je puis vous protester que je n’ai nullement douté de tout ce que vous m’aviez mandé auparavant. Je n’avais songé qu’à vous dire des choses générales, sans savoir ce que vous auriez à en prendre pour vous, et comptant seulement que chacun de nous ne voit jamais tout son fond de propriété, parce que ce qui nous reste de propriété est précisément ce qui obscurcit nos yeux, pour nous dérober la vue de ces restes subtils et déguisés de la propriété même. Mais c’était plutôt un discours général pour nous tous, et surtout pour moi, qu’un avis particulier qui tombât sur vous. Il est vrai seulement que je souhaitais que vous fissiez attention à ce qu’il ne faut presser le prochain de corriger en lui certains défauts, même choquants, que quand nous voyons que D [ieu] commence à éclairer l’âme de ce prochain, et à l’inviter à cette correction. Jusque-là il faut attendre comme D [ieuj attend avec bonté et support. Il ne faut point prévenir le signal de la grâce. Il faut se borner à la suivre pas à pas. On meurt beaucoup à soi par ce travail de pure foi et de continuelle dépendance, pour apprendre aux autres à mourir à eux. Un zèle critique et impatient se soulage davantage, et corrige moins soi et autrui. Le médecin de l’âme fait comme ceux des corps qui n’osent purger qu’après que les humeurs qui causent la maladie, sont parvenues à ce qu’ils nomment une coction 3. J’avoue, ma bonne Duchesse, que j’avais en vue que vous eussiez attention à supporter les défauts les plus choquants des frères, jusqu’à ce que l’esprit de grâce leur donnât la lumière et l’attrait pour commencer à s’en corriger. Je ne cherchais en tout cela que les moyens de vous attirer leur confiance. Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D [ieu] et de faire la place nette au petit M [aître]. Abandonnez-vous dans vos obscurités intérieures et dans toutes vos peines. O que la nuit la plus profonde est bonne, pourvu qu’on croie réellement ne rien voir, et qu’on ne se flatte en rien !

1442. À LA DUCHESSE DE MORTEMART.  À C [ambrai] 1 février 1711.

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D [ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. Le même amour-propre qui fait nos défauts, nous les cache très subtilement et aux yeux d’autrui et aux nôtres. L’amour-propre ne peut supporter la vue de lui-même. Il en mourrait de honte et de dépit. S’il se voit par quelque coin, il se met dans quelque faux jour pour adoucir sa laideur, et pour avoir de quoi s’en consoler.

Ainsi il y a toujours quelque reste d’illusion en nous, pendant qu’Il y reste quelque imperfection et quelque fonds d’amour-propre. Il faudrait que l’amour-propre fût déraciné, et que l’amour de D [ieu] agit seul en nous pour nous montrer parfaitement à nous-mêmes. Alors le même principe qui nous ferait voir nos imperfections nous les ôterait. Jusque-là on ne connaît qu’à demi, parce qu’on n’est qu’à demi à Dieu, étant encore à soi beaucoup plus qu’on ne croit, et qu’on n’ose se le laisser voir. Quand la vérité sera pleinement en nous, nous l’y verrons toute pleine. Ne nous aimant plus que par pure charité, nous nous verrons sans intérêt, et sans flatterie, comme nous verrons le prochain. En attendant, D [ieu] épargne notre faiblesse en ne nous découvrant notre laideur qu’à proportion du courage qu’il nous donne pour en supporter la vue. Il ne nous montre à nous-mêmes que par morceaux, tantôt l’un, tantôt l’autre, à mesure qu’il veut entreprendre en nous quelque correction. Sans cette préparation miséricordieuse qui proportionne la force à la lumière, l’étude de nos misères ne produirait que le désespoir. Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D [ieu] commence à nous y prépare. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D [ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D [ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. Toute autre conduite où l’on reprend avec impatience, parce qu’on est choqué de ce qui est défectueux, est une critique humaine, et non une correction de grâce. C’est par imperfection qu’on reprend les imparfaits. C’est un amour-propre subtil et pénétrant, qui ne pardonne rien à l’amour-propre d’autrui. Plus il est amour-propre, plus il est sévère censeur. Il n’y a rien de si choquant que les travers d’un amour-propre, à un autre amour-propre délicat et hautain. Les passions d’autrui paraissent infiniment ridicules et insupportables à quiconque est livré aux siennes. Au contraire l’amour de Dieu est plein d’égards, de supports8, de ménagements, et de condescendances. Il se proportionne, il attend. Il ne fait jamais deux pas à la fois. Moins on s’aime plus on s’accommode aux imperfections de l’amour-propre d’autrui, pour les guérir patiemment. On ne fait jamais aucune incision, sans mettre beaucoup d’onction sur la plaie. On ne purge le malade, qu’eu le nourrissant. On ne hasarde aucune opération, que quand la nature indique elle-même qu’elle y prépare. On attendra des années pour placer un avis salutaire. On attend que la Providence en donne l’occasion au-dehors, et que la grâce en donne l’ouverture au dedans du cœur. Si vous voulez cueillir le fruit avant qu’il soit mûr, vous l’arrachez à pure pertes.

De plus vous avez raison de dire que vos dispositions changeantes vous échappent, et que vous ne savez que dire de vous. Comme la plupart des dispositions sont passagères et mélangées celles qu’on tâche d’expliquer deviennent fausses, avant que l’explication en soit achevée. Il en survient une autre toute différente, qui tombe aussi à son tour dans une apparence de fausseté. Mais il faut se borner à dire de soi ce qui en paraît vrai dans le moment où l’on ouvre son cœur. Il n’est pas nécessaire de dire tout en s’attachant à un examen méthodique. Il suffit de ne rien retenir par défaut de simplicité, et de ne rien adoucir par les couleurs flatteuses de l’amour-propre. Dieu supplée le reste selon le besoin en faveur d’un cœur droit, et les amis édairés par la grège remarquent sans peine ce qu’on ne sait pas leur dire, quand on est devant eux naïf, ingénu, et sans réserve.

Pour nos amis imparfaits ils ne peuvent nous connaître qu’imparfaitement. Souvent ils ne jugent de nous que par les défauts extérieurs qui se font dans la société, et qui incommodent leur amour-propre. L’amour‑propre est censeur âpre, rigoureux, soupçonneux, et implacable. Le même amour qui leur adoucit leurs propres défauts leur grossit les nôtres. Comme ils sont dans un point de vue très différent du nôtre, ils voient en nous ce que nous n’y voyons pas, et ils n’y voient pas ce que nous y voyons. Ils y voient avec subtilité et pénétration beaucoup de choses qui blessent la délicatesse et la jalousie de leur amour-propre, et que le nôtre nous déguise. Mais ils ne voient point dans notre fond intime ce qui salit nos vertus, et qui ne déplaît qu’à Dieu seul. Ainsi leur jugement le plus approfondi est bien superficiel.

Ma conclusion est qu’il suffit d’écouter Dieu dans un profond silence intérieur, et de dire en simplicité pour et contre soi tout ce qu’on croit voir à la pure lumière de Dieu dans le moment où l’on tâche de se faire connaître.

Vous me direz peut-être, ma bonne D [uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D [ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir.

Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. C’est se recueillir passivement, que de ne se dissiper pas, et que de laisser tomber l’activité naturelle qui dissipe. Il faut encore plus éviter l’activité pour la dissipation que pour le recueillement. II suffit de laisser faire D [ieu], et de ne l’interrompre pas par des occupations superflues qui flattent le goût, ou la vanité. Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce9. 11 faut s’occuper peu du prochain, lui demander peu, en attendre peu, et ne croire pas qu’il nous manque quand notre amour est tenté de croire qu’il y trouve quelque mécompte. Il faut laisser tout effacer, et porter petitement toute peine qui ne s’efface pas. Ce recueillement passif est très différent de l’actif qu’on se procure par travail et par industrie, en se proposant certains objets distincts et arrangés. Celui-ci n’est qu’un repos du fond, qui est dégagé des objets extérieurs de ce monde. Dieu est moins alors l’objet distinct de nos pensées au-dehors, qu’il n’est le principe de vie qui règle nos occupations. En cet état on fait en paix et sans empressement ni inquiétude tout ce qu’on a à faire. L’esprit de grâce le suggère doucement. Mais cet esprit jaloux arrête et suspend notre action, dès que l’activité de l’amour-propre commence à s’y mêler. Alors la simple non-action fait tomber ce qui est naturel et remet l’âme avec D [ieu] pour recommencer au-dehors sans activité le simple accomplissement de ses devoirs. En cet état l’âme est libre dans toutes les sujétions extérieures, parce qu’elle ne prend rien pour elle de tout ce qu’elle fait. Elle ne le fait que pour le besoin. Elle ne prévoit rien par curiosité, elle se borne au moment présent, elle abandonne le passé à D [ieu]. Elle n’agit jamais que par dépendance. Elle s’amuse pour le besoin de se délasser, et par petitesse. Mais elle est sobre en tout, parce que l’esprit de mort est sa vie. Elle est contente ne voulant rien.

Pour demeurer dans ce repos, il faut laisser sans cesse tomber tout ce qui en fait sortir. Il faut se faire taire très souvent, pour être en état d’écouter le maître intérieur qui enseigne toute vérité, et si nous sommes fidèles à l’écouter, il ne manquera pas de nous faire taire souvent. Quand nous n’entendons pas cette voix intime et délicate de l’esprit qui est l’âme de notre âme, c’est une marque que nous ne nous taisons point pour l’écouter. Sa voix n’est point quelque chose d’étranger. D [ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. Il ne faut qu’une volonté souple, docile, dégagée de tout pour s’accommoder à cette impression. L’esprit de grâce nous apprend lui-même à dépendre de lui en toute occasion. Ce n’est point une inspiration miraculeuse qui expose à l’illusion et au fanatisme. Ce n’est qu’une paix du fond pour se prêter sans cesse à l’esprit de D [ieu] dans les ténèbres de la foi, sans rien croire que les vérités révélées, et sans rien pratiquer que les commandements évangéliques.

Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. Cela peut être et il est même naturel qu’ils aient un peu excédé en réserve dans les premiers temps, où ils ont voulu changer ce qui leur paraissait trop fort, et où ils étaient embarrassés de ce changement qui vous choquait. Mais je ne crois pas que leur intention ait été de vous manquer en rien. Ainsi je croirais qu’ils n’ont pu manquer que par embarras pour les manières. Votre peine, que vous avouez avoir été grande et que je m’imagine qu’ils apercevaient, ne pouvait pas manquer d’augmenter, malgré eux, leur embarras, leur gêne, et leur réserve. Je ne sais rien de ce qu’ils ont fait, et ils ne me l’ont jamais expliqué. Je ne veux les excuser en rien. Mais en gros je comprends que vous devez vous défier de l’état de peine extrême dans lequel vous avez senti leur changement. Un changement soudain et imprévu choque. On ne peut s’y accoutumer ; on ne croit point en avoir besoin. On croit voir dans ceux qui se retirent ainsi un manquement aux règles de la bienséance et de l’amitié. On prétend y trouver de l’inconstance, du défaut de simplicité, et même de la fausseté. Il est naturel qu’un amour-propre vivement blessé exagère ce qui le blesse, et il me semble que vous devez vous défier des jugements qu’il vous a fait faire dans ces temps-là. Je crois même que vous devez aller encore plus loin, et juger que la grandeur du mal demandait un tel remède, ce renversement de tout vous-même, et cet accablement dont vous me parlez avec tant de franchise montre que votre cœur était bien malade. L’incision a été très douloureuse, mais elle devait être prompte et profonde. Jugez-en par la douleur qu’elle a causée à votre amour-propre, et ne décidez point sur des choses, où vous avez tant de raisons de vous récuser vous-même. Il est difficile que les meilleurs hommes qui ne sont pourtant pas parfaits, n’aient fait aucune faute dans un changement si embarrassant. Mais supposé qu’ils en aient fait beaucoup, vous n’en devez point être surprise. Il faut d’ailleurs faire moins d’attention à leur irrégularité, qu’à votre pressant besoin. Vous êtes trop heureuse de ce que D [ieu] a fait servir leur tort à redresser le vôtre. Ce qui est peut-être une faute en eux, est une grande miséricorde en D [ieu] pour votre correction. Aimez l’amertume du remède, si vous voulez être bien guérie du mal.

Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N… [Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. Pour moi je veux être repris par tous ceux qui voudront me dire ce qu’ils ont remarqué en moi, et je ne veux m’élever au-dessus d’aucun des plus petits frères10. Il n’y en a aucun que je ne blâmasse, s’il n’était pas intimement uni à vous. Je le suis en vérité, ma bonne D., au-delà de toute expression.

Madame de Chevry me paraît vivement touchée de l’excès de vos bontés, et j’ai de la joie d’apprendre à quel point elle les ressent. J’espère que cette reconnaissance la mènera jusqu’à rentrer dans une pleine confiance11, dont elle a grand besoin. Personne ne peut être plus sensible que je le suis à toutes vos différentes peines.

1408. À LA DUCHESSE DE MORTEMART

À l’égard de M. de Ch [amillart]12, vous ne ferez jamais si bien ce que D [ieu] demandera de vous, que quand vous n’y aurez ni empressement ni activité. Ne vous mêlez de rien, quand on ne vous cherchera pas. Vous n’aurez la confiance des gens pour leur bien, et vous ne serez à portée de leur être utile, qu’autant que vous les laisserez venir. Rien n’acquiert la confiance que de ne l’avoir jamais cherchée. Je dis tout ceci parce qu’il est naturel qu’on soit tenté de vouloir redresser ce qui paraît en avoir un pressant besoin, et à quoi on s’intéresse. Pour garder un juste tempérament là-dessus, vous pouvez consulter un quelqu’un qui en sait plus que moi13. D [ieu] sait, ma bonne D [uchesse], à quel point je suis uni à vous, et combien je souhaite que les autres le soient.

Pardonnez-moi donc, ma bonne Duchesse, toutes mes indiscrétions. Dieu sait combien je vous aime, et à quel point je suis sensible à toutes vos peines. Je vous demande pardon de tout ce que j’ai pu vous écrire de trop dur. Mais ne doutez pas de mon cœur, et comptez pour rien ce qui vient de moi. Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D [ieu] ; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres14. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D [ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté ! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus.

1215. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C [ambrai] 8 juin 1708.

Je vous avoue, ma bonne D [uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D [ieu], est précisément ce que D [ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. Il est vrai que vous avez un naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie, qui est trop sensible à tous les défauts d’autrui, et qui rend les impressions difficiles à effacer. Mais ce ne sera jamais votre tempérament que D [ieu] vous reprochera, puisque vous ne l’avez pas choisi, et que vous n’êtes pas libre de vous l’ôter. Il vous servira même pour votre sanctification, si vous le portez comme une croix. Mais ce que D [ieu] demande de vous, c’est que vous fassiez réellement dans la pratique ce que sa grâce met dans vos mains. Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. Il s’agit de réparer par petitesse ce que vous aurez gâté par une saillie de hauteur. Il s’agit d’une petitesse pratiquée réellement et de suite dans les occasions. Il s’agit d’une sincère désappropriation de vos jugements. Il n’est pas étonnant que la haute opinion que tous nos bonnes gens ont eue de toutes vos pensées depuis douze ans15, vous ait insensiblement accoutumée à une confiance secrète en vous-même, et à une hauteur que vous n’aperceviez pas. Voilà ce que je crains pour vous cent fois plus que les saillies de votre humeur. Votre humeur ne vous fera faire que des sorties brusques. Elle servira à vous montrer votre hauteur que vous ne verriez peut-être jamais sans ces vivacités qui vous échappent : mais la source du mal n’est que dans la hauteur secrète qui a été nourrie si longtemps par les plus beaux prétextes. Laissez-vous donc apetisser [diminuer] par vos propres défauts, autant que l’occupation des défauts d’autrui vous avait agrandie. Accoutumez-vous à voir les autres se passer de vos avis, et passez-vous vous-même de les juger. Du moins si vous leur dites quelque mot, que ce soit par pure simplicité, non pour décider et pour corriger, mais seulement pour proposer par simple doute, et désirant qu’on vous avertisse, comme vous aurez averti. En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. Si vous avez reçu quelque chose pour eux, il faut le leur donner moins par correction que par consolation et nourriture.

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D [ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D [ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. Il faut nous accoutumer à supporter au-dehors la contradiction d’autrui et au-dedans notre propre faiblesse. Nous sommes véritablement petits, quand nous ne sommes plus surpris de nous voir corrigés au-dehors, et incorrigibles au-dedans. Alors tout nous surmonte comme de petits enfants, et nous voulons être surmontés. Nous sentons que les autres ont raison, mais que nous sommes dans l’impuissance de nous vaincre pour nous redresser. Alors nous désespérons de nous-mêmes, et nous n’attendons plus rien que de D [ieu]. Alors la correction d’autrui, quelque sèche et dure qu’elle soit, nous paraît moindre que celle qui nous est due. Si nous ne pouvons pas la supporter, nous condamnons notre délicatesse encore plus que nos autres imperfections. La correction ne peut plus alors nous rapetisser, tant elle nous trouve petits. La révolte intérieure, loin d’empêcher le fruit de la correction, est au contraire ce qui nous en fait sentir le pressant besoin. En effet la correction ne peut se faire sentir, qu’autant qu’elle coupe dans le vif. Si elle ne coupait que dans le mort, nous ne la sentirions pas. Ainsi plus nous la sentons vivement, plus il faut conclure qu’elle nous est nécessaire.

1231. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C [ambrai] 22 août 1708.

[…]16 Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle17 entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé18, qui était d’abord leur directeur ; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée ; qu’il leur fait lire entre autres les écrits de N.19, que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. N’y en a-t-il point trop de copies ? ne les communique-t-on point trop facilement ? chacun ne se mêle-t-il point de décider pour les communiquer comme il le juge à propos, quoiqu’il ne soit peut-être pas assez avancé pour faire cette décision ? Je ne sais point ce qui se passe ; ainsi je ne blâme aucun de nos amis20. Mais en général je voudrais qu’ils eussent là-dessus une règle de l’auteur lui-même qui les retînt.

Il y a dans ces écrits un grand nombre de choses excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur ; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. Je n’avais point encore reçu l’avis qui regarde Leschelle, quand il est parti d’ici. Vous saurez qu’il est capable d’agir par enthousiasme, et que naturellement il est indocile. Vous pouvez facilement découvrir le fond de tout cela, et le redresser s’il en a besoin. Il importe aussi de bien prendre garde à son frère, qui a été trompé plusieurs fois. Il veut trop trouver de l’extraordinaire. Il a mis ses lectures en la place de l’expérience ; son imagination n’est ni moins vive, ni moins raide que celle de Leschelle. […]21.

1121. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A Cambray, 9 janvier 1707.

Comment22 pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus ; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. Je prie souvent le vrai consolateur de vous consoler. On n’est en paix que quand on est bien loin de soi ; c’est l’amour-propre qui trouble, c’est l’amour de Dieu qui calme. L’amour-propre est un amour jaloux, délicat, ombrageux, plein d’épines, douloureux, dépité. Il veut tout sans mesure, et sent que tout lui échappe, parce qu’il n’ignore pas sa faiblesse. Au contraire, l’amour de Dieu est simple, paisible, pauvre et content de sa pauvreté, aimant l’oubli, abandonné à tout, endurci à la fatigue des croix, et ne s’écoutant jamais dans ses peines. Heureux qui trouve tout dans ce trésor du dépouillement ! Jésus-Christ, dit l’apôtre, nous a enrichis de sa pauvreté », et nous nous appauvrissons par nos propres richesses. N’ayez rien, et vous aurez tout. Ne craignez point de perdre les appuis et les consolations ; vous trouverez un gain infini dans la perte.

Vous êtes en société de croix avec M… il faut le soutenir dans ses infirmités.

Dieu vous rendra, selon le besoin, tout ce que vous lui aurez donné. C’est à vous à être sa ressource, vous qui avez reçu une nourriture plus forte pour la piété, et qui avez été moins accoutumée à la dissipation flatteuse du monde. Ne prenez pourtant pas trop sur vous. Donnez-vous simplement et avec petitesse pour faible. Demandez au besoin qu’on vous soulage et qu’on vous épargne.

Je ne suis point surpris de ce que le torrent du monde entraîne un peu N... Il est facile, vif, et dans l’occasion ; mais il est bon. Il sent la vivacité de ses goûts, et j’espère qu’il s’en défiera : se défier de soi et se confier à Dieu seul, c’est tout. G… a le cœur excellent ; mais il ne commencera à se tourner solidement vers le bien, que quand le recueillement fera tomber peu à peu ses saillies et ses amusements. Il faut prier beaucoup pour lui, et lui parler peu ; l’attendre, et le gagner en lui ouvrant le cœur.

LSP 490.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

[… passagères23.

Je ne veux jamais flatter qui que ce soit, et même dès le moment que j’aperçois, dans ce que je dis ou dans ce que je fais, quelque recherche de moi-même, je cesse d’agir ou de parler ainsi. Mais je suis tout pétri de boue, et j’éprouve que je fais à tout moment des fautes, pour n’agir point par grâce. Je me retranche à m’apetisser à la vue de ma hauteur. Je tiens à tout d’une certaine façon, et cela est incroyable, mais d’une autre façon, j’y tiens peu, car je me laisse assez facilement détacher de la plupart des choses qui peuvent me flatter. Je n’en sens pas moins l’attachement foncier à moi-même. Au reste, je ne puis expliquer mon fond. Il m’échappe, il me paraît changer à toute heure. Je ne saurais guère rien dire qui ne me paraisse faux un moment après. Le défaut subsistant et facile à dire, c’est que je tiens à moi, et que l’amour-propre me décide souvent. J’agis même beaucoup par prudence naturelle, et par un arrangement humain. Mon naturel est précisément opposé au vôtre. Vous n’avez point l’esprit complaisant et flatteur, comme je l’ai, quand rien ne me fatigue ni ne m’impatiente dans le commerce. Alors vous êtes bien plus sèche que moi ; vous trouvez que je vais alors jusqu’à gâter les gens, et cela est vrai. Mais quand on veut de moi certaines attentions suivies qui me dérangent, je suis sec et tranchant, non par indifférence ou dureté, mais par impatience et par vivacité de tempérament. Au surplus, je crois presque tout ce que vous me dites ; et pour le peu que je ne trouve pas en moi conforme à vos remarques, outre que j’y acquiesce de tout mon cœur, sans le connaître, en attendant que Dieu me le montre ; d’ailleurs je crois voir en moi infiniment pis, par une conduite de naturel, et de naturel très mauvais. Ce que je serais tenté de ne croire pas sur vos remarques, c’est que j’aie eu autrefois une petitesse que je n’ai plus. Je manque beaucoup de petitesse, il est vrai ; mais je doute que j’en aie moins manqué autrefois. Cependant je puis facilement m’y tromper. Vous ne me mandez point si vous avez reçu des nouvelles de N… Si vous en avez, pourquoi ne m’en faites-vous point quelque petite part ? Je suis dans…24.

LSP 219.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Un cavalier qui gourmande la bouche de son cheval en fait bientôt une rosse. Au contraire, on élève l’esprit et le cœur de ses gens, en ne leur montrant jamais que de la politesse et de la dignité, avec des inclinations bienfaisantes. Si on n’est pas en état de donner, il faut au moins faire sentir qu’on en a du regret. De plus, il faut donner à chacun dans sa fonction l’autorité qui lui est nécessaire sur ses inférieurs ; car rien ne va d’un train réglé, que par la subordination à laquelle il faut sacrifier bien des choses. Quoique vous aperceviez les défauts d’un domestique, gardez-vous bien de vous en rebuter d’abord. Faites compensation du bien et du mal : croyez qu’on est fort heureux, si on trouve les qualités essentielles. Jugez de ce domestique par comparaison à tant d’autres plus imparfaits ; songez aux moyens de le corriger de certains défauts, qui ne viennent peut-être que de mauvaise éducation. Pour les défauts du fond du naturel, n’espérez pas de les guérir ; bornez-vous à les adoucir, et à les supporter patiemment. Quand vous voudrez, malgré l’expérience, corriger un domestique de certains défauts qui sont jusque dans la moelle de ses os, ce ne sera pas lui qui aura tort de ne s’être point corrigé, ce sera vous qui aurez tort d’entreprendre encore sa correction. Ne leur dites jamais plusieurs de leurs défauts à la fois ; vous les instruiriez peu, et les décourageriez beaucoup : il ne faut les leur montrer que peu à peu, et à mesure qu’ils vous montrent assez de courage pour en supporter utilement la vue.

Parlez-leur, non seulement pour leur donner vos ordres, mais encore pour trois autres choses, 1° pour entrer avec affection dans leurs affaires ; 2° pour les avertir de leurs défauts tranquillement ; 3° pour leur dire ce qu’ils ont bien fait ; car il ne faut pas qu’ils puissent s’imaginer qu’on n’est sensible qu’à ce qu’ils font mal, et qu’on ne leur tient aucun compte de ce qu’ils ont bien fait. Il faut les encourager par une modeste, mais cordiale louange. Quelques défauts qu’ait un domestique, tant que vous le gardez à votre service, il faut le bien traiter. S’il est même d’un certain rang entre les autres, il faut que les autres voient que vous lui parlez avec considération ; autrement vous le dégraderiez parmi les autres ; vous le rendriez inutile dans sa fonction ; vous lui donneriez des chagrins horribles, et il sortirait peut-être enfin de chez vous, semant partout ses plaintes. Pour les domestiques en qui vous connaissez du sens, de la discrétion, de la probité, et de l’affection pour vous, écoutez-les ; montrez-leur toute la confiance dont vous pouvez les croire dignes, car c’est ce qui gagne le cœur des gens désintéressés. Les manières honnêtes et généreuses font beaucoup plus sur eux, que les bienfaits mêmes. L’art d’assaisonner ce qu’on donne est au-dessus de tout.

Ne devez jamais rien à vos domestiques : autrement vous êtes en captivité. Il vaudrait mieux devoir à d’autres gros créanciers mieux en état d’attendre, et moins en occasion de vous décrier, ou de se prévaloir de votre retardement à les payer. Il faut que les gages ou récompenses des domestiques soient sur un pied raisonnable, car si vous donnez moins que les autres gens modérés de votre condition, ils sont mécontents, vous croient avare, cherchent à vous quitter, et vous servent sans affection.

Pour pratiquer toutes ces règles, il faut commencer par une entière conviction de la nécessité de les suivre et y faire une sérieuse attention devant Dieu ; ensuite prévoir les occasions où l’on est en danger d’y manquer ; s’humilier en présence de Dieu, mais tranquillement et sans chagrin, toutes les fois qu’on s’aperçoit qu’on y a manqué ; et enfin laisser faire à Dieu dans le recueillement ce que nous ne saurions faire par nos propres forces.

LSP 218.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Vos dispositions sont bonnes ; mais il faut réduire à une pratique constante et uniforme tout ce qu’on a en spéculation et en désir. Il est vrai qu’il faut avoir patience avec soi-même comme avec autrui, et qu’on ne doit ni se décourager ni s’impatienter à la vue de ses fautes : mais enfin il faut se corriger ; et nous en viendrons à bout, pourvu que nous soyons simples et petits dans la main toute-puissante qui veut nous façonner à sa mode, qui n’est pas la nôtre. Le vrai moyen de couper jusques à la racine du mal en vous, est d’amortir sans cesse votre excessive activité par le recueillement, et de laisser tout tomber pour n’agir qu’en paix et par pure dépendance de la grâce.

Soyez toujours petit à l’égard de N… , et ne laissez jamais fermer votre cœur. C’est quand on sent qu’il se resserre qu’il faut l’ouvrir. La tentation de rejeter le remède en augmente la nécessité. N… a de l’expérience : elle vous aime ; elle vous soutiendra dans vos peines. Chacun a son ange gardien ; elle sera le vôtre au besoin : mais il faut une simplicité entière. La simplicité ne rend pas seulement droit et sincère, elle rend encore ouvert et ingénu jusqu’à la naïveté ; elle ne rend pas seulement naïf et ingénu, elle rend encore confiant et docile.

LSP 205 Au DUC DE MORTEMART (?)

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous.

Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. Quand je suis à l’office de notre chœur, je vois la main d’un de nos chapelains qui promène un grand éteignoir qui éteint tous les cierges par derrière l’un après l’autre ; s’il ne les éteint pas entièrement, il reste un lumignon fumant qui dure longtemps et qui consume le cierge25. La grâce vient de même éteindre la vie de la nature ; mais cette vie opiniâtre fume encore longtemps, et nous consume par un feu secret, à moins que l’éteignoir ne soit bien appuyé et qu’il n’étouffe absolument jusqu’aux moindres restes de ce feu caché.

Je veux que vous ayez le goût de ma destruction connue j’ai celui de la vôtre. Finissons, il est bien temps, une vieille vie languissante qui chicane toujours pour échapper à la main de Dieu. Nous vivons encore ayant reçu cent coups mortels26.

Assurez-vous que je ne flatterai en rien M […]..5 et que je chercherai même à aller jusqu’au fond. Dieu fera le reste par vous. Votre patience, votre égalité, votre fidélité à n’agir avec lui que par grâce, sans prévenir, par activité ni par industrie, les moments de Dieu ; en un mot, la mort continuelle à vous-même vous mettra en état de faire peu à peu mourir ce cher fils à tout ce qui vous paraît l’arrêter dans la voie de la perfection. Si vous êtes bien petite et bien dénuée de toute sagesse propre, Dieu vous donnera la sienne pour vaincre tous les obstacles.

N’agissez point avec lui par sagesse précautionnée, mais par pure foi et par simple abandon. Gardez le silence, pour le ramener au recueillement et à la fidélité, quand vous verrez que les paroles ne seront pas de saison. Souffrez ce que vous ne pourrez pas empêcher. Espérez, comme Abraham, contre l’espérance, c’est-à-dire attendez en paix que Dieu fasse ce qu’il lui plaira, lors même que vous ne pourrez plus espérer. Une telle espérance est un abandon ; un tel état sera votre épreuve très douloureuse et l’œuvre de Dieu en lui. Ne lui parlez que quand vous aurez au cœur de le faire, sans écouter la prudence humaine. Ne lui dites que deux mots de grâce, sans y mêler rien de la nature.

LSP 203.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. [1711 ?]

Je vois que la lumière de Dieu est en vous pour vous montrer vos défauts et ceux de N...27. C’est peu de voir ; il faut faire, ou pour mieux dire il n’y aurait qu’à laisser faire Dieu, et qu’à ne lui point résister. Pour N..., il ne faut jamais lui faire quartier ; nulle excuse ; coupez court ; il faut qu’il se taise, qu’il croie, et qu’il obéisse sans s’écouter.

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. La bonne foi avec Dieu consiste à n’avoir point un faux abandon, ni un demi-abandon, quand on le promet tout entier. Ananias et Saphira furent terriblement punis pour n’avoir pas donné sans réserve un bien qu’ils étaient libres de garder tout entier28. Allons à l’aventure. Abraham allait sans savoir où, hors de son pays. Je voudrais bien vous chasser du vôtre, et vous mettre, comme lui, loin des moindres vestiges de route. […]29.

LSP 198.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? Un tel abandon serait la plus grande propriété, et n’aurait que le nom trompeur d’abandon ; ce serait l’illusion la plus manifeste. Il faut manquer de tout aliment pour achever de mourir. C’est une cruauté et une trahison, que de vous laisser respirer et nourrir pour prolonger votre agonie dans le supplice. Mourez ; c’est la seule parole qui me reste pour vous.

Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte ? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon ? Était-ce à condition de le faire en apparence, et de trouver une plus grande sûreté dans l’abandon même ? Si cela était, vous auriez été bien fine avec Dieu : ce serait le comble de l’illusion. Si, au contraire, vous n’avez cherché (comme je n’en doute pas) que le sacrifice total de votre esprit et de votre volonté, pourquoi reculez-vous quand Dieu vous fait enfin trouver l’unique chose que vous avez cherchée ? Voulez-vous vous reprendre dès que Dieu veut vous posséder, et vous déposséder de vous-même ? Voulez-vous, par la crainte de la mer et de la tempête, vous jeter contre les rochers, et faire naufrage au port ? Renoncez aux sûretés ; vous n’en sauriez jamais avoir que de fausses. C’est la recherche infidèle de la sûreté qui fait votre peine. Loin de vous conduire au repos, vous résistez à votre grâce ; comment trouveriez-vous la paix ?

J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. Cette certitude réfléchie, dont on se rendrait compte à soi-même, et sur laquelle on se reposerait, détruirait l’état de foi, rendrait toute mort impossible et imaginaire, changeant l’abandon et la nudité en possession et en propriété sans bornes ; enfin ce serait un fanatisme perpétuel, car on se croirait sans cesse certainement et immédiatement inspiré de Dieu pour tout ce qu’on ferait en chaque moment. Il n’y aurait plus ni direction ni docilité, qu’autant que le mouvement intérieur, indépendant de toute autorité extérieure, y porterait chacun. Ce serait renverser la voie de foi et de mort. Tout serait lumière, possession, vie et certitude dans toutes ces choses. Il faut donc observer qu’on doit suivre le mouvement, mais non pas vouloir s’en assurer par réflexion, et se dire à soi-même, pour jouir de sa certitude : oui, c’est par mouvement que j’agis.

Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? Les saints patriarches, prophètes, apôtres, etc. avaient, hors des choses miraculeuses, un attrait continuel qui les poussait à une mort continuelle ; mais ils ne se rendaient point juges de leur grâce, et ils la suivaient simplement : elle leur eût échappé pendant qu’ils auraient raisonné pour s’en faire les juges. Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. Marchez donc, comme Abraham, sans savoir où. Sortez de votre terre, qui est votre cœur ; suivez les mouvements de la grâce, mais n’en cherchez point la certitude par raisonnement. Si vous la cherchez avant que d’agir, vous vous rendez juge de votre grâce, au lieu de lui être docile, et de vous livrer à elle comme les apôtres le faisaient. Ils étaient livrés à la grâce de Dieu, dit saint Luc dans les Actes. Si, au contraire, vous cherchez cette certitude après avoir agi, c’est une vaine consolation que vous cherchez par un retour d’amour-propre, au lieu d’aller toujours en avant avec simplicité selon l’attrait, et sans regarder derrière vous. Ce regard en arrière interrompt la course, retarde les progrès, brouille et affaiblit l’opération intérieure : c’est un contretemps dans les mains de Dieu ; c’est une reprise fréquente de soi-même ; c’est défaire d’une main ce qu’on fait de l’autre. De là vient qu’on passe tant d’années languissant, hésitant, tournant tout autour de soi.

Je ne perds de vue ni vos longues peines, ni vos épreuves, ni le mécompte de ceux qui me parlent de votre état sans le bien connaître. Je conviens même qu’il m’est plus facile de parler, qu’à vous de faire, et que je tombe dans toutes les fautes où je vous propose de ne tomber pas. Mais enfin nous devons plus que les autres à Dieu, puisqu’il nous demande des choses plus avancées ; et peut-être sommes-nous à proportion les plus reculés. Ne nous décourageons point : Dieu ne veut que nous voir fidèles. Recommençons, et en recommençant nous finirons bientôt. Laissons tout tomber, ne ramassons rien ; nous irons bien vite et en grande paix.

LSP 193.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Tout contribue à vous éprouver ; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. Jésus-Christ ne dit pas : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se possède, qu’il se revête d’ornements, qu’il s’enivre de consolations, comme Pierre sur le Thabor ; qu’il jouisse de moi et de soi-même dans sa perfection, qu’il se voie : et que tout le rassure en se voyant parfait : mais au contraire il dit : Si quelqu’un veut venir après moi, voici le chemin par où il faut qu’il passe ; qu’il se renonce, qu’il porte sa croix et qu’il me suive dans le sentier bordé de précipices où il ne verra que sa mort. Saint Paul dit que nous voudrions être survêtus, et qu’il faut au contraire être dépouillés jusqu’à la plus extrême nudité pour être ensuite revêtus de Jésus-Christ. […]30

Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous : je porte avec vous votre croix et toutes vos langueurs. Mais si vous voulez que l’enfant Jésus les porte avec vous, laissez-le se cacher à vos yeux ; laissez-le aller et venir en toute liberté. Il sera tout-puissant en vous, si vous êtes bien petite en lui. On demande du secours pour vivre et pour se posséder : il n’en faut plus que pour expirer et pour être dépossédé de soi sans ressource. Le vrai secours est le coup mortel ; c’est le coup de grâce. Il est temps de mourir à soi, afin que la mort de Jésus-Christ opère une nouvelle vie. Je donnerais la mienne pour vous ôter la vôtre, et pour vous faire vivre de celle de Dieu.

LSP 192.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

La peine que je ressens sur le malheur public ne m’empêche point d’être occupé de votre infirmité31. Vous savez qu’il faut porter la croix, et la porter en pleines ténèbres. Le parfait amour ne cherche ni à voir ni à sentir. Il est content de souffrir sans savoir s’il souffre bien, et d’aimer sans savoir s’il aime. O que l’abandon, sans aucun retour ni repli caché, est pur et digne de Dieu ! Il est lui seul plus détruisant que mille et mille vertus austères et soutenues d’une régularité aperçue. On jeûnerait comme saint Siméon Stylite, on demeurerait des siècles sur une colonne ; on passerait cent ans au désert, comme saint Paul ermite ; que ne ferait-on point de merveilleux et digne d’être écrit, plutôt que de mener une vie unie, qui est une mort totale et continuelle dans ce simple délaissement au bon plaisir de Dieu ! Vivez donc de cette mort ; qu’elle soit votre unique pain quotidien. Je vous présente celui que je veux manger avec vous. […]32.

LSP 191.* À LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l’être. Souffrez en paix ; abandonnez-vous ; allez, comme Abraham, sans savoir où. Recevez des hommes le soulagement que Dieu vous donnera par eux. Ce n’est pas d’eux, mais de lui par eux, qu’il faut le recevoir. Ne mêlez rien à l’abandon, non plus qu’au rien. Un tel vin doit être bu tout pur et sans mélange ; une goutte d’eau lui ôte toute sa vertu. On perd infiniment à vouloir retenir la moindre ressource propre. Nulle réserve, je vous conjure. […]33.

Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. Quand on est attaché sur la croix avec Jésus-Christ, on dit comme lui, O Dieu, ô mon Dieu, combien vous m’avez délaissé ! Mais ce délaissement sensible, qui est une espèce de désespoir dans la nature grossière, est la plus pure union de l’esprit, et la perfection de l’amour.

Qu’importe que Dieu nous dénue de goûts et de soutiens sensibles ou aperçus, pourvu qu’il ne nous laisse pas tomber ? Le prophète Habacuc n’était-il pas bien soutenu quand l’ange le transportait avec tant d’impétuosité de la Judée à Babylone, en le tenant par un de ses cheveux34. Il allait sans savoir où, et sans savoir par quel soutien ; il allait nourrir Daniel au milieu des lions ; il était enlevé par l’esprit invisible et par la vertu de la foi. Heureux qui va ainsi par une route inconnue à la sagesse humaine, et sans toucher du pied à terre !

Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. Qu’y a-t-il à faire ? Rien qu’à ne repousser jamais la main invisible qui détruit et qui refond tout. Plus on avance, plus il faut se délaisser à l’entière destruction. Il faut qu’un cœur vivant soit réduit en cendre. Il faut mourir et ne voir point sa mort ; car une mort qu’on apercevrait serait la plus dangereuse de toutes les vies. Vous êtes morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. Il faut que la mort soit cachée, pour cacher la vie nouvelle que cette mort opère. On ne vit plus que de mort, comme parle saint Augustin35. Mais qu’il faut être simple et sans retour pour laisser achever cette destruction du vieil homme ! Je prie Dieu qu’il fasse de vous un holocauste que le feu de l’autel consume sans réserve.

LSP 190.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix ; elles ne seraient que des victoires continuelles, avec une flatteuse expérience de notre force invincible. De telles croix empoisonneraient le cœur, et charmeraient notre amour-propre. Pour bien souffrir, il faut souffrir faiblement et sentant sa faiblesse ; il faut se voir sans ressource au dedans de soi ; il faut être sur la croix avec Jésus-Christ, et dire comme lui, Mon Dieu, mon Dieu, combien m’avez-vous abandonné ! O que la paix de la volonté, dans ce désespoir de l’amour-propre, est précieuse aux yeux de celui qui la fait en nous sans nous la montrer ! Nourrissez-vous de cette parole de saint Augustin, qui est d’autant plus vivifiante, qu’elle porte au cœur une mort totale de l’amour-propre : « Qu’il ne soit laissé en moi rien de moi-même, ni de quoi jeter encore un regard sur moi ; » nihil in me relinquatur mihi, nec quo respiciam ad me ipsum. N’écoutez point votre imagination ni les réflexions d’une sagesse humaine : laissez tomber tout, et soyez dans les mains du bien-aimé. C’est sa volonté et sa gloire qui doivent nous occuper.

LSP 189.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Vous avez bien des croix à porter ; mais vous en avez besoin, puisque Dieu vous les donne. Il les sait bien choisir : c’est ce choix qui déconcerte l’amour-propre et qui le fait mourir. Des croix choisies et portées avec propriété, loin d’être des croix et des moyens de mort, seraient des aliments et des ragoûts pour une vie d’amour-propre. Vous vous plaignez d’un état de pauvreté intérieure et d’obscurité ; Bienheureux les pauvres d’esprits ! Bienheureux ceux qui croient sans voir ! Ne voyons-nous pas assez, pourvu que nous voyions notre misère sans l’excuser ? Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. En cet état, on n’a aucune lumière qui flatte notre curiosité, mais on a toute celle qu’il faut pour se défier de soi, pour ne s’écouter plus, et pour être docile à autrui. Que serait-ce qu’une vertu qu’on verrait au dedans de soi, et dont on serait content ? Que serait-ce qu’une lumière aperçue, et dont on jouirait pour se conduire ? Je remercie Notre-Seigneur de ce qu’il vous ôte un si dangereux appui. Allez, comme Abraham, sans savoir où36 ; ne suivez que l’esprit de petitesse, de simplicité et de renon-cernent : il ne vous inspirera que paix, recueillement, douceur, détachement, support du prochain, et contentement dans vos peines.

LSP 167.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir : on va contre le vent à force de rames. Pour l’état qui paraît tout naturel, je ne m’en étonne nullement. Dieu ne peut nous cacher sa grâce que sous la nature. Tout ce qui est sensible se trouve conforme aux saillies du tempérament, et le don de Dieu n’est que dans le fond le plus intime et le plus secret d’une volonté toute sèche et toute languissante. Souffrir, passer outre, et demeurer en paix dans cette douloureuse obscurité, est tout ce qu’il faut. Les défauts mêmes les plus réels se tourneront en mort et en désappropriation, pourvu que vous les regardiez avec simplicité, petitesse, détachement de votre lumière propre, et docilité pour la personne à qui vous vous ouvrez. Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. Vos peines serviront à rabaisser votre courage, et à vous déposséder de votre propre cœur ; la vue de vos misères démontera votre sagesse. Il faut seulement vous soulager et vous épargner dans les tentations de découragement, comme une personne faible qu’on a besoin de consoler et de faire respirer.

Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif37 : il faut y avoir égard, et ne laisser jamais trop attrister votre imagination ; mais il lui faut des soulagements de simplicité et de petitesse, non de hauteur et de sagesse qui flattent l’amour-propre.

Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner ; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. Pour les choses choquantes, regardez-les comme venant de leurs défauts, et supportez les leurs comme vous supportez les vôtres. Vous n’aurez jamais aucun mécompte, si vous ne voulez jamais compter avec aucun de vos amis. L’amour de Dieu ne s’y méprend jamais ; il n’y a que l’amour-propre qui puisse se mécompter. La grande marque d’un cœur désapproprié est de voir un cœur sans délicatesse pour soi, et indulgent pour autrui.

Je conviens que la simplicité serait d’un excellent usage avec nos bonnes gens38 ; mais la simplicité demande dans la pratique une profonde mort de la part de toutes les personnes qui composent une société. Les imparfaits sont imparfaitement simples ; ils se blessent mal à propos, ils critiquent, ils veulent deviner, ils censurent avec un zèle indiscret, ils gênent les autres : insensiblement les défauts naturels se glissent sous l’apparence de simplicité.

LSP 166.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. Après juin 1708.

Ma vie39 est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. Le fond est malade, et il ne peut se remuer sans une douleur sourde. Nulle sensibilité ne vient que d’amour-propre ; on ne souffre qu’à cause qu’on veut encore. Si on ne voulait plus rien, que la seule volonté de Dieu, on en serait sans cesse rassasié, et tout le reste serait comme du pain noir qu’on présente à un homme qui vient de faire un grand repas. Si la volonté présente de Dieu nous suffisait, nous n’étendrions point nos désirs et nos curiosités sur l’avenir. Dieu fera sa volonté, et il ne fera point la nôtre : il fera fort bien. Abandonnons-lui non seulement toutes nos vues humaines, mais encore tous nos souhaits pour sa gloire, attendue selon nos idées. Il faut le suivre en pure foi et à tâtons. Quiconque veut voir, désire, raisonne, craint et espère pour soi et pour les siens. Il faut avoir des yeux comme n’en ayant pas : aussi bien ne servent-ils qu’à nous tromper et qu’à nous troubler. Heureux le jour où nous ne voulons pas prévoir le lendemain !

LSP 165* A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. Encore un coup ; ne craignez rien, âme de peu de foi. Vous voyez, par l’expérience de votre faiblesse, combien vous devez être désabusée de vous-même et de vos meilleures résolutions. À voir les sentiments de zèle où l’on est quelquefois, on croirait que rien ne serait capable de nous arrêter ; cependant, après avoir dit comme saint Pierre : Quand même il faudrait mourir avec vous cette nuit, je ne vous abandonnerai point, on finit comme lui par avoir peur d’une servante, et par renier lâchement le Sauveur. O qu’on est faible ! Mais autant que notre faiblesse est déplorable, autant l’expérience nous en est-elle utile pour nous ôter tout appui et toute ressource au-dedans de nous. Une misère que nous sentons, et qui nous humilie, nous vaut mieux qu’une vertu angélique que nous nous approprierions avec complaisance. Soyez donc faible et découragée si Dieu le permet, mais humble, ingénue et docile dans ce découragement. Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide.

LSP 164.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes ; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu, c’est le moyen de n’être jamais mécompté. Il faut prendre des hommes ce qu’ils donnent, comme des arbres les fruits qu’ils portent : il y a souvent des arbres où l’on ne trouve que des feuilles et des chenilles. Dieu supporte et attend les hommes imparfaits, et il ne se rebute pas même de leurs résistances. Nous devons imiter cette patience si aimable, et ce support si miséricordieux. Il n’y a que l’imperfection qui s’impatiente de ce qui est imparfait ; plus on a de perfection, plus on supporte patiemment et paisiblement l’imperfection d’autrui sans la flatter. Laissez ceux qui s’érigent un tribunal dans leur prévention : si quelque chose les peut guérir, c’est de les laisser aller à leur mode, et de continuer à marcher de notre côté devant eux avec une simplicité et une petitesse d’enfant.

Ne pressez point N....40 Il ne faut demander qu’à mesure que Dieu donne. Quand il est serré, attendez-le, et ne lui parlez que pour l’élargir : quand il est élargi, une parole fera plus que trente à contretemps. Il ne faut ni semer ni labourer quand il gèle et que la terre est dure. En le pressant, vous le décourageriez. Il ne lui en resterait qu’une crainte de vous voir, et une persuasion que vous agissez par vivacité naturelle pour gouverner. Quand Dieu voudra donner une plus grande ouverture, vous vous tiendrez toujours toute prête pour suivre le signal, sans le prévenir jamais. C’est l’œuvre de la foi, c’est la patience des saints. Cette œuvre se fait au dedans de l’ouvrier, en même temps qu’au-dehors sur autrui ; car celui qui travaille meurt sans cesse à soi en travaillant à faire la volonté de Dieu dans les autres.

LSP 150.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. O qu’il est vilain d’être deux, trois, quatre, etc. ! Il ne faut être qu’un. Je ne veux connaître que l’unité. Tout ce que l’on compte au-delà vient de la division et de la propriété d’un chacun. Fi des amis ! Ils sont plusieurs, et par conséquent ils ne s’aiment guère, ou s’aiment fort mal. Le moi s’aime trop pour pouvoir aimer ce qu’on appelle lui ou elle. Comme ceux qui n’ont qu’un seul amour sans propriété ont dépouillé le moi, ils n’aiment rien qu’en Dieu et pour Dieu seul. Au contraire, chaque homme possédé de l’amour-propre n’aime son prochain qu’en soi et pour soi-même. Soyons donc unis, par n’être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu sans ombre de distinction. C’est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble. C’est dans ce point indivisible, que la Chine et le Canada se viennent joindre ; c’est ce qui anéantit toutes les distances41.

Au nom de Dieu, que N…42 soit simple, petit, ouvert, sans réserve, défiant de soi et dépendant de vous. Il trouvera en vous non seulement tout ce qui lui manque, mais encore tout ce que vous n’avez point ; car Dieu le fera passer par vous pour lui, sans vous le donner pour vous-même. Qu’il croie petitement, qu’il vive de pure foi, et il lui sera donné à proportion de ce qu’il aura cru.

LSP 137.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Vous ne garderez jamais si bien M...43 que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout : c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. Les traverses de la vie nous surmontent, les croix nous abattent ; nous manquons de patience et de douceur, ou d’une fermeté douce et égale ; nous ne parvenons point à persuader autrui. Il n’y a que Dieu qui tient les cœurs dans ses mains : il soutient le nôtre, et ouvre celui du prochain. Priez donc, mais souvent et de tout votre cœur, si vous voulez bien conduire votre troupeau. Si le Seigneur ne garde pas la ville, celui qui veille la garde en vain. Nous ne pouvons attirer en nous le bon esprit que par l’oraison. Le temps qui y paraît perdu est le mieux employé. En vous rendant dépendante de l’esprit de grâce, vous travaillerez plus pour vos devoirs extérieurs, que par tous les travaux inquiets et empressés. Si votre nourriture est de faire la volonté de votre Père céleste, vous vous nourrirez souvent en puisant cette volonté dans sa source…44

LSP 129.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [?] [1695 ?]

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande ; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui ; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. […] Souvent une certaine vivacité de correction, même pour soi, n’est qu’une activité qui n’est plus de saison pour ceux que Dieu mène d’une autre façon, et qu’il veut quelquefois laisser dans une impuissance de vaincre ces imperfections, pour leur ôter tout appui intérieur. La correction de quelques défauts involontaires serait pour eux une mort beaucoup moins profonde et moins avancée, que celle qui leur vient de se sentir surmontés par leurs misères, pourvu qu’ils soient véritablement et sans illusion désabusés et dépossédés d’eux-mêmes par cette expérience et par cet acquiescement. Chaque chose a son temps. La force intérieure sur ses propres défauts nourrit une vie secrète de propriété. Souffrez donc le prochain…45.

LSP 131*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693 ?]

Il m’a paru que vous aviez besoin de vous élargir le cœur sur les défauts d’autrui. Je conviens que vous ne pouvez ni vous empêcher de les voir quand ils sautent aux yeux, ni éviter les pensées qui vous viennent sur les principes qui vous paraissent faire agir certaines gens. Vous ne pouvez pas même vous ôter une certaine peine que ces choses vous donnent. Il suffit que vous vouliez supporter les défauts certains, ne juger point de ceux qui peuvent être douteux, et n’adhérer point à la peine qui vous éloignerait des personnes.

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu ; autrement on arracherait le bon grain avec le mauvais. Dieu laisse dans les âmes les plus avancées certaines faiblesses entièrement disproportionnées à leur état éminent, comme on laisse des morceaux de terre qu’on nomme des témoins, dans un terrain qu’on a rasé, pour faire voir, par ces restes, de quelle profondeur a été l’ouvrage de la main des hommes. Dieu laisse aussi dans les plus grandes âmes des témoins ou restes de ce qu’il en a ôté de misère.

Il faut que ces personnes travaillent, chacune selon leur degré, à leur correction, et que vous travailliez au support de leurs faiblesses. Vous devez comprendre, par votre propre expérience en cette occasion, que la correction est fort amère : puisque vous en sentez l’amertume, souvenez-vous combien il faut l’adoucir aux autres46. Vous n’avez point un zèle empressé pour corriger, mais une délicatesse qui vous serre aisément le cœur.

Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. Si vos avis me blessent, cette sensibilité me montrera que vous aurez trouvé le vif : ainsi vous m’aurez toujours fait un grand bien en m’exerçant à la petitesse, et en m’accoutumant à être repris. Je dois être plus rabaissé qu’un autre à proportion de ce que je suis plus élevé par mon caractère, et que Dieu demande de moi une plus grande mort à tout. J’ai besoin de cette simplicité, et j’espère qu’elle augmentera notre union, loin de l’altérer.

LSP 130.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693 ?]

Je ne manquerai à aucune des personnes que la Providence m’envoie, que quand je manquerai à Dieu même47 ; ainsi ne craignez pas que je vous abandonne. D’ailleurs Dieu saurait bien faire immédiatement par lui-même ce qu’il cesserait de faire par un vil instrument. Ne craignez rien, homme de peu de foi. Demeurez exactement dans vos bornes ordinaires ; réservez votre entière confiance pour N… qui vous connaît à fond, et qui peut seul48 vous soulager dans vos peines ; il lui sera donné de vous aider dans tous vos besoins. Nul couvent ne vous convient ; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. Tous les jours sont des fêtes pour les personnes qui tâchent de vivre dans la cessation de toute autre volonté que de celle de Dieu. Ne lui marquez jamais aucune borne. Ne retardez jamais ses opérations. Pourquoi délibérer pour ouvrir, quand c’est l’Époux qui est à la porte du cœur ? Écoutez et croyez N… Je veux au nom de Notre-Seigneur que vous soyez en paix. Ne vous écoutez point. Ne cherchez jamais la personne qui s’écarte : mais tenez-vous à portée de redresser et de consoler son cœur, s’il se rapproche…49.

LSP 136*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce50 ; mais vous pourriez facilement vous mécompter sur votre goût de retraite. Contentez-vous de ne voir que les personnes avec lesquelles vous avez des liaisons intérieures de grâce, ou des liaisons extérieures de providence : encore même ne faut-il point vous faire une pratique de ne voir que les personnes de ces deux sortes ; et, sans tant raisonner, il faut, en chaque occasion, suivre votre cœur, pour voir ou ne pas voir les personnes qu’il est permis communément de voir ; surtout ne vous éloignez point de celles qui peuvent vous soutenir dans votre vocation.

Je voudrais que vous évitassiez toute activité par rapport à la personne sur laquelle vous me demandez mon avis51. Ne vous faites point une règle ni de vous éloigner, ni de vous rapprocher d’elle. Tenez-vous seulement à portée de lui être utile, et de lui dire la vérité toutes les fois qu’elle reviendra à vous. Ne la rebutez jamais : montrez-lui un cœur toujours ouvert et toujours uni. Quand elle paraîtra s’éloigner, écrivez-lui, selon les occasions, avec simplicité, pour la rappeler à la véritable vocation de Dieu. Avertissez-la des pièges à craindre ; mais ne vous inquiétez point, et n’espérez pas de corriger l’humain par une activité humaine.

Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt ? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? Voulez-vous faire naufrage au port, vous reprendre, et demander à Dieu qu’il s’assujettisse à vos règles, au lieu qu’il veut et que vous lui avez promis de marcher comme Abraham dans la profonde nuit de la foi » ? Et quel mérite auriez-vous à faire ce que vous faites, si vous aviez des miracles et des révélations pour vous assurer de votre voie ? Les miracles mêmes et les révélations s’useraient bientôt, et vous retomberiez encore dans vos doutes. Vous vous livrez à la tentation. Ne vous écoutez plus vous-même. Votre fond, si vous le suivez simplement, dissipera tous ces vains fantômes.

Il y a une extrême différence entre ce que votre esprit rassemble dans sa peine, et ce que votre fond conserve dans la paix. Le dernier est de Dieu ; l’autre n’est que votre amour-propre. Pour qui êtes-vous en peine ? Pour Dieu, ou pour vous ? Si ce n’était que pour Dieu seul, ce serait une vue simple, paisible, forte, et qui nourrirait votre cœur, et vous dépouillerait de tout appui créé. Tout au contraire, c’est de vous que vous êtes en peine. C’est une inquiétude, un trouble, une dissipation, un dessèchement de cœur, une avidité naturelle de reprendre des appuis humains, et de ne vous laisser jamais mourir.

Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. Vous cherchez à vivre, et il ne s’agit plus que d’achever de mourir et d’expirer dans le délaissement sensible. Vous me demandez des moyens ; il n’y a plus de moyens : c’est en les laissant tomber tous, que l’œuvre de mort se consomme. Que reste-t-il à faire à celui qui est sur la roue ? Faut-il lui donner des remèdes ou des aliments ? lui faut-il donner les cordiaux qu’il demande ? Non ; ce serait prolonger son supplice par une cruelle complaisance, et éluder l’exécution de la sentence du juge. Que faut-il donc ? Rien que ne rien faire, et le laisser au plus tôt mourir.

LSP 135.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Vous êtes bonne52. Vous voudriez l’être encore davantage, et vous prenez beaucoup sur vous dans le détail de la vie : mais je crains que vous ne preniez un peu trop sur le dedans, pour accommoder le dehors aux bienséances, et que vous ne fassiez pas assez mourir le fond le plus intime. Quand on n’attaque point efficacement un certain fonds secret de sens et de volonté propre sur les choses qu’on aime le plus, et qu’on se réserve avec le plus de jalousie, voici ce qui arrive. D’un côté, la vivacité, l’âpreté et la roideur de la volonté propre sont grandes ; de l’autre côté, on a une idée scrupuleuse d’une certaine symétrie des vertus extérieures, qui se tourne en pure régularité de bienséance. L’extérieur se trouve ainsi très gênant, et l’intérieur très vif pour y répugner. C’est un combat insupportable.

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. Je serais moins fâché de vous voir grondeuse, dépitée, brusque, ne vous possédant pas, et ensuite bien désabusée de vous-même par cette expérience, que de vous voir régulière de tout point et irrépréhensible de tous les côtés, mais délicate, haute, austère, roide, facile à scandaliser, et grande en vous-même.

Mettez votre véritable ressource dans l’oraison. Un certain travail de courage humain et de goût pour une régularité empesée ne vous corrigera jamais. Mais accoutumez-vous devant Dieu, par l’expérience de vos faiblesses incurables, à la condescendance, à la compassion et au support des imperfections d’autrui. L’oraison bien prise vous adoucira le cœur, et vous le rendra simple, souple, maniable, accessible, accommodant. Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? On est sévère pour les actions extérieures, et on est très relâché pour l’intérieur. Pendant qu’on est si jaloux de cet arrangement superficiel de vertus extérieures, on n’a aucun scrupule de se laisser languir au-dedans, et de résister secrètement à Dieu. On craint Dieu plus qu’on ne l’aime. On veut le payer d’actions, que l’on compte pour en avoir quittance, au lieu de lui donner tout par amour, sans compter avec lui. Qui donne tout sans réserve, n’a plus besoin de compter. On se permet certains attachements déguisés à sa grandeur, à sa réputation, à ses commodités. Si on cherchait bien entre Dieu et soi, on trouverait un certain retranchement où l’on met ce qu’on suppose qu’il ne faut pas lui sacrifier. On tourne tout autour de ces choses, et on ne veut pas même les voir, de peur de se reprocher qu’on y tient. On les épargne comme la prunelle de l’œil sous les plus beaux prétextes. Si quelqu’un forçait ce retranchement, il toucherait au vif, et la personne serait inépuisable en belles raisons pour justifier ses attachements : preuve convaincante qu’elle nourrit une vie secrète dans ces sortes d’affections. Plus on craint d’y renoncer, plus il faut conclure qu’on en a besoin. Si on n’y tenait pas, on ne ferait pas tant d’efforts pour se persuader qu’on n’y tient point.

Il faut bien qu’il y ait en nous de telles misères qui arrêtent l’ouvrage de Dieu. Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. La faute ne vient point de Dieu, elle vient donc de nous. Nous n’avons qu’à bien chercher, et nous trouverons les liens secrets qui nous arrêtent. L’endroit dont nous nous méfions le moins est précisément celui dont il faut se défier le plus.

Ne faisons point avec Dieu un marché afin que notre commerce ne nous coûte pas trop, et qu’il nous en revienne beaucoup de consolation53. N’y cherchons que la croix, la mort et la destruction. Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée ; et, comme on digère ses repas pendant tout le jour, digérons pendant toute la journée, dans le détail de nos occupations, le pain de vérité et d’amour que nous avons mangé à l’oraison. Que cette oraison ou vie d’amour, qui est la mort à nous-mêmes, s’étende de l’oraison, comme du centre, sur tout ce que nous avons à faire. Tout doit devenir oraison ou présence amoureuse de Dieu dans les affaires et dans les conversations. C’est là, Madame, ce qui vous donnera une paix profonde.

LSP 126.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART juin 1693 ?


La série complète54 des lettres 

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu… Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. (LSP 130*, 1693?)

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande ; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui ; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. (LSP 131*,1693 ?)

Lettres postérieures :

Vous ne garderez jamais si bien M... que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout : c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. (LSP 129*, 1695 ?)

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. (LSP 137*)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes ; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu (LSP 150*, attribution incertaine)

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. … Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide. (LSP 164*)

Ma vie est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. (LSP 165*)

Lettres tardives :

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir : on va contre le vent à force de rames. … Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. … Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif55 :… Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner ; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. (LSP 166*, après juin 1708)

Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. (LSP 167*)

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix (LSP 189*)

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. … Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. … Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. (LSP 190*)

Tout contribue à vous éprouver ; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. … Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous (LSP 192*, attribution incertaine)

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? … Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte ? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon ? … J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. … Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? … Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. (LSP 193*) Pb : née en 1665 !

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. (LSP 198*, attribution incertaine)

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous. /Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. (LSP 203, 1711 ?)

Comment pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus ; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. (LSP 490*, attribution incertaine)

Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé, qui était d’abord leur directeur ; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée ; qu’il leur fait lire entre autres les écrits de N., que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. … excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur ; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. (L.1121, 9 janvier 1707)

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D [ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D [ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. … Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D [ieu] ; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres56. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D [ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté ! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus. (L.1231, 22 août 1708)

Je vous avoue, ma bonne D [uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D [ieu], est précisément ce que D [ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. … Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. … En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. (L.1215, 8 juin 1708)

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D [ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. … Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D [ieu] commence à nous y préparer. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D [ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D [ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. … D [ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. … Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. … Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N… [Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. (L.1408)

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D [ieu] donne à ses enfants entre eux. … Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D [ieu] et de faire la place nette au petit M [aître]. (L.1442, 1er février 1711)

Il y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. … Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D [ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. … Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver : je me vois comme une image dans un songe. … Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. (L.1479, 27 juillet 1711)

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce… Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt ? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? … Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. … (LSP 136*)

Fénelon est directeur de la « petite duchesse ». Née en 1665, elle est de quatorze ans plus jeune :

En 1693 : 

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. … Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? … Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. … Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée. (LSP 126*, juin 1693 ?)

Nul couvent ne vous convient ; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. (LSP 135.*)

Choix de citations extrait de la série complète des lettres

Nous tentons une mise en ordre chronologique57. Un choix en italiques précède la séquence complète des lettres qui nous sont parvenues.

Au moment où le duc de Montfort leur fils des Chevreuse est grièvement blessé, Dieu « vous met sur la croix avec son Fils ; je vous avoue que, malgré toute la tristesse que vous m’avez causée, j’ai senti une espèce de joie lorsque j’ai vu Mme la duchesse de Mortemart partir avec tant d’empressement et de bon naturel pour aller partager avec vous vos peines. » (L.168 à la duchesse du 7 avril 1691).

À la comtesse de Gramont : « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l’être de plus en plus. La vertu lui coûte autant qu’à un autre, et en cela elle est très propre à vous encourager. » (L.300 du 22 juin 1695)

À la comtesse de Montberon : “À mon retour, j’espère que nous aurons ici Mad. la d [uchesse] de Mortemart, qui viendra aux eaux. Je serai ravi que vous puissiez faire connaissance. Vous en serez bien contente, et bien édifiée.” (L. entre le 2 et le 6 juillet 1702)

Le duc de Chevreuse écrit à Fénelon : “Je suis plus content que jamais de la B.P.D. [de Mortemart]. J’y trouve le même esprit de conduite qu’elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son fond.” (L.913A du 16 mai 1703).

Nous avons quelques lettres à des tiers où Fénelon exprime son appréciation de la Petite Duchesse :

L’opinion de Fénelon et d’un proche

La petite duchesse pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux.

« … Cependant, lorsqu’elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu’Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s’est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j’ai toujours cru qu’Il l’accordait à l’humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi… »

Doit-on la considérer comme successeur dans la lignée mystique ? Déjà dans une lettre de septembre 1697, Madame Guyon lui écrivait :

“La duchesse vécut ensuite en liaison étroite avec ses beaux-frères, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse. “Plusieurs lettres du P. Lami, bénédictin, nous apprennent que la duchesse faisait de fréquentes retraites au couvent de la Visitation de Saint-Denis, où l’une de ses filles avait fait profession, et qu’elle y occupa même assez longtemps une cellule […] Elle y mourut le 13 février 1750 58».

“La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande Ame du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avait forcé la duchesse [la comtesse] de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre entièrement et tout d’un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardait aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle allait à Cambrai, et y avait passé souvent plusieurs mois de suite. C’était donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que l’archevêque ; ou ne le pouvait même ignorer59.”

Par la suite,

“Mme Guyon a trop fait de bruit, et par elle, et par ses trop illustres amis, et par le petit troupeau qu’elle s’est formé à part, qui dure encore, et qui, depuis la mort du Roi [en 1715], a repris vigueur, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Il suffira d’en dire un mot d’éclaircissement, qui ne se trouve ni dans sa vie ni dans celle de ses amis et ennemis, ni dans les ouvrages écrits pour et contre elle, où tout le reste se rencontre amplement.

“Elle ne fit que suivre les errements d’un prêtre nommé Bertaut [Jacques Bertot, 1620-1681], qui, bien des années avant elle [Jeanne Guyon, 1648-1717], faisoit des discours à l’abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples […] M. de Beauvillier [1648_1714] fut averti plus d’une fois que ces conventicules obscurs, qui se tenaient pour la plupart chez lui, étoient sus et déplaisaient ; mais sa droiture, qui ne cherchait que le bien pour le bien, et qui croyait le trouver là, ne s’en mit pas en peine. La duchesse de Béthune [1641 ?-1716], celle-là même qui allait à Montmartre avec M. de Noailles, y tenait la seconde place. Pour ce maréchal, il sentait trop d’où venait [415] le vent, et d’ailleurs il avait pris d’autres routes qui l’avaient affranchi de ce qui ne lui était pas utile. La duchesse de Mortemart [la “petite duchesse”], belle-sœur des deux ducs, qui, d’une vie très-répandue à la cour, s’était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses sœurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [“la Colombe”, 1672-1748], fille de Noailles. Tels étaient les piliers mâles et femelles de cette école, quand la maîtresse [Guyon] fut éloignée d’eux et de Paris, avec une douleur, de leur part, qui ne fit que redoubler leur fascination pour elle…60.”

Nous relevons du même duc de Saint-Simon une note complémentaire du fil principal de ses Mémoires. Elle est bien informée sur l’origine et sur la permanence du « petit troupeau » après la mort de Louis XIV. Elle pose ensuite la duchesse comme « pilier femelle 61 » lorsque Mme Guyon, sortie de la Bastille, est en résidence surveillée à Blois. Nous indiquons les dates des figures car plusieurs établissent le réseau du « petit troupeau » mystique :

« La duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui l’aimait fort aussi, et de tout à la Cour, la quitta subitement de dépit des romancines62 de ses sœurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une dévotion plus forte qu’elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de dévotion de Mme Guyon l’éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle trouva dans l’exemple de ses deux sages beaux-frères [les ducs] à se confirmer dans son goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints amusements pour s’occuper…63

Cela peut avoir été facilité et facile pour une jeune veuve de vingt-trois ans dont Saint-Simon décrit un charme digne des Mortemart64. Le duc de Saint-Simon use ensuite de son piquant propre en rapportant une dévotion peu jusfifiée à ses yeux :

« La “Petite Duchesse” de Mortemart, fille du ministre Colbert et sœur cadette des dames de Chevreuse et de Beauvillier, épousa en 1679 Louis de Rochechouart65.

« Ce dernier, né en 1663, “donnait les plus grandes espérances (en 1686 il avait forcé les pirates de Tripoli à se soumettre), mais sa santé, minée par la phtisie, provoquait dès l’été 1687 de vives inquiétudes.” Il mourut jeune en 1688. En 1689 et en 1690, on voit souvent le nom de sa veuve dans les listes des invitées du Roi et du Dauphin66. »

La « petite duchesse », proche 67 aimée de Madame Guyon68, prit sa relève au sein du cercle des disciples lorsque cette dernière fut emprisonnée puis assignée à résidence à Blois. La cadette du « clan » Colbert avait un fort tempérament 69 ce qui nous semble assez prévisible mais lui fut reproché. Après 1717, date du décès de la « dame directrice », la duchesse corrigée de ses défauts de (relative) jeunesse atteindra quatre-vingt-cinq ans et le demi-siècle des Lumières.

Elle aura selon nous succédé à Madame Guyon. Aussi nous explorons sa biographie brièvement en texte courant tout en l’accompagnant d’amples notes. Celles très précieuses de l’éditeur I. Noye accompagnent et authentifie ce qui s’avère constituer la plus longue série de lettres rapportée en [CF 18] pour une même correspondante. De nature plus éditoriale que biographique elles ne sont pas reprises ici, mais leurs attributions et leurs datations assurent la séquence du regroupement.

Pour notre chance ! Car l’attribution à la duchesse de Mortemart de lettres nettoyées des renseignements sur leur provenance par les membres du cercle en vue de l’édition de 1718 n’a été établie qu’assez tardivement 70 tandis que l’édition critique de la série « LSP * » est récente 71  : la filiation mystique fut ainsi trop bien préservée.

Nous donnerons après cette esquisse biographique la série reconstituée complète des lettres dont seuls quelques passages seront omis en texte principal.

Mais qui était cette « petite duchesse » ? Nous alternons ici Orcibal avec le duc de Saint-Simon, sans oublier en notes Boislisle, regroupant ainsi l’admirable écrivain observateur avec les deux plus grands érudits qui précédèrent l’éditeur de lettres I. Noye :

Une esquisse biographique

Duchesset (1665-1750)


Fénelon à Marie-Anne de Mortemart




En 1693 : 

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. … Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? … Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. … Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée. (LSP 126*, juin 1693 ?)

Nul couvent ne vous convient ; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. (LSP 135.*)

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce… Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt ? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? … Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. … (LSP 136*)

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu… Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. (LSP 130*, 1693?)

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande ; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui ; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. (LSP 131*,1693 ?)

Lettres postérieures :

Vous ne garderez jamais si bien M... que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout : c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. (LSP 129*, 1695 ?)

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. (LSP 137*)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes ; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu (LSP 150*, attribution incertaine)

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. … Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide. (LSP 164*)

Ma vie est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. (LSP 165*)

Lettres tardives :

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir : on va contre le vent à force de rames. … Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. … Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif72 :… Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner ; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. (LSP 166*, après juin 1708)

Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. (LSP 167*)

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix (LSP 189*)

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. … Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. … Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. (LSP 190*)

Tout contribue à vous éprouver ; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. … Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous (LSP 192*, attribution incertaine)

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? … Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte ? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon ? … J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. … Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? … Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. (LSP 193*) Pb : née en 1665 !

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. (LSP 198*, attribution incertaine)

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous. /Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. (LSP 203, 1711 ?)

Comment pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus ; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. (LSP 490*, attribution incertaine)

Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé, qui était d’abord leur directeur ; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée ; qu’il leur fait lire entre autres les écrits de N., que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. … excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur ; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. (L.1121, 9 janvier 1707)

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D [ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D [ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. … Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D [ieu] ; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres73. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D [ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté ! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus. (L.1231, 22 août 1708)

Je vous avoue, ma bonne D [uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D [ieu], est précisément ce que D [ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. … Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. … En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. (L.1215, 8 juin 1708)

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D [ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. … Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D [ieu] commence à nous y préparer. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D [ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D [ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. … D [ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. … Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. … Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N… [Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. (L.1408)

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D [ieu] donne à ses enfants entre eux. … Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D [ieu] et de faire la place nette au petit M [aître]. (L.1442, 1er février 1711)

Il y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. … Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D [ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. … Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver : je me vois comme une image dans un songe. … Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. (L.1479, 27 juillet 1711)



Fénelon est directeur de la « petite duchesse ». Née en 1665, elle est de quatorze ans plus jeune :

DE FÉNELON

Choix de citations extrait de la série complète des lettres


anécessaire. Je le prie de vous être toutes choses. D ajout d’une formule finale.

bLecture confirmée, sens obscur.

cthéol : ou thél : voir la note 3.

1 L’abbé de Beaumont.

2proverbe espagnol repris dans la comédie de Lope de Vega.

3 La duchesse de Mortemart.

4 Isaac Dupuy.

5 On pense non pas au Télémaque, publié dès avril 1699, mais à des textes tels que ceux rassemblés sous le titre (moderne) d’Opuscules théologiques, parallèles aux développements métaphysiques de la Démonstration de l’existence de Dieu, ou bien à ceux des Lettres sur divers sujets concernant la religion et la métaphysique. V. Fénelon, Œuvres II, Bibl. de la Pléiade. Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie (demeuré inédit jusqu’en 1930) faisait déjà l’objet de l’intérêt de Madame Guyon de par sa richesse spirituelle et de par l’autorité attribuée à l’époque à Clément.



– A.A.-S., pièce 7502, autographe — §2 « Lorsque […] force nécessaire » : Dutoit, t. IV, [courte] Lettre 25, p. 60-61.

Je ne comprends pas, mon cher enfant, la bizarrerie de la sœur de Pan [ta] 1, car, ne pouvant vous avoir, elle doit être ravie que vous soyez ailleurs. Cela s’appelle le chien du jardinier2. J’écrirai à Panta et je lui mandrai les raisons que vous avez de vous mettre chez la p [etite] d [uchesse] 3. Pour ce qui regarde M. votre frère, il en doit être lui-même fort content puisque cela vous donne le moyen de faire vos affaires. Je crois que ce que vous a dit la s [œu] r de Pan [ta] sur le fils de la p [etite] d [uchesse] peut n’être pas tout à fait comme cela, mais quand ce serait, comment pourrait-elle se charger de cet enfant malade puisqu’elle allait elle-même à la campagne ? Quand elle serait restée, je doute qu’elle s’en fût chargée : ne doit-elle pas être libre ? Vous avez le sage Isaac4 qui peut vous dire sa pensée, je ne trouve à cela aucune difficulté. Après avoir été ami des gens pendant leur vie, il faut leur marquer en ceux qui leur sont plus proches qu’on l’est encore après leur mort. [f° .2 r°]

Lorsque je vous ai dit de ne point dire votre sentiment des événements présents, je n’entends pas que vous n’en parliez pas avec vos amis, mais bien avec ceux qui, ne l’étant pas, pourraient se servir de cela pour vous nuire. Je sais par mon expérience combien cela est difficile à pratiquer en certaines occasions, mais il faut avoir bon courage, agir simplement sans s’entortiller au bout de soi. Si vous êtes fidèle à rentrer au-dedans de vous, j’espère que Dieu vous donnera la lumière et la force nécessairea.

Ne pourrait-on point se servir du lieu où est La Voisine pour faire tenir ce que nous avons de notre père ? Je lui ai écrit en droiture, mais je n’ai point mis saint Ghienb, car elle ne me l’avait pas mandé. Je prie le petit Maître de vous être toute chose.

Je vous prie de dire à R [amsay] qu’on nous envoie tous les écrits français de notre père à la réserve de la métaphysique, je veux aussi le thé… c nous en rendrons bon compte, personne n’y prenant plus d’intérêt que moi5.

Ce bon R [amsay] a radoté quand il demande un catalogue. Qu’on nous envoie ce que nous demandons et tout sera en bon ordre. Que son latin soit aussi bien et sa métaphysique, tout ne sera pas mal.

.  [DE Mme Guyon] Au marquis de Fénelon. Septembre 1716 ?

Voici une lettre74 qui touche indirectement la petite duchesse. Noter l’avis sur Ramsay, personnage un peu encombrant.

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [203].

6 Fénelon ?

7 Il s’agit d’aider financièrement des missionnaires.

Il m’est venu plusieurs fois dans l’esprit que N.6 promît, pour toute cette affaire, à Dieu de fonder, lorsque ses affaires lui permettraient, deux missionnaires7 jés [uites] dans la Chine ou ailleurs : Dieu y donnerait bénédiction. Il ne faut que six à sept mille livres pour chacun, et ce ne serait que lorsque les affaires le lui permettraient.

Les affaires n’ont changé à Rome que depuis la demande qu’il a faite. Dieu est délicat et jaloux. Je vous embrasse de tout mon cœur.

1 La Pialière utilise le « $ » comme séparateur entre ses lettres et parfois indique le mois ou l’année.

2 Non identifié. Ici pour la première fois nous avons le surnom complet « petit chien », mais cela ne résoud rien…

3 La majuscule à grand indique qu’il ne s’agit pas de la race canine. Nous avons souvent rencontré les petit et grand « ch [iens] » : mère et fille, mais lesquelles ?

4 Indéterminé.

5 Son époux ayant été tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695, elle se remaria, en 1698, avec le comte de Sassenage.

Plus je pense à ce que vous me mandez du P [ère] d [e] L [a] C [ombe], plus je suis persuadée qu’il y a à tout cela quantité de faussetés ; on fera courir mille bruits, mais parce qu’il n’y aura rien, on se croira en sûreté de conscience de dire qu’on lui a pardonné en faveur de son repentir et parce qu’il a abjuré ses erreurs. Enfin j’ai le cœur plein que les choses ne sont pas comme on les dit.

Je vois bien que le petit chien2 est bien malade, et d’autant plus malade que ceux à qui je l’ai confié entretiennent son mal ; mais peut-être Re. le croit-elle ainsi par la grande amitié qu’elle a toujours eue pour le Grand ch.3, qui croit triompher du mauvais état du petit. Oh ! il faut tout laisser à Dieu. J’ai bien de la joie que le grand4 fasse mieux ; si cela est bien sincère, c’est pour moi une grande consolation. Pour le tut [eur] [Chevreuse], je vous avoue que son changement m’étonne, et que je suis très affligée qu’il ne marie pas madame de Mo [rstein] 5. Ne pourriez-vous point lui en faire voir les conséquences ? Et pourquoi cette effroyable distinction qu’ils ont toujours faite de cette pauvre femme à leurs autres enfants ? Quand il n’y aurait que le défaut de justice, cela serait fort mal.

. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1698.

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [202].

8 Obscure conclusion.

faire imprimer des réponses, et surtout dans ces nouvelles brouilleries, que tout ne fût fini. Je [f° 203] vous conjure de prendre courage et de vous abandonner tout de nouveau à Notre-Seigneur, qui ne vous délaissera pas, quoiqu’Il paraisse le faire. Le démon joue de son reste bon cœur .8

7 Pour assurer le transport des lettres, ce qui est dangereux, car « la jardinière » est connue des sœurs.

2 Il s’agit du père La Combe ; noter le doute sur sa capacité de résistance.

3 Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie est resté inédit jusqu’en 1930.

4 La copie des A.S.-S., ms. 2043, qui servit de source à Dudon lorsque ce dernier la publia en 1930, suit des lettres et la « Doctrine enseignée par le père François de la Combe ». Elle a pour page de titre, d’une écriture ancienne : « 6carton/Le Gnostique de Clément d’Alexandrie/Mss. original du P. Lacombe [faux] ». Il s’agit bien de la copie par Famille, envoyée par Mme Guyon ; l’écriture de la « fille » de Mme Guyon ressemble un peu à celle de Lacombe.

5 Il s’agit de Lacombe.

6 « Des G. » (déjà rencontrée dans les lettres de mars 1698) : la sœur de « Famille ».

1 « etc. » : pour éviter d’avoir à dire plus.

J’ai bien de la peine à croire que la nouvelle de M. de V. soit bien vraie ; il en a dit de si fausses, etc.1 Il est vrai qu’il est aisé de suborner des témoins et de jeter des papiers dans la chambre d’un prisonnier. On me peut faire la même chose dans la fureur dont on est agité. Car à moins que la longue prison, jointe à la nécessité, ne lui aie tourné la cervelle, je ne le crois pas capable de rien faire mal à propos 2. Je ne suis nullement en peine de l’écrit de Saint Clément 3, parce que c’est moi qui le lui ai envoyé4. Je ne l’ai point eu de l’auteur, mais d’un copiste, lequel l’avait eu d’un autre à l’insu de l’auteur. Ne pourriez-vous rien apprendre par quelque autre endroit ? Je vous prie, ne vous alarmez pas si Dieu veut qu’il paye pour tous et succombe à la calomnie5. Lorsque je fus à Vinc [ennes], c’était des choses horribles, cependant rien du tout. Je suis contente que vous ne vous fiiez pas à Des G.6 Laissons les choses comme elles sont, mais ayez bon courage, et ne vous laissez pas abattre par l’adversité ni la crainte. J’espère que Dieu vous soutiendra. C’est dans notre faiblesse que nous devons trouver notre force. Allez trois samedis à Notre-Dame faire vos dévotions.

Le prêtre fait fort bien : je ne lui confie quoi que ce soit au monde, tant j’ai peur de surprise. La nécessité de me servir de la jard [inière] 7, qui a toute confiance en lui, a engagé un petit commerce d’amitié, mais sans rien de particulier. Il a été aux jés [uites], comme il m’en avait assuré. Les nouvelles bourrasques abattent, mais si nous étions vraiment abandonnés, nous ne serions pas abattus. Je vous remercie de tout ce que vous m’avez envoyé. J’ai si mal aux yeux que je ne puis presque écrire. Puisque les choses s’avancent si fort à Rome, je ne voudrais rien

. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1698.

1 La bonne comtesse : Mme de Morstein (fille du duc de Chevreuse) ?

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [200].

Je suis bien éloignée d’avoir de la défiance de vous, mais N [otre] S [eigneur] me tient dans un entier esprit de sacrifice. Tout ce qui se présente est d’abord sacrifié. Il y a bien de la différence d’une pensée à une impression vive d’une chose. J’espère que Dieu vous soutiendra. J’ai toujours connu beaucoup de bien dans le P [ère] L [a] C [ombe], mais je ne réponds pas depuis douze à treize ans que je ne l’ai vu. Je ne puis croire ce qu’on lui impute, et à moins que cela ne soit plus clair que le soleil, je n’en croirai jamais rien, sachant les ruses et les artifices dont on se sert et jusqu’où va la malice. Ne m’accuse-t-on pas ici de faire des choses que je ne pourrais exécuter, quand je serais assez malheureuse pour le vouloir ? À ceux qui me voient ici, on dit que c’est des crimes du temps passé ; à ceux qui savent ma vie passée, ce sont des crimes d’à présent. Dieu sur tout.

Pour vous, ma très chère, Dieu ne permet l’état que vous éprouvez que pour accroître votre abandon par la défiance de vous-même. L’on est souvent moins en sûreté lorsqu’on se croit sûr que lorsqu’on se croit sur le bord du précipice. N’écrivez point à L b c1, mais si vous pouvez la joindre en quelque lieu, tâchez de lui parler, sinon il faut tout abandonner à Dieu. Ces gens-ci n’auront pas de repos qu’ils ne m’aient fait mourir ou enfermer par jugement dans un cachot. Mais je suis très disposée à tout, parce que Dieu seul m’est tout en toutes choses et que tout ne m’est rien. On sait ici le fracas que l’abbé Bossuet fait à Rome. Vous ne me répondez rien sur madame de Lui[nes], et d’où vient son attachement à me décrier. Je suis bien aise que N. se défasse de sa charge, car cela est dangereux. J’ai de la peine que la jard [inière], si reconnaissable par sa grossesse, aille chez vous ; il vaudrait mieux aller aux Jac [obins] lorsqu’elle ne peut aller aux Th [éatins]. Mais les maux viennent sans les prévoir. Bon courage, soyez en paix et soyez persuadée que les routes par lesquelles Dieu conduit les âmes qui lui sont dévouées sont des voies bien terribles. Mais quelles ont été les routes par lesquelles Il a conduit Son fils ! Je vous embrasse derechef.

. A LA PETITE DUCHESSE. Mai 1698.

10 De la forteresse de Lourdes.

9 Il s’agit donc bien de la lettre à M. de Tarbes, obtenue après transport du Père, donc très probablement sous forte contrainte. Par ailleurs on n’est pas sûr du contenu (la lettre n’est pas autographe).

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [198], « 3 mai 1698 » (la lettre du mois d’« avril » est en p. [200], mais nous privilégions les dates indiquées) — Fénelon 1828, tome 9, en note 3 à la lettre 403, p. 81, reproduit quelques passages de cette lettre, comme « lettres à la duchesse de Beauvillier ». Nous maintenons notre attribution à la « petite duchesse ».

6 L’écrit de Fénelon sur Clément d’Alexandrie.

7 Le puissant confesseur jésuite de Louis XIV.

8 L’Official et M. Pirot formaient équipe lors de la première période de prison.

Clément 6 : si on sait celui-là, on n’ignore pas les autres, on y aura ajouté ce qu’on aura voulu. On ne les fait venir, tout cachetés pour les faire ouvrir au père de la Chaise7, qu’afin de le surprendre, de le détacher de M. de C [ambrai]. Puis on dira qu’on supprime les choses par charité.

C’est un tour qu’on me fit comme j’étais à Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine : l’Official porta des papiers au Père de la Chaise, entre autres un aveu de moi de choses très fausses dont le père de la Chaise n’est jamais revenu ; monsieur Py [rot] n’aura pas oublié comme cela se fait et aura pu l’inspirer aux autres8. La voie qu’ils prennent de faire ouvrir cela devant le Père de la Chaise, plutôt que devant M. d [e] P [aris], m’est un juste sujet de les soupçonner, après ce qui a été fait à moi-même. On lui fit voir une lettre qu’on disait être de moi, où j’avouais avec douleur des crimes. Le bon Père l’a toujours cru et, lorsqu’on lui parlait de moi, il disait : « Ces crimes ont été avoués et vérifiés ». De plus, faites réflexion qu’un homme, assez mal pour avoir besoin de garde, n’est guère en effet de faire des crimes. Il y a plus d’apparence qu’on ne lui a donné cette garde qu’après avoir suborné le mari : cela est aisé, on aura fait dire ce qu’on aura voulu. De plus, faites réflexion qui est-ce, et comment on a tiré cette lettre des mains du Père qui s’avoue coupable. Les criminels écrivent-ils de pareilles lettres ? On n’aurait pas transporté le Père à Tarbes9, si l’on n’était pas sûr de N. Pensez à tous les tours qu’on m’a faits, à ceux qui ont été faits à M. de C [ambrai]. Pour moi, il me paraît là mille choses qui ont l’air d’une pièce jouée. Je vous assure que si cela était vrai, on lui ferait son procès en forme. C’est un ressort joué dans cette saison. Je sais que la femme du gouverneur10 est d’un intérêt [200] sordide, qui va au-delà de tout ce qu’on peut dire : elle n’est fille que d’un paysan. De plus, c’est justement en ce temps-ci que cela arrive ; c’est au père de la Chaise qu’on s’adresse pour le gagner. Il y a du plus et du moins à cela, assurément.

5 Nouvel écho déformé ? La femme ne serait autre qu’elle-même, dans le faux qui lui sera bientôt présenté, ou bien il s’agit d’un épisode inconnu (car la lettre à M. de Tarbes ne contient rien sur un tiers mari).

2 Il semble qu’un juste équilibre se soit établi entre les partis, car selon Orcibal, CF, chronologie : « À Rome, on ajoute que les savants et la plupart des cardinaux sont pour M. de Meaux, mais qu’il y a une grosse cabale pour Mgr de Cambrai qui est fort aidé des R. P. Jésuites… » (lettre d’Orléans) ; « De Rome. On assure que cinq des plus forts examinateurs sont pour ce prélat [Fénelon], et que les cinq autres qui lui sont contraires, ne s’accordent pas sur la manière dont ils veulent que son livre soit condamné » (Gazette d’Amsterdam, 26 mai).

4 Sœur de Famille.

Ce que vous me mandez du P [ère] d [e] L [a] C [ombe] m’étonne beaucoup. Il faut que la prison lui ait tourné la cervelle, car comment commettre de pareilles choses ? Et comment les avouer par écrit, quand la chose serait vraie ? Je crois la lettre supposée, mais un mari est-il cru sur ces choses ? Il faut tout laisser à Dieu. Je n’ai jamais fait de voyage seule avec ce père1 : j’en ai fait trois avec lui, où j’avais plusieurs témoins de probité, outre mes filles. Ce que vous me mandez de

1 Premier écho de la fausse lettre de Lacombe du 27 avril 1698 qui va bientôt être présentée à Madame Guyon : « C’est devant Dieu Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché dans certaines choses qui sont arrivées avec trop de liberté entre nous… », ou de la lettre à l’évêque M. de Tarbes ?

Rome m’afflige extrêmement2, mais il faut s’abandonner sur tout et attendre tout de Dieu. Les choses étant de cette sorte, ne peut-il pas y avoir un milieu entre condamner et approuver ? Ne pourrait-on pas faire voir que la Sorbonne n’est pas contre M. de C [ambrai] ? Enfin je laisse tout à Dieu.

La femme est revenue bien tremblante. N. [le curé] lui a demandé si elle avait vu Des G.4, si elle la connaissait. Comme on lui avait défendu d’en parler et que cela n’a pas de discernement, elle l’a nié à N. : ce n’est qu’un effet de sa fidélité.

Je suis bien fâchée du mal de N. : elle pourrait guérir. Le p [etit] M [aître] ne veut pas laisser la fête qui est aujourd’hui sans croix. Mon [f° 199] cœur est préparé à tout ; s’Il a été mis au rang des malfaiteurs, pourquoi ne passerions-nous pas pour coupables ? Dieu sur tout ! Je Le bénis du courage qu’Il vous donne, et je Le prie de fortifier les genoux tremblants et de soutenir les mains lassées. Je vous embrasse de tout mon cœur. Vous m’êtes bien chère.

Je ne puis croire que la lettre soit du P [ère] d [e] L [a] C [ombe], ni que les choses soient comme on les dit. Il se peut faire qu’il ait embrassé cette femme, et que le mari l’ait trouvé5 ; et à cela, qui n’est rien devant Dieu, on aura ajouté les derniers crimes, car si cet homme l’avait surpris, il aurait été se plaindre comme vous dites ; mais le P [ère] L [a] C [ombe] qui se serait vu surpris, n’aurait pas manqué, dans le temps qu’il aurait été faire ses plaintes, de brûler tous ses papiers. Il est aisé sur de faibles apparences, d’imposer des crimes à un homme enfermé, auquel on ne donne nul moyen de se défendre. Soyez sûre que cette lettre n’est pas de lui ; n’étant pas de lui, c’est un argument de son innocence. On ne fait pas courir de telles lettres lorsque les crimes sont assurés : on se contente de leur vérification, qui les rend incontestables. De plus, vous vous souviendrez qu’on a su qu’il y avait un papier de Saint

. A LA PETITE DUCHESSE. 3 mai 1698.

1 L’évêque Ripa, du diocèse de Verceil (aujourd’hui Vercelli) près de Turin, chez qui résida Madame Guyon.

13 Qui ne désapprouvaient pas tous Fénelon : « Mai. Un licencié a soutenu en Sorbonne sa vespérie dans laquelle il y avait les principes de M. L’archevêque de Cambrai sur l’amour pur et désintéressé… » (CF, chronologie, mai 1698, t. VII, p. 285.).

14 Quesnel (1634-1719), oratorien, favorable aux jansénistes, auteur du Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset, 1671 (première version), approuvé par Noailles en 1695.

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [200], « avril ».

s’il est enfermé ? Mais Dieu sait bien ce qu’Il veut faire. L’on voit bien que la cabale a plus de part à tout ce qui se fait contre M. d [e] C [ambrai] que la vérité. Il ne faut rien négliger du côté de Rome ; il est bien extraordinaire d’avoir ôté tout cela aux docteurs de Sorbonne 13. Je sais que ses ennemis [f° 202] crient déjà victoire. On dit que le P [ère] Quesnel 14 n’est pas contre M. d [e] C [ambrai], qu’il goûte ses ouvrages. Je ne sais si cela est bien vrai.

Je sais de bonne part qu’on a assuré les filles avec lesquelles je demeure, que, lorsque je mourrai, l’on confisquera ce que j’ai en leur faveur. Le projet est tel qu’on n’appellera ni prêtre ni personne, si l’on n’avait pas le temps de faire venir N. [le curé] ; s’il vient, il prétend déclarer que j’aurais avoué quantité de choses. On fera tout fermer de la part de M. d [e] P [aris], sous prétexte d’examiner si je n’aurais point fait quelques nouveaux écrits : s’il y en a ou si l’on y en trouve, je passerai pour relapse, et sur ce pied tout sera confisqué. Elles ont dit : « Mais si elle a fait quelque testament ? — S’il est ici, a-t-on répondu, il sera supprimé. S’il est fait avant ces affaires-ci, il ne peut être valable, parce qu’il faut le renouveler tous les ans. »

8 La mère Eugénie de Fontaine (1608-1694) fit profession à la Visitation et « acquit bientôt la plus haute considération », v. Notices, Eugénie.

9 Ripa fut l’ami de Madame Guyon et du P. Lacombe lors de leur séjour en Piémont, v. Notices, Ripa.

10 Retour provoqué par le P. La Mothe, v. Vie, 2.25.1.

11 La mère Bon, (1636 - 1680), religieuse attachante, qui exerca son influence sur le père La Combe, auteur d’un Catéchisme spirituel. V. Notices, Bon (Marie).

12 Le docteur Pirot, v. sa lettre à Madame Guyon du 9 juin 1696 : « Vous ne devez pas être surprise, madame, si jusqu’à cette heure je n’ai pas voulu entrer en matière avec vous pour vous entendre en confession… » ; v. Notices, Pirot.

7Aranthon d’Alex.

Grenoble. Je n’ai jamais vu à Lyon de fille de cinquante ans, ni d’un autre âge, et n’en connais aucune. M. de Genève7 me conta lui-même ce que l [e] P [ère] d [e] L [a] C [ombe] lui avait dit de la part de Dieu, deux ou trois ans avant que je fusse dans son diocèse et, en me le contant, il me dit : « Je sentais qu’il me disait vrai et qu’il me disait des choses que Dieu seul et moi savions. » C’est lui qui me le donna pour directeur, etc.

J’ai toujours bien cru qu’il y avait du plus ou du moins dans l’affaire du P [ère] d [e] L [a] C [ombe] : on l’enferme en lui prenant ses papiers pour lui imposer au loin tout ce qu’on veut, afin qu’il ne puisse se défendre, et mon cœur me disait toujours que cela était faux. J’ai eu des songes si positifs qui m’ont confirmé les sentiments que Dieu me mettait au cœur, que je ne puis douter de son innocence. Vous savez si c’est ma manière de montrer ma gorge ! Lorsqu’on me mit à Sainte-Marie, l’on dit à M. l’Official que j’étais toujours débraillée, et qu’on me voyait jusqu’au creux de l’estomac. Lorsqu’il me vit vêtue comme je suis toujours, et comme je l’ai toujours été dès ma jeunesse, il demeura si surpris qu’il ne pût s’empêcher de me dire cela, et il le dit aussi à la mère Eugénie8. Vous savez ce qui m’a fait sortir de Verceil9, et l’amitié de M. de Verceil pour moi10. La religieuse avec laquelle il dit que j’avais commerce, et qui passe pour sainte dans l’ordre de sainte Ursule, qui s’appelait la Mère Bon 11, était morte un an avant que je fusse en ce pays-là, elle a fait des écrits à la vérité, mais ils sont tous en lumière.

Je ne comprends pas comment on peut débiter tant de faussetés, pour ne dire que des pauvretés. Il faut envoyer à Rome nécessairement tout ce que N. [Fénelon] répond, et c’est où l’on devrait envoyer d’abord. On a pris, pour examiner le P [ère] d [e] L [a] C [ombe], le plus grand ennemi qu’il ait, car M. Py [rot] 12 ne lui a jamais pardonné : « Vous êtes docteur en Israël, et vous ne savez pas ces choses ! » Le venin qu’il a conservé depuis est horrible, mais il fallait cet homme pour jouer leur rôle. Comment l [e] P [ère] d [e] L [a] C [ombe] se défendra-t-il et s’expliquera-t-il,

4 Ou Guyfon ? mais « M. Guifon » est cité dans le brouillon du texte définitif de la déclaration remis aux trois examinateurs, aux côtés des filles du P. Vautier, de la Gentil, etc., en tant qu’opposant.

5 Dom Le Masson.

6Le Camus.

2, 3 Mme Belof, sœur de M. Thomé. V. lettres du 22 septembre 1693 à Chevreuse et du 9 novembre 1694 de l’archevêque de Vienne.

Le P [ère] d [e] L [a] C [ombe] n’a point demeuré avec moi à Grenoble. Il y vint deux fois vingt-quatre heures de la part de M. de Verceil1 qui me demandait. J’ai été peu de temps à Lyon : environ douze [f° 201] jours chez madame Blef2, chez M. Thomé3. Je ne voyais presque personne et ne me suis jamais habillée en public. L’homme que j’y vis le plus était M. Guygou 4, qui est à Paris, et un saint ; il sait si j’ai jamais rien fait d’approchant. Tout le reste de l’histoire du P [ère] général des ch [artreux] 5 n’est pas plus vrai, puisqu’on ne m’a jamais fait sortir de nul diocèse, que M. de Grenoble 6 lui-même me pria de m’établir à

. A LA PETITE DUCHESSE. Avril 1698.

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [197] – Fénelon 1828, tome 9, en note 3 à la lettre 403, p. 81-82, reproduit deux brefs passages de cette lettre, comme « lettres à la duchesse de Beauvillier. » 

2 Indice de l’absence de recueillement et de communication par l’intérieur.

3Lacombe séjourna longtemps dans la forteresse de Lourdes.

manteau de la pitié qui lui ait pu donner un pareil conseil ? Cela m’afflige tout à fait.

Depuis ceci écrit, le notaire est venu, qui a fait donner une procuration pour faire recevoir le remboursement, etc. Ayez la bonté de faire que cette petite fille ne perde pas cela pour être enfermée avec moi. J’ai été bien étonnée d’apprendre que madame de la Marv [alière] était encore avec madame de Mo [rstein] : on demande certains avis, mais on ne les exécute qu’autant qu’ils accommodent. Je ne suis pas surprise du changement de M. de Ch [evreuse]. Vous souvenez-vous que je ne pus jamais obtenir de le faire rester un quart d’heure en silence avec moi chez ma [dame] de Mo [rstein] 2 ? Je suis charmée de ce dernier ouvrage, aussi bien que du premier. Je voudrais savoir combien il y a de temps que le l [e] P [ère] d [e] L [a] C [ombe] est à Tarbes3.

2 Jean 8, 32.

1 Il s’agit peut-être de récit sur la fondation d’une « petite Église », expression utilisée par Lacombe pour parler de son cercle spirituel, prise au sens littéral.

Les choses que vous me mandez m’ont mise dans un étonnement que je ne puis exprimer. Serait-il possible que l [e] P [ère] L [a] C [ombe] fût devenu assez méchant pour faire des choses comme celle-là, et, quand il serait assez mauvais, serait-il assez fou pour les faire sans précautions, en sorte qu’il pût être surpris1 ? Et qu’est-ce que cela a de particulier avec moi ? Il est certain que N. [le curé] a été trois mois à faire le mauvais, mais d’où vient qu’il est radouci tout d’un coup, et qu’après m’avoir ôté la communion si longtemps, il a ordonné que je communiasse toutes les fêtes et dimanches ?

Tout le mal qu’on me veut faire m’afflige moins que la démarche que N. [Fénelon] a faite pour un accommodement et le désir de revenir à la Cour. A-t-il oublié ce passage : « Si vous aimez et soutenez la vérité, la Vérité vous rendra libre2 » ? Point d’autre liberté, point d’autre fortune que celle qui vient par la vérité. Cette démarche affaiblit beaucoup la vérité. Prions Dieu qu’Il lui donne plus de fermeté et plus d’indifférence pour la faveur : cette disposition changeante peut lui nuire infiniment à Rome, et même ici ; on est touché de la force de ses raisons, et la vérité se ferait jour s’il la soutenait jusques au bout. Cela fera croire qu’il craint quelque chose, cela fera douter de son innocence, s’il est susceptible de ces faiblesses. Enfin, il me paraît que c’est le plus [f° 198] mauvais de tous les contretemps. Ses ennemis se peuvent surmonter par la force, mais ils ne s’apprivoiseront jamais par la douceur : ils tireront des armes de sa faiblesse, sa crainte leur donnera de la hardiesse, enfin il me paraît que c’est le plus mauvais parti. S’il préfère la Cour à la Vérité, la Cour sera son écueil. Est-il possible qu’il ait fait cette démarche de lui-même sans consulter personne ? Et quel est l’ennemi couvert du

. A LA PETITE DUCHESSE (?) Avril 1698.

– Fénelon 1828, t. 8, l. 374, p. 534.

Mars 1698

J’ai demandé, monsieur, permission à M. de Saint-Sulpice de me donner l’honneur de vous écrire pour vous témoigner de nouveau, monsieur, et mon profond respect et ma confiance. Je vous assure qu’elle est tout entière, et que l’état où je suis ne me permettant pas de vous la témoigner, je conserve dans le secret de mon cœur tous mes sentiments sur cela, vous priant instamment de prier Notre Seigneur qu’Il me fasse la grâce de faire usage, selon Ses desseins sur moi, de toutes les croix que Sa Providence m’envoie. J’espère que vous m’accorderez cette grâce, et celle d’être persuadé, monsieur, qu’on ne peut être avec plus de respect que je suis, etc.

. AM. TRONSON. Mars 1698.

1 L’archevêque de Paris.

2 Voir la parabole du semeur : Matthieu, 13, 3-23 ; Marc, 4, 3-20 ; Luc, 8, 5-15.

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [196].

Je vous conjure de vous ménager ce carême : pourquoi jeûner et ne prendre pas les soulagements dont vous avez besoin dans votre incommodité ? Il n’y a qu’à laisser distribuer les réponses de N. [Fénelon]. Ne m’en enverrez-vous point ? N. [le curé] vint hier, il n’était pas venu depuis la surveille de Noël. Il nous confessa, fit le doucereux, ne parla de rien ; c’est lors qu’il est le plus à craindre. Il dit à Fam [ille] de lui-même que dans dix ou douze jours, il lui enverrait sa sœur des G. Il faut que des G. écrive à sa sœur et porte la lettre à N. [le curé] pour voir ce qu’il lui dira. Il faut qu’il soit persuadé qu’on n’a point de nouvelles pour parler si diversement. Il me dit : « Je vous avais promis de vous [f° 197] amener Mlle votre fille, mais il faut attendre que les affaires de Rome soient finies ». Ensuite, il me dit que la lettre que j’avais écrite à M. l’arch [evêque] 1 avait été très bien reçue et que M. l’arch [evêque] m’assurait de sa considération et ce que je voulais de lui. Je lui répondis que je ne demandais rien à M. l’arch [evêque], sinon que, comme N [otre] — S [eigneur] n’avait pas même ôté le pain à la Cananéenne, qu’il ne me l’ôtât pas non plus. Il me dit qu’il allait marier une sœur de M. de Ch [evreuse] et qu’il avait marié Mlle de Ch [evreuse] au m [arquis] de Loui [sbourg ?]. Je ne savais pas qu’elle fût mariée, mais je vous assure que, lorsque N. file doux, c’est alors qu’il trame plus de choses. Conservez-vous, je vous prie. Mandez-moi des nouvelles du d [uc] de Ch [evreuse]. Je vous embrasse mille fois.

Il me semble qu’ils ne sont point comme il faut. Ils ressemblent, comme dit J [ésus] — C [hrist], à la semence jetée dans un champ pierreux : ils reçoivent la parole avec plus de démonstrations de joie que nul autre, mais à la première persécution, ils renoncent la parole, semblables à cette semence que la moindre ardeur du soleil dessèche2. Si vous apprenez quelque chose du P [ère] l [a] C [ombe], faites-le moi savoir. Vous êtes oublieuse, ma très chère. La paix soit avec vous ! J’avais oublié à vous dire que je demandai des nouvelles de M. Tronson : il me dit que c’est un bon homme qui en a bien enterré, il en enterrera peut-être bien d’autres, mais avec un air de mépris.

. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1698.

2 La « petite veuve » : Mme de Morstein, Marie-Thérèse d’Albert, fille du duc de Chevreuse. Son époux, Michel Adalbert, comte de Morstein, ayant été tué au siège de Namur, le 18 juillet 1695, elle se remaria, en 1698, avec le comte de Sassenage.

1 Dont l’arrêt de la correspondance.

A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [196].

Votre lettre m’a donné de la joie, car j’avais déjà sacrifié à Dieu bien des choses1. Je vous prie qu’on ne laisse pas manquer l’affaire de N. C’est un seigneur très puissant et dont j’ai ouï dire autrefois beaucoup de bien. Sa naissance est très bonne, et ses biens très considérables. Vous savez mieux ses mœurs que moi. Il est impossible que la petite veuve2 reste dans un état si violent.

Mandez-moi s’il est vrai que le livre ait été approuvé à Rome. J’ai toujours bien cru que lorsque les affaires iraient bien à Rome, on me tourmenterait par un autre endroit. Mon cœur est préparé à tout, et j’espère que Dieu me fera la grâce de ne point sortir de Sa dépendance et de l’abandon à Sa sainte volonté.

N. [le curé] n’est pas venu depuis la surveille de Noël, et l’on fait comme craindre qu’il ne viendra pas pour Pâques, voulant m’ôter même la communion pascale. L’ecclésiastique est plus affectionné que jamais, tout plein de cœur et désireux de me servir au péril de sa vie, s’il le pouvait. Il laisse des bénéfices assez considérables avec un grand désintéressement dans le désir de m’être utile, mais je le porte à les accepter, car je ne veux que Dieu. Je vous mande cela pour vous dire qu’il est comme il faut. Je ne doute point qu’on nourrisse sous main des trames nouvelles. Madame de Lui[nes] dit que les affaires sont plus brouillées que jamais, qu’on découvre chaque jour de nouvelles choses que j’ai faites. Vous ne me mandez pas l’état de votre santé. Je vous embrasse de tout mon cœur.

. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1698.

– A.S.-S., ms. 2173 (La Pialière), [194].

a Points de suspension dans le ms.

5Ici débute la lettre suivante : les deux lettres furent probablement envoyées en même temps, d’où le signe « $ » utilisé par Dupuy pour indiquer leur séparation, sans pour cela attribuer une date à chacune, comme c’est son habitude à la fin de la lettre.

6 Aussi faudra t-il forger une lettre d’auto-accusation au niveau des mœurs.

7 En arrêtant l’échange de lettres.

femme, mais il faudrait lui donner un jour et une heure à laquelle on ne manquât pas. Je crains encore plus pour vous que pour moi. Si vous vouliez vous fier à Des G., puisqu’elle le sait, je crois qu’elle garderait le secret, et on irait au loin tantôt à une église tantôt à l’autre. Enfin je vous laisse libre, pourvu qu’on n’aille plus ni chez nous ni aux Jac [obins]. Je suis bien aise que vous ayez rompu carême. Je vous embrasse de tout mon cœur et vous aime tendrement en J [ésus] — C [hrist].

J’avais écrit cette lettre, prête à vous l’envoyer, lorsque Des G. est venue, qui m’a bien surprise ; elle vous dira toutes choses. Elle a eu une grande joie de me voir. Elle m’a fait pitié, la voyant presque toute nue ; si vous aviez la charité de lui faire donner quelque vieil habit de votre garde-robe, je vous en serais obligée et je le tiendrais fait comme à moi-même.

5 $

On ne peut avoir plus de chagrin que j’en ai de vous en avoir causé… a Je suis très fâchée de tout ce qui se fait contre N. [Fénelon]. Pour l [e] P [ère] L [a] C [ombe] je ne crains pas la confrontation et j’abandonne tout à Dieu : Il sait bien ce qu’Il veut faire de moi. Je ne comprends pas quels papiers un homme peut avoir sur lesquels on lui puisse faire son procès6. J’ai peine à croire tant de choses, mais j’abandonne tout à Dieu. Ne craignez pas de me faire peine en laissant le commerce7 ; je n’en aurai point du tout. Faites, selon votre prudence, ce que vous jugerez le plus propre. Nous nous verrons en Dieu : c’est où je ne vous oublierai jamais, quoi qu’il arrive. Je vous ai beaucoup d’obligation d’avoir gardé Des G., mais pour peu qu’elle vous soit à charge ou que [vous] [f° 196] jugiez à propos de vous en défaire, faites-le sans scrupule. Je ne crains rien pour moi d’elle ; je ne crains seulement qu’elle ne dise les personnes que j’ai vues, je ne le crois pas pourtant. Croyez que je périrais mille fois avant que de mettre personne en jeu. Je n’ai jamais parlé de rien à Des G. ; je ne parle jamais à mes filles de ce qui regarde mes amis. Vous vous souviendrez, s’il vous plaît, que vous m’aviez mandé que vous enverreriez [sic] Des G. la première fois aux Th [éatins]. Sans cela, je n’aurais pas pris la liberté de m’adresser à elle.

4 Inconnue.

2 Rom., 8, 31.

2 Rom., 4, 18. Le vécu mystique dans le « language de la croix », cher au XVIIsiècle, preuve de (petites) nuits intérieures dont on se demande, lorsqu’elles se produisent, pourquoi elles sont inévitables.

3 Des G : la sœur de Famille (fille au service de Madame Guyon), selon la lettre suivante.

1 En rêve.

Je suis charmée des lettres de N. [Fénelon]. Rien n’est plus fort, plus net, plus décisif. Il y a une certaine honnêteté qui ne diminue rien de la force, et une manière délicate de démêler les choses. J’admire comme Dieu, voulant éclaircir et approfondir l’intérieur, a permis qu’on ait combattu le livre. S’il ne l’avait pas été, aurait-on été obligé d’écrire et de développer tant de belles choses ? Lorsque N [otre] — S [eigneur] me fit connaître qu’il serait ma bouche1, il ne m’a pas trompée. J’espère et me confie en Sa bonté qu’Il achèvera Son ouvrage. Aimons et prions, et ne nous rendons pas indignes par notre infidélité et notre défiance de voir achever ce qu’Il a commençé. Tout s’opère par la Croix. Pourquoi craindre les puissances ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Ayons donc une foi inébranlable jusqu’à la fin. C’est le plus souvent lorsque les choses sont plus [195] désespérées qu’elles réussissent. Dieu fait longtemps attendre les plus grandes grâces : Il les fait acheter cher, afin d’exercer notre foi. Il faut, comme Abraham, espérer contre l’espérance même2.

M. d [e] P [aris] a déjà répondu à M. d [e] C [ambrai] dans une nouvelle édition de sa lettre pastorale, et M. d [e] M [eaux] à la fin de son dernier livre, que l’ecclésiatique m’a prêté, mais que je n’ai pu me résoudre de lire.

J’ai bien de la joie de la meilleure santé du d [uc] de Ch [evreuse]. C’est parce qu’il avait été trop saigné que le sudorifique n’a pas eu un effet si prompt ; c’est le remède le plus sûr pour les pleurésies, surtout celui qu’on procure par le suc de bourrache. Je suis bien aise de ses bonnes dispositions.

J’ai eu beaucoup de peine de quatre fois de suite que la jardinière a été chez nous. Grosse comme elle est, elle est très reconnaissable : tous nos gens la connaissent, Des G. 3 même, qui lui a parlé plusieurs fois de sa sœur. Il vaudrait mieux écrire moins souvent à cause que ma. de ma.4, qui est fort délicate et infirme, ne peut aller si souvent aux Th [éatins]. Si vous voulez, je n’y enverrai que tous les mois ou les quinze jours ; et si vous avez quelquefois des choses pressées, vous le feriez dire à la

. A LA PETITE DUCHESSE. Mars 1698.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 229].

a Fin de la page et du ms. Dupuy, dont manquent les derniers feuillets. Nous ne retrouvons pas cette lettre dans la copie de La Pialière. A partir d’ici la copie par La Pialière assure le relais — avec cependant une interruption : on passe de janvier à mars..

Je crois que M. de C [ambrai] doit faire imprimer ses réponses, car les gens d’à présent se laissent frapper, et [ceci] dès qu’il est à couvert du mauvais effet que cela fait à R [ome]. Je n’y perdrais point de temps ; mandez-le lui donc, je vous en prie, et saluez-le de ma part. L’ecclési [astique] me paraît très entêté du jansénisme, et je ne puis m’empêcher de m’en défier lors même qu’il me fait plus d’amitié. Mon cœur n’est point net sur lui du tout. J’espère que le….. a

. A LA PETITE DUCHESSE.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 229]. Lettre importante sur le véritable abandon.

même de l’âme qui s’enfonce, par cette voie, dans l’expérience réelle de son impuissance, et par conséquent dans la vraie humilité, et c’est, lentement, en cet état où réside le véritable abandon, puisque cet état seul est capable de la faire exercer. Courage donc ! Servons Dieu pour Dieu, et nous dépouillons de notre propre intérêt qui s’est conservé jusqu’à présent, voulant toujours pour soi le meilleur et le plus excellent, au lieu qu’il ne faut vouloir que Dieu pour Lui-même. C’est ma petite pensée. Qu’il prenne donc un nouveau cœur sans cœur pour servir Dieu, non selon les idées qu’il s’en est formées jusqu’à présent, mais en se laissant traîner par tous les endroits où le Maître voudra le conduire. Embrassez-le pour moi, lorsque vous le verrez, et le tut [eur] [Chevreuse].

Je vous aime chèrement, en N [otre] — S [eigneur] J [ésus] — C [hrist], tous. Que Dieu soit à tous notre force, et qu’Il ne permette pas que la tribulation nous fasse douter de Ses mérites et de les noyer. Qu’Il affermisse plutôt en nous, par cette même tribulation, Son pur amour. Qu’Il nous taille, afin de nous rendre des pierres propres et l’édifice de Sa gloire. Lorsque nous ne voudrons plus rien pour nous, quelque saint qu’il paraisse, mais tout pour Dieu, c’est alors que cette même gloire paraîtra en nous. Janvier 1698.

1Rome (probable).

Je suis fort en peine de votre santé : faites-m’en savoir des nouvelles, je vous en prie, car vous m’êtes plus chère que je ne vous puis dire. Je suis bien aise des bonnes dispositions de R.1 Je prie Dieu de tout mon cœur qu’Il achève Son ouvrage. Mais je ne puis comprendre comment M. de C [ambrai] a fait réimprimer son livre dans la conjoncture. En quelque état que nous le voyons à présent, j’espère que Dieu sera glorifié en lui.

Pour le compagnon, je veux bien le recevoir tout de nouveau dans mon cœur. Je le prie de ne se point inquiéter de son état de sécheresse. Jusqu’à présent, Dieu lui a donné des marques de Son amour. Il faut qu’il témoigne maintenant le sien à Dieu, en Le servant purement parce qu’Il le mérite, sans soutien ni consolation. Cet état lui sera très utile, et il avancera plus en un mois par là, qu’il n’a fait en plusieurs années par le goût, la facilité et la lumière. C’est le désert de la foi qu’il faut passer. Qu’il porte donc cet état en paix, et même sans paix, sans vouloir rien faire par son activité [229 v°] naturelle pour se mettre mieux et d’une manière plus aperçue. Plus il portera l’état en ferme foi, sans agir, sans assurance, sans sentiment, plus tout ira bien. Qu’il ne s’étonne pas non plus de ses faiblesses, et de ce que ses défauts paraîtront davantage au — dehors. L’hiver fait tomber les feuilles des arbres et prive la terre de fleurs, mais les arbres prennent alors de profondes racines ; il en est de

. A LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1698.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 228v°].

J’ai reçu le pot de noix que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; je vous en remercie. N. [le curé ?] ne m’a point envoyé des gouttes, ni ne m’a fait savoir aucune chose de ma lettre à M. de P [aris]. Il fait paraître [f° 229] de loin un grand courroux, sans que j’en sache la cause. Je ne m’en mets pas en peine. Dieu sur tout. J’ai été mal ces jours-ci, et la nuit encore. Le prêtre dont N. [le curé] s’était servi pour le vin, est mort en langueur. Pour moi, je me trouve bien attaquée : j’ai eu dedans de violentes douleurs, et presque continuelles. Je ne sais rien du tout, car l’ecclési [astique] ne me mande plus rien, sinon qu’une personne d’un mérite très distingué a écrit une lettre contre le pur amour qui sera imprimée mardi : ce sont ses termes. Je suis témoin que vingt et trente verres de vin ne font pas peur à l’homme dont vous me parlez. Il ne faut pas vous étonner si le gouverneur de N. est un peu neuf dans le commencement ; il deviendra assez tôt comme il faut, s’il a de l’esprit et de la prudence. Son oncle ne paraît pas d’abord ce qu’il est. C’est beaucoup d’avoir une personne à vous, et c’est tout. Je vous embrasse de tout mon cœur. Comment vont les ch. et Rem. ? Je vous prie de me faire acheter un petit couteau de poche et une lancette.

. A LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1698.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 228v°].

a (décembre 1697 biffé) janvier 1698.

. A LA PETITE DUCHESSE. Janvier 1698.

M de Cha [rtres] a été à Paris à la maison des filles qui me gardent. Je crois bien qu’il n’aura pas manqué de me bien recommander à elles : on a donné de nouveaux ordres pour me garder encore plus étroitement, et l’on veut qu’on dise que je ne suis plus ici. C’est l’ecclés [iastique] qui me l’a fait savoir. Je ne sais rien du tout. Avez-vous été voir la ddg [duchesse de Gramont] pendant ses couches ? N. [le curé] ne vient ni n’écrit. Ainsi je n’ai rien appris depuis ma lettre à M. de P [aris], et je ne m’en mets pas en peine : il n’arrivera que ce que Dieu voudra. Je vous embrasse de tout mon cœur, et j’ai bien de la joie que mademoiselle votre fille soit à Dieu : cela vaut bien mieux que la beauté et que toutes les qualités extérieures. Le p. L’em [Lempereur] n’est donc pas exilé, puisque vous vous en trouvez bien. Janvier 1698a.

2 Thème célèbre, v. « Nudité dans la littérature mystique », DS, 11, 513 sv.

3 Depuis l’affaire des poisons (la marquise de Brinvilliers est exécutée en 1676), des mesures avaient été prises, en particulier à Paris, pour vérifier les cas de décès douteux : il s’ensuivit une diminution considérable du nombre des empoisonnements…

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 226v°]. Lettre importante pour la direction spirituelle : elle pourrait être écrite aujourd’hui sans en changer un mot…

1 Fénelon ? Voir aussi la lettre n° 454 de janvier 1698.

Je vous assure que le compagnon1 me fait grande pitié. Je prie Dieu de lui donner selon son besoin. Mais ne sait-il pas que c’est un trajet qu’il faut passer, et qu’on ne peut avancer ni mourir véritablement à soi sans passer par là ? C’est à présent le temps d’exercer son abandon. Qu’il ne donne point de prise à son ennemi, mais qu’il s’abandonne totalement à Dieu, qu’il lui remette entre les mains son éternité : Il en aura soin, et elle sera mieux [227 r°] entre les mains de Dieu qu’entre les siennes. Toutes les grâces, que Dieu lui a faites jusqu’à présent, n’ont été que pour le fortifier et disposer à porter cet état ; s’il le passe avec courage et abandon à Dieu, ce sera la source de tous biens ; s’il n’a pas le courage de le passer, il restera en chemin. Comme il a été fidèle à Dieu connu, senti, goûté, aperçu, il le doit être beaucoup plus au Dieu caché, qui ne Se cache de la sorte que pour éprouver s’il L’aime véritablement. Si c’est Lui seul qu’il a suivi, et non les dons, il faut suivre, nu, J [ésus] — C [hrist] nu sur le calvaire1a.

Rien n’est plus dangereux, dans ces temps, que de s’abandonner aux réflexions. Les réflexions seront sa perte : lorsqu’elles lui viennent en foule dans l’esprit, qu’il les souffre et les laisse tomber pour l’amour de Dieu. Quoiqu’il se croit sans force et sans vigueur pour les emplois, il aura ce qu’il lui faut pour la nécessité, s’il veut bien ne se point laisser aller à sa timidité et à ses craintes. Qu’il agisse avec courage hors de lui-même, sans attendre rien ni de sa sagesse ni de son industrie. Manquerait-il à Dieu dans le temps le plus important de sa vie ? Dieu ne lui a jamais manqué. Qu’il ne Lui manque pas ; il s’en trouvera bien, et cet état bien porté lui causera des biens infinis. Il faut un courage sans courage, et se renoncer soi-même véritablement. S’il croit, en quittant tout, trouver son repos, il n’en trouvera aucun. Les défauts sont en nous, et non dans les emplois ou les choses. C’est nous-mêmes qu’il faut quitter, et c’est par cet état qu’on se quitte soi-même. Qu’il entre tout de bon dans la carrière comme soldat du Seigneur tout-puissant, que l’aridité des déserts ne le décourage point ; il trouvera ensuite les eaux vives qui jailliront jusqu’à la vie éternelle.

Voilà la copie de la lettre que j’ai envoyée. Je ne sais comme elle sera reçue, mais je vous assure que s’il me demande autre chose, qu’il n’y a point de martyre que je ne sois prête à souffrir plutôt, avec la grâce de Dieu, surtout sur l’article de N. [Fénelon]. Je ne m’embarrasse pas [f° 227 v°] de leurs vues. Ma fille sera sans doute l’instrument dont ils se serviront pour tâcher de me persuader, mais Dieu est toute ma force, et j’espère qu’il triomphera, grâce à Lui. Je ne m’ennuie pas de souffrir, et je suis disposée à tout. Les cachots et la mort même me seront douces. On a cherché de faux témoins, on a voulu me perdre par mille endroits ; ils n’ont pu y réussir. Ils cherchent un refus qui ne peut manquer, pour avoir un prétexte d’agir ; mais ma vie est à Dieu et j’espère qu’Il me fera la grâce de ne la racheter pas par aucune indignité. Mon cœur est préparé à tout, et je regarde comme un bien ce que les autres voient comme un tourment. La d de g [duchesse de Gramont ?] me fait pitié. Dieu la prendra peut-être pour empêcher qu’elle ne s’égare davantage. Il est le maître. J’ai été très mal ; ces jours-ci, je suis mieux. Je vous embrasse de tout mon cœur. Je souhaite que vous soyez contente du neveu du N.3

Je vous dirai pour nouvelles que, depuis dix jours, j’ai pensé mourir, que je souffre des maux dans le corps que je ne puis exprimer, et cela pour avoir pris du vin d’Alicante qui a passé par les mains de N. [le curé]. Il m’a aussi envoyé du tabac, qu’on ne lui demandait pas. J’en voulus essayer ; il m’a pensé faire tourner la tête pour un peu. Mes filles en ont essayé, elles ont pensé mourir. Tout passe par là, et on est réduit à recevoir sans cesse sa mort. Dieu soit béni de tout : je Lui suis sacrifiée. On a déjà déclaré que si je mourais, on ne me laissera pas ouvrir4. Il m’assure qu’il travaille à me faire aller chez mon fils ; il assure d’un autre côté ces filles que je mourrai chez elles ; on m’en a fait confidence. Dieu est le maître de tout.

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

1 Lettre pastorale de Noailles dont il est question lettre n° 450 : « Monseigneur, j’ai lu… ». Elle suit la Déclaration des trois évêques Noailles, Bossuet et Godet des Marais (le « faux frère »), publiée en septembre contre l’Explication…, Fénelon répondra en décembre par sa Réponse… Suivront de nombreuses défenses (Véritables oppositions…, plusieurs Lettres à…) de janvier à mai 1698.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 226v°].

Il serait assurément nécessaire que M. de C [ambrai] répondît à la lettre de M. de P [aris] 1. Mais M. de P [aris] a des millions d’hommes doctes et pleins d’esprit, qui répondent pour lui. M. de C [ambrai] est seul et abandonné de toute aide. Je vous avoue que cela m’afflige quelquefois. Si M. de V. n’était pas un faux frère, il pourrait bien aider : il est savant, entend la matière. Il faut tout abandonner. Si M. de C [ambrai] ne répond pas, c’est peut-être qu’il ne se sent pas la force de le faire. Lui a-t-on représenté ce que vous dites ? Je le lui ferais représenter. Est-il possible que personne du monde ne prenne la cause en main ? C’est que Dieu apparemment n’a que des amis ou faibles ou lâches.

Je crois que vous ferez bien d’envoyer rarement messieurs vos fils aux spectacles, et le faire néanmoins quelquefois. Il est dangereux de les affamer de ces choses et de les réduire par là à haïr ceux qu’ils doivent aimer : c’est ma pensée. C’est se chercher soi-même, et non le bien des enfants, que d’en user autrement. Je n’ai eu nulle nouvelle de ma lettre. Je ne m’en mets pas en peine, car je suis bien résolue à tout souffrir plutôt que d’écrire sur un autre ton. Si l’on me veut tourmenter, qu’on le fasse. Ce sont des gens qui veulent des prétextes. Lorsque les uns leur manqueront, les autres ne leur manqueront pas. L’abandon est le remède à tous maux. J’attends sans inquiétude la fin de tout cela, ou son progrès, comme il plaira à Dieu. Je vous embrasse mille fois. Les demoiselles d’ici ne savent que par madame de Lui [nes ?]. On dit que c’est M. Boileau qui est leur supérieur.

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

3Colbert de Croissy ?

2 Divertissements du mariage du duc de Bourgogne, célébré le 9 décembre ?

1 Fénelon ?

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 226].

J’ai reçu votre lettre avec joie, et j’attends les réponses à la lettre que je vous écrivis hier avec une grande impatience, parce que N.1 ne me donnera aucun repos que je n’aie écrit. Je plains N., mais s’il ne passe cet état avec courage, il ne sortira jamais de lui-même. Loin de rabaisser son courage avec timidité, il doit au contraire éviter toute crainte et aller contre son naturel : il ne trouvera le large qu’en le surmontant. J’aimerais mieux qu’il fît des fautes, en se hasardant et se tenant au large, que d’aller d’une manière rétrécie et à tâtons, quoique accompagnée d’une fausse sagesse.

Vous avez bien fait de laisser aller messieurs vos n [euveux] aux divertissements de la noce. Je leur permettrais quelquefois les mêmes divertissements2, mais je ne voudrais pas que cela fût continuel. Pour cela, suivez l’avis de votre famille et faites les choses de concert avec elles. Je suis bien aise que vous ayez donné le gouvernement sous la couverture de M. de Cr. 3 Comment est-il sur toutes ces affaires-ci ? C’est un honnête homme. Vous ne me mandez rien des affaires de M. de C [ambrai] et de R [ome] : mandez-moi ce que vous savez. Je me trouve si mal que je ne puis vous en dire davantage. Je vous embrasse, etc.

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

6Faut-il comprendre, par cette information importante que nous avons perdu une partie de l’œuvre mystique du frère ? Voir Notices, L’œuvre du Frère Laurent.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 225].

a Sigle incompréhensible : « /$/ »

Jean. On a supprimé tous les livres du frère Laurent, et il n’y en a plus que six dans tout Paris, possédés par des particuliers. L’ecclési [astique] en a un en papier marbré, qui lui coûte un écu neuf ; on lui en a voulu donner un louis d’or, mais ils en ont fait imprimer un autre en la place, pour surprendre, qui n’a rien de ce qu’avait l’autre. En voici l’intitulé : Maximes spirituelles et utiles aux âmes pieuses pour acquérir la présence de Dieu, recueillis de quelques manuscrits de frère Laurent, etc., au Bon Pasteur6.

5 En résumé mettre sur table l’infamie de M. de Meaux !

2, 3 Non identifiés.

4 et [je voudrais aussi que l’on fasse] envoyer

1 C’est, bien résumée, la position qui fut adoptée par Fénelon.

Il peut arriver que sans y penser on ait pris trois fois pour deux. Cela est fort bien 18 sols chaque fois. Si, aux étrennes, vous voulez leur faire quelque petite aumône, vous ferez comme vous l’entendrez. Pour N. [Fénelon], sans me regarder le moins du monde, je crois qu’il se perdrait de réputation s’il condamnait absolument mes livres : il ne le peut faire sans déclarer que les termes, étant d’une personne ignorante, sont condamnables, mais que, sachant que la personne pense autrement, il ne croit pas pouvoir condamner1. Qu’on me fasse aller à R [ome], je m’y défendrai bien, car j’ai de quoi. N. sortira toujours de l’ordre de Dieu lorsqu’il négligera [225 v°] R [ome] pour se lier à ces messieurs-ci, et il trouverait sa perte où il croirait trouver son salut. S’il rentre en négociation avec ces gens ici, il est perdu, et la Cour sera son écueil. Pourquoi parler de l’abandon, lorsqu’on n’est point du tout abandonné ? Et de l’amour pur, lorsqu’on se cherche si fort ? S’il fait ces démarches, il déplaira beaucoup à Dieu et s’attirera tout le monde. Altérer la vérité pour la conserver, c’est la détruire. Dieu ferait un coup de Sa main si on lui était fidèle. Pourquoi négliger R [ome] et le nonce ? Cela me fait de la peine, mais N. [Fénelon] suit trop ses goûts.

Pour le gouverneur de N.2, il ne faut pas perdre cette occasion de vous en défaire. Faites-le donc sans retardement, et prenez celui dont vous me parlez, sans autre examen. Je ne sais pourquoi vous me dites que je ne vous donne point de commissions : j’ai des habits, et les choses à boire ou à manger ne me peuvent venir par N.3 sans risque. Ne doutez point de mon affection, je vous en prie, car elle est bien entière et bien sincère.

Comment N. a-t-il pris ce que je vous ai mandé pour lui ? Je voudrais que N. [Fénelon], disant au pape que la raison qui l’a empêché de censurer mes livres, est parce que je lui ai expliqué simplement mes sentiments, que je l’ai fait aussi à M. de M [eaux], et envoyer4 une copie de ma décharge, ou la décharge même que M. de M [eaux] m’a donnée après deux ans d’examens, et qu’il agit ensuite contre moi par des motifs, etc.5, Mais pour négocier avec eux, je ne le ferais jamais : on dirait que N. [Fénelon] aurait été condamné à R [ome], que c’est pour empêcher la condamnation qu’il s’est accommodé de cette sorte ; il se montrerait qu’il s’est rétracté, etc. Pensez-y et voyez les conséquences, car leur cœur est ulcéré et plein de malices et fourberies.

Si vous pouviez m’envoyer l’Évangile de saint Matthieu, la mienne [sic !], vous me feriez plaisir ; n’en dites rien à personne. Vous l’avez en petits tomes, vous en envoyez deux ou un à la fois et, à mesure que je vous les enverrai, vous m’en enverrez d’autres. Obligez-moi de cela, [226 r°], mais entre nous seulement. Il n’y a rien à craindre, car s’il m’arrivait quelque chose, on l’aurait bientôt passé à la jard [inière]. Si vous n’avez pas l’Évangile de saint Matthieu, envoyez-moi celui de saint

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

3 bPs. 126, 1.

4 Fénelon s’opposait aux jansénistes ennemis des jésuites. Cf. H. Hillenaar, « Fénelon et le Jansénisme », Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, p. 25-44.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 224v°].

1 Confesser ?

2 Non identifiée.

3 Non identifiée.

Je crois que le bon ecclési [astique] se soutiendra, car il a pour moi une affection et une créance qui l’étonne lui-même. Il me rend tous les services qu’il peut. Lorsqu’il ne reste à la maison que la s [oeur] servante, il me vient C.1, et il craint même pour lui ; il a de l’honneur, un bon cœur, et envie de devenir intérieur. Il ne laisse pas d’estimer les jansénistes. Ce que vous me dites du b [on] [Beauvillier] m’afflige, et s’il reprenait ses premières brisées, cela serait fâcheux. J’espère que Dieu, à cause de sa droiture, [f° 225] ne permettra pas qu’il s’égare. Il ne faut pas aigrir son esprit par la dispute, cela ne sert de rien. Pour N.2, je souhaiterais fort qu’elle fût mariée ; il faut avoir compassion de son naturel et de son tempérament. J’aime fort N. et je lui compatis, mais c’est peut-être un bien pour lui qu’il ne soit plus en ce pays-là ; Dieu le dédommagera, avec surcroît, de ses pertes. Il y a longtemps que j’ai cru que N. le trahissait, et j’ai cru le lui avoir dit. Je crois qu’il devrait tout mettre, etc., puisque Dieu l’a choisi pour conserver Son œuvre. Vous ne devez plus faire de démarche pour N. Je crains bien qu’elle ne fasse comme la dd. 3 J’ai toujours cru qu’elle me serait arrachée ; je le lui ai dit à elle-même. Dieu sur tout. J [ésus] — C [hrist] a perdu dans Sa Passion de ses plus chers ; pourquoi ne perdrions-nous pas ? Il faut tout abandonner à Dieu, c’est Son œuvre ; pour moi, c’est le parti que j’ai pris. S’Il ne garde pas la ville, qui la peut garder3b ? Ils lui auront fait voir milles faussetés comme vraies. L’ecclés [iastique] m’a mandé que les j [ésuites] soutenaient hautement M. de C [ambrai] 4, cependant qu’ils se cachaient, sachant bien que la Cour ne revient de rien. Faites toujours des amitiés de ma part au b [on] : vous verrez comme il les recevra. Tant qu’il sera pour moi, il n’est pas à craindre qu’il quitte. Je vous embrasse mille fois. N. [le curé] ne vient plus ; je crois qu’il trame quelque chose.

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 224v°].

1 Non identifié.

N. est venu, qui m’a apporté la lettre pastorale de M. de P [aris]. J’ai vu qu’il voulait me proposer d’y souscrire, mais enfin on s’est contenté que j’écrivisse à M. Lare.1 une lettre de mon style. Voyez avec mon b [on] [Beauvillier] si celle-là est comme il faut : je la renverrai quérir lundi sans faute, la devant envoyer ce jour-là même. Que le tu [teur] [Chevreuse] ait la bonté d’y corriger ce qui n’y est pas bien. Il est de conséquence qu’on voie et examine cette lettre ; ne perdez pas un moment à la faire voir au B [on]. Ne faudrait-il pas entrer en quelque détail, comme de dire que je n’entre en aucun détail, l’ayant fait tant de fois ; ou ne lui mettrait-on pas : « Je vous l’ai dit tant de fois, monsieur, telle et telle chose » sur les endroits plus forts de sa lettre ? Enfin, je vous conjure de me mander sans manquer, jeudi, ce que je dois faire. Envoyez-moi la lettre corrigée, ou une autre, telle qu’on la jugera à propos. Ne perdez pas un moment à cela, s’il vous plaît.

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 224].

4 Non identifié.

C [ambrai] ne sera pas condamné, qu’on laissera les choses comme elles sont. Il s’émut comme il faisait au commencement. D’où vient cela ? Je suis en peine de la santé du compagnon du tut [eur] [Chevreuse]. Si N. est fidèle, il pourra vivre malgré ses infirmités. Je vous embrasse de tout mon cœur. Mandez-moi des nouvelles du p. Ave.4, s’il parle toujours contre moi. Je voudrais bien savoir aussi comme p [ut] [Dupuy] s’est trouvé du p. Lam. [La Motte ?]. Voilà une petite montre, etc.

1Jeanne-Marie Guyon, prévenue en faveur du curé ! et probablement de celui de Versailles, Hébert.

2 La sœur qui a été changée et avait mauvaise conscience d’avoir probablement chargé sa prisonnière.

3 La « dévote de M. Boileau » ou sœur Rose, v. Index, Rose.

Ma fille m’est venue voir ; je fis fort l’étonnée. N. [le curé] y fut toujours présent, et elle-même évitait de me parler. Elle est si prévenue pour lui1 et pour N. Il faut tout abandonner à Dieu. Je la priai de vous voir, afin de ne lui pas laisser croire que j’eusse commerce avec vous. Lorsqu’elle put me dire un mot bas, ce ne fut que pour me dire que je n’en devais pas avoir, et me parler à l’avantage des N. Enfin j’en fus peu satisfaite. Je vous prie, si elle vous va voir, de lui faire amitié. Elle se loue fort de N. J’ai lieu de croire que N. a parlé et est contre moi.

On appelle à présent le silence que nous gardions « la bouderie » et ma maison « le boudoir ». N. [le curé] me dit qu’il m’apporterait la lettre pastorale de M. de P [aris] et que M. de P [aris] le voulait, que c’était la plus admirable et la plus savante pièce qui eût jamais paru. On prétend que ce que M. de C [ambrai] écrit n’est que de l’eau. Je me doute bien qu’on me proposera de signer cette lettre qu’il est bien sûr que je ne signerai pas, afin d’avoir occasion de me tourmenter de nouveau. Mais tous tourments seront les bienvenus, ma vie n’est bonne que pour souffrir.

Je vous prie de me mander en quel hôpital on avait mis la s. mal. 2 Je ne doute pas qu’on ne lui ait fait faire quelque chose contre moi. La s. mal., qui est fort adroite, aura fait parler à la demoiselle de la Croix 3, qui se sera fait honneur de discerner que cette s [œur] est bonne et moi mauvaise. Je vous prie aussi de me mander si l’ab [bé] de Ch [arost] a parlé de moi à M. Tronson et en quels termes, et ce que M. Tronson lui a répondu. Ces filles-ci ont élu pour supérieur le supérieur du Collège des Quatre Nations ; mandez-moi son nom. N. dit à Fam [ille] qu’il voulait lui envoyer sa sœur ; il le fera ; il ne sait pas qu’elle demeure chez vous. Si elle vient, envoyez-moi par elle du vin d’Espagne blanc. Je ne puis faire Carême sans cela ; elle vous le dira sans doute, [f° 224v°], mais n’écrivez pas par elle. L’ecclés [iastique] dit que le livre de M. de

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

6 La jardinière, citée précédemment, se proposait pour porter les lettres, mais elle était trop connue des sœurs gardiennes.

5 Fénelon y répondra par la publication, en février 1698, de Première […] Quatrième lettre […] à Mgr l’archevêque de Paris […] sur son Instruction pastorale du 27e jour d’octobre 1697.

4 Adressée à l’intermédiaire, Madame Van. probablement.

3Le P. Lacombe n’a publié que deux petits volumes : Lettre d’un serviteur de Dieu… que l’on retrouve dans les Opuscules spirituels de 1720, et Orationis mentalis analysis, Verceil, 1686. Autres éditions ou traductions, v. DS, 9.35-42, art. « La Combe » par Orcibal.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 223].

vous reprendre, ma très ch[ère] : vous dites bien, et bien juste. [f° 223v°] Plût à Dieu que nous nous fiassions à Dieu seul ! mais comme Il tire Sa gloire de tout, Il la tirera de nos faiblesses. Je prie Dieu qu’Il pacifie N. [Fénelon] ; qu’il agisse dans la lumière pure de la Vérité, et non dans la fausse lueur des appuis créés. Prions, et ne nous lassons pas de demander à Dieu qu’Il achève Son ouvrage, qu’Il ne consulte que Sa bonté, et non nos misères, pour nous accorder ce que nous demandons. Après, attendons en paix ce qu’il Lui plaira d’ordonner. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Il m’est venu dans l’esprit que le tut [eur] [Chevreuse] pourrait peut-être vous fournir une adresse sûre afin que le P [ère] L [a] C [ombe] pût écrire. Il a des écrits admirables et très doctes sur la matière en question. Si on lui demandait cela, il se ferait un plaisir de l’envoyer dans la conjoncture présente, ce qui serait d’une utilité plus grande qu’on ne pense ; ceci n’est pas à négliger. Il a soutenu une thèse, comme j’étais en ce pays-là, sur le pur amour, qui fut combattue là et approuvée à Rome. Il faisait voir que la béatitude était l’objet de l’espérance, et non de la charité qui ne voyait que Dieu seul, heureux pour lui-même et le reste3. Si on veut écrire, il faut mettre le dessus de la lettre à M. de la her. de cob., aum [ônier] du ch [âteau] de L [ourdes], à L [ourdes], et puis une enveloppe à N.4 J’ai cru qu’il aurait peine à se confier à une écriture inconnue, c’est pourquoi j’ai fait écrire le billet.

Cet ecclési [astique] m’a écrit que ceux-mêmes qui estiment M. de C [ambrai] se sont mis du parti de M. de M [eaux], parce qu’il est clair que M. de C [ambrai] a fait une trahison à M. de M [eaux], ayant fait imprimer son livre lorsqu’il avait en main celui de M. de M [eaux] en manuscrit, sans l’en avertir. Il y a une nouvelle lettre de M. de P [aris] qui est horrible, intitulée Instruction pastorale 5, etc. Faites-la acheter. Jamais lettre ne fut plus maligne. Ayez soin de la jardin [ière] 6. Quoique je dépense beaucoup, j’ai à peine le nécessaire. La messe me coûte plus de 400 livres à trente sols chaque fois.

1 Le père est enfermé à Lourdes.

2 Madame Van., citée dans une lettre du mois précédent : « M [adame] Van. m’a écrit par N. [le curé] une lettre très adroite où, sans qu’on puisse rien voir, elle me fait savoir la misère du P [ère] l [a] C [ombe]. »

Ce bon prêtre m’a mandé qu’on avait ajouté encore trois examinateurs aux sept, et on croit que c’est à la sollicitation de monsieur de Meaux. Si cela est, cela pourrait nuire, mais Dieu sur tout. Je crois que notre peu de fidélité, d’abandon à Dieu et de mort à nous-même, notre recherche de tout appui hors de Dieu, nous nuit plus que les autres ne peuvent nuire. Cependant ne nous étonnons jamais de nos propres faiblesses, ni de celle des autres. Que sommes-nous par nous-mêmes que misère et pauvreté ! Lorsque la tempête sera passée, nous rougirons de notre peu de foi.

Il serait bien aisé d’aider le pauvre P [ère] L [a] C [ombe] : comme on sait son adresse1, il n’y a qu’à lui écrire d’une écriture inconnue et lui mander d’envoyer une adresse sûre pour lui faire tenir quelque chose, lui donner à lui une adresse, afin qu’il pût écrire. M [adame] Van. 2 ferait cela à merveille, sans lui dire ni lui laisser pénétrer que je vous écris. Il n’y aurait qu’à la faire avertir par M. l’ab [bé] Cout [urier], et qu’il lui proposât qu’il voudrait faire une charité ample, et que comme elle a demeuré avec N. [Lacombe], il pense qu’elle sait son adresse et pourrait lui faire tenir quelque chose.

J’ai pensé mourir tout d’un coup de mon rhumatisme qui m’était tombé sur la poitrine, mais Dieu n’a point voulu de moi. Vous ne me dites pas comment vous vous portez, j’en suis en peine. Je n’ai garde de

. A LA PETITE DUCHESSE. Décembre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 222v°].

lorsque nous n’aurons que l’intérêt de Dieu, nous soutiendrons Sa querelle avec fermeté et sans retour sur nous-mêmes. C’est à présent que nous devons mourir véritablement à nous-mêmes, afin que Dieu vive et règne. J’espère que, si l’on travaille avec désintéressement et cette vue de Dieu, que Dieu prendra la cause en main, qui est la Sienne. On appelle monsieur de Meaux et M. de P [aris] [les] saint Augustin et saint Jean Chrysostome de ce siècle : ils sont les persécutés, les outragés et trahis ; c’est eux qui défendent la vérité ; on leur est infiniment obligé d’avoir découvert nos fourberies et malices et le reste !

3 L’abbé de Beaufort, grand vicaire du cardinal de Noailles, éditeur de ce qui nous reste des écrits du frère Laurent de la Résurrection, « auteur d’un Eloge où il brosse à large traits la physionomie de l’humble convers. » (S. M. Bouchereaux, Fr. Laurent, L’expérience de la présence de Dieu, 1948. V. aussi l’éd. récente de ses œuvres par Conrad de Meester, 1996).

4 Ce qui se produira, Fénelon, après quelque hésitation, prenant courageusement se défense, par exemple dans sa lettre à l’abbé de Chanterac, 8 décembre 1697 : « … je pense encore secrètement, avec un très petit nombre d’amis, que cette femme est une sainte qu’on opprime, qu’elle a bien pensé… »

5 Préservatif : son emploi substantivé, en parlant de ce qui préserve d’un mal moral, est archaïque.

6 Alphonse Rodriguez, jésuite (1538-1616), auteur de l’Ejercicio de perfeccion y virtudes cristianas. « L’ouvrage est, après la Bible et l’Imitation, l’un des plus lus par les chrétiens de ces trois derniers siècles… », v. DS, art. Rodriguez.

7 Baltazar Alvarez, jésuite (1533-1580), l’un des principaux directeurs de sainte Thérèse : « J’avais un confesseur qui me mortifiait beaucoup et qui, même parfois, à force de me tourmenter, me jetait dans le chagrin et la désolation. Et cependant, à mon avis, c’est lui qui a été le plus utile à mon âme. » (Livre de la Vie, chap. 26).

8François Suarez, jésuite (1548-1617), théologien spirituel. — On voit encore ici que les jésuites sont appréciés par Madame Guyon, morts et vivants !

9 Apocalypse, 12, 4 : Il entraînait avec sa queue la troisième partie des étoiles du ciel… (Sacy) ; et Daniel, 8, 10 : Il éleva sa grande corne jusqu’aux armées du ciel, et il fit tomber les plus forts et ceux qui étaient comme des étoiles, et il les foula aux pieds. (Sacy).

la route de l’iniquité, cela n’arrive. S’il était comme il faut, Dieu le conserverait. Jamais la noirceur ni la malice n’a été pareille.

L’auteur de la vie de frère Laurent3 a écrit une lettre imprimée pour justifier le livre, où il traite bien mal M. de C [ambrai] et se jette sur ma friperie à merveilles. Qu’est-ce que j’ai à faire à [avec] la vie du frère Laurent pour s’en prendre à moi ? Mais il semble que Dieu me veuille mêler avec M. de C [ambrai], afin que, dans la suite, il soit obligé de soutenir la vérité4. Chacun s’en mêle. On dit qu’il ne s’imprime plus de livre où il n’y ait un article de préservatif5 contre nous. Pourvu que Dieu soit content de nous, qu’importe ! Nous n’avons pas cherché la gloire des hommes lorsque nous nous sommes donnés à Lui : si nous l’avons cherchée, malheur à nous !

Rodriguez est un très bon livre6, Alvarez 7, Suarez 8 ; l’Imitation de Jésus-Christ est intérieure sans suspicion ; les Soliloques de St Augustin ont un caractère propre à remuer le cœur. Il faut espérer que Dieu règnera après tout ceci, car le dragon frappe de la queue et a déjà entrainé la troisième partie des étoiles9. C’est à présent qu’il faut aimer Dieu purement, non en parole, mais en œuvres. Si nous L’aimons, nous laisserons tout intérêt propre pour le seul intérêt de Dieu [f° 223] seul, et

1Déjà mentionnés précédemment  : les trois évêques Noailles, Bossuet et Godet des Marais, auteurs de la Déclaration du 6 août 1697 (publiée en septembre) contre l’Explication des maximes…

2 Le jeune duc de Monfort ? Madame Guyon disait au duc de Chevreuse dans une lettre que celui‑ci reçut le 6 décembre 1692 : « Je vous prie de ne vous pas inquiéter pour M. le D [uc] de M [onfort]. Faites‑en le sacrifice à Dieu et le lui abandonnez […] Il sera du temps égaré parce que vous et Madame avez trop compté sur vos soins et sur votre éducation. Mais il ne se perdra pas ». Un peu plus d’une année plus tard elle écrivait à propos du mariage du jeune duc : « J’espère que le Seigneur lui fera miséricorde. Le Seigneur qui poursuit les péchés des pères sur les enfants récompense avec bien plus de plaisir les vertus des pères en leurs enfants. »

Tout le monde est à présent contre M. de C [ambrai]. Les Eusèbes1 disent les choses avec tant de malice et tant de vraisemblance que tout le monde les croit. Je crois que le bon ecclés [iastique] est un peu étourdi, pas pourtant ébranlé. J’ai toujours appréhendé que N.2 ne passât pas vingt ans, et je crains bien que, s’il devient infidèle et qu’il suive

. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1697.

8 Déjà cité par Madame Guyon dans une lettre de fin septembre, œuvre de Surin sous pseudonyme : Les Fondements de la Vie spirituelle tirés du livre de l’Imitation […], composé par I.D.F.S.P. [Jean de Sainte-Foi, prêtre], Paris, 1669.

7 Texte d’octobre 1697.

6 Fabrice Spada (1643-1717), secrétaire d’Etat et membre de la Congrégtion du Saint-Office, lors de l’examen du livre des Maximes.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 221].

5 L’œuvre de notre pseudo-Denys.

Défiez-vous de N. [le curé] : il est plus à craindre lorsqu’il affecte plus de douceur. Le bon ecclési [astique] m’a mandé qu’il était venu de C [ambrai] un des amis de M. de C [ambrai], qui lui avait dit qu’il officiait tous les dimanches, que le reste du temps, il était à travailler à la campagne. Renvoyez-moi saint Denis5, je vous prie. Voilà une lettre de ce bon prêtre. Je vous prie d’en tirer ce qu’il faut que vous sachiez pour le dire, et brûlez la lettre. C’est un très bon ecclési [astique], qui s’adonne fort à l’intérieur. Il m’a envoyé une lettre latine de M. de M [eaux] pour le cardinal Spada 6, qui est abominable, intitulée Summa doctrinae 7 : faites-le acheter. J’ai ici un livre très fort, intitulé Les fondements de la vie spirituelle 8, approuvé [f° 222v°] de lui. Si le tut [eur] [Chevreuse] juge qu’il soit utile, mandez-le moi, je vous l’enverrai. Je vous envoie toujours le livre, s’il peut servir à M. de C [ambrai] et qu’on le veuille envoyer à R [ome], le voilà, sinon vous me le renverrez au premier voyage.

4 On retrouve l’équipe de la première période d’emprisonnement, enfin capable de prendre sa revanche.

et c’est ce qu’il faut faire. Le grand ch. sera ravi de se donner la gloire de la tirer de là ; il faut lui en applaudir et lui laisser cette satisfaction humaine, donnant le lait aux enfants et le pain aux forts.

J’enverrai donc quérir le grand ch. avec Rem., et je leur dirai qu’il faut que le grand ch. en prenne soin et qu’elle la retire de son égarement, que quelquefois des personnes ont grâce pour d’autres, etc. Et je n’en parlerais pas à N. S’il y avait quelque chose à lui dire, il faudrait que ce fut Rem. qui le lui dise, mais son amour propre lui ferait tout perdre pour se tirer d’affaires. Pour moi, je suis ravie de porter tout si cela ne tombait que sur moi, mais cela tomberait sur ceux qui n’en peuvent, mais.

Pour votre sœur, je crois que vous la devez traiter comme une malade, avoir pour elle milles prévenances de charité, fermer les yeux sur mille choses. Il faut vouloir le plus parfait pour vous, mais supporter les autres dans leurs faiblesses et imperfections : il vaut mieux les tenir liés par un fil que de les laisser échapper tout à fait. Ma consolation est, que dès qu’on goûte l’amour-propre, on cesse de me goûter.

On ôte la fille qu’on m’avait mise ; on a cru qu’elle ne serait pas d’humeur à rendre de faux témoignages, on en remet une de Chartres. Tout m’est indifférent dans la volonté de Dieu. Je vous assure qu’il m’est impossible de rien vouloir. Il faut prier le bon Pasteur de ramener les brebis égarées. [f° 222]

Le petit ch. ne manque pas apparemment de faire de l’éclat au dehors. Il faudrait savoir jusqu’où a été ce qu’elle a dit et fait, après il faut tout laisser à Dieu quand nous aurons fait ce que nous aurons pu. J’ai été fâchée que cette femme ait refusé le livre de saint Denis, car ce n’était pas pour la faire passer. N. a la Vie de sainte Catherine de Gênes à moi : elle était dans mes livres ; elle en a même deux ; quelque ami nous la trouverait aisément. Je prie Dieu qu’Il soit votre force. Je vous aime bien tendrement. Vous me consolez seule de l’infidélité des autres.

Je suis étonnée de N. à votre égard, qu’on ne sentît pas l’amour pur où il est, et l’amour propre. Il sait combien de temps N. nous a empêchés d’être à l’aise, lui et moi3. J’ai plus d’éloignement de son amour propre à elle que de la faiblesse des autres. Nos ennemis font courir le bruit que, lorsque je fus arrêtée, on avait surpris à la petite Marc des lettres où je vous écrivais de vous trouver à une assemblée, que je tenais en un certain endroit, et que là il s’y passait des choses horribles. Ils firent contrefaire une pareille lettre pour d’autres, lorsque je fus à Sainte-Marie. Ils reprennent leur premier train4.

1 Cette affirmation qui paraît irrecevable (« on me quitte, on quitte Dieu ! ») est pourtant issu de l’expérience chez le directeur mystique — canal incontournable pour son dirigé.

2 Il s’agit donc d’une personne qui croit pouvoir communiquer la grâce sans être purifiée de son moi. Il semble d’agir du « petit [ch.] », cf. plus bas. La suite est très instructive sur la vie intérieure du cercle et la « méthode » guyonnienne.

3 Explétif, prête à confusion.

Vous savez, ma très ch[ère], que tous les égarements et écarts commencent toujours par le dégoût qu’on a de moi, et dès que je sais cela, je crains qu’on ne quitte bientôt Dieu1. N. croit se conserver et se tirer d’affaires en attachant tout à soi, mais Dieu la trompera bien avec son effroyable amour-propre : je ne crois pas que Dieu Se communique par une personne qui s’aime tant soi-même2. Je trouve vos sentiments sur l’amitié de N. tels qu’ils doivent être, et Dieu vous bénira sans doute. Que les défauts des autres nous ouvrent les yeux pour nous faire entrer dans un renoncement et une mort entière à nous-mêmes !

Comment fait le grand ch. sur tout cela ? Il m’est venu la pensée qu’il [221 v] était bien aise qu’on connût les défauts du petit [ch.]. Mais il n’importe, il se faut servir même des défauts des âmes pour empêcher, autant qu’on peut, les faibles de quitter Dieu. C’est pourquoi parlez au grand ch., à Rem., et vous-même tâchez de ramener le petit [ch.] par toutes les voies de la douceur. J’ai toujours eu bien du pressentiment sur le petit ch. de ce qui est arrivé. On veut avancer, dit-on, les âmes, et pour les avancer, on les perd : Dieu ne permet pas que ceux qu’on attire avec quelque mélange humain subsistent. Mais il faut porter les faibles et les aider dans leurs faiblesses, de crainte qu’ils ne quittent pas3 tout à fait,

. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 220].

a Il manque un mot dans la copie.

Sa sainte volonté. Je vous embrasse de toute la tendresse de mon cœur. Voyez toujours le petit ch. : il faut tâcher de la ramener doucement. Vous verrez par cette lettre les sentiments que la demoiselle, qu’on vient de retirer d’ici après deux mois de séjour, avait pour moi : elle avait une entière ouverture pour ce bon prêtre, sans savoir qu’il me connut vic [aire], que sur ce qu’il lui paraissait goûter l’intérieur. Bien des amitiés au tut [eur]. Dieu sait combien il m’est cher en Lui.

3Intermédiaire entre Lacombe et Madame Guyon. Lacombe fait allusion dans ses lettres à un tel « relais ».

4 L’abbé Bossuet, de comportement scandaleux à Rome.

5 Il s’agit probablement de la « dévote de M. Boileau », sœur Rose ou Catherine d’Almeyrac, v. Index, Rose.

Ne témoignez point que vous le connaissez. M [adame] Van. 3 m’a écrit par N. [le curé] une lettre très adroite où, sans qu’on puisse rien voir, elle me fait savoir la misère du P [ère] l [a] C [ombe], et me mande que, malgré sa pauvreté, elle lui a fait tenir quelque chose, mais bien peu. Cela m’afflige de ne pouvoir l’aider. Il faut tout abandonner à Dieu. C’est le temps des martyrs du Saint-Esprit.

Le bon prêtre m’a mandé que le bailli de l’archevêché, parlant de moi, avait dit que j’avais couru les rues de Paris depuis peu, que M. de C [ambrai] m’était venu voir, qu’il était venu des hommes, de nuit, me voir ici, et bien d’autres choses, qu’on attendait la décision de R [ome] pour savoir ce qu’on ferait de moi, et que je devais bien prier Dieu qu’on ne trouvât pas que j’écrivisse, que je serais perdue sans ressource, qu’on voulait perdre M. de C [ambrai]. Monsieur de Meaux a encore envoyé à R [ome] son neveu4 avec un docteur, prévôt de l’église de M [eaux] autrefois, auquel on a donné une abbaye. Il commence à reparler de mes voyages, et loin d’en dire le motif, il dit des choses affreuses. Ils croient être sûrs de la condamnation du livre de M. de C [ambrai]. Ils ont fait signer quantité de docteurs et des faux témoins contre M. de C [ambrai] pour le calomnier.

J’oubliais de vous dire que le bon ecclési [astique] m’a mandé que c’était une dévote qui disait toutes ces choses, en laquelle on a une créance entière. Elle est à présent à prier Dieu de lui révéler le jour et l’heure où M. de C [ambrai] m’est venu voir, ceux où j’ai été courir à Paris, et les nuits que les hommes sont venus, et lorsqu’on les [f° 221] saura, on me convaincra. Ce bon prêtre me demande si je ne sais qui est cette dévote5 ; vous savez bien qui elle est, et mon tut [eur] [Chevreuse] aussi. Dites-lui ceci, je vous prie. On fera des crimes à qui l’on voudra sur ces prétendues révélations, et M. de P [aris], aussi bien que madame de M [aintenon] la croient infaillible. Remarquez, s’il vous plaît, qu’à moi, N. [le curé] me dit que ce sont d’anciens crimes, et aux autres, qu’ils sont depuis que je suis ici. Je crois que c’est au diocèse de Cha [rtres] qu’on me veut mettre.

J’ai vu ici deux […] a, mais une assez bonne fille, et même intérieure, mais on ne l’a pas crue capable de certifier des choses fausses. On en a envoyé une de Chartres, conduite par les intimes de M. de Cha [rtres], qui me regarde comme un démon, mais il ne m’importe. Que Dieu fasse

1 Il s’agit de l’ouvrage du général des chartreux Dom Le Masson, Vie de Mgr d’Arenthon d’Alex.

2 Le trouble avant la Passion. V. Instruction pastorale de Mgr l’archevêque duc de Cambrai sur le livre intitulé Explication des maximes des saints, du 15 septembre 1697, Œuvres complètes (Gosselin), 1851-1852, t. II, p. 286-328 : « […] XIX. Plusieurs personnes ont été mal édifiées de trouver les termes de trouble involontaire, dans un endroit de mon livre où il est parlé de la peine intérieure de Jésus-Christ. Ceux qui ont ajouté ces termes dans mon livre, ont voulu dire seulement que le trouble de Jésus-Christ, qui était volontaire en tant qu’il était commandé par sa volonté, était involontaire en ce que sa volonté n’en était pas troublée. Mais je n’ai aucun intérêt de défendre cette expression, qui ne vient pas de moi. Ceux qui ont vu mon manuscrit original en peuvent rendre témoignage […] »

N. [le curé] vint me confesser la veille de la Toussaint. Il me parla fort des prétendus crimes, mais il me dit que cela n’était pas bien clair, qu’il y avait un certificat d’une personne fort élevée en dignité qui disait ces choses horribles dont il était témoin. Je lui dis qu’il fallait donc ou qu’il me fût venu voir, ou que j’eusse été chez lui, et que cela ne pouvait être ; que si on me disait de quoi il s’agit, que je ferais peut-être bien voir le contraire.

Je crois que c’est de M. de Grenoble ou du général des chartreux. Il dit que ce dernier avait fait la vie de M. de Genève, où il mettait des choses horrible du p [ère l [a] C [ombe] et de moi1. Il me dit une chose du P [ère] l [a] C [ombe] envers l’évêque, qui est en fait très fausse, car l’évêque me l’a contée lui-même, et c’était avant que je fusse en ce pays-là : c’était une chose qui marquait le discernement de l’Esprit de Dieu en le père.

Ensuite il me dit qu’on avait fait voir à madame de M [aintenon] quantité de chefs d’accusation et de certificats contre moi, et me fit entendre qu’on m’ôterait d’ici. Je lui dis que mon cœur était préparé à tout, trop heureuse de donner ma vie pour Celui qui l’a donnée pour moi. Ensuite il me dit qu’il s’agissait aussi de ma foi, que tout ce que j’avais signé n’était point sincère, et qu’il me voulait faire voir le livre de M. de C [ambrai] et une lettre pastorale qu’il avait faite. Enfin je compris qu’il voulait m’obliger de condamner le livre de M. de C [ambrai]. Je ne fis pas semblant de le comprendre, et je suis résolue, s’il m’en parle, de lui dire que ce n’est pas à moi de condamner des évêques, que je me contente de condamner ce que le pape condamne et d’approuver ce qu’il approuve, que je ne signerai rien de ma vie, que tout ce que je signerai de nouveau aurait le même sort que ce que j’avais signé, et qu’on n’aurait pas plus de raison de le croire sincère. Si je dois dire autre chose, vous me le ferez savoir. Il y a un endroit dans la lettre pastorale qui ne m’a pas plu, c’est sur le trouble [220 v] involontaire de Jésus-Christ2. Vous en pénétrez les raisons.

Je vous recommande ces bonnes gens cet hiver. Votre charité ne peut être mieux employée : elle est grosse, et trois enfants, son mari ne fait rien l’hiver, et je sais de bonne part qu’il a refusé deux conditions fort bonnes, ne voulant pas me quitter. Le P [ère] l [a] C [ombe] est resté où il était, il a souffert de grands besoins, présentement que je ne le puis assister ; c’est ce qu’on m’a fait savoir. C’est ce bon prêtre qui sait qu’il souffre beaucoup, je ne sais par qui. Mais ces nouvelles sont très sûres.

. A LA PETITE DUCHESSE. Novembre 1697.

9 Voilà qui dit bien l’estime que Madame Guyon avait pour le P. Lacombe. Cette estime perdurera, comme le montre les lettres adjointes à l’édition de la Vie, puis le culte que lui rendront les cercles guyonniens.

10Lempereur ? « Un père minime, qui est de mes amis… » (Lettre 85 du 5 septembre 1693).

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 219].

aUn mot difficile à déchiffrer : Ovide ? !

8 Monsieur votre frère ?

de l’Esprit de Dieu, et l’autre pleine d’une aigreur artificieuse. Il m’est venu souvent dans l’esprit que si M. de C [ambrai] avait eu plus de fermeté dans les commencements et n’eut pas voulu gagner les évêques, les choses eussent mieux été : ils ont abusé de sa bonté. Mais Dieu tirera Sa gloire de tout. Il me paraît qu’il devrait éviter à présent d’invectiver contre les personnes intérieures et même contre moi. Je sais que cela lui peut faire tort envers les honnêtes gens, qui croiraient que la faiblesse le lui ferait faire. Sa lettre au pape a plu à tous les gens sans prévention. J’espère que Dieu lui fera tout faire pour le mieux.

Il faut vous dire toutes mes folies. Il y a plus de huit mois que j’ai dans la tête que c’est un sort qu’on a donné à M. V. F. 8 ; c’est ce qui, je crois, fait sa maladie. Bar [aquin] est enragé de ce que vous êtes fidèle à Dieu, et j’entrevois ce que je ne dis pas. Si M de C [ambrai] venait jamais à Paris, il faudrait qu’il lui dise les prières que l’Église dit en pareil cas. Qu’est-ce que les médecins disent de cette maladie ? Voilà une couronne de saint… a pour lui mettre sur la tête. Si vous lui mettiez, bien cacheté, le portrait du P [ère] L [a] C [ombe] que vous avez9, peut-être cela lui serait-il utile ? Si cela ne sert de rien, il ne lui fera pas de mal. Je vous aime bien tendrement, aimez-moi toujours. Il ne faut pas que N. quitte le petit ch. Si elle [f° 220] parlait au père L’emp.10, elle saurait ses sentiments. C’est un homme franc, ne le croyez-vous plus ? Que fait madame de Ma [intenon] ?

7 Le « Bon prêtre » reste inconnu.

6 Saint Athanase (v. 295 – 373), ascète et évêque d’Alexandrie ; saint Jean Chrysostome (v. 350 – 407), déposé puis banni en Arménie et enfin sur le Pont : il mourut en route, épuisé par des marches forcées.

5Rome.

1 S’agit-il de la Summa doctrinae qui paraît en octobre 1697 ? Non, car Madame Guyon découvrira ce texte « abominable » par la suite. S’agit-il du traité latin intitulé Mystici in tuto sur l’oraison passive, auquel Fénelon répondit par une Lettre de la fin octobre 1698 ? Du traité latin intitulé Schola in tuto sur la charité, auquel Fénelon répondit par une autre Lettre ce même mois d’octobre 1698 ? Pour suivre la séquence des « questions (Bossuet) — réponses (Fénelon) » de toute cette période v. Fénelon, Œuvres I, 1983, chronologie en tête de volume.

2 Lettre de Fénelon à un de ses amis du 3 août 1697.

3 Ce qui effectivement se produira, le pape Innocent XII adoucissant la condamnation de l’Explication des maximes des saints par une réponse sensible au mandement de Fénelon acceptant le bref Cum alias.

4 Les trois évêques Noailles, Bossuet et Godet des Marais, auteurs de la Déclaration du 6 août 1697 (publiée en septembre) contre l’Explication des maximes…

Ce bon ecclési [astique] m’a mandé que N. [Bossuet] avait fait un mandement latin contre M. de C [ambrai], mais qu’ayant vu la lettre pastorale, il s’est mis en retraite pour y répondre1. Il m’a envoyé une lettre de M. de C [ambrai] à un de ses amis2, que j’ai trouvée très belle, et une en réponse, que j’ai trouvée d’un tour diabolique. On a promis à monsieur de Meaux qu’il serait cardinal. On ne fait point de doute que le livre de M. de C [ambrai] ne soit condamné à R [ome] à cause de la forte cabale. Pour moi, je suis persuadée que le Saint-Père sera de quelque ménagement, voyant la docilité de l’auteur et le venin de la cabale3. Les trois Eusèbes4 font tous leurs efforts contre Athanase [Fénelon], mais s’il souffre à présent, s’il est même condamné par l’artifice de ses ennemis, sa mémoire sera en bénédiction au ciel et sur la terre. Mandez-moi quelles nouvelles vous avez de ce pays-là5, [f° 219v°], ce que le gr [and] v [icaire] pense et fait là. C’est un déchaînement effroyable. Il me semble que je crois revivre les temps de saint Athanase et de saint Chrysostome6. M. de C [ambrai] est-il en paix en lui-même ? Comment porte-t-il toutes ces choses ? Je prie Dieu de lui donner la force nécessaire pour cela. Tout le monde s’en mêle, afin de faire sa cour. Lorsque N. [le curé] parle de M. de Cha [rtres], il ne l’appelle que le saint. Défiez-vous de lui, je vous en prie : c’est un renard. Considérons que M. de C [ambrai] est traité comme J [ésus] — C [hrist] et par des personnes semblables. Mandez-moi tout ce qui regarde cette affaire, car j’y prends bien de l’intérêt. J’en apprends plus du bon prêtre7 que de vous, quoique vous deviez en savoir plus que lui. Ne nous lassons pas de prier Dieu ; peut-être ne rejettera-t-Il pas toujours nos prières !

Voilà une lettre de l’ecclés [iastique] ; il a voulu savoir mon sentiment sur la lettre de M. de C [ambrai]. Je lui ai mandé que je la trouvais pleine

. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1697.

3 Innocent XII.

1 On pense à un janséniste ou à Boileau ?

2De l’ouvrage de Fénelon, à Rome.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 218v°].

Je ne suis point surprise que vous ayez remarqué la fausseté de N. [le curé]. C’est la première chose qui me sauta aux yeux : il me faisait des sermons horribles de choses, dont il me disait ensuite le contraire. Cela m’effraya, et je vous mandai d’abord ce qui en était, et je fus d’une étrange surprise lorsque vous me mandâtes [f° 219] que c’était un saint.

J’espère que Dieu soutiendra sa cause à R [ome]. S’Il ne le fait pas, c’est que la fin des souffrances n’est pas encore arrivée. Est-ce que personne ne prend soin d’instruire R [ome] de la cabale et de la vérité ? Les j [ésuites], pour qui tiennent-ils ? Tout le mal que N.1 fait aux religieux et religieuses ne leur ouvre-t-il pas les yeux ? Il défend de se confesser aux religieux, et mille choses de cette sorte. Quand est-ce que la lettre pastorale de M. de C [ambrai] paraîtra ? N’y aurait-il pas moyen de la voir ? Croyez-vous qu’on reçoive sans murmurer la déclaration du mariage ? Mandez-moi ce qui en est, et n’entrez jamais en nulle confidence avec N. D’où vient qu’on n’envoie pas la traduction latine2 ? Cela me fait de la peine : un si long retardement ne peut que tout gâter. Vous ne me mandez point de vos nouvelles ! Je vous prie de m’en faire savoir, et de mademoiselle votre fille. Je ne me porte pas trop mal. Je suis restée boiteuse. Je songeais, il y a deux ou trois nuits, que saint Pierre me parlait avec tant de bonté ; je souhaite qu’il inspire cet esprit à son successeur3 et qu’il lui fasse voir clair au travers de l’horrible nuit de la malice. Je vous embrasse. Envoyez-moi les livres que je vous ai demandés.

. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1697.

5 Œuvre du capucin Constantin de Barbanson (cité dans les Justifications) intitulée : Les secrets sentiers de l’amour divin esquels est cachée la vraie sapience céleste et le royaume de Dieu en nos âmes, « composés par le P. Constantin de Barbanson prédicateur capucin et gardien du convent de Cologne, édités en 1623 chez Jean Kinckius libraire à Cologne ». Cet ouvrage, réédité en 1932, doit être complété par l’Anatomie de l’âme et des opérations divines en icelle, ensemble qui fut édité après sa mort, en 1635, à Liège.

4par le porteur.

3 Mari de la Maillard.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 218].

1 Toujours inconnue.

2 Indéterminé.

Je crois, autant que je le peux conjecturer, que N.1 est la confidente à laquelle M. de B.2 fait ces sortes de déclarations. Vivez avec elle à votre ordinaire. Si elle voulait rentrer de plein cœur dans l’union avec moi, elle retrouverait la paix et le large, et elle ne ferait plus de semblables écarts.

N. a pris l’écrivain Maillard3. [218 v°] Je sais qu’on lui fait faire des écritures. C’est un grand faussaire qui en contrefait de toutes sortes, et ce fut sur une lettre qu’il fit, en contrefaisant mon écriture, qu’on me mit, il y a dix ans, à Sainte-Marie. Dites-moi qui sont ceux qui sont ébranlés, et qui vous croyez qui serait disposé à croire toutes ces faussetés machinées qu’on ne veut pas qui viennent à ma connaissance, de peur que je ne fisse connaître la vérité.

Faites, où vous voudrez, la neuvaine au Saint-Esprit et communiez-y, je vous en prie. Je vous aime bien. Ne vous étonnez point de vos sécheresses intérieures : Dieu veut que nous Le servions à nos dépens. Je vous suis bien unie. Que fait le petit ch. ? On n’est guère propre à la soutenir dans de pareilles dispositions. Le père A [lleaume] est exilé à N. Je n’ai point besoin d’habits, j’en ai fait faire pour mon hiver. Si vous avez la bonté de m’envoyer des noix confites, que ce ne soit pas par le N.4 [que] nous craignons non sans fondement ; cependant, j’en ai besoin l’hiver à cause de mes fréquents vomissements. Faites surtout comme vous voudrez. C’est Fam [ille] qui a voulu que je vous mandasse cela. N’oubliez pas sainte Catherine de Gênes, je vous en prie, et de m’envoyer avec, par la femme, un livre couvert en parchemin, qui sont les œuvres de saint Denis [Denys], qui sont parmi mes livres, et les Secrets sentiers de l’amour divin. C’est ce bon ecclésiastique, à qui j’ai mille obligations, qui en a affaire. Voilà la lettre latine qu’il m’a donnée, que je vous envoie. N. [le curé] sort d’ici, il m’a fait les airs les plus doux, des protestations de m’honorer. J’ai à dire ses différents personnages. Il m’a dit que je lui envoyasse une lettre pour vous : je le ferai.

. A LA PETITE DUCHESSE. Octobre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 218].

1 La porteuse des lettres.

2 Probablement à la suite de la défense du curé de laisser communier une hérétique.

J’ai envoyé jeudi aux Th [éatins], et on n’y était pas. Je ne sais que faire, car il n’est point à propos qu’on aille chez vous. Voyez donc si vous voulez que je n’envoie plus du tout, car l’hiver, N.1 ne pourra aller là, et il n’y a pas moyen d’envoyer chez vous : je crois que N. [le curé] y fait épier. Si elle ne trouve personne dimanche et jeudi, je n’y enverrai plus.

La rage de N. [le curé] contre moi passe ce qui s’en peut dire, jusqu’à faire entendre que c’est une vraie excommunication, que je suis hérétique, retranchée de l’Église. Il défend que s’il me prend quelque mal subit, comme apoplexie et le reste, de faire venir de prêtre, et qu’il vaut mieux me laisser mourir sans sacrements. Ils croient que personne ne saura ce qu’ils font, mais Dieu le sait, cela suffit. Je crois bien que notre commerce va finir, car N. ne pouvant aller l’hiver aux Th [éatins], et ne pouvant envoyer chez vous de crainte qu’on n’épie, je ne sais que faire. Ils ont conclu qu’on me laisserait ici et qu’on ferait savoir qu’on m’a renfermée, après m’avoir excommuniée pour toute ma vie parce qu’on a découvert en moi, depuis peu, des choses horribles. Ils en parlent par ce pied à cette fille qui me garde, lui faisant entendre que cela est exécrable. Consultez si, en conscience, je puis m’y confesser. Je vous aime bien. Demain, saint Michel, je ne communierai pas2.

. A LA PETITE DUCHESSE. 28 Septembre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 217v°].

a Illisible.

5 Le 29 septembre.

Ne vous inquiétez pas même lorsque vous manquez à ce que l’on vous dit, ayant une vraie volonté de le faire. Attendez tout de Dieu et rien de vous, et reprenez un nouveau courage pour mieux faire une autre fois, sans vous laisser gagner à la réflexion. Quand je vous parlerais, je ne vous connaîtrais pas mieux : Dieu [218 r°] ne le permet pas, c’est assez. Je vous embrasse. D’où vient que vous ne me voulez pas envoyer du papier et de la cire ?

1 Vous captiver et vous géhenner : vous enfermer et vous torturer.

2 Madame de Maintenon.

3 Fénelon ?

4 Ce qu’il a demandé ?

Je ne crois point du tout que vous deviez vous captiver et vous géhenner1 dans ce silence. L’Esprit de Dieu est libre et je ne crois point du tout que Sa grâce soit attachée à fermer les yeux et à ne point… a L’Esprit de Jésus-Christ est bien loin de toutes ces observations prudentes que fait la dame2, et si elle s’admire si fort, Dieu ne l’admire guère, car Il ne compte que ce qui est simple, petit, candide et innocent.

Marchez avec votre simplicité et ne vous embarrassez pas des autres. Ne mandez point à N.3 ce qu’il a dit4 ; cela ne servirait à rien qu’à décharger la nature oppressée. Dieu vous suffit. Profitez des avis qu’il vous donne, du moins en pratiquant l’humilité, et souffrez une certaine irritation du sentiment que cela cause, en paix, sans sentir la paix. Je crois que Dieu aura soin de vous et qu’Il accordera à votre simplicité ce qu’Il refuserait à une prudence affectée. Jeûnez la veille de saint Michel5. Ceux que vous voyez le peuvent faire sans que cela paraisse, car c’est maigre.

. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

3 Fénelon en avait préparé, mais Noailles jugea que cela alourdissait les Justifications et les fit retirer.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 217].

livre, j’aurai prié de ne se point presser, mais de faire un livre très étendu, soutenu de tous les passages positifs des saints3. Mais la chose étant faite, [f° 217v°] je crois qu’il faut temporiser, montrer des manuscrits aux plus éclairés et voir après l’arrivée du grand vicaire [Chanterac] à R [ome] comme les choses iront. Ne précipitons rien et attendons plus de Dieu que de notre industrie. J’espère que sa soumission, sa petitesse, etc., feront tout l’effet dans son diocèse qu’on en peut souhaiter. Dieu a voulu confondre son propre esprit afin qu’il ne s’appuie que sur Lui seul.

Je vois souvent N. [le curé] dans une grande fureur contre moi. Je vous aime plus que je ne peux dire et je veux que vous m’aimiez : Dieu le veut. Si vous ne m’envoyez de la cire et du papier, je ne pourrai plus écrire.

2 En sa faveur.

1 La grande bataille autour de l’Explication des maximes des saints est en cours : en décembre Fénelon publiera la Réponse […] à la Déclaration de Mgr l’archevêque de Paris, de M. l’évêque de Meaux et de M. l’évêque de Chartres (Œuvres complètes, t. II, p. 329-382) [la Déclaration des trois évêques, du 6 août, avait été publiée en septembre], et la Réponse à l’ouvrage de M. de Meaux intitulé Summa doctrinae (Œuvres complètes, t. II, p. 382-402) en décembre (cf. Le Brun : Fénelon, Œuvres, t. I, « chronologie »).

Je ne sais que vous répondre, ma tr [ès] ch[ère]. Je n’ai au cœur ni pour ni contre. Je crois néanmoins que M. de C [ambrai] devrait différer cette impression1 si elle peut faire le fracas, [et] qu’on ait décidé à Rome, car si on décide pour2, la décision d’elle-même raccommodera dans son diocèse les esprits prévenus. Si on décide contre, alors une explication, et son humble soumission, fera, je crois, le même effet. D’ailleurs, il faudra faire la lettre pastorale ou d’autres ouvrages conformes au sentiment du Saint-Siège, car je ne crois point du tout que le pape condamne absolument, voyant la soumission de M. de C [ambrai] ; mais il pourra ordonner d’expliquer son livre de telle et telle manière, d’en supprimer certains endroits. Si j’avais su qu’on eût fait ce

. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

2 [Surin], Les Fondements de la Vie spirituelle tirés du livre de l’Imitation […], composé par I.D.F.S.P. [Jean de Sainte-Foi, prêtre], Paris, 1669.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 216v°].

Rome. Je vous envoie deux lettres de M. l’abbé de la Trappe, il y en avait encore une de l’abbé Testu, qui soutient celles de M. l’abbé de la Trappe jusqu’à dire que les lettres pleines de zèle seront mises dans le procès de sa canonisation. Elle est tout à fait maligne, mais je ne l’ai pas fait transcrire à cause qu’elle est fort longue, et que j’ai peine à avoir du papier. Il promet de faire une dissertation sur les lettres de ce grand saint, c’est ainsi qu’il appelle M. de la Trappe, le comparant à saint Benoît qui employait son zèle contre les hérétiques de son temps et même qui donne des avis au pape Eugène. Elles sont bien emportées, ces lettres, pour un saint, et si M. de M [eaux] traite saint Bonaventure de petit moine sur ce qu’il dit de l’intérieur, comment doit-on appeler l’abbé de la Trappe ? Renvoyez-moi les Fondements de la Vie Spirituelle 2 sans retardement. La fille qui me garde les a vus, elle me demande à les voir. Je ne sais que dire.

115 septembre 1697 : Instruction pastorale de Mgr l’archevêque duc de Cambrai sur le livre intitulé Explication des maximes des saints (Œuvres complètes [Gosselin], 1851-1852, t. II, p. 286-328).

Puisque les choses vont comme vous les dites sur le petit ch., laissez-la donc à N. ; pour le grand [ch.], il faut la laisser penser d’elle ce qu’elle voudra. Dieu, pour retenir les âmes faibles à Son service, permet qu’elles aient quelquefois de grandes idées de leur grâce : c’est encore beaucoup, dans le temps où nous sommes, qu’on ne quitte pas tout à fait [la voie]. Voyez-vous le grand ch. ? Je suis surprise, sans l’être, de votre sœur ; je suis ravie que N. lui soit utile. Je prie Dieu qu’elle y prenne assez de confiance pour ne quitter pas tout à fait la voie de Dieu. Quant on ne tiendrait qu’à un filet, on ne s’échappe pas si le filet ne se rompt.

Pour nous, ma très ch[ère] avec laquelle j’ai tant d’union, il faut que vous soyez un ver de terre que chacun foule aux pieds, et c’est par là que vous deviendrez conforme à notre cher et divin petit Maître. Ne soyons rien afin qu’Il soit tout, mais rien devant Lui, devant les yeux des hommes et à nos propres yeux. Comment votre sœur pense-t-elle sur moi ? Vous ne m’en dites rien. Ceux qui veulent être quelque chose, Dieu leur laisse être quelque chose, mais ceux qui veulent bien être tout à Lui, Il leur fait n’être rien. Il les traite comme Il a été traité Lui-même. Ce sont les plus heureux, quoique plus malheureux en apparence : les premiers tremblent de la crainte seule d’une humiliation qu’ils n’auront jamais, et les autres sont en paix au plus fort de l’humiliation même. Si nous avions les yeux ouverts, nous verrions que ce qui nous paraît hideux parce que nous avons les yeux fermés, nous paraîtrait charmant et tout divin.

J’ai trouvé la lettre pastorale admirable1. Je laisse à part ce qui peut me regarder. Plût à Dieu que, par la condamnation même que mes meilleurs [f° 217] amis feraient de moi, l’intérieur fût connu pour ce qu’il doit être, suivi et embrassé ! Il y a des passages admirables pour le pur amour, et je voudrais de tout mon cœur que cette lettre fût vue à

. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 215v°].

a Lecture incertaine de ces initiales : « Mon Cher Tuteur » ?

je lui envoyai parce que je ne l’entendais pas. Il m’écrit ce que vous voyez. Brûlez sa lettre après l’avoir lue.

5 Paix en le Saint-Esprit.

6 Empoisonné.

3 L’Explication des maximes des saints, publiée le 29 janvier 1697.

4 Et dimitte nobis debita nostra, sicut at nos dimittimus debitoribus nostris : Et pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés. (Paroles du Pater).

2 Fénelon.

bonne intention qui lui a attiré ce qui n’était alors que sur moi3. Plût à Dieu qu’en me faisant mon procès, je pusse souffrir pour tous ! Plût [f° 216] à Dieu que, par la mort la plus dure, je pusse leur apprendre à souffrir, et le mérite de la croix ! Il est impossible d’appartenir totalement à Jésus-Christ sans souffrir des opprobres pour Lui, ou l’évangile est faux.

N. ne nous épargne pas. Il dit qu’il nous a à vue pour tâcher de nous convertir, mais qu’ayant connu notre opiniâtreté, il n’a plus voulu nous voir. Lorsqu’on parle de nous, il dit : « Oh ! pour celle-là, elle va bien debitoribus 4 à gauche. » Quel ridicule terme ! Si on avait un peu d’amour pour Dieu, ayant vu la persécution si clairement décrite dans l’Apocalypse, avec quelle joie ne souffrirait-on pas ! Mais il paraît bien que c’est nous que nous avons aimés, et non Dieu en Lui-même et en nous. Je Le prie qu’Il soit notre force et notre paix au Saint-Esprit5 ; on n’en peut trouver que dans l’abandon de notre volonté en celle de Dieu. Ceux qui sèment la prudence de la chair en recueilleront les fruits dès cette vie, parce qu’ils ne seront pas crucifiés avec Jésus-Christ ; mais ceux qui sèment le pur amour sincère recueilleront la croix : cette dernière croix même n’est arrivée que pour avoir voulu se justifier. Si l’on me fait mon procès, je suis résolue de ne pas répondre un mot, car on ne le fera qu’en donnant des juges apostats, comme les témoins. Ainsi je tâcherai d’imiter mon Maître. Peut-être sont-ils bien aise de faire courir le bruit, afin de dire que c’est avec raison qu’on me retient. Mais peut-être craindraient-ils plus le procès que moi, car ils ne savent pas que je me tairai, et je pourrais prouver des choses qui leur feraient tort : le vin6, etc. Mais quoi qu’il arrive, mon cœur est préparé. Le peu de fermeté qu’on a pour Dieu est plus affligeant que les plus grandes peines. Laissons triompher les autres, et triomphons par notre humilité et notre patience.

Je ne sais pourquoi on ne peut avoir d’argent. N. [le curé ?] en veut sans que je donne un billet. Ne savez vous point comme cela va ? J’ai peur qu’il n’ôte mes [f° 216v°] affaires à M.C.T.a pour disposer de mon bien et de moi à leur gré. Il n’y a rien qu’on ne doive attendre de cet homme-là. Ce bon prêtre m’a envoyé un écrit latin, il y a deux jours, que

1 L’inconnue (pour nous) !

Je savais bien que N.1 avait dit hautement que personne n’approuvait ma conduite, qu’elle [n’] y avait été qu’opposée ; que, quelque chose qu’on fît de moi, ni ma famille ni nul autre ne s’en mêlerait, et le faisait entendre même sur le procès. Cela leur a donné cœur de tout entreprendre. Exprimez-moi ses regrets : est-ce de m’avoir vue, ou sur quelque chose mal à propos que je leur ai dit ? Tous le font-ils unanimement ? Et n’y en a-t-il point à qui la croix de Jésus-Christ ne soit pas une occasion de scandale ? Qu’ils se souviennent combien celui qui est à présent si persécuté2 et moi, nous nous sommes livrés à l’humiliation —, Dieu a exaucé ce qu’on a demandé —, en faisant un livre avec

. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

4 L’année 1697 voit de grands efforts déployés pour trouver la preuve d’une liaison charnelle avec Lacombe. On forgera la fausse lettre de ce dernier qui sera présentée à Madame Guyon dans une entrevue mémorable, v. Vie, 4,5.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 214v°].

a « et à » à la place d’un mot illisible..

fallait bien que le plus fort ne fût fait, et qu’elle voyait des choses bien terribles ; que pour elle, elle n’espérait point de fortune, qu’elle ne voulait pas blesser sa conscience. [f° 215v°] Qu’est-ce que cela veut dire, si ce n’est qu’on la sollicite à rendre un faux témoignage pour avoir lieu de m’ôter d’ici et me renfermer, après m’avoir ôté mes filles ? Je vis tout ce qu’il y a de plus noir, hier, dans les yeux de N. [le curé]. Dieu sur tout.

Depuis ceci écrit, la fille qui me garde m’a encore abordée, elle m’a paru très embarrassée, comme une fille qui a fait quelque mauvais coup, qui en voit les suites plus grandes qu’elle ne pensait. Elle fut hier à l’archevêché, apparemment qu’on tira d’elle plus qu’elle ne voulait. Elle m’a dit qu’elle s’en allait pour laisser passer l’orage, et enfin qu’il m’allait arriver des choses bien terribles, qu’elle n’y avait point de part. Elle m’a fait entendre qu’on m’allait ôter mes filles, m’a fort exhortée à la patience. J’ai toujours répondu qu’on pouvait m’ôter celles-là, mais que je n’en recevrai point de leurs mains, que je savais bien que ce n’était pas l’intention du r [oi] qu’on fît de telles violences, mais que j’abandonnais tout à Dieu, qu’il ne m’arriverait que ce qu’Il voudrait. Elle m’a fait entendre qu’on m’accusait d’étranges choses, mais qu’il fallait des preuves4.

2 Bossuet deviendra aumônier de la Dauphine en novembre.

3Chanterac, envoyé par Fénelon à Rome.

1été de connivence (forme déjà rencontrée une fois).

Les trois lettres de l’ecclési [astique] dont il est parlé ci-dessus sont avec l’original.

N. [le curé] est venu, il paraissait très irrité. Le tonnerre gronde, j’attends l’orage. Il est fort en colère contre la petite Marc de ce qu’elle ne s’en est pas allée, et il menace. Il semble que Dieu a puni la fille qui nous garde de ce qu’elle a connivé1 pour la faire enlever. Le lendemain, les plus beaux arbres fruitiers se trouvèrent coupés et àa terre, si net que la scie ne pouvait le faire, et plusieurs hommes n’auraient pu les rompre, et quand ils l’auraient fait, il y aurait eu des éclats. Elle dit d’abord [f° 215] qu’on les avait rompus, mais lorsqu’elle les vit de près, elle vit bien que cela était impossible. N. [le curé] me dit que M. de C [ambrai] avait écrit des lettres fort humbles, comme voulant dire en apparence, mais qu’il y avait des choses qui avaient beaucoup déplu et qu’on avait écrit contre lui des lettres très fortes. Je lui dis qu’il fallait que le torrent eût son cours, que ces choses-là étaient comme des maladies ; il a répondu que si son livre avait été fait il y a trente ans, qu’on n’y eût pas pensé. M. de M. sera premier aumônier de madame la Dauphine2. Je ne sais comme cela se nomme.

Je ne sais rien de nouveau à vous mander. Je suis restée boiteuse : j’ai le nerf de la cuisse raccourci. Je ne sais comme cela est arrivé, car je ne tombais que de la douleur que je me fis à la cuisse en marchant. Cela fut si prompt que je ne sais comme cela s’est fait. J’attends de vos nouvelles. Vous ne me mandez rien ni de R [ome], ni des affaires de M. de C [ambrai]. D’où vient cela ? J’y prends beaucoup d’intérêt. Lorsque le g [rand] vicaire3 sera arrivé, il faut faire dire neuf messes au Saint-Esprit ; je vous prie, n’y manquez pas. Je vous embrasse mille fois. Qu’est devenu le P [ère] A [lleaume] ?

L’ecclésiasti [que] m’a mandé qu’il me répondait du ja [rdinier] et de sa femme, que ce sont des gens pleins de probité et d’honneur. La fille qui me garde vient de me dire, tout éplorée, qu’elle s’en allait, qu’elle n’avait fait tout ce qu’elle avait fait que parce qu’on lui avait ordonné absolument, qu’elle avait de l’honneur et de la conscience, que je le verrais, que si elle avait voulu trahir l’un et l’autre, elle ne s’en irait pas. Je lui ai dit que le plus fort était fait, qu’on était accoutumé à elle, que je la priais de ne s’en pas aller. Elle a dit que je ne savais pas tout, et qu’il s’en

. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 214].

1 Au cas où Madame Guyon ne sortirait pas vivante.

2 Inconnu.

3 Inconnue.

Vous verrez par les deux lettres ci-jointes les mesures que nous devons prendre, et vous y verrez encore plus la malice de la fille qui me garde qui fait consulter sa servante sur des prétendues commissions que je lui ai données à son insu, ce qui est faux comme le démon, car cette fille qui lui a été envoyée du diocèse de Chartres, il y a environ quatre ou cinq mois, est de la part du grand vicaire de Chartres, dont je me défie si fort qu’on ne lui parle jamais. Il est aisé de voir par là qu’on veut m’imputer le vin dont je n’ai pas ouvert la bouche. Je vous prie de bien garder les lettres que je vous envoie avec les autres1. Non contents de cela, ils ont dit devant témoins que nous avions rompu tous les arbres de leur jardin. Il y eut, durant les grands vents, un abricotier [f° 214v°] qui ne tenait à la muraille qu’avec de la paille, le vent l’abattit ; ils disent à présent que c’est nous qui l’avons rompu et le montrent, et sur cela on fait une muraille pour nous empêcher d’aller au jardin. Je laisse tout faire sans dire une parole. Elles tourmentent sans cesse pour faire parler, viennent regarder au nez pour remarquer la contenance, se cachent derrière des arbres pour écouter ce qu’on dit et harcèlent continuellement ; cela est pénible, mais j’espère que Dieu soutiendra jusqu’au bout ce qui est Sien. Qu’Il en dispose selon Sa sainte volonté, il est trop juste qu’Il fasse de Sa victime une victime consommée. Je ne contredirai pas aux paroles du saint. Défiez vous de G.2 : je vous prie qu’il n’ait nulle trace de notre commerce. Ne dites rien de ce que je vous mande là-dessus à mademoiselle man.3, mais agissez prudemment, parce qu’ils ne connaissent rien. Je m’attends aux dernières extrémités à voir la malice aussi complète qu’elle est. La paix de l’âme gît dans l’abandon sans réserve entre les mains de Dieu. Lui seul voit toutes ces choses : une personne à laquelle on impute tout ce qu’on veut et qu’on met hors d’état de défense, qu’on enferme et qu’on opprime au point que vous savez. Réponse mardi sans faute.

. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697.

2 La petite duchesse pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux, comme Mme Guyon. La suite de la lettre est importante. Elle pourrait avoir succédé à Mme Guyon ; v. notre note portant sur ce sujet qui reste ouvert, à la lettre n° 222 détaillant les « emplois » au sein du cercle et adressée en octobre 1694 à Nicolas de Béthune-Charost. Voir aussi C.F., t. XIV-XV, notamment t. XV, p.182, 184 et surtout t. XV, p.215-216.

1 Nous n’avons pas relevé de lettre traduisant cette âpreté.

a fit (craindre biffé) croire

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 213].

Vous m’avez bien consolée, ma très ch[ère], de me mander que la lettre n’a point été décachetée. L’homme ne revint qu’à près de trois heures après midi ; cela, joint avec l’état où je trouvais la lettre, me fit croire ce que j’appréhendais. Je ne crois pas qu’il soit à propos que vous renvoyiez le gouverneur de N. Faites venir l’autre ; après l’avoir vu, examinez son caractère d’esprit ; [f° 213v°] vous pourrez alors reprendre celui-ci auprès de vous, comme il y était auparavant, et faire demeurer celui que vous prendrez auprès de N comme vous le projetez. Nous sommes en un temps où il ne faut faire aucun éclat.

Pour vos défauts, quoique M de C [ambrai] vous en reprenne avec âpreté et humeur1 comme c’est là sa manière, ne laissez pas de les croire en vous, mais ne vous en tourmentez pas pour cela. Attendez [plutôt] de Dieu que de votre industrie, et faites comme je vous ai marqué. Je n’approuve pas qu’il les dise aux personnes que vous me marquez ; ne laissez pas d’en porter l’humiliation en paix. Ne souhaitons jamais qu’on nous croie meilleurs que nous ne sommes. Pour la lumière présente qui nous est donnée, lorsqu’elle vous porte à quelque chose de bon de soi ou qui va contre votre naturel, suivez-la sans examen, car ces sortes de lumières et de grâces perdent lorsqu’on veut les examiner. Allez simplement ; plus vous irez simplement, plus vous irez bien. Ne disputez jamais sur vos défauts avec qui que ce soit qui vous les dise ; si vous les avez, c’est un bien qu’on vous en avertisse ; si vous ne les avez pas, outre qu’on ne vous fera point de peine en vous les disant, c’est que cela ne peut vous nuire de les croire, pourvu que vous ne vous entortilliez pas en réflexions et que vous ne vous découragiez pas.

Comme je crois que ce n’est pas par hauteur que vous ne goûtez pas N., je n’ai rien à vous dire : Dieu donne grâce pour les uns, qu’il ne la donne pas pour les autres ; de plus, il se peut mêler en elle beaucoup de nature. Cependant, lorsqu’elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre2. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu’Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s’est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j’ai toujours cru qu’Il l’accordait à l’humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi, car j’ai vu que ceux qui n’étaient pas disposés ne l’avaient pas. Si Jésus-Christ [214 r°] a voulu cette disposition en ceux qui l’approchaient, combien plus doit-elle être en nous ! Car il avait le pouvoir suprême en Lui-même.

C’est pour vous obéir que je vous mande mes pensées, ne prétendant pas que vous y fassiez d’autre fond que celui que Dieu vous y fera faire. Mais surtout ne vous attristez pas. Ne croyez pas venir à bout de vos affaires tout d’un coup et à force de bras ; la petitesse, la patience envers vous-même, la confiance en Dieu, la désoccupation de vous-même, l’occupation de Dieu est ce qu’il vous faut. Je vous aime bien tendrement. J’aime mieux vous voir méprisée pour vos défauts que de vous voir applaudie : l’un est bien plus glorieux à Dieu que l’autre. Il ne laissera pas, si votre cœur est toujours bon et droit, de faire en vous Son œuvre. Je continuerai le commerce par la femme, puisqu’ils sont sûrs. Aimez-moi toujours ; Dieu le veut. Pax nobis. Envoyez-moi du papier et de la cire. Adieu. Je fais bien de l’encre, mais je ne sais pas faire du papier !

. A LA PETITE DUCHESSE. Septembre 1697

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 212v°].

4 Style indirect libre. Sens : [Parce] que je suis…

courir à Paris. Pour cette fausseté, elle a été faite généralissime de sa société, et sur ce même certificat qu’on a fait voir au r [oi], il y a un ordre nouveau, signé, de me transférer, je ne sais si c’est à Angers ou à Chartres, je ne l’ai pu savoir. Dieu est partout. Je crois qu’on ne m’y donnera point mes filles. J’espère que Dieu me sera tout. Si je ne puis plus vous écrire, vous saurez que je n’y suis plus. Toute à vous en notre Maître. Voilà des lettres qui me sont d’une extrême conséquence à garder, mais comme j’ai peur qu’on ne nous fouille, je vous les envoie pour être serrées avec les autres. La suite fera voir qu’on en a besoin. Adieu.

Depuis ceci écrit, N. [le curé] est venu voir la fille qui me garde, sans me voir. Il lui a défendu de laisser jamais communier dans la chapelle, parce qu’il ne veut point absolument qu’on y communie, que je suis4 un diable incarné ! Je lui ai dit qu’il était impossible que je me confessasse jamais à un homme qui me croyait si méchante ; lorsque je ne me confesserais pas de pareille chose, je ne crois pas le pouvoir en conscience, et il n’y a personne qui pût jamais me faire autant de mal que lui.

3 La Vie et les Œuvres de sainte Catherine de Gênes, trad. par Jean Desmarets. Nous avons comparé sa « troisième édition revue et corrigée » chez Michallet, Paris, 1697, à une précédente (ainsi qu’à la traduction de Poiret). Mme Guyon utilisa probablement cette édition de Desmarets.

1Probablement la sœur précédente qui est devenue supérieure.

2 Le porteur des lettres.

Je crois que l’unique parti qu’il y ait à prendre est de joindre les deux lettres ensemble : d’en donner l’une sans l’autre, ce n’est rien faire ; de donner l’une après l’autre, vous y voyez du risque ; le parti sûr est donc de les joindre ensemble. N. [le curé] cherche de tous côtés s’il ne peut rien attraper contre moi. Enfin, il est réduit à soutenir que je me suis échappée et qu’il a de bons témoins comme on m’a vu courir dans Paris, que j’ai été réfractaire aux ordres du r [oi] et qu’après une telle chose, je ne puis jamais avoir ma liberté. Jugez comment moi qui ne puis marcher, qui suis restée boiteuse de ma chute, qui suis enfermée, [alors] qu’on a fait hausser les murs, condamner toutes les portes de notre côté, je puis avoir été à Paris courir les rues ! Apparemment je ne les ai pas courues pour rien, et après les témoins qui disent que je les ai courues, il y en aura [pour] d’autres choses. Cette fille ici est une bonne fille qui a de l’intérieur, scrupuleuse, mais on ne l’y laissera guère. N.1 et d’autres filles de leur société viennent l’intimider, la prévenir comme si j’étais un monstre. Mais, jusqu’à présent, elle ne cesse pas d’avoir pour moi de l’amitié. Non que je voulusse mettre son amitié à l’épreuve en quoi que ce soit ; au contraire, je suis plus précautionnée avec elle. Je sais de bonne part que N. [le curé] a des gens apostés à notre porte ; ainsi, soit que vous y soyez ou n’y soyez pas, il ne faut pas qu’on aille chez nous ; cela est de conséquence tout à fait, car il n’y aurait mauvais traitement qu’on ne prît prétexte de faire, et l’on mettrait dehors les bonnes gens. C’est demain le 25, on menace beaucoup, je ne sais quel est le dessein qu’on a, mais Dieu sur tout. Je vous embrasse mille fois. Je crois que vous deviez m’écrire un mot par N.2, car il paraît peut-être extraordinaire que vous m’ayez abandonnée, et cela [f° 213] peut le faire soupçonner ; je le crois nécessaire. Je voudrais bien avoir la vie de sainte Catherine de Gênes, elle était parmi mes livres, envoyez-la moi par la jard [inière], cachetée. Si vous ne l’y trouvez plus, le tut [eur] m’en donnera bien une, par charité.

Depuis ceci écrit, j’ai appris bien des nouvelles. La fille qui disait n’avoir rien voulu signer contre moi, a signé un certificat faux comme [quoi] j’ai passé par une brèche qu’elle ne savait pas et que j’ai été

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

5 « Et quoiqu’il [La Reynie] me parlât fort honnêtement, je remarquai qu’on l’avait fort prévenu contre moi. » (Vie, 4,1).

6 Madame Guyon.

7Marie-Cécile (1624-1664), l’ursuline appréciée de la jeune Jeanne-Marie Guyon.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 211].

quoique que j’eusse toujours remarqué qu’il faisait des efforts pour me faire rester à Vincennes, que néanmoins je ne m’étais pas plainte de lui et que j’avais témoigné au c [uré] de S [ain] t S [ulpice] [la Chétardie], lorsqu’il vint, [f° 212] que ma peine était que lui, M. Py [rot], croirait que je ne serais pas contente de lui. Il ne me nia pas qu’il avait fait son plan de me faire rester à Vincennes, mais que néanmoins j’étais mieux entre ses mains qu’en celles de N. Je lui ai demandé : « D’où vient que M. Lar [de La Reynie] était si irrité contre moi ? » Il m’a répondu qu’il ne l’était qu’autant que N. [le curé] le faisait être5. Il s’en est allé, et il me semble que N. était dans le même lieu. Il l’a fait demander, il est venu, j’étais cachée dans un coin. M. Py [rot] a demandé à N. : « Comment êtes-vous content de N.6 » ? Il a répondu avec des gestes et des manières inexprimables plus mal qu’on ne peut dire, et je voyais que ses gestes et la manière dont il disait cela, faisait plus croire de mal de moi que tout ce qu’on en a jamais dit. Je lui ai dit, sortant du lieu où j’étais : « Je vous atteste au jugement de Dieu ; c’est devant le Juge redoutable que je vous cite, et c’est à Lui que je demande justice de votre malice ». A mesure que je lui parlais, il me semblait que son habit de prêtre se changeait en de gros haillons de linge sale. On m’a dit : « Fuyez, car vous êtes dans les plus mauvaises mains que vous puissiez jamais être ».

Je me suis éveillée là-dessus. J’avais songé auparavant que ma sœur, la religieuse qui est morte7, me disait : « Fuyez, et vivez plutôt dans des cavernes de pain sec que d’être en de telles mains. Vous ignorez les maux qu’il vous prépare ».

Depuis ma lettre écrite, N. [le curé] a parlé au jard [inier] et lui a fait de grandes caresses, lui demandant s’il n’avait point porté de lettres de ma part ; il lui a dit que non. Il lui a dit : «  Si l’on vous en donne, apportez-la moi, je vous donnerai un écu. Cela ne vous fera point d’affaire, car je la lirai, la cachetterai, vous la reporterez et vous m’apporterez la réponse dont je vous donnerai trente sous ; et je la lirai et je la recachetterai de même ». Le jard [inier] lui a dit qu’il ne portait point de lettres et n’était pas un fripon. Cela [f° 212 v°] n’a pas laissé de me faire de la peine, quoique je croie bien que s’ils n’étaient pas fidèles, ils ne diraient pas ces choses. Dieu sur tout.

3 Le petit prince, le duc de Bourgogne.

4 Noter la capacité de Mme Guyon à ressentir de loin l’état intérieur des gens qui lui sont confiés.

2 L’abbé de Beaumont, « panta », fut associé à Fénelon, en 1689, en qualité de sous‑précepteur du duc de Bourgogne. La disgrâce qui accabla, au mois de juin 1698, les amis de Fénelon, obligea l’abbé à se retirer à Cambrai, où l’archevêque le fit son grand‑vicaire. Il peut s’agir aussi de l’abbé de Beaufort, lié à une Noailles, mais bien disposé envers Fénelon, cf. C. F., t. V, p. 116 sv.

1 Toujours inconnue.

Je ne crois point que vous deviez cesser de nous voir rarement comme vous faites, à moins d’une défense absolue, et les précautions feraient songer à ce qu’on ne pense pas. Il n’arrivera de tout [f° 211 v°] ceci que ce que Dieu a résolu de toute éternité. Si la croix est un bien, nous devons aimer et respecter ceux qui y ont part. Comment N.1 est-elle si bien informée que l’abbé de Beau [mont ?] 2 n’est point dans tout cela, s’il ne s’en est expliqué lui-même ! S’il l’a fait, que dites-vous de cela ? Dans quelle situation d’esprit est pp.3 sur l’exil de N. [Fénelon] et sur tout le reste ?

Je ne crois pas que vous ayez besoin de tant de réflexions pour vous corriger. Une attention simple le fera mieux. Votre esprit, vif de lui-même, s’y embarrasserait beaucoup et vous remarquez aisément que, lorsque vous êtes mal, vous réfléchissez plus que lorsque vous êtes bien. J’espère que Dieu vous assistera. Ne soyez plus triste, je vous en prie. Je comprends que vous ne convenez pas en tout avec les personnes avec lesquelles vous êtes, mais la séparation du corps est toujours un grand bien. Je sens quelquefois d’ici l’amour-propre et l’appui en soi4. J’espère que Dieu vous aidera et qu’Il achèvera son œuvre en vous. Allez donc simplement, et croyez que je suis incapable de déguiser mon sentiment sur ce qui vous regarde. Soyez fidèle sans connaître votre fidélité, et renoncez-vous en tout selon la lumière actuelle. Lorsque vous ne connaissez rien, demeurez en repos, mais dès que vous apercevez quelque chose en vous, ou une lueur seulement de vous renoncer en quelque chose, suivez-la fidèlement. J’espère que Dieu n’abandonnera pas ce qui est à Lui et que, si nous ne triomphons pas en cette vie, Il triomphera en nous. C’est tout ce que nous devons souhaiter.

J’ai songé cette nuit des choses qui m’ont fait une impression de vérité très forte. Il me semblait que je voyais M. Pyrot [Pirot], qu’il me faisait fort froid ; je lui ai dit, comme c’est la vérité, que j’avais été fort fâchée qu’on m’eût rendu de mauvais offices auprès de lui, que,

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

1Dominique de la Motte.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 210v°].

N. [le curé] vint la veille de la Vierge et comme le vin n’est plus ici, il commença à nous faire sentir sa cruauté. Il ne parle qu’à confesse. Il dit à Manon, qui y fut la première, qu’il fallait qu’elle s’en allât et qu’on voulait mettre d’autres filles auprès de moi, et qu’il la ferait rendre à ses parents ; elle dit qu’elle n’avait point de parents. Cela la saisit si fort qu’elle ne put dire autre chose ; elle revint près de moi plus morte que vive. Il ne dit rien à la petite Marc, parce qu’il compte, à cause de la faiblesse de son esprit, d’en faire ce qu’il voudra.

Après je fus à confesse. Il me dit qu’il avait obtenu de M. l’arch [evêque] que je communierai le jour de la Vierge. Ensuite il me dit que M. de C [ambrai], par son opiniâtreté, [f° 211] avait enfin obligé qu’on le fit chasser de la Cour et qu’on l’avait envoyé dans son diocèse. Je lui dis : « Oh ! que j’en suis aise ! Que le bon Dieu soit béni : il aura plus de temps pour L’aimer et Le servir, étant hors de ce fracas ». Il m’a dit : « Son affaire est à R [ome], il en sera mauvais marchand, on la renverra ici aux prélats ». Je ne lui répondis rien.

Il me fit ensuite l’éloge de mon frère1, puis il me parla des sujets qu’on avait de me maltraiter. Ensuite il me dit en m’insultant : « Votre patience est-elle à bout ? », voulant faire entendre que je n’avais qu’à me préparer à bien d’autres choses. S’il m’ôte mes filles, c’est pour m’en donner qui fassent ce que le vin n’a pas fait, et ils se feront un mérite de cela devant Dieu et devant les hommes. Je vous avoue qu’une telle tyrannie de m’ôter des filles qui, du moins, ne sont ni des traîtres ni espionnes, pour m’en donner auxquelles on fera dire ce qu’on voudra, m’a serré le cœur. Ma confiance est en Celui qui voit les tyrannies.

Je vois, par cet homme-ci, la rage des autres : ils ne feront, par leur négociation, qu’empirer tout s’ils [le] peuvent, et assurément quelque jugement qu’il y ait à R [ome]. Je ne voudrais pas sortir des mains du Saint-Père pour me mettre dans les leurs. Je vous embrasse mille fois. N. [le curé] dit à Manon qu’on avait chassé M. de C [ambrai] à cause de la rébellion, et que c’était moi qui faisais tous les maux, faisant entendre qu’il m’en fallait punir. Vous me demandâtes si je voulais du lin, je le refusais, car je ne filais pas alors ; à présent que mes mauvais yeux m’empêchent de faire autre chose, si vous m’en voulez envoyer par N., vous me ferez plaisir. J’avais envie de filer de la soie et de m’en faire de l’étoffe : mandez-moi votre avis. Vous ne m’avez rien répondu sur le P [ère] L [a] C [ombe].

. A LA PETITE DUCHESSE. Peu après le 15 août 1697.

1 Elle succède donc à Mme Sauvaget de Villemereuc, comme supérieure de la congrégation dite de saint Thomas de Villeneuve.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 210].

Je vous assure que j’ai bien de la peine de la faiblesse et de la mollesse de N. [Fénelon], mais il en sera puni par tout ce qu’il fait. Il a affaire à des gens qui ne sont forts que lorsqu’il craint, et qui craignent lorsqu’on est résolu. Cela vous fait bien voir que la véritable force est en Dieu. Ce n’est point être humble que de ramper, mais l’humilité s’accorde avec la générosité d’âme. Si cela empêche qu’il n’envoie promptement à R [ome], ce qu’il faut [faire], ce sera céder à Bar [aquin] tout pur. On se moque de ses lettres, et on les regarde comme celles d’un homme qui a peur. Cela me fait bien pitié. Ma consolation est que j’espère qu’il aura un jour honte de lui-même [f° 210v°] et que cela lui ôtera un peu de sa hauteur.

Pour récompenser la fille qui me gardait du mauvais traitement qu’elle m’a fait, on la fait générale de sa société1. Il en vient une autre de Loudun. Je ne sais ce que ce sera, mais elle ne peut faire pis. Je suis malade. J’attends de vos nouvelles. Il m’est venu fortement dans l’esprit que M. de Cha [rtres] n’entretenait commerce avec N. [Fénelon] que pour voir le tour que l’affaire aura à R [ome]. Si elle va mal pour N., il doit s’attendre à mille indignités de leur part ; si elle va bien pour lui, ils feront avec lui quelque accommodement au préjudice de R [ome], afin de le décrier en ce pays-là et de le rendre ridicule. C’est là ce que je crois. N. [le curé] couve quelque dessein contre moi. Dieu sur tout. Il a fort prévenu ma nouvelle gardienne, mais je la crois bien moins mauvaise que l’autre. Elle dit que si l’on croyait qu’elle eût la moindre estime pour moi et que j’en fusse contente, on ne l’y laisserait pas trois jours.

Depuis ceci écrit, cette fille a fait entendre à Manon qu’elle serait obligée, par obéissance, de faire des choses qui me déplairaient ; elle ne veut pas dire ce que c’est, mais je crois que c’est pour ôter mes filles. Ils en font encore venir une. Je crois qu’ils comptent de me laisser seule en pension chez elles. Je vois bien que je dois m’attendre à d’étranges choses. Dieu sur tout. N. sort d’ici. Il ne m’a pas grondée.

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

3 Il s’agit bien entendu de Fénelon et de son livre Explication

2 En toutes lettres, signe de l’importance accordée à cette démarche à Rome.

1Chanterac, qui était déjà grand‑vicaire de Cambrai, lorsque Fénelon le choisit en 1697 pour son agent à Rome, dans l’affaire des Explications des maximes.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 209v°].

C’est une ruse pour empêcher qu’on aille à R [ome]. Au nom de Dieu, qu’on poursuive à R [ome] avec toute la vivacité et la paix possible, mais qu’on ne retarde par un moment le voyage du grand vicaire1. Il faut pousser à R [ome] comme s’il n’était pas question d’ici, et écouter ici comme s’il n’était pas question de R [ome]. Je vous assure que ce n’est qu’artifice, il n’y a rien de sincère dans leur procédé. Ecoutons, mais surtout allons à Rome2. Il peut et doit faire incessamment le mandement qui explique son livre3, et si c’est ce qu’ils demandent, ils seront contents. Il peut même promettre d’expliquer dans la seconde édition les endroits qui ont paru obscurs à ceux qui n’entendront jamais les voies de Dieu, parce que toutes entrées leur en sont [f° 210r] fermées. Je conjure donc qu’on aille à R [ome], et que la négociation d’ici ne ralentisse rien de ce côté-là. Vous avez affaire à des gens passionnés et rusés. Devant que j’eusse signé l’écrit de M. Tronson, M. de Chartres me fit dire qu’il viendrait lui-même me dire la messe et me communier ; dès que je l’eus signé, on me déclara de sa part qu’il ne m’en croyait pas moins mauvaise, et que cette signature était l’effet de mes artifices ordinaires. Voyez le fonds qu’on peut faire sur de tels esprits.

La paix que Dieu a rendue à N. [Fénelon] marque Sa volonté. J’ai bien de la joie de ce que vous me mandez du grand vicaire, je prie Dieu de lui donner Son Esprit et je l’accompagnerai par mes prières. J’espère que notre Maître l’aidera, que saint Michel le couvrira de son bouclier et que le saint Enfant, qui est la Parole éternelle, mettra dans sa bouche les paroles de Vie, pourvu qu’il le Lui demande. Prions tous pour cela, mais je vous prie qu’on ne dise pas un moment de poursuivre à R [ome]. Le diable est enragé. M. de Ch [artres] a cru prendre N. par promettre de lui conserver sa place [sic] ; mais sa place est Dieu, et si Dieu veut lui conserver l’autre, leurs efforts seront faibles. Ne vous étonnez pas de votre état, allez sans savoir où. Je vous embrasse mille fois. J’ai un vomissement qui ne me quitte pas depuis hier ; c’est pourquoi je finis.

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

4 Faire un peuple : constitue une communauté (le sens moderne se constitue progressivement au XVIIIe siècle). Rey.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 209].

2 La famille spirituelle du cercle quiétiste.

3 Indéterminée.

appelle « mouvements » et que j’ai toujours remarqué être esprit de nature, à tout ce qu’on lui a pu dire. D’où vient que même Rem., qui est celle pour laquelle il peut y avoir grâce, souffre de si horribles peines lorsqu’il suit ses prétendus mouvements : s’ils ne sont pas sûrs pour lui-même, comment le seraient-ils pour une famille2 qui n’a nulle relation avec lui ? Même, depuis deux ans et demi que N.3 se conduit par lui, elle n’a plus eu de liaison avec moi, et je trouve que cela fait un peuple4 différent. Dieu nous appelle à mourir à nous-mêmes et à nous renoncer ; ce n’est point là sa voie, et jamais homme ne fut moins souple ni moins petit, ce qui n’empêche pas que je ne fusse prête à consentir qu’on préférât sa lumière à la mienne. Notre conduite n’est pas de suivre des mouvements extraordinaires, mais la conduite de la Providence, qu’on suit pas à pas. Lorsqu’on est pressé de se déterminer et qu’on n’a pas le temps de demander conseil, alors en se recueillant intérieurement, suivre son mouvement, à la bonne heure, ou bien aller son chemin lorsque rien n’arrête, mais aller par des enthousiasmes, c’est [f° 209v°] le moyen de s’égarer. Vous voyez que la Providence nous mène à son but, comme il lui plaît.

Ne songez point au mariage de M. votre fils : dans le temps Dieu vous donnera ce qui vous conviendra. Laissez agir la Providence. Laissez penser à N. ce qu’il voudra sur cela ; il a ses vues, c’est un défaut, mais un défaut qui, venant de l’envie d’être plus à Dieu, quoiqu’il lui empêche une certaine aisance, ne déplaît pas à Dieu. Il est bon et fidèle. Pour ce qui est de votre N. et du N., je les marierais et ne les renverrais pas d’abord, de peur de les scandaliser, mais si dans la suite ils vous servent mal, je les renverrais ; mais il faut les marier sans délai et ne pas souffrir que Dieu soit offensé chez vous.

Je ne veux plus que vous soyez triste, bon courage. Dieu sait bien ce qu’il vous faut. Lorsque la privation de quelque chose vous peine, c’est une marque que nous y tenons, et Dieu purifie cela afin que nous possédions après les mêmes choses sans attache. Ne vous étonnez pas de votre peine, portez-la de votre mieux, sans vouloir démêler ni sentir votre soumission, lorsque Dieu vous la cache. Je ne garde pas vos lettres un moment. Je vous embrasse de tout mon cœur.

1 Archaïsme : être = est.

1aLa congrégation des Missions.

J’ai une peine de ce qu’on reprend le vin très grande, non à cause de la perte, mais parce que je crois qu’on a de mauvais desseins.

Je crois que vous m’avez communiqué votre tristesse sans que j’en sache la cause. [Je] veux croire M. de V. être1 tout ce que N. dit, mais il est certain qu’il n’a pas grâce pour vous autres, lui qui même s’est séparé de sa famille1a d’une manière si éclatante, préférant ce qu’il

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

3Chanterac (envoyé à Rome).

2 Le rétablissement des noms adopté est probable.

1 a Ps. 73, 19.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 208], « août 1697 ».

Bien loin que l’exil1 m’ait fait de la peine, j’en ai eu une joie que je ne puis vous exprimer. Vous savez que je vous avais mandé que, dès que le parti serait pris d’aller à son diocèse, qu’il serait en [208 v°] paix et remis à sa place. Comme il n’avait pas le courage de le faire, Dieu l’a fait de Son autorité : Il n’a permis l’état terrible, où vous l’avez vu avant cela, que pour mieux faire connaître la différence et confirmer la parole que j’avais donnée de Sa part qu’il serait en paix. Prions tous incessamment et disons tous la prière d’Esther et de Mardochée pour lui, afin que Dieu inspire le chef de Son Église, car c’est tout ce que nous devons souhaiter.

Ne vous étonnez pas de votre faiblesse : il faut que nous sentions tous ce que nous sommes, et que nous ne voulions pas être fortes lorsqu’Il nous laisse dans notre faiblesse. Bon courage, ma très ch[ère]. Oh !

1Eloignement de la Cour. Parti le 3 août, Fénelon arrive à Cambrai le 9. Mme Guyon ignore que c’est par un ordre du Roi.

portez toutes ces dispositions crucifiantes en abandon, sans connaître ni sentir l’abandon. Souffrez les réflexions importunes, mais ne donnez lieu à aucune. Dieu est plus puissant que toutes les puissances : ayons recours à Lui, faisons dire quelques messes à Notre-Dame et en l’honneur de saint Michel. Peut-être que Dieu Se contentera de nous avoir humiliés sans vouloir nous perdre tout à fait. Ne négligeons pas les menues dévotions puisque Dieu me les met au cœur. Soyons petits en cela comme en tout le reste. Si Dieu en inspire d’autres à quelques-uns, qu’on les suive ! Car Dieu veut quelquefois ces choses qui, loin de nous faire sortir de notre abandon, l’augmentent. N. [Fénelon] sera bien plus en état de faire les choses à présent qu’il sera rétabli dans sa place. J’admire la bonté de Dieu qui nous arrache ce que nous n’avons pas la force de Lui immoler. Soyons donc à Dieu malgré tout ce qui peut arriver et ne donnons pas la victoire au démon par notre infidélité. Que chacun se renouvelle et fasse dire des messes selon son pouvoir. Il en faut faire dire au Saint-Esprit et ne cesser de prier afin que le démon ne soit pas le plus fort. Ô mon Dieu, nous sommes vos enfants et votre héritage, que vous vous êtes acquis d’une manière particulière, ayez pitié de ce qui est à vous, n’abandonnez pas vos saints aux bêtes de la terre1a. Bon courage ! Je vous embrasse de tout mon cœur.

Je voudrais bien que S [a] S [ainteté] 2 sût les refus qu’on lui a fait d’aller à R [ome]. Le grand vicaire3 ne serait-il pas homme à se laisser gagner ? Le P [ape] ne pourrait-il point demander au R [oi] de laisser venir M. de C [ambrai] lui-même, et ne pourrait-on point lui insinuer cela ? Si je dis une folie, n’importe !

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 208].

Je ne vous écrivis pas dimanche, je ne pouvais encore le faire. Il m’arriva, il y eut lundi huit jours, deux accidents en même temps : je tombais et me pensais rompre la cuisse ; on dit que j’en serai incommodée quarante jours, je boite fort. Ensuite une mouche-guêpe vint me piquer le bras : elle était si venimeuse qu’on croyait que je perdrais le bras ; il s’enfla depuis les doigts jusqu’au coude avec une rougeur et dureté horribles, il était tout noir. Pour moi, je crus que c’était un bar [aquin]. Cela augmentait tous les jours à vue d’œil. Je m’avisai de dire à m [on] p [etit] M [aître] : « Si vous n’avez pas agréable que j’ai écrit mes écrits, faites-moi perdre le bras, et je les ferai brûler, sinon guérissez-le ! » Il l’a guéri. Ceux à qui l’on a fait voir mon bras croyaient que c’était une morsure d’autre bête, d’autant que j’avais des maux de cœur, mais m [on] p [etit] M [aître] m’a guérie tout d’un coup. Il n’y a plus que la marque.

L’ecclés [iastique] m’a mandé qu’on avait envoyé à R [ome] une condamnation du livre de M. de C [ambrai], signée de quatre évêques, douze docteurs de Sorbonne, entre lesquels il y en a deux réguliers. Il m’a aussi mandé qu’on avait défendu à N. [Fénelon] d’écrire à pp. [au duc de Bourgogne]. Mandez-moi des nouvelles.

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 207v°].

1M. le Lieutenant ?

2 Indéterminé.

N. sort d’ici, il m’a dit qu’il venait de Bourges. Je n’ai fait semblant de rien. Il m’a dit qu’il fallait ôter mes affaires des mains de M. Le L1 — cette proposition m’a surprise —, et les donner à ma fille. J’ai esquivé la réponse, mais je n’en ferai rien. Cela me fait voir qu’il a du dessein. Pour moi, je laisse tout à Dieu : Il fera ce qu’il Lui plaira de ce qui est à Lui. Ne pourriez-vous parler à ma fille, sans lui laisser sentir que je vous écris, mais sur les choses que vous savez du dehors, afin qu’elle prenne avec lui des précautions ? Je ne vois plus presqu’à écrire. Il m’a fort parlé du mauvais état des affaires de M. de C [ambrai]. Savez vous ce qu’est devenu le pauvre père La Combe  ?

Depuis ceci écrit, cette fille qui me garde, a dit à mes filles que N. [le curé] lui avait dit que le vin était trop bon, et qu’il le renverrait quérir en bouteilles lorsqu’il viendrait quelque personne de qualité au séminaire, et un grand galimatias auquel elles n’ont rien répondu, sinon que je ne m’en plaignais pas. Aujourd’hui samedi, cette fille est venue, elle m’a dit : « N. dit hier qu’il ferait prendre notre vin en bouteille lorsqu’il viendrait des gens de qualité ». Je lui ai dit : « Vous savez, mademoiselle, ce qu’on [208 r°] nous a dit du vin — Ma foi çà, qu’elle dit, je ne lui en ai pas parlé. » Je lui ai dit de le prendre en bouteille si loin à loin et, « achetant chaque bouteille, comme vous dites, le vin se gâterait moins. Mandez à M. N. 2 qu’il ne s’en fasse point de peine, que je n’y pense pas, et que ceux qui l’ont vendu se sont peut-être mépris ; que j’aimerais mieux perdre encore cinquante écus qu’il y pensât et s’en fît quelque chagrin ; que s’il le veut retirer tout à fait, je paierai le remuage et les autres frais ; qu’il fasse ce qu’il lui conviendra. » Je crois que je ne pouvais pas faire autre chose. Mandez-moi votre pensée.

. A LA PETITE DUCHESSE. Août 1697.

1 Drogue inventée par Ferrante d’Orviéto, en vogue au XVIIsiècle.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 206v°].

Obligez-moi de ne pas laisser mon cœur entre leurs [207 v°] mains : depuis qu’il est à Dieu, il n’a jamais brûlé d’un feu étranger. Une circonstance du vin que j’omets, c’est que je mandai que j’en trouvais ici d’excellent à cent francs la feuillette, mais que je prie qu’on me mande si je n’en pourrais pas avoir à meilleur marché. Sans me répondre, on m’en envoie promptement à cinquante francs la feuillette ! Toutes ces circonstances sont fortes.

3 Fénelon bien sûr ! pratique assez fréquente à l’époque.

1aFénelon quitta Paris le 3 août pour arriver à Cambrai le 9.

2 Anniversaire important pour Madame Guyon, v. sa Vie dont les événements importants coïncident souvent avec l’anniversaire de sainte Madeleine, 22 juillet : plaie amoureuse en 1668 (Vie, 1.10.5), contrat de vœux dressé par la mère Granger en 1672 et renouvelé chaque année (Vie, 1.19.10), celle de la mort de son mari en 1676 (Vie, 1.22.7), fin de la nuit mystique en 1680 (Vie, 1.28.1), arrivée à Gex l’année suivante (Vie, 2.1.10), veille de son retour à Paris en 1686 (Vie, 3.1.3)…

Puisque vous voulez, ma très c [hère], que je vous mande de mes nouvelles, je vous dirai que, comme je n’ai bu du vin qu’à trois repas et avec une grande quantité d’eau, j’en ai moins de suites fâcheuses. Il m’est resté dans la poitrine une impression de chaleur, comme d’excoriation. Comme j’ai bu extrêmement d’eau pour apaiser le feu qui me dévorait, cela m’a fort enflée. Je prends des bouillons de veau au bain-marie avec du cerfeuil pour me désenfler, mais je suis exposée  à tout ce qu’il plaira à Dieu. Je pris avant hier de l’orviétan1 : cela me causa de grandes douleurs sans que j’en sache la cause, si ce n’est quelque combat. Depuis cet accident, il m’est resté une chose singulière que je ne comprends pas ; c’est une agitation d’entrailles ou de rate ; je ne sais ce que c’est, mais cela remue continuellement comme si j’avais deux enfants très forts.

On bouche et ferme tout. On veut faire croire que je ne suis plus ici et faire de moi ce qu’on voudra. Ils sont sûrs de cette fille ici à laquelle ils feront dire et faire ce qu’il leur plaira. Je conserve un grand silence sur tout ce qu’on fait, ne faisant pas semblant de l’apercevoir, et je suis fort en paix parce que j’appartiens à Dieu et qu’il est trop juste qu’il fasse de sa victime ce qu’il Lui plaît, et quoique je sois dans de si étranges mains, je suis dans les Siennes. J’ai perdu bien de la récréation en perdant presque les yeux, car je ne puis travailler. Je file assez gros et sans trop regarder, car ma vue est si faible que je ne peux lire du tout. Je suis bien aise qu’on retourne dans son diocèse1a. C’est lundi la Madeleine, souvenez-vous-en ! 2 Ne témoignez rien sur N. : il ne vous en servira pas moins bien, mais qu’il ne sache rien de notre commerce. Je crois bien que le commerce des créatures [207 r°] ne peut être que pénible, et c’est une grâce que Dieu vous fait parce qu’Il vous veut toute pour lui. J’écris à diverses reprises à cause de mes yeux.

Depuis ceci écrit, il m’a pris de grandes douleurs dans le corps avec la fièvre. Ce vin montait d’abord à la tête ; depuis que j’en ai bu, j’ai toujours la bouche amère et échauffée ; cela m’a donné du dégoût de tout ce que je mange, que je trouve amer. Je vous prie, si je meurs ici, je vous ferai avertir de venir avec un chirurgien pour me faire ouvrir, tirer mon cœur, l’embaumer et le mettre entre les mains de qui vous savez3. J’attends ce service de notre amitié. Prenez courage, il vaut mieux aller par l’amertume du calvaire que par la douceur du Thabor : suivons Jésus, nu sur le calvaire. C’est un bien pour vous que vous ne trouviez que de la peine dans les créatures, car elles vous amuseraient. Poursuivons dans le chemin de la foi et de la croix, où tout est d’autant plus pour Dieu qu’il y a moins pour nous. Je vous embrasse.

Un des hommes qui a goûté le vin, a été trouver l’ecclésiast [ique] dont je vous envoie encore une lettre, pour lui dire qu’il était obligé en conscience de l’avertir qu’on avait apporté ici du vin que quiconque en boirait, mourrait ; qu’il y mîs ordre. Il l’a mandé de vive voix par la jard [inière]. Voyez ce qu’il mande. La prospérité de M. de M [eaux] m’effraye, loin que je lui porte envie. On fait courir le bruit que je suis au château d’Angers à cause de mes fourberies. Voyez les circonstances : on commence par vouloir m’ôter mes filles ; voyant qu’elles ne me veulent pas quitter, on les maltraite ; ensuite, on m’impute des crimes, on me renferme plus à l’étroit ; on m’envoie du vin emp [oisonné], on me dit que je le trouverai mauvais au goût, mais que je ne laisse pas d’en boire ; on me charge encore d’outrages ; on s’en va ensuite, et l’on me garde à vue depuis ce temps afin que je ne puisse avertir personne.

. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

8 Phrase peu claire : le curé espère t-il avoir jeté dans le trouble la prisonnière (qui d’ailleurs est à bout, doutant de ce qu’il faut faire et demandant conseil à Chevreuse) ? Ou bien, compte tenu de la phrase suivante : « Il espère, que je crois, ne me plus trouver », espérant sa mort.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 204v°].

marche sans être aidée. Ils ont dit que l’herbe était foulée au droit de la muraille derrière la haie, ils y menèrent des hommes, apparemment pour servir de témoins. Je n’y ai jamais vu qu’un gros chat qui y passe continuellement. Je n’ai pas fait semblant de rien apercevoir, quoiqu’on dit cela fort haut afin que je l’entendisse, faisant des menaces en l’air. Je n’ai rien pris pour moi, connaissant mon innocence et laissant tout à Dieu. Je ne dis mot et laisse tout faire.

Voilà des lettres, avec la copie de ce qu’on dit que j’ai signé à Vincen[nes], qu’on ne m’a donnée que du temps après que j’ai eu signé, sans me permettre de lire ni confronter rien. Enfin vous voyez les lettres de M. Tronson, et comme je fus obligée d’écrire, dès le commencement, par l’extrême impression que j’avais qu’on ne m’avait mise ici que pour m’en imposer, au cas qu’on me mette en justice, comme on le prétend, dès qu’on aura amassé, dit-on, tout ce qu’on cherche. Le N. [curé] me dit un mot qui me parut effroyable dans la bouche d’un p [rêtre], qui était qu’on ne me mettait pas en justice parce qu’il n’y aurait pas de quoi me faire mourir. Puis, en se ravisant, il ajouta : « Mais il est vrai qu’on peut toujours vous faire une punition proportionnée, etc. » Il m’avait juré sur sa part de paradis que je ne serais ici que trois mois, qu’on ne m’y ferait point de suppositions. Sa part de paradis est bien perdue, [206 r°] si Dieu a égard à un serment si fol et si faux ! Le tut [eur] [Chevreuse] a bien des lettres qui pourraient me servir, et il faudrait retirer des mains de M. Tronson les lettres qu’on lui a confiées. Madame de No [ailles] en a aussi, qu’elle a tirées par adresse.

Je voudrais, pour moi, me laisser faire mon procès sans me défendre, mais comme je crains de faire tort à la piété, mandez-moi le sentiment du tut [eur], si je dois me laisser condamner sans me défendre. On m’amènera une foule de témoins, d’infâmes créatures qui n’étant ni récusées ni confondues, tout passerait pour vrai et constant, car il se faut attendre à tout. Je voudrais aussi savoir si, après les choses qui sont arrivées, je dois me confesser à N. [le curé]. Je crois que je ne le dois pas, et il me paraît qu’il y a quelque chose d’indigne d’aller à confesse à un homme qui me suppose chaque jour des crimes et auquel je n’entends jamais dire vrai. Je n’ai rien voulu faire sur cela sans avoir un conseil. Faites-moi donc réponse. N. a emmené avec lui, dans son voyage, le Père de ces filles qu’il met dans une réputation de filles admirables, quoiqu’elles en soient bien éloignées, afin de donner plus de force aux faux témoignages que celle-ci fera. Dieu sur tout. Je viens de recevoir une lettre de l’ecclésias [tique] qui paraît très affligé, disant qu’on me suppose milles choses fausses et que la résolution est prise de m’enfermer pour le reste de mes jours dans la tour d’Angers : Dieu sur tout ; qu’on a fait courir le bruit que l’on m’a remise à Vincennes et que N. [le curé] est allé. Je vous prie de tâcher de découvrir s’il est à Angers. N. se vante qu’il aura mon argent sans billet tant qu’il voudra. Je vous prie qu’on n’en donne plus, car m’enfermer dans une tour et disposer de mon argent pour me faire maltraiter, il n’y a pas d’apparence. Il en veut user de la sorte pour faire croire que je serais toujours ici. Après que [f° 206v°] N. a fait son coup, il est allé en campagne, il espère que je crois ne me plus trouver8. J’oubliais de vous dire qu’il m’a dit : « Le vin n’est pas bon au goût, mais ne laissez pas d’en boire, il est stomachal. » !

6 « Le 30 juin, de Versailles, Fénelon vient à Paris et rend une visite au nonce […] qui a remis le bref pontifical et la lettre du secrétaire d’Etat à l’archevêque. Celui-ci a témoigné sa reconnaissance et sa soumission au Saint-Siège. […] Bossuet écrit à M. de Paris : “… on imprime le livre [de Fénelon] partout […] le nouveau bref lui donne de l’autorité par sa seule ambiguïté.” » (v. CF, chronologie).

4Peut-être pour éviter d’avoir à prendre parti. Il veut d’ailleurs être éclairci sur ce qu’on lui a probablement exposé.

5 Ce qui pourrait éclairer sur les « commanditaires » de cette prison religieuse.

3 Le confesseur de la communauté.

j’ai souffert tout sans rien dire. Je n’ai pas fait semblant de voir les choses, pas dit un mot. On a nommé ma patience folle, disant que les personnes comme moi affectaient la patience ; si j’ai dit un mot par crainte des suppositions, dont j’avais dès le commencement tant d’impressions, on a regardé cela comme les derniers emportements. Ainsi le moindre mot est un crime, le silence et la patience un autre crime. Il y a quelques temps que le Père de ces filles3, nommé le Père Ange, vint dire la messe. La petite Marc, peinée de bien des choses sur N. [le curé], demanda à ce Père s’il la voulait confesser ; il a refusé4. Si c’est là ce qu’il veut dire, jugez-en vous-même. Il me fit entendre à moi que c’étaient des crimes que j’ai fait autrefois, et qu’il en serait éclairci. On dit qu’il est parti pour un mois. Ne pourriez-vous savoir où il est allé5 ?

Je m’attends à tout de la malice et de l’artifice des hommes. Je suis à Dieu, Il fera de moi ce qu’il Lui plaira. Mais ne croyez rien de tout ce qu’il pourrait vous dire. Ils supposeront mille choses pour colorer la violence qu’ils sont sur le point de renouveler, mais mon témoin et mon juge est au ciel. Je crois qu’ils me veulent pousser à toute extrémité, et ils veulent faire des choses, en me renfermant, qui paraissent aux yeux des hommes un prétexte spécieux, mais qui peut se dérober aux yeux de Dieu ? Consolez-vous et ne soyez plus dans l’amertume, car Dieu sera toujours glorifié, quand même Il nous laisserait accabler. J’ai de la joie du bref6, mais j’en aurais bien davantage si tout était porté en cette cour. J’abandonne cela à Dieu comme le reste. Ne doutez jamais de mon affection, je vous prie : on peut diviser les corps, mais on ne peut désunir nos cœurs, si nous ne sommes infidèles [205 v°] à Dieu.

Ils auraient dit dernièrement que le jard [inier] avait fait entrer des hommes par chez lui, et comme je témoignais m’offenser de cela, on dit que c’était mon fils, ce qui était très faux, car depuis que je suis ici, je n’ai parlé qu’à N. [le curé]. On prit le prétexte pour me renfermer. Si l’on veut faire ensuite des suppositions ? N. m’a dit lui-même que des gens dignes de foi l’avaient assuré qu’on m’avait vue sur les murailles parler de l’oraison et dogmatiser, moi qui ne puis seulement monter une

1 Théatins, un ordre disparu aujourd’hui ; les cahiers de lettres manquants de la correspondance avec Fénelon appartinrent aux théatins qui disposaient d’un fond de livres quiétistes.

2 Supposition : le mot s’emploie en droit (1636) pour parler de la production d’une pièce fausse donnée pour authentique. Rey.

Je crois comme vous qu’il faut interrompre le commerce pour quelque temps. Je n’enverrai plus que le second jour d’août, [f° 205] et ce sera aux Th [éatins] 1 en cas que j’y sois encore. J’ai toujours bien cru qu’on ne m’avait mise ici, et entre les mains d’une fille gagnée et à eux, que pour me faire des suppositions2. Je n’ai pas fait la moindre chose,

. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 203v°].

Que puis-je vous dire, ma tr [ès] c [hère] ? Les raisons que vous me dites contre le mariage me paraissent très fortes, mais je crois que vous devez vous abandonner à Dieu. Si l’on voulait la chose de force, comme vous me paraissez le craindre, il serait beaucoup mieux de la faire avec agrément. Enfin suivez votre cœur. Pour l’Académie, je crois qu’il serait mieux que monsieur votre fils montât à cheval à Versailles qu’à Paris, et que vous êtes obligé de le veiller ou de le mettre chez NN. Suivez votre cœur en tout cela.

Je ne vois que trop clair. Mes vues sont bien inutiles, car j’ai toujours vu que Rem. voulait demeurer avec le grand ch., [204 r°] que tout son goût était là et que les craintes qu’elle nous marque ne sont pas tout à fait sincères. Qu’elle ne sache pas notre commerce, je vous en prie ! Il faut à présent boucher les yeux à bien des choses : laissez-les faire leur ménage ensemble. M. de V [ersailles ?] ne fait semblant de l’abandonner que par politique, mais, comme je vous dis, aveuglons-nous. Pourquoi parlez-vous en mon nom à ceux qui ne veulent pas écouter ? Laissez-les faire à leur fantaisie. Ce qui n’est pas soutenable dans le livre se doit changer, et la paix de l’Église est préférable à tout, mais je croyais qu’on la trouverait mieux à R [ome]. Il n’y faut pas porter l’affaire, si l’on n’y veut pas aller soi-même : ce serait tout perdre. Mais si l’on veut bien y aller, il n’y a rien qu’on ne doive quitter pour cela. Dieu prendra soin de ce qu’on abandonnera pour Lui. Mais à quoi sert de dire cela si l’on ne veut pas croire ? J’aimerais autant travailler à gagner bar [aquin] que les j [ansénistes] 1. C’est s’allier avec les ennemis de la vérité. Mais laissons tout faire, Dieu est tout-puissant pour la défendre par Lui-même. Avez-vous reçu ma lettre où je vous mandais la conversation de N. [le curé]. Vous ne m’en dites rien. Il y avait un billet pour p. Je vous prie que Rem. ne sache pas que je vous écris, elle est plus fine que nous. Je vous aime de tout mon cœur. J’espère que je paierai pour tout.

Je garde le silence sur le vin empoisonné, il est perdu en pure perte. J’ai pensé mourir d’en avoir bu un jour, j’en suis encore très incommodée. J’ai bu une si grande quantité d’eau que rien plus. J’ai encore la langue, la gorge, le palais et la poitrine tout écorchés. J’ai souffert des douleurs d’entrailles très grandes, mais, à force de boire de l’eau, j’ai éteint le grand feu. Il est incroyable la dureté que cette fille exerce sur moi ; il semble qu’elle ait regret à ce que la chose est découverte et que

1 Plutôt que les jésuites ! Avec certains d’entre eux, tel le P. Alleaume, Madame Guyon entretenait des relations cordiales, tandis que ses références aux jansénistes, qui se nommaient entre eux les « Amis de la Vérité », sont toujours négatives.

je ne suis pas [204 v°] morte. Ne pourriez-vous savoir où est allé N. On me cache son voyage avec grand soin. Je crois qu’on me veut faire bien de la peine par le vin. J’ai pensé que, lorsqu’on verra que je ne suis pas morte, qu’il a été goûté, on dira que je l’ai empoisonné moi-même. Si l’on allait par voie de justice, je prouverais aisément que je n’ai pas pu le faire, n’ayant rien que ce qu’ils me donnent. Ils examinent tout ce qu’on m’envoie, décousant tout, et ainsi cela est impossible. Mais Dieu sur tout. C’était ce qu’il voulait peut-être m’imputer, car jamais chose n’a été si grossière. Quand ils en auraient mis dix fois moins, la longue [ur] aurait toujours fait ce que la violence eût fait en peu de jours, et cela eût moins paru. Je ne sais ce que Dieu veut faire.

Il y avait, dans la gazette d’Hollande et celle de Hambourg, que nos amis allaient être chassés de la cour. Les j [ansénistes] ont coutume de faire savoir au public ce qu’ils veulent par des lettres qu’ils font courir, et leur esprit inquiet ne laisse en repos que ceux qui leur appartiennent. Je ne puis vous mander autre chose, adieu. Quoi qu’il m’arrive, soyons toujours unies ; vous êtes quasi seule qui me soyez restée. Dieu vous aidera. Il m’a pris le matin une affliction d’être dans de si cruelles mains qui m’a pensé suffoquer, mais je n’en étais pas moins abandonnée, ce me semble. Il me vient dans l’esprit de vous dire de ne rien presser sur le mariage ; ne refusez pas, mais reculez sur la jeunesse de quelque temps, car enfin les gens peuvent mourir, et le mauvais esprit vous resterait. J’espère que Dieu vous conduira par la main sur tout cela comme sur le reste. N’y serait-elle portée ? L’apparence serait contraire.

Je trouve que le vin m’a bien attaqué la tête.

. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 202].

peut-être marchand dans la suite. Je crois le devoir garder, car c’est toujours une épine au pied. S’il n’y était plus, il n’y aurait tyrannie qu’il ne fît. La fille craint de le faire goûter et dit n’avoir permission de le laisser goûter à personne. Comment vendre ce qu’on ne veut pas laisser goûter ? La chose est demeurée comme cela. Je lui ai dit que cette perte est une bagatelle, car je fais semblant que je veux le croire bon.

N’y aurait-il pas moyen de savoir ce que le P [ère] L [a] C [ombe] est devenu ? Adieu.

Depuis ma lettre écrite, il est venu une cabaretière de leurs amis pour acheter le vin. Il lui a paru d’abord ce qu’il était, mais elle n’a pas voulu le dire ; elle a néanmoins dit que ceux qui avaient vendu cela étaient des fripons, qu’il était plein de chaux, d’eau de vie, de fiente de pigeons et d’autre chose qu’elle ne disait pas ; qu’elle en donnerait dix écus, non pour le faire boire à ses connaissances, mais pour le donner à de gros ivrognes qui ne font que passer. Je l’eusse donné, mais je ne l’ai pu. Mon cœur m’a frappé que, dès qu’il serait enlevé, N. [le curé] me ferait tous les mauvais traitements possibles, et j’ai dit que je le laisserais pour faire du vinaigre, que j’achetais davantage. La demoiselle a été bien aise, car [203 v°] elle craint que ceux qui le boiront ne s’aperçoivent de ce qu’il est. La cabaretière en voulait faire goûter au commis, mais la demoiselle n’a pas voulu. Je vous prie de consulter quelqu’un comme le tut [eur] [Chevreuse] et de savoir s’il n’est pas de conséquence de le garder. J’ai encore, depuis trois semaines que je n’en bois plus, le palais écorché et plein de vessies qui me pèlent, et la langue. J’en ferai ce que vous me manderez. La chose me paraît de grande conséquence. C’est du vin du pays qu’on a accommodé comme cela, et afin que les commis n’en goûtassent pas, elles ont dit que c’était du vin de leur cave qu’elles menaient dans leur maison de Vaugirard, jurant qu’il n’était ni vendu ni commencé à vendre. Réponse là-dessus, s’il vous plaît. La femme, en s’en allant, a dit à la demoiselle qui me garde qu’une personne ne pouvait boire de ce vin huit jours sans mourir.

Depuis ceci écrit, on a dit qu’on voulait faire prendre le vin pour le changer pour un faible vin qui ne vaut pas grand chose, car ils veulent l’ôter de mes mains. J’ai cru devoir laisser faire sans rien dire tout ce qu’on voudrait, et ainsi on prend le mien sur le pied de trente francs. J’ai fait tout ce qu’on a voulu, abandonnant la suite à la Providence.

7 Impétrer : obtenir de l’autorité compétente, à la suite d’une requête.

6 Mardochée, qui a sauvé la vie de Xersès, par sa pupille Esther, aimée de ce dernier, demande le salut de leur peuple. Esther, 7, 3-4 : « … je vous conjure de m’accorder, s’il vous plaît, ma propre vie et celle de mon peuple […] Car nous avons été livrés, moi et mon peuple, pour être foulés aux pieds, pour être égorgés et exterminés » (Sacy) ; « … nous avons été vendus, moi et mon peuple : À exterminer ! À tuer !.. » (TOB). 

5 L’aumônier des Michelins (père abbé de Charost) ?

s’accommoder fort bien avec l’amour-propre, mais pas avec le pur amour. Sa certitude et son infaillibilité m’effrayent. Je crois que N. [le curé] est fort de son avis, et N. J’ai fait ce qu’ils ont voulu sans faire de bassesse. R [ome], je vous en conjure, R [ome], au nom de Dieu : c’est Son ordre, et par conséquent Sa volonté. Je ne dirai jamais autre chose que R [ome]. Il m’est venu dans l’esprit que le c [uré] de V [ersailles], qui est ami de M. de V. pourrait bien lui avoir inspiré ces choses et cet air prophétique ? Je crois qu’ils craignent Rome.

Je vous prie que tous les frères se renouvellent en pureté de cœur et d’amour de Dieu, qu’ils implorent de toutes leurs forces Sa clémence, afin qu’Il inspire et soutienne M. de C [ambrai]. Dieu veut être quelquefois prié de cette sorte et que l’on s’unisse de cœur et d’esprit pour cela. Que chacun fasse belle dévotion, ou pénitence que Dieu lui inspirera ; la meilleure est le renoncement de tout intérêt propre. Je m’unirai à vous, dites cela comme de vous, et que N.5 le demande à tous ; qu’ils s’appetissent, s’abandonnant à Dieu, ne voulant que Sa sainte volonté. Non point à nous la gloire, mais à notre bon Seigneur. Je vous embrasse. Je vous prie que tous disent trois fois la prière de Mardochée et d’Esther6 pour impétrer7 le secours de Dieu.

Le N. [curé] régala ici il y a deux jours ses amis, il y fut tout le jour sans venir. Sur le soir, comme il se mettait à table, il envoya quérir la fille qui me garde, et lui dit qu’on envoyât du vin pour régaler ses amis parce qu’il était excellent. On y fut dans le moment ; il n’en voulut point disant qu’il n’était plus temps ; comme il a sa maison vis-à-vis celle-ci, on [203 r°] ne fit que traverser la rue. La conclusion fut qu’il fallait que je le busse et que, si je ne le trouvais pas assez fort, que j’y misse moins d’eau, mais qu’il me le fallait faire boire. Elle n’osa lui rien répliquer, mais comme elle a vu ce qu’on m’a dit, elle me dit : « Madame, quoique ce soit d’excellent vin, comme il vous fait mal à vous, vous n’en devez point boire, mais si vous voulez donner la feuillette pour deux pistoles, on la prendra pour mêler avec quantité d’autre vin. » Je lui dis que pour tirer vingt francs de cinquante écus, ce n’était pas la peine, et que puisqu’il était si excellent, qu’il n’y avait qu’à le garder, qu’on trouverait

1 Le curé ?

2 V. plus bas, dans cette même lettre : « … le c [uré] de V [ersailles ?], qui est ami de M. de V [ersailles ?]… ».

3 A la racine de l’obéissance de Madame Guyon : une soumission à l’ordre surnaturel qui a établi par Pierre Son Église et non à des hommes.

4 Madame Guyon se sépare nettement des « Enthousiastes », comme on appelait à l’époque des spirituels guidés uniquement par leur intuition, sans considération (critique) d’aucune Église, souvent trompés par leur interprétation (par exemple prophétique) hasardeuse

N.1 ne veut pas prendre le vin, mais quelques bouteilles pour dire qu’il est bon. Je n’ai garde d’en boire, je n’en ai bu qu’à trois repas, j’en ai pensé mourir.

Je suis étonnée de ce que dit M. de V.2, et je vous avoue que cela m’effraye. Je serais bien fâchée qu’on préférât mes lumières à d’autres, mais je crois que Dieu ayant acheminé les choses pour R [ome], c’est suivre Son ordre que d’y aller. Que si l’on veut assurément finir toute dispute, non en disant qu’on s’est trompé, ce qui est faux, mais qu’on ne s’est pas bien expliqué, je crois qu’il le faudrait. Mais je crois qu’on ne fait toutes ces démarches, et vous le verrez, que pour empêcher d’aller à R [ome] et pour faire que le p [ape], indigné de ce qu’on n’aura pas exécuté ce qu’on a demandé, condamne le livre. Ces gens-là n’ont nulle bonne intention et, lorsqu’on va droit, on ne se sert pas de tant d’artifices et de fourberies.

R [ome], R [ome] : c’est l’ordre hiérarchique que Dieu a établi dans l’Église. Si on y est condamné, c’est à un fils sincère de se soumettre à son père, et c’est l’ordre de Dieu3. Quel fond à faire sur des gens qui usent de toute violence, qui ne tiennent aucune parole ? M. de V. s’est laissé prévenir par des discours spécieux, et il prend son imagination échauffée pour la volonté de Dieu. Quel inconvénient d’aller à R [ome] ? Car, quand le pape condamnerait, ce que j’ai peine à croire, voyant la soumission, il ne demanderait pas autre chose que l’aveu qu’on s’est trompé. Rome, R [ome], au nom de Dieu ! C’est la petitesse d’ordre de Dieu que de se soumettre au pape, et c’est une bassesse de faire autre chose. Mon Dieu, ma tr [ès] ch[ère], que j’ai de peine et que je crains qu’on ne prenne pas ce parti, si fort dans l’ordre de Dieu et qui est une volonté déclarée ! Ne nous amusons plus. Le livre et les éclaircissements dev [r] aient être [202 v°] partis. Il me paraît que c’est une chose horrible de dire qu’il ne s’en faut pas rapporter au pape. Les raisons que vous dites sont si bonnes et si vraies ! Faire autrement, c’est suivre l’enthousiasme4. M. de V. n’a pas, je crois, grâce pour nous tous : il peut

. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

6 Récipient.

7 Médecine que l’on regardait comme un spécifique contre toute espèce de venin […] La thériaque est stomachique et calmante. Littré.

4M. le Lieutenant (de police) ?

5 Fait échec à un groupe malveillant (Ps. 32, 10).

aLecture incertaine : bessières ? (ce mot existe-t-il ? inconnu de Littré).

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 200v°].

avait pris la précaution d’en faire goûter d’autre très bon à M. le L.4, afin que, si l’on disait quelque chose, on puisse dire qu’il en avait goûté. C’est du vin blanc où l’on a mêlé du gros rouge tiré à clair. Dieu, par Sa bonté, a dissipé le conseil5. Cet homme dit qu’on n’en peut boire sans avoir les entrailles brûlées, qu’il est plein de chaux et d’autres choses qu’il ne dit pas. Il s’est trouvé mal sitôt qu’il en a eu goûté, et a dit que c’était un voleur qui vendait de pareil vin. Il a fort pressé pour savoir d’où il venait, mais je n’ai jamais voulu lui dire. Que dites-vous de cela ? Que Dieu fasse de moi ce qu’il Lui plaira, mais je ne l’éviterai pas tôt ou tard. Que Sa volonté s’accomplisse ! Ils croient que c’est un grand service à Dieu de se défaire de moi.

Depuis ceci écrit, l’homme qui avait voulu acheter le vin s’étant trouvé fort mal d’en avoir goûté, a envoyé un homme qui goûte tous les vins du pays pour le goûter encore. Dès qu’il l’a mis sur sa main et qu’il l’a odoré, il n’en a point voulu goûter et a dit que c’était du vin empoisonné. On l’a prié d’accommoder le fût qui ne vaut rien. Il a dit que, quand on lui donnerait autant d’argent qu’il en pourrait tenir dans la cave, il n’en boirait pas et n’y toucherait pas ; qu’il y aurait de quoi le faire pendre d’accommoder de tel vin, et qu’il était impossible d’en boire sans mourir, qu’il fallait déclarer qui l’avait vendu pour faire pendre les gens. La fille qui me garde est demeurée bien étourdie, car comme le vin a été mis à clair dans le vaisseau6, on a vu que c’est un dessein formé. Je brûle toute, j’ai les entrailles en feu, la gorge écorchée, je ne cesse de boire de l’eau sans désaltérer. Envoyez-moi de la thériaque7 par la jardinière.

2 Boite : vin en boite, vin bon à boire : « Ce vin est trop vert, il ne sera dans sa boite que dans trois mois » Furetière.

3 Râpé : substantivé en parlant d’un vin fabriqué en faisant passer un vin faible dans un tonneau dont on a rempli un tiers de raisin nouveau. Par extension, vin éclairci avec des copeaux ; également restes mélangés servis dans les cabarets. Rey. — Il est étrange que Mme Guyon accepte de se débarrasser ainsi d’un poison !

1Un demi-muid ou feuillette équivalait à un peu plus de 100 litres. Le vin était généralement bu mélangé à l’eau qu’il devait certainement purifier par son alcool.

Je vais vous dire une chose qui vous surprendra sans doute. Vous saurez que, ayant besoin de vin, j’en avais fait chercher ici, que j’en avais trouvé d’excellent à cent francs le demi-muid1. Je le crus un peu cher. Je mandais à N. [le curé] que je le priais de me mander si je n’en pourrais pas trouver à meilleur marché, parce que [f° 201] j’avais peine d’y mettre tant d’argent. Sans me faire de réponse, il m’en envoya une feuillette à cent écus le muid, c’est-à-dire cinquante écus la feuillette ; cela me parut extraordinaire, mais je le laissais passer. Sitôt qu’il fut ici, le fût n’en valait rien ; il s’en perdit un tiers, quelque diligence qu’on y apportât, mais ce n’est rien ; lorsque j’ai voulu en boire, j’ai trouvé qu’il me brûle [sic] la bouche, la gorge et les entrailles avec des douleurs que je croyais mourir. Sitôt qu’on y met un peu d’eau, il n’a plus le goût de vin et n’en brûle pas moins. J’ai prié qu’on envoyât quérir un homme qui passe pour le plus honnête homme du village, pour voir si c’était qu’il fallût y faire quelque chose, ou s’il n’était pas en boite2. Sitôt qu’il en eut goûté, il fut effrayé, disant que ce ne pouvait être qu’un fripon qui eût envoyé ce vin, que pour lui il n’en voudrait pas boire un demi-septier et qu’il ne le goûtait pas sans terreur, qu’il y avait des choses dedans qu’il savait bien, et qu’il brûlerait les entrailles à qui le boirait ; et tout cela devant la fille qui me garde, qui était au désespoir de l’avoir fait venir. Il reste dans la bouche, après l’avoir bu, le même effet que les biscuits de Vincennes où l’eau forte paraissait dessus, et les taches et l’odeur. Je ne les fis que mâcher et cracher, et j’en fus incommodée ; Manon, qui en mangea gros comme une noisette, le fut bien davantage.

Ce que je puis juger de cela, c’est que, me voyant fort mauvaise, ils croient faire service à Dieu de me faire mourir. Il y a un cabaretier qui le prendra à deux tiers de perte pour mettre sur un râpé3 et qui m’en donne en échange du naturel. Voyez quelle aventure, dont, par providence, il y a des témoins dignes de foi. Je n’en témoignerai jamais rien. J’ai prié la demoiselle de ne point dire à N. qu’on l’eût changé. Le cabaretier ne le mettra [201 v°] que peu à peu sur son râpé, le mêlant avec des… a On

. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

12 L’archevêque de Paris, Noailles, depuis août 1695.

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 199].

chose que je lui demandais, et que l’ayant prié de demander au r [oi] de ma part qu’on examinât ma vie, il le lui demanda, que le r [oi] lui dit que ma demande était juste. Ensuite M. de la Reynie prit un détail de tous les lieux où j’avais été, de toutes les personnes qui m’avaient accompagnée, de celles chez qui j’avais logé et avec qui j’avais eu commerce ; et après trois mois de perquisitions, il me dit que je n’avais qu’à demeurer dans ma tranquillité et qu’on n’avait rien trouvé contre moi, que tout me serait rendu. Ce sont ses termes. Il m’a dit qu’on avait pris le dessein de me remettre à Vincennes. Je lui ai dit que je demandais d’être mise à la Conciergerie afin que le Parlement connût de mon affaire, qu’il me fît punir si j’étais coupable, et qu’on punisse aussi les calomniateurs. Il m’a dit :  “Mais vous êtes toujours entre les mains de la justice, car c’est M. Desgrez qui vous a amenée ici et vous êtes en sa charge ; et comme les crimes que vous avez faits ne peuvent vous [f° 200v°] faire juger à mort, il est plus sûr de vous renfermer.” Je lui ai répondu que je consentirais à être renfermée si on ne formait pas de nouvelles calomnies pour en servir de prétexte, mais que je devais à Dieu, à la vérité, à la piété, à ma famille et à moi-même de demander cela : qu’on fît examiner la vérité au Parlement. Il m’a dit qu’il le dirait à M. l’arch [evêque] 12, que sans le livre de M. de C [ambrai], je serais hors d’affaire. Je lui ai dit que le livre de M. de C [ambrai] ne me rendait ni plus coupable ni plus innocente, que si les faux témoins me faisaient mourir, je m’estimerais heureuse, mais que mon affaire n’avait nul rapport à ce livre. Il m’a exhortée ensuite à lui avouer mes crimes, disant que Dieu m’avait fait bien des grâces de m’avoir tirée de l’occasion de les continuer, que je n’avais point de confiance en lui. Je lui ai dit que je n’avais aucun crime à avouer, que j’avais eu plus de confiance en lui qu’on en a ordinairement pour une personne venant de la main de ceux qui sont prévenus contre nous, etc. Il s’en est allé, disant qu’il trouvait juste qu’on me remît entre les mains de la justice, que tout était bien prouvé et que M. l’arc [hevêque] n’en doutait pas.

Comment accorder cela avec ce que vous me mandez, sinon qu’on veut persuader aux amis les crimes imaginaires, et les leur insinuer en leur donnant des marques d’amitié ? Dieu sur tout. Je lui ai dit que lorsque ma fille serait revenue, que [3] je ferais présenter une requête pour être mise entre les mains du Parlement.

9 L’abbé Couturier subira à Vincennes quatre interrogatoires par La Reynie avant d’être remis en liberté. Mme Guyon demeura « dans une maison de la rue Saint Germain l’Auxerrois, que ledit sieur Abbé Couturier prit soin de louer pour elle et à sa prière. » (Interrogatoire de Mme Guyon en 1696).

10 Inconnu.

11 p. pour put (Dupuy) ou pour La Pialière ? Moins visible que les puissants au-dessus d’eux, ces futurs copistes des lettres pourraient avoir eu l’un et/ou l’autre un rôle important auprès de Madame Guyon à cette période. La Pialière sera en contact avec elle tout à la fin, assurant un de ses déménagements, avant qu’elle ne soit découverte et prise par Desgrez.

11 h. de Paris, l’archevêque.

Je vous assure que mon cœur est très content de vous et que vous pensez mal sur cela. Je vous aime très tendrement. Il me vient une pensée que M. l’abbé Cout [urier] 9, sans faire semblant de rien, pourrait bien savoir ce que c’est que cet ecclésia [stique] qui demeure à Vaug [irard] ; il s’appelle M. des ch.10 Je crains bien la conférence de M. de M [eaux], et je suis sûre qu’on ne trouvera qu’à Rome la fin et le remède à tous les maux. La manière outrageante dont M. de M [eaux] traite M. de C [ambrai] dans son livre, mérite qu’il soit ferme et ne lui donne point de prise. Cet homme fait le renard ; enfin sa douceur est mille fois plus à craindre que sa colère. Je parle par expérience : un homme sans parole, qui trompe, etc. Croyez-moi, qu’on ne se fie pas à lui. Voilà un billet pour p.11 Vous avez oublié la toile et un peu de rhubarbe que je vous avais demandés. Il me vient dans l’esprit que le changement vient peut-être de la condamnation que N. [Bossuet] a fait de mes livres et de ma personne, car c’est tout ce qu’ils voulaient. Qu’en pensez-vous ? Je n’ai pas de peine.

Depuis ceci écrit, N. [le curé] m’est venu voir. Il m’avait fait accepter du vin, je lui avais mandé que s’en trouvait d’excellent ici à [f° 200] cent francs, il a voulu m’en envoyer à cinquante écus du septier, qui n’est pas si bon à beaucoup près. Mais ce n’est pas de quoi il s’agit ; il m’a dit que M. de P.12 avait contre moi des preuves incontestables de crimes, et qu’ainsi il ne croyait nulle apparence qu’on me donnât jamais ma liberté. Je lui ai répondu que je ne demandais pas ma liberté et que je ne l’avais jamais demandée, mais que je trouvais fort étrange qu’après avoir été dix mois dans les mains de M. de la Reynie, qui est si éclairé et qui d’ailleurs n’était pas prévenu en ma faveur après tant d’informations, on me parlât encore de ces prétendus crimes ; que j’avais toujours demandé qu’on examinât ma vie, que non contente de l’avoir demandé par écrit à Mme de M [aintenon] et de l’avoir fait demander par d’autres, sitôt que je vis M. de la Reynie à Vincennes, que c’était la première

7 La petite princesse est l’épouse du duc de Bourgogne dont le mariage allait être célébré le 9 décembre 1697.

8 “… en même temps qu’il établissait des listes d’Autorités pour étayer sa doctrine, Fénelon ajoutait à son livre [l’Explication des maximes des saints] de nouvelles corrections. Les dossiers, conservés aujourd’hui en partie, […] serviront d’arsenal au cours de la querelle. En revanche, de nouvelles corrections furent introduites dans l’édition interfoliée…” (Fénelon, Œuvres I, 1983, « Notice », p. 1541-1542).

5 Mariage dont il a été question dans une lettre précédente.

6 L’un des époux semble donc ne pas appartenir au cercle quiétiste.

2 Madame Guyon se met à la place de Fénelon qu’elle conseille implicitement.

3 N’entrer dans aucune discussion. Fénelon suivait déjà cette ligne de conduite et refusait toute conférence orale avec les prélats français. (v. CF, chronologie, 30 juin 1697.)

4 Qui pourtant se révèlera bientôt beaucoup plus humain que N., le curé.

1 Un coup qui décidera de la partie.

Je ne sais que penser du changement que vous me marquez, sinon qu’on veut engager N. [Fénelon] de ne point aller à R [ome] pour le perdre plus aisément. C’est un coup de partie1 de demeurer dans la défiance et de persister dans le dessein d’aller à R [ome]. Je ne voudrais pas2 avoir une conférence avec M. de M [eaux] : je ne refuserais pas de lui rendre une visite ou de le voir, mais je voudrais avoir de bons témoins et n’entrer en rien3. Je disais toujours que je le craignais beaucoup moins lorsqu’il était en colère que lorsqu’il affectait de la douceur. Je ne me fie point du tout à l’ecclés [iastique] 4, mais comme il confesse les bonnes gens et qu’il est de leur confidence, cela m’oblige à le ménager. Croyez-moi, défiance de tous côtés.

Pour ce qui est du mariage de N.5, plût à Dieu que vous acceptassiez par là la paix de nos amis, et ce qui est de plus, quelque trêve pour l’intérieur6. Suivez leur conseil, et n’allez pas tout perdre par trop de fermeté ; je crois cela nécessaire à présent ; ce qui est bon dans un temps ne l’est pas dans l’autre. Si l’on vous fait d. d. p. [dame du palais] j’espère que Dieu vous y conservera et que vous pourrez servir un jour à la pp. [petite princesse]. Dieu sait pourquoi Il fait les choses. Pour moi, j’ai plus de crainte lorsque les choses flattent que lorsqu’elles paraissent désespérées. Enfin, défions-nous de tout et [199 v°] ne cédons jamais qu’à la vérité. Je n’attendrais point l’autorité pour le mariage de N. Je le ferais de bonne grâce avec les conditions bonnes. J’espère que Dieu Se contentera du sacrifice que je lui fais et que je paierais pour tous. Que je sache tout ce qui se passera sur cela, je vous en prie, et ne me cachez rien, pourvu que l’intérêt de Dieu et de l’intérieur soient conservés.

J’enverrais toujours par avance les éclaircissements à R [ome] ; c’est peut-être ce qu’ils appréhendent ; puisqu’on envoie bien le livre, on peut envoyer les éclaircissements8 sans préjudice de ce qu’on fera ici, et je crois la chose tout à fait de conséquence. Je conjure donc de les envoyer : il n’y peut avoir d’inconvénient, et c’est la voie droite de l’équité. Je ne crois point du tout l’ecclés [iastique], mais je lui écris en réponse de loin en loin.

. A LA PETITE DUCHESSE. Juillet 1697.

8 Pierre, fondateur de la vraie Église, intérieure. Toute la lettre oppose « le peu de vérité » de l’Église institutionnelle à l’Intérieur prouvé (à soi-même) par l’expérience d’une union intime.

6 Romains, 11, 33 : « Ô altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei…

7 Romains, 8, 27.


A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 198].

5 Paul, cf. Romains, 9, 3 : Car je désirais d’être moi-même anathème (& séparé) de Jésus-Christ pour mes frères, avec qui je suis uni par le sang. (Amelote).

voie, qu’il y a un vrai abandon et une sainte indifférence, cela me suffit. Que je sois anathème pour mes frères5 après cela, qu’on juge de moi ce qu’on voudra, cela ne fait rien à l’affaire.

Dieu ne juge pas comme les hommes. Il sait bien connaître ce qui est sûr quand tous les hommes le méconnaîtraient, et c’est bien véritablement de la conduite intérieure qu’on peut dire : «  Ô profondeur des richesses, de la science et de la sagesse de Dieu, que vos voies sont impénétrables ! Qui a été le conseiller de Dieu6 ? » Cependant on dit ordinairement : « Cela est bon, ceci ne vaut rien », quoique ce soit précisément la même chose. On est obligé, pour prouver ce qui ne vaut rien, d’user de « c’est-à-dire », établissant tout sur des principes faux, et voulant assurer qu’on pense ce qu’on n’a jamais pensé. Quand il faut imputer à des personnes des pensées pour les condamner, cette condamnation est bien mince, car qui peut mieux savoir sa pensée que Celui qui la forme ? Et qui s’est jamais avisé de pénétrer des pensées qu’on n’a jamais déclarées, et qu’au contraire on a toujours soutenu être [199 r°] toutes différentes ! On est consolé de ce que Celui qui sonde les cœurs et les reins7 et qui connaît le fond des cœurs, n’ignore pas non plus quelles sont nos pensées, et qu’Il ne saurait s’y méprendre. J’ai une grande union aujourd’hui avec saint Pierre 8, et bien intime : je ne crois pas qu’il me rejette ni condamne comme font les autres.

Je vous embrasse de tout mon cœur. On m’a envoyé du vin : ainsi je pense qu’on s’est déterminé à me laisser ici, après avoir fait courir le bruit que je n’y suis plus.

4 « Que l’Intérieur n’est pas une chimère ! » Affirmation en fait très forte, car beaucoup n’osent aller au terme de leur doute, en posant l’alternative, l’inexistence de l’Intérieur, dont témoigne leur vie qui cherche appui ailleurs. Nous écrivons cet Intérieur avec une majuscule, pour marquer la différence entre une Vie qui sourd de l’intérieur de nous-mêmes et ce dernier, fait de conscient et d’« inconscient ». La contradiction entre le doute profond et l’affirmation inverse est souvent résolue au prix d’une crispation sur des institutions, des dogmes, etc., créations humaines.

3 L’approche correcte, car directe, par le canal intérieur, par le « cœur ».

1Ce qui confirme qu’il s’agit de l’Instruction sur les états d’oraison, achevé d’imprimer le 30 mars 1697. Il est moins aisé de démentir des insinuations « historiques » que de réfuter une théorie de l’oraison en s’appuyant sur l’autorité de certains pères de l’Église ou des mystiques reconnus, comme cela avait été fait dans les Justifications de 1695.

2 Le duc de Chevreuse fit en effet une enquête assez complète sur Madame Guyon, parallèlement à celle de M. Tronson, en 1695. V. le récit de l’enquête à propos de Cateau Barbe. Il s’enquit auprès de Richebracque, sous la pression de Bossuet, v. Orcibal, Etudes…, « Le cardinal Le Camus », p. 812, et à la fin de notre volume : Notices, « Cateau Barbe ».

Je suis dans un étonnement de voir le peu de vérité qu’il y a dans le livre de M. de M [eaux], que je ne puis vous l’exprimer. Rien n’est plus aisé à réfuter que ce livre1. Je rêve assez souvent au tut [eur] [Chevreuse], et cette nuit, comme je le voyais assez extraordinaire, je lui ai demandé ce qu’il avait ; il m’a avoué qu’il avait de grands doutes sur moi2 ; je lui ai fait le signe de la croix sur le cœur, et je lui ai dit : « Je [198 v°] prie Dieu de faire sentir la vérité à votre cœur 3. »

Je suis bien plus indignée de ce que M. de M [eaux] écrit contre M. de C [ambrai] que de tout ce qu’il met contre moi, car quelque soin qu’il prenne de détruire l’intérieur et de donner un sens forcé et détourné aux passages des saints, il leur reste encore assez de force pour établir, auprès des personnes de bonne foi et sans prétention, ce qu’il veut détruire. Je me mets peu en peine de ce qu’on peut penser de moi, pourvu que la vérité soit connue. Quand je serais aussi trompée et aussi méchante qu’on le veut faire croire, il est certain et établi, par ceux-mêmes qui le veulent détruire, que l’Intérieur n’est pas une chimère4, qu’il est réel dans les saints ; que tels et tels l’ayant outré ou en ayant abusé, cela ne fait rien au fait véritable de l’Intérieur en lui-même, et pourvu qu’on reconnaisse que Dieu conduit certaines âmes par cette

. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

8 Indéterminé. Dupuy ?

– A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 197v°].

6 S’agirait-il d’une première rédaction de la Relation sur le quiétisme de Bossuet, achevé d’imprimer à Paris, chez Jean Anisson, le 31 mai 1698, soit près d’un an plus tard ? Un « écrit historique », s’attaquant aux personnes, fut rédigé « dans les derniers jours de 1697 » (Fénelon, Œuvres I, 1983, « Notice » à sa Réponse…, p. 1607). On pense plutôt à l’Instruction sur les états d’oraison, achevé d’imprimer le 30 mars 1697.

7 Madame de la Maisonfort, qui fut chassée de Saint-Cyr, pour quiétisme, le 10 mai 1697.

4 Il en est de même.

5 Aperçu sur la voie de foi nue qui n’est pas une « école de morale, de sainteté ou de vertu. »

Vous ne sauriez croire la joie que vous me donnez de me mander qu’on tiendra ferme et que la chose ira à R [ome]. Je donnerais jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour qu’on demeure ferme dans cette résolution. S’il reste encore quelque union pour moi, je n’en veux que cette seule marque, j’en conjure par tout ce qu’il y a de plus saint et de plus sacré, et je ne doute pas que sitôt qu’on aura pris ce parti, on ne retrouve la paix et l’étendue de cœur. Si je savais quelques termes assez fort pour persuader de cette conduite, je l’emploierais : ce sera la seule sûre et agréable à Dieu. Quoi qu’il en puisse arriver, il sera toujours glorieux à un fils de l’Église de se soumettre à son véritable père et à son juge légitime. Que ne puis-je écrire cela avec mon sang !

Je suis effrayée de la proposition que vous me faites d’envoyer aux Cord [eliers]. Les sœurs d’ici ont leur maison auprès, dans la rue de Grenelle, elles y vont toujours à la messe ; elles connaissent toutes la jardi [nière]. Ce serait tout perdre ; choisissez tantôt un lieu tantôt un autre, mais jamais celui-là. J’ai conçu que le directeur était le c [uré] de V [ersailles] 1, il ne faut pas s’y fier assurément.

Pour Rem.2, songez qu’elle est très fine : faites-lui toujours bien de l’amitié. Et voyez le ch.3 de temps en temps, cela est nécessaire. Ne

1 Le curé de Versailles Hébert ; l’alliance d’une activité de directeur des religieuses à celle de confesseur de Madame Guyon que l’on tente ainsi de maîtriser n’est guère étonnante : la congrégation n’a t-elle pas été constituée « pour » Madame Guyon ?

2 « Rem » est un diminutif fréquent, attribué à une dame du cercle de Madame Guyon, que nous n’avons pu identifier : nous arrêtons dorénavant de signaler son mystère.

3 Il en est de même pour le « ch. » (le cheval ?) ; nous avons suggéré antérieurement Mme de Charost.

fermons jamais la porte au retour, au contraire, ouvrons-en toutes les voies, mais tenons-nous sur nos gardes pour ne pas tomber dans le piège. Je donnerais mon sang pour le retour du ch., mais la bonne opinion d’elle-même qu’on a nourrie malheureusement en mon absence, m’y paraît un terrible obstacle. N’usez plus de toutes ces déférences, recevez-la avec charité, mais engagez-la à avouer son tort avec petitesse. Il faudrait que Rem. lui parlât avec vous, et vous verriez de quelle manière elle s’y prendrait. L’amour-propre de M. de V [ersailles] [Hébert] est effroyable ; sa jalousie en est l’effet, [198 r°], mais il n’importe. Rem. ne pouvant que lui obéir, il faut qu’elle outre tout pour ne le pas mécontenter. Cependant elle devrait lui parler quelquefois avec courage sur un amour-propre si grossier. Pour N.4, que vous dirais-je de ses manières d’agir avec vous ? Je les veux regarder comme des marques d’amitié, car il a toujours été pour moi comme vous le remarquez à présent pour vous ; cela fait bien souffrir, mais il faut aimer nos amis avec leurs défauts. Je comprends bien ce que vous me dites de ça. C’est à Dieu lui-même à lui ôter ses idées de sainteté et de vertu : les hommes n’y peuvent rien. Plus il en sera prévenu, plus il lui en coûtera d’épreuves et d’humiliations pour les perdre5.

C’est ma fête aujourd’hui, aimez-moi toujours autant que je vous aime. L’ecclésia [stique] m’a fait voir aujourd’hui le livre de M. de M [eaux] 6 ; sa préface est fort belle, et son livre affreux et d’une malignitée outrée, plein de faits faux, de faux exposés et de fausses conséquences. Adieu. Je n’ai pas si mal aux yeux aujourd’hui. Si vous m’envoyez la toile, envoyez-moi du café, à présent qu’il est à bon marché : je suis bien aise d’en avoir au cas qu’on me transfère. On dit que ma cousine7 est à Sainte-Marie de M [eaux] ; cela m’afflige, car elle sera bien tourmentée. Rien n’est plus aisé que de réfuter le livre, si je l’avais à moi : il est faux dans ses principes, plus faux dans ses exposés et très faux dans ses conséquences. Je voudrais écrire trois lignes à p.8 pour une chose de conséquence, cela se peut-il ?

. A LA PETITE DUCHESSE. Juin 1697.

4 Passer aux actes.

A.S.-S., ms. 2055 (Dupuy), [f° 196v°].

[eur], faites vos efforts pour le lui faire prendre, je vous en conjure. Il m’a encore dit que le dernier livre n’aurait guère l’Esprit de Dieu, que c’était bien le trouble et le respect humain qui en seraient l’auteur. Il a fait ce qu’il a pu à confesse pour porter la petite Marc à me quitter. Certaines choses que j’ai ouïes me font croire qu’ils m’en veulent donner de leur main4. Je ne m’étonne pas de ce que Jésus-Christ a choisi de pauvres pécheurs pour prêcher et soutenir sa doctrine, car s’Il avait pris de grands seigneurs et des gens riches, la peur de perdre leur fortune leur aurait inspiré des ménagements qui les eussent rendus indignes et incapables de soutenir une doctrine si combattue. Si l’on me veut mettre à Poissy, diocèse de Chartres, ainsi que j’ai lieu de le croire, je demanderai qu’on me remette entre les mains de M. de Sens, mon pasteur légitime, qui fera de moi ce qui lui plaira, ayant droit de le faire, mais je ne répondrai jamais à M. de Chartres. Si vous pouviez [197 v°] m’envoyer des lunettes, j’essaierai de m’en servir, car je perds la vue.





Madame Guyon forme une « nouvelle génération »



de disciples français, Il s’agit

européens et écossais autres que François de Fénelon et que la « petite duchesse de Mortemart »75.

Le choix d’admirables lettres non datées et sans destinataires désignésu fera l’objet d tome II

.

On y associera :

Dominique & Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV une Ecole du Cœur/Du Tiers ordre franciscain à l’Ermitage de Caen, Monsieur Bertot, Madame Guyon et leurs disciples, « IV. Les Filiations de la Quiétude », « Le marquis » 471 — 485, « Filiation Ecossaise » 488-510, Hollandaise’ 517-531.76

D. Henderson, Mystics of the North-east, coll. « Chemins mystiques », 2016, Lulu.com, 390 p. [réédition de l’ouvrage « introuvable » publié en 1934 à Aberdeen. Outre le grand intérêt offert par l’Introduction d’Henderson, l’ouvrage comporte des lettres de disciples adressés à Mme Guyon et échangés entre eux]77. : le célèbre mémorialiste aux propos acérés souvent justesainsi queproches et aiméstrès disciples uxde ra y associeOn



la Correspondance de 1682 à fin juillet 1694 avec le Père Lacombe, le Duc de Chevreuse, quelques autres78.etome livra seconde moitié du



L§§

François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », Lulu.com, 1-648.79

Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, Lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 270 p. [Esquisse biographique, Lettres des deux directeurs : madame Guyon et Fénelon ; Lettres au marquis de Fénelon]80

Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, dossier assemblé par D. Tronc, Lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 363 p. [Extraits des tome 1 à 13 des Mémoires concernant Mme Guyon, Fénelon, Chevreuse & Beauvilliers, le Dauphin & la Dauphine, Mme de Maintenon.]81






La direction du marquis neveu de Fénelon.


Un jeune mousquetaire.

Madame Guyon eut bien du mal avec ce mousquetaire arrivé à elle à l’âge de vingt-trois ans après avoir été blessé. Il avait des difficultés à s’unifier dans la vie intérieure. Elle le confia au début à un ami, lord Forbes ou Ramsay82, puis développa une tendresse particulière pour son « cher boiteux ». En outre, cette correspondance décrit les précautions que devait prendre le petit groupe quiétiste surveillé de près, et nous renseigne sur la publication de manuscrits de Fénelon après sa mort.

Gabriel-Jacques de Salignac de La Mothe, marquis de Fénelon, neveu de l’archevêque, mena une vie de militaire :

Né le 25 juillet 1688, petit-fils du frère aîné de Fénelon, il était le second d’une famille de quatorze enfants. Mousquetaire en 1704, colonel du régiment de Bigorre en 1709, il reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi à Hordain. Mal soigné, il subit une opération au début de février 1713, qui fut suivie de trois mois de maladie dont nous trouvons l’écho dans la correspondance. Il se rendit aux eaux de Barèges en 1714 avec « Panta », l’abbé Pantaleon de Beaumont. Ils s’attardèrent à Paris et peut-être à Blois83. Commença alors une correspondance suivie avec Madame Guyon. Il fut inspecteur général de l’infanterie en 1718, brigadier en 1719. Son mariage avec la fille de Louis Le Pelletier avait fait de lui un parent du comte de Morville, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères : celui-ci le désigna en 1724 pour l’ambassade de Hollande. Il y resta jusqu’en 1728, où il fut nommé plénipotentiaire au Congrès de Soissons, puis retourna en Hollande de 1730 à 1744. Chevalier des Ordres du Roi en 1739, il servit comme lieutenant général dans l’armée du maréchal de Noailles, puis dans celle de Maurice de Saxe. Il était en passe d’obtenir le bâton de maréchal quand il fut blessé très grièvement à la bataille de Raucoux, près de Liège, et mourut quelques jours après, le 11 octobre 174684.

Légataire universel de son grand-oncle et dépositaire de tous ses écrits originaux, qui lui avaient été remis par l’abbé de Beaumont, il les publia85, en y ajoutant un Avertissement pour servir d’introduction à la lecture des Œuvres spirituelles recueillies dans cette nouvelle édition86. Cet exposé fut peut-être rédigé avec l’aide de Dupuy.

Nous disposons d’une série de 70 lettres, dont 69 qui lui sont adressées par Madame Guyon. La seule lettre attribuable au marquis, datée du 31 mars 1614, ne permet guère de mieux le connaître, mais — outre les traits observés par Madame Guyon — on se reportera à la préface du marquis rédigée avec soin pour son édition de 1738 des Œuvres spirituelles de Fénelon87. Nous avons ajouté deux lettres adressées au marquis, l’une des duchesses de Mortemart et de Guiche (depuis maréchale de Grammont), l’autre, tardive, de Dupuy, informant le marquis à l’occasion de la rédaction de sa préface que nous rééditons dans le volume II Combats.

L’édition par Dutoit atteste en son Indice (p. 628 du t. V) trois lettres au t. III, puis une série de trente-huit lettres au t. IV. Nous avons pu recourir à de nombreux originaux (autographes de l’écriture difficile qui caractérise la fin de la vie de Madame Guyon ; copies sous dictée le plus souvent de la main de son secrétaire Ramsay) et à défaut, au « cahier des lettres » de la main du marquis. Dutoit s’est avéré utile pour certains mots indéchiffrables ; malheureusement toutes les difficultés n’ont pu être surmontées, de déchiffrage comme d’identification de personnes.

L’accord entre ces trois sources s’avère excellent. On relève dans toutes les variantes la fidélité du pasteur Poiret. Son édition fut reprise scrupuleusement par Dutoit, à l’exception d’omissions de noms et de détails personnels : notons toutefois une tendance à occulter le « petit Maître », expression remplacée par « Seigneur » ou « Dieu », ainsi que les témoignages de tendresse, fréquemment omis.

L’ordre obtenu suivant les indications de dates, souvent portées sur les sources (mais fréquemment il manque l’année !), s’avère respecter de près celui donné par la série des trente-huit lettres citées88 : la « Table des lettres de ce IV. volume » par Poiret, reproduite par Dutoit, déclarait d’ailleurs qu’elles « sont écrites à une même personne, et dans le même ordre ».

Lettres

Au marquis de Fénelon. Septembre 1711 ?

Fraternité spirituelle ; la ferveur n’est pas la perfection de la dévotion.

J’ai reçu1 votre lettre, monsieur, avec beaucoup de joie, y remarquant le désir sincère que vous avez d’être à Dieu, et les miséricordes qu’Il vous a faites. Je suis ravie que vous puissiez voir quelquefois M. N. 2 Il désire depuis longtemps d’être tout à Dieu, et Dieu lui a fait bien des grâces. On se sert les uns les autres dans la volonté de Dieu, et l’union des cœurs et des esprits en Lui Lui sont très agréables. Celui qui a dit : Lorsque vous serez assemblés deux ou trois en mon nom, Je serai au milieu de vous3, aime cette fraternité spirituelle, puisqu’Il ne sépare point l’amour du prochain du grand commandement de l’aimer purement au-dessus de tout : Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres 4.

C’est cette charité mutuelle qui, après le pur amour, débarrasse le cœur de toute amitié profane dangereuse, et même de celles qui sont trop naturelles et trop humaines. Car la véritable amitié, qui est selon Dieu, doit naître de la conformité de nos pensées et de nos sentiments pour Dieu. Ces sortes d’unions, loin d’être imparfaites, unissent davantage le cœur à Dieu. Mais il faut une correspondance simple, sans trop retourner sur nous-mêmes, et lorsque la Providence nous a fourni un moyen de voir ou de connaître ceux qui veulent être à Dieu, il faut agir avec simplicité : Dieu, qui voit le fond du cœur, connaît bien le motif qui fait agir en cela. Ce sont quelquefois des moyens que Dieu nous choisit pour nous avancer dans Sa voie, et le rejet de ces moyens sous bon prétexte nous nuit souvent beaucoup. J’espère que vous vous trouverez bien d’entrer en société spirituelle avec M. N. Vous vous aiderez mutuellement dans le chemin de la foi et de l’amour. Je veux bien y entrer en tiers en esprit.

Pour ce qui vous regarde, monsieur, ne doutez point que vous ne soyez appelé à l’intérieur, puisque vous avez été appellé au christianisme : car un chrétien sans intérieur n’est qu’une figure de chrétien et un corps sans âme, n’ayant pas au-dedans de lui cet Esprit vivifiant, qui est l’esprit de la filiation divine. C’est cet Esprit qui prie et gémit en nous5 et qui, comme dit l’Ecriture, fait en nous toutes nos œuvres 6.

Mais il faut comprendre une bonne fois que cet Esprit n’est pas moins réellement en nous pour n’être pas toujours sensible. Au contraire, plus Il Se communique à nous, plus Il le fait d’une manière secrète et cachée, afin de dérober Son opération à la vue du démon et de l’amour propre : c’est ce que nous appelons marcher en foi et non pas dans une claire évidence. Cette clarté est souvent trompeuse et sujette à méprise, mais la foi est toujours certaine en elle-même, quoiqu’elle cause des doutes à cause de son obscurité. Il est vrai qu’elle est moins satisfaisante pour les sens : la nature veut toujours sentir et connaître, et la foi se confie en Dieu au-dessus de toute connaissance.

L’âme qui veut bien aller à Dieu par la foi et se laisser conduire par un abandon entier à la volonté de Dieu, ne peut que se taire en Sa présence. Et pourrait-on faire autrement envers Celui qui voit tout ce qui se passe en nous ? Qui connaît mieux ce qu’il nous faut que Lui-même ? Et qui a plus de bonté pour nous le donner ? Que désirer hors Dieu et Sa divine volonté ?

Votre oraison est une simple exposition devant Dieu. Il faut y être fort fidèle, sans vouloir mettre notre main grossière à son ouvrage. Les distractions, lorsqu’elles ne sont pas volontaires, n’empêchent point l’oraison du cœur. Le cœur est constamment à Dieu malgré les diverses agitations de la vie, pourvu qu’on ne se reprenne pas, et qu’on veuille bien ne Le point offenser et ne point reprendre son cœur après le Lui avoir donné. Le sentiment et la ferveur dans la dévotion n’est pas la perfection de la dévotion, mais des accidents passagers, qui ne l’augmentent ni ne la diminuent : c’est un feu de paille, qui ne saurait être de durée. Mais la solide dévotion ne se perd pas lorsqu’on cesse de la sentir : elle n’est point assujettie aux causes accidentelles. L’amour sacré, la foi, l’abandon à la volonté de Dieu, sont l’âme de la piété, qui ne gît point dans le sentiment.

Ne craignez point tant l’avenir. Si Dieu vous exposait encore au combat, Il combattrait pour vous, comme dit l’Ecriture7, et vous demeureriez en repos auprès de Lui, à couvert sous l’ombre de Ses ailes. Surtout ne vous découragez point : vous ne sauriez faire un plus grand outrage à Dieu. Le découragement vient de présomption et de faiblesse. Lorsque l’on présume de soi, notre faiblesse nous fait trouver du mécompte ; mais celui qui se confie à Dieu, ne se décourage jamais. Job disait : Quand il me tuerait, j’espérerais en Lui8. Prenez courage pour combattre les combats du Seigneur. Je désire qu’Il vous soit toutes choses, amen.

– Dutoit, t. IV, Lettre 38, p. 81-86.

1 L’attribution est de Dutoit, Indice du tome V, p. 629 ; étant donné son contenu, nous la plaçons au tout début de la correspondance, avant ou juste après la blessure du marquis.

2 Ami non identifié, probablement d’origine écossaise (Madame Guyon nomme parfois le marquis « mon petit milord boiteux »). Il peut s’agir soit de Ramsay (qui à cette date est probablement à Cambrai auprès de Fénelon, dont il avait fait la connaissance en août 1710 ; il ne sera à Blois que tardivement : sa présence y est toutefois attestée en mars 1714 ; v. Henderson, Chevalier Ramsay, p. 31 & p. 38), soit de Lord Forbes dont nous éditons, dans la série des correspondances avec les Écossais, deux lettres plus tardives adressées au m arquis de Fénelon.

3 Matthieu, 18, 20.

4I Jean, 4, 7.

5 Rom., 8, 26 : « De plus l’Esprit de Dieu nous aide dans notre faiblesse. Car nous ne savons ce que nous devons demander à Dieu dans nos prières pour le prier comme il faut ; mais le Saint-Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables. » (Sacy).

6 Isaïe, 26, 12 : « Seigneur, vous nous donnerez la paix, car c’est Vous qui avez fait en nous toutes nos œuvres. » (Sacy).

7 Exode, 14, 14 : « Le Seigneur combattra pour vous, et vous demeurerez dans le silence. » (Sacy).

8 Job, 13, 15.

Au marquis de Fénelon. Septembre 1711.

« Vous êtes avec Jésus-Christ sur la croix… »

Je vous assure, monsieur, que personne ne prend plus de part que moi à tout ce qui vous regarde, et que j’ai été affligée avec vous, que je vous ai recommandé de tout mon cœur à Notre Seigneur, que je l’ai prié et le prie encore que, s’Il vous fait participant de la peine et de la douleur de Jésus-Christ, Il vous donne aussi la patience nécessaire. Vous êtes avec Jésus-Christ sur la croix, et Il est avec vous dans la tribulation1 : Il vous y fait compagnie.

Vous trouverez toujours dans votre cœur ce fidèle Ami lorsque vous L’y chercherez par un retour simple et sincère : un simple coup d’œil Lui suffit pour entendre tout ce que vous voulez Lui dire et que vous ne Lui dites point. Vous ne trouverez de consolation, de soutien et de force qu’en Lui. Vous L’avez toujours au-dedans de vous. Vous pouvez, à tous les instants, par un petit retour, témoigner l’amour que vous avez pour Lui. Il n’a pas besoin de parole pour vous entendre ni de contention d’esprit, qui ne s’accorde pas avec une vive douleur. Mais ce simple retour vous fera posséder votre âme en patience, calmera votre cœur, adoucira votre douleur, la rendra moins piquante. Ô que je souhaite que l’amour de Jésus-Christ règne dans votre cœur et que la part qu’Il vous donne à Sa croix me fait concevoir d’espérance pour l’avenir ! Oui, monsieur, j’espère que Dieu achèvera en vous ce qu’Il a commencé et qu’Il vous rendra un de Ses enfants très chers. C’est en Lui que je suis véritablement à vousa.

– A.A.-S. ms 2176 pièce 7417 p. 107-108 & ms 7566 autographe. Adresse : « À monsieur le m. de F. » — Dutoit, t. IV, Lettre 1, p. 1-3.

Cette lettre est reproduite avec l’orthographe d’époque par E. Griselle, « Madame Guyon directrice de conscience, quelques lettres inédites », Revue Fénelon, 1910 p. 109-126, 1911 p. 165-169, comme première lettre du « Recueil d’extraits formé par le marquis de Fénelon en vue de l’impression, et écrit de sa main. Pour quelques-unes, nous avons en outre sous les yeux l’autographe, écrit par Mme Guyon elle-même, ou sous sa dictée » (p. 109). Les lettres du recueil sont attribuées à « M. de saint Fr [ançois] ».

aje suis, etc. D

1 Le marquis fut blessé à la jambe le 31 août 1711, au siège de Landrecies. Cette lettre a dû être écrite juste après.

Au marquis de Fénelon. Octobre (?) 1711.

Conseils pour se recueillira.

Si la part que j’ai prise, monsieur, à ce que vous avez souffert, avait pu adoucir vos peines, elles eussent été plus légères. Après avoir demandé à Dieu pour vous la patience dans vos vives douleurs, je Lui demanderai de tout mon cœur qu’Il vous fasse faire bon usage de la santé, et même de la vie qu’Il vous a rendue1.

La défiance que vous avez de vous-même vous garantira des chutes ordinaires aux personnes de votre âge, si vous y joignez une grande confiance en Dieu, un soin exactes de retourner souvent en vous-même, pour y chercher Dieu avec amour et fidélité, si vous prenez quelque temps le matin, avant tout autre emploi, pour vous consacrer à Lui, [f° 1 v°] Le priant de vous garder Lui-même, afin que vous ne Lui soyez pas infidèle, qu’Il vous empêche de vous égarer, et si vous étiez assez malheureux pour le faire, qu’Il vous rappelle à Lui. Ensuite recueillez-vous profondément, et demeurez quelque temps dans un silence humble et respectueux, que vous entremêlerez d’affections et d’actes selon votre besoin. Durant le jour, lorsque vous vous trouverez trop dissipé et que vos passions se réveilleront, rentrez en vous-même, quand ce ne serait que le temps d’un clin d’œil, pour implorer sans rien dire le secours de Dieu. Et je m’assure que ces petites pratiques qui paraissent peu de choses, vous seront très utiles.

Si je puis vous être bonne à quelque chose, je me ferai un plaisir de vous marquer par mon exactitude combien je vous honore en Jésus-Christ. Mais, étant proche deb la source, de quelle utilité vous peut être un petit ruisseau qui, toutc petit qu’il est, ne vous refusera jamais les eaux que le Seigneur lui a données ? Si j’osais, j’assurerais de mon respect une personne1 que j’honore extrêmementd.

- A.A.-S., pièce 7489 autographe, d’une bonne écriture ferme et lisible, adresse « Le bon marquis » —A.S.-S. ms 2176 pièce 7417 p. 108 (recueil) —Dutoit, t. IV, Lettre 2, p. 3-4. - Reproduite avec l’orthographe d’époque par E. Griselle, Madame Guyon…, comme deuxième lettre du « Recueil d’extraits » formé par le marquis de Fénelon.

1 La date paraît donc postérieure à la blessure du 31 août 1711, de quelques semaines à quelques mois : E. Griselle l’attribue au mois de septembre.

aRésumé en tête repris de la pièce 7417.

bprès de D.

cqui pourtant tout D.

dSi j’osais… extrêmement omis par la pièce 7417 & par D. Ces deux sources secondaires sont très fidèles.

1 Allusion à Fénelon auprès duquel le marquis se trouvait à Cambrai.


Au Marquis de Fénelon. 26 mars 1714.

« … de la fidélité ou de l’infidélité à l’oraison dépend tout le bien et le mal de notre vie. »

Je vous assure, monsieura, que, si vous avez quelque bonté pour moi, mon cœur en est plein de reconnaissance. Je vous souhaite toutes les bénédictions du ciel. Il y a quatre jours que j’étais encore à l’extrémité et je me sers d’un peu de mieux, que le Seigneur me donne, pour vous assurer que personne ne s’intéresse plus que moi à tout ce qui vous concerne et surtout à votre bien spirituel. Quand je n’aurais pas pour vous tous les sentiments que le Seigneur m’a inspirés, ceux à qui vous appartenez me sont trop chers pour ne pas prendre un juste et singulier [intérêt] à toutb ce qui vous regarde.

Puisque vous voulez bien que je vous dise ma pensée, je vous assureraic que de la fidélité ou de l’infidélité à l’oraison dépend tout le bien et le mal de notre vie. Il est impossible que vous vous souteniez, à votre âge et dans vos emplois, qu’autant que vous prendrez de la force auprès de Dieu dans la prière. C’est comme un magasin d’eau qui se répand insensiblement sur toutes les actions de la journée. Nous sommes si faibles par nous-mêmes que, si nous ne nous tenons attachés à ce premier principe, nous tombons insensiblement dans la langueur. Moins on fait d’oraison, moins on a envie d’en faire : on se refroidit en s’éloignant du feu. Quand on est soigneux d’approcher souvent du feu, on éprouve une certaine chaleur douce qui rétablit le corps. Il en est ainsi de l’âme, lorsqu’elle approche de Dieu.

Votre lettre est pleine de lumière, et je comprends fort bien que, si vous êtes fidèle à écouter Dieu et à Le suivre, vous pouvez aller loin, mais je vous demande en grâce que, quand quelque chose vous fait peine et vous cause quelque honte, vous le disiez sur le champ à votre bon père1. La nature souffre et a peine de dire les choses dans le moment présent. On les dit plus facilement lorsqu’elles sont passées, mais il faut surmonter la nature et ne la point écouter, aller tête baissée contre elle car c’est votre plus grand ennemi. Ne vous découragez jamais, quoi qu’il arrive. Quand nous sommes bien convaincus de ce que nous sommes par nous-mêmes, nos misères redoublent notre confiance en Dieu. Il Se plaît, ce Dieu de bonté, à nous faire sentir ce que nous sommes, afin que nous ne nous appuyons point sur nous-mêmes et que nous ayons un recours perpétuel à Lui. Il vous a fait connaître combien il nous est utile d’être humiliés et rapetissés.

Je ne vois rien de meilleur à faire pour vous que d’être fidèle à l’oraison. Trompez-vous vous-même et vous dérobez aux autres occupations. Quand on le veut bien, on trouve toujours le temps de la faire, mais quand on y est un peu lâche, le temps s’évapore et s’enfuit, en sorte qu’on se persuade qu’on n’a pu faire autrement que de la perdre par d’autres occupations. Soyez aussi exactes à dire dans le moment les choses qui vous peinent, sans attendre que la peine soit passée. Tâchez de vous rappeler souvent à votre cœur pendant le jour et croyez que tout ira bien, quoique vous éprouviez souvent des vicissitudes.

Je veux bien de tout mon cœur vous accepter en la qualité que vous me donnez : je prierai le Seigneur qu’elle ne soit pas vaine ni en vous ni en moi. Je Le prie de vous être toute chose. Plus de compliments, s’il vous plaît, entre nous : cela ne convient pas à la simplicité chrétienne dont nous faisons profession.

Ce 26 de mars.

- A.A.-S., ms 2177, pièce 7522 & A.A.-S., ms 2176, pièce 7417 p. 110 —Reproduite avec l’orthographe d’époque par E. Griselle, Madame Guyon…, comme troisième lettre du « Recueil d’extraits » formé par le marquis de Fénelon. - Dutoit, t. IV, Lettre 3, p. 5-8.

aSoyez assuré, monsieur D.

bprendre un intérêt singulier à tout D.

cdirai D.

1 Fénelon.

Au marquis de Fénelon. 21 mai 1714.

[Billets de Pentecôte] 1

Voilà, mon cher enfant, un billet que j’ai tiré pour vous à la Pentecôte. J’en ai fait comme à l’ordinaire pour tous les enfants du petit Maîtrea. Je les ai tirés ensuite, après avoir prié. Voilà celui qui vous est échu : la Providence a tout accommodé. Les messieurs étrangers que vous avez vus, ont passé pour vous car ils vinrent me rendre visite et sont repartis si promptement que cela a passé pour constant que c’était des étrangers. Et les jésuites entrant comme ils sortaient, ils les ont vus : ainsi si quelqu’un fait de [s] questions sur celui qui était avec R [amsay], on croira que c’était ces étrangers dont on veut parler, d’autant plus qu’il y en a un qui parle parfaitement bien français. Ainsi n’ayez point de peine car le petit Maître accommodera toujours tout comme il faut. J’aib envoyé cette lettre circulaire àc tous les enfants en leur envoyant les billets et comme vous n’êtes point avec eux, je vous l’envoie séparément. La voici :

« Je prie le Saint-Esprit de remplir le cœur de [f. 1 v°] mes chers enfants et de leur donner cet amour chaste qui ne regarde que Dieu en Lui-même et pour Lui-même, sans égard à nos propres intérêts. Cet amour pur rend l’esprit et le corps chastes, nettoyant l’esprit de toute idée, opinion, raisonnement propre, pour les soumettre à la foi et faisant que toutes les puissances réunies auprès de leur centre laissent le corps sans vigueur pour le mal. La chasteté du corps consiste à s’éloigner non seulement de tout plaisir illicite, mais à se priver souvent de ceux qui sont permis, pour l’amour de Celui dont il est dit “proposito sibi gaudio sustinuit crucem 2”. J’ai prié pour vous tous dans cette grande fête. Voilà des billets que je vous envoie après les avoir faits et invoqué le Saint-Esprit ; je les ai tirés pour chacun tels que la Providence les a envoyés. Je prie Dieu qu’Il vous soit toute chose. Veni Sancte Spiritus. »

Croyez, mon cher enfant, que vous m’êtes très cher dans le petit Maître etd que je ne vous oublierai jamais.

Ce 21 de mai.

[f. 2 r°] Si je mesurais, mon cher frère, la réalité de ma tendresse et de mon respect pour vous sur ce que je sens, je vous dirais peut-être plus que n’est vrai, en tout cas je souhaite de vous aimer en Dieu et de vous être utile pour Lui, et si je ne me trompe point, le bien de votre âme me touche infiniment. Je prie le petit Maître de perfectionner en vous ce qu’Il a commencé.

[f. 2 v°] De Bloise « À monsieur/ monsieur le marquis de Fénelon/ Colonel du Régiment de Bigorre chez M. le marquis de Fénelon son/ père à Limoges. / À Consalent/ Province de Toulouze »/ Bannières aux eaux de Baresgef.

[Billets du petit Maître :] 3

[premier billet :]

Don de force : fruit de douceur. La force est dans la douceur, comme le dit l’Ecriture : par la patience vous posséderez vos âmes4. Une âme qui s’accoutume à la patience porte les plus grandes adversités sans s’ébranler, et c’est la vraie force. Sine tuo Numine/Nihil est in homine,/Nihil est innoxium5.

[deuxième billet :]

Don de crainte : fruit de charité. Fuyons la crainte mercenaire,/ Ne craignons que de vous déplaire,/ Un véritable enfant craint tout de votre courrouxg/ Et ne peut plus craindre vos coups.

Entendement charité. Don de force. force douceurh.

– A.S.-S., pièce 7140, sans date, avec l’adresse : « À monsieur/ monsieur le Marquis de Fenelon/ Collonel du Régiment de Bigorre/ ches Mr le Marquis de Fenelon son père à Limoges/ à (Consolent/ Route de Toulouze) biffé (Bannières/ Départ à Carrière/ aux eaux de Barèges) add. interl. »

Elle fut transcrite par Griselle, Revue Fénelon 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », 1910, pièce IV, p. 114-116, avec l’orthographe d’époque et l’annotation : « 1 feuille in-8, pliée en deux. Ecriture de Ramsay » — La copie manuscrite par le marquis de Fénelon A.S.-S., 2176, pièce 7417 p. 113 (Le M de saint Fr., lettre 4) en donne des extraits — Dutoit, t. IV, Lettre 4, p. 8-10.

adu divin petit Maître D.

baccomodé. J’ai D omission.

clettre à D.

dCroyez que vous m’êtes très cher en Jésus-Christ et D.

eEcrit en gras sur « À monsieur… »

fAdresse modifiée sur « À Consalent… » biffé.

gcraint votre seul courroux D.

hEntendement… douceur omis par D.

1 Ajout de Griselle.

2Hebr. 12, 2. « Au lieu de la vie tranquille et heureuse dont il pouvait jouir, il a mieux aimé souffrir la croix. » D qui souligne deux fois par l’emploi de majuscules de même que pour Veni Sancte Spiritus (nous n’utilisons qu’un unique soulignement par des italiques, ce qui dans le cas présent est ambigu — nous ne pouvons le vérifier, v. note suivante).

3 Billets que nous n’avons pas retrouvés sur ce manuscrit de la main de Ramsay : ils ont été séparés de celui-ci, peut-être récemment. Ils sont attestés dans l’édition Dutoit, où ils constituent un second long paragraphe

4 Luc 21, 19.

5 C’est-à-dire : Sans vous, Ô Dieu, rien de bon n’est dans l’homme/Rien qui soit innocent D (strophe du Veni Sancte Spiritus).

Au marquis de Fénelon. 27 mai 1714.

Ne pas s’occuper de soi. Conseils pour l’oraison.

Je reçus hier soir votre lettre, mon cher fils en Notre Seigneur. Je vois que le petit Maîtrea Se plaît de vous exercer pour vous accoutumer à la patience. Tous ces dérangements, en nous exerçant, nous accoutument à pratiquer la vertu. Tout ce qui va contre notre humeur, qui renverse nos mesures, nous est très utile si nous en faisons bon usage. Cela nous accoutume peu à peu à vaincre notre ennemi qui est notre nous-même, nos inclinations, nos passions. Ne vous étonnez pas des pensées [116] qui vous viennent lorsque Dieu vous a fait la grâce de pratiquer quelque vertu : il faut que le diable tâche d’avoir sa proie de façon ou d’autre, mais le mépris que vous en ferez sans vous en occuper le rendra confus. Car il sera toujoursb ravi de vous occuper de vous-mêmes. Laissez-le donc là et n’y pensez pas davantage. Quand ce que vous avez oublié de me dire serait plus considérable, je ne voudrais pas que vous vous en occupassiez un seul moment.

Quand vous êtes inquiet et que vous voulez vous occuper de vous-mêmes, tournez-vous vers le petit Maîtrec. Priez-Le de ne plus permettre que vous vous occupiez qued de Lui seul. En vérité tout le reste ne vaut guère la peine d’occuper un honnête homme. Commençons ce que nous devons faire éternellement. Jamais nous ne serons sans être occupés de Dieu. Que la seule fragilité humaine nous fasse perdre cette vue. Quand je dis « vue », ce n’est pas une pensée que je demande mais le poids de tout le cœur. Mon amour est mon poids1. Plus j’aime, plus je suis entrainé [117] par cet objet aimable.

Je vous prie de laisser tomber les activités de la tête qui dessèchent le cœur. Faites une oraison d’affection entremêlée d’un peu de silence, comme dire : « Mon Dieu, je voudrais Vous aimer autant que Vous le méritez, faites du moins que je Vous aime autant que j’en suis capable » ; puis restez quelque temps dans un silence respectueux devant Dieu et dites après : « Etendez mon cœur afin qu’il contienne plus d’amour. Faites-le dissoudre afin qu’il s’écoule en vous ». Ce sont de petits essais, vous direz ce qui vous viendra. Mais agissez plutôt par le cœur que par la tête et, après quelques affections, demeurez en silence avec une profonde humilité et un respect plein d’amour.

Croyez que vous m’êtes très cher et que je ne vous oublierai jamais dans le petit Maîtrec. Ma santée vacille quelquefois mais ce n’est rien. Je prie Dieu qu’Il vous conserve. Amen.

- A.A.-S., pièce 7528, autographe —A.A.-S., ms 2176, pièce 7417 p. 115, « Le marquis de saint Fr. lettre 5 ». - Dutoit, t. IV, Lettre 5, p. 10-13, à la fin de laquelle figure : « Ici devait suivre la Lettre qui est déjà imprimée dans le troisième volume, Lettr. XXII ». V. la lettre suivante du 26 juin.

aque Dieu D.

bconfus. Il sera pourtant toujours D.

cle Seigneur D.

doccupiez de rien que D.

eLa copie par le marquis indique l’omission de cette fin de lettre donnée par l’autographe à l’aide de points de suspension.

1 « Paroles de S. Augustin, Confessions, livre XIII Chap. 9. » Dutoit.

Au marquis de Fénelon. 26 juin 1714.

« … Le prier de commander absolument en vous… »

Ne vous contraignez point, mon cher enfant, pour ne me point écrire, quand vous avez au cœur de le faire. Je ne vous ai point écrit plus tôt parce que je n’avais point mon secrétaire et que je craignais que vous ne fussiez pas encore arrivé à Barège et que ma lettre ne fût inutile.

Vous ne m’avez aucune obligation. J’écris bonnement ce qui me vient au cœur. Je croyais même que vous ignoreriez cette affaire toute votre vie. Nous devons être unis dans le petit Maître sans autre considération que de désirer qu’Il soit glorifié en nous. Jea vous conjure d’être plus courageux et d’avoir des sentiments du Seigneur dignes de Sa bonté, sans vous amuser à chicaner avec vous-même. Il faut être fidèle et exactes à tout dire dans le moment, mais lorsqu’on ne l’a pas fait ou qu’on n’est pas à portée de le faire, il faut le laisser tomber sans s’en occuper et prendre garde que cette ingénuité, si excellente et que Dieu aime si fort, ne se tourne pas à vous entortiller en vous-même. Il ne trouvera pas mauvais que vous vous désoccupiez de tout, pour ne vous occuper que de Lui.

Il faut être fort fidèle à votre oraison, mais lorsque par un coup inopiné de la Providence, vous êtes empêché de la faire, ne vous en inquiétez point, et tâchez d’y suppléer par des retours fréquents au-dedans de vous : ce que vous pouvez faire au milieu de la conversation sans que cela paraisseb. Je conviens que vous n’êtes pas encore en état de combattre. Nous sommes tous si faibles que, sitôt que nous voulons attaquer l’ennemi de front, nous sommes aussitôt vaincus. Il faut nous enfermer dans une bonne citadelle, où le commandant ne saurait être attaqué ni vaincu : cette citadelle est votre cœur, dont le petit Maîtrec est le défenseur. Si vous êtes fidèle à y rester auprès de Lui, ni les hommes ni les démons ne pourront vous nuire. Le seul combat que vous avez à faire, c’est contre ceux qui voudraient vous empêcher d’y entrerd. Qui sont ceux-là ? Votre imagination, l’occupation de vous-même, les fréquents retours sur vous, mille chicanes que vous vous faites à vous-même. Le petit Maîtree tient la forteresse ouverte afin de vous y donner entrée : entrez-y courageusement. Fermez la porte sur vous et méprisez tous vos ennemis, car lorsque vous êtes une fois rentré dans votre cœur et que vous vous y tenez assis auprès du petit Maître, on ne pourra vous y nuire et vous pourriez défier tout l’enfer, non appuyé sur vos forces mais sur Celui qui en doit être le maître absolu.

Il y a une chose à faire que j’ai oublié de vous dire, qui est de Le prier de commander absolument en vous, de Lui céder tous les droits que vous avezf sur vous-même. Dites souvent : adveniat regnum tuum, fiat voluntas tua, parce que, quand Dieu commande absolument en nous, Il nous fait faire Ses volontésg. Je ne crois pas que vous deviez mander à d’autres ce qui se passe dans votre esprit. Cette pratique, si louable envers ceux que Dieu vous a donnés, deviendrait une pusillanimité si vous l’étendiez plus loin.

Adressez vos lettres au secrétaire, qui vous salue avec un tendre respect que son cœur seul peut vous dire. Il n’est pas nécessaire d’y mettre d’enveloppe car il ne les ouvrira jamais sans me les donner [en] premier. Vous m’êtes bien cher. Je vous embrasse des bras du petit Maître. Mandez-moi de vos nouvelles et comment va la santé.

Ce 26 de juin 1714.

- A.A.-S., pièce 7523 (original sous dictée ; écriture de Ramsay) : « De Blois » [rajouté] « À monsieur le Marquis de Fénelon, colonel au régiment de Bigorre à Banières pour Barège » cachet couronne et deux cœursA.A.-S., ms. 2176, pièce 7417 p. 118 : « Le M de saint Fr., lettre 6. » —Dutoit, t. III, Lettre 22, p. 95-97.

aD commence ici.

bsans qu’il en paraisse rien. Je D.

cdont Notre Seigneur D.

dvous en empêcher l’entrée D.

eLe Maître D.

faviez D.

gD s’arrête ici.

Au marquis de Fénelon. 9 juillet 1714.

« … un Dieu dont la bonté est immense, qui ne chicane point avec nous… Il a une infinité de sentiers… »

Je vous assure, mon cher enfant, que vous me tenez fort au cœur et que je ne vous oublie pas auprès du petit Maître. Ila me semble que je ne le pourrais quand je le voudrais. Je serai bien fâchée que vous fussiez occupé ni de ma santé ni de quoi que ce soit qui me regarde, car je désire que vous soyez occupé de Dieu seul. Quand un habile homme fait une belle statue, chacun admire la statue, mais nul ne s’imagine de penser de quel instrument il s’est servi pour la faire : ce sont souvent de petits ferrements fort méprisables. Ainsi le petit Maître, pour faire Ses plus beaux ouvrages, Se sert de fort vils instruments. Il ne faut regarder que Sa main et non les sujets qu’Il prend pour achever Son œuvre en nous. Il est néanmoins certain qu’Il Se sert des instruments souples et pliables qui ne lui font aucune résistance : moins ils ont d’éclat en eux-mêmes, plus ils sont propres en Sa main, afin, comme dit saint Paul, queb l’œuvre ne soit point attribuée à l’homme mais à Dieu1. Soyezc donc fidèle et sans scrupule à suivre le chemin qui vous a été marqué : plus vous y serez fidèle, plus vous attirerez les grâces de Dieu sur votre âme.

Ne soyez point ravaudeur, mais étendez votre cœur, comme dit David, pour courir dans la voie desd préceptes2. Faites ce que vous faites avec joie, car nous servons un si grand Maître que nous devons en être comblés en Le servant. C’est un Dieu dont la bonté est immense, qui nee chicane point avec nous et qui ne fait aucun incident à un cœur simple et droit qui veut L’aimer pour Lui-même. Si l’on tombe, il faut se relever et recourir à Lui du fond du cœur, être humilié de notre misère sans en être jamais découragé : retenez bien ceci car ce doit être la règle de votre vie. Nous sommes si faibles qu’il ne faut pas nous étonner si nous bronchons souvent, mais implorer aussi souvent le secours du petit Maîtref. Sa petite main est d’autant plus forte que nous sommes plus faibles. J’espère de Sa bonté qu’Il S’imprimera Lui-même dans votre cœur. L’amour fait souvent semblant de se cacher afin de réveiller notre paresse et que nous le cherchions avec plus d’ardeur ; mais lorsque nous le croyons plus loin, c’est lorsqu’Il est plus proche de nous.

Les images ne s’impriment point dans le cœur, mais bien dans l’esprit. Il ne faut pas vous étonner de l’inconstance de l’esprit, lorsque le cœur n’y a point de part. Votre cœur sera toujours un refuge assuré pour vous retirer et vous défendre de tout ce qui se passe dans votre esprit. Quand votre esprit est assiégé de différentes pensées, retournez à votre cœur et implorez là le secours de Dieu. Ne vous avisez jamais de vouloir mener le petit Maître, mais laissez-vous conduire par Lui dans les sentiers qu’Il vous a marqués et qu’Il a préparés pour votre âme. Car, quoi qu’Il soit pour tous, voie, vérité et vie3, comme Il est immense, Il a une infinité de sentiers par lesquels Il conduit ceux qui s’abandonnent à Lui sans réserve.

Quoique vous ayez pris un temps fixe pour l’oraison, lorsque vous croyez qu’il est temps de la quitter et que le petit Maître vous rappelle par un certain petit recueillement, restez-y encore quelques moments pour Lui obéir ; mais lorsque c’est le scrupule qui vous retient, ne le suivez pas. N’interrompez point votre attrait à moins que vous n’y soyez engagé par quelque événement dont vous ne pouviez vous défendre, car lorsqu’on est attiré au-dedans c’est une récolte que l’on fait, et souvent l’on perd de grands biens pour interrompre ce recueillement. Quand vous lisez, lisez simplement pour vous recueillir et non pas pour voir si vous êtes selon ce que vous lisez. Cela ne servirait qu’à vous occuper de vous-même, ce qui est une très mauvaise occupation. Allez donc à Dieu au-dessus de tout ce qui vous regarde.

Vous ne pouvez point vous défaire des importunes pensées de la vanité qu’en vous oubliant vous-même. C’est ce qui fait que je vous recommande si fort cet oubli. Allez toujours avec courage, quoique vous ne voyiez rien encore, parce que Dieu fera Son ouvrage en vous lorsque vous y pensez le moins. Je le prie d’être Lui-même votre fidélité. Soyez persuadé que vous m’êtes plus cher, et beaucoup plus cher, que je ne pourrais vous le dire, et que je désire fort votre perfection. Comptez sur Dieu et nullement sur vousg. Je vous embrasse tendrement.

Ah! Mon cher fr[ère] : cor meum est apud se sine voce et silentium meum loquitur tibi5. Notre mère vous défend de plus payer les lettres, obéissez en enfant, je vous embrasse avec un tendre respect très intime et très réel. Ce 9 de juillet.

- A.A.-S., pièce 7521 ; original sous dictée, de l’écriture de Ramsay ; cachet ; adresse : « À monsieur/monsieur le marquis de Fénelon Collonel du Régi/ment de Bigorre à banières pour Barège/route de Toulouze par/(Toulouze biffé) (à banières ajout marg. d’une autre main, biffé et corrigé par :) faux renvoyée à (mots illisibles) de Toulouse » —A.A.-S., ms 2176, pièce 7417 p. 121 : « Le M de saint Fr., lettre 7 » —Dutoit, t. IV, Lettre 6, p. 13-17.

aVous me tenez fort au cœur, mon cher enfant, et je ne vous oublie pas auprès de Dieu. Il D.

bmain, [qui fait tout] afin que D.

cDieu comme dit S. Paul. D.

dde ses D.

eimmense. Il ne D On a pu se rendre compte, dans cette lettre et dans les précédentes, du degré de fidélité de D ; dorénavant, ici comme dans les lettres suivantes, nous ne donnons plus que les rares variantes précisant ou affectant le sens profond.

fdivin petit Maître. D qui remarque en note : « c. à d. de Jésus-enfant. »

gfin de D.

1II Cor. 4.7.

2Ps. 118, 32.

3 Jean, 14, 16.

4 Ajout de Ramsay.

5 Mon cœur est en toi sans parole et mon silence te porte.

Au marquis de Fénelon. 7 août 1714.

Je vous ai mandé, mon cher fils, de vous enfermer dans votre citadelle, lorsque vous êtes attaqué par les sentiments soit de vanité soit autre. J’avoue que cela est difficile au commencement parce que l’on marche la nuit et à tâtons et qu’on a peine d’en trouver la porte. Mais à force de faire ce chemin, il devient fort aisé. Quand vous ne vous y retireriez que pour des moments, ces moments ôtent à l’ennemi beaucoup de ses forces. Quand il veut revenir à la charge, il faut rentrer dans ce même lieu et faire comme un homme qui voit, sur le bord de l’eau, lorsqu’il est en pleine eau lui-même, des gens tous armés qui le mirent pour tirer sur lui : il ne fait autre chose que de faire le plongeon dans la rivière, et cela aussi longtemps qu’il aperçoit les ennemis. Ne vous découragez point pour toutes les folies de votre imagination car vous n’en êtes pas le maître. Il suffit pour vous de ne pas agir en conséquence et de retenir votre langue, et de ne rien dire qui puisse vous satisfaire. Quand vous y aurez manqué, humiliez-vous devant Dieu et ne vous en inquiétez pas. Un enfant qui apprend à marcher fait souvent des faux pas, il tombe et se relève. Faites-en de même. Je ne doute point que la nature ne soit fort contente lorsqu’elle trouve des amusements et des compagnies agréables. Lorsqu’elles viennent par providence, il faut les souffrir sans s’y attacher, et j’espère que le Bon Dieu ne vous laissera pas longtemps dans ces sortes d’amusements, qui peuvent vous nuire.

Une des plus grandes grâces que Dieu puisse faire à une âme, c’est de l’éclairer sur ce qu’elle a à faire de moment à autre. La fidélité à suivre cette lumière en attire une autre, [f° 1v°] mais lorsqu’on y est infidèle, Dieu se retire et paraît ne plus rien demander, ou du moins Il le demande moins fréquemment. C’est un des points les plus essentiels de la vie spirituelle, auquel vous devez tâcher de vous rendre plus fidèle. Néanmoins lorsque vous aurez manqué, ne vous entortillez point en vous-même par trop de réflexions, mais humiliez-vous profondément dans la vue de votre bassesse disant au petit Maîtrea : « Voilà de quoi je suis capable, j’en ferai bien d’autres si Vous ne m’aidez ». Prenez ensuite une résolution avec Sa grâce d’être plus fidèle et n’y réfléchissez plus après, car le démon ne travaille qu’à vous entortiller en vous-même, qu’à vous refroidir le cœur et à vous décourager. Quand je vous ai mandé de n’être pas ouvert avec tout le monde, c’est sur ce que vous vouliez mander à Calasb, parce que avec votre pèrec et avec moi vous ne sauriez être trop ingénu. Je ne prends pas les choses plus fort que vous ne me les dites, car je sais bien que ce ne sont que des bagatelles, mais lorsque ces mêmes bagatelles vous viennent pour les dire, il faut le faire simplement, quand vous en avez l’occasion et non autrement, sans vous en faire un scrupule. Je veux que vous soyez fidèle à Dieu et non scrupuleux, car le démon ne demande qu’à nous occuper de nous-mêmes. Allez à Dieu avec un cœur étendu. Vous ne sauriez trop l’avoir de la sorte pour y loger l’immensité même.

Lorsque vous n’avez pas pu lire avant de faire oraison, il ne faut pas vous faire une pratique de lire après. Lorsque je vous ai dit de lire avant l’oraison, ç’a été pour vous faciliter le recueillement, et lorsque je vous ai dit d’entremêler [f° 2r°] les affections, ç’a été pour la même chose et pour ramener votre esprit lorsqu’il est trop distrait. Mais quand vous êtes recueilli, il faut bien vous donner de garde d’interrompre le recueillement pour produire des affections parce que je vous ai dit d’en produire. Allez à Dieu comme un enfant plus par l’amour que par la crainte. Dieu veut qu’on agisse avec Lui en enfant, et c’est ce qui Lui plaît davantage. Les distractions sont un effet de la faiblesse de l’homme lorsqu’on ne s’en est point aperçu quoiqu’elles aient duré un temps considérable : elles ne sont point volontaires. La volubilité de l’esprit est étrange, il faut la porter comme une infirmité de l’humanité.

Vous devez croire que j’aurai une grande joie de vous voir: ce serait une belle chose que vous passassiez si près de votre Mère sans la voir !

J’aie bien de la joie de ce que votre jambe est un peu allongée. Ne revenez pas que vous n’ayez fait tout ce qu’il faut pour l’affermir1. Il me paraît qu’on prend pour l’ordinaire les deux saisons, sans quoi on courrait risque d’y retourner. Je vous embrasse avec tendresse. Je me porte mieux, mais ma santé est fort vacillante. [f° 2v°]

Il2 me vient au cœur, m [on] c [her] frère, de vous dire que dans la grâce comme dans la nature, tout ce qui est le plus réel et le plus intime est ce qui se sent le moins. On ne voit point comment les arbres croissent. On ne sent point les circulations infinies que la viande fait dans nos corps pour en devenir la substance. Vous avez un beau Discours3 là-dessus qui commence : Ce n’est pas du pain seul que l’homme vit, etc. Les sentiments, l’imagination et la raison sont ce qui se fait le plus apercevoir en l’homme, mais ce n’est que l’action foncière de la volonté qui le rend ce qu’il est devant Dieu, et il faut s’accoutumer à faire peu de cas des trois premières pour donner place à cette pente et tendance centrale qui peut subsister au milieu de toutes les distractions et divagations involontaires. Pardonnez-moi si je dis cela. J’ai été toujours peiné avant que notre Mère m’eût appris cela, et je vous l’ai dit, ce me semble, par simplicité.

Onf vous aime fort ici et on sera ravi de vous voir. Si m [on] frère est de retour, notre joie sera grande de nous voir tous ensemble pendant quelques jours car il est un bon enfant et bien au petit Maître. Permettez de vous baiser les mains et d’embrasser votre cœur que je goûte et que j’avale comme de l’eau à cause de sa simplicité. Pardonnez ce babil de ma part. Ce 7 d’août.

- A.A.-S. pièce 7446 —A.A.-S., ms 2176, pièce 7417, p. 125 : « Le M de saint Fr., lettre 8. » —Dutoit, t. IV, Lettre 7, p. 17-22.

aà Dieu D.

bà ** D.

cavec ** D Il s’agit de Fénelon.

dfin de D.

efigure dans la seule pièce 7446.

fcette suite figure sur la pièce originale 7446 seule.

1 Suite de la blessure reçue 31 août 1711 au siège de Landrecies. Le marquis de Fénelon se rend aux eaux de Barèges avec Panta, l’abbé Pantaleon de Beaumont.

2 Addition de Ramsay exceptionnellement reproduite par D.

3 Discours spirituels, t. I, Discours XII  : « [§ 5] Si on disait à une personne ignorante, que le pain qu’elle mange et qu’elle sent descendre dans l’estomac, porte sa substance ensemble au cerveau et à toutes les parties du corps, elle aurait peine à le croire : cela est pourtant certain. Il en est de même de cette parole muette […] [§ 7] Sa pureté la rend insensible. On ne peut s’apercevoir de quelle manière la sève monte dans un arbre et s’insinue dans toutes ses parties : on ne s’aperçoit point aussi de cette parole vivante, sinon par une force secrète, par un amortissement des sentiments, par une perte de son propre esprit et de sa propre volonté. »

Au marquis de Fénelon. 29 septembre 1714.

Rendez-vous caché ; conseils spirituels.

J’étais fort en peine de vos nouvelles, mon cher enfant, eta dans la résolution de vous écrire lorsque j’ai reçu votre lettre. Je vous dirai d’abord de peur de l’oublier que, dès que vous serez arrivé à l’hôtellerie, vous envoyez quérir R [amsay] à sa maison ou ici parce qu’il vous y introduira, car ma fille est ici et j’ai peur qu’elle ne soit pas partie quand vous viendrez. Que cela ne vous fasse aucune peine car il vient des étrangers souvent me voir et vous passerez pour un chevalier flamand de la connaissance de M. F [orbes] 1 et de R [amsay]. Je vous recevrai comme ma fille reçoit ceux qui la viennent voir, c’est-à-dire dans ma chambre où vous dînerez à part avec moi. Vous porterez le nom du Chevalier Souabe ou de quelque autre gentilhomme frandrin [de Flandres]. Je vous dis tout ceci en cas qu’elle soit ici quand vous passerez, car peut-être sera-t-elle partie. Elle ne compte de rester que jusqu’à la Toussaint, encore ne crois-je pas qu’elle y soit si longtempsb.

Nous avons perdu le Bon Ducc 2. J’ai écrit plusieurs lettres de consolation à notre cher pèred, qui devait s’attendre depuis longtemps à cette perte. Il ne laisse pas d’être fort affligé, vous connaissez son cœur. Je mande au bon Put [Dupuy] de l’aller trouver en cas que ses affaires le puissent permettre parce que je sais que ce serait une grande consolation pour luie.

Votre disposition malgré votre faiblesse ne laisse pas de me faire un grand plaisir. Lorsque je vous ai mandé de lire quelque chose immédiatement devant3 laf prière, ce n’a été que pour vous faciliter le recueillement, parce que lorqu’on a été dissipé par divers objets, ces mêmes objets ne s’effacent pas si aisément de l’imagination. Un moment de lecture entre la dissipation et la prière fait un bon effet. Ce n’est pas pour vous occuper de ce que vous aurez là que je vous ai conseillé la lecture, mais seulement pour vous faciliter le recueillement. Lorsque vous vous sentirez attiré à la prière et qu’il semble que Dieu vous y appelle, il ne faut point lire. La même lecture qui servirait à vous recueillir lorsque vous êtes dissipé, vous dissiperait lorsque vous avez une tendance au recueillement. Il faut donc suivre simplement et librement la disposition où vous vous trouvez. On donne de la nourriture à un homme qui en a besoin, mais on ne force pas à manger celui qui est déjà rempli. C’est pourquoi il faut prendre les conseils avec une certaine discrétion selon les besoins présents.

Pour ce qui regarde des amusements, c’est sur quoi vous devez le plus vous combattre parce que votre naturel deviendrait indolent, paresseux, ce qui vous empêcherait de remplir vos devoirs avec exactitude. Ces sortes de naturels ne trouvent presque du temps pour rien, de sorte qu’il faut se précipiter pour faire en peu d’heures ce qu’on aurait fait en plusieurs avec facilité et d’un esprit reposé. J’espère que le petit Maîtreg qui vous aime et qui prend soin de vous donnera cette discrétion si nécessaire. Je ne sais pas ce que vous m’avez fait, mais vous êtes bien cher à mon cœur, et je prie ce bon petit Maîtreh que vous soyez toujours du nombre de Ses enfants.

Ne vous étonnez pas d’être faible. Il est bon que vous sentiez ce que vous êtes. L’orgueil et l’appui en soi-même déplaisent bien plus à Dieu que les faiblesses qui, n’ayant rien de volontaire, nous font connaître ce que nous sommes et nous obligent en même temps de mettre toute notre confiance en Dieu et de nous abandonner à sa conduite.

J’aurais une véritable joie de vous voir et de vous dire bien des choses pour notre pèrei que je ne peux pas lui écrire. Je vous embrasse comme une mère tendre et affectionnéej.

Mon cher frère, que j’aurai une joie intime de vous revoir et de vous embrasser. J’espère que monsieur F [orbes] sera du parti, cela vous fera plaisir à tous deux de vous voir mutuellement. Je n’ai rien à vous dire que la même chanson qui est que je vous aime et vous chéris devant le petit Maître avec une effusion du cœur tout à fait fraternelle, mais devant les hommes je vous honore. Je vous respecte plus que je ne saurais dire. À Dieu sans nous séparer jamais.

Ce 29 de septembre.

– A.A.-S., pièce 7530, de l’écriture de Ramsay & ms 2176, pièce 7417, p. 131 — Dutoit, t. IV, Lettre 8, p. 23-25.

anouvelles et D.

bJe vous dis… longtemps. Omis par D.

cperdu ** D.

dà *** D.

eJe mande… lui. Omis par D.

fchose avant la D.

gle divin Maître D.

hbon maître D.

ipour *** D.

jfin de; la suite est de Ramsay.

1 Sur Lord Forbes v. dans ce volume la correspondance avec les Écossais.

2 Le duc de Beauvillier, mort le 31 août 1714.

3 Le mot s’est d’abord employé avec un sens temporel aujourd’hui réservé à auparavant. (Rey).

Au marquis de Fénelon. 25 novembre 1714.

ce 25 de…

pour mon petit milor boiteux.

J’ai été très satisfaite, mon cher enfant, de votre visite et j’espère que le petit Maître vous comblera de plus en plus de Ses grâces si vous Lui êtes fidèle. Laissez tomber le plus que vous pourrez les pensées qui vous viennent parce que je crains que cela ne vous distraie trop et ne vous fasse perdre la tranquillité. Ne dites que celles que vous vous sentez pressé de dire et qui restent quand vous ne les dites pas. Il faudra vous borner dans la suite à ne les dire qu’à notre cher pèrea et j’espère que, lorsque Dieu aura exercé cette simplicité qui vous est si nécessaire, cela tombera de soi-même. Tant que les choses nous font peine à dire, Dieu nous oblige de les dire pour nous faire mourir à nous-même et pour nous faire acquérir cette simplicité qui Lui est plus agréable que tout le reste, mais lorsque les répugnances sont passées, Il cesse de nous les demander, non qu’il ne faille pas toujours être ingénu et simple car le défaut de la plupart est d’être trop resserré et de ne pas dire les choses ou ne les pas dire entièrement telles qu’elles sont, ou par orgueil ou par mauvaise honte, et c’est l’écueil de la plupart. Allez donc bonnement et simplement, laissez tomber ce qui ne fait que passer. Il en restera toujours assez pour vous tenir souple et petit.

Croyez que vous m’êtes bien cher dans le petit Maîtreb. Je salue et j’embrasse le bon Panta1. Je sais l’accident qui a pensé vous arriver en passant par-devant le chariot avec R [amsay], mais le petit Maître a été avec vous. N’oubliez pas d’écrire à Amboise pour tâcher de ravoir votre lettre car nous sommes en suspens de porter un jugement décisif sur le maître de la poste ici, jusqu’à ce que nous voyons où votre lettre a été tout ce temps-ci. Je vous embrasse, mon cher enfant, des bras du petit Maître.

Je n’ai pas manqué, m [on] très c [her] frère, de faire vos compliments en anglais à nos chers Trans et de prier un intime ami de les faire à notre cher Milor de shifdc car il n’y avait point de place dans sa lettre pour y parler de vous à lui-même. Aimez tous ces pauvres Trans et priez pour eux2. J’embrasse tendrement et avec respect le cher malade3. C’est avec le plus tendre attachement et cordialité que je suis tout à vous dans le petit Maître.

Ce 25 de Nov.

- A.S.-S., pièce 7455, de la main de Ramsay qui ajoute le dernier paragraphe au marquis —Dutoit, t. IV, Lettre 9, p. 25-27 —Griselle, Revue Fénelon 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », [1910] p. 116-117, pièce V.

aqu’à *** D. Il s’agit évidemment de Fénelon auprès duquel réside le marquis.

bcher en Notre Seigneur D fin de D.

cLecture incertaine.

1 Panta : l’abbé Pantaléon de Beaumont. 

2 Trans serait l’abréviation de Trans Maria, ou « trans fines » : au-delà des mers, ou des frontières. Il s’agit ici des Écossais jacobites aux prises avec des « actes délibérés de provocation d’un Parlement dominé par les Anglais » (R. Mitchison, A History of Scotland, p. 318) dans le cadre de l’Union de 1707 : l’irritation mènera au soulèvement de 1715, qui sera toutefois réglé entre Écossais avec modération (celui de 1745 sera réprimé beaucoup plus durement).

3 Fénelon. Il tombera gravement malade le 1er janvier 1715 et mourra le 7.

Au marquis de Fénelon. 1715 ?

Il est naturel, mon très cher marquis, que vous ayez en vous tous les mouvements corrompus. Cela ne marque autre chose que la filiation d’Adam. Si vous avez lumière pour la tempérance dans le boire et le manger, il faut la suivre. Encore plus dans les lectures et les conversations. L’oraison, le recueillement et le travail sous les yeux de Dieu vous nourriront d’antidote contre la corruption et feront recouler l’imagination portée au mal dans le cœur paisible et stable en Dieu. Turbaris et sollicita es erga plurima porro unum est necessarium1, cette unique chose nécessaire ne vous atteindrait point par l’occupation avantageuse ou méprisante de vous-même sur la discipline. Le détour de vous-même et l’union à Dieu dans votre néant connu et aimé, feront votre affaire dans le temps du petit Maître et non dans le vôtre. Vous y trouverez l’exactitude paisible et désintéressée à vos affaires parce que l’amour est toute action et réalité. Quand vous ne déroberez rien au petit Maître, Son éternité vous donnera le temps nécessaire pour remplir humblement tous vos devoirs. Amen.

Vendredi au matin.

– A.A.-S., pièce 7450, cachet lune et 2 étoiles ; adresse : « À monsieur/monsieur le marquis de fénelon à l’hôtel de Mortemart ».

1 Luc 10, 41-42 : « Martha Martha sollicita es et turbaris erga plurima, porro unum est necessarium (Vulgata, Gryson) — Marthe, vous vous empressez et vous vous troublez dans le soin de beaucoup de choses. Cependant une seule chose est nécessaire. (Sacy) »

Du marquis de Fénelon ? 31 mars 1714 ?

Autre du même du 31 mars

Ma très chère et vénérable mère, je ne puis laisser partir [mots illis.] du vénérable P [oiret] sans y joindre ce petit mot pour vous assurer de mes très profonds respects, et pour vous prier de me continuer votre charité en notre cher petit Maître. J’ai eu de temps en temps des pensées qui me faisaient souhaiter de savoir que notre mère me regardait tout de bon comme un de ses enfants, ou plutôt comme un enfant du petit Maître, puis mes infidélités fréquentes m’en faisaient bien douter, sans pourtant me laisser aller à aucune inquiétude sur cela. Je ne sais pas aussi que cela aie fait beaucoup d’impression sur mon esprit.

Cependant j’ai eu un songe un dimanche matin, le vingt-et-un mars, qui semble avoir quelque rapport à cela, que je vais dire en toute simplicité. C’est que je me trouvais avec le bon Sevina pour aller ensemble chez notre mère. Je perdais en chemin mon compagnon, puis, en avançant, un domestique m’invitait d’entrer dans la maison où il était. J’y entrais en descendant premièrement, et puis je montais vers un lieu qui ressemblait [à] une grande salle où il y avait beaucoup d’enfants qui jouaient ensemble et avaient devant eux des corbeilles, où étaient de petits fruits rouges de la grandeur des groseilles rouges de Hollande. Le cher M. R [amsay] y était, apportant de ces corbeilles vers notre mère, qui était devant une grande table, causant avec deux ou trois enfants qui étaient debout sur la table. J’allais vers notre mère qui me tendait la main que je baisais. Mais elle, avec un air bien gracieux, se tourna vers moi m’embrassant, me baisant à la bouche, y tenant appliqué la sienne quelque petit espace de temps, pendant lequel je priais le petit Maître en disant : « Donnez-moi, mon Dieu, Votre bon esprit, donnez-moi Votre Esprit saint, etc. » J’y sentais une douceur tranquille, et là-dessus il me semble que je m’éveillai ayant l’esprit rempli d’un grand calme.

Avant la rencontre de notre mère, il me semble aussi que j’étais avec le bon Sevin et [….]b dans une salle, — je ne sais si c’était la même que l’autre, — qui [26] avait un prospect1 dans un grand et magnifique jardin, et nous nous divertissions entre nous et avec d’autres enfants.

Je vous demande pardon, ma très chère mère, que je vous entretienne de mes songes. Je prie Dieu de me disposer et de me rendre capable d’en recevoir la réalité. Quoi qu’il en soit, depuis ce temps-là je ne saurais nullement douter de la charité de notre chère mère pour moi, tout indigne que j’en suis et nonobstant mes infidélités. Priez-le cher petit Maître qu’Il me rende bien petit et enfant. Ô que j’en suis encore éloigné ! [….]b Mon frère vous assure aussi de ses profonds respects en se recommandant de même à votre charité, laquelle excusera ma liberté et simplicité enfantine à raconter des rêves. Plaise au petit Maître [de] nous conserver encore longtemps notre chère mère et de vous combler de plus en plus de Soi-même. Nous saluons et embrassons avec respect le cher M. pèlerin2.

– A.A.-S., ms 2176, pièce 7417, p. 24 ss. Nous supposons que cette lettre, comme la précédente, est du marquis de Fénelon et non de Ramsay puisque ce dernier est cité sous l’abréviation « R ».

a (serein biffé) sevin —Il s’agit peut-être de Servais, au service de Madame Guyon.

bpoints de suspension du ms

1 Manière de regarder un objet. (Littré).

2 Surnom  de Dupuy ou d’un Écossais ?

Au marquis de Fénelon. 7 décembre 1714.

Conseils de discrétion. « Je suis souvent occupé de vous de la manière du monde la plus cordiale… »

J’ai reçu, mon cher enfant, votre lettre de Versailles eta je suis toujours contente de vos dispositions. Pour ces petits soupirs qui vous échappent de temps en temps, ils sont assez remarquables quelquefois, mais tout cela se tombera et, se concentrant dans votre fond, deviendra plus imperceptible à vous-même et aux autres. Je ne crois pas que vous devez ni affecter cela ni vous gêner pour les contraindre, mais vous abandonnant au petit Maîtreb Le laisser faire en vous ce qu’il Lui plaît.

Ne vous ouvrez point qu’à notre pèrec. L’âme au commençement a une simplicité à tout dire qui est bon dans son principe, mais l’amour propre s’y peut mêler et nous perdons quelquefois la simplicité enc voulant l’être trop. De plus il y a très peu d’âmes qui sont capables de goûter la vraie simplicitéd qui dit [f° 1v°] tout et ne dissimule rien. Au contraire cela leur donne l’occasion de faire des retours et des réflexions qui leur nuisent après. Il y a très peu d’âmes qui sont capables de porter l’extérieur, beaucoup moins l’intérieur des autres. C’est une règle constante de tous les spirituels de ne s’ouvrir à aucune créature qu’à ceux que Dieu nous donne Lui-même pour nous conduire.

Votre naturel est tendre et sensible. Il faut, dès le commencement, vous habituer à vivre par une foi simple égale, sans beaucoup vous embarrasser de vos sentiments. Autrement quand le temps de sécheresse viendra, vous aurez de la peine à tenir ferme. Soyez toujours fidèle au milieu de vos infidélités et servez-vous de tout ce que vous remarquez en vous pour vous humilier et vous rendre méprisable à vos propres yeux. De nous compter pour rien et de tendre au néant, c’est le chemin et la fin de toute la perfection.

Soyez persuadé de ma tendresse. Je vous porte dans mon cœur comme un de mes plus chers enfantse. J’ai fait R [amsay] vous [f° 2r°] recommander aux Trans. Recommandez-les à votre tour aux Cis1 et aimez bien mon g-papaf quand vous le verrez car c’est un excellent enfant que j’aime beaucoupg.

Rien au monde n’est plus tendre ni plus respectueux tout ensemble que ce que je sens pour vous, m [on] très ch [er] frère. Je suis souvent occupé de vous de la manière du monde la plus cordiale, mais je m’en défie parce qu’elle [est] trop sensible. Peut-être aussi que ma nature a une vanité d’être liée avec une personne si fort au-dessus de moi, mais je m’imagine que vous êtes Trans et je crois que tout m’est permis avec vous comme avec eux. Pardonnez-moi pourtant s’il m’est échappé quelque chose de trop familier avec vous : je croyais être avec le marquis de Fén [elon] anglais, je veux dire le petit milor de Deskford. Vous me gronderez pour ce compliment, mais ce que vous m’êtes devant le petit Maître ne me fait point oublier que je ne suis rien devant les hommes et beaucoup moins devant Dieu3. Je sens que j’écris par vanité mais je [f° 2.v°] vous mande ce qui me vient à la bouche. Tout le monde ici vous aime et la Chante… h prend la liberté de vous assurer de ses profonds respects.

[post-scriptum de la main de Madame Guyon :]

Mon cher enfant, je vous aime tendrementi, soyez bien petit, bien fidèle, mourez à tout, oubliez-vous vous-même, et vous serez dans la vérité. N’oubliez pas la nuit de Noël et si vous êtes auprès du cher pèrej, qu’il dise la messe pour tous les enfants du petit Maître dispersésk. Communiez à cette intention.

[D’une autre main :]

Ce 7 décembre

Notre mère salue cordialement le cher Panta2 et prend beaucoup de part à l’état où est madame sa sœur. Elle vous embrasse tous deux des bras du petit Maître. Oserai-je vous prier de l’embrasser pour moi ? J’aime sa douceur.

– A.A.-S., pièce 7524, de la main de Ramsay principalement — ms 2176, pièce 7417, p. 136 — Dutoit, t. IV, Lettre 10, p. 27-29.

aJ’ai reçu votre lettre et D.

bau divin petit Maître D.

cs’y (peut add. interl.) mele (r add.) (deux lignes et demie lourdement raturées illisibles), et nous (un mot raturé illisible) perdons quelquefois (la simplicité add. interl.) en.

dla simplicité D.

efin provisoire de D.

fLecture incertaine (g — ? ou gr — ? ou p — ?).

gsuit un grand trait de séparation.

hLecture incertaine.

ireprise de D.

jde ** D ; il s’agit de Fénelon.

kenfants dispersés D.

1 Trans : disciples étrangers ; cis : disciples français.

2 Panta : l’abbé Pantaleon de Beaumont.

3Ramsay décidément antipathique !

Des duchesses de Mortemart et de Guiche au marquis de Fénelon. Entre le 11 décembre 1714 et le 7 janvier 1715.

Comment1 vous trouvez-vous de vos bains, mon cher marquis ? Je souhaite fort que vous en reveniez avec une entière liberté de votre jambe, je me flatte que vous en êtes persuadé. J’ai été bien aise de voir dans vos deux lettres la satisfaction que vous avez eue dans la visite que vous avez faite en chemin2 : il me semble que vous en avez bien profité et que vous y avez acquis une lumière, avec ses accompagnements qui vous feront remplir les desseins de D [ieu] sur vous plus pleinement, car le seul bonheura que d’être à Lui sans partage et dégagés de nous-mêmes. Et c’est ce dégagement qui est le plus distinct, mais c’est toujours où la grâce nous fait tendre parce que [f° 1 v°] c’est ce qui s’oppose le plus à son ouvrage en nous. Il faut pourtant avoir de la patience avec soi-même et vouloir bien se voir tel que l’on est dans la vérité sans se flatter. C’est ce qui produit en nous l’humilité réelle, qui va à nous mépriser nous-mêmes : la lumière de Dieu nous conduira toujours là tant que nous lui laisserons la liberté de nous éclairer. La fidélité à la prière est un moyen sûr et plus nécessaire que la nourriture ne l’est au corps sans comparaison, elle nous donne une connaissance de la pureté de Dieu et de l’éloignement où nous en sommes, mais en même temps une force et un courage qui ne se rebutent point du grand travail que nous avons à faire, parce que nous n’attendons rien de nos propres forces qui ne sont [f° .2 r°] que faiblesse. Mais toute notre confiance et notre courage est en Dieu, nous contentant d’être fidèles à chaque moment, sans se laisser aller au découragement quand nous y avons manqué, étant toujours prêts à recommencer à travailler et à mettre notre confiance en Dieu3.

Nous sommes toujours dans une affligeante situation ici, mon cher marquis, beaucoup plus mauvaise que quand vous êtes partis : souvent de la toux, toujours une pente au dévoiement, une maigreur qui augmente toujours et un affaiblissement si grand qu’il ne peut presque plus demeurer debout, de très mauvaises nuits assez fréquemment. Malgré cet état, on parle d’un voyage de Bourbon pour la seconde saison : je vous avoue que je ne vois pas grande apparence qu’il puisse soutenir ce voyage, à moins que d’ici à un mois qu’il faudra [f° 2, v°] partir, il ne se remette considérablement, ce que nous n’avons pas trop lieu d’espérer jusqu’à présent 4. Il faut adorer les desseins de Dieu et s’y soumettre en paix dans les choses les plus dures et les plus intéressantes de la vie, et attendre qu’Il nous manifeste Ses desseins.

Vous connaissez trop mes sentiments pour vous, mon cher marquis, pour que je doute ne devoir pas vous faire de nouvelles protestations. Je vous assure seulement que je prends un intérêt bien vif et bien sincère à tout ce qui vous regarde.

– A.S.-S., pièce 7477 autographe ; adresse : « [autographe :] à monsieur/monsieur le marquis de Fénelon [d’une autre main :] Colonel du Rgt de Bigorre, à Barèges, Pour Bagnières. Par Toulhouse. » Le marquis, après être passé par Paris, était aux bains de Bagnères pour traiter sa blessure.

aOubli d’un verbe.

1 Cette lettre entre tiers témoigne de la santé ébranlée de Fénelon (« il ») et illustre la série de lettres autographes de la duchesse de Mortemart et de la duchesse de Guiche (depuis maréchale de Grammont) adressées au marquis de Fénelon, constituant la série des pièces 7471 à 7492 (sauf la pièce 7489 qui s’avère être un autographe de Madame Guyon).

2 Visite chez Madame Guyon à Blois.

3 Long développement typique de Madame de Mortemart qui a donc rédigé la lettre de sa large écriture.

4 Fénelon va mourir le 7 janvier 1715 après être tombé malade le 1er janvier — peut-être déjà fortement affaibli si la lettre date de la fin décembre 1714. Voir l’annotation de Griselle, lettre suivante.

Au marquis de Fénelon. Début janvier 1715.

Fénelon malade.

[recto :] Quoique je sois presque aveugle, mon cher enfant, je vous écris ; R [amsay] 1 n’étant pas ici, je l’envoie quérir. Demain il y a de quoi mettre une chaise, le prélat2 n’est pas ici, je vous attends avec impatience. J’ai été fort en peine de vous. Notre cher père a pensé périr, Dieu l’a conservé par miracle : c’est un récit qui fait trembler. Je vous embrasse tendrement et salue votre compagnon. J’ai un neveu réformé qu’on rappelle avec les autres. Vous m’êtes bien plus. Ne craignez rien.

[verso :] Je viens d’arriver, mon cher frère. J’ai fait trois lieues à pied en deux heures de temps pour recevoir les ordres de notre mère qui veut que j’aille vous trouver à Amboise, mais je lui ai dit que vos gens me reconnaîtraient. J’ai obtenu d’elle après beaucoup d’importunité que j’aille seulement à une lieue d’ici vous rencontrer et vous amener à la maison du petit Maître où vous serez reçu dans son cœur. J’aurais été ravi de voir le cher Cou… a mais je crains d’exciter la terreur panique. Cependant le cher petit Maître fait couvrir d’une toile d’araignée ceux qui se confient en Lui mais parce qu’Il ne veut… b

– A.S.-S., pièce 7562, recto autographe, verso de l’écriture de Ramsay. Adresse : « Amboise/À monsieur/monsieur le Marquis de Fenelon Colonel du régiment de Bigorre pour lui être donné en passant par le maître de la poste/à Paris/passe pour chez Madame de Cheury Rue de Tournon à Paris » — Revue Fénelon 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience », [1910] p. 118-119. « Cette lettre est antérieure à la mort de Fénelon […] postérieure au 11 décembre 1714, puisqu’à cette date le marquis n’avait pas encore acheté un régiment. Il est question ici d’une maladie de Fénelon. Or il n’a ressenti l’inflammation de poitrine qui l’emporta que le 1er janvier 1715. On peut supposer qu’après avoir appris l’attaque du mal, Mme Guyon a reçu de meilleures nouvelles. » (Griselle).

aillisible.

bfin de la page.

1 Ramsay revint à temps pour ajouter cette note à la lettre ; l’entourage de Madame Guyon craint la surveillance policière.

2 Probablement l’évêque de Blois, M. de Berthier, ami de Fénelon.

Au marquis de Fénelon. 11 janvier 1715.

Lettre de consolation1.

Mon cher boiteuxa, quoique ma douleur soit plus grande que je ne peux vous le dire, je ne laisse pas de prendre part à la vôtre. Que vous perdez et que nous perdons tous ! On peut dire que l’Église de Franceb a perdu sa plus vive lumière. Mais la volonté de Dieu qui nous doit être au-dessus de tout, est l’unique consolation qui nous reste. Je ne le plains point parce qu’il est arrivé au terme qui est sans bornes et sans limites, où il jouit de Celui qu’il a voulu, qu’il a cherché et auquel il a consacré tous les moments de sa vie. Comme je ne doute point qu’il ne soit mort dans un abandon entier entre les mains de Dieu, aussi ne doutais-je point de sa béatitude. Je vous conjure que, si vous avez de ses cheveux ou quelque autre chose qui lui ait appartenu, de m’en faire part pour moi et pour mes chers amis2. Ils nec seront guère moins touchés que nous le sommes de sa mort. Les ennemis de l’Église en triompheront, mais les serviteurs du petit Maîtred, en quelque lieu de la terre qu’ils puissent être répandus, prendront part à notre douleur. Je vous prie de témoigner aussi à Mr l’abbé de Beaumont et à Mr l’abbé votre frère la part que je prends à leur pertee.

J’ai de la consolation d’apprendre que vous avez un frère qui veut appartenir au petit Maîtred: aidez-lef en tout ce que vous pourrez sans avoir égard à vous-même, puisqu’il n’a que vous et qu’il a entière confiance en vous. En vous abandonnant à Dieu, Il vous donnera pour lui tout ce qui est nécessaire. Ne doutez point de ma tendresse, mon cher enfant, et de la disposition où je suis (si Dieu me laisse encore en vie après de si grands coups) de vous rendre tous les services que Dieu voudra que je vous rende selon Ses desseins éternels sur votre âme. Je vous embrasse, mon cher enfant, de tout mon cœurg. M. S. prend toute la part possible à l’affliction qui nous est commune à tous, et il vous embrasse tendrement.

Ce 11 de janvier.

M [on] très c [her] frère, je sens votre douleur depuis que j’ai su la maladie. J’attendais avec crainte la mort. Mon âme crie après lui abba pater3 : c’est toute mon essence qui le crie, il m’entend, il m’écoute, il est dans le sein du petit Maître, il n’est plus à plaindre, c’est nous, c’est vous, mais le petit Maître aura soin de vous. Je vous embrasse avec toute la tendresse et respect imaginable. M. F [orbes] fait de même. Je m’unis souvent comme le jeune Elizée quand Elie fut enlevé. Pater mi, pater mi, cursus Israel et auriga ejus4.

- A.A.-S., pièce 7532, autographe —A.S.-S., ms 2176, pièce 7417 p. 139 « Autre du 11 janvier 1715 la première après la mort du cher père » —Dutoit, t. IV, Lettre 11, p. 29-30 —Griselle, Revue Fénelon 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience », 1910, p. 119-120, pièce VII.

acher ** D.

bde ** D.

cchers (Trans recouvert d’une autre main) amis Ils ne pièce 7532 ; béatitude. N.N. ne D omission.

ddu Seigneur D.

ephrase omise par D.

fque vous avez… au petit Maître : lourdement barré sur la pièce 7532.

gfin de D.

1 Titre ajouté par D, qui renforce l’opinion de Griselle, v. note suivante.

2 « Il y a eu hésitation ici dans l’expression. Il avait d’abord “mes chers Trans” [v. la variante c]. Ce dernier mot a été rayé et remplacé par “amis”, terme moins spécial. Si l’on rapproche de ce détail une autre dénomination, celle de l’abbé de Beaumont, qui, ici, n’est plus appelé “Panta” ; si l’on prend garde au ton de la lettre, assez tenu et littéraire ; si l’on remarque l’absence d’allusion trop précise aux doctrines semi-quiétistes, ne peut-on pas conclure que cette lettre était destinée à être montrée, sans doute aux parents du défunt ? » (note de Griselle).

3 Marc 14, 36 : le cri (Heb. 5, 7) de Jésus à Gethsémani.

4IV Rois, 2, 12 : « Mon père, mon père, char et cavalerie d’Israël » (c’est-à-dire : toi qui est la vraie force d’Israël). Il est dit, IV Rois, 2, 15 : « … L’esprit d’Elie s’est reposé sur Elisée ; et venant au-devant de lui ; ils se prosternèrent à ses pieds avec un profond respect. »

Au marquis de Fénelon. 1715.

Si le discours sur le renoncement de soi-même n’est pas le même que celui que vous avez qui a pour titre « Le détachement de soi-même », on vous prie de vouloir bien nous envoyer les premières cinq ou six lignes du commencement et quelques lignes de la fin1.

Ayez la bonté de nous marquer aussi à quelle page du livre imprimé finit le manuscrit qui commence Il ne faut pas s’étonner que les hommes

Je me souviens que vous m’aviez promis, il y a quelques mois, un Térence qui avait été à notre père. Je serais ravi de l’avoir. Nous avons déjà renvoyé le dernier paquet que vous nous aviez envoyé : c’est Sir Isaac [Dupuy] qui l’a et qui doit vous le faire tenir sûrement.

M F [orbes] croit que l’épitaphe que je vous ai envoyée pour mettre sur la tombe avait trois lignes de trop, nous sommes convenus d’en retrancher deux qui lui parurent superflues et pour la troisième Arescunt jamassi flores et unde je vous laisse en pleine liberté de la mettre ou non, mais cette ligne me parut nécessaire pour expliquer la science de notre père. Voici la seconde édition de cet épigramme :

Heu ! Tanti sola superstes viri

Mortua sed non muta cinis.

Arescunt Parnassi flores et unde

Obiit

Immeritus mori.

Vita, doctrina, labore

Intaminatus Christi discipulus

Observantissimus Ecclesiae filius

Ignitum episcopatus lumen

Verba desunt

Audi viator

Quid tibi loquitur silentium2.

[Ajout de Ramsay :]

Les autres deux lignes flamecit Gallice decus, etc. ne lui parurent pas nécessaires parce que ce qui suit les renferme.

Notre mère vous écrit elle-même : ainsi c’est inutile que je vous dise rien de sa part. M. F [orbes] salue avec vénération Mr l’abbé de B [eaumont]. Souffrez que je l’assure ici de mes profonds respects. Permettez-moi de vous embrasser dans le cœur de celui qui unit les petits et les grands.

– A.A.-S., pièce 7449, « À monsieur Le Marquis de fenelon/à l’hôtel de Mortemart. »

1 Œuvres de Messire François de Salignac de La Mothe-Fénelon…, À Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718, Premier vol., « Première partie, Divers sentimens chrétiens… », « IX Sur le renoncement à soi-même » p. 59-71 & « X Du détachement de soi-même » p. 71-78. Sur les ms. et les éditions des Œuvres spirituelles v. Fénelon, Œuvres I, Bibl. de la Pléiade, notice p. 1415 : « En 1713 paraissaient anonymement les Sentiments de piété, réédités en 1715 avec la caution de Fénelon. »

2 Epitaphe qui évoque une pièce composée en vers rhopaliques, (dont un exemple célèbre est le chant du pressoir dans le Ve et dernier livre de Rabelais), que l’on peut rendre ainsi :

Hélas ! De ce si grand homme seul subsiste

La cendre morte mais non muette.

Les fleurs et les fontaines du Parnasse sont desséchées

Il est mort

Lui qui n’eût pas dû mourir

Par sa vie, par sa doctrine, par son travail

Disciple intActesdu Christ

Fils très respectueux de l’Eglise

Lumière enflammée de l’épiscopat.

Les mots manquent.

Ecoute, passant,

Ce que te dis le silence.

Au marquis de Fénelon. 20 janvier 1715.

Sur les écrits de Fénelon.

Il faut que je me sois mal expliquée, mon cher e [nfant], car j’ai fort bien compris l’avantage qu’il y aurait que les écrits de notre père fussent imprimés dans le lieu où vous dites1. J’ai seulement voulu qu’ils fussent imprimés tels qu’ils sont et qu’on ne fît point à ceux-là ce qu’on a fait aux autres : les ennemis de notre père sont plus puissants que jamais, et ne sera-t-on point charmé, quoiqu’il soit extraordinairement précautionné, de flétrir encore sa mémoire, c’est ce que je voulais vous faire comprendre. Vous pouvez cependant sur cela prendre précautions avec le libraire et voir entre vos amis, ceux qui sont le plus capables de comprendre ces choses, ce qu’ils en pensent car je ne trouve point en moi de décision là-dessus. Pour les lettres je les garderai et je m’en charge. Je n’entends rien aux écrits latins, mais R [amsay] les a mis en bonnes mains qui les trouvent admirables. Il ne paraît aucun inconvénient pour ceux qui sont ici. Peut-être suis-je sur cela un peu trop partisan : sitôt que vous vous serez déterminé et accommodé avec le libraire, je vous les renverrai. Otez-vous de l’esprit que je vous ai écrit dans une autre disposition que celle qui regardait le bien de la chose et pour vous porter à faire toutes vos réflexions : vous n’ignorez pas combien la mémoire de l’auteur m’est chère.

Pour l’autre affaire dont vous me parlez, je persiste à croire qu’on peut y mettre de plus mauvais sujets. Pourvu qu’il soit exactes et vigilant, il reviendra facilement à sa première éducation et se défera des sentiments qu’il n’avait pris que par intérêt. Il serait à souhaiter que l’intérêt n’entrât point dans ces sortes de choses, mais hélas où en trouver qui pense autrement ? Je crois qu’il serait plus aisé de trouver à présent des raisins dans les vignes que des gens qui agissent par un autre motif. Il n’est pas question à présent de chercher le meilleur mais le moins mauvais. Je prie Dieu qu’il fasse tout recueillir pour Sa gloire et pour le bien des uns et des autres, et qu’Il lui donne un esprit courageux et le tire d’une certaine mollesse que notre père a toujours appréhendée pour lui, car ordinairement les gens mols sont plus entêtés que les autres. Je vous embrasse, mon cher e [nfant], et le papa en fait autant.

Ce 20.

– A.A.-S., pièce 7494, copie.

1 Les Oeuvres spirituelles de Messire François de Salignac de La Mothe-Fénelon, Archevêque-duc de Cambrai, prince du S. Empire, paraîtront à Anvers, « chez Henri de la Meule », en 1718, en deux volumes, dont le second de lettres.

Au marquis de Fénelon. 9 février 1715.

Je vous suis tout à fait obligée, mon cher boiteuxa, du compte que vous avez bien voulu me rendre de ce qui est arrivé à la mort de notre pèreb. Ce récit m’a fait un plaisir douloureux. Je ferai un grand cas du reliquaire et du petit manteau [....] c. Il me semble que si je venais à mourir, il me porterait bénédiction. Ne pourrais-je point avoir un portrait ? [....] [143] [.…]

Pourd ce qui vous regarde, il ne faut pas vous mettre en peine de tant de pensées involontaires, qui viennent dans le bien comme dans le mal. Ce n’est pas qu’on ait une vraie volonté de paraître bon aux yeux des hommes, mais c’est que l’amour propre, ainsi qu’un serpent, se glisse partout : il faut toujours qu’il lève la tête de quelque manière que ce soit.

Le petit mot que vous m’avez mandé que notre père nee cherchait point à faire parade d’une belle mort m’a fait grand plaisir. J’ai bien compris qu’il serait simple, uni, recueilli en soi-même dans cet instant. C’est là où il faut faire usage de la mort qu’on a pratiquée pendant sa vie. Celui qui est véritablement mort ne songe pas à se faire briller aux yeux des hommes. Il remplit seulement une mort chrétienne, du reste il demeure seul à seul avec Dieu et il lui suffit non seulement que Dieu voit sa mort mais que Dieu l’opère. Ce cher père nef sortira jamais de mon cœur. Je crois que son souvenir vous sera fort utile et que vous le trouverez dans vos besoins. Je vous conjure de rassembler le plus que vous pourrez de ses lettres et de ses écrits [....] [144] qui regardent l’intérieur [.…]1

Il ne faut pas être pour soi-même, mais il faut tâcher que ce que nous avons de bon se communique à ceux qui désirent d’en profiter : c’est ce que je vous recommande sur toutes choses, mon cher enfant. Croyezg que vous m’êtes doublement cher présentement, tant à cause de vous que de celui qui s’est éloigné de nous pour retourner dans son principe. Si nous pouvions désirer quelque chose, ce serait de l’y aller joindre. Pour moi il me semble que je n’ai plus rien à faire sur terre. [.…]

– A.S.-S., ms 2176, pièce 7417, f° 142 Dutoit, t. IV, Lettre 12, p. 31-32.

aBoiteux omis par D, remplaçé par **.

bde ** D.

cdu reliquaire, etc. D : du reliquaire et du petit manteau [….] l’omission du ms. est indiquée par des points de suspension multiples que nous reproduisons entre crochets.

dCe paragraphe de D est absent du ms.

eque N ne D.

fN ne D.

gbesoins. Mon cher E., croyez D omission.

1 Ce qui sera fait par le marquis de Fénelon, éditeur des Œuvres Spirituelles de Fénelon en 1738 et 1740, qui reprend et complète l’édition de 1718. Sur les éditions des Œuvres spirituelles de Fénelon, v. Fénelon, Œuvres, Bibl. de la Pléiade, I, notice, p. 1417ss.

Au marquis de Fénelon. 11 février ? 1715.

Sur un mariage.

Pour le boit [eux], ce 11 f [évrier].

Le mariage en question est une providence non recherchée, je l’accepte de tout mon cœur. Cessez non seulement les vues sur l’avenir [sic]. La multitude d’enfants ne doit nullement vous faire peur. Pour ce qui regarde la fille de notre amie, c’est une chose impraticable dans la situation où elle est. Son bien ne sera pas plus considérable. Acceptez la proposition, écrivez-en chez vous et laissez à Dieu le succès. J’ai cette confiance que si cela ne vous convient pas, le petit Maître y mettra Lui-même des obstacles. Acceptez sans réserve : on vous veut bien tel que vous êtes, cela suffit. Une personne qui veut bien être à la campagne et qui est de condition, vaut plus selon moi qu’un million d’ailleurs. Acceptez, vous dis-je, et ne craignez pas que le petit Maître vous laisse égarer : nul choix n’égale celui de la Providence. J’ai passé une assez mauvaise nuit à parler selon l’homme. Je vous embrasse bien tendrement dans mon petit Maître. Il a permis sans doute que vous fussiez à Paris afin qu’on vous fît cette proposition. Acceptez : si ce n’est pas du petit Maître, tout s’en ira en fumée. Si vous voyez Put [Dupuy], dites-lui que j’ai reçu sa lettre et que je l’aime bien. S’il prenait un grain de cardamone, il n’aurait plus de toux : c’est le plus excellent et court remède.

– A.A.-S., pièce 7498, autographe, cachet, « par monsieur DuPuy, rue de l’université faubourg saint Germain à Paris » 

Au marquis de Fénelon. 18 février 1715.

« … vous accoutumer à plus de silence… »

Ce 18 février

au cher boit [eux]

Vous ferez bien, mon cher m [arquis], de parler aux ducs qui s’intéressent pour vous. Vous pouviez borner là, votre secret étant absolument inutile à tous les autres. Présentement qu’il n’est plus un secret, donnez-vous bien de garde de faire imprimer le Te… [illis.] : j’en mande les raisons à Put [Dupuy]. Je ne saurais approuver ce que vous avez fait à l’égard de la Col.1, quoique je sois bien persuadée de sa bonne volonté et que si elle dit quelque chose, ce sera par hasard. Mais vousa êtes trop plein de saillies et vous sortez trop au-dehors. L’usage que vous devez faire de la vue et de la connaissance des bonnes âmes est de vous recueillir au-dedans, pour tâcher de participer à leurs grâces, et non pas de vous épancher au-dehors. Votre intérieur n’ayant pas encore une certaine consistance, c’est vous répandre comme l’eau.

Je vous prie donc de vous accoutumer à plus de silence et de recueillement, ce qui n’est point contraire à la simplicité, car la simplicité qui nous évapore au-dehors change de nature et devient imprudence. C’est pourquoi le même Sauveur qui nous a dit : Soyez simples comme des colombes2, nous dit aussi : Soyez prudents comme des serpents. Il faut être extrêmement simple à l’égard de ceux que Dieu nous a donnés et auxquels nous devons nous ouvrir, mais plus circonspects à l’égard des autres.

– A.A.-S., pièce 7527, copie — Dutoit, t. IV, Lettre 13, p. 32-33.

aIci commence D, qui omet donc le début de cette lettre : « vous ferez bien… mais ».

1La Colombe : Mme de Mortemart.

2Matt. 10, 16.

Au marquis de Fénelon. 16 mars 1715.

Pour le boiteux.

N’hésitez pas un moment, m [on] c [her] enfant, de faire tout ce que vous pourrez pour gagner M. l’Abbé de Chanti de démettre son canonicat en faveur de M. l’Abbé de S.1 votre frère. Il est juste et plus juste que les amis de notre père profitent des biens de l’Église que mille autres qui ne l’ont pas si bien servie. Ne manquez pas donc de faire tout votre possible de lui obtenir ce bénéfice. Comme mon petit-fils vient d’entrer tout à l’heure, il faut que les chers Trans soient prisonniers jusqu’à demain, de sorte que je ne saurais plus dicter rien pour vous2.

Je dois vous dire seulement qu’il y a une grande différence entre s’épancher trop sur ce qu’il faut faire ou sur ce qu’il n’est pas nécessaire de dire, et se réserver quand il faut parler et demander conseil. Je vous en ai dit un mot dans une lettre que vous avez dû recevoir déjà. Demandez à Dieu qu’Il vous donne la sagesse de Son esprit avec la simplicité qu’Il vous a accordée, et alors vous garderez en tout le juste milieu sans aller aux extrêmes. Comme la vraie simplicité nous enseigne à retrancher toutes paroles, toute action, toute réflexion superflue, de même la vraie prudence nous enseigne à ne parler, à n’agir que quand il faut, dans le moment qu’il faut, et dans une dépendance et une attention à l’Esprit de grâce. À proportion que vous vous livrerez à cet Esprit de grâce, vous deviendrez simple et sage, simple sans détours et sans multiplicité, sage sans prévoyance humaine et réflexions inquiètes.

Vous m’êtes infiniment cher. Je garderai soigneusement la relique. Je la porterai sur mon cœur. Je donnerai ordre qu’on vous le rende à ma mort. Ayez soin de m’envoyer tout ce que vous pouvez trouver des écrits de notre père. Les Transa vous aiment tendrement et vous sont fort unis. Mille amitiés de ma part à Panta. Embrassez-le pour moib.

Ce 16 de mars.

– A.A.-S., pièce 7452, copie sous dictée, cachet enfant bras ouverts — §2 et suivant : Dutoit, t. IV, Lettre 14, p. 34-35.

ainquiètes. Les *** D omission.

bD omet « Mille… moi. »

1 Non identifié.

2 Précaution nécessaire, compte tenu de la surveilla nce policière à laquelle Madame Guyon reste soumise.

Au marquis de Fénelon. Après le 16 mars 1715.

Mon cher b [oiteux].

Je ne vous ai [per] mis de vous donner la discipline jusqu’à Pâques, que les vendredis, que pour vous en ôter le goût et l’occupation. Ce n’est pas votre corps qu’il faut tuer mais l’esprit. Ne vous faites plus donner la discipline par R [amsay]. Le démon se servirait de cela pour vous tendre des pièges. Laissez votre corps en paix, mais travaillez infatigablement à détruire l’esprit, car c’est ce que Dieu abhorre. Si vous venez vous serez le bienvenu. Bon courage ! la perfection n’est pas [.…]a d’un jour. Bonjour, mon cher enfant.

– A.A.-S., pièce 7453, autographe, cachet buste, « Le boiteux ».

adéchirure.

Au marquis de Fénelon. Après le 17 mars 1715.

Pour le boit [eux].

J’ai enfin la valise, mon cher enfant. Je vous conterai tout ce qu’il m’a fallu faire. Elle était déjà embarquée avec le reste du bagage et j’avais été la prendre au bateau. Ne parlez point avec votre frère que vous sachiez cette circonstance ; mais s’il vous mande que je l’ai voulu avoir, mandez-lui que vous m’êtes obligé et qu’elle sera plus sûrement chez moi qu’à l’hôtellerie. Ignorez qu’elle était partie avec le bagage. Comme vous m’aviez mandé qu’il vous était capital qu’elle ne fût pas chez vous avant vous, j’ai suivi mon cœur plutôt que la sagesse des sages. Elle est enfermée sous lacet dans mon cabinet, car si M. votre frère avait eu dessein de la laisser dans l’hôtellerie et qu’il eût pris un billet, qu’on avait mis la malle entre leurs mains, qui est-ce qui aurait empêché qu’on ne l’ouvrît et qu’on prît dedans ce qu’on aurait voulu ? On aurait assuré que la malle était comme on l’avait donnée. À qui s’en prendre ? Mais elle était embarquée pour aller plus loin. Je prie Dieu qu’Il donne une bonne et prompte fin à vos affaires et que j’aie bientôt la joie de vous embrasser. Ce que j’ai vu des m [essieur] s vos frères [montre qu’ils] sont bien loin de la simplicité. Adieu, mon enfant.

– A.A.-S., pièce 7454, autographe.

Au marquis de Fénelon. 22 mars 1715.

Se relever après les chutes.

Ce 22 marsa

Il y a déjà huit jours passés, mon cher boiteux, que j’ai envoyé à la p [etite] d [uchesse] 1 une bague avec deux lettres pour madame et mademoiselle de Risbour. Je ne sais pas si elles ont été égarées car je n’en ai point de nouvelles. Je les avais fait donner au maître de la poste ici qui promit de les faire tenir sûrement à Paris.

Je voisb bien, mon cher enfant, par votre dernière lettre que vous m’écrivîtes en quittant Paris, que votre âme était alors dans le trouble. Ces sortes de mésaises, qui viennent ou de la dissipation ou de la mélancolie, font que nous nous plaignons sans savoir bien où est notre mal. Je ne peuxc donc vous rien dire pour vous remettre, sinon de vous tenir en repos auprès de Dieu. Exposez-vous auprès de Lui comme un pauvre mendiant boiteux. Le silence et la solitude guériront votre âme fatiguée par le commerce des créatures. Ne vous découragez point, ne croyez point que les forces vous manquent : c’est plutôt le courage. Quand Dieu nous ôte les forces, Il nous porte Lui-même, mais quand l’amour propre nous les ôte, nousd nous laissons engourdir sans avancer. Notre âme au lieu de se relever après ses chutes se laisse abattre par une vue et un esprit propriétaire de nos misères.

Ne vous laissez donc point abattre, ranimez-vous, recourez à notre cher père, regardez-le par la foi qui vous tend la main pour vous relever. Il est plus proche de vous que quand il était sur terre : il connaît vos besoins, vos faiblesses, vos misères. Il y compatit. Ses secours seront d’autant plus efficaces qu’ils ne sont plus les objets de vos sens et de votre imagination. Il ne parle plus à vos oreilles, mais étant dans le sein du petit Maître, son action sur votre âme sera beaucoup plus intime, pure, vitale ; il participe mêmee de la force de la Divinité. Regardez-le donc avec un œil de foi et dites-lui au fond de votre cœur : « Mon cher père, intercédez pour moi, venez, venez à mon secours, jef veux vous suivre mais je ne peux pas ». Puis taisez-vous, reposez-vous sur son sein, enfoncez-vous-y : il vous introduira un jour dans celui du petit Maître. Ayez la foi seulement, et toutes ces montagnes qui vous accablent, qui vous séparent du petit Maître, qui vous épouvantent, seront transportées et jetées dans la mer. Ô, mon cher enfant, si vous saviez ce que c’est que de supporter vos misères en vous haïssant vous-même, que vous trouveriez de paix au milieu de toutes vos faiblesses ! Je vous conjure donc de ne vous point décourager, vous ne pourriez jamais vous corriger par votre chagrin. L’œuvre de Dieu ne s’accomplit point par notre colère et nos dépits contre nous-mêmes, mais par une humble persévérance.

Quand je vous ai dit de ne vous point épancher trop au-dehors, je voulais dire seulement qu’il ne fallait point vous ouvrir indifféremment à tout le monde. Il ne faut pas que mes conseils vous gênent, vous entortillent, et vous multiplient. Mais à proportion queg l’Esprit de grâce aura pris le dessus du vôtre, vous comprendrez ce que j’ai voulu dire. Il n’y a rien pour vous présentement que le repos, le silence, la paix, le recueillement : ils vous remettront dans votre place.

Je vous embrasse, mon cher enfant, je vous porte dans mon cœur comme une mère tendre porte son petit dans son sein. Ecoutez votre mère, nourrissez-vous de ce qu’elle vous donne, à la plus grande distance des lieuxh. Ouvrez-vous à Panta puisque vous n’y avez nulle répugnance. Je crois que vous y trouverez plus de satisfaction qu’en tout autrei

J’étais fâché contre vous, mon cher et très honoré frère, de ce que vous ne m’avez pas envoyé la bague avec les cheveux de notre père et notre mère plutôt qu’à Babet ? Notre mère me le donne et m [on] frère donnera à cette bonne fille une jolie bague qu’il a en votre nomj. Il ne convient nullement de lui donner un tel présent. Mon amour propre a souffert un peu de cet oubli que vous aviez de moi, maisk c’est un amour propre légitime et que notre mère même approuve. Il n’est donc pas si dangereux qu’un autre et j’espère que vous ne le condamnerez point si je me saisis ainsi de vos biens et en dispose à mon gré. Rien n’est plus sincère, rien n’est plus tendre, rien n’est plus respectueux que mon attachement pour mon cher marquis. M. vous embrasse tendrement et vous prie qu’il n’y ait jamais aucune ombre de compliments entre vous. Il se compte trop heureux si vous voulez bien le regarder comme votre frère. Je vous envoie deux billets du sang de notre mère pour madame et mademoiselle de Risb [our] et, si j’osais, je leur ferais mille compliments respectueux. Dieu sait combien je me réjouis de leur situation. Mais je n’ose pas les appeler nos sœursm jusqu’à ce que nous soyons ensemble dans le sein du petit Maître. Ô qu’il y a loin d’ici jusque-là, c’est un grand chemin ! Il faut longtemps avant d’y aller, et perdre toute forme propre avant d’y parvenir. Mille sincères et respectueux compliments à Panta et M. l’abbé de Fénelon.

- A.S.-S., pièce 7456, dictée, de l’écriture de Ramsay, adressée « au milor [sic] boiteux », folio plié en 2 de 0,33 m x 0,225 m. Cachet de cire rouge ovale 0,016 x 0,014 représentant l’enfant Jésus emmaillotté les bras libres, debout sur des nuages et environné de rayons. Autour de lui la légende : Verbum Caro Factum. - A.S.-S., ms 2176, pièce 7417, p. 146 (lettre no. 16) —§2 et suivants : Dutoit, t. IV, Lettre 15, p. 35-38 —Revue Fénelon, 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », 1910, p. 120-122.

apièce 7456 seule : le premier paragraphe et la fin sont de Ramsay et ne sont donc pas repris par Dutoit. Rappelons que nous leur attribuons un corps plus petit.

bDébut de D et de la lettre de Madame Guyon.

cpuis 7417.

dnous les ôte omis dans l’autographe, ajout 7417.

eet participée même 7417.

fvenez, je 7417.

gà mesure que 7417.

hfin de D.

imême feuillet, à l’envers, absent de 7417.

ja (envotre nom add. interl.).

k (d’un mots illisibles raturés) (de moi add. interl.).

lgré. (une ligne raturée illisible) Rien.

mje (une demi-ligne raturée illisible) (n’ose .. sœurs add. interl.).

1 La duchesse de Mortemart, à laquelle Ramsay envoie ces bagues.

Au marquis de Fénelon. Après le 26 mars 1715.

« Prenez courage… »

J’ai reçu, mon cher enfant, votre lettre du 26 mars avec plaisir : malgré tous les défauts dont vous me parlez, je ne laisse pas d’y découvrir beaucoup de grâce dont vous devez être redevable à Dieu. Il ne faut point vous décourager pour vos faiblesses, mais au contraire vous abandonner davantage à Dieu. Vous l’oubliez trop et c’est la source de vos défauts, mais prenez courage. Vous ne pouvez avoir une meilleure compagnie que celle de madame La Voisine1. Si vous vous y dissipez, vous vous dissiperiez bien davantage ailleurs.

Je suis ravie que vous vous ouvriez à Panta. C’est le mieux que vous puissiez faire dans le lieu où vous êtes et j’espère que votre simplicité lui servira et l’accoutumera à devenir simple. Je le salue avec respect et je désire de tout mon cœur pour lui ce que mon cher père lui a désiré. Il faut espérer que les prières feront plus que toutes les paroles.

Je ne comprends point où est le paquet en question car si vous l’aviez auprès de vous, il aurait été facile à La Voisine de le garder à sa campagne [et] a sortir par madame sa sœur comme on me l’avait mandéb. Il faut tout abandonner à Dieu et ne rien précipiter.

Prenez courage et tâchez de vaincre votre lenteur et votre amusement, car quand on s’y est une fois habitué, on a toutes les peines du monde à se vaincre là-dessus. J’ai connu des personnes, fort parfaites d’ailleurs, qui, à force de s’être accoutumées à une certaine indolence, croyaient courir la poste lorsqu’elles ne faisaient que marcher dans leur chambre. J’espère beaucoup de votre âme si vous êtes fidèle à Dieu. Quittez-vous vous-même et vous trouverez tout. Ne songez à plaire qu’à Dieu seul et non aux créatures, et pensez encore moins à vous satisfaire vous-même. Croyez-moi toute à vous dans notre cher petitc Maître.

La santé de notre mère, mon très cher et très honoré frère, est beaucoup meilleure. J’ai cru vous l’avoir mandé. Vous aurez la bonté de croire que, quand cette chère santé est aucunement en danger, que vous serez entre les premiers à qui je le manderai, et quand je ne vous en dis rien, c’est une marque que tout va à l’ordinaire. Il y a environ trois semaines qu’elle n’est plus alitée. On se promène, on est gai, on écrit des chansons et fait tout pendant la journée avec une aisance qui nous fait oublier les maux passés, mais on passe souvent mal les nuits sans dormir. On mange toujours peu. Le petit Maître fera Sa volonté.

Milady Sd. ne m’a pas encore envoyé la bague pour Babet, mais elle me mande qu’elle doit l’envoyer bientôt. Comme elle m’en envoie aussi une pour moi, j’aurai soin de donner à babé celle que vous lui destiniez. M. F [orbes] vous salue avec tendresse et respect. Vous ne douterez jamais de mon attachement respectueux.

– A.S.-S., pièce 7531, dictée, de la main de Ramsay - A.S.-S., pièce 7417, p. 151§ 1, 2 & 4 : Dutoit, t. IV, Lettre 17, p.40-41.

aLecture incertaine. La campagne peut désigner une demeure en province.

bPhrase absente de la copie pièce 7417.

ccher de divin petit D addition.

dLecture incertaine.

1 Non identifiée.

Au marquis de Fénelon. 30 avril 1715.

« La source de tous vos défauts vient de votre indolence, de votre paresse… » Tenir l’oraison.

J’ai lu moi-même votre lettre tout entière, personne ne l’a vue que moi, mon cher enfant. J’espère d’y répondre de manière que vous ne pourrez en avoir de peine. Il m’a pris hier une fluxion sur l’œil qui m’empêche de vous écrire moi-mêmea.

Je vous dirai d’abord que la source de tous vos défauts vient de votre indolence, de votre paresse, et de vos amusements inutiles qui, prenant presque tout votre temps, vous empêchent et de remplir vos obligations envers Dieu et de finir vos affaires. Outre qu’il est de grande conséquence d’aller toujours contre son naturel, en sorte que celui qui est trop vif doit laisser tomber sa vivacité avant que d’entreprendre quelque chose, et celui qui est paresseux doit au contraire s’évertuer pour vaincre sa paresse, il ne faut pas se laisser aller aux amusements. Et si vous étiez bien fidèle à Dieu, Il vous ferait sentir, lorsque vous auriez donné un temps suffisant à vos visites, qu’il faudrait se retirer. L’amusement et l’indolence accoutument à une certaine mollesse qui est un grand obstacle à l’esprit de Jésus-Christ et d’autant plus dangereux que l’âge, qui diminue la vivacité, augmente au contraire l’indolence et la paresse.

Travaillez donc courageusement à détruire votre naturel. Levez-vous le matin quand vous êtes éveillé et qu’il est heure de vous lever sans rester dans votre lit plus longtemps. Ces sortes de naturels ont besoin de se faire à tout moment violence. Après que vous aurez prié Dieu, faites sans y manquer, avec le plus de diligence que vous pourrez, vos petites affaires, sans les laisser accumuler en les remettant au lendemain, car la paresse d’aujourd’hui ne vous donnera pas plus de vigilance et d’activité pour le lendemain. Au contraire elle vous entretiendra dans une certaine mollesse qui vous rendra ce que vous avez à faire le lendemain plus difficile et plus ennuyeux. [f° 1v°] Vous êtes vif où il ne faut pas l’être et vous ne l’êtes pas où il faut.

Craignez surtout le découragement de différer l’oraison, de la quitter même, sous prétexte que vous n’y êtes pas recueilli comme vous le voudriez. Comment voulez-vous être recueilli après de si grandes dissipations ? Si vous voulez que vos pensées ne viennent pas en foule vous inquiéter dans la prière, ne leur donnez pas la liberté d’entrer en foule pendant le jour, et de faire dans votre tête autant de séjour qu’il leur plaît. Accoutumez-vous à leur fermer la porte pendant le jour lorsqu’elles veulent entrer, c’est-à-dire laissez-les tomber dès qu’elles se présentent, ne les entretenez pas volontairement et tournez-vous du côté de Dieu.

Plus vous aurez de peine à le faire dans ce temps-là et plus vous devez vous faire violence pour vous retourner vers Dieu, car il n’est pas difficile, lorsque Dieu nous attire d’une manière sensible, de Le suivre. Dieu nous montre alors Sa fidélité, mais nous ne Lui donnons des témoignages de la nôtre qu’en faisant violence à notre naturel pour Le chercher de tout notre cœur. Il faut Le chercher jusqu’à ce que nous L’ayons trouvé, frapper jusqu’à ce qu’Il nous ouvre, demander jusqu’à ce qu’Il nous ait accordé Sa divine présence, qui est la seule chose qui puisse remédier à tout ce qui nous arrive.

Il faut au commencement se faire beaucoup de violence, mais dans la suite cela devient aisé et comme naturel. Nous n’acquérons jamais rien qu’il ne nous en coûte quelque chose. C’est présentement le temps de labourer votre terre. Il faut que le soc de la charrue, c’est-à-dire la violence, ouvre votre cœur ; mais, après que le divin Maître y aura mis la semence, il n’y aura plus pour vous qu’à la laisser croître et fructifier. Prenez donc courage car Dieu vous ayant appelé à Sa milice, ce serait une chose bien honteuse à vous si vous retourniez en arrière et si vous refusiez le combat. J’espère que ce sera tout le contraire et votre âme étant fidèle, vous serez un des vaillants soldats de Jésus-Christb.

Que votre ami ne se donne point la discipline puisqu’elle lui fait les effets que vous me marquez. Dites-lui, je vous en prie, puisqu’il a eu assez de simplicité pour vous le dire : il doit éviter tout ce qui peut éveiller ces sentiments. Je vous prie de dire à mademoiselle de R [isbour] qu’on écrit pour elle quelque chose qu’on lui enverra par la première commodité. Assurez Panta, je vous prie, que je ne l’oublie point devant Dieu et que je m’intéresse fort à tout ce qui le regarde, que je souhaite qu’il soit à Dieu dans toute l’étendue de Ses desseins, que je me recommande à ses prières et à ses saints sacrifices.

Je vous prie de dire à La Voisine que je salue de tout mon cœur, qu’il y a déjà du temps que j’ai renvoyé ses lettres et celles de la Sol [itaire] afin de les leur faire tenir. On a fait le plus de diligence qu’on a pu, persuadé qu’on était que l’on avait besoin de ce trésor1. Permettez-moi de saluer aussi ici la Solitaire pour qui j’ai toujours les mêmes sentiments [....] c respect. Nous n’entendons plus parler du tré [sor] d. Nous l’attendons en patience. Je vous embrasse, mon cher enfant, ete j’espère beaucoup de votre âme si vous êtes fidèle. Adieu. Je prie Jésus-Christ de vous donner cette paix qu’Il donna à Ses apôtres après Sa résurrectionf.

Mes enfants vous saluentg avec respects et tendresse.

Ce 30 d’avril.

Mandez-moi si l’on a mis l’épitaphe encore. Il y a [à] ajouter quelque chose qu’on pourrait mettre s’il n’est pas trop tard.

– A.A.-S., pièce 7448, sous dictée, de la main de Ramsay, adressée « Au Cher Boiteux », avec cachet à l’enfant mains ouvertes — A.A.-S., pièce 7417, p. 153 « le boiteux, l. 20 » — Dutoit, t. IV, Lettre 18, p. 42-46.

a phrase omise pièce 7417 – D débute au paragraphe suivant.

bD interrompu.

cdéchirure.

dLecture incertaine.

ereprise de la pièce 7417 et de D.

ffin de D.

gsaluent. fin de la pièce 7417.

1 Le sens demeure obscur.

Au marquis de Fénelon. 20 mai 1715.

Conseils de direction.

J’ai reçu deux de vos lettres à la fois, mon cher e [nfant]. Je vous dirai que vous ne vous inquiétiez point de tout ce qui se passe en vous sans vous et que vous ne vous en occupiez pas : l’occupationa vous ferait plus de mal que la chose même. Laissez aussi tomber toutes les pensées de vanité. Pourvu que vous ne disiez rien exprès pour l’entretenir ni pour satisfaire un certain orgueil secret, cela ne doit servir qu’à vous humilier, car rien n’est si honteux que d’agir par cet esprit, ce qui ne sert qu’à attirer le mépris de ceux qui s’en aperçoivent, et [ce] qui doit nous donner plus de confusion à nous-mêmes que des choses qui paraissent plus honteuses. Le remède à cela est de vous occuper de Dieu le plus que vous pouvez lorsque vous êtes dans des conversations dissipantes, et de ne rien dire, volontairement et en vous en apercevant, qui flatte votre nature et votre amour propre. Si vous êtes fidèle à vous occuper de Dieu de temps en temps, Il vous fera sentir ce que vous devez faire et ce que vous pouvez dire. Quelquefois la trop grande vivacité fait passer par — dessus un certain avertissement intérieur, ce qu’il est d’une grande conséquence de ne pas faire, parce qu’on s’accoutume insensiblement à outrepasser cet instinct léger qui ne nous manque point lorsque nous sommes fidèles et qui se perd par notre infidélité. C’est pourquoi saint Paul nous exhorte à ne point éteindre l’Esprit1 parce que l’inspiration s’éteint aisément.

Plus nous sommes fidèles à Dieu, plus Il prend soin de nous. C’est une expérience qui vous sera un jour très douce : elle est possible dans le commencement. Mais si vous vous habituez à l’écouter, vous ne serez point en doute de ce que vous aurez à faire ou ne pas faire, à dire ou à faire.

Il faut commencer tout de bon, mon cher enfant, à aller contre votre naturel et à tâcher de surmonter également votre vivacité et votre lenteur. Quand vous êtes en vivacité vous vous échappez facilement ; quand vous êtes dans la paresse, vous ne pouvez en sortir. Il faut agir avec courage lorsque vous sentez votre amusement et votre lenteur, et quand votre vivacité vous entraîne, il faut vous arrêter tout court, comme on tient la bride haute et serrée au cheval qui veut s’échapper. J’espère beaucoup de votre âme si vous êtes fidèle à cette pratique et à l’oraison. Soyez sûr que la plus grande marque d’amitié que je puisse vous donner est de vous gronder, puisque vous appelez cela gronderieb. Soyez persuadé que je prends une double part en vous dans le petit Maître, tant parce que vous avez été cher à notre père que pour vous-même. Je prie Dieu qu’Il vous garde par Son infinie bonté.

Nous avons tout reçu bien conditionné et Sc vous garde votre part qui servira aussi à la bonne Voi [sine] : je vous prie de l’assurer que j’ai toute la reconnaissance possible du soin qu’elle a bien voulu prendre.

Je vous prie pour répondre à l’autre article de votre lettre, de laisser le passé pour ce qu’il est. Tout cela n’est qu’un ravaudage, tenez-vous en à ce que vous a dit notre père pour l’avenir, mais ne songez non plus au passé que s’il n’en avait jamais été question. Il ne vous convient point de réformer le genre humain ni de changer un usage établi depuis longtemps, non seulement chez vous mais chez les autres. La vue que vous avez pour soulager des officiers de mérite est très bonne et quand vous n’agirez que par ce principe, vous n’en devez avoir aucun scrupule, bien au contraire. Je vous défends, mon cher enfant, d’être honteux de m’avoir fait un si long détail, écrivez-moi avec liberté et franchise. J’avais lu moi-même la lettre dont vous me parlez et autre que moi ne l’avait lue. Je vous prie de dire à Panta que je me recommande à ses bonnes prières et que je ne l’oublie pas devant Dieu.

[Billet collé :]

Je vous prie, mon cher Put, [de] demander au boiteux que, s’il est encore temps, qu’il conserve soigneusement certains écrits que notre père avait faits sur l’intérieur, de me les faire tenir lorsqu’il le pourra : si vous aviez été là, sans doute il vous les aurait mis entre les mains. Je vous prie instamment qu’on mette une tombe sur le corps de mon cher père où son nom soit écrit. Cela m’est venu au cœur et j’espère que Dieu en tirera un jour Sa gloire.

- A.A.-S., pièce 7496, dictée, peut-être de l’écriture de « Put » (Dupuy) tandis que le billet collé reproduit à la fin de cette lettre est de l’écriture de Ramsay. - A.S.-S., pièce 7417, p. 158 (lettre 21) —Dutoit, t. III, Lettre 21, p. 93-95.

aD commence ainsi : « Ne vous inquiétez point de tout ce qui se passe en vous sans vous, et ne vous en occupez pas. L’occupation ».

bD se temine à « … gronderie. »

cLecture incertaine.

1I Thess., 5, 19.

Au marquis de Fénelon. Après la fin mai 1715.

La malle précieuse.

Vous ne devineriez jamais, mon cher b [oiteux], qu’il n’y a rien que je n’aie fait pour avoir votre malle. J’ai écrit même à M. votre frère pour le prier de me la confier : je me suis toujours dit de la connaissance de M. votre frère abbé. Ce qui m’avait fait prendre ce parti, c’est à cause des vols qui sont à présent fréquents, mais je crois que M. votre frère a entré en défiance que je ne fusse quelque escroc. Il n’a pas voulu ou pas osé me la confier. Je l’ai prié de souper ce soir, il y doit venir mais je crois qu’il laissera la malle à l’hôtellerie. Il m’a demandé si je connaissais M. Dupuy. Je lui ai dit que oui. Lorsque j’y ai envoyé [chercher], il a répondu qu’il ne savait ce que c’était que cette malle, que vous lui aviez écrit et que vous ne lui en parliez point : bref je n’ai pu l’avoir. Si vous êtes encore du temps à Paris, envoyez-moi le billet de l’[…] a et je la ferai retirer. Nos gens sages n’approuveront pas sans doute ce que j’ai fait, mais qu’importe !

Je vous prie d’achever vos affaires : vous faites bien de les poursuivre et vous auriez tort de faire autrement. M. votre frère a été voir notre évêque. Je prie le petit Maître de donner bonne issue à vos affaires. Je lui recommande encore plus celle du dedans que celle du dehors. J’ai dit à M. votre frère que je vous avais vu lorsque vous partîtes pour Barèges, que vous ne pourriez avoir de chevaux pour courir tout de suite, enfin je lui ai témoigné que tout ce qui portait son nom m’était vénérable. S’il se défie et s’il me croit un escroc, il sera du moins content de l’honnêteté que je lui ai faite. Quelle façon aussi ! Il n’y avait qu’à écrire un mot à M. votre frère, me l’adresser, mettre dessus à M. Servais et prier M. votre frère de remettre votre malle entre ses mains, mais ce qui est fait est fait. Je vous embrasse, mon cher enfant.

– A.A.-S., pièce 7500, autographe.

amot surchargé illisible.

Au marquis de Fénelon. 28 juin 1715.

Fidélité à l’oraison. « Une personne fort maigre ne sent pas d’abord le profit que lui fait la nourriture… »

Vous ne sauriez vous méprendre, mon cher enfant, en suivant les avis de Panta1 sur la sainte communion : il vous connaît bien et voit actuellement vos besoins. La sainte communion est très utile et est avec l’oraison la véritable nourriture de l’âme, quoiqu’on ne sente pas toujours un profit actuel. Elle ne laisse pas de faire insensiblement avancer l’âme et ceux qui s’en privent volontairement, le pouvant faire, sea font un grand tort. Une personne fort maigre neb sent pas d’abord le profit que lui fait la nourriture, au contraire elle s’en trouve surchargéec à cause d’une longue diète. Cependant à la suite elle aperçoit qu’elled reprend de nouvelles forces et un nouvel embonpoint. Quoique cela soit de la sorte, il ne faut rien forcer lorsque vous êtes dans des lieux où vous ne le pouvez pas si commodément.

Plus vous ferez oraison, plus vous aurez de facilité pour la faire. C’est pourquoi je vous conjure d’y être fidèle, et que votre lenteur et votre amusement ne vous empêchent pas de la faire. On se trouve souvent mieux et plus recueilli durant le jour qu’à l’oraison, cependant ce recueillement du jour est une fruit de l’oraison. Pendant que nous mangeons nous ne sentons pas notre plénitude, mais après que nous avons mangé nous nous trouvons remplis. Si nous ne mangions pas nous nous trouverions desséchés par laf suite. Le recueillement que nous avons durant leg jour vient de l’oraison actuelle, et si nous cessions l’oraison actuelle, nous perdrions insensiblement ce recueillement du jour. Il y a des personnes qui, parce qu’elles se trouvent dans des temps plus recueillis hors de l’oraison que dans l’oraison, ont cessé de la faire, ce qui a été la cause de la perteh de leur intérieur et une pure illusion.

Il y a une très bonne raison pourquoi nous sentons plus Dieu dans l’action que dans l’oraison, c’est que Dieu ne tombe point naturellement sous les sens : ce que nous sentons est quelque écoulement de grâce. Or lorsquei nous sommes à l’oraison uniquement pour y faire la volonté de Dieu, Dieu nous traite alors comme il Lui plaît, et selon qu’il nous est plus avantageux. Ce qui nous est le plus avantageux, c’est la foi nue et simple. C’est ce qui fait que Dieu ne nous donne pas toujours le sentiment de Sa présence afin que nous marchions en foi, mais il n’en est pas de même dans la journée, où nous avons des occasions de nous distraire. Dieu fait alors sentir Sa présence afin de nous rappeler au-dedans et d’empêcher une trop forte dissipation. L’oraison est comme naturelle à l’âme quand elle s’y estj habituée, comme l’œil voit sans s’apercevoir qu’il voit et sans le sentir : nous ne sentons notre œil que quand il est malade. La bonté de Dieu est si grande qu’Il Se fait plus sentir dans le besoin, à moins que nous ne commettions des péchés volontaires qui L’obligent à Se retirer. Encore quand nous en aurions commis, si nous retournons à Lui du fond de notre cœurk, Il oublie nos péchés. Il ne laisse pas de nous en punir par le sentiment des mêmes choses dont nous nous sommes servis pour L’offenserl.

Je serai très ravie de vous voir, mon cher enfant, quand l’occasion s’en présentera sans la trop forcer, car vous savez que vous m’êtes très cher en Jésus-Christ. Je vous embrassem.

Je vous prie de m’envoyer six copies du petit livre de notre père qui a pour titre [mot illis.] prières du matin et du soir avec des réflexions saintes pour tous les jours du mois1. Ne l’oubliez pas, je vous en prie. Ce livret est imprimé depuis peu.

[de Ramsay :] Souffrez, mon très cher et très honoré monsieur, que j’ajoute un petit mot en réponse à la vôtre. Ne craignez-vous pas de me rendre orgueilleux en me traitant avec tant d’amitié ? Je l’accepte pourtant avec respect et j’y réponds par un dévouement du cœur entier et sans réserve.

J’ai reçu le Traité latin, mais si vous regardez la seconde ou troisième page, vous verrez qu’il est bien incomplet et que je n’ai que les trois premières parties, car l’auteur propose d’en faire quatre. Son dessein était de représenter premièrement au Saint Père le détail de tout ce qui s’est passé entre lui et ses adversaires : voilà le sujet des trois premières parties que j’ai, mais il manque encore une quatrième partie dont le but est de donner une idée de ses sentiments indépendamment de tout ce qui s’est passé dans la dispute qui ego ipse semper superior et si annum sentiam brevissime edisseram. Je vous prie donc de vouloir bien faire chercher cette quatrième partie. Je me suis mis en tête, peut-être sans raison, que ce pourra bien être l’autre Traité latin que vous avez qui en est la suite. Ce qui me le fait croire, c’est que Sir Isaac me dit la dernière fois qu’il était ici, que dans ce traité ou papier la question était traitée et théologiquement et philosophiquement et qu’il y avait une définition de la nature de l’amour et de son essence tirée des anciens philosophes. Or cela ressemble fort à ce que vous me dîtes de ce Traité latin, mais sa longueur, sa division, la préface qui est devant me font aussi douter si ma conjecture n’est qu’une pure imagination. Un petit mot là-dessus.

Pour les autres papiers tant latins que français, notre mère vous prie de les faire copier à votre loisir et surtout de les faire bien collationner car il y a beaucoup de fautes dans le Traité latin que j’ai, du moins dans les premiers six cahiers que je viens de lire. Les métaphysicités amoureuses [sic] dont vous me parlez réveillent aussi très fort ma curiosité. Notre mère vous prie que le tout nous soit envoyé à votre loisir quand tout sera copié et collationné, car rien ne presse pour que vous hasardiez les originaux même, mais on peut dépêcher les copies autant qu’on peut. Elle nous assure que c’est la volonté du petit Maître : cela suffit pour vous animer.

Pour l’Eloge. Tout ce que j’ai voulu dire par placavit était que sa soumission et sa foi avait apaisé les troubles qu’il y avait dans l’Église, et en disant Sponsa placuit j’ai cru marquer assez qu’il n’était pas la cause de ses troubles. Mais on peut changer ce mot si l’on croit que l’Église ne puisse pas être souvent troublée. Je ne dis pas [mot illis.] pendant que l’Epoux approuve fort la doctrine pour laquelle ses enfants la troublent. Pour le mot morose, j’ai voulu dire la fortune bizarre et capricieuse, car ce mot ne signifie nullement triste et fâcheux à celui qu’elle accueille, mais qu’elle [la fortune] était elle-même bizarre, et les mots suivants : suavitate mira equabilis sustinuit, le détermine à ce sens.

- A.S.-S., pièce 1101, du fonds Fénelon, original sous dictée, de la main de Ramsay —A.S.-S., pièce 7417, p. 162 (lettre 22), copie du marquis —Dutoit, t. III, Lettre 46, p. 199-202. Ce dernier, très fidèle au contenu —tout en corrigeant le style —disposait probablement de l’original sous dictée de Ramsay. Nous donnons toutes les variantes pour ce cas, où nous disposons de trois sources : elles permettent de juger de la fidélité de la copie du marquis et de l’édition Poiret reprise par Dutoit. La pièce 1101, intéressante parce qu’elle comporte l’ajout où Ramsay justifie des expressions qu’il avait employées dans son Eloge latin « ce 28 de juin… », nous a été signalée par I. Noye.

avolontairement la pouvant faire D volontairement pouvant s’en approcher se pièce 7417.

bfort maigre ne pièce 7417.

cs’en sent trop chargée pièce 7417.

delle aperçoit dans la suite D.

el’oraison : ce recueillement du jour est néanmoins un D.

fpar la pièce 7417.

gpendant le pièce 7417.

h été la perte pièce 7417.

i grâce. Lorsque D.

j elle est pièce 7417.

k revenons à lui du fond du cœur pièce 7417.

lfin de D.

mfin de la pièce 7417.

1 Panta : l’abbé Pantaleon de Beaumont.

1 Prières du matin et du soir avec des réflexions saintes pour tous les jours du mois, Cambray, N. J. Douilliez, 1715.

Au marquis de Fénelon. 5 août 1715.

J’ai reçu hier au soir une lettre, mon cher enfant, où vous dépeignez vos dispositions avec votre ingénuité ordinaire. Comme rien ne déplaît tant à Dieu que l’amour propre et la fierté naturelle, l’estime de soi-même au-dessus des autres, lorsque nous sommes dans ces dispositions, il ne manque guère à nous faire sentir notre faiblesse. Dieu aime mille fois mieux un homme faible qu’un superbe. Si nous ne faisons pas tout le mal possible, c’est un effet de la bonté de Dieu, et nous Lui en devons toute la reconnaissance, ne nous regardant jamais que comme une source d’iniquité qui se répandrait partout si Dieu par une miséricorde infinie n’en retenait le cours. Quand Dieu vous presse de dire quelque chose, il faut le dire le plus promptement qu’on peut. C’est en quoi consiste la fidélité, car lorsque vous allongez le temps, outre qu’il ne vous vient presque plus rien à dire, c’est que vous laissez passer le moment de la grâce, qui ne veut que vous rendre simple et petit. D’ailleurs, lorsqu’on dit les choses promptement, elles sont plus difficiles à l’amour propre et par conséquent plus agréables à Dieu et plus utiles pour nous-mêmes.

Il ne faut pas vous étonner de sentiments qui vous viennent, pourvu que vous ne fassiez rien en conséquence de ces sentiments-là. Il n’est pas étonnant qu’étant homme vous sentiez que vous l’êtes, cela vous doit porter à vous tenir le plus que vous pourrez auprès de Dieu, retournant souvent au-dedans de vous afin d’empêcher la nature de s’échapper. Il ne faut point se faire une occupation de dire, mais dire les choses tout d’un coup quand il vous vient. Vous faites en cela deux fautes : l’un[e] de ne pas dire les choses tout d’un coup, qui est la bonne manière, [f° 1v°] et l’autre de vous en occuper après pour les dire, de sorte que vous manquez de fidélité à Dieu pour ne pas obéir tout d’un coup à ce qui vous pousse à dire, et vous vous faites une occupation embarrassante de ne l’avoir point dit et de le vouloir dire dans la suite. Lorsque Dieu voudra vous ôter cela, Il vous fera oublier de le dire et, quand ce sera par un simple oubli, ne vous embarrassez plus de le redire après. Comme je vous ai dit, la fidélité consiste dans le moment présent. Il serait bien plus avantageux pour vous d’être occupé de Dieu pendant la messe que de vous occuper de toutes ces choses-là, qui ne doivent point non plus vous empêcher de communier lorsqu’il n’y a point de faute notable ou volontaire. Ne vous amusez pas aux sentiments, je vous conjure, et laissez-les tomber : tout cela ne fait que grossir les images dans votre esprit et salir votre imagination. Bon courage, attendez tout de Dieu et presque rien de vous. Soyez seulement fidèle au moment présent et lorsque vous y avez manqué, ne vous en troublez point et ne vous en inquiétez point, retournant simplement auprès de Dieu en avouant votre faiblesse. Si votre recueillement n’est pas si sensible, il faut tout recevoir de la main de Dieu. Dieu vous veut une action plus simple que le grommellement : c’est pourquoi j’espère qu’Il vous l’ôtera peu à peu pour vous donner une oraison plus simple.

Jea ne voudrais pas que vous lussiez tout de suite, mais interrompez votre lecture sitôt qu’elle vous cause le moindre recueillement et la reprenez pour un temps lorsque le recueillement est passé. Je fais différence entre la lecture entremêlée de recueillement et l’oraison actuelle. Pour l’oraison actuelle, tenez-vous y auprès de Dieu, étant content de le faire comme il Lui plaît, soit qu’elle soit sèche ou fervente, car c’est la même chose pour Dieu, quoiqu’elle soit moins agréable pour vous. Demeurez exposé à Sa lumière et à Sa chaleur, Lui disant de temps en temps ce qu’il vous vient au cœur de Lui dire, n’agissant pas continuellement mais demeurant de temps en temps dans un silence qui, quoique sec, ne laisse pas de donner lieu à l’opération de Dieu, car si vous agissez toujours, Dieu n’opérera point en vous. Vous me direz : « Mais je ne sens point son opération ». L’opération de Dieu n’est pas toujours sensible, il s’en faut bien. Plus elle est sèche et plus les effets en sont avantageux. Tout ce que vous devez faire de votre part, c’est de [f° 2r°] laisser tomber les distractions et de ne les pas retenir sous quelque prétexte que ce puisse être.

[…] b Notre c [her] père1 et Pan [ta] 2 ont eu3 raison de vous dire que l’âpreté, l’aigreur et la hauteur sont des défauts sur lesquels vous devez le plus travailler. Il y a deux manières de le faire, l’une par l’oraison qui vous rendra doux et humble de cœur et comme Jésus-Christ : lorsqu’on converse avec les doux et les humbles, on devient doux et humble, au lieu qu’avec les superbes on devient superbe ; la conversation intérieure avec Jésus-Christ vous communiquera ces deux vertus. L’autre manière de vous combattre est, lorsque vous sentez votre esprit aigri et ému, de ne faire aucune correction dans ce temps-là et prendre un temps où vous serez plus tranquille pour la faire. Lorsque vous vous sentez ému d’aigreurs, retournez au-dedans de vous auprès de Jésus-Christ, afin qu’Il vous assiste et ne permet [te] pas que vous vous laissiez aller à votre naturel. Travaillez à cela avec courage, car de cela dépend presque tout le bonheur de votre vie. Si vous ne travaillez pas de bonne heure à vous corriger de ces défauts, vous en formerez une habitude que vous ne pourrez plus déraciner.

Faites le voyage dont vous parlez, et ne vous inquiétez point et ne vous amusez pas à éplucher tous vos sentiments : cela ne ferait que les augmenter et il n’y aurait jamais de fin. Soyez sûr que vous m’êtes toujours bien cher. Je vous embrasse et salue avec respect Pantac. Une petite amitié à Cal4 s’il est avec vous. Mes compliments à madame la V [icomtesse] et à Mlle de R [isbourg]. [f° 2v°]

Je n’ai presque rien à vous dire, mon très cher et très honoré Milord, sinon que j’attends les papiers5 avec grand plaisir et impatience. J’ai lu ceux que vous m’avez envoyés. Il y a plusieurs fautes : je les corrigerai. Les traités sont excellents. Notre père traite son adversaire avec une force, une délicatesse, une sublimité et une science qui passe la compréhension des lecteurs communs, mais ces traités seront un jour très utiles. M. F [orbes] vous fait mille compliments pleins de vénération et d’amitié. Pour moi vous savez mon respect. Cor unum et anima una6. Ce 5 d’août.

- A.S.-S., pièce 7458, dictée, de l’écriture de Ramsay qui ajoute le dernier paragraphe, adresse : « Pour le cher boiteux » — A.S.-S., pièce 7417, p. 166 ss. - Griselle, Revue Fénelon 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », [1910] p. 122-125, pièce IX —Dutoit, t. IV, Lettre 19, p. 46-51.

aPièce 7458. Sinon copie du marquis, pièce 7417, p. 166 ss.

bPoints de suspension dans le ms.

cIci finit Dutoit.

1 Fénelon.

2 Pan [taleon] de Beaumont.

3 En 1716, Ramsay est précepteur chez le marquis de Sassenage. La lettre serait de 1715 selon Griselle.

4 Cal est peut-être l’abbé de Fénelon (Griselle).

5 Les papiers de notre père (de Fénelon), dont le marquis n’avait pas la propriété car l’abbé de Beaumont en avait hérité, mais dont il pouvait néanmoins envoyer quelques-uns en communication à Ramsay (Griselle).

6 Actes 4, 32.

Au marquis de Fénelon. 2 septembre 1715 ?

Discrétion, oraison, sevrage.

Pour le boiteux.

J’attends1, mon très cher et très honoré frère, les papiers dont vous me parlez ; cela fera un plaisir infini à notre mère. Il n’y a nul danger de les envoyer à milady S [hifd], et le plus tôt que vous pourrez, car mon voyage se fera bientôt. Ne mettez rien cependant dans le paquet que ce dont vous avez des copies, en cas qu’ils vinssent à s’égarer. Je vous aime et vous honore aussi parfaitement que le peut un pauvre mortel qui est dans la région de l’amour propre et souvent occupé de madame l’Egoïté, que je prie Dieu de confondre. M [ilord de] S [hifd] vous embrasse tendrement. Permettez-moi de faire le même. Voici un petit mot de notre mère.

Je suis ravie mon cher enfant, que Dieu, dont la bonté est infinie, ait fait pour vous ce qu’Il fait ordinairement pour ceux qui veulent être tout à Lui, qui est de les retenir plus fortement lorsqu’ils sont dans les occasions de plus grande dissipation. Ce n’est pas qu’il faille pour cela s’exposer par soi-même à la dissipation, mais lorsqu’on y est engagé par un certain ordre de providence, Dieu Se fait plus sentir. Tâchez de gagner sur vous et de ne vous engager à rien par vous-même pour vous mêler de choses que Dieu ne demande point de vous, car votre amour propre et votre vivacité se nourrissent en tout cela. Ne manquez jamais à l’oraison, soit que vous y ayez du goût ou non, car celui qui ne la fait que lorsqu’il y a du goût, se cherche plus soi-même que Dieu, mais lorsqu’on est fidèle à l’oraison dans les peines, les sécheresses et les dégoûts, on ne cherche que Dieu pour Lui-même, et cette oraison Lui est beaucoup plus agréable et plus profitable que toute autre. Lorsque vous êtes dans un état plus sec, c’est alors que vous devez faire usage de la lecture, laquelle est fort utile pour faciliter le recueillement.

Je serais bien aise de vous voir et que vous apportassiez de vous-même, si cela se pouvait et que Panta2 l’agréât, les papiers qui resteront de notre c [her] père. Nous trouverions ensemble un moyen de faire les choses de manière que tous seront contents. Soyez courageux et fidèle. Il est temps de quitter la première enfance pour devenir un homme fort. Je salue avec respect Panta et vous embrasse de tout mon cœur.

C’est une chose merveilleuse comme le règne de Dieu s’étend au loin : cela doit bien nous faire honte que nous autres qui avons tant de moyens et de secours pour être à Dieu, y soyons si peu, pendant que tant de pauvres personnes qui sont dépourvues de tout secours, y sont d’une manière admirable et sont soutenues dans les peines, dans la privation de toutes choses, avec un abandon à Dieu et une fidélité charmante. Il s’en manifeste tous les jours de nouveaux. Priez Dieu et vous unissez à nous pour demander à Dieu Son règne.

Ce 2 de septembre.

- A.A.-S., pièce 7457, copie —Dutoit, t. IV, Lettre 20, p. 52-53 —Griselle, Revue Fénelon 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », [1910] p. 125-126.

1de Ramsay.

2 Panta : l’abbé Pantaleon de Beaumont.

Au marquis de Fénelon. Entre le 2 septembre et le 1er octobre 1715.

« Je suis bien aise que Dieu vous fasse goûter sa présence. »

Vous n’aurez, mon cher fils, que peu de mots de moi, mes yeux étant épuisés par la grande lettre écrite à Panta. Je n’ai plus mon secrétaire. Je crois que vous devez laisser agir la Providence pour monsieur votre aîné. Il y a bien des sujets plus mauvais que lui, mais s’il donnait dans le parti opposé à son oncle, j’en aurais un véritable chagrin. Ma consolation est qu’il ne serait pas vu des plus forts antagonistes, et qu’il serait plus modéré que les autres quand il se souviendrait d’un oncle auquel il a tant d’obligation.

Je suis bien aise que Dieu vous fasse goûter Sa présence. Vous en avez besoin dans ce temps de dissipation. Ne manquez pas à faire oraison selon le temps que vous avez, abrégez vos longueursa pour en prendre davantage. Lorsque vous entendez lire, profitez-en en la manière que vous dites. Quand vous n’avez personne qui vous lise, lisez vous-même comme je vous ai dit. Ces sortes de lectures, quoiqu’on ne retienne rien, nourrissent l’âme et l’empêchent de se trop dissiper. Ne vous inquiétez pas pour vos défauts, mais ne faites rien de volontaire : à mesure que votre intérieur croîtra, ils se dissiperont. Je serai ravie de vous voir. Que Dieu vous soit toute chose.

[en travers] Gardez les papiers pour les faire voir à Saint-André. J’écrirai à La V [oisine] 1 une autre fois mais mandez-moi son adresse à Lille.

– A.S.-S., pièce 7135, autographe, avec cachet d’un enfant sur un char ; adresse autographe en f° .1 r° : « Le boiteux ». La lettre est écrite sur le f° 2r°. — A.S.-S., pièce 7417, f° 174 (Lettre 25) — Dutoit, t. IV, Lettre 21, p. 54.

amais n’en faites point de volontaires D.

aLecture incertaine.

1 « La Voisine » qui apparaît dans plusieurs lettres mais n’est pas identifiée.

À ? 1er octobre 1715.

Ouverture et prudence.

J’espère que le bon Dieu aura soin de vous, car il n’y a pas grand chose à attendre des hommes dans ce siècle. J’aurais été bien aise de vous voir, mais il ne faut rien faire qui puisse vous faire du tort et vous incommoder. Il faut aller bride en main quand on n’a que le nécessaire [176]. Je vous conjure de vous ouvrir à Puta quand la pensée vous en vient et que vous êtes à portée de le faire : surmontez une mauvaise honte. Je vous prie aussi de ne vous point trop laisser aller à votre activité, cela vous fait une occupation de choses tout à fait inutiles lorsque vous devriez être occupé de choses plus nécessaires. Cela n’avancera point du tout vos affaires et je doute qu’on soit assez disposé à vous faire plaisir. Je commence à craindre que Pan [ta] b ne soit pas traité selon son mérite, mais il faut recevoir toutes choses également de la main du Seigneur. Les gens bien intentionnés ont déjà tâché de faire sentir les choses comme vous les sentez, mais inutilement. Les paroles ne manquent pas, mais l’effet y est entièrement contraire.

Je ne crois pas que votre ami le boit [eux] 1 gagnec rien par tout de ce qu’il pourrait dire. L’entêtement, l’ambition, l’intérêt est ce qui gouverne tous les hommes : ainsi il pourrait se nuire sans faire aucun bien. Il sera toujours suspect pour bien des raisons et les gens même qui feront semblant d’entrer dans ses [177] sentiments, ne le feront peut-être que pour les découvrir. Pour ce que vous me dites de ne se point servir d’un sujet profane, cela serait bon si c’était pour des choses spirituelles. Mais comme il s’agit de choses temporelles, on doit s’en servir sans scrupule, vu la difficulté d’en trouver d’autres à présent [….]d Je prie le Seigneur de vous être toutes choses et de vous donner un ange comme à Tobie2 pour vous conduire dans votre chemin. Je vous embrasse avec tendresse.

– A.A.-S., pièce 7417, p. 175 (lettre 26) — Dutoit, t. IV, Lettre 22, p. 55-56.

aà *** D.

bque ** D.

cami gagne D.

d points de suspension du ms et de D qui l’a donc probablement utilisé (on note aussi l’accord quasi parfait entre ces sources).

1 « votre ami le boit [eux] » auquel cette lettre n’est donc pas destinée. S’adresse-t-elle à un Écossais ? Nous la laissons dans cette série du « cahier des lettres » du marquis, dont elle est la vingt-sixième, comme dans la série des trente-huit lettres du tome IV de Dutoit attribuées par celui-ci au marquis, car « l’ami », le marquis, en eut connaissance.

2 Tobie 5, 5.

Au marquis de Fénelon. 20 octobre 1715.

Il faut, mon cher enfant, faire comme le bon patriarche Jacob qui avait creusé un puits : comme il vit qu’on le lui disputait, il le quitta et l’appela contention; il en fut creuser un ailleurs. Puisque cela ferait trop de peine si vous alliez loger chez la p [etite] d [uchesse], il ne faut plus y penser, surtout Panta ne l’accordant qu’avec peine, car il faut avoir cette déférence pour lui de ne pas faire ce qu’il ne souhaite pas et même ce qu’il accorde avec répugnance. Lorsquea la Providence vous mettra hors d’état de rester où vous êtes, il faudra vous en aller. Aussi bien je doute fort que vous puissiez rien faire présentement et, si le bon Dieu veut bien vous assister, Il le fera aussi bien lorsque vous n’y serez pas. Vous ne manquez pas d’amis qui ne vous oublieront pas dans l’occasion.

Pourb ce qui regarde les mémoires dont vous me parlez, la chose étant faite il n’y a plus rien à dire : tout consiste à savoir si les gens sont aussi sûrs que vous les croyez, car quelquefois on se sert de la p atte du chat pour tirer les marrons du feu, car quelquefois les gens ont des intérêts secrets et ils sont bien aise de faire agir les autres sans paraître eux-mêmes. Défiez-vousc de votre imagination et de votre goût pour vous mêler des choses, [d’] une certaine démangeaison naturelle d’entrer en quelque chose et d’y faire un personnage. Mais quand les choses viennent naturellement avec des gens sûrs, — je ne dis pas que vous croyez être sûrs mais qui le sont réellement, — vous pouvez parler de ces sortes de choses. Mais ne vous engagez en aucune écriture : les paroles n’ont pas de suite, il n’en est pas de même des écrits. Combien de gens font leur cour aux dépens d’autrui ! Vous savez que le cher père aimait mieux parler par un tiers que d’écrire. Jed vous conjure dans ces sortes d’occasions, au lieu de vous laisser à votre imagination, de vous recueillir auprès de Dieu. J’espère qu’Il ne vous laissera point faire de fausses démarches. Je vous embrasse, mon cher enfant, des bras du petit Maître.

Ce 20.

– A.A.-S., pièce 7495, sous dictée et cachet — pièce 7417, p. 177 (lettre 27) — Dutoit, t. IV, Lettre 23, p. 57-58.

apeine. Lorsque D omission.

baller. Pour D omission.

crien à dire. Défiez-vous D omission.

décrits. Je D omission.

1contention : mot emprunté au latin contentio « tension, effort », d’où « lutte, rivalité, conflit ». (Rey) — Gen. 26, 21-22 : « Ils en creusèrent encore un autre [puits] ; et les pasteurs de Gérara les ayant encore querellés, il l’appela Inimitié. [22] Étant parti de là, il creusa un autre puits… » (Sacy).

Au marquis de Fénelon. Entre le 20 octobre et le 4 mars 1716.

Ne pas se retourner sur soi-même, porter sa croix avec agrément.

C’est un fait que tout ce qui remplit l’esprit dessèche le cœur. Vous vous laissez trop occuper de ce que vous faites ou ne faites pas. Laissez tomber vos imaginations le [179] plus que vous pouvez et n’en entretenez point volontairement, mais quand vous avez fait votre mieux, ne retournez pas sur vous-même pour éplucher ce que vous avez fait : cela ou vous élève si vous croyez avoir bien fait, ou vous fait une fourmilière de réflexions si vous croyez avoir mal fait [....] a

J’aurai bien de la joie de vous embrasser, mon cher enfant. Vous me faites une véritable compassion, mais Dieu ne traite pas Ses enfants comme les autres hommes : Il les marque de Son sceau qui est la croix. L’Imitation de Jésus-Christ [dit :]  « Les autres seront estimés et vous comptés pour rien. Ce que les autres feront sera admiré et ce que vous ferez sera blâmé du chapitre1. » Les autres réussiront dans des affaires injustes et vous ne pourrez réussir dans les plus équitables : c’est que les maximes du monde et celles de Jésus-Christ sont tout à fait opposées. Le cher papa disait hier qu’il n’y avait point de chrétiens. Pour moi qui en crois quelques — [180] uns, je dis qu’ils se distinguent par le signe du Tau2, c’est-à-dire par la croix, mais croix portée avec agrément, par ne réussir en rien, par être méprisés de tout le monde. Dieu les cache même à leurs propres yeux et à ceux des autres, Il les cache, comme dit l’Ecriture, dans le secret de Sa face3. Tenez-vous donc heureux dans vos disgrâces d’appartenir au petit Maître. Vous devez dans tous les mauvais succès penser que vous êtes entre les mains des ennemis du petit Maître. Nous ne serons jamais traités comme Il l’a été. Il a bu l’amertume du calice et ne nous en laisse que la superficie. Soyons de véritables chrétiens par l’amour et la croix. Je vous embrasse encore une fois.

– A.A.-S., pièce 7417, p. 178 (lettre 28) — Dutoit, t. IV, Lettre 24, p. 58-60.

ams.

1 Adaptation assez libre du pass age : « Quod alii dicunt audietur : quod tu dicis pro nihilo computabitur […]  - On écoutera ce que disent les autres, ce que vous direz sera compté pour rien. […] » (trad. Lamennais, 3.49.4-5, éd. Chenu, p. 264.).

2Ezéchiel 9, 4-6 : « Et le Seigneur lui dit : Passez au travers de la ville, au milieu de Jérusalem, et marquez un tau sur le front des hommes qui gémissent, et qui sont dans la douleur de voir toutes les abominations qui se font au milieu d’elle. » (Sacy).

3Ps. 30, 27 : « … Il a fait paraître envers moi Sa miséricorde d’une manière admirable, en me retirant dans une ville bien fortifiée. » (Sacy).

Au marquis de Fénelon. Septembre 1716 ?

Je ne comprends pas, mon cher enfant, la bizarrerie de la sœur de Pan [ta] 1 car, ne pouvant vous avoir, elle doit être ravie que vous soyez ailleurs. Cela s’appelle le chien du jardinier2. J’écrirai à Panta et je lui mandrai les raisons que vous avez de vous mettre chez la p [etite] d [uchesse] 3. Pour ce qui regarde M. votre frère, il en doit être lui-même fort content puisque cela vous donne le moyen de faire vos affaires. Je crois que ce que vous a dit la s [œu] r de Pan [ta] sur le fils de la p [etite] d [uchesse] peut n’être pas tout à fait comme cela, mais quand ce serait, comment pourrait-elle se charger de cet enfant malade puisqu’elle allait elle-même à la campagne ? Quand elle serait restée, je doute qu’elle s’en fût chargée : ne doit-elle pas être libre ? Vous avez le sage Isaac4 qui peut vous dire sa pensée, je ne trouve à cela aucune difficulté. Après avoir été ami des gens pendant leur vie, il faut leur marquer en ceux qui leur sont plus proches qu’on l’est encore après leur mort. [f° .2 r°]

Lorsque je vous ai dit de ne point dire votre sentiment des événements présents, je n’entends pas que vous n’en parliez pas avec vos amis mais bien avec ceux qui, ne l’étant pas, pourraient se servir de cela pour vous nuire. Je sais par mon expérience combien cela est difficile à pratiquer en certaines occasions, mais il faut avoir bon courage, agir simplement sans s’entortiller au bout de soi. Si vous êtes fidèle à rentrer au-dedans de vous, j’espère que Dieu vous donnera la lumière et la force nécessairea.

Ne pourrait-on point se servir du lieu où est La Voisine pour faire tenir ce que nous avons de notre père ? Je lui ai écrit en droiture, mais je n’ai point mis saint Ghienb car elle ne me l’avait pas mandé. Je prie le petit Maître de vous être toute chose.

Je vous prie de dire à R [amsay] qu’on nous envoie tous les écrits français de notre père à la réserve de la métaphysique, je veux aussi le thé… c nous en rendrons bon compte, personne n’y prenant plus d’intérêt que moi5.

Ce bon R [amsay] a radoté quand il demande un catalogue. Qu’on nous envoie ce que nous demandons et tout sera en bon ordre. Que son latin soit aussi bien et sa métaphysique, tout ne sera pas mal.

– A.A.-S., pièce 7502, autographe — §2 « Lorsque […] force nécessaire » : Dutoit, t. IV, [courte] Lettre 25, p. 60-61.

anécessaire. Je le prie de vous être toutes choses. D ajout d’une formule finale.

bLecture confirmée, sens obscur.

cthéol : ou thél : voir la note 3.

1 L’abbé de Beaumont.

2proverbe espagnol repris dans la comédie de Lope de Vega.

3 La duchesse de Mortemart.

4 Isaac Dupuy.

5 On pense non pas au Télémaque, publié dès avril 1699, mais à des textes tels que ceux rassemblés sous le titre (moderne) d’Opuscules théologiques, parallèles aux développements métaphysiques de la Démonstration de l’existence de Dieu, ou bien à ceux des Lettres sur divers sujets concernant la religion et la métaphysique. V. Fénelon, Œuvres II, Bibl. de la Pléiade. Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie (demeuré inédit jusqu’en 1930) faisait déjà l’objet de l’intérêt de Madame Guyon de par sa richesse spirituelle et de par l’autorité attribuée à l’époque à Clément.

Au marquis de Fénelon. Entre le 20 octobre 1715 et le 4 mars 1716.

Souvenons [— nous] de ces paroles de notre Maître : mon Royaume n’est pas de ce monde1. Il s’est dépouillé Lui-même de toutes Ses grandeurs pour mener une vie pauvre et abjecte. La prospérité est selon moi la plus terrible tentation et dont on se défie le moins. Heureux celui qui dans ces temps de malheur n’aura rien à démêler avec personne, et qui se tiendra à l’écart de peur que la tempête ne le surprenne lorsqu’il y pense le moins. Je prie Dieu pour qu’Il conduise tout pour Sa gloire à votre véritable bien.

– A.A.-S., pièce 7417, p. 181 (lettre 30) — Dutoit, t. IV, Lettre 26, p. 61.

1 Jean, 18, 36.

Au marquis de Fénelon. Entre le 20 octobre 1715 et le 4 mars 1716.

Pour le cher boiteux.

Mon cher enfant, je prends bien part aux croix que la Providence vous envoie. Vous m’en êtes beaucoup plus cher. Je ne suis jamais plus unie à mes amis que lorsqu’ils sont crucifiés. Ce m’est un gage qu’ils seront tout de bon à mon cher Maître. Mon petit-fils ne viendra pas : son père et sa mère ne le souffriront pas car ils ne veulent pas que je voie leurs enfants, cependant je saurai cela sûrement entrecié1 dimanche.

Bona courage, combattez les combats du Seigneur. Ne vous lassez pas et laissez-vous là pour ce que vous valez sans tant réfléchir sur vous-même. Faites bonnement de moment à autre ce que vous avez à faire, après quoi laissez tomber les réflexions, car lorsqu’on réfléchit après coup, on s’enfle facilement du bien et on s’abat du mal. Quand serez-vous une fois bien persuadé que, n’étant propre à rien, si vous réussissez en quelque chose, c’est Dieu qui l’a fait, et [que] si vous ne faites rien qui vaille, vous n’êtes pas capable de mieux ? Employez à penser à Dieu le temps que vous employez à penser à vous, et nous serons très bons amis. Finissez vos affaires et ne négligez rien pour cela : c’est l’ordre de Dieu sur vous, préférable à tout le reste. Jeb vous embrasse, mon cher enfant.

– A.A.-S., pièce 7417, p. 183 (lettre 32), et pièce 7505, autographe — Dutoit, t. IV, Lettre 29, p. 66-67.

1 Lecture confirmée, sens obscur. Cela doit vouloir dire « entre ici et » (régionalisme ?).

aMaître. Bon D omission.

bamis. Je D omission.

Au marquis de Fénelon.

« Je voudrais bien savoir si je puis compter que vous serez ici… »

Ce 6ème juin, le b [oiteux] :

Vous m’aviez mandé, mon cher boit [eux], que vous seriez à Cambrai et que vous n’y seriez que deux jours. Je m’étais hâtée de vous écrire une longue lettre que je vous priais de garder et de lire quelquefois. Elle sera donc perdue puisque vous n’y êtes pas, et qui pis est, peut-être lue. Si le P.1 m’avait fait ce vilain tour, dame ! il ne serait pas bien joli. Je voudrais bien savoir si je puis compter que vous serez ici avec ma fille. Sinon je prendrais d’autres mesures pour avoir quelqu’un.

Je vous conjure de n’être plus perplexe, car votre perplexité vous embrouille et entortille, et ne vous laisse point une certaine netteté dans vos expressions que vous devriez avoir. Je veux que mon cher enfant soit courageux pour combattre les combats du Seigneur. Laissez-vous à Lui, quittez ce qui est de l’enfance spirituelle. Vous me manderez si vous avez reçu ma grande lettre : vous y trouverez correspondance à celle que je reçus hier. Je vous embrasse, mon cher enfant, et prie Dieu qu’il vous soit toutes choses.

– A.A.-S., pièce 7529, autographe.

1 Père ?

Au marquis de Fénelon.

« Il est jaloux, laissez-Le reprendre son bien. »

Ô mon bon et cher enfant, il faut mourir mais […] a pas de la mort naturelle : il y en a d’autre [sic] à passer avant ce temps. Vous êtes à Dieu et tout ce qu’Il vous a donné Lui appartient. Laissez-Lui tout reprendre, je vous en conjure. Nous en parlerons lorsque nous nous verrons. Ne laissez pas d’amenera une autre fois mon grand fils, car je vous promets qu’après que je l’aurai un peu vu, je ne [f° 1v°] vous quitterai point pour lui.

Nous dirons toutes choses, laissez-vous tout aider. Ne savez-vous pas qu’une personne faite tient fortement ce qu’elle tient ? Mais lorsque ses forces s’affaiblissent, elle lâche peu à peu prise jusqu’à ce que l’extrême défaillance lui ouvre les mains et lui fait tout quitter tout à fait : c’est en vous [mot illis.] vous vous relâchez insensiblement mais que vous tenez encore. La faiblesse deviendra au point que vous ne pourrez rien retenir : quelque volonté que vous croyez [possible], vos efforts seront les vains efforts d’un homme, dont la défaillance ne lui permet qu’à peine de tenir la main à demi-fermée. Vous êtes à Dieu et non à vous. Il est jaloux, laissez-Le reprendre Son bien et employez l’équité, que vous devez avoir en la place où vous êtes, à Lui faire la première justice, à vous la faire à vous-même. Laissez-vous ôter ce que vous auriez assurément peine à rendre. Dieu vous fait grâce de tout prendre : je vous déclare que je serai toujours de Son parti et que mon cœur, sans vous rien dire, vous dérobera bien des choses pour les rendre à qui il appartient. Je suis méchante, je vous aime néanmoins de tout mon cœur. Plus je vous aimerai, moins vous serez épargné. Ce n’est pas pour vous que Dieu vous a fait dons de grâce, c’est pour avoir le plaisir de jouer au roi dépouillé : laissez-Le faire. Hélas ! Il est si nu Lui-même et dans la crèche et sur la croix : qui oserait vouloir une robe après cela, quelque froid qu’il fasse ? Je ne puis vous dire combien je suis à vous.

– A.A.-S., pièce 7534, autographe.

Au marquis de Fénelon.

Le boiteux.

J’ai bien de la joie, mon cher enfant, que la Providence ait disposé les choses de sorte que je puisse vous voir en passant : nous parlerons de tout. Voilà une lettre pour Panta. Il y avait dans les cahiers que vous avez emportés, dans un de ceux qui sont plus grands que les autres, des lettres du baron de Metternich que je vous prie de me renvoyer1. Je ne crois pas que la lettre que vous avez emportée et que j’ai corrigée, soit de M. B. 2, mais bien de celles que Manon m’avait envoyées. Et comme sur une telle matière ce qui abonde ne viciea pas, je l’avais envoyée pour cela. Je vous embrasse, mon cher enfant.

– A.S.-S., pièce 7535, autographe.

1 On en trouvera quelques-unes dans la série des lettres de direction de Metternich, cas rare où l’on dispose d’une correspondance passive tardive. Les « cahiers » de correspondance ont dû être communiqués à Poiret.

2M. Bertot ?

a lecture incertaine.

Au marquis de Fénelon et à Ramsay. 

Mon cher enfant, je suis beaucoup plus mal que je n’ai été. Les douleurs [où] j’étais [sont créées] par le dévoiement et elle[s] continue [nt] ; quoiqu’il soit plus forta, on a envoyé quérir le médecin à mon insu. Si cela continue, il est impossible que je puisse résister, à moins que le petit Maître ne me fasse vivre. Je ne puis plus rien manger du tout. Je crois que vous devez montrer à M. de Noailles ce qui a été fait. Ces sortes de couteaux à deux tranchants mérite [nt] d’être connus. Ne ravaudez point sur le passé, ne vous confessez que lorsque vous en aurez le mouvement ou un vrai besoin, non par vos ravauderies mais par un certain je ne sais quoi. Croyez-vous accommoder le procès ? Je vous embrasse.

Cher R [amsay], je ne puis de rien manger absolument et le bouillon ne m’accommode pas. Il m’est venu envie d’un petit morceau de fromage de Sas: il n’en faut qu’un morceau pour manger un peu de pain. On n’entend plus parler de [mot illis.], mon enfant abandonné de sa mère. Je salue xx et s et j’embrasse. Dites à Put [Dupuy] que j’embrasse, que lorsqu’il aura reçu l’argent de M. de Gautret, qu’il le mande à la petite Marc2 car c’est pour elle.

– A.S.-S., pièce 7548, autographe ; adresse : « monsieur de Ramsay à l’hotel de Sassenage sur le quai des théatins à Paris » - cacheté.

aSic.

bLecture incertaine.

1 Qui fut au service de Madame Guyon.

Au marquis de Fénelon.

« Nous sommes du naturel des crapauds… »

Je vous dirai, mon cher enfant, que dans un temps bien misérable comme celui-ci, je ne vous aurais pas conseillé de rien faire pour la personne que vous savez, car véritablement c’est une mauvaise porte que celle par où il entre dans l’Église : l’ambition, [mot illis.] s’il y a avec cela des gens pour le jansénisme. Je serais très fâchée que vous vous en fussiez mêlé. Ce qui me donnait de l’indulgence sur le reste était que je l’y croyais entièrement opposé, mais si vous m’aviez dit son penchant de ce côté, je n’aurais jamais souffert que vous vous en fussiez mêlé. Je sens ces sortes de choses où il y a le moins de remède, car lorsqu’on est capable de régler sa religion sur son intérêt, on est capable de tout. Que vous ne vous expliquez-vous avec moi sur cela, car assurément je ne serais jamais entrée dans la chose ! Je prie Dieu ou qu’Il ne permette pas que la chose s’achève ou qu’Il change le sujet. Cela me chagrine fort aussi : pourquoi demander conseil sans s’expliquer de ce qu’il y a de plus dangereux et dans une matière de cette conséquence ?

Au reste, mon cher b [oiteux], pour ce qui vous regarde, soyez à Dieu au-dessus de toute pensée et de toute imagination et laissez tout tomber. Vous ne pouvez empêcher les folies de l’imagination, mais vous pourrez vous renoncer et ne prendre part à rien. Nous sommes du naturel des crapauds: nous nous enflons de tout. Mais de même que l’enflure du crapaud n’est que du venin et qu’il prend son poison sur la terre, il en est de même de notre enflure : c’est un poison mortel pour notre âme, ce poison vient de la terre qui est nous-mêmes et c’est notre amour propre qui nous enfle. Mais si le crapaud est si vilain, il a une admirable propriété qui est qu’étant exposé au soleil, il perd la malignité de son poison et sert à faire un excellent antidote. Si nous nous exposons au soleil de justice et que nous nous élevons de la terre, c’est-à-dire au-dessus de nous-mêmes par un entier renoncement, nous paraîtrons si horribles et si sales aux yeux de Dieu qu’il y aura en nous de quoi faire un véritable antidote contre toute enflure. Ayez bon courage, mon enfant, ne vous laissez jamais élever pour la prospérité soit spirituelle soit temporelle, ne vous laissez jamais abattre pour l’adversité spirituelle ou temporelle, accoutumez-vous à une certaine fermeté d’âme. Cette fermeté vient de notre souplesse envers Dieu : plus nous sommes souples en la main du petit Maître, plus nous sommes affermis contre tous les événements de la vie. Croyez-moi bien à vous dans le petit Maître.

- A.S.-S., pièce 7501, autographe —A.S.-S., pièce 7417, p. 181 (lettre 31) —Dutoit, t. IV, Lettre 27, p.62-63.

La pièce autographe couvre l’ensemble, sans s’arrêter entre « Au reste mon cher b. » et «  pour ce qui vous regarde ». Le cahier des lettres du marquis commence à partir de : « Pour ce qui vous regarde… », précédé de l’annotation habituelle : « une autre [lettre] » ; il a censuré le premier paragraphe. Même début pour D ce qui confirme l’hypothèse de son recours au cahier.

1 La lettre 414, adressée au baron de Metternich, est suivie d’une fable mettant en scène un crapaud.

Au marquis de Fénelon.

Le boiteux.

Eh bien venez donc, vous serez en prison. .. ; Je doute que le petit-fils vienne : Servais1 m’a assuré qu’il avait dit la même chose lorsqu’il vint la dernière fois et [que] son père ne voulut pas qu’il vînt. Nous règlerons tout le reste lorsque vous serez ici. J’ai les nuits la fièvre et reprends du quinquina. Vous ferez mauvaise chère : on ne trouve rien dans cette saison. Le petit Maître vous conduise ! Amen.

– A.S.-S., pièce 7503, autographe.

1M. Servais, un familier qui sert Madame Guyon ainsi que sa femme, la « s [igno] ra Servais » (lettre précédant celle du 3 février 1716). V. la lettre relative à la malle précieuse (« Après la fin mai 1715 »).

Au marquis de Fénelon.

Ne rien faire de nouveau, éviter toute dispute.

Ce 15,

Il ne faut point avoir de regret, mon cher e [nfant], de ce que Dieu ordonne par Sa Providence. Tout ce qu’Il fait est bien. Lorsqu’Il le voudra, Il nous donnera les moyens de nous voir. J’ai été si mal que je n’aurais pu qu’à peine vous voir et vous parler. Je suis si considérablement mieux qu’à moins d’un renouvellement de mal, comme il m’est déjà arrivé plusieurs fois, je crois que je pourrai guérir bientôt.

Je voudrais faire passer au public l’ouvrage dont vous me parlez, quoiqu’il y ait peu à en espérer. Cela ne laisse pas de développer des vérités très utiles, mais après cela je ne voudrais plus rien tenter1. L’occupation où vous êtes de ces sortes de choses vous nuit infiniment. Cela tient toujours votre esprit en vivacité et ne lui donne point ce calme qui lui serait si nécessaire. Je vous demande donc deux choses après que vous aurez rendu public ce dont vous me parlez : l’une de ne rien faire de nouveau, l’autre d’éviter toute dispute. Il faut prier et se calmer, la vivacité naturelle ne pouvant produire rien de bon, surtout dans une personne qui a tant de besoin de la calmer. Sitôt qu’il sera imprimé, envoyez-le moi.

Je vous ai répondu par Put sur le mariage. Comment voulez-vous qu’après vous être livré vous-même volontairement à la distraction, vous n’en ayez [f° .1 v°] pas lorsque vous voudriez bien n’en pas avoir ? Vous êtes trop plein de vous-même et de mille autres choses pour n’être pas sec à l’égard de Dieu. Il faut un esprit reposé et un cœur tranquille pour garder le don de Dieu et vous n’êtes rien moins que cela. Il serait étonnant que vous ne fussiez pas sec : l’impétuosité de votre esprit entraîne comme un tourbillon le peu d’eau de la grâce que vous pourriez avoir, et comme un grand vent sèche en un moment l’humidité, de même votre vivacité dessèche tout l’humide de la grâce. Votre mauvais goût est une chose que vous devez éviter, mais votre perplexité et vos retours, loin de le détruire, l’entretiennent. Donnez-vous la discipline tous les vendredis de ce carême et deux fois la semaine sainte, et vous me direz comme vous vous en trouverez. Soyez persuadé que je vous aime tendrement dans le petit Maître.

– A.S.-S., pièce 7506, autographe.

1 La Vie ? La seconde partie au moins du manuscrit d’Oxford a été lue par Madame Guyon : elle y apporte quelques corrections manuscrites décrites dans notre édition de la Vie par elle-même…, Paris, 2001, p. 84-85.

Au marquis de Fénelon et à Ramsay.

« … un grand vide dans la tête pour causer une si grande plénitude. »

[Pour] le b [oiteux] ce 27,

J’ai été très mal cette nuit et je vois que les forces diminuent et [que] le mal revient. Le médecin ne veut pas venir et je ne sais que faire et ne m’en soucie guère.

Pour répondre, je vous dirais que, lorsque je vous ai défendu de dire, ce ne sont que les choses passées que vous ravaudez sans cesse. Mais lorsqu’il s’agit de faire une chose, au lieu de vous en remplir comme vous faites, je la dirais simplement et je demanderais avis comme vous avez fort bien fait à M. Isaac [Dupuy]. Mais lorsque vous dites une chose, il la faut dire entière sans en omettre une partie : quand vous faites autrement, c’est pure nature qui se décharge du plus gros fardeau et qui ménage l’amour propre ; dans le reste il vaut encore mieux dire que de conserver cette plénitude de tête qui, comme les mites, enfante un millier en un moment. Plût à Dieu que vous puissiez vous occuper de Dieu et de rien autre, mais puisqu’il faut que votre tête soit pleine, dites donc et parlez. Il faut que vous ayez un grand vide dans la tête pour causer une si grande plénitude. Je voudrais laisser tout tomber d’abord sans me laisser remplir de rien bon ou mauvais, mais pour cela il vous faudrait faire ici un an de noviciat, car jusqu’à ce temps vous serez comme les flots de la mer. C’est assez gronder.

Cher R [amsay] a : Je vous prie de donner à Mr Hooch1 les Juges et Ruth à lire. Je suis convaincue que cela lui fera du bien car c’est une suite depuis le commencement court et instructif. Je vous assure qu’il me tient fort au cœur. Je lui ai écrit par M. Isaac et par la p [etite] d [uchesse]. Adieu, mon pauvre rat2, emplissez toutes les ratures du petit Maître.

Faites pour moi à Milady et à Milor3 qu’ils m’excusent si je n’écris pas.

Le b [oiteux :]b 

Achevez votre projet vaille que vaille pour cette fois : vous menacez de venir pour le carnaval et c’est dans quatre jours les Cendres.

– A.S.-S., pièce 7507, autographe.

asur la même ligne : « gronder pour R cher R… »

bsauts de lignes. « Le b. » : le marquis.

1 L’écriture ne présente aucun doute. S’agirait-il de Nathaniel Hooke, de Londres, qui devait connaître le Dr. Keith et qui traduira la Vie de Fénelon de Ramsay ? V. Henderson, M. N. E., p. 59.

2 Furetière : « on dit d’une personne de fort petite taille, qu’elle n’est pas plus haute qu’un rat. » Ramsay était-il petit ?

3 Un Écossais et son épouse. S’agit-il de James, 16 th Lord Forbes (1689-1761) « …younger brother … was twice married, first in 1715 to a sister of Lord Forbes of Pistligo … personnally acquainted with Mme Guyon » (Henderson, M. N. E., P. 50) ? Il ne s’agit probablement pas de Lord Deskford, James Ogilvie, (1690-1764), qui fut arrêté en août 1715 et confiné un moment au château d’Edimbourg.

Au marquis de Fénelon et à Ramsay.

« … je voyais tant de têtes et point de cœurs… »

Le b [oiteux].

Comme j’espère vous voir, je vous répondrai sur tout. Mais quand vous déferez-vous de votre tête ? Il me semblait, une de ces nuits, voir tous les hommes comme des esprits de blé ; je voyais tant de têtes et point de cœurs, je disais : «  Petit Maître, prenez une faux, moissonnez toutes ces têtes, qu’il n’y ait plus que des cœurs ».

R [amsay] a. Vous n’aurez pas grand chose de moi. Je vous ai obéi. J’ai vidé quantité de pus, mais je n’en vide point et la fièvre a été un peu plus forte, mais je la compte pour rien auprès des douleurs si violentes. Je confesse ma lâcheté.

[pièce séparée1 :]… à Servais… pour nous servir qu’il fasse donc, ce petit m [onsieur], tout ce qu’il voudra. Je vous attendsb.

– A.S.-S., pièce 7508, autographe.

1 Ce dernier paragraphe appartient à une pièce séparée, de taille différente du reste de la lettre, mais groupée sur le même support (récent).

ams : « … cœurs R/Vous… »

bFin de phrase soulignée.

Au marquis de Fénelon.

Ce 16,

Mon cher b [oiteux], vous pouvez venir quand il vous plaira. Babet ne me pardonnerait jamais si vous ne veniez pas. Je lui ai représenté la mauvaise chère que vous feriez et la difficulté qu’elle aurait à faire la cuisine : elle dit que vous aiderez ou du moins que vous me garderez pendant qu’elle la fera tant bien que mal. J’ai toujours la fièvre, un extrême dégoût et on ne trouve chose au monde en cette saison que du veau, dont je ne mange guère. Dieu sur tout. J’ai grand regret à ma pauvre nourrice, mais plus le petit Maître m’est méchant, plus je L’aime. Il m’ôte encore la S [igno] ra Servais, qui aurait pu nous servir : qu’il fasse donc, ce petit M [aître], tout ce qu’il voudra. Je vous attends.

– A.A.-S., pièce 7509, autographe.

Au marquis de Fénelon. 3 février.

Ce 3 février.

Vous n’aurez pas une longue lettre de moi, cher e [nfant] : mon secrétaire est malade. Votre grande lettre m’a bien consolée et ce que vous me promettez de mon cher père. Je porterai la dent à mon cou et je tâcherai de mourir dans le manteau1, et l’un et l’autre vous seront rendus. Je suis bien aise de votre société. Il faut néanmoins paraître à la Cour et aller chez la s [oeu] r de Penta d’abord puisqu’elle le souhaite, ensuite vous retournerez à ce gîte. Votre société sera comme le ménage : vous n’en sortirez que pour remplir vos devoirs, qui sont indispensables dans le métier dont vous faites profession. Surtout après les avances que vos amis ont fait[es], vous ne sauriez différer à venir. Je vous aime bien tendrement. L’amitié de p et de mère [plusieurs mots illis.] vous salue dea tout le cœur. J’ai été trois semaines malade, ce qui m’a empêchée d’écrire à Pant [a] et de faire écrire à M. votre frère.


– A.A.-S., pièce 7510, autographe.

a « de tout le cœur […] votre frère » est écrit tête-bêche entre « Ce 3 février […] Vous n’aurez pas… » par manque de place.

2 Le manteau de Fénelon, v. la lettre suivante.

De Ramsay au marquis de Fénelon. 6 février 1716.

Ce 6 de février.

Pour le cher boiteux.

Mon cher marquis, notre mère étant tombée malade une seconde fois hier, et en l’ayant saignée, elle est encore bien faible aujourd’hui et ne peut pas vous écrire elle-même. Vous étiez bien présent à son cœur dans ses maladies. Elle m’a parlé de temps en temps de vous avec tendresse dans ses plus violentes peines. Comme je vous aime, cela me fit grand plaisir et je vous l’écris pour vous encourager de redoubler votre pas pour aller à notre Seigneur dans le sein du petit Maître. Allons ensemble : voulez-vous que je vous accompagne jusqu’à la crèche du pauvre Jésus ? Devancez-moi, je serai votre laquais. Nous ferons hommage au petit Maître : je me tiendrai volontiers à la porte pendant que vous entriez [sic] jusqu’à Son cœur.

Notre mère a reçu votre présent, elle l’a mis. Je suis ravi de voir ma mère couverte du manteau de mon père. Cela me paraît un grand mystère : son esprit dégagé de la matière couvre à présent le sien. Ils engendrent ensemble des petits enfants, elle reste pour les enfanter. Peut-être que ces deux violentes secousses qu’on a eues depuis peu étaient les travaux d’un nouvel accouchement, quelque Trans peut-être, quelque […] de Trans qui vient d’être mis au monde spirituel. Je suis fou, c’est vrai, mais les fous disent souvent de belles choses. Je ne sais ce que je dis, je suis insensé, j’ai oublié même ce qu’on m’a dit de vous mander. Je m’en souviens : c’est de vous tenir bien près du petit Maître, d’écouter le cœur de votre mère. Le respectable père vous aime. J’ai eu des lettres des trans, il y a quelque temps, où il y a des compliments pour vous. Aimez-moi comme je vous honore.

Je ne doute point que le seigneur Isaac nea vous ait appris qu’il y a huit jours que notre mère pensa expirer d’un catarrhe qui tomba sur la poitrine. Je vous avais envoyé un petit billet écrit de son sang. Hier les mêmes suffocations revinrent, la saignée l’a soulagée. Hélas ! nous serons peut-être bientôt orphelins, mais nous ne perdrons point ni père ni mère. Donnez-nous de vos chères nouvelles.

Commeb cette lettre m’est envoyée ouverte, je vous dirai que les nouvelles que R [amsay] m’écrit de notre mère. Voici mot à mot ce qu’il me marque : la poudre de vipère a bien fait et lui a procuré une sueur, laquelle l’a beaucoup dégagée. On ne l’a point saignée depuis qu’on me le manda hier parce qu’elle était faible, mais le besoin n’y était pas car elle était mieux. Son sang même à la saignée de la veille n’était plus si épais et avait des sérosités. Voilà, mon cher frère, le contenu de ma lettre. Tout ira bien s’il plaît au petit Maître.

– A.S.-S., pièce 7445, « à monsieur / monsieur le marquis de Fénelon ». Ecriture de Ramsay suivie d’un ajout d’une autre main. Nous datons cette lettre de peu après la mort de Fénelon, « mon père ».

aPut (le Seigneur Isaac add.marg.) ne Il s’agit de Dupuy.

bNouvelle main.

Au marquis de Fénelon.

Ce 23,

Si on pouvait compter sur quelque chose, mon cher enfant, il serait bien avantageux pour l’enfant que Panta acceptât la proposition qu’on lui fait. Ce serait un grand sacrifice en toute manière qu’il devrait faire pour le bien d’un enfant qui nous est si cher. Il ne devrait pas, ce me semble, refuser M. de Fréa car, s’il demeure comme il a été nommé, Panta sera bien avec lui et l’on ne saurait trop désirer que cet enfant soit en de pareilles mains. Si on ne se sert pas de M. de F., il sera dégagé de sa parole ; on s’est déjà expliqué, à ce qu’on prétend, qu’on voulait le faire. Elle n’est pas des personnes dévouées au petit Maître et ce serait un grand malheur pour lui et les siens. Au reste cet emploi n’est point au-dessus des forces de Penta. Je sais que sa naissance est plus illustre que n’en n’ont d’ordinaire les personnes qu’on prend pour cet emploi, mais un véritable chrétien ne regarde point à tout cela et, pourvu qu’il soit à portée de faire un bien considérable comme serait celui-là, il sacrifie un certain point d’honneur qui n’est que dans l’idée des hommes. Mais, comme je vous dis, si la chose n’est pas fixée pour M. de F., sa parole se peut retirer ne la donnant qu’à lui, car je ne lui conseillerais jamais d’être sous une personne suspecte. C’est tout ce que j’ai à dire là-dessus. Comme il est la partie intéressée, tout ce que nous disons ici s’appelle conter sans [mot illis.]

Le procédé de M. de Vil. est bien vilain. Peut-être trouve-t-il à cela quelque petit gain auquel on prétend qu’il est fort sensible ? Souvenons-nous de ces paroles de notre Maître : « Mon Royaume n’est pas de ce monde », Il se dépouille Lui-même de toutes Ses grandeurs pour mener une vie pauvre et abjecte. La prospérité est selon moi la plus terrible tentation et dont on se défie le moins. Heureux celui qui, dans ces temps de malheur, n’aura rien à démêler avec personne et qui se tiendra à l’écart, de peur que la tempête ne le surprenne lorsqu’il y pense le moins. Je prie Dieu qu’Il conduise tout pour Sa gloire et votre véritable bien. [Pour] le boiteux.

– A.A.-S., pièce 7513, autographe. Nous ne connaissons pas l’objet de la lettre.

aLecture incertaine.

Au marquis de Fénelon. 20 mars.

Le vrai humble.

Ce 20, [pour] le boit [eux].

Mon cher enfant, il ne faut pas penser à venir : l’air est trop mauvais et vous auriez trop peu de temps, mais il faut espérer que le petit Maître nous fournira les moyens de nous voir avant que je meure.

Défiez-vousa de votre vivacité et de vous-même en toute manière. Vous avez besoin d’une protection de Dieu singulière. Comment l’obtiendriez-vous si vous n’êtes point occupé de Lui, et comment seriez-vous occupé de Lui si vous l’êtes de tout ce qui n’est point Lui ? Ne vous découragez pas néanmoins. Le plus grand de tous les maux est le découragement. Il faut être humilié de nos défauts et jamais découragé. Le vrai humble ne s’étonne point de ses fautes : il en est rabaissé devant Dieu et prend des forces toujours nouvelles pour recommencer à mieux faire, au lieu que l’orgueilleux est découragé et demeure lâche dans son découragement.

J’ai vu M. votre frère. Il dîna et soupa ici : je lui envoyai des rafraîchissements, ce que je pus, non à cause de lui, dont je ne fus pas contente, mais son nom m’est si respectable que quiconque le porte m’est cher. Je suis très obligée à Panta : je n’ai besoin de rien, je le remercie de tout le cœur. J’espère que Dieu me fera la grâce de n’être point à charge à mes amis, que vous me ferez de plaisir de me donner le portrait de mon cher père : il vous sera rendu avec le reliquaire. Je vous embrasse, mon cher enfant, saluez Panta et le remerciez pour moi.

- A.A.-S., pièce 7514, autographe. - A.A.-S., pièce 7417, p. 186 (lettre 34) —Dutoit, t. IV, Lettre 31, p. 71-72.

a « Mon cher enfant, défiez-vous […] découragement. » reproduit dans la pièce 7417 et par Dutoit qui ne disposait donc pas de l’autographe.

Au marquis de Fénelon.

« Ma santé est un peu plus mauvaise… »

J’ai reçu votre lettre d’Orléans, mon cher enfant : je vois que vous vous êtes trompé sur le jeûne, car il ne le fauta pas [faire]. Ma santé est un peu plus mauvaise qu’elle n’était quand vous êtes parti. Vous dites que Cervasa vous a joué d’un toura, il a fait son dû et vous, vous êtes un désobéissant : c’est de cela dont vous devriez faire scrupule, et non pas de ne pas jeûner quand l’Église ne l’ordonne pas. Ne savez-vous pas qu’il n’y a point de jeûne depuis Pâques jusqu’à la Pentecôte ?

J’aime [rais] bien mieux votre disposition présente si vous étiez obéissant que celle d’un plus grand goût et d’une plus [f° 1v°] grande ferveur. Un abandon stable, un oubli de vous-même : laisser tomber les imaginations et les scrupules est tout ce qu’il vous faut présentementb. Je vous embrasse, mon cher enfant.

Je vous remercie, mon cher frère, du soin que vous prenez de moia, mais souhaiter bien des os à ronger à un chien, c’est tout ce que l’on lui peut souhaiter de mieux. Babet dit qu’elle ne saurait s’empêcher de priera quand il faut chanter parce que l’envie de rire ne lui prend que là.

- A.A.-S., pièce 7517, dictée. Ecriture inconnue : ce n’est pas celle de Ramsay. Le dernier paragraphe ne semble pas être dicté par Madame Guyon ; il est d’ailleurs marqué par un léger accroissement de l’intervalle entre lignes —A.A.-S., pièce 7417, p. 187 (lettre 35) —Dutoit, t. IV, Lettre 32, p. 72.

a Lecture incertaine : Servais ?

b « J’aime […] présentement » reproduit dans la très courte « lettre » de la pièce 7417 et par Dutoit.

Au marquis de Fénelon. 1716 ?

« Il faut que ces bons Evêques aient perdu l’esprit… »

Ce 20, [pour] le boiteux.

Mon cher e [nfant], ne vous confessez point de tout ce que vous me mandez : il n’y a point de péché, nous parlerons sur cela, il y avait même de la bonne volonté et un zèle mal réglé. Apportez-moi un Télémaque.

Il faut que ces bons évêques aient perdu l’esprit pour demander un concile national1. Peut-on mettre en compromis une bulle reçue universellement dans toute l’Église? Si on la met, où sera la matière de notre foi et quelle est l’autorité fixe qui nous règlera [f.1v°] à [l’a] venir ? N’y a-t-il pas sujet de craindre que tant d’évêques vacillants et tant de chiens muets ne rendent le mauvais parti le plus fort ? Si le Saint Père accorde sur cette matière un concile national, la religion est perdue en France. Vous ne verrez que trop ce que je vous dis. Dominus illuminat caecos. Tout est dans un aveuglement horrible qui m’afflige plus que je ne puis dire, et je crains bien que ceux qui demandent concile ne soient pas fermes dans leur foi. J’ai vu une lettre de M. Raucechefa où il met que ce qu’a fait le Régent n’est que pour jeter de la poudre aux yeux au Saint Père et qu’ils reviendront [f. 2r°] triomphants. On a envoyé sa lettre à M. le Régent. Je crois qu’il sentira cet indigne procédé. Hélas ! nos propres intérêts est la seule chose qui nous touche : l’intérêt de Dieu et de Son Église ne nous touche point.

J’ai pensé mourir de défaillance de nature ces jours-ci. Je suis un peu mieux aujourd’hui. Je suis fâchée du double état où est la sœur de Penta : il y a peu espérer pour l’âme ; si elle faisait usage de son état, tout irait le mieux du monde. Je suis ravie que vous m’ameniez la petite mada. Et vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Écossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je [f° .2 v°] fais de vous comme des choux de mon jardin. À Dieu sans amen, mon enfant le boiteux.

– A.S.-S., pièce 7136, autographe.

a Lecture incertaine de la troisième lettre : ma (d ?).

1 Le Roi adopta une idée que Fénelon avait suggéré […] celle d’un Concile national où seraient jugés les opposants. Comme il était prévisible que Rome accepterait difficilement cette solution, Louis XIV y envoya en décembre 1714 un négociateur, Amelot […] en juin-juillet 1715 Louis XIV manifestait son intention de convoquer lui-même le concile, le pape finit par céder au début d’août. Les parlementaires firent alors une vive opposition, et la mort du Roi, le 1er septembre 1715, ensevelit définitivement l’idée d’un concile national. La régence de Philippe d’Orléans commença par une période de quelque deux ans pendant laquelle il se montra nettement favorable au jansénisme. » L. Cognet, Le jansénisme, 1968, p. 103. Il semble qu’il ne puisse s’agir de l’Appel du 5 mars 1717 à un concile général.

2 Bulle Unigenitus du 8 septembre 1713 condamnant cent-une propositions extraites des Réflexions morales de Quesnel et tendant à en faire une sorte de somme de ce que l’on considérait comme la doctrine janséniste. Pour un résumé de l’attitude de Fénelon (et donc de Madame Guyon) précédant cette condamnation, v. Cognet, op. cit., p. 94 ss.

Au marquis de Fénelon.

Mon cher enfant, j’ai lu votre lettre moi-même et je dirais que je ne puis qu’approuver votre procédé et très peu celui de M. votre frère aîné. J’aurais fait tout ce que vous avez fait si j’avais été en votre place, vous n’avez rien à vous repentir. Je suis charmée du procédé de Panta, mais si vous avez fait une faute, c’est d’avoir passé un acte avec votre aîné. Comme les sujets sont à présent si dangereux, si M. votre frère n’est point janséniste, son père, qui le connaissait bien, ayant travaillé à lui faire avoir un évêché, je crois que vous devez sans scrupule suivre ses brisées : ayant les bonnes qualités qu’il a, il pourra se corriger des mauvaises et travailler tout de bon. Étant en place, Dieu verse Ses grâces sur Ses ministres pourvu qu’ils ne soient point entachés d’erreurs. Faites donc là-dessus ce que vous pourrez selon le jour qu’il vous y sera donné, et agissez sans hésitations ni scrupule, priant Dieu qu’Il ne fasse réussir que ce qui sera pour Sa gloire1.

Je crois qu’il faut loger cette fois où mad [ame] de Chevr [euse] désire : il la faut ménager par rapport à son frère et à elle-même. Croyez-moi plus à vous que jamais. J’honore et estime Panta [leon] plus que je ne puis vous dire. Il faut que je vous dise en [deux mots illis.]. [Il] me paraît capital de faire à présent ce que mad [ame] de Chevr [reuse] veut.

R [amsay] a fait en latin pour la tombe de notre père ce que j’ai dit en français.

– A.A.-S., pièce 7518, autographe.

1 Nous ne savons rien sur les rapports avec le frère.

Au marquis de Fénelon.

« Dieu ne donne par Ses instruments que ce qu`Il donne par Lui-même… »

Il me paraît, m [on] c [her] e [nfant], que quand les choses sont d’elles-mêmes indifférentes, comme est de se baigner, qui est chose usitée de tous les temps et même nécessaire à la propreté et très souvent à la santé, vous ne devez point vous en faire de scrupule. Tout votre mal vient de l’occupation que vous vous faites des choses et de vos hésitations, ce qui peut rendre défectueuse une chose très innocente d’elle-même. Vous êtes toujours entre deux termes, comme dit Deborah1, à écouter les sifflements du troupeau, c’est-à-dire vos raisonnements, vos doutes, auparavant que les choses soient et après qu’elles sont faites, milles réflexions, ce qui vous cause une occupation perpétuelle de vous-même, et cette occupation de vous-même est la source de toutes vos distractions.

Il ne faut [pas] vous étonner si vous êtes plus sec à présent et si vous ne trouvez plus cette douceur et cette consolation que vous trouviez lorsque vous me veniez voir autrefois. Dieu ne donne par Ses instruments que ce qu’Il donne par Lui-même, selon la disposition et l’état qu’Il veut de l’âme. Lorsque Dieu a voulu vous attirer à Lui, Il l’a fait d’une façon plus douce et plus multipliée, mais à présent que Dieu veut vous faire aller par la foi et vous retirer du sensible, Il vous donne un état plus sec et plus simple. Tout votre mal, comme je vous l’ai dit, vient de l’occupation de vous-même et que votre tête est toujours pleine. Quand votre tête sera-t-elle coupée ? Ne savez-vous pas que l’Ecriture dit que qui marche simplement, marche confidemment2. Vous vous chicanez sans cesse vous-même et vous chicanez avec Dieu. Comme la porte chez vous est toujours ouverte aux réflexions, vous en avez ordinaire complaisance sans sujet ou de crainte ou de scrupule. Si vous pouviez une fois laisser tomber toutes ces réflexions, votre intérieur changerait de forme.

Lisez : lorsque la lecture vous fait l’effet que vous me dites, cela est fort bien. Car il faut savoir [f° .1 v°] que la lecture porte son effet dans le moment, sans qu’il soit nécessaire qu’il en reste quelque chose. Quoique vous vous trouviez plus sûr dans l’oraison qu’à la lecture, l’oraison ne laisse pas d’avoir son effet, surtout lorsque la distraction n’est pas volontaire. [Et] même, dans toute la voie de la foi, on est plus sec à l’oraison qu’en tout autre temps : cela n’empêche pas que Dieu n’y opère. Au contraire Dieu y opère davantage, afin que vos sens et vos réflexions n’y prennent rien, comme dans […] a les occasions et que Dieu est plein de bonté pour nous, Il se fait sentir alors pour nous empêcher de L’offenser en quoi que ce soit. Lorsque l’œil est malade, la lumière lui est pénible, mais lorsqu’il se porte bien, il regarde sans faire attention s’il regarde. Il en est de même de l’œil de la foi : lorsque nous sentons notre regard vers Dieu, cela vient de l’indisposition de notre vue intérieure.

Ainsi tout ce que j’ai à vous demander, c’est d’être toujours fidèle à votre oraison, sans vous mettre en peine si vous sentez ou ne sentez pas, si vous êtes d’une disposition ou d’une autre. Vous ne parviendrez jamais à la parfaite tranquillité d’esprit ni au repos du cœur, si vous ne laissez tomber toutes vos pensées et réflexions et vous ne vous déprenez même de vos propres idées, croyant toujours que les autres ont raison ou plutôt que vous [….]a en ce qui ne regarde pas la foi. Sans cela vous conserverez toujours votre vie propre et votre propre activité. Croyez-moi, soyez fidèle à ce que je vous demande et vous vous en trouverez bien. La prière fait beaucoup, mais ce n’est rien si elle n’est accompagnée d’un renoncement continuel. Vous savez bien tout ce que je vous suis en Jésus-Christ.

J’aime3 tendrement m [on] t [très] c [her] marquis. Je veux lui être uni par le cœur. Deux choses empêchent encore cette union : il y en a une en moi et une autre en lui, mais le petit Maître seul peut ôter ces empêchements et nous les apprendre. Je sens en moi deux sortes d’activités : l’une n’empêche pas la simplicité ni le repos, l’autre y est contraire, et cependant elles ne valent rien toutes deux. [f° .2 r°] Je vous prie de prier pour moi et je prierai pour vous : voilà notre union et notre unité. Tendrement tout à vous. Je vous ai écrit, selon ma promesse, à l’adresse de M. de la Motte pour lui être rendu à son passage à Poitiersb. Je vous ai écrit depuis chez M. votre père tout droit d’ici. Accusez-moi réception de mes lettres. Notre mère se porte assez mal depuis votre départ. Je ne la quitterai que le 14e [de] c ce mois. Ce 2 septembre.

J’ai oublié, m [on] c [her] m [arquis], de vous mander que le neveu de Cald, ayant ouvert le paquet, a mandé à la femme du fils de Tate, à qui il l’envoyait, tout ce qui était dedans. Je ne conçois pas comment il a pu faire cette […] f car cette Milady est au fait du tout, ce qui peut faire beaucoup du mal aux affaires du Roi Jacques et de la Prime M [inister] 4.

– A.A.-S., pièce 7525, dictée à Ramsay.

aPlusieurs mots illisibles.

bLecture incertaine.

c14e : lecture incertaine.

dLecture incertaine. Cal : L’abbé de Fénelon ?

eLecture incertaine.

fUn mot illisible.

1 Juges 5, 16.

2 Proverbes 10, 10 : « Celui qui marche simplement, marche en assurance ; mais celui qui pervertit ses voies sera découvert. » (Sacy).

1 De Ramsay.

2 On est à la veille du soulèvement des « jacobites » (partisans du roi Jacques) de 1715, dû à des causes économiques et religieuses.

Au marquis de Fénelon. 4 mars.

« Nous ne pouvons pas réformer le genre humain. … Pourquoi clocher ainsi tantôt du côté de Dieu, tantôt du côté des hommes ? »

Ce 4 mars, le cher b [oiteux] :

Mon cher enfant. J’ai reçu votre lettre. Jea vous conjure de ne vous point gêner pour m’écrire, il faut agir avec grande liberté. Si vous en aviez besoin, le petit Maître vous le mettrait au cœur. Je ne crois pas que vous deviez disputer avec chaleur sur aucun parti. Cela peut vous nuire en bien des manières. Nous ne pouvons pas réformer le genre humain. J’ai dit dans les commencements de très bonnes raisons, mais j’ai vu dans la suite que rien ne peut convaincre des gens prévenus et entêtés, qu’il n’y a que Dieu qui, en touchant le cœur, puisse éclairer l’esprit. Je me suis renfermée en moi-même comme le rat dans le fromage d’Hollande1 et, lorsqu’on me parle, je dis : « Je suis le pauvre rat solitaire qui ne prend plus de part aux affaires du monde. » Toutes ces disputes dessèchent le cœur et altèrent la charité, et ne sont propres qu’à nourrir la vivacité. Vous n’avez à répondre que pour vous. Dans la situation où vous êtes, nul caractère ne vous oblige à agir autrement, et encore le caractère ne doit vous obliger en rigueur que sur les personnes dont on est chargé.

J’ai apprisb que Pan [ta] est à Paris : je vous prie de lui témoigner que personne ne prend plus de part que moi à tout ce qui le touche, soit biens soit maux. Je ne lui ai point écrit pour des raisons qui le regarde plus que moi. Il doit être sûr de mon cœur en Jésus-Christ. Vous pourrez faire imprimer quand il vous plaira où vous êtes et le The 2 [et] les Métaphysiques et tout ce que vous jugerez à propos. Je n’ai retenu que les lettres qui m’ont été données par divers particuliers. Tout le reste je l’abandonne à votre discrétion, je suis sûre qu’il y en a quelques-unes que vous jugerez vous-même être absolument impossibles de produire où vous êtes : R [amsay] pourra vous en dire les raisons mieux que moi. Pour le reste, vous pouvez commencer dès à présent de les donner.

Je vous conjure de ne vous point laisser aller à votre tempérament mou et dissipé, car on fait un grand chemin dans la dissipation et on a bien de la peine à revenir au recueillement. Il est facile de se tourner au-dehors car c’est là le chemin des sens, il est difficile de rentrer au-dedans parce qu’il faut faire violence aux même sens qui nous entraînent. L’homme est accoutumé dès sa jeunesse d’être tout dans les sentiments, et lui qui était créé pour être leur roi et commander aux passions, est devenu leur esclave. Jésus-Christ est venu sur terre pour nous apprendre un chemin tout opposé à celui que la nature nous a frayé depuis le péché d’Adam. Il nous a appris que le royaume de Dieu est au-dedans de nous3 et que c’est [là] où il le faut chercher, mais qu’il n’y a que les violents qui le ravissent4, c’est-à-dire qu’il n’y a que ceux qui font violence à la nature et au sentiment qui jouissent de ce royaume intérieur : c’est pourquoi Il nous a si fort recommandé de nous renoncer nous-mêmes, de porter notre croix et de Le suivre5. La véritable mortification est ce renoncement. Pourquoi croyez-vous qu’on ordonne le jeûne et l’abstinence si ce n’est pour amortir la vivacité de nos sentiments ? Le meilleur de tous les jeûnes est donc de nous renoncer nous-mêmes, de détruire la mollesse de nos sentiments par une force mâle et généreuse pour suivre Jésus-Christ où Il me mène. Dieu dit : « Exterminez vos passions et non pas vos visages, déchirez vos cœurs et non vos habits». Ce qu’il y a de déplorable, c’est que de tous, tant ceux qui jeûnent que ceux qui ne jeûnent pas, nul ne veut jeûner7 [de] sa propre volonté et de son propre esprit, nul ne veut renoncer à ses goûts, à ses amusements. On se contente de n’en avoir point de criminels, on se laisse aller à tous les autres.

Ô lâcheté, lâcheté des chrétiens ! Plût à Dieu qu’ils fussent ou tout froids ou tout chauds ! Mais parce qu’ils sont tièdes, Dieu les vomit8. S’ils étaient tout froids, leur froideur pourrait leur faire de la peine et ils chercheraient sans doute de quoi se réchauffer auprès de Dieu. S’ils étaient chauds, ils rempliraient leurs devoirs en s’attachant à l’unique objet de leur amour. Ils ne clocheraient pas sans cesse des deux côtés. Si Dieu est aimé, que ne Le sert-on comme il mérite de l’être. Si on a choisi le monde, que ne s’y livre-t-on avec impudence ? Pourquoi clocher ainsi tantôt du côté de Dieu, tantôt du côté des hommes ? Ô mon Dieu, que l’état du christianisme est affligeant ! Personne n’a le cœur de se déclarer entièrement pour Dieu. On veut paraître bon avec les bons, et on est réellement pervers avec les pervers. Je ne dis pas ce dernier [mot] pour vous, mais je le dis dans l’amertume de mon cœur pour nous tous. Soyez donc plus courageux et combattez les combats du Seigneur.

Monsieur F [orbes] vous remercie b de la part que vous avez prise à ses chagrins. L’espérance où il est que peut-être ses amis ne seront pas engagés dans rien de fâcheux, le console.

– A.A.-S., pièce 7504 — A.A.-S., pièce 7417, p. 184 (lettre 33) — Dutoit, t. IV, Lettre 30, p.68-71.

aDébut D.

bParagraphe omis par D.

1 « Le rat qui s’est retiré du monde », La Fontaine, Fables, VII, 3, vers 25 : « Les choses d’ici-bas ne me regardent plus. »

2 Référence aux œuvres de Fénelon. Ses Œuvres spirituelles… seront publiées en 1718, puis en 1738 : v. Fénelon, Œuvres I, Bibl. de la Pléiade, « Bibliographie sommaire des œuvres spirituelles… », p. 1417.

3 Luc 17, 21.

4Matt. 11, 12.

5Matt. 16, 24.

6 Joël 2, 13.

7 En s’abstenant de sa propre volonté…

8Apoc. 3, 15-16.

Au marquis de Fénelon. 10 mars.

Ce 10 de mars,

Pour le cher boiteux.

J’ai reçu votre lettre, mon cher enfant, et toutes celles qui sont venues en même temps dont nous tâcherons de faire un bon usage1. Je me souviens toujours que mon cher père me manda, il y a quatre ou cinq ans, qu’il avait fait des écrits sur l’intérieur, qu’il voulait envoyer à Rome, espérant que le Saint Père les approuverait, et qu’il les avait écrits avec une grande […] a, que si le Saint Père approuvait, ce serait un grand avantage pour l’intérieur. Il ne les avait pas encore envoyés lorsqu’il est mort : ainsi le bon Panta pourra les démêler des autres papiers et nous en faire part, assuré qu’on les rendrait bien fidèlement. Je ne connais point le recteur dont vous parlez. Si vous n’avez point de confiance à Panta, vous pouvez vous en servir, mais si vous n’avez aucune répugnance à vous ouvrir entièrement à Panta, ce serait encore le mieux pour vous, car il y a bien des personnes qui paraissent bonnes et vertueuses, et qui le sont en effet, qui n’ont cependant aucun goût pour l’intérieur et qui souvent même y ont de l’opposition.

Quand vous êtes à Paris, confessez-vous à votre commodité, à moins que nos amis ne vous indiquassent quelques-uns dont ils [f° .1 v°] sont assurés. Je ne sais comment je vous ai conseillé de lire le Cantique des cantiques2. Il me paraît peu convenable pour vous, mais quand vous serez à C [ambrai], vous pourrez emprunter de la Voisine les premiers volumes du commentaire et, surtout ainsi du reste, [de] l’Évangile de saint Jean3. Le texte même du Cantique est tout à fait propre à éveiller votre imagination vive, mais ce qui est fait est fait.

Il y a bien de la différence à dire tout ce qui vous passe dans l’imagination ou à demander conseil. Il faut être assez humble et petit pour le demander dans l’occasion et trouver bon que vos amis vous reprennent lorsqu’ils croient que vous n’avez pas bien fait. Sans cette docilité et petitesse, vous n’avancerez point dans la correction de vos défauts et, bien loin que les petites réprimandes que l’on vous fait doivent vous fermer le cœur, elles doivent l’ouvrir aux marques d’amitié que l’on vous donne en cela. Car personne ne prend plaisir à dire les défauts aux autres, on aime beaucoup mieux leur dire des choses agréables et qui les contentent.

Evitez la mollesse et la paresse pour les choses qui vous arrivent sans vous : ne vous en inquiétez point, Dieu vous a donné un tempérament tout à fait extraordinaire. Vous ne serez criminel qu’en [f° .2 r°] négligeant de laisser tomber les pensées qui peuvent donner lieu à cela. C’est pourquoi vous devez avoir une très grande fidélité. Désoccupez-vous le plus que vous pourrez, car les réflexions que vous ferez sur vous-même ne serviront qu’à vous donner de la vanité ou du découragement. Soyez fort exactes à votre oraison et à vos lectures quoique vous n’y trouviez aucun goût. C’est dans ce temps-là qu’on doit marquer davantage sa fidélité à Dieu, car lorsque l’oraison est goûtée, on en ferait beaucoup sans peine. Ceux qui sont le moins fidèles au petit Maître voudraient en faire beaucoup avec goût. Allez donc par un grand abandon à Dieu. Une grande droiture et simplicité de cœur et un grand oubli devant vous-même, c’est à quoi vous êtes appelé. J’espère beaucoup de votre âme si vous êtes fidèle à Dieu.

J’écrirai à madame et à mademoiselle de R [isbou] r dès que j’aurai la force de le faire. J’ai encore eu une troisième4 qui m’a fort abattue et affaiblie. La lettre de Mlle de R [isbou] r me paraît tout à fait aimable et je m’intéresse beaucoup pour elle. Les Trans vous aiment tendrement et vous honorent infiniment. J’embrasse Panta. Embrassez-le [f.° 2 v°] pour moi et pour les trans, c’est-à-dire trois fois.

- A.A.-S., pièce 7526, dictée à Ramsay. - A.A.-S., pièce 7417, p. 149, « le boiteux, lettre 18. » —Dutoit, t. IV, Lettre 16, p. 38-39.

aPoints de suspension multiples du ms.

bD omet cette dernière phrase « J’écrirai… tendrement. »

a Illisible : « précision » ?

1 Elles seront incorporées aux Lettres chrétiennes et spirituelles… de Madame Guyon en 4 tomes (1717-1718) par Poiret, reprises en 5 tomes par Dutoit (1767-1768) : quelques lettres du t. III et « les 38 premières lettres » du tome IV sont du marquis.

2 Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mystique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, 1688.

3 Le Nouveau Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ avec des explications…, tome IV, [Amsterdam], 1713.

4 [sic] : Fièvre troisième, d’après fièvre quarte. Fièvre tierce : à accès un jour sur deux (Furetière) ; troisième pourrait signifier un jour sur trois ?

Au marquis de Fénelon. 20 mars.

Ce 20 mars,

Vous jugez bien, mon cher enfant, que ce sera une grande joie pour moi de vous voir, et je veux que vous ameniez le bon enfant qui vous sert, car je serais fâché que vous fussiez seul. Mais il n’y a point d’apparence que vous veniez le mois d’avril : ma belle-fille vient toujours passer plusieurs jours devant Pâques pour se confesser, et elle prend ce temps pour d’autres petites affaires ; mon petit-fils, qui a son congé pour deux mois seulement, doit y venir passer quinze jours après Pâques pour s’en retourner au mois de mai, de sorte que je ne puis avoir personne dans le mois d’avril. La p [etite] d [uchesse] 1, qui y voulait venir dans ce temps, sait que je lui ai mandé la chose impossible. Mais si vous êtes libre le mois de juillet, vous pourriez y venir avec elle et j’en serais fort aise. Je prends bien part à la maladie de la Voisine et je suis ravie qu’elle soit mieux.

Je ne connais rien aux papiers que vous me demandez. Le livre des sermons et une partie des papiers de notre père sont déjà à Paris entre les mains de R [amsay] 2, M. F [orbes] vous rendra les autres et vous expliquera toute chose. Il y a peu à attendre puisqu’il sera à Paris, chez le cher Put, le 26 de ce mois au soir. Je ne puis vous en dire davantage. Ma santé n’est guère bonne, le départ d’un enfant qui m’est cher et la contrainte d’en avoir d’autres qui ont peu de considération pour moi, qui me dérangeront et me fatigueront, ne sont pas des choses qui contribueront à rétablir ma santé. Croyez-vous pouvoir venir avec la p [etite] d [uchesse] ? Cela me ferait un grand plaisir car vous m’êtes très cher.

Pour le b [oiteux].

– A.A.-S., pièce 7519, autographe.

1 Duchesse de Mortemart.

2 Les Œuvres spirituelles paraîtront en 1718, dont les « Entretiens affectifs poour les divers jours de l’année » (t. I, p. 317-401) correspondraient aux sermons indiqués. Ils peuvent être également présents ailleurs : le t. I comporte 510 pages en plus d’une préface de XV pages (probablement rédigée par Ramsay) et de la Table, le t. II comporte une Table des [248] lettres » suivie de 495 pages… en attendant les éditions « complétées » du marquis, de 1738 et 1740.

Au marquis de Fénelon. 26 mai.

Ce 26 mai,

Le cher boit [eux] :

Ne craignez point, mon cher enfant, qu’en vous oubliant vous-même, cela vous donne une liberté dangereuse, car on ne s’oublie pas pour s’occuper des choses du monde, mais de Dieu. Il faut, à mesure que vous vous désoccuperez de vous, tâcher de vous remplir de Lui : c’est le secret philosophique de se vider et d’être rempli, car il ne reste rien de vide. Il faut qu’une chose vide soit remplie incessamment, quand ce ne serait que d’air. Ainsi, mon cher enfant, occupez-vous sans cesse de Dieu, non avec gêne mais par des retours simples en vous vidant de tout le reste, en le laissant tomber. Il est certain que le recueillement fera plus d’impression dans votre cœur que tous ces retours scrupuleux. Si vous trouvez l’occasion de faire service au chirurgien ou de lui donner quelque chose, faites-le sans vous en occuper. a

Je suis très mortifiée de l’état où se trouve Panta : il ne devait pas tant se presser de donner ses bénéfices, mais Dieu l’a permis : il faut en être content. Le p. ch.1 partit hier. Je suis mieux depuis trois jours : je mange et ne vomis pas ce que je mange. Dieu sur tout. J’avais donné le papier lorsque j’ai reçu votre lettre, mais il n’y a rien de plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. Je vous embrasse, mon cher enfant.

Permettez-moi de faire ici des amitiés au cher R [amsay], l’écriture m’est encore difficile : je l’embrasse.

– A.S.-S., pièce 7499, autographe — pièce 7417, p. 187 (lettre 36) — Dutoit, t. IV, Lettre 33, p. 72-73.

a Fin de D & de la pièce 7417.

1 Non identifié.

Au marquis de Fénelon. 1er juin 1716.

« … il est nécessaire que vous soyez vidé… »

Lorsque j’ai reçu votre lettre, mon cher enfant, il n’y avait plus moyen de vous envoyer la réponse à Paris. C’est pourquoi jea vous l’envoie à C [ambrai]. Ne doutez pas que je ne sois avec vous au tombeau de notre père. Je le prie de vous être utile et de prier Dieu qu’il vous inspire ce qui est plus avantageux pour la gloire de Dieu et pour le bien de votre âme.

Jusqu’àb présent, mon enfant, vous avez été conduit comme un enfant, vous avez été nourri de lait, et vous avez été comme dit saint Paul de lui-même : « Quand j’étais enfant je parlais en enfant, j’agissais en enfant1 », et du passage [où] il dit ailleurs : « Vous avez eu jusqu’à présent le lait2, il faut que vous mangiez le pain des forts ». Je vous dis la même chose. Il a été nécessaire pour un temps que vous disiez vos pensées, ce que j’appelle penser tout haut, afin de vous simplifier. Mais ces mêmes choses, qui vous ont été si utiles, vous deviendraient dommageables, entretenant votre esprit dans son activité et dans son occupation de vous-même, dont il est nécessaire que vous soyez vidé, car, quoique Dieu envoie Sa grâce à proportion de notre bonne volonté parmi une plénitude qui n’est pas péché, Il ne peut venir Lui-même que dans un vide proportionné à la communication qu’Il veut faire de Lui-même. C’est Lui qui comble les vallées et devant qui les montagnes s’écroulent. Il faut donc changer de route et de conduite. Bornez-vous à dire vos pensées à Pant [a] lorsque vous êtes avec lui, et à moi lorsque le petit Maître nousc met ensemble.

Je crois que la peine et le scrupule que vous avez de ne pas dire les choses lorsqu’elles vous viennent dans l’esprit, est causé par l’habitude que vous aviez prise de tout dire. Cependant comme le petit Maîtred n’arrête cela par moi que pour vous désoccuper de vous, quand cette occupation devient trop forte, dites-le, mais il faut vous en désoccuper peu à peu, non avec violence, ce qui ne ferait qu’agiter un naturel aussi vif que le vôtre, mais en laissant tomber. Pour le faire efficacement, il faut retourner vers Dieu au-dedans de vous, et cela fera tomber peu à peu toutes vos agitations et tant de scrupules mal fondés, qui vous jettent sans cesse dans l’occupation de vous-même, car il n’importe au démon de quel moyen il se serve pour nous occuper de nous-mêmes et nous désoccuper de Dieu. Lorsqu’une personne veut être réellement à Dieu, il se sert de l’apparence du bien pour la troubler, car il ne va pas l’attaquer directement par ce qui paraît mal. Il faut donc changer de route à présent, ou plutôt marcher sans vous arrêter à chaque pas, comme vous faisiez pour voir si vous alliez bien et vous arrêter à toutes les menues plantes, sous prétexte d’examiner leur nature. Dieu vous retranchera aussi certaines sensibilités, qui étaient de votre état alors et qui ne conviennent plus à présent.

J’espère que notre père vous obtiendra ce que le petit Maître me fait vous dire. Marcheze par la foi, mon enfant, et non par ce que vous sentez ou ne sentez pas : il en est de saison. Servez Dieu pour Lui, aimez-Le pour Lui. On parle de l’amour désintéressé bien souvent sans le connaître. Il ne doit pas être seulement dans nos paroles, mais dans nos œuvres. Moins nous avons de sensible, plus nous devons marcher avec fidélité et assurance, non appuyés sur nous-mêmes, mais sur la puissance et la bonté de Dieu.

Ne croyez pas que votre voyage vous ait moins servi que les autres parce que vous y avez eu moins de goût sensible : c’est le contraire3. Dieu, voulant vous ôter le sensible, a commencé ici. Au reste ne vous découragez pas si vous n’avancez pas autant que vous le voudriez. Si vous voyiez votre avancement, de l’humeur dont vous êtes, vous vous en occuperiez sans cesse au lieu de vous occuper de Dieu. Laissez à Dieu le soin de vous conduire tantôt par des campagnes fertiles, le plus souvent par des campagnes désoléesf, sans route et sans eau, comme David4 l’avait éprouvég.

Je suis bien aise que M. votre père s’adoucisse pour vous quand vous ne deviez pas me voir, car il est de l’ordre de Dieu dans votre état de tâcher de cultiver son amitié : j’espère que Dieu ajustera toutes choses. Je recommande le p.5 à vos prières et à celles de Pan [ta]. Souvenez-vous de lui au tombeau de notre pèreh 6. Gardez cette lettre : elle pourra vous servir plus d’une fois. C’est beaucoup pour moi de l’avoir écrite, étant encore faible. Je vous embrasse, mon cher enfant, des bras du petit Maître.

– A.A.-S., pièce 7520, autographe & copie 7417, p. 188 (lettre 37 précédée de : « autre du premier juin ») – Du second à l’avant-dernier § : Dutoit, t. IV, Lettre 34, p. 73-77.

a Paris. Je copie 7417.

bDébut de D.

cà ** lorsque vous êtes avec lui et à moi lorsque le Seigneur nous D.

ddivin Maître D.

eprésent. Marchez D. omission.

fdésertes D.

gFin de D.

hFin de la copie 7417.

1I Cor. 13, 11.

2I Cor. 3, 2 & Heb. 5, 12.

3 Intéressante remarque portant sur le senti de la vie intérieure qui décroît lors de son approfondissement.

4Ps. 62, 3.

5papa ?

6 Fénelon.

Au marquis de Fénelon. 6 juin.

Je m’étais hâtée de vous écrire une longue lettre que je vous priais de garder et de lire quelquefois [.….]a Je vous conjure de n’être plus perplexe, car votre perplexité vous embrouille et entortille et ne vous laisse point une certaine netteté dans vos expressions que vous devriez avoir. Je veux que mon cher enfant soit courageux pour combattre les combats du Seigneur. Laissez-vous à Lui, quittez ce qui est de l’enfance spirituelle. Vous me manderez si vous avez reçu ma grande lettre, vous y trouverez la réponse à celle que je reçus hier. Je vous embrasse, mon cher enfant, et je [193] prie Dieu qu’Il vous soit toutes choses.

– A.S.-S., pièce 7417, p. 192 (lettre 38 précédée de : « autre du 6juin ») — Dutoit, t. IV, Lettre 35, p. 77-78, qui commence à « Je vous conjure… »

aPoints de suspension nombreux de la pièce 7417.

Au marquis de Fénelon. 21 juin 1715.

Abandon. Nouvelles écossaises. Conseils pratiques.

Le 21 juin,

Mon cher enfant, lorsqu’en disant ou faisant quelque chose ou même avant de la faire, lorsque vous vous apercevez qu’il y a de l’infidélité, il ne faut pas passer outre. Demeurez plutôt court, comme une personne qui a oublié ce qu’il veut dire. Il vaut mieux avoir cette petite confusion devant les hommes que de déplaire à Dieu. L’abandon ne consiste pas à négliger les fautes dont nous avons la lumière, lorsqu’il est encore temps d’y remédier, mais bien après qu’elles sont passées, s’abandonner à Dieu et en être plus humble par la connaissance de ce que nous sommes.

Il faut faire quelque coup hardi pour vous défaire de votre vivacité et d’une certaine opinion que vous avez de ce que vous faites : ce coup hardi est de demeurer quelquefois court. Je ne vous parlerais pas de la sorte si je ne connaissais que Dieu vous appelle pour être à Lui sans réserve. Mais quand les fautes sont faites, je ne veux point que vous vous en occupiez, ni que vous demeuriez entortillé en vous-même par une multitude de réflexions. Faites ce que dit saint Pierre : demeurez humilié et rabaissé sous la puissante main de Dieu1. Ce que je vous ai dit ne regarde que vos paroles, mais lorsqu’il s’agit de la [f.1v°] gloire de Dieu et de l’intérêt de l’Église, méprisez toutes ces vanités qui vous viennent de votre activité, car le démon se servirait de cela pour vous empêcher de faire un bien d’autant plus nécessaire que les besoins sont plus pressants. Il faut dire comme saint Bernard : nec propter te coepi, nec propter te desinamc.

Je ne veux point que vous vous confessiez si souvent et pour des choses qu’un simple retour vers Dieu efface, car comme vous dites fort bien, quand on est sûr qu’on s’ira confesser aussitôt, on se néglige davantage.

Le cahier dont je vous parlais était un petit opéra plus long que les autres, dans lequel j’avais fourré des lettres du baron2 pour ne les pas perdre et que j’y ai laissées apparemment sans y penser, ne les ayant pas retrouvées. Je suis très satisfaite de la préface et je doute qu’aucun autre l’eût mieux faite.

Je ne puis assez vous exprimer combien votre âme m’est chère et ce que Dieu me donne pour vous, ce qui me fait espérer que vous serez un jour un de Ses enfants très chers. Votre lettre était pleine de gravier, je n’ai point eu de regret à quelques sols qu’elle m’a coûtés de plus, [f.2v°] parce que je me suis imaginé que vous l’aviez pris sur le tombeau de notre père. M. F [orbes] vous salue et se recommande à vos prières : M. son frère et son cousin en ont bien besoin, ils sont dans une triste situation. Je vous prie de les recommander aussi à Pant [a], que je salue de tout mon cœur. Nous avons en ce pays là-bas un ami qui est un homme de grand mérite et bien à Dieu, qui selon toutes les apparences aura la tête coupée3. Il est d’une tranquillité et d’une gaieté incroyable, attendant le coup de grâce. C’est une personne qui m’est chère en Jésus-Christ. Priez aussi pour lui. a Sir Isaac Pibs vous dira le reste.

Jeb suis bien aise, mon cher b [oiteux], de vous rendre ce que vous m’avez prêté. Je n’ai pas manqué d’occupation depuis que je suis ici, car depuis votre éloignement la besogne avait beaucoup grossi. Je ne sais rien du lieu que nous avons quitté, ni ce qui s’y passe depuis dix ou douze jours, chacun ayant pris son parti presque en même temps. Milles assurances de respect à la V [oisine] et à la petite sœur. Je me dis quelquefois : est-ce que le petit Maître ne permettra pas que l’on se retrouve encore quelquefois ensemble ? Ce me serait assurément un plaisir bien sensible et je sens très bien que ni l’absence ni l’éloignement ne diminuent rien de mes sentiments pour elle. Milles tendres amitiés à Panta, adieu, mon cher b [oiteux]. Je ne vous dirai rien, car que pourrais-je vous dire que vous ne sachiez aussi bien que moi ? [f.2v° à l’envers, adresse au milieu]

Pour ce qui regarde M. votre père, je ne vois que deux moyens à prendre : ou d’écrire à la bonne religieuse que, comme vous espérez de le voir bientôt, vous le satisferez plus facilement de vive voix que par une lettre, ou d’écrire à M. votre père que vous n’avez jamais eu d’autre dessein que de lui donner en toutes occasions des preuves de votre respect, que si, sans le vouloir, vous avez fait autrement, vous en êtes fâché et que vous tâcherez en toute occasion de lui marquer combien le respect est invariable ou quelque chose de semblable. Vous êtes auprès de gens qui pourront vous conseiller sur le parti que vous avez à prendre.

- A.S.-S., pièce 7142, lettre originale écrite sous la dictée à : « Flandres Monsieur/ monsieur le marquis de Fénelon/ Colonel du régiment de Bigorre/ Chez madame la marquise de Risbourg/ À (Lille biffé) (acquitté à Lille add. à gauche) à Cambray (add. à droite) » —A.S.-S., pièce 7417, p. 193 (lettre 39) copie partielle du marquis de Fénelon : « autre du 21 juin » —Dutoit, t. IV, Lettre 36, p.78-80 —Griselle, Revue Fénelon, « Madame Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », 1911, p. 165-166, pièce XI.

aFin de D.

bNouveau paragraphe ms.

cSaint Bernard [au Démon :] Nec … desinam [je n’ai pas commencé pour toi et je ne cesserai pas non plus pour toi] D qui complète ainsi le texte sans donner la référence.

1I Pierre 5, 6.

2De Metternich.

3Un des Écossais, Lord Deskford, James Ogilvie, (1690-1764). Il fut arrêté en août 1715 et confiné quelques mois au château d’Edimbourg. Madame Guyon interviendra en demandant à Metternich, diplomate de Prusse, d’intervenir en sa faveur : v. lettre de Metternich ci-dessous.

Au marquis de Fénelon. 6 août 1716.

« Plus je vois de gens sages, plus j’ai envie d’être folle… »

Pour le cher boiteux.

J’attendais toujours que vous viendriez [sic], m [on] b [oiteux], c’est pourquoi je ne me pressais point de vous écrire. Je suis fort en peine de n’avoir plus de vos nouvelles et je ne sais à quoi attribuer votre silence. Je ne me suis point repentie d’avoir fait ce que j’ai fait pour la malle, car ainsi que je vous ai mandé, elle était déjà embarquée avec le bagage. Dieu assiste les imprudents et Il dérange la sagesse des sages. Je ne pense pas que je ne sois persuadée que votre malle n’eût connu beaucoup de risque dans un temps où l’on vole partout, si elle fût restée à l’hôtellerie, car jamais on ne l’aurait rendue à Servais. Ce n’était point aussi le parti que M. […] a avait, puisqu’elle était déjà embarquée avec tout le reste du bagage du régiment. Puisque vous consultez […] a le bon Put, il faut que vous ayez un grand […] a pour la sagesse. Je suis d’avis qu’on l’habille en Minerve, qu’on le mette sur un piédestal et qu’on mette un trépied devant lui.

Plus je vois de gens sages, plus j’ai envie d’être folle. Ainsi mon enfant, il me paraît que la sagesse n’était point de votre ressort. Je vous prie de laisser là tout ce qui regarde les disputes du temps. Ne vous en occupez plus, car à la fin votre esprit s’accoutumerait à une plénitude perpétuelle, et je ne vois pas que cela serve de beaucoup car chacun est entêté de son sentiment : tout ce que l’on fait ne sert qu’à les roidir davantage. On m’a assuré que les choses allaient changer de face. Il faut attendre le Seigneur. Nous sommes impatients parce que nous sommes mortels et que notre vie est de courte durée, mais Dieu est patient parce qu’Il est éternel.

Mandez donc quand vous viendrez : oui ou non. Je crois non, étant [donné] tout ce que vous dites, que vous craignez que je ne vous fasse donner la discipline par R [amsay]. Mais venez toujours si cela se peut sans nuire à vos affaires. Je vous embrasse tendrement. R [amsay] fait de même et il vous aime bien. /Ce 6e d’août.

Je suis bien mortifié de ne recevoir plus de nouvelles de mon cher marquis. Je lui ai envoyé il y a huit jours une lettre de Milor [sic] de Staford que je vous prie de me renvoyer. Où en sont les impressions ? Si vous me rendez la préface aux dialogues, je l’abrégerai et la réduirai à deux pages. Je crains que vous ne me jugiez malade. On vous attend avec tant de joie et vous ne venez point. Je vois bien que je n’aurai point l’honneur et le plaisir de vous embrasser ici. Cela n’est pas bien. Vous craignez que je ne vous donne la discipline. Un petit mot, je vous en prie, pour nous tirer de peine. Je vous embrasse avec tendresse et respect.

– A.S.-S., pièce 7533, cachet ; copie de la main de Ramsay - A.S.-S., pièce 7417, p. 195 : « autre du 6 aout et dernière de ce recueil fini étant près d’arriver chez notre mère » ; le dernier paragraphe a été ajouté par Ramsay — §2 seul : Dutoit, t. IV, Lettre 37, p. 80-81.

a Illisible ou manquant.


Nous complétons enfin la série de lettres adressées au marquis de Fénelon par Madame Guyon de deux lettres postérieures à la disparition de celle-ci : elles illustrent la correspondance entre disciples. De même on trouvera, dans la section consacrée aux disciples écossais, trois autres lettres échangées entre Lord Forbes et le marquis de Fénelon. On notera l’estime profonde de Lord Forbes pour la duchesse de Guiche, devenue Madame de Grammont : elle pourrait avoir succédé à Madame Guyon dans le rôle de direction spirituelle, comme le montrent les « Compléments biographiques » qui forment la cinquième partie de notre édition de la Vie.

De Ramsay au marquis de Fénelon. 30 mai 1723.

Le 30 mai 1723.

J’ai tort, m [on] très c [her] frère, d’avoir eu un dessein si outré. Je crois tout le bien que vous dites de la Col [ombe] et encore plus, et je lui demande pardon. Il n’est pas nécessaire de vous dire toutes les raisons qui m’ont porté à vous écrire la dernière lettre, ni de répéter celles qui m’ont obligé à m’opposer à la clause, mais je ne veux pas être plus sage ni plus zélé pour les intérêts de notre mère, de ses écrits, etc., que ses autres enfants. Ainsi pour ce qui regarde la seconde édition de la vie de S. B. [Fénelon] et tout le reste, je me soumets entièrement à ce que vous et les autres jugeront à propos, me contentant de dire la vérité du fait à ceux qui m’en parleront dans ce pays-ci.

Mille sincères compliments à tous les amis, et je vous embrasse, mon très cher marquis, du meilleur de mon cœur dans le petit Maître. Il y a un endroit dans la vôtre que je ne puis pas deviner, c’est-à-dire les engagements dont vous parlez : éclairez-moi un peu là-dessus. Adieu.

– A.A.-S., pièce 7416, ms 2175.

De Dupuy au marquis de Fénelon. 8 février 1733.

Le 8 février 1733.

J’ai à répondre à deux de vos lettres, mon cher marquis  : je le ferai du mieux qu’il me sera possible, et autant que la mémoire me le pourra fournir après tant d’années.

M. de Cambrai [n’] a connu, fort superficiellement, le P. Valois1 avant qu’il [ne] fût confesseur de M. le duc de Bourgogne, — si tant est qu’il l’ait connu avant ce temps-là, — que par la réputation qu’il s’était acquise par les retraites du noviciat. Il ne m’a jamais ni dirigé ni confessé, ni même guère vu que depuis qu’il fut nommé confesseur : ce fait est certain.

Je ne sais ce que c’est que la sœur Malin, si ce n’est qu’elle soit du nombre de quelques prétendues dévotes à qui Mme Guyon faisait la charité, et qui, sous le voile de la dévotion, s’étaient fait introduire chez Mme Guyon après son arrivée à Paris. Ces créatures, dont elle connut peu après le caractère et à qui elle fit défendre sa maison, se déchaînèrent contre elle et le P. Lacombe, à qui elle les fit connaitre pour ce qu’elles étoient, car elles allaient à confesse à lui, et ce père leur avait procuré quelques charités de Mme Guyon. Elle eut même bien de la peine à le détromper sur leur sujet, et il lui faisait même un scrupule de ce qu’elle lui en disait pour le détromper. Enfin il le fut, il les renvoya, et ce fut par ces créatures, qu’on appelait les filles du P. Vautier2, que commença la persécution qui s’éleva contre elle et le P. Lacombe, car elles allèrent dans tous les confessionnaux l’accuser des horreurs du quiétisme, et disaient que c’étaient le P. Lacombe et Mme Guyon qui les y avaient portées. Je crois qu’elle en dit quelque chose dans sa Vie. Cela se passa dans les années 1687 et 1688, autant que la mémoire me le peut fournir. Mais cette sœur Malin n’a jamais été de ses amies, ni eu autre commerce avec elle que comme je viens de vous le dire : car je commençai à la connaître dans ce temps-là, et elle me contait fort simplement les différentes circonstances que je viens de vous marquer.

Il est vrai que M. l’abbé de Fénelon revint de Beines avec Mme Guyon, qui y était depuis quelque temps avec Mme la duchesse de Béthune, et qu’elle leur donna son carrosse pour revenir à Paris. Il la vit là pour la première fois, et elle avait une de ses femmes avec elle : elle le marque, je crois encore, dans sa Vie3.

Il fut nommé à l’abbaye de Saint-Valery en 1694. Je n’en sais ni le mois ni le jour que vous me demandez; mais je crois que ce fut sept ou huit mois avant qu’il fût nommé à l’archevêché de Cambrai, car cette nomination se fit dans les trois premiers mois de 1695, vers Pâques, autant que je m’en puis souvenir5. Peu de jours après, il remit au Roi l’abbaye de Saint-Valery, qui était de dix-huit ou vingt mille livres de rentes ; et je me souviens très bien que cette remise fut fort désapprouvée de plusieurs prélats qui pour lors étaient à la Cour, et qui y faisaient la plus grande figure6.

Pour ce qui est du prieuré de Cardenac : le seul bénéfice qu’il eût avant qu’on lui donnât Saint-Valery, peu après Saint-Valery, et avant l’archevêché de Cambrai ; mais ce fait ne m’est pas assez présent pour vous le pouvoir assurer. Monsieur votre frère, qui est sur les lieux, vous le pourrait dire par le temps de la prise de possession qu’en fit pour lors M. l’abbé de Chanterac.

Pour ce que vous me demandez de la lettre à M. de Tarbes7, j’ai bien ouï dire qu’il y en avait eu une en même temps que celle qu’on attribue8 du P. Lacombe à Mme Guyon ; mais je ne l’ai jamais vue. Il y a bien de l’apparence, si elle existe, qu’elle vient de la même boutique que la dernière, qui est certainement très fausse, non seulement par le style, qui ne ressemble en rien à celui du P. Lacombe, mais par le caractère de l’écriture, dont Mme Guyon reconnut la fausseté dans le moment qu’on la lui montra, car elle était fort mal contrefaite ; mais parce qu’il n’était pas possible que ce père eût pu lui écrire une pareille lettre, elle en ayant plusieurs de lui en original qui font voir l’idée qu’il avait de sa vertu, de sa piété, de son amour pour la croix et pour les souffrances, et des grands desseins de Dieu sur son âme par la grandeur de ces mêmes souffrances. La même bouche ne souffle point le froid et le chaud avec cet excès en même temps : aussi en fut-elle si peu effrayée, quand on lui montra cette lettre, qu’elle répondit sans chaleur à M. l’archevêque de Paris et au curé de Saint-Sulpice de ce temps-là, qu’il fallait, si la lettre était du P. Lacombe, ou qu’il fût devenu fou, ou qu’on la lui eût fait écrire à force de tourments9. Elle ne voulut pas parler de la fausseté, qui lui sauta d’abord aux yeux, par l’espérance d’une procédure juridique où elle espérait de la faire connaître telle qu’elle était ; et elle se contenta de leur dire qu’elle les priait de le lui confronter, et qu’elle était bien sûre qu’il désavouerait cette lettre. En effet, c’était le droit du jeu que d’en venir à une confrontation ; mais on était bien éloigné de la faire. Il y a lieu de croire, ou que ces deux messieurs étaient trompés les premiers à cette lettre prétendue qu’ils produisaient, ou que, s’ils la connaissaient pour ce qu’elle était, ils voulurent voir ce qu’elle produirait, supposé que l’impression qu’on leur avait donnée de l’un et de l’autre eût quelque fondement, ce qu’ils auraient pu découvrir par une première surprise. Quoi qu’il en soit, cette lettre à M. de Tarbes, du même temps que l’autre, ne peut venir que du même endroit. Une autre réflexion qui me vient en écrivant ceci, c’est que le P. Lacombe, à qui la tête tourna vers ces temps-là, par l’excès des souffrances d’une si longue prison sans aucun commerce, et par les tourments qu’on lui fit pour en tirer quelque chose contre Mme Guyon, aurait bien pu succomber à la persécution et écrire ce qu’on lui aurait dicté : mais la lettre est fausse de tout point, et soit fausseté ou folie, l’on n’a jamais osé la confronter.

Voilà, mon cher marquis, bien des discours : je satisfais, autant qu’il m’est possible, votre curiosité. Tous ces faits m’ont été si fort connus dans le temps qu’ils me sont encore présents jusqu’à un certain point. L’on verra dans l’éternité ce qu’on a tant essayé d’obscurcir dans le temps. Ce pauvre P. Lacombe est mort à Charenton, fou à lier, après y avoir été plusieurs années10. Dieu sera son juge, le nôtre, et celui de ceux qui l’ont tant persécuté.

Nous reproduisons cette lettre 668 du tome onzième de la Correspondance de Fénelon de 1829, compte tenu de son caractère de témoignage ayant servi à la rédaction du récit de la Querelle par le marquis de Fénelon, publié en 1738. Nous rééditons en effet ce récit dans le volume II Combats. « Le marquis de Fénelon s’occupait alors à composer la Vie abrégée de l’archevêque de Cambrai, qu’il joignit, en 1734, à l’Examen de conscience pour un Roi », explique l’éditeur de 1829.

1 Louis Le Valois (1639-1700) : « Le Père Valois, jésuite célèbre, mais meilleur homme que ceux-là ne le sont d’ordinaire […] était un de ceux qui avaient tenu pour Mr de Cambrai. C’était un homme doux, d’esprit et de mérite… » selon Saint-Simon cité dans la notice « Le Valois », DS, vol. 9, col. 733.

2 Il s’agit d’un « jésuite du nom de Vautier, qui fut vers ce temps-là l’une des bêtes noires des jansénistes ». COGNET, Crépuscule…, p.160. V. Vie 3.16.6.

3 V. Vie 3.9.10 : « Quelques jours après ma sortie, je fus à Beynes chez Madame de Charost […] Ayant ouï parler de M. l’abbé de Fénelon, je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur… ».

4 Le 24 décembre 1694.

5 Le 4 février 1695 par Louis XIV.

6 L’exemple de désintéressement donné par Fénelon n’était guère courant.

7 Lettre du 9 janvier 1698, qui ne présente pas de faits objectivement condamnables, mais le père, soumis à une forte pression et probablement dépressif, s’accuse volontiers « d’illusion » et même d’être « tombé dans des misères et des excès de la nature. » Editée dans notre vol. II : Combats.

8 Il s’agit de la lettre forgée : « Ce 27 avril 1698. /C’est devant Dieu Madame, que je reconnais sincèrement qu’il y a eu de l’illusion, de l’erreur et du péché… » Editée dans notre vol. II : Combats.

9 Ce récit concorde exactement avec le récit des prisons, dont le manuscrit était entre les mains des disciples, édité comme 5chapitre de la quatrième partie de notre édition de la Vie par elle-même… (Vie 4.5.).

10 Transféré à Charenton à soixante-douze ans, le P. Lacombe est mort fou — ou atteint de sénilité — trois années plus tard, le 29 juin 1715.

De Dupuy au marquis de Fénelon. 4 mars 1733.

Le 4 mars 1733.

Je commence cette lettre, mon cher marquis, que je ne prétends finir qu’à plusieurs reprises, ,, , car je suis fort faible, relevant à peine d’un rhume fâcheux avec de la fièvre, que les trois-quarts de Paris essuient […] 1

Je vous envoie plusieurs copies de lettres que j’ai trouvées chez le fils du Tuteur2, qui vous donneront des éclaircissements sur plusieurs questions que vous me faites au sujet du libelle3 dont vous me parlez. Je vous ai déjà envoyé copie de celles du cardinal Le Camus […] 4

Il m’est encore tombé trois lettres du P. Lacombe, dont je vous envoie les copies à telle fin que de raison : vous jugerez, par le tout, si cet homme si décrié méritait l’horrible persécution qu’il a soufferte, et celle que souffre encore sa mémoire par toutes les horreurs qui sont répandues dans le libelle en question, sans qu’on lui ait jamais dit plus haut que son nom, qu’il ait subi aucun interrogatoire que sur son Analyse approuvée à Rome par l’Inquisition, qu’il y ait eu autre information, nul corps de délit, ni de confrontation. Dieu soit béni ! Il sait pourquoi Il permet le mal qu’on fait à Ses serviteurs, et ce qu’Il leur prépare dans l’autre monde. Je ne puis que je ne vous marque mon indignation contre la malignité de ces faiseurs de libelles. Il semble que l’enfer soit déchaîné. Dieu surtout.

Je vous embrasse, mon cher marquis, de tout mon cœur. Ce que vous me dites de la santé de Mme de Fénelon me donne de l’inquiétude pour elle et pour vous. Je vous embrasse de tout mon cœur.

– Lettre 669 du tome septième de la Correspondance de Fénelon de 1829, tome onzième, p.81 ss.

1 Nous nous limitons à quelques extraits de cette lettre.

2 Le duc de Chaulnes, fils du duc de Chevreuse.

3 La Relation de l’abbé Phelippeaux.

4 Suit un commentaire des copies de la lettre de Madame Guyon à Mme de Beauvilliers avec la lettre fausse de Lacombe, de trois lettres de Lacombe, de la protestation du 15 avril 95 etc.



Complément 89

Outre les trois lettres qui suivent, nous avons identifiée la lettre 334 [D.2.69], « Que vous dirai-je, sinon que vous soyez si petit que l’on ne vous voit plus ? », et 336 [D.2.71], « Je crois que vous ne devez nullement vous violenter dans le temps de l’abattement de votre corps ». Nous les laissons dans la séquence des lettres sans destinataires ni dates [elles figurent au Tome « 10. Correspondance IV Chemins mystiques »] parce que les lettres voisines de ces dernières appartiennent à une série dont le destinataire est  probablement le même marquis : il serait très problématique de les déplacer.

 29. DE FÉNELON AU MARQUIS DE FÉNELON. 1714 (?)

Je crois que la bonne personne dont il s’agit doit faire deux choses : la première est de ne s’arrêter jamais à aucune de ses lumières extraordinaires. Si ces lumières sont véritablement de Dieu, il suffit, pour ne leur point résister et pour en recevoir tout le fruit, de demeurer dans un acquiescement général et sans aucune borne à toute volonté de Dieu dans les ténèbres de la plus simple foi. Si au contraire ces lumières ne viennent pas de Dieu, cette simplicité paisible dans l’obscurité de la foi est le remède assuré contre toute illusion. On ne se trompe point quand on ne veut rien voir et qu’on ne s’arrête à rien de distinct pour le croire, excepté les vérités de l’Evangile. Il arrive même que les lumières so [ie] nt mélangées : auprès d’une qui est vraie et qui vient de Dieu, il s’en présente une autre qui vient de notre imagination ou de notre amour-propre, ou du tentateur qui se transforme en ange [de] lumière. Les vraies lumières mêmes sont à craindre, car on s’y attache avec une complaisance [94] subtile et secrète ; elles font insensiblement un appui et une propriété, elles se tournent par là en illusion malgré leur vérité, elles empêchent la nudité et le dépouillement que Dieu demande des âmes avancées. De là vient que ces dons lumineux ne sont d’ordinaire que pour des âmes médiocrement mortes à elles-mêmes, au lieu que celles que Dieu mène plus loin outrepassent par simplicité tous ces dons sensibles ; on voit les rayons du soleil distinctement au demi-jour près d’une fenêtre, mais dehors, en plein air, on ne les distingue plus. Je conjure cette bonne personne de laisser tomber simplement tous ces dons, sans les rejeter positivement, et se bornant à n’y faire aucune attention par son propre choix. S’ils sont de Dieu, ils opéreront assez ce qu’il faudra, mais je crois qu’ils cesseront peu à peu, à mesure que la simplicité et le dépouillement croîtront. Voilà le premier point, qui est d’une conséquence extrême, si je ne me trompe.

Le second point est que je crois qu’elle doit, par simplicité, suivre sans scrupule les pentes du [95] fond de son cœur. Si elle suit toujours, avec méthode et exactitude, toutes les règles que des gens, d’ailleurs très pieux, lui donneront, elle se gênera beaucoup et gênera en elle l’Esprit de Dieu. Là où est cet Esprit, là est la liberté, dit saint Paul. À Dieu ne plaise que cette liberté d’amour soit l’ombre du moindre libertinage ! C’est cette liberté qui élargira son cœur et qui l’accoutumera à être familièrement avec Dieu. Il ne suffit pas de nourrir un enfant ; à un certain âge, il faut le démailloter. Elle doit suivre simplement, en esprit d’enfance, l’attrait intérieur, pour les temps de l’oraison, pour les objets dont elle s’occupe, pour parler, pour se taire, pour agir, pour souffrir. Cette dépendance de l’esprit de mort, qui est celui de la véritable vie, fera tout son état. Je ne parle point des pentes qui ne viennent que par contre-coup et par réflexion : c’est en écoutant l’amour-propre et ses arrangements que de telles pensées nous viennent ; ce sont des pensées étrangères à notre vrai fond : on se les donne [96], on les prépare, elles sont raisonnées ; on ne les trouve point toutes formées en nous comme sans nous. Les bonnes sont celles qui se trouvent dans le fond le plus intime, en paix, et devant Dieu, quand on se prête à Lui et qu’on suspend tout le reste pour Le laisser opérer. Voilà ce que je souhaiterais que cette personne suivît sans retour, et par simple souplesse, comme la plume se laisse emporter sans hésitation au plus léger souffle de vent. Il ne faut point craindre de suivre cette impression si intime et si délicate, car elle ne mène qu’à la mort, qu’à l’obscurité de la foi, qu’au dénuement total, et qu’à un rien de foi qui est le tout de Dieu seul, sans manquer à aucun véritable devoir.

Pour les souffrances, il n’y a qu’à les recevoir sans attention, qu’à les outrepasser comme les lumières, ne comptant point avec Dieu pour ce que l’on souffre, et ne les remarquant qu’autant que la remarque en vient, sans la chercher ni entretenir. Il faut recevoir tout le monde avec petitesse, [97] surtout les prêtres en autorité, mais il ne faut point se laisser brouiller et dévoyer par toutes sortes de bonnes gens sans expérience suffisante. Dieu donnera tout ce qu’il faut, sans lumière distincte, si on se contente des ténèbres de la foi et si on ne veut point de sûretés à sa mode pour s’appuyer sensiblement. Je me recommande aux prières de cette bonne personne et je ne l’oublierai pas dans les miennes. 

– A.S.-S., pièce 7417 [il s’agit d’un livre de lettres, contenant aussi quelques poèmes, de la main du marquis de Fénelon], f° 93-97. 

Le texte présent a pour titre : « Copie d’une lettre de n [otre] p [ère] au sujet d’une âme très favorisée de Dieu ». Il est précédée de feuillets vides, puis est suivi, après un vide, au f° 105, du titre introduisant de nombreuses transcriptions  : « Copies, ou extraits de la meilleure des m [un blanc pour ères] à un de ses petits enfants ». Nous pouvons donc attribuer ce texte à Fénelon, « notre père » pour les disciples guyonniens ; Mme Guyon étant leur « mère » de grâce.

 30 [D.4.132]. AU MARQUIS DE FÉNELON. Eviter la scrupulosité, etc.

Il1 me paraît, mon cher E [nfant], que, quand les choses sont d’elles-mêmes indifférentes, comme est de se [516] baigner, qui est chose usitée de tout temps et même nécessaire à la propreté et très souvent à la santé, vous ne devez point vous en faire de scrupule. Tout votre mal vient de l’occupation que vous vous faites des choses, et de vos hésitations, ce qui peut rendre défectueuse une chose très innocente d’elle-même. Vous êtes toujours entre deux termes, comme dit Débora à écouter les sifflements du troupeau2, c’est-à-dire vos raisonnements, vos doutes, avant que les choses soient, et mille réflexions après qu’elles sont faites, ce qui vous cause une perpétuelle occupation de vous-même, et cette occupation de vous-même est la source de toutes vos distractions.

 Il ne faut pas vous étonner si vous êtes plus sec à présent et si vous ne trouvez plus cette douceur et cette consolation que vous trouviez lorsque vous me veniez voir autrefois. Dieu ne donne par Ses instruments que ce qu’Il donne par Lui-même selon la disposition et l’état qu’Il veut de l’âme. [517] Lorsque Dieu a voulu vous attirer à Lui, Il l’a fait d’une façon plus douce et plus multipliée, mais à présent que Dieu veut vous faire aller par la foi et vous retirer du sensible, Il vous donne un état plus sec et plus simple.

 Tout votre mal, comme je vous l’ai dit, vient de votre occupation de vous-même et que votre tête est toujours pleine. Quand votre tête sera-t-elle coupée ? Ne savez-vous pas que l’Ecriture dit : Qui marche simplement marche confidemment3 Vous vous chicanez sans cesse vous-même et vous chicanez avec Dieu. Comme la porte est toujours ouverte chez vous aux réflexions, vous en avez, ou de vaine complaisance sans sujet, ou de crainte et de scrupule. Si vous pouviez une fois laisser tomber toutes ces réflexions, votre intérieur changerait de forme.

 Lisez lorsque la lecture vous fait l’effet que vous me dites : cela est fort bien, car il faut savoir que la lecture porte son effet dans le moment, sans qu’il soit nécessaire qu’il en reste [518] quelque chose. Quoique vous vous trouviez plus sec à l’oraison qu’à la lecture, l’oraison ne laisse pas d’avoir son effet, surtout lorsque la distraction n’est pas volontaire. Même dans toute la voie de la foi, on est plus sec à l’oraison qu’en tout autre temps. Cela n’empêche pas que Dieu n’y opère ; au contraire, Dieu y opère davantage afin que vos réflexions et vos sens n’y prennent rien. Comme, dans le jour, on est plus dans les occasions et que Dieu est plein de bonté pour nous, Il se fait sentir alors afin de nous empêcher de L’offenser en quoi que ce soit. Lorsque l’œil est malade, la lumière lui est pénible, mais lorsqu’il se porte bien, il regarde sans faire attention s’il regarde. Il en est de même de l’œil de la foi : lorsque nous sentons notre regard vers Dieu, cela vient de l’indisposition de notre vue intérieure. Ainsi tout ce que j’ai à vous demander est d’être toujours fidèle à votre oraison, sans vous mettre en peine si vous sentez ou ne sentez pas, si vous êtes d’une disposition ou d’une autre.

 Vous ne parviendrez jamais à la parfaite tranquillité de l’esprit ni au [519] repos du cœur,  si vous ne laissez tomber toutes vos réflexions et ne vous déprenez de vos propres idées, croyant toujours que les autres ont raison plutôt que vous, et cela universellement en ce qui ne regarde pas la foi ; sans cela, vous conserverez toujours votre vie propre et votre propre activité. Croyez-moi, soyez fidèle au divin petit Maître, je vous le demande, et vous vous en trouverez bien. La prière fait beaucoup, mais ce n’est rien si elle n’est accompagnée d’un renoncement continuel. Vous savez bien tout ce que je vous suis en Jésus-Christ.

 Ne ravaudez point sur le passé, ne vous confessez que lorsque vous en avez le mouvement, ou un vrai besoin, non par vos ravauderies, mais par un je ne sais quoi. Le mariage en question est une providence non recherchée, je l’accepte de tout mon cœur. Laissez seulement les vues sur l’avenir… 5 laissez à Dieu le succès. J’ai cette confiance que, si cela ne vous convient pas, le divin Maître y mettra Lui-même des obstacles. Acceptez sans raisonner. Une personne qui veut bien être à la campagne et [520] et qui est de condition, vaut plus selon moi qu’un million. Ne craignez pas que le Maître vous laisse égarer : nul choix n’égale celui de la Providence. Si ce n’est pas de Lui, tout s’en ira en fumée. Je serai ravie de vous voir ; je ne serais pas fâchée que vous soyez ici lorsque je mourrai, si le petit Maître veut bien que je meure. Le mal est si long et augmente chaque jour ; je ne vois point de fin sans la charmante mort ; je n’ose ni la flatter ni la vouloir. Dieu fera ce qu’Il voudra.

1 « Les trois lettres suivantes [la présente étant la première] auraient dû être placées après la lettre 37 de ce même volume, étant écrites à la même personne, mais on les a reçues trop tard pour cet effet. » (Dutoit). Or la lettre suivante D.4.133 est celle qui est adressée au marquis de Fénelon, n° 362 de notre premier volume. On en déduit que la lettre présente est adressée au marquis vers 1716.

2Jg 5, 16.

3 Pr 10, 9.

4Ravauder : Tracasser dans une maison, ranger, nettoyer (4sens selon Littré).

5 Points de suspension de Dutoit.

 31 [D.4.134]. AU MARQUIS DE FÉNELON. Divers avis.

 Il ne faut point avoir de regret, mon cher E [nfant], de ce que Dieu ordonne par Sa Providence : tout ce qu’Il fait est bien ; lorsqu’Il le voudra, Il nous donnera les moyens de nous voir. Je voudrais que vous fissiez passer au public l’ouvrage dont vous me parlez1, mais après cela je voudrais que vous ne fissiez plus rien. L’occupation où vous êtes de ces sortes de choses vous  nuit infiniment : cela tient toujours votre esprit en vivacité et ne lui donne point ce calme qui lui serait si nécessaire.

 Je vous demande donc deux choses : l’une de ne rien faire de nouveau, l’autre d’éviter toute dispute. Il faut se calmer et prier, la vivacité naturelle ne pouvant produire rien de [523] bon, surtout dans une personne qui a tant besoin de se calmer. Comment voulez-vous qu’après vous avoir livré volontairement vous-même à la divagation, vous n’en ayez pas lorsque vous voudriez bien n’en pas avoir ? Vous êtes trop plein de vous-même et de mille autres choses pour n’être pas sec à l’égard de Dieu. Il faut un esprit reposé et un cœur tranquille pour goûter le don de Dieu, et vous n’êtes rien moins que cela. Il serait étonnant que ne fussiez pas sec : l’impétuosité de votre esprit entraîne comme un tourbillon le peu de l’eau de la grâce que vous pourriez avoir ; et comme un grand vent sèche en un moment, de même votre vivacité dessèche tout l’humide de la grâce. Votre mauvais goût est une chose que vous devez éviter, mais votre perplexité et vos retours, loin de le détruire, l’entretiennent. Soyez persuadé que je vous aime tendrement dans le divin Maître.

Comme j’espère vous voir, je vous répondrai sur tout. Mais quand vous déferez-vous de votre tête ? Il me semblait, une de ces nuits, voir tous [524] les hommes comme des épis de blé. Je voyais tant de têtes et point de cœurs. Je disais : « Divin Maître, prenez une faux, moissonnez toutes ces têtes : qu’il n’y ait plus que des cœurs ! »

Ce n’est pas votre corps qu’il faut tuer, mais l’esprit. Laissez votre corps en repos, mais travaillez infatigablement à détruire l’esprit, car c’est ce que Dieu abhorre. Si vous venez, vous serez le bienvenu. Bon courage ! La perfection n’est pas l’ouvrage d’un jour.          

Ne vous confessez point de tout ce que vous me mandez : il n’y avait point de péché. Nous parlerons de tout cela ; il y avait même de la bonne volonté, et un zèle mal réglé. Hélas ! nos propres intérêts sont la seule chose qui nous touche : l’intérêt de Dieu et de Son Eglise ne nous touche point ! Adieu, mon cher E [nfant].

1 Il s’agit probablement des Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718, 2 vol., précédé d’une Préface qui commence ainsi : « Depuis que l’homme s’est éloigné de Dieu, il vit dans une espèce de frénésie perpétuelle. Tout change en lui, excepté son inconstance. Son esprit et son cœur sont sans cesse agités par une foule tumultueuse de pensées vagues et de passions contraires, qui se détruisent successivement. […] »





Direction de disciples « cis » 90



Mlle de la Maisonfort, Mgr Colbert de Rouen, autres destinataires.

 32 [D.1.5] A Mlle DE LA MAISONFORT.

Comme  vous avez désiré de moi, ma très chère cousine1, [21] que je vous écrivisse sur une partie des choses que vous me dites dans la dernière conversation que nous avons eue ensemble, quoiqu’il me paraisse vous y avoir répondu alors assez amplement, je veux de tout mon cœur vous contenter autant que je pourrai, ou du moins, vous parler sur les articles qui me reviendront le plus.

Le premier qui se présente à mon esprit, est le peu de temps que vous croyez avoir dans cette maison pour penser à vous-même et vous occuper de Dieu. À cela, je vous dirai que, comme les communautés sont faites pour le général et non pour le particulier, on doit, en les établissant, regarder plus au bien général qu’au particulier. Or, généralement parlant, il est de conséquence  qu’il y ait beaucoup d’occupation dans les communautés. Cette occupation empêche l’ennui et la négligence, étourdit la tentation, et fait une infinité d’autres biens que je ne décris pas ici, parce qu’il ne s’agit pas du général de la communauté, mais de vous seule. [22] Pour vous, je vous dis que vous aurez assez de temps si vous l’employez bien.

Pour le bien employer, (car c’est du bon usage du temps que dépend tout le bonheur de la vie,) 2  il faut retrancher le temps que vous demandez pour vous-même, puisque l’oubli de vous-même est l’un des points essentiels pour le bon emploi du temps. Si vous retranchez l’occupation de vous-même, alors vous emploierez pour Dieu le temps que vous avez, et c’est ce qui vous est absolument nécessaire.

Peut-être êtes-vous persuadée qu’il vous faut plus de temps que vous n’en avez pour satisfaire à ce que vous devez à Dieu, et c’est en quoi vous vous tromperiez beaucoup. Vous en aurez assez pour satisfaire à ce que vous devez à Dieu, si vous vous renfermez dans les bornes de ce juste devoir sans vous imposer un joug qu’il ne vous impose pas lui-même, et qui, suivant la règle de l’Evangile qui nous ordonne de nous renoncer nous-mêmes, vous nuirait, puisqu’il vous ferait [23] vivre plus fortement dans votre activité naturelle, nourrissant votre vivacité, qu’il est d’une extrême conséquence de détruire, si vous voulez répondre en quelque manière aux miséricordes que Dieu vous fait. Pour y réussir, retranchez donc autant que vous pourrez les œuvres de votre vivacité qui vous sont peu utiles devant Dieu, pour ne pas dire qu’elles vous sont nuisibles, et laissez opérer la grâce que vous étouffez souvent, ou du moins que vous empêchez de s’étendre ; et vous aurez du temps de reste. Je vous parle avec ma franchise ordinaire, parce que vous le voulez de la sorte, et que l’amitié sincère que j’ai pour vous ne me permet pas d’en user autrement.

Soyez une fois persuadée (sans quoi vous ne serez jamais heureuse) que le point principal de la piété est de s’attacher uniquement au devoir de son état en quelque condition que l’on soit, et de bien remplir ses devoirs, et non à une multitude innombrable de pratiques et de prières que Dieu ne nous demande pas. Dieu ne vous [24] demandera pas si vous avez beaucoup lu, beaucoup récité de prières, mais si vous avez fait Sa volonté, et si vous L’avez beaucoup aimé. Or faire Sa volonté, même d’une manière infaillible, c’est de faire bien et avec perfection tout ce qui est renfermé dans l’état où Il nous appelle, et qui n’est point de notre propre choix, puisque notre volonté propre étant la source de toute corruption, tout ce qui nous dérobe à notre propre volonté nous est d’une extrême utilité. Les emplois que nous ne choisissons pas font cet effet. Ils nous sont donc très avantageux.

Comptez, ma chère cousine, que pour seconder les mouvements que Dieu a mis dans vous d’être à Lui sans réserve, il faut que vous posiez pour fondement que tout dépend du bon usage du temps et de remplir vos devoirs avec perfection. Mais comme l’une de ces propositions se trouve renfermée dans l’autre, c’est vous apprendre à faire bon usage du temps que de vous faire connaître la manière de faire vos devoirs avec perfection ; et c’est [25] faire vos devoirs avec perfection que de bien employer le temps. Commençons par le premier devoir, qui est celui de la prière.

Quand vous n’auriez qu’une demi-heure par jour pour prier, si vous employez cette demi-heure à vous occuper uniquement de Dieu, à L’aimer, à demeurer en Sa présence, à vous sacrifier à toutes Ses volontés souveraines, et que vous soyez persuadée que cette demi-heure vous est donnée pour poser le fondement de tout ce que vous ferez durant le jour, n’est-il pas vrai que vous tâcherez de conserver cet esprit de prière en toutes vos actions, ce qui vous fera marcher en la présence de Dieu, qui est le plus assuré moyen (possédant votre âme dans la paix, comme dit l’Ecriture,) de modérer cette grande vivacité, qui serait la ruine de la santé de votre âme et de votre corps ? Votre esprit et votre cœur, reposés par ce goût intime de la présence de Dieu que vous avez nourri et cultivé dans la prière du matin, vous font faire avec perfection, par amour de Dieu, avec joie et tranquillité, ce que [26] vous feriez sans cela avec agitation, dégoût, et plénitude de vous-même. Soyez une fois persuadée que ce n’est point la multitude des actions qui nous sauve, mais de faire avec amour et fidélité celles qu’on est obligé de faire.

Ce peu de temps que vous donnez à Dieu le matin, (si vous n’en avez pas davantage,) est comme l’essai d’un vin ou d’une viande délicieuse qui tient en appétit et en désir de cette même viande, au lieu que, si on en mange d’abord avec excès parce qu’on la trouve excellente, cet excès, malgré sa bonté, ne laisse pas d’en rassasier. Une oraison trop longue, quoique pleine de goût, ne laisse pas d’émousser la pointe de ce même goût, au lieu qu’une oraison plus courte, et que l’on tâche de faire passer dans tous ses emplois, conserve l’âme dans l’appétit de la prière, et fait que toutes ses actions se ressentent de l’oraison, portant en elles un principe de vie.

L’autre manière de prier est l’office. Si vous le dites avec les autres, (ce qui est le mieux lorsque la santé et [27] l’obéissance le permettent, parce que cette prière faite en commun a une certaine grâce d’onction que Dieu attache à tous les emplois généraux des communautés, la généralité étant incomparablement meilleure que la singularité), lors, dis-je, que vous récitez l’office avec les autres, comme vous n’avez qu’un verset à dire de deux, vous avez une très grande commodité pour conserver le recueillement en le disant. Si la nécessité vous oblige à le dire seule, dites-le posément, et tâchez de conserver, en le disant, le même recueillement. Cela vous servira beaucoup pour former votre intérieur, pour vous habituer à la présence de Dieu, et surtout pour diminuer la véhémente précipitation de votre naturel.

Après la prière, il y a les autres emplois de la journée. Attachez-vous sur toutes choses à bien faire ce que vous faites dans le moment présent. Votre esprit vif courra, sans que vous le vouliez, à tout ce que vous aurez à faire ensuite de ce que vous faites, et il vous donnera une agitation pour vous précipiter, qui vous sera extrêmement [28] dommageable si vous ne vous accoutumez de bonne heure à arrêter cette impétuosité. Vous pouvez et devez le faire en deux manières : l’une, en l’arrêtant tout d’un coup, et vous reposant dans un simple recueillement d’un moment, qui tranquillisera votre âme, et fera comme une eau trouble qu’on laisse rasseoir ; l’autre manière est de ne vous point occuper de l’avenir, et ne penser qu’à faire ce que vous faites dans le temps que vous le faites. Cette pratique vous rendra toujours présente à ce que vous faites, et vous ôtera un certain défaut naturel, qui fait qu’étant presque toujours présente à ce que vous ne faites pas, (à moins que ce que vous faites actuellement n’ait ému toute votre vivacité), vous n’êtes point où vous êtes, y étant d’une manière ou abstraite ou excessivement vive.

Je vous parle, ma chère cousine, avec une extrême liberté parce que je vous connais entièrement. Je sais que vous voulez être à Dieu sans réserve, et que c’est pour son seul amour que vous vous consacrez à Lui. De plus, c’est que je suis certaine que vous serez [29] fort heureuse si vous entrez dans ce que je vous dis, (vous ne le sauriez même être sans cela) parce qu’en ne vous occupant point de l’avenir, vous détruisez une infinité de tentations qui ne regardent que l’avenir ; et le laissant à Dieu par un abandon de tout vous-même, vous engagez ce même Dieu, dont la bonté est infinie, à vous protéger d’une manière singulière.

Il vous est encore infiniment avantageux de mettre votre piété dans l’attachement à vos devoirs en l’état où Dieu vous appelle, parce que les actions où il y a moins de propre volonté, sont celles qui sont les plus agréables à Dieu et qui nous font véritablement renoncer à nous-mêmes, car quel renoncement y a-t-il où nous faisons toujours ce que nous voulons ? Quand on agit par obéissance, faisant toujours ce qui est du devoir, on fait toujours la volonté de Dieu, et l’on aime toujours Dieu si l’on fait toujours ces mêmes choses avec un sincère désir de Lui plaire et de se renoncer incessamment. Sans cette pratique de préférer ce qui est du devoir à l’inclination, en quelque état que l’on [30] soit, on n’établit point une vie heureuse ni une piété solide. Rien ne rend plus heureux que de faire agréablement ce que l’on fait nécessairement ; rien n’est plus solidement vertueux que de sacrifier sans cesse notre volonté à celle de Dieu dans tout ce qu’Il ordonne et même qu’Il permet nous arriver.

Vous me répondrez que cela est rude à une personne franche qui semble n’être née que pour la liberté. À cela je vous dirai qu’en quelque état qu’une personne qui aime la liberté se puisse trouver, elle ne peut jamais être libre, pour peu qu’elle ait de société, si elle ne se rend libre par les mêmes choses qui sembleraient la captiver. Il faut donc qu’elle veuille bien faire tout ce qu’elle fait et y mette son plaisir, sans quoi point de vrai plaisir. Mettons donc, ma très chère cousine, notre plaisir dans le plaisir de Dieu, notre volonté dans la volonté de Dieu, et nous serons toujours heureux et toujours contents. Je dis plus : qu’avec ces dispositions, les mêmes choses qui vous gênent aujourd’hui ne vous gêneront plus dans la suite.

[31] Je vous conseille de lire moins de choses que vous n’en lisez et de lire celles que vous lisez avec plus de paix, lisant pour nourrir votre âme, et non pour remplir votre esprit d’une multitude de choses qui l’étouffent et qui, loin de vous tenir en haleine pour le bien, vous lassent, comme une personne qui, ayant trop couru ou qui étant trop chargée, ne respire qu’avec peine. La nature est toujours active et empressée, mais la grâce est tranquille, reposée et exacte. Croyez-moi à vous plus que personne au monde.

1 L’indications de destination à sa « très chère cousine » ainsi que  dans le corps de la lettre, l’allusion à « votre vivacité » permettent de définir le destinataire : Marie-Françoise-Silvine de la Maisonfort, née le 6 octobre 1663, fille d’Antoine-Paul Le Maistre de La Maisonfort, oncle de Mme Guyon. Sa famille étant très pauvre et son père remarié, elle vint à Paris. Mme de Brinon, directrice de Saint-Cyr, la retint comme « maîtresse séculière rétribuée. » Dès l’été 1684, elle suscitait l’enthousiasme de Mme de Maintenon. Elle prononça en 1694 ses vœux solennels. Elle fut chassée le 10 mai 1697 de Saint-Cyr comme quiétiste. Sur sa demande, elle passa chez les visitandines de Meaux, mais en raison de la même aversion pour « leurs petitesses », elle fut transférée le 23 octobre 1701 chez les ursulines de Meaux puis, en 1707, chez les bernardines d’Argenteuil. À la mort de Bossuet, Mme de La Maisonfort reprit sa correspondance avec Fénelon, elle resta aussi « en commerce » avec sa cousine Mme Guyon… (Orcibal ; v. notre index, tome II).

2 Les contenus entre parenthèses, ici comme dans des cas suivants, apparaissent comme des précisions qui ne s’imposent pas, probablement ajoutées par l’éditeur. Nous supprimerons les plus inutiles.

 33 [D.1.168] A Mlle DE LA MAISONFORT.

Ma chère cousine, il faut avoir cette précaution de ne vous attacher qu’à Dieu. Honorons les hommes qui nous portent à nous détacher [496] de tout ce qui n’est pas Dieu, afin que nous soyons un jour en état que Dieu seul nous suffise. C’est en Lui que l’on trouve tous les biens et le remède à tous les maux. L’idée de remplir le moment présent est tout ce qui nous est le plus nécessaire, car le passé non plus que l’avenir ne sont plus en notre disposition. Ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de suivre de moment en moment ce que Dieu demande de nous dans l’état où Il nous met. Cela suffit pour tous1. Oh ! si nous remplissions ce moment divin selon la volonté de Dieu, que nous serions bientôt parfaits ! nous perdrions tous nos scrupules, nous vivrions comme des enfants abandonnés à leur divin Père qui oublient ce qui les regarde eux-mêmes pour ne penser qu’à Le contenter. Vous n’aurez jamais autant de bien que je vous en souhaite, c’est-à-dire de ce bien immuable, qui, n’étant appuyé sur aucun bien créé, ne peut aussi jamais nous manquer.

1 « On y savait seulement que chaque moment amène un devoir qu’il faut remplir avec fidélité ; c’en était assez pour les spirituels d’alors : toute leur attention s’y concentrait successivement ; semblable à l’aiguille qui marque les heures et qui répond à chaque minute à l’espace qu’elle doit parcourir, leur esprit, mû sans cesse par l’impulsion divine, se trouvait insensiblement tourné vers le nouvel objet qui s’offrait à eux, selon Dieu, à chaque heure du jour. » (L’abandon à la Providence divine, chap. 1).

 34.   À L’ARCHEVEQUE COLBERT DE ROUEN.

C’est souvent où le péché a abondé que la grâce surabonde. C’est une grande miséricorde de Dieu lorsqu’Il nous donne le goût et la connaissance du pur amour, et c’est déjà un grand pas de fait ; mais il faut soutenir cette lumière et ce goût par une entière efficacité. Pour y réussira, il est de la dernière conséquence de nourrir ce germe intérieur qui est, comme vous le dites fort bien, un penchant du cœur pour un objet inconnu et néanmoins très certain. La plupart des âmes périssent après avoir bien commencé, faute de nourrir cette grâce, ou en se dissipant trop, ou enb prenant mal à propos des amis qui sont donnés pour des personnes fort avancées. Vous ne sauriez nourrir cet attrait qu’en détruisant ce qui lui est contraire. Il faut marcher par le chemin du renoncement continuel, et travailler infatigablement à se défaire de ses défauts durant [f° 1v°] que la lumière paraît et que le jour éclaire, car si vous n’employez pas ce commencement d’attrait à vous combattre, vos défauts, comme une mauvaise ivraie, croîtront avec le bon grain, s’y mélangeant de sorte qu’on ne pourra plus les séparer. C’est ce qui fait qu’il est d’une extrême conséquence, dans ces commencements, de ne se rien pardonner, car cette grâce vous est donnée pour vous combattre vous-même, et si vous ne le faites pas durant que la lumière luit, vous ne le pourrez faire dans les jours de ténèbres. Je suis toujours peinée lorsque l’on donne des avis ou des lectures trop avancées aux âmes, parce qu’elles négligent les moyens essentiels pour elles. Il faut se servir des pieds pour marcher, mais si l’on nous les coupe, alors laissons-nous porter. La pratique de se poursuivre soi-même est lumineuse. Plus l’on se poursuit avec fidélité sans se rien pardonner et plus Dieu nous éclaire des choses qui lui déplaisent en nous. Ce combat ne se fait point avec inquiétude mais avec paix, tranquillité, attendant plus de Dieu que de nous. [f° 2r°] Sa lumière est très fidèle pour le cœur qui lui correspond. Il ne faut point non plus regarder les autres pour s’y conformer ni pour se mettre par soi-même dans des états qui ne nous conviennent pas. … c de suivre la lumière avec fidélité sans la précéder ni la laisser de trop loin. Il faut surtout aller fortement contre le naturel sans quoi l’on ne fait jamais rien. Mortifiez toute curiosité soit dans vos lectures soit dans ce que vous voulez savoir. Ne demandez rien de ce qu’on ne vous dit pas ; parlez peu des choses spirituelles, il faut beaucoup faire et peu dire ; la science enfle mais la charité édifie. Nous nous persuadons souvent avoir les états dont nous parlons et cette fausse prévention nous cause une présomption secrète, nous fait négliger nos obligations essentielles par une spiritualité d’idée ; pour nourrir votre grâce ne lisez que les choses qui vous conviennent et sans curiosité. Lisez peu et pour vous recueillir et [pour] remuer votre cœur. Lorsqu’il est remué et que vous sentez quelque pente au recueillement, laissez-vous y aller. Gardez le plus de solitude que vous pourrez [f° 2v°] selon votre état, ne faisant que les visites d’obligation et d’une certaine bienséance qu’on ne doit pas trop étendre ; mortifiez vos sens loin de les suivre ; défiez-vous des penchants de la nature, il faut bien du temps à la grâce pour redresser des penchants tortueux, donc nature. Habituez-vous au mal. Si vous êtes fidèle à Dieu, Il vous enseignera Lui-même mille petites manières de vous renoncer. Croyez-moi, il faut que la nature soit longtemps en presse car elle a été libertine. Vous ne trouveriez pas votre compte à tout autre conduite. Il s’en faut bien que vous ne soyez en état de jouir de cette sainte liberté que Dieu donne aux âmes innocentes après les avoir purifiées par de longs travaux. C’est toujours à nous à aller par la foi du renoncement jusqu’à ce que nous nous soyons si fort renoncés que nous ne trouvions rien qui répugne à la grâce ; sans ce fondement il serait impossible que vous puissiez vous soutenir dans la voie. Allez donc courageusement, n’ambitionnez pas d’avancer mais d’aller comme Dieu vous fera aller. C’est reculer que de courir dans une carrière qu’il ne nous ouvre pas [f° 3r°] lui-même mais c’est avançer infiniment que de suivre ses traces. Il faut que le pur amour vous fasse devenir un homme nouveau, qu’il évacue tout ce qui est du vieil homme. Lorsque le feu s’attache au bois avant de le changer en soi, il en fait d’abord sortir toutes les humidités qui lui sont contraires. Ensuite il le sèche, le prépare et enfin l’embrase. C’est ce que doit faire en vous l’amour divin : chasser vos défauts, vous préparer par l’oraison de recueillement, la lecture, etc. et puis vous consommer par sa chaleur divine. Appliquez-vous surtout à remplir vos devoirs et faites toutes ces choses parce que mon maître le veut de vous et qu’Il sera glorifié en cela. Ne croyez pas que ce soit un état trop rabaissé pour vous que de travailler à la mortification. C’est le plus relevé puisque c’est celui que Dieu veut de vous. Crucifiez ces membres charnels de peur qu’ils ne reviennent dans la mollesse, mais crucifiez bien plus votre esprit, votre curiosité, votre sens, vos paroles.

Ne donnez pas la liberté à votre langue de tout dire parmi [f° 3v°] les gens du monde. Autant que vous devez être simple avec ceux qui aiment Dieu, autant devez-vous être prudents avec les pécheurs. On fait mille fautes par la langue qui salissent sans cesse si l’on n’y prend pas bien garde ; qui garde sa langue garde son âme, celui qui ne pèche point par la langue est un homme parfait. Ne blessez jamais le prochain en parlant. La médisance est un des plus grands maux. L’on juge souvent et l’on condamne même celui que le Seigneur justifie.

Je crois devant Dieu que vous éloigner de ce que je vous marque ici, c’est vous éloigner de ce que Dieu veut de vous ; dites simplement à Madame de Mortemart ce que vous remarquerez en elle de défectueux. Elle est bien éloignée ni d’être parfaite ni de se l’accroire mais elle travaille à se défaire de ses défauts qui comme de mauvaises herbes renaissent souvent. Dieu ne sera pas fâché contre nous de ce que nous ne sommes pas parfaits mais il le sera si nous ne travaillons pas à nous défaire de ces mêmes défauts. Le travail de la destruction de nous-mêmes est [f° 4r°] très long, il faut le passer sans chagrin, sans inquiétude et sans nous rien pardonner. Trouvez bon aussi qu’elle vous dise ce qu’elle voit en vous qui ne va pas bien. Aidez-vous les uns les autres à suivre la foi du Seigneur. Tout autre spiritualité pour vous que ce que je vous mande ici ne serait pas ce qu’il vous faut. A présent par votre oraison suivait l’attrait de Dieu et l’obéissance. Lorsque vous aurez quelque peine contre Madame de Mortemart dites-lui simplement.

– A.S.-S., Pièce 1022 du fonds Fénelon, autographe de la main de Madame Guyon. Annotation, [f° 4v°] : « Lettre trouvée parmi les papiers de feu M. l’archevêque de Rouen en 1708. »

a efficacité, (pour y réussir add. interl.) il

b trop (et biffé) (ou add. interl.) en

c illisible.

 35.  AU DUC DE CHEVREUSE (?).  

L’abandon, clef de tout l’intérieur.

Vous me parlez d’abandon, monsieur, et vous me dites une chose qui ne m’est pas nouvelle, lorsque vous me parlez du goût que vous avez pour tout ce qui y a quelque rapport : il y a déjà quelque temps que j’en ai… a les semences en vous, et j’espère de la bonté de Dieu qu’Il en fera porter les fruits en son temps. Au lieu des lettres que vous me demandez, je vous envoie sur cela deux pages d’un petit livre qui court depuis quelque temps, que je vais vous transcrire. Vous jugerez de la pièce par l’échantillon. Cela ne m’empêchera pas de vous envoyer quelquefois les lettres que vous souhaitez.

L’abandon est une donation de tout soi-même à Dieu, ce qui se fait par se convaincre fortement que tout ce qui nous arrive de moment en moment, est ordre et volonté de Dieu et tout ce qu’il nous faut. Cette conviction nous rendra content de tout et nous fera regarder en Dieu, et non du côté de la créature, tout ce qui nous arrive. Je vous conjure, qui que vous soyez qui voulez bien vous donner à Dieu, de ne vous point reprendre lorsque vous vous serez une fois donné à Lui, et de penser qu’une chose donnée n’est plus en notre disposition.

L’abandon est ce qu’il y a de plus de conséquence dans toute la voie, et c’est la clef de tout l’intérieur. Qui sait bien s’abandonner sera bientôt parfait ; il faut donc se tenir ferme dans l’abandon, sans écouter le raisonnement ni la réflexion. Une grande foi fait un grand abandon : il faut s’en fier à Dieu, espérant contre toute espérance1. L’abandon est un dépouillement de tout soin de nous-mêmes  pour nous laisser entièrement à la conduite de Dieu. Tous les chrétiens sont exhortés à s’abandonner, car c’est à tous qu’il est dit : ne soyez pas en souci pour le lendemain car notre Père céleste sait tout ce qui nous est nécessaire2. Pensez à Lui dans toutes vos voies et Il conduira Lui-même nos pas3. Remettez au Seigneur toute votre conduite et espérez en Lui, et Il agira Lui-même4.  L’abandon doit donc être, autant pour l’extérieur que pour l’intérieur, un délaissement total entre les mains de Dieu, s’oubliant beaucoup soi-même et ne pensant qu’à Dieu, le cœur de même, par ce moyen, toujours libre, content et dégagé.

La pratique en doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu, renoncer à toutes inclinations particulières, quelque bonnes qu’elles paraissent, sitôt qu’on les sent naître, pour se mettre dans l’indifférence et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès Son éternité. Etre indifférent à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l’âme ; pour les biens temporels et éternels, selon le bon plaisir de Dieu, laisser le passé dans l’oubli, l’avenir à la Providence, et donner le présent à Dieu : vous contenter du moment actuel qui nous apporte avec foi l’ordre éternel de Dieu sur nous, et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu qu’elle est commune et imitable pour tous ; ne rien attribuer à la créature de ce qui nous arrive, mais regarder toutes choses en Dieu et les regarder comme venant infailliblement de Sa main, à la réserve de notre propre péché. Laissez-vous donc conduire à Dieu comme il Lui plaira, soit pour l’intérieur ou pour l’extérieur.

Voilà, monsieur, à quoi je vous crois appelé. Mais c’est un ouvrage de toute la vie, et vous en aurez longtemps le goût et le désir avant que d’en avoir la réalité. Je prie Dieu qu’Il vous la donne.

– A.S.-S., pièce 7536. Copie par Isaac Dupuy, sans début autre que : « vous me parlez… » ; l’absence de majuscule à « vous » laisse penser qu’il manque le début de la lettre. En tête à gauche, d’une autre main, calligraphié : « Sur l’abandon à Dieu » ; à droite, d’une autre main et d’une écriture assez récente : « (Mr de Chevreuse biffé) Mr de Beaumelle remercie du procès-verbal M. de Gacé. »

a mot illisible.

1 Rom. 4.18.

2 Mat. 6.36.

3 Mt  13.6.

4 Jean  36 .4.

Enfin nous avons retrouvé dans la lettre D.4.154 l’amalgame de deux lettres publiées à partir d’autres sources dans notre second volume.

Le début (« Que ne me jetez-vous dans la mer […] Disposez-vous vous-même à ne plus me voir. ») est adressé au duc de Chevreuse, en novembre 1693 et édité dans notre second volume, lettre 133. La fin (« Nous sommes tous fait à l’image […] si barbouillée ! ») est adressé au même, en février 1694 et édité dans le même volume, lettre 155. 

 36.     AU FILS DU VIDAME (?) 1715 (?)

J’ai toujours conservé pour vous, monsieur, tout le respect et la considération que vous méritez quand vous ne seriez pas aussi recommandable que vous l’êtes par vous-même. La personne à laquelle vous apparteniez, et ceux qui vous ont aimé et conseillé m’ont été si chers, et leur mémoire est si considérable et si présente à mon cœur que je ne pourrais pas vous refuser quelque chose. Mais quel échange, monsieur, et que trouverez-vous dans une personne telle que je suis, qui puisse réparer vos pertes ? Cependant celui qui a ouvert la bouche de l’ânesse de Balaam peut encore ouvrir la mienne.

Pour l’intérieur, la fidélité à l’oraison me paraît essentielle, sans quoi il est impossible d’être intérieur. C’est par elle que nous devenons tout autre que nous ne serions naturellement ; c’est elle qui donne [f. 1 v°] la paix et le calme à notre âme ; c’est elle qui nous fait remplir nos devoirs avec perfection ; c’est l’oraison qui nous fait ressentir d’un esprit égal tous les événements de la vie, quelque désagréables qu’ils paraissent au sens, parce qu’elle nous conduit insensiblement à une soumission parfaite à toutes les volontés de Dieu par l’amour de Son bon plaisir ; c’est elle qui, donnant l’esprit de foi, nous éloigne de toute erreur, parce qu’elle nous unit à la suprême vérité ; enfin, c’est par elle que la parfaite charité nous est communiquée.

Jugez vous-même, monsieur, si je n’ai pas raison de vous la recommander. C’est sur ce fondement inébranlable que vous devez vous appuyer pour toute chose : par elle, vous serez éclairé de ce que vous aurez à faire à chaque moment, car la vraie oraison nous accoutume à une certaine présence de Dieu qui nous Le rend familier. Et ce Dieu de bonté veut être notre correcteur : Il nous prévient dans nos chutes de peur que nous ne tombions ; que si nous tombons de faiblesse, Il nous relève ; si nous L’écoutons, Il nous instruit.

 Je vous prie de faire attention, monsieur, qu’il faut joindre à l’oraison le combat  de nos défauts les plus essentiels, et qui sont [f. 2 r°] les plus conformes à notre humeur et à notre tempérament. Celui qui est prompt et vif doit beaucoup se tranquilliser et ne point agir lorsque la passion est émue, parce qu’on ne voit point les choses telles qu’elles sont ou doivent être, comme on ne peut voir ce qui est dans une eau troublée jusqu’à ce qu’on l’ait laissée rasseoir. Au contraire, les personnes dont le naturel est lent et paresseux, doivent acquérir une certaine vivacité : sur les choses, être exacts à leurs devoirs, les remplir le plus promptement qu’ils peuvent, ne point remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même, car il faut se renoncer soi-même et se poursuivre dans toutes les occasions.

Or l’oraison aplanit le chemin, rend aisé un combat qui paraît pénible à notre amour-propre et change peu à peu nos inclinations, nos habitudes, même notre tempérament. Quel fruit ne tire-t-on pas, dans la suite, de cette petite violence qu’on s’est faite ! D’abord, la bonne habitude se naturalise pour ainsi dire, et on contracte une facilité à tout bien. Vous voyez par tout ceci, monsieur, que l’oraison doit être accompagnée du renoncement à nous-mêmes, et ce renoncement doit être soutenu par l’oraison. Je répondrai d’une autre manière aux autres articles de votre lettre et le cher put1 vous donnera, outre cette lettre, un petit mémoire. Soyez persuadé, monsieur, que si je puis vous être utile et que Dieu vous porte à vous adresser à moi, je serai toujours prête à vous rendre service, vous étant, en Lui, tout ce qu’Il veut que je vous sois.

 – A.S.S,. pièce 7255, sans adresse. De la même main que la lettre au bon duc [de Beauvilliers] datée « 2/1692 », constituant la pièce précédente 7254 : « fils du vidame ».  Ecriture autographe, ferme mais large caractéristique des problèmes de vue de la période de Blois.

Le Vidame d’Amiens était le fils puîné du duc de Chevreuse. Il avait fait carrière dans l’armée et avait été promu maréchal de camp en 1708. Il s’était marié en 1704. V. sa biographie, Correspondance de Fénelon (Orcibal), note à la lettre 1016 du 22 octobre 1704.

1Dupuy. 

 37 [D.2.22]. 1691. Ne pas se chagriner de ses défauts.

Je viens tout présentement de recevoir votre lettre, je vous assure que vous m’êtes toujours bien cher en Notre-Seigneur et que Lui seul le sait. Cea n’est pas votre misère, encore un coup, dont je me plains : je l’aime et je suis ravie que vous la ressentiez comme vous faites, oui, monsieur, dans l’état où vous êtes. C’estb tout d’y acquiescer, de s’en convaincre et de s’abandonner à Dieu afin qu’Il la détruise ou vous y laisse tant qu’il Lui plaira, mais pourquoi votre amour-propre vous pousse-t-ilc à vouloir tout quitter, parce que Dieu vous fait éprouver ce que vous êtes, au lieu de Lui faire de vos misères un entier sacrifice, n’ayant que cela à Lui sacrifier ? Tout ce qui n’est point misère et pauvreté, n’étant point à vous, est un sacrifice de ce qui ne vous appartient pas, mais le sacrifice de votre néant est ce que Dieu veut de vous à présent. Que votre cœur me coûte et me coûtera de douleurs ! Plût à Dieu que Dieu Se contentât, comme vous, que je vous laissasse et que je ne m’intéressasse pas en ce qui vous regarde ! Je le ferais de tout mon cœur puisque vous m’en marquez si fort le désir, mais à vous parler franchement, je n’en suis pas la maîtresse, et ces liens de par lesquels Notre-Seigneur me fait tenir à votre âme sont autant rigoureux qu’ils sont forts. Oui, monsieur, de tout mon cœur, je veux bien être pour vous une victime à la justice de mon Dieu : je souffrirai en me taisant s’Il me le veut permettre, mais comme je n’ai plus ni puissance ni vouloir, s’Il m’oblige de vous parler encore, il faudrad que vous le souffriez. Vous avez bien des misères, mais il vous en faudra bien d’autres avant que vous vouse connaissiez bien. Je prie Notre-Seigneur qu’Il soit votre lumière et votre force. Il viendra un jour que [f.267v°] vous connaîtrez que je vous ai dit la vérité. S’il ne fallait que donner tout mon sang pour vous, que je le donnerai de bon cœur ! Mais de quoi serviraient mes avis si vous jugez de vous-même, plutôt par ce que vous croyez sentir, que par ce que Notre-Seigneur m’en fait connaître ?

Oh ! si vous étiez mis dans la vérité, que vous changeriez de langage ! Ce qui fait votre douleur, ferait votre plaisir ; ce que vous désirez, ferait votre peine ; vous auriez horreur de ce que vous croyez être grand et, content de la plus extrême bassesse, vous entreriez dans la paix que vous y goûtiez autrefois. Vous voulez vous mettre dans l’indépendance, vous éloigner des moyens que Dieu vous a donnés pour votre sanctification, chercher une solitude où vous ne serez jamais seul parce que vous vous y porterez vous-même, au lieu que vous pourriez avoir la plus forte solitude où vous êtes si vous étiez mort à vous-même. Il faut mourir à vous-même, monsieur, ou cesser de vivre : adieu ! il n’y a pointf de milieu. Celui qui ne tient à rien se laisse ôter toutes choses sans penser que l’on les lui ôte : voyez si vous êtes de cette sorte, vous qui vous plaignez de vos misères et de Dieu. Ô mes chères misères, je ne me plaindrai jamais de vous, vous serez ma joie et mon contentement parce que vous êtes le sujet des miséricordes de Dieu, et que vous servez même de trophée de Son pouvoir souverain ; vous rehaussez la gloire de Sa sainteté ! Ô amour pur, que vous êtes peu connu ! Le vrai humble espère d’autant plus que plus il se voit misérable, parce qu’il n’espère rien pour lui, mais tout pour Dieu ; et [f.268r°] il ne se voit jamais plus propre aux desseins de Dieu que lorsqu’il se voit dépourvu de tout bien.

D’où viennent donc ces assurances de n’être propre à rien, les envies de tout quitter ? Oui, monsieur, quittez tout, on ne vous demande rien autre chose ! mais quittez-vous aussi vous-même, laissez-vous arracher toutes choses. Il ne s’agit pas seulement de se mortifier ni corriger, mais de se laisser tout ôter et de tout perdre. Vous n’aurez jamais l’immuable que par la perte de tout le créé, quelque sublime et relevé qu’il soit. Entrez donc dans la poussière de votre néant, vous n’y entrerez que par votre corruption et la pourriture.

Jeg vous dis encore ceci, et je ne saurais m’en empêcher : je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même. Ce n’est pas ce qui vous déplaît à vous-même qui déplaît à Dieu en vous, mais c’est ce qui pourrait vous plaire, ce qui ferait votre inclination, votre choix et votre penchant, et mille autres choses. Oh ! qu’il viendra un jour que vous verrez la vérité dans la vérité même ! Et s’il vous reste alors un regret, ce sera de n’avoir pas suivi ce que l’on vous dit. Je suis sûre que si, dégagé de toutes choses, vous vous mettiez devant Dieu, Il vous ferait bien connaître que ce que vous faites n’est pas Sa volonté.

A.S.-S., ms. 2057, f° 267r° à 268 r°, en tête : « 1691 » [souligné d’une autre main] -  lettre D.2.22.

a lettre. Ce D

b faites. Oui, monsieur, dans l’état où vous êtes, c’est D césures.

c vous porte-t-il D

dfaudrait D

eque vous ne vous D

fmort à vous-même, monsieur, ou cesser de vivre en Dieu. Il n’y a point D (moins intéressant !)

g entrerez que par votre destruction. Je D

 38.  Janvier 1707.

Ne pouvant vous écrire, je me sers de la main du premier et du dernier pour vous écrire sur ce que je trouve de plus essentiel dans votre lettre. Je trouve peu de choses pour la demoiselle dont vous m’avez envoyé le gros écrit, et tous les préjugés sont contre. Ne la découragez pas néanmoins. Je ne vois point un intérieur fondé sur quoi que ce soit : des passions vives et violentes qui n’ont point été domptées, rien de suivi ni sur quoi on puisse compter, un dénuement avant d’être remplie, qui me paraît me venir plus ou des lectures ou des créatures que de Dieu ; la nature toute vive attribuée à la grâce, des fautes essentielles dans la conduite que l’on a tenue sur elle, lui faisant faire des vœux sans connaissance de cause, surtout le dernier. Je la trouve plantée dans la maison où elle est comme une pierre d’achoppement, et il ne faut jamais souffrir qu’une dirigée avoue à son directeur qu’elle a de la passion pour lui : le diable se sert de ces déclarations pour faire d’étranges ravages. Les consultations perpétuelles du directeur à toutes sortes de personnes, marquent combien il est peu sûr et qu’assurément la grâce n’agit pas. Quand c’est la grâce, le dirigé se trouve assuré sans assurance et sans envie d’en avoir, se tenant ferme à l’obéissance, ou plutôt à un je ne sais quoi que Dieu opère, et le directeur demeure invariable dans Sa lumière, sans emprunter des secours et des appuis humains, si ce n’est en une personne en qui il aurait confiance lui-même et qui serait éminente dans la voie. Ce qui va plus loin que cela, me paraît une ruse du démon pour détruire les voies de Dieu : ne se contentant pas de se contrefaire dans la dirigée, il pousse le directeur à demander quantité d’avis sur un état qui paraîtra toujours illusoire, afin de confirmer bien des gens que ces sortes d’états et voies sont très dangereux.

Il me semble que comme Dieu a dessein d’établir Son règne dans ce siècle, le diable veuille établir le sien en contrefaisant certaines choses qui paraissent en quelque manière semblables, et qui cependant sont très éloignées. Je ne juge pourtant point absolument, n’ayant vu ni les uns ni les autres, mais je vous prie de tenir la bride roide, que l’on travaille à une sincère mortification de ses passions, allant en tout contre son naturel : une oraison fréquente et assidue. Si Dieu veut que je sois sa mère et que cela soit, je commande de sa part que l’on ne fasse plus ce que l’on a fait, et qu’entre ici et trois mois on me mande des nouvelles, comme les choses se seront passées, car Dieu est véritable dans ce qu’Il ordonne, ainsi que les autres l’ont éprouvé. Je vous écrirai pour vous-même lorsque je le pourrai, et je ferai réponse aux autres.

– A.S.S., ms. 2057, f° 269, écriture « du premier et du dernier » que nous identifions à celle de La Pialière, trace de cachet. La date de « janvier 1707 » est ajoutée d’une autre main en tête puis à la fin du texte.

 39 [D.4.164]. 1716. Vérité non reçue.

Il faut que je vous ouvre un peu mon cœur comme à mon cher enfant. Je n’ai plus rien à désirer sur la terre, sinon de me réunir à mon principe. Je suis inutile. J’oserais, sans comparaison, dire ces paroles du prophète : Seigneur, qui a cru à votre parole1Aucun : elle est devenue un objet de mépris. Je me console par celle de Dieu à un autre : « Si mon peuple périt pour ne lui avoir pas annoncé la vérité, tu périras pour mon peuple » ; mais si tu lui as dit la vérité, et qu’il ne l’ait pas crue, il périra lui-même, et ton âme sera sauvée. Malheur à vous, qui mettez des coussins sous tous les coudes de ceux de la maison d’Israël2, les flattant dans leurs défauts ! Heureux sont ceux à qui Dieu ne demande compte de personne parce qu’Il ne les en charge pas ! Mais si les travaux de Jésus-Christ ont servi si peu aux Juifs, qui s’affligera d’être de même ? Mon peuple a été séduit parce qu’il y a des gens qui sont une pierre de scandale dans la maison d’Israël.

J’ai toujours la fièvre. Mes douleurs sont cessées et je suis bien mieux, mais fort débile et dégoûtée. Tout est bon et excellent dans la volonté de Dieu. Ne doutez point de mon amitié, mon cher enfant, je vous porte dans mon cœur. 1716.

1 Isa 53, 1.

2Ez 13, 18.

 40.    D’une âme désolée. 4 et 7 décembre 1716.

4 Décembre 1716.

Ô vous qui avez essuyé les peines de l’amour divin, dites-moi quel soulagement pour une âme toute désolée, comme la mienne ? J’ai rejeté toutes choses d’ici bas : elles me dégoûtent, je n’y sens plus de plaisir ; et j’ai cru avoir trouvé mon repos en faisant un sacrifice continuel de mon cœur et de mon esprit à un Objet qui me paraissait tout beau, et tout digne de mon amour, et de l’amour de toutes les intelligences. Mais hélas ! Cette beauté est disparue, je ne la vois plus. Si elle est, elle est pour moi comme si elle n’était pas. Que ferais-je ? J’ai quitté toutes choses pour un bien-aimé qui me fuit et qui ne veut pas mon cœur : Il le trouve apparemment indigne de Lui. Que faut-il faire dans un état si malheureux ? Le Dieu d’amour est-Il accoutumé à se cacher de cette manière à ceux qui Le cherchent ? Quand je ne cherchais pas, Il se présentait souvent devant mes yeux. Quelquefois, Il se montrait, comme un juge juste et terrible, et me menaçait de Ses jugements. Quelquefois Il me reprochait mon ingratitude, et me faisait fondre en larmes par des nouvelles offres de Sa bonté. Maintenant que je Le cherche avec tant d’ardeur et d’empressement, Il se cache, et tout mon travail pour Le retrouver est inutile. Ô mon Dieu, n’avez-Vous pas promis que Vous serez trouvé de ceux qui Vous cherchent ? Mais peut-être, je ne Vous cherche pas pour l’amour de Vous, mais pour l’amour de moi-même. Il est vrai, mon Père, je ne saurais le nier. Et voilà ce qui me désespère. Autrefois j’ai trouvé de la consolation dans mes larmes ; elles soulagèrent mon cœur chargé, mais à présent, point du tout : elles me font peine. Mes larmes mêmes me font pleurer parce que je trouve bien que ce n’est que le sentiment de mes misères qui en est la cause, et non pas une vraie contrition du cœur. Ce n’est pas d’avoir offensé ; celui à qui je dois une obéissance entière et parfaite, que je m’afflige, mais seulement d’être privée de tous plaisirs et de toute consolation. S’il y a un être absolument parfait et bon, il mérite sans doute d’être [f. 1 v°] aimé d’un amour pur et désintéressé. Je n’aime rien de cette manière, je le sens bien. Je n’aime que moi-même. Mais comment puis-je faire autrement ? Je ne saurais m’élever au-dessus de ce moi. Il faut des ailes célestes pour un tel essor et je n’en ai point. Ô mon Dieu, je veux Vous aimer comme Vous voulez. Montrez-moi le chemin par lequel Vous voulez que je m’approche de Vous ; tirez-moi, je Vous suivrai partout où vous me mènerez. Peut-être je ne suis pas sincère en ce que je vous dis. Vous êtes mon Créateur, Vous me connaissez mieux que je ne me connais moi-même. Je me présente devant Votre miséricorde tout comme je suis ; c’est à Vous, ô source éternelle de tout bien, de me rendre sincère et simple. Je me jette sous Votre main. Faites en moi tout ce qu’il Vous plaira. Ô fils de Dieu, avocat des pécheurs, soyez mon intercesseur auprès de Votre Père céleste. Vous avez promis que nul de ceux qui se mettent sous Votre protection ne sera rebuté : j’y cours. Je prendrai volontiers Votre joug : je ne désire du repos qu’en le portant. Donnez-moi la force de le faire. Je boirai de tout  mon cœur de la chalice [du calice] dont vous avez bu. Mais, dites-moi, ô Lumière éternelle qui éclaires tous les hommes venant au monde : qu’est-ce que c’est que cette chalice ? Faut-il Vous aimer sans Vous voir ? Je ne veux pas dire, sans vous aimer comme vous êtes, mais sans vous voir par foi ? Je n’ai point de foi. Je parle, ce me semble, à qui ne m’écoute pas. Je ne fais que rêver. Comment puis-je aimer ce que je ne vois en nulle manière ? Si je pouvais croire que cet aimable objet à qui j’ai autrefois songé avec un si grand ravissement de cœur, était une chose réelle, ô que je serais  heureux ! Car je croirais alors que c’était pour quelque bonne fin qu’Il m’avait privé de cette présence si touchante et si béatifiante, et je me reposerais dans Sa sainte volonté. J’attendrais avec patience et une soumission entière le retour de mon bien-aimé. Je ne douterais pas que ce ne fussent mes péchés qui m’avaient causé ce délaissement, [f° .2 r°] mais je m’humilierais devant Lui, je me jetterais au pied de Son trône de miséricorde, je Lui ferais ressouvenir du sacrifice de mon Sauveur crucifié, et je me soumettrais à toutes les peines desquelles Sa croix et Son intercession ne m’ont pas mis à couvert. Par cet abandon de mon être à Sa volonté, je nourrirais l’espérance dans mon âme, et je ne me plaindrais, ce me semble, de rien. 

Ô état ténébreux de mon âme ! Toutes mes belles pensées ne sont-elles donc que des rêveries, que des songes ? Ces songes pourtant m’ont gâté tous autres délices : je ne les goûte plus. Je souhaiterais toujours qu’il y eût un être infiniment parfait pour y reposer mon âme. Je ferais toute ma vie tout ce que je crois devoir faire pour plaire à un tel être, s’il était. Je passerais mon temps à contempler le bonheur indicible d’une âme unie par amour pur et parfait à un objet si grand et si aimable. Je trouverais certainement plus de soulagement dans mes ténèbres qu’en aucune autre pensée. Mais, ô bon Dieu, ô Père de miséricordes, si Vous êtes véritablement, Vous êtes toujours bon : ayez pitié de mon état, chassez ces nuages qui me tiennent dans une obscurité si affreuse. Ô Perfection absolue, je ne vous cherche que pour vous aimer. Montrez-Vous, s’il vous plaît, ô Lumière éternelle, car sans votre présence, je succomberai sous le poids de mes misères.

7 Décembre 1716.

On ne saurait bien donner le nom de lettre à ce qui précède, quoique mon intention fût, madame, de vous écrire quand je prenais le papier. Puisque je prétends n’avoir point de réserve pour vous, que je fais beaucoup de fond sur vos prières, et que mon âme y est exposée toute nue et sans déguisement, je vous l’envoie comme à mon confesseur, mon intercesseur, et mon directeur. Dieu soit béni : ces ténèbres dans lesquelles je suis parfois enveloppé ne durent pas longtemps. Je vous avouerai que ce sont mes raisonnements empressés qui me jettent souvent [f° .2 v°] dans un état si affreux. Ils brouillent mon esprit et dessèchent mon cœur, je le sens. Et pourtant je ne saurais m’empêcher d’y retomber. Cet amour de la vérité, acquise par nos propres activités, n’est-il pas la concupiscence de l’esprit ? N’est-il pas aussi difficile de s’en défaire que de celle du cœur ?

J’ai reçu votre lettre, madame, avec un plaisir indicible. Je rends grâce à Dieu des conseils qu’Il vous inspire de me donner, car je ne vous regarderai plus que comme Son instrument pour mon salut. Je consens, autant qu’il m’est possible, de m’abandonner entièrement, et pour le temps et pour l’éternité de la conduite de la vérité souveraine. Je ne raisonnerai plus, et je tâcherai, par la grâce de Dieu, de subjuguer toutes mes passions rebelles au sceptre de Jésus-Christ. Je prierai toujours que Son règne vienne, et que Sa volonté soit faite en moi comme au ciel. Je Le prends pour mon roi absolu, sans faire avec Lui aucune condition, quelle que ce puisse être. Continuez, je vous prie, madame, de demander à Dieu qu’Il me donne les forces de suivre mes résolutions. Mon expérience m’a fait voir que je tombe à chaque pas sans Lui. Je Lui ai souvent dit, comme saint Philippe de N [éri], (parce que je l’ai souvent fait) que je Le trahirai à moins qu’Il [ne] me soutienne dans les tentations. Je sens bien que je ne puis rien du tout sans Lui, mais qu’importe ? Avec Lui, toutes choses me seront possibles. Encore une fois, madame, souvenez-vous, je vous en prie, de moi auprès de notre Père céleste.

– A.S.S., ms. 2175, pièce 7414. Ces deux lettres adressées à Mme Guyon se succèdent sur le même feuillet.

 41 [D.4.165]. 1717. Acquiescement à souffrir.

Je1 souffre à présent, presque sans relâche, des douleurs incroyables : il est impossible, sans miracle, que cela dure longtemps. Le petit Maître est maître, et ma Maîtresse2 use de ses droits. J’ai été tentée, cette nuit, de m’adresser à sa sœur, la Miséricorde : elle est bien plus traitable ; enfin, il s’en est fallu de peu que je n’aie fait infidélité à ma chère Maîtresse. Mais je veux aimer ses rigueurs, quoique la nature ne s’en accommode pas. Je me souviens que, dans ma plus grande jeunesse, je fis une chanson sur elle qui commençait :

Justice de mon divin Maître,

Qui te nourris de tes rigueurs,

L’amour, par toi, nous fait connaître

Ce qu’on doit au Souverain Etre.

Honorons-Le par les douleurs,

Puisqu’Il méprise les douceurs.

J’avais au plus dix-neuf ans. Ainsi Dieu m’appelait dès lors au service de ma divine Maîtresse. Je me suis faite son esclave : elle ne m’a pas épargnée depuis. Priez Dieu que je ne lui sois pas infidèle. 1717.

1 Cette lettre est la dernière du tome IV des lettres et conclut ainsi la correspondance éditée par Poiret. (Le volume V ajouté par Dutoit donne la « correspondance secrète » avec Fénelon).

2 La divine Justice. (Dutoit). 

Directions de disciples « trans »


La sortie de la Bastille le 24 mars 1703 fut suivie d’années obscures. Un délai fut nécessaire à Madame Guyon pour retrouver une santé qui restera cependant chancelante, et aussi pour que des lecteurs des œuvres éditées par Poiret localisent leur auteur, probablement par l’intermédiaire de Fénelon, qui resta toujours en contact avec elle par son neveu le marquis. Elle fut alors visitée à Blois.

En complément ou à la place de tels rapports directs — supposant des déplacements en France, interdits au célèbre pasteur hollandais Poiret comme probablement au diplomate et baron de Prusse Metternich, — une correspondance de direction s’étendit à l’Europe entière. Il en reste quelques témoignages : cahier des lettres du marquis, quelques copies ou autographes, écossais ou suisses, qui sont les rares cas où la source directe est datée et signale le destinataire. La grande majorité des lettres est constituée cependant par la masse éditée par Poiret, puis reprise et complétée par Dutoit, après un filtrage attentif de tous les indices personnels comme ce sera le cas bientôt pour la correspondance de Bertot91. Mais parfois le correspondant est connu grâce à l’Indice donné par Dutoit à la fin de son dernier volume de Lettres. Ces amorces de séries autour de correspondants attestés couvrent surtout les trois dernières années : 1714 à 1717.

Les pertes ont certainement été considérables : il est étonnant que l’on possède si peu de lettres adressées à Ramsay, l’actif secrétaire à Blois souvent en déplacement à Paris ou à Cambrai, ou bien adressées à Keith, actif intermédiaire londonien, ou encore à Garden, influent dans le groupe d’Aberdeen. Ces derniers disciples ne nous sont d’ailleurs connus qu’indirectement.

Nous avons regroupé les lettres dont on a pu retrouver le destinataire, en ensembles selon quatre localisations : I Poiret & Homfelt en Hollande, II Metternich en Allemagne (exceptionnelle série active et passive), III Ecossais et IV Suisses. Nous présentons maintenant brièvement ces correspondants.

I. Poiret & Homfelt



L’éditeur Pierre Poiret (1646-1719) et son ami Homfelt furent des disciples dont il est bien naturel de retrouver les lettres dans une correspondance qu’ils éditèrent. On est surpris que Dutoit dans son Indice limite singulièrement leur nombre, tout en indiquant pour Poiret une plus large présence (les lettres adressées à Poiret figureraient au nombre de plus d’une trentaine dans le corpus édité) : « Poiret : Tome IV Lettres 146, 149, 150, etc. » Etc. pose problème puisque la lettre 151 est adressée à une « chère sœur », la lettre 152 à Metternich… Dutoit ajoute cependant : « Quelques-unes des lettres de Mme Guion extraites du 4volume de Mr Bertot, singulièrement la 4e et non pas les 22 lettres, comme porte la note qui est au bas de la page 464. » On trouvera ces lettres, qui concluent Le Directeur mystique, rassemblées dans notre volume III, dont la 4citée. Nous n’avons pas cru devoir la détacher de cette série très particulière visant à établir Madame Guyon comme le successeur mystique de Bertot. De même nous n’avons pas voulu grossir le corpus des lettres adressées à Poiret en prenant appui sur des indices incertains pour reconstituer une véritable série.

L’évolution de P. Poiret, natif de Metz, devenu pasteur en Hollande, grand éditeur à l’intuition très sûre des principaux textes mystiques accessibles à l’époque, le conduira finalement à devenir sur la fin de sa vie un disciple aimé de Madame Guyon92.

[Madame Guyon] s’écria : « Voilà l’homme qui publiera tous mes ouvrages », et en effet c’est lui qui en a procuré l’édition complète en Hollande sous le nom de Cologne. Elle n’en avait jamais ouï parler auparavant. Dès lors ils firent connaissance. […] On sait qu’elle en faisait un cas tout particulier. Il avait formé en Hollande une maison patriarcale [à Rijnsburg près de Leyde], et était fort avancé. Il passait après Fénelon pour une des premières âmes intérieures93.

Il eut, par son activité inlassable, une influence considérable, non seulement par ses éditions94 reprises en particulier par Wesley (1703-1792), le fondateur du méthodisme, mais encore par son disciple piétiste Tersteegen (1697-1769), connu lui-même de Kierkegaard.

Otto Homfeld (et son frère Jodocus) appartenaient au cercle de Rijnsburg. Originaires de l’Allemagne du Nord, ils étaient déjà liés à Poiret en 1692, quand ils signèrent de leurs initiales des poèmes latins d’éloge, en tête de son De Eruditione95. Otto fut en relation avec le Dr. Keith, Anglais, et annonça l’expédition des livres de la maison d’édition d’Amsterdam96. Le témoignage suivant de Tersteegen éclaire d’une douce lumière la fin du cercle (la bibliothèque de Poiret sera dispersée en 1748) :

Ils vivent contents, ils travaillent eux-mêmes le jardin […] Le frère Homfeld, qui est de Brême, est âgé de 77 ans, et le fr. Wetstein qui est natif de Bâle âgé à peu près de même, il est frère du Wetstein Marchand Libraire à Amsterdam tant renommé […] Le troisième frère est Israel Norraüs, il est Suédois de naissance […] Le frère Homfeld est devenu par la vieillesse, mais plus encore par la grâce de Jésus, un petit enfant simple et doux […] Il a été un savant homme [traducteur en latin de l’Oeconomie Divine de Poiret]. À qui le questionne, il répond « je ne suis rien »97

II. Metternich


Wolf von Metternich fut diplomate, écrivain avec un penchant vers l’alchimie, et ami de Poiret :

Après avoir probablement fait des études de droit, ce deuxième fils de Johann Reinhard devint le conseiller privé pour le Brandebourg et la Bavière, et le plénipotentiaire du Reichstag à Regensburg (Ratisbonne). En 1726 il passa au service du prince de Scharzburg-Rudolfstadt, devint son conseiller privé et finalement son chancelier. A côté de son activité d’écrivain calviniste et de traducteur, voilée sous des pseudonymes (le plus souvent : Hilarius Theomilus), il se consacra principalement à l’alchimie, et eut une certaine célébrité ; le dix-neuf juillet 1716, selon les affirmations sous serments de quatre gentilhommes, il aurait transformé du cuivre en argent dans une maison de Vienne ! Il mourut en 1731, toujours célibataire, ce qui éteignit la lignée des Chursdorf-Metternich98.


Poiret édita les écrits de son ami. Nous trouvons l’écho d’une curiosité intelligente dans les longues lettres qu’il adresse à Madame Guyon : 

C’est un homme en recherche dont les sympathies furent nombreuses. Intéressé par les écrits des fondateurs de la Société de Philadelphie, John Pordage et Jane Leade, le baron les avait traduits en allemand. Il avait voyagé avec l’Écossais Lord Forbes of Pitsligo […] Ses activités de diplomate chargé des intérêts du Roi de Prusse le conduisaient dans toute l’Europe.99 

De la tête au cœur.

Même si elle n’a pas la même élévation que dans sa relation avec Fénelon, la correspondance de Madame Guyon avec Metternich est dense et riche. Ce qui nous est parvenu couvre trois années, durant lesquelles on peut suivre l’approfondissement du baron, au point que Mme Guyon lui écrit de longues et importantes lettres, véritables résumés de la mystique guyonienne. On peut y suivre aussi avec quelle patience et quelle délicatesse elle le détache peu à peu des scrupules et des analyses sans fin où se débattait cet homme trop identifié à son intellect et qu’elle voulait voir se centrer dans le cœur.

Sans relâche, elle l’appelle à se simplifier : « Une vie simple et réglée, l’amour et l’abandon : c’est tout ce qu’il vous faut. » Il lui faut abandonner ses « lumières », ses appuis comme la lecture pendant l’oraison, les soucis personnels, même concernant son mariage. Encore et encore, elle l’exhorte à la confiance : « Laissez-vous donc conduire par ces ténèbres, et ne marquez jamais aucune défiance à Dieu. » (Lettre 402). Lui qui cherche les appuis doit maintenant suivre les inspirations « délicates » de Dieu, les mouvements de l’Esprit-Saint : elle lui indique comment les reconnaître.

Elle l’exhorte à trouver l’état d’enfance, à se laisser conduire par Dieu comme un enfant par sa nourrice. Chaque moment est alors ressenti comme divin :

« Désaltérez-vous à cette fontaine du moment divin, et si vous êtes assez heureux pour passer en Dieu et vous y perdre dès cette vie, vous verrez que ce même moment, qui vous doit être à présent volonté de Dieu, vous sera Dieu. » (L. 425).

Elle le porte comme un enfant dans sa prière, et on en voit le résultat dans la belle lettre où Metternich lui décrit son état : « Il est vrai que Dieu me fait des grâces infinies. […] C’est comme si mon cœur était diaphane et qu’une sérénité indistincte le pénétrât de tout côté sans obstacle ». (L. 430). Il lui décrit sa répugnance à devenir catholique. Cette savoureuse comparaison entre catholiques et protestants se poursuit dans la lettre 431 où il décrit sa paix joyeuse et sa liberté intérieure, se sentant comme « une petite abeille qui voltige librement sur toutes sortes de fleurs. » 

Il lui dit toute sa reconnaissance et laisse passer son émerveillement :  

Si Dieu daigne faire quelque chose de cette masse corrompue, c’est à vos prières et à vos avis que j’en suis redevable. (L. 430).


III. Les Écossais

Les Écossais constituaient un groupe dont Henderson100 restitue l’atmosphère attachante, la droiture et le courage des individus pris par les remous politiques.

L’Écosse a une histoire faite de luttes inégales (telle celle avec Cromwell) suivies de dominations par l’Angleterre. Ainsi l’Union de 1707 fut suivie d’un soulèvement inefficace en 1715 en faveur du prétendant catholique James VIII (the Old Pretender), qui s’enfuira finalement à Rome. Il n’y eut pas alors de lourdes sanctions — comme ce sera le cas lors du soulèvement de 1745 en faveur de son fils (the Young Pretender). Certains disciples de Madame Guyon prendont part aux deux soulèvements. L’histoire est compliquée par les luttes religieuses entre royauté catholique, protestants épiscopaliens (ayant récupéré la structure catholique lors de la première vague luthérienne qui avait vu Henry VIII fonder l’Église anglicane, jacobites le plus souvent, par attache aux structures traditionnelles et royale), presbytériens (protestants de la seconde vague calviniste, d’assise sociale populaire et puritaine), sans compter la présence de quelques minorités, telle celle des quakers.

Notre groupe était catholique ou de tendance épiscopalienne parce que se succédèrent — par exception — des religieux remarquables, enseignant in Divinity à l’université d’Aberdeen, l’une des trois meilleures universités britanniques (avec Oxford et Cambridge) : John Forbes, qui tint un journal intérieur de 1624 à 1647 ; puis Henry Scougall, auteur de la remarquable Life of God in the soul of man101 (1677) ; enfin James Garden auteur de la non moins remarquable Comparative theology (1699). Ce dernier devint disciple guyonien avec son jeune frère George.

Ils étaient jacobites de manière avouée ou cachée : ses membres voyageaient ou se réfugiaient sur le continent. Ils passaient par la Hollande, qui n’était qu’à trois (voire deux) jours de bateau des ports de la côte est, situés entre Edimbourg et Aberdeen. De nombreuses communautés d’Écossais s’établirent sur le continent, tout comme les Hollandais furent présents à Culross, le beau port et village « hollandais » visité de nos jours près d’Edimbourg.

Le dégoût des affrontements et des controverses au nom de l’Ecriture souvent interprétée trop littéralement, tourna leur attention vers « l’intérieur » mystique. Tout un réseau d’Écossais reçut ainsi les ouvrages mystiques de Poiret par l’intermédiaire du Dr. Keith de Londres. Ce dernier importa par exemple cent exemplaires d’un de ses titres pour en redistribuer quarante-deux en Écosse102. Ils furent un temps adeptes d’Antoinette Bourignon103, sous l’influence de Poiret. Mais en 1708 Keith et George Garden interrompirent « for no apparent reason » la traduction de son œuvre104 : Poiret leur avait fait connaître Madame Guyon et ils avaient atteint le terme de leur quête. Par la suite plusieurs membres du groupe vinrent à Blois.

De ce groupe on identifie :

(1) Le Dr. Keith, étudiant en Arts devenu médecin d’Aberdeen et exerçant à Londres, fut l’agent par lequel circulaient livres et lettres. Il était cultivé, possèdait de nombreux ouvrages mystiques en plusieurs langues, avait plusieurs cercles de relations. Un ami proche, le Dr. Cheynes, mentionne dans une lettre : Tauler, John of the Cross, Bernier [Bernières], Bertot, Marsay, Madame Guyon105.

(2) James Garden, cité plus haut.

(3) Georges Garden son jeune frère (1649-1733), ami d’Henry Scougall et attaché à l’église cathédrale d’Old Machar. Refusant de se cacher, il fut emprisonné lorsque les presbytériens déposèrent des ministres épiscopaliens, puis s’échappa en Hollande et fit des études médicales à Leyde. Il ne retourna en Écosse qu’en 1720. Resté célibataire, il traduisit John Forbes, auteur du journal spirituel que nous avons cité. Wetstein, éditeur hollandais ami de Poiret, déclare qu’il n’a jamais connu quelqu’un de plus doux, modeste, ayant plus de bonté fraternelle106.

(4) Lord Deskford, James Ogilvie (1690-1764). Son nom est souvent corrompu en Exford107. De santé fragile, il étudia l’histoire et le français ; il vécut à Cullen House. Il fut arrêté en août 1715 et confiné un moment au château d’Edinbourg. Il eut une vie utile, prenant activement part au gouvernement local de Cullen, introduisant des manufactures de tissus, devenant vice-amiral d’Écosse. Sa première femme appartenait à la famille des Dupplin. Il se remaria en 1723. Il est bien représenté dans notre correspondance, par suite de la conservation de sa bibliothèque — très complète en ce qui concerne les auteurs mystiques — jusqu’à sa dispersion en 1975.

Nous rencontrons ensuite trois membres de la grande famille des Forbes qui comporte même une branche suédoise108. De nombreux aspects biographiques sont couverts par The House of Forbes109 :

(5) Alexander, 4 th Lord Forbes of Pitsligo (1678-1762). La mort de son père lorsqu’il avait treize ans fut suivie de son éducation sur le continent, où il aurait rencontré Fénelon (et Madame Guyon ?) avant de retourner en Écosse en 1700110. Il protesta contre l’Union de 1705, fut présent à la bataille de Sheriffmuir en 1715, se cacha en Écosse puis à Londres, en Hollande, à Vienne, à Rome ; il ne s’entendit guère avec le roi en exil, et revint vivre en Écosse, avant de prendre de nouveau part au soulèvement de 1745 à un âge avancé, sans illusion. Il finit sa vie à nouveau caché en Écosse111. Sa personnalité est décrite ainsi  par Henderson :

 « There is nothing to suggest the dangerous quietist : but his self-control, his disinteredness, his loving kindness, his trustful acceptance of ill fortune and good fortune, and his possession of a peace past understanding remained to prove him the follower of Mme Guyon and of greater mystics [Henderson n’est pas un inconditionnel guyonien, ce qui ajoute valeur à ce témoignage]. His spiritua l position may be summed up in his own words : « An absolute submission to the divine will in ourselves and others is the only thing to be prayed for, as it is the only true essential religion112. »

(6) William, 14 th Lord Forbes (1687-1730) 

“…was evidently very highly regarded by his friends. Dr. James Keith speaks of him with particular affection. He seems to have spent a great part of his life abroad […] He enjoyed the hospitality of Mme Guyon at Blois […] Extremely interesting information of these last years of Mme Guyon’s life comes to us […] among these is a Notice sur Mme Guyon [T.P. 1154 de Lausanne, texte que nous avons publié avec sa Vie par elle-même] recording what William Forbes, when living at Aix la Chapelle between 1720 and 1730, recounted to Pétronelle d’Eschweiler, afterwards the wife of Fleischbein.”

(7) James, 16 th Lord Forbes (1689-1761)

Son jeune frère fut marié deux fois, en 1715 à une sœur de Lord Forbes of Pistligo. Il connut personnellement Madame Guyon et fut présent à Blois à son agonie. Il fut très respecté comme l’indique la notice annonçant son décès.113

(8) Ramsay.

La personnalité de ce personnage relativement célèbre est appréciée diversement par ses biographes114. L’énergie qu’il mit en œuvre dans la diversité de ses entreprises est certainement remarquable.

Dans la transcription de la correspondance de Madame Guyon, dont il fut un temps secrétaire, on trouvera ses interventions au ton quelque peu protecteur. Cette dernière garde à son égard une certaine distance, contrairement à la tendresse qu’elle marque au jeune marquis de Fénelon. Il joua un rôle discuté lors de la querelle qui suivit la mort de « notre mère », en s’opposant à l’édition de la Vie et au vieux Poiret. Mais il fut aussi l’ami de Lord Deskford et du marquis de Fénelon.

Né en 1686 en Écosse, fils d’un boulanger, il se distingua par sa curiosité d’esprit qui le conduisit à des études de théologie à Glasgow et Edimbourg. Le goût de l’aventure (voir Chérel), ou la recherche spirituelle (v. Henderson) le conduisent à rendre visite à Poiret en Hollande. Il séjourna chez Fénelon à Cambrai, puis devint le secrétaire de Madame Guyon à Blois, de 1714 à 1716. Il rendit service par son bilinguisme en facilitant les relations avec les disciples écossais ou trans. Sept ans précepteur du fils du comtede Sassenage grâce au duc de Chevreuse, il se voua au culte de Fénelon ; il polémiqua avec un éditeur en « gardien vigilant » de sa mémoire (v. Chérel). Le Régent l’estimait et lui attribua une pension. Il partit pour Rome en 1724 comme précepteur du fils aîné du Prétendant au trône d’Écosse, mais rentra la même année à Paris. Protégé de Fleury, hôte du duc de Sully, qui était marié à la fille de Madame Guyon, il écrivit un roman qui remporta le succès : Les Voyages de Cyrus, à l’imitation du Télémaque. Il fit partie du Club de l’Entresol à partir de 1726 : « tous les dogmes chrétiens, affirmait-il, se retrouvent dans les religions païennes115 ». Il y rencontra Montesquieu, qui toutefois le jugea un « homme fade116 ». Il alla jeter à Londres les fondements d’une « Maçonnerie nouvelle » et accumula diverses distinctions. De retour en France, il se présenta à l’Académie Française (sans succès) et entra à quarante-quatre ans en qualité de précepteur dans la puissante famille des Bouillon. Il prononça en 1736 dans la loge Saint-Thomas un discours resté fameux117. Il se maria à quarante-neuf ans : sa femme était âgée de vingt-cinq ans. Grand orateur, peut-être chancelier de l’ordre des Francs-Maçons, il manœuvra auprès du cardinal de Fleury pour faire admettre cette institution. Il mourut en 1743.

« Ramsay était un homme estimable, mais il prêtait beaucoup à la plaisanterie, par ses airs empesés, par son affectation à faire parade de science et d’esprit », selon un témoignage d’époque118. Dans son Histoire de Fénelon, Ramsay avoue avoir voulu “détruire les fausses idées que certaines personnes ont formées de Madame Guyon, en lisant une histoire de sa vie, imprimée depuis peu dans les pays étrangers [par Poiret], sans son aveu, et contre ses dernières volontés […] Madame Guyon apparaissait comme l’inspiratrice, tandis que Fénelon n’était qu’un disciple. Voilà contre quoi Ramsay tint à protester et à réagir119.

Henderson nous le présente beaucoup plus favorablement, comme un exemple d’une remarquable adaptation sociale en ces temps difficiles, pour qui n’était pas d’origine noble ; ce sera plus tard le cas pour Rousseau. Son grand œuvre, Principes philosophiques de la Religion naturelle et révélée, ne manque pas d’intérêt. Il était tolérant et charitable, il se fit de très nombreux amis et sa jeune femme lui resta profondément attachée120. Son intervention contre la publication de la Vie s’expliquerait par l’influence de la fille de Madame Guyon, d’un caractère très énergique121.

Tout ceci nous trace le portrait d’un personnage actif dans le bouillonnement des esprits, sensible à l’esprit du temps, théosophe plutôt que mystique.


IV. Les Suisses.



Madame Guyon fit un voyage mouvementé, en traversant le lac de Genève entre Thonon et Lausanne122 : peut-être avait-elle gardé des contacts pris à cette époque ?

Aucune figure marquante ne se détache dans le groupe suisse. Nous n’avons pas d’informations particulières sur les premiers disciples de Lausanne (ou de Morges, localité voisine), restés obscurs, dont nous éditons ici quelques lettres ; mais un groupe guyonien sera actif à Lausanne jusque dans les années 1830123.

Parmi les visiteurs de Blois, se trouvait la jeune Pétronille d’Eschweiler (née vers 1690), qui épousa le comte Friedrich von Fleischbein.

Fleischbein (1700-1774) traduisit en allemand les œuvres de Madame Guyon et fut également influencé par Ch. H. de Marsay. Il eut des disciples en son château de Pyrmont. Le jeune Karl-Philipp Moritz décrit, dans son roman Anton Reiser, ce milieu alliant mystique guyonienne et rigorisme124.

Celui-ci exerça à son tour une autorité profonde sur le pasteur Dutoit (1721-1793). Ce dernier mérite ici un aperçu biographique, compte tenu de son apport déterminant à notre connaissance de la correspondance de Madame Guyon.

Jean-Philippe Dutoit-Membrini naquit d’un père vaudois qui renonça à devenir pasteur, jugeant sévèrement l’état du clergé protestant, et d’une mère d’origine italienne ; il fit des études de théologie. À trente-et-un ans il traversa une crise intérieure à l’occasion d’une longue et dangereuse maladie, exalté selon certains, en tout cas assez isolé et sans direction spirituelle. Celà ne l’empêcha pas d’apprécier Voltaire, puis l’année suivante de trouver les Discours de Madame Guyon en les feuilletant chez un bouquiniste. Sous son inspiration, il devint un pasteur aimé par un public qui goûtait ses exhortations pleines de flamme, à l’opposé des discours académiques des pasteurs du temps : “Quand il arrivait au temple, les avenues étaient si remplies de monde qu’il disait plaisamment : « si je ne trouve pas de place, il faudra que je m’en retourne », rapporte son disciple Pétillet.

À trente-neuf ans, des ennuis de santé le firent renoncer à prêcher. Il commença à correspondre avec beaucoup de frères spirituels, dont le Suédois Klinkowström et l’Allemand Fleischbein. Ce dernier le dirigeait : « Quinze ans je lui ai obéi à l’aveugle et m’en suis infiniment bien trouvé. » Il passa deux années à Genève et publia en 1767-1768 la Correspondance de Madame Guyon, augmentée de celle, secrète, avec Fénelon. Un certain nombre de nouveaux fidèles s’attachèrent à « la doctrine de l’intérieur ». Informés de l’existence à Lausanne d’un groupe suspect de piétisme, les autorités bernoise firent une saisie des livres et écrits de Dutoit, dont la liste nous prouve la conscience qu’il avait de la filiation Bernière-Bertot-Guyon. Cet événement, qui le marqua, se produisit le 6 janvier 1769 : il avait quarante-huit ans. Il passa trois années heureuses chez les Grenus, à la Chablière, propriété louée au colonel Constant, puis fut accueilli chez les dames Schlumpf. Il demeurait cependant abattu. Il eut la joie de rencontrer à cinquante-six ans son fidèle disciple Pétillet, âgé seulement de dix-neuf ans. Mais sa santé empira et il traversait des périodes d’angoisse. Il publia les quarante volumes de la réédition des œuvres de Madame Guyon entre 1789 et 1791. Il mourut en 1793 âgé de soixante-douze ans125.







I.   Poiret & Homfelt

À Poiret.

Que dirais-je à mon cher **1, sinon qu’il est impossible qu’il passe tout d’un coup d’une méditation raisonnée dans le pur silence ! Il y a un milieu, qui est de cesser absolument tout raisonnement et toute méditation pour entrer dans une oraison d’affection, qui consiste à faire de temps en temps des actes d’amour, de résignation, d’abandon à Dieu : les faire très rares et observer beaucoup de silence entre deux. Il faut s’accoutumer à l’action du cœur, qui est une simple affection où le raisonnement ni la tête n’ont aucune part. Pour parvenir à une action simple qui nous dispose au parfait silence, il faut s’accoutumer à n’agir que par le cœur, et le faire sobrement, donnant lieu à Dieu d’agir en nous. Mais je crois que si vous aviez bien entendu monsieur Olier2, il vous aurait plutôt parlé de l’action du cœur que de celle de l’esprit. Quand le silence vous est facile, demeurez-y. Lorsqu’il vous est trop difficile, faites quelques actes d’amour de Dieu, ou quelques autres qui se présenteront. Cependant il est de conséquence de s’accoutumer, comme dit l’Ecriture, d’attendre Dieu en patience3, de souffrir le retardement des consolations afin que notre vie croisse et se renouvelle4.

– Dutoit, tome IV, lettre 75, § 1 p. 222 (le § 2 est adressé à son ami, voir ci-dessous la lettre “À Homfeld [D.4.75]”.

1 Il s’agit très probablement de Poiret, compte tenu du second paragraphe adressé à Homfeld selon l’Indice de Dutoit et de la référence à Olier, qu’il a édité. Cette lettre parlant de la « méditation raisonnée » appartiendrait au début de leur relation. Nous éditons ces lettres à Poiret dans l’ordre où elles figurent au t. IV.

2Jean-Jacques Olier (1608-1657), mystique fondateur de la Compagnie de Saint-Sulpice. V. art. DS « Olier » et M. Dupuy, Se laisser à l’Esprit, l’itinéraire spirituel de Jean-Jacques Olier, Cerf, 1982. « Se laisser à l’Esprit » est bien ce qui anime par ailleurs Poiret et son groupe piétiste. Poiret réédita en 1703 le Catéchisme chrétien pour la vie intérieure, cité d’ailleurs en note ici par D.

3Ps. 39, 2.

4 Ecclésiastique 2, 3 : Souffrez les suspensions et les retardements de Dieu, demeurez uni à Dieu, et ne vous lassez point d’attendre, afin que votre vie soit à la fin plus abondante. (Sacy).


À Poiret. 1715.

Nous avons perdu notre cher père1, mon cher frère, ou plutôt, bien loin de l’avoir perdu, nous le trouvons plus réellement dans le ciel que sur la terre. Le jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée, quoique assez éloignée de lui, d’une douleur profonde mais suave. Toute douleur cessa à sa mort2, et nous nous [563] sommes tous, sans exception, trouvés plus unis à lui que pendant sa vie. Tous ses enfants le trouvent présent avec une correspondance pleine de suavité douloureuse. C’était un homme véritablement à Dieu et qui, parmi ses grands talents, était le plus humble, le plus petit et le plus obéissant des hommes. Dès que l’on avait parlé, c’était une démission totale de son propre esprit. Je n’ai pu prier pour lui après sa mort, n’ayant jamais douté de son bonheur éternel : il est présentement abîmé dans le sein de Dieu. Il a donné avant de mourir sa bénédiction à tous les [amis du dehors] 3 qui veulent aimer Dieu. Il y a bien de l’apparence qu’il est mort martyr de la vérité : sa mort n’était pas naturelle. Souvenez-vous de celle de monsieur de C.4 : je crains qu’il n’y ait eu quelque rapport, mais laissons à Dieu le jugement de toutes choses.

Je prie Dieu de tout mon cœur d’assister monsieur le B. de R.5 et monsieur son frère, et de les mettre dans les dispositions nécessaires pour qu’ils Lui soient agréables de plus en plus. Je [564] suis fort touchée de la maladie du dernier. Je crois que s’ils s’unissaient à feu monsieur ***, cela leur serait une source de bénédiction et à vous tous, car c’était un vrai martyr du pur amour, inconnu aux hommes et à lui-même. Pour la bonne madame de N., je la salue cordialement et me recommande à ses bonnes prières. Rien ne me donne tant de joie que quand je vois des cœurs bien disposés pour Dieu. C’est l’unique nécessaire, d’aimer le Tout Aimable. Je vous salue tous in Domino. Vous m’êtes tous extrêmement chers, surtout vous, mon cher fr[ère], vous me tenez plus au cœur que je ne saurais exprimer et j’espère que Dieu vous conservera pour achever Son œuvre.

– Dutoit, tome IV, lettre 146, p. 562.

1 Fénelon, qui fut en rapport courtois avec Poiret.

2 Témoignage frappant de son union intérieure avec Fénelon.

3 Les Trans. (Dutoit).

4 Inconnu.

5 Inconnu ; plus tard « M. de R. » désignera M [ademoi] selle de R [isbour].

À Poiret.

Mon très cher frère,

Je n’ai point voulu laisser aller N. sans vous écrire et sans vous envoyer par lui des marques de l’union intime que j’ai avec votre âme. Je vous assure que personne ne partage plus que moi toutes vos peines, mais il faut souffrir en cette vie pour être conforme à Jésus-Christ. Je n’ai que faire de m’informer à personne des dispositions de votre âme, de votre simplicité, et combien vous êtes [575] éloigné de toute domination : Dieu me l’a fait goûter de manière bien simple. Celui qui n’est pas tenté ni exercé, que sait-il ? Dieu vous aime trop pour ne pas vous donner des occasions d’exercer votre patience, et je dis que la croix est déjà une récompense du bien que vous faites en travaillant à l’œuvre du Seigneur par la charité que vous avez pour vos frères. S’il n’y avait point de créatures sur terre pour nous exercer, Dieu le ferait faire par ses anges afin de nous purifier encore davantage.

Ne faites aucune difficulté de m’écrire vos peines, car Dieu le veut bien de la sorte. Et j’espère que je ne vous affaiblirai jamais et qu’au contraire, Dieu me fera la grâce de vous fortifier toujours plus dans l’amour des souffrances et dans le désir de vous employer, comme vous avez fait jusqu’à présent, pour votre prochain, quelques obstacles que vous y trouviez. Un cœur généreux s’affermit dans le bien par l’opposition qu’il y trouve ; un cœur humble est comme un arbre qui a jeté de profondes racines et est affermi par le vent et les orages, au [576] lieu que ceux qui n’ont que des racines superficielles sont renversés et abattus.

Il ne faut pas vous étonner si vous êtes quelquefois faible dans les occasions et si vous êtes sensible aux coups qu’on vous porte : cela nous fait voir ce que nous sommes par nous-mêmes et ce que nous serions sans la grâce. Si nous étions toujours fermes et courageux, nous nous attribuerions quelque bien et nous ne serions pas dans une assez grande dépendance de Dieu : notre âme ne s’approfondirait pas dans l’humilité. Dieu Se sert de toutes nos misères mêmes pour la perfection de notre âme. Il est certain que, quand les esprits sont tournés d’un certain côté, quelque chose qu’on fasse pour les adoucir, on n’en saurait venir à bout.

Ma santé est très mauvaise, c’est ce qui fait que je ne puis dicter beaucoup, mais je vous suis très unie en Jésus-Christ. Je vous souhaite à tous la bénédiction et la paix de Jésus-Christ. Pax vobis !

– Dutoit, tome IV, lettre 149, p. 574.

À Poiret.

Je reçois toujours, mon cher frère en Notre Seigneur, une grande joie quand je vois de vos lettres : Dieu, ce me semble, a uni votre cœur au mien d’une manière particulière. Je le prie de tout mon cœur qu’Il vous conserve et vous fortifie pour achever Son œuvre et pour le besoin de plusieurs : c’est ce que j’espère de Sa bonté et que je Lui demande de tout mon cœur, car je ne vous oublie jamais. Je vous prie de vous souvenir, tous les vingt-cinq des mois, que c’est la fête du divin petit Maître, et je fais dire la messe ce jour-là pour tous Ses enfants, dont vous êtes un des principaux et un de ceux qui me tenez le plus au cœur. J’espère que ni la distance des lieux, ni nulle autre différence, ne nous empêcheront pas d’être réunis dans ce divin Objet qui rend tous un en Lui. Soyons si souples et si pliables que nous soyons comme des gouttes d’eau qui se perdent sans cesse dans l’océan divin.

– Dutoit, tome IV, lettre 150, p. 577.

L’Indice du tome V, p. 629 porte : « À Mr. Poiret. /Tome IV/Lettres 146 149 150, etc. », bien que la lettre 151 soit adressée à Mlle de Venoges à Lausanne, la 152 à Metternich…

À Poiret. Après janvier 1715.

Mon très cher et vén [éré] frère en Notre Seigneur, quoique j’aie sentie vivement la perte que nous faisons de notre cher père, je n’ai pas laissé d’avoir au-dedans de moi une véritable joie, une certitude profonde de son bonheur. Je suis persuadée que Dieu n’a besoin de personne pour faire Son œuvre, que je ne puis qu’adorer Ses décrets. Il prie Dieu sans doute pour le règne du petit Maître, n’ayant pas eu toute la liberté de travailler extérieurement à l’étendue de ce règne.

Je ne puis m’empêcher de désirer votre conservation et de la demander à Dieu pour l’accomplissement de Son œuvre. Il me semble que ma vie ne tient plus qu’à un filet, et cependant je suis persuadée que, malgré ma faiblesse, si Dieu veut encore Se servir de ce méchant néant, Il me conservera la vie ; que s’Il ne le veut pas, j’ai le pied dans l’étrier, toute prête à partir quand il Lui plaira.

Je salue de tout mon cœur monsieur le B. de R. et sa famille1 et tous vos bons amis et amies2 : je prie Dieu de leur être toutes choses. Disons souvent tous de concert : Adveniat regnum tuum ! Plus ce règne paraît éloigné par l’augmentation de l’iniquité des hommes, plus j’espère, parce que la puissance de Dieu est sans bornes, qui pourra mettre des limites à ce torrent d’iniquité et tirer de cette corruption générale un peuple choisi qu’Il Se consacrera. Que Sa volonté soit toujours accomplie ! C’est tout ce que nous pouvons désirer. Croyez-moi entièrement toute à vous et à ceux qui sont avec vous. Nos amis sont plus à vous que je ne puis vous dire.

– Dutoit, tome IV, lettre 162. Le début du second paragraphe est cité par M. Chevallier, Pierre Poiret…, p. 114.

Cette lettre est adressée à Poiret parce qu’elle commence par  « Mon très cher et vén [éré] frère en Notre Seigneur ». Un argument moins probant tient compte de l’Indice de Dutoit, t. IV, p. 629 : « À M. Poiret. /Tome IV/Lettres 146, 149, 150, etc. » : cette lettre 162 est la seule qui suive cette série et paraissant être adressée à Poiret, tandis que les lettres 75 (éditée précédemment) et 82 (lettre suivante adressée peut-être à Poiret mais concernant surtout Homfeld), précèdent la lettre 146 citée.

1 Non identifiés. Plus tard « M. de R. » désignera M [ademoi] selle de R [isbour]. B. de R. = baron de Risbour ?

2 Les deux frères Homfeld, l’éditeur Jean-Luc Wetstein, l’avocat Godart von Ewijck et son épouse Gertrude Bosch…

À Poiret ? et Homfeld. [D.4.82].

Je vous prie, cher **, d’écrire à ** que je suis très unie à lui, et que j’espère que Dieu nous fera la grâce d’achever notre carrière dans l’union à Son bon plaisir, dans le dégagement de nous-mêmes, de tout intérêt propre de temps et d’éternité, pour ne vouloir que la seule gloire de Dieu et Son seul intérêt dans nous et dans tous nos frères. Je salue aussi le bon ***. Je prie Jésus-Christ de lui imprimer dans le fond de l’âme Sa divine vérité, et je demande la même chose pour tous. M. ** est toujours mal. J’espère que Dieu ne le cueillera pas en bouton, je le souhaite si c’est pour Sa gloire. J’ai été très affligée de son mal et le suis encore, mais la volonté de Dieu est au-dessus de tout. Je salue tous les enfants du Seigneur.

Pour le bon M. *, mandez-lui1 qu’il faut rester dans un humble silence, et que son cœur soit comme un papier blanc, afin que Dieu y imprime ce qu’il Lui plaira. Lorqu’il se trouvera trop distrait, qu’il fasse quelque petit acte comme serait : « Mon Dieu, je suis ici pour faire Votre volonté, pour attendre Vos ordres, non pour me rechercher moi-même ; je ne désire aucune assurance, je veux Vous servir à mes dépens, et non pour Vos faveurs. » Véritablement, qui dit abandon ne dit pas assurance. Il faut se dépouiller de tout notre propre pour adhérer à ce que Dieu est en Lui-même pour Lui-même. Il faut être comme un domestique affectionné et respectueux qui attend avec grande patience les ordres de son maître. L’Ecriture dit : J’ai attendu le Seigneur avec grande patience, Il S’est enfin abaissé à moi. 2 Et en un autre endroit : Souffrez les suspensions et retardements des consolations afin que votre vie croisse et se renouvelle. Soyez en paix dans votre douleur,3 et demeurez uni à lui. C’est donc en supportant l’aridité, en supportant le défaut des consolations qu’on acquiert une nouveauté de vie.

Je salue bien cordialement les deux frères4.

– Dutoit, t. IV, Lettre 82.

La lettre est-elle adressée directement à Poiret ? Il nous paraît plus probable qu’elle est adressée à un tiers (peut-être à Cambrai ? On connaît la relation épistolaire entre Fénelon et Poiret), chargé d’écrire à son tour à Poiret auquel s’adresserait en partie le premier paragraphe : Poiret, âgé, souffrait gravement à la fin de sa vie (d’hémorroïdes entre autres). Le second paragraphe, concerne l’ami Otto Homfeld, selon l’Indice de Dutoit. Nous plaçons cette lettre, concernant collectivement le groupe de Rijnsburg,  en transition entre celles adressées à Poiret et celles adressées directement à Otto.

1Otto Homfeld.

2Ps. 39, 2.

3 Ecclésiastique 2, 3-4.

4Jodocus et Otto Homfeld.

À Homfeld. [D.1.81]

Je bénis Dieu de la miséricorde qu’Il vous a faite, d’être tourné à Lui après les égarements de la jeunesse. C’est souvent où le péché a abondé que la grâce surabonde1. Vous êtes beaucoup obligé à Dieu de ce qu’Il vous donne un esprit de recueillement, qui est si nécessaire : cet esprit est comme l’étoile des Mages, qui leur enseignait où Jésus-Christ était né ; le recueillement nous apprend où Dieu veut être cherché, qui est dans le plus intime de nous-mêmes. La plupart des hommes passent leur vie à Le chercher au-dehors, et ils ne Le trouvent point, parce qu’Il veut leur apprendre que son règne est au-dedans de nous2. Saint Augustin disait : Je Vous cherchais partout, ô mon Dieu, et je ne Vous trouvais point ; je ne Vous ai pas plutôt cherché au-dedans que je Vous ai trouvé3. Suivez donc cette étoile salutaire, qui vous conduira infailliblement. Allez par la foi et par l’amour, et vous irez bien.

Le démon fait tous ses efforts pour empêcher le recueillement intérieur, [249] parce que c’est par là que nous découvrons l’abandon à Dieu, qui le met hors d’état de pouvoir nous nuire. Il n’attaque point, ou que très rarement, ceux qui marchent par d’autres voies : il se contente de leur tendre au-dehors des pièges où ils entrent d’eux-mêmes. Mais pour les personnes qui veulent être à Dieu par l’intérieur, il tâche de les détourner de cela, ou par beaucoup d’occupations inutiles, ou par le goût des choses de la terre. Il n’en sera pas ainsi de vous, car j’espère que vous suivrez Dieu par une donation entière que vous Lui ferez de vous-même et de votre liberté. Alors Il prendra soin de vous, Il vous conduira Lui-même, et Il étendra votre cœur par amour, et vous direz avec le Prophète : J’ai couru dans les voies de Vos préceptes sitôt que Vous avez étendu mon cœur4.

Vous ne devez point craindre que ce soit par paresse que vous aimez ce chemin, car Dieu y appelle tout le monde, et vous particulièrement. Je vous dis et vous répète que c’est la véritable voie, sans laquelle on ne saurait [250] véritablement trouver Dieu ni être uni à Lui. Ne craignez donc point et marchez, quoique dans l’obscurité. Vous irez sûrement, parce que Jésus-Christ sera Lui-même votre conducteur. La nature, toujours empressée, veut agir et voir Son opération, empêchant par là l’opération de la grâce. Une œuvre ne peut être plus parfaite que le principe dont elle part. Si Dieu agit en nous, quoique d’une manière imperceptible, Il fera des œuvres parfaites, mais si nous agissons nous-mêmes, sous de bons prétextes, nous ferons des actions souvent très imparfaites, et même mauvaises, puisque nous empêchons le bien que Dieu veut faire en nous. Demeurez donc en paix et silence auprès de Dieu. Tout ce qui vous est permis est un retour simple au-dedans de vous à Dieu qui y habite, quoique d’une manière cachée : quelque petit réveil d’une tendance amoureuse vers Lui, mais sans actes multipliés, qui vous arrêteraient absolument dans votre état et qui vous feraient faire un circuit continuel sans jamais avancer.

Puisqu’il faut mourir à votre activité propre, tout ce qui vous fait mourir [251] plus vite est le mieux pour vous. Or cet état nu le fait promptement : il y a un feu caché qui, quoique couvert de cendres, consume les imperfections de la créature peu à peu, et bien mieux qu’elle ne pourra faire par elle-même. Voyez la différence d’une personne qui couperait au-dehors un morceau de bois pour en ôter les défauts, et d’un autre qui fond un métal pour le purifier : le travail de la créature est de couper le bois, mais le travail de Dieu fond et dissout tout ce qui est en nous, afin de nous faire changer de forme. Tenez-vous ferme à ce conseil, car votre propre raison vous persuadera souvent que vous ne faites rien, que vous reculez même au lieu d’avancer. Il faut une double patience, et pour laisser agir Dieu et pour nous supporter nous-mêmes.

Quant aux distractions dont vous vous plaignez, comme l’opération de Dieu se fait ordinairement dans le centre de l’âme d’une manière nue et cachée, les sens intérieurs n’en étant pas capables, ils sont comme des enfants qui courent ça et là, n’ayant rien qui les arrête. Il faut bien se donner de garde de sortir du recueillement intérieur pour [252] s’amuser à regarder ce qui se passe dans la fantaisie et l’imagination : ce serait comme une épouse qui quitterait son époux pour aller regarder par la fenêtre ce qui se passe dans la rue.

Il y a deux sortes de distractions : celles qui viennent de l’attache à quelque objet, quel qu’il soit, et qui nous représentent souvent ces mêmes objets, comme affaires, ou autres choses ; celles-là seulement peuvent nuire, c’est pourquoi il faut se détacher de toutes choses, et ne point écouter ce qui vient soit pour affaires, soit pour autres choses, dans la prière ; et celles-là ne se guérissent que par le détachement du cœur. Il y a aussi des distractions vagues, qui ne font que passer et qui ne viennent que de la folie de l’imagination. Il ne faut point vous inquiéter de celles-là : elles servent même souvent à vous cacher à nous-mêmes ce qui se passe dans notre cœur.

Car la créature a tant d’amour propre qu’elle veut prendre sa part à tout ce qu’elle connaît que Dieu opère en elle : c’est ce qui fait que Dieu lui cache Son opération afin qu’elle ne la salisse pas par une vue propre et recourbée sur [253] elle-même. Dieu est si pur que tout ce qui n’est pas Lui ou de Lui, quelque bon qu’il paraisse, redevient impur par le mélange de la créature. Lorsque l’eau vient du ciel, elle est toute pure : elle n’est pas plutôt tombée sur la terre qu’elle se salit par l’impureté de la terre et de la poussière. C’est ce qui fait que Dieu nous dérobe avec soin tout ce qu’Il veut bien faire en nous, et nous ne Le connaissons que lorsque l’ouvrage est achevé. Lorsque la fleur n’est encore qu’en bouton, nous ne la voyons point, mais à mesure qu’elle se déploie et que le soleil lui donne son brillant, on la voit dans toute sa beauté. Il en est ainsi de l’œuvre de Dieu en nous : tant qu’elle est cachée au-dedans et n’est qu’en bouton, nous ne connaissons pas ce que Dieu fait en nous, mais un jour viendra que nous verrons l’admirable travail qu’Il y a fait et nous serons charmés de sa beauté. Il ne faut que du courage, de la fidélité, de la persévérance, et une mort générale à toute sorte d’activité. Je vous envoie la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

– Dutoit, tome I, lettre 81, p. 247.

1 Rom. 5, 20. 2Lc. 17, 23.

3Confessions, Livre X, ch. 6 et 27. 4Ps. 118, 32.

À Homfeld.

Votre petit billet m’a fait un grand plaisir, mon cher enfant, et vous m’êtes bien cher en Notre Seigneur. Les lettres que vous avez vues [48] de M. Bertot ne doivent point vous étonner. Il y en a beaucoup pour des religieuses pour lesquelles il faut de grandes précautions, parce qu’elles ont des supérieures et des directeurs particuliers qui sont pour l’ordinaire bien éloignés des voies intérieures. D’ailleurs il y a beaucoup de volubilité et d’imagination dans l’esprit des filles, qui, suivant assez ordinairement les conseils du confesseur et directeur de la maison, et non pas une direction réglée par d’autres directeurs, M. B [ertot], qui ne voulait point s’exposer à la critique de leurs mêmes directeurs, ne pouvait leur donner que des conseils passagers. De sorte que ce que vous voyez pour les autres, ne doit point vous arrêter dans votre voie. Car ce serait une grande tentation, lorsque Dieu a commencé à tirer une âme au repos et au recueillement, de vouloir rentrer dans ses propres pratiques et méthodes : c’est se dérober à Dieu, c’est faire une perte irréparable. De plus M. B [ertot] avait de jeunes dames qui ne faisaient que commencer de se donner à Dieu et même de se convertir. Il appréhendait que la conversation fréquente [49] avec des âmes plus avancées ne les portât à se dénuer avant que d’avoir été vêtues, au lieu que, comme dit saint Paul2, il faut commencer par être survêtu. Ces personnes-là, ayant peu de connaissance même des mystères de la religion, avaient besoin d’en être instruites, d’y faire des réflexions et de se les imprimer dans le fond de l’âme, et n’ayant encore rien de Dieu, ignorant même l’attrait du recueillement, si elles n’avaient pas quelque chose qui les soutînt et qui les introduisît dans la voie intérieure, si les pratiques ne les soutenaient pas, exposées comme elles sont au-dehors, elles retourneraient bientôt dans leurs premières habitudes, tout les flattant du côté du dehors.

Pour vous, Dieu vous a certainement appelé à une oraison simple devant Lui. Et, comme Il agit en vous, il faut que vous cédiez à Son action. Or comme on ne sent pas toujours l’action de Dieu, et que souvent Il Se cache, on est alors tenté de reprendre sa propre activité, surtout quand on lit quelque chose qui a rapport à cela. [50] Mais demeurez abandonné à Dieu sans réserve : exposez-vous devant Lui, recueillez-vous auprès de Lui, dégagez-vous de votre propre activité. Tout ce que vous pouvez vous permettre, lorsque vous êtes trop dissipé et distrait, est un simple retour au-dedans vers Celui que la foi vous assure y être présent. Votre oraison doit donc être une oraison de foi. Suivez ce chemin, et du reste, abandonnez-vous à Dieu sans réserve, souhaitant plutôt qu’Il vous conduise à l’aveugle que de vous conduire vous-même.

Dieu prend souvent plaisir à nous dérouter pour voir si nous sommes abandonnés à Sa conduite et si nous ne cherchons point, dans nos retours sur nous-mêmes, un secours que Lui seul peut et veut nous donner. Or comme ce secours est souvent caché, nous craignons. Et pourquoi craignons-nous ? C’est parce que nous nous cherchons encore nous-mêmes, et des assurances hors de Dieu. Si nous étions bien persuadés que, comme dit l’Apôtre, nous ne sommes plus à nous [51] — mêmes, mais à Celui qui nous a rachetés d’un grand prix3 , nous Le laisserions faire de tout ce qui Lui appartient tout ce qu’il Lui plaira, sans nous en mettre en peine. Qu’est-ce qui fait vos doutes et vos agitations, si ce n’est l’intérêt que vous prenez pour vous-même ? Il est certain que Dieu permet que les âmes qui veulent être à Lui sans réserve, éprouvent des bourrasques de tentations et des révoltes de leurs passions. Dieu ne le permet de la sorte que pour leur faire voir ce qu’ils sont et pour les enraciner dans l’humilité, car tout édifice qui n’est pas bâti sur une profonde connaissance de nos misères n’est bâti qu’en superficie.

On fait bien des bâtiments qui paraissent au-dehors, mais pour les trésors, on les cache dans des souterrains afin qu’ils ne soient point exposés au pillage des passants. On couvre même ces souterrains de ronces et d’épines afin que les yeux des voleurs ne les découvrent point. Les voleurs sont notre amour propre, l’amour de notre propre excellence, le désir d’être quelque chose, et le démon. Laissez à [52] Dieu de cacher le trésor qu’Il met en vous avec les ronces et les épines des passions révoltées. Quand vous vous trouvez dans cette agitation, enfoncez-vous au-dedans de vous-même, et dites comme le Roi-Prophète : Levavi oculos in montes : auxilium meum a Domino qui fecit coelum et terram4. Non, mon très cher frère, vous ne trouverez de secours qu’en Lui seul. Demeurez donc humilié et abattu sous Sa puissante main, et ne comptez point sur vous-même. S’appuyer, en l’état où vous êtes, sur vos propres pratiques, c’est s’appuyer sur un roseau cassé qui vous percera la main sans vous soutenir.

Le démon fait tous ses efforts contre les âmes qui marchent par cette voie parce qu’il est jaloux de la gloire de Dieu : il ne prétend autre chose par là que de la leur faire quitter. Mais soyez ferme et courageux, ne regrettez pas les oignons d’Égypte. La manne, à la vérité, n’a pas un goût si piquant, mais elle est pure et céleste. [53] Elle nous est donnée de la main de Dieu et nous nourrit chacun selon notre besoin. Quand il est dit qu’elle avait tous les goûts5 il ne faut pas s’imaginer que ce fut un goût grossier pour flatter l’appétit, mais une certaine convenance à chacun selon les tempéraments. Il en est ainsi de cette manne cachée et intérieure : les sens n’y trouvent pas de satisfaction comme dans les pratiques plus grossières, mais elle a les qualités qui sont propres à chacun de nous, selon les desseins de Dieu sur notre âme, et notre fidélité à Lui correspondre dans notre degré d’une manière plus ou moins passive.

Il y a deux sortes de morts : une active, qui consiste à nous renoncer dans tous les moments de la vie d’une manière active dans les commencements, de sorte que, comme on voit alors plus facilement ses défauts, on a aussi plus de force pour les corriger. Il semble que Dieu laisse alors notre âme entre nos mains : nous la retenons nous-mêmes avec plaisir comme par un frein, nous voyons toutes ses démarches ; et nous voyons en même [54] temps la fidélité avec laquelle nous l’arrêtons lorsqu’elle veut s’échapper le moins du monde. Et ceci est un renoncement actif à nous-mêmes, qui nous satisfait beaucoup parce que notre travail est toujours sous nos yeux et que nous voyons notre progrès. Cette première mort est nécessaire et cause un amortissement extérieur.

Mais lorsque Dieu veut faire mourir le propre esprit et nous mettre dans une mort passive qu’Il opère Lui-même, Il semble renverser tout notre travail : Il repousse au-dehors ce que nous tenions renfermé au-dedans. Nous étions comme un sépulcre bien blanchi et bien paré, mais notre divin Maître, pour nous faire sentir ce que nous sommes, ôte la couverture de ce sépulcre et nous fait voir toute la corruption qui est au-dedans : en nous la montrant, il en vide le sépulcre et met cette pourriture sur la superficie en sorte que ce qui faisait le plaisir de la vue, en fait l’horreur. Nous voudrions bien renfermer de nouveau cette pourriture au-dedans, mais le Maître ne le permet pas : au contraire, Il le vide toujours plus, [55] et quand Il l’a ainsi vidé, Il le blanchit, Il l’orne, Il l’embellit, Il y met même des trésors immenses. Mais Il se donne bien de garde de nous les laisser voir : au contraire, Il les cache, Il les scelle de Son sceau, ainsi qu’Il l’avait dit à l’épouse des Cantiques : Mets-Moi comme un sceau sur ton cœur et sur ton bras6. C’est Moi-même qui veux être ce cachet : Je veux que ton cœur soit fermé à tout autre qu’à Moi-même, que tu le perdes de vue, Je veux que toutes tes actions Me soient tellement consacrées qu’il n’y en ait pas une qui ne soit pour Moi ; mais Je veux en même temps que ces actions soient cachetées, que tu ne les connaisses pas, que tu les ignores même, comme il est dit dans les mêmes Cantiques : Si vous vous ignorez, ô la plus belle des femmes7. Elle n’est la plus belle des femmes que parce qu’elle est celle de toutes qui s’ignore le plus, qui a le moins de retours et de regards sur elle-même.

Ô divin Amour, si Vous étiez aimé comme Vous le méritez, pourrait-on voir quelque autre que Vous ? [56] Pourrait-on retourner ses regards sur soi-même ? L’amour est bien faible lorsqu’il laisse des yeux pour voir autre chose que son divin Objet. Aussi cette épouse qui s’ignorait si fort elle-même, dit-elle ensuite que la multitude des grandes eaux ne sauraient éteindre sa charité8. Quelle est cette multitude des grandes eaux, sinon les tentations, la révolte des passions, les épreuves de toute manière ? La charité est parfaite lorsqu’elle ne peut s’éteindre par ces choses. L’amour est fort comme la mort9 parce qu’il n’y a que l’amour seul qui puisse produire une véritable mort intérieure et non en superficie : Sa jalousie est dure comme l’enfer, parce qu’Il ne veut rien laisser à la créature qu’elle puisse s’approprier et dans quoi elle puisse se complaire.

Voilà une longue lettre, qui vous en dira beaucoup plus qu’elle n’exprime si vous écoutez Dieu, si vous voulez bien vous quitter vous-même, et ne prendre non plus d’intérêt pour vous que pour une guenille qu’un chien traîne dans la boue, ainsi qu’il fut montré à Henri Suso10. Après que Dieu l’eut élevé jusqu’à son origine, Il le laissa dans une très grande pauvreté et une tentation secrète qui lui dura jusqu’à la mort. Plus vous vous quitterez vous-même, plus vous demeurerez attaché à Dieu seul, plus vous irez sûrement, quoique vous ne sentiez aucune certitude. Croyez que vous m’êtes très cher en Jésus-Christ comme aussi mon vénérable frère11.

– Dutoit, tome III, lettre 10, p. 47.

1 Intéressant témoignage sur la possession par le groupe hollandais des dossiers qui constitueront le Directeur mystique édité en 1726, très probablement — Poiret étant mort en 1719 — par Otto Homfeld. Ce dernier, protestant, lisant les lettres de Bertot, reçoit l’exégèse de Madame Guyon, bien au courant des habitudes catholiques.

2II Cor. 5, 2-3 : « Et c’est le désir de posséder cette demeure céleste et d’être revêtus [de la gloire] qui nous fait gémir/Si toutefois nous sommes trouvés vêtus et non pas nus » (Amelote).

3I Cor. 6, 19-20.

4Ps. 120, 1-2. J’ai levé les yeux vers les montagnes. Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre D.

5Sag., 16, 20-21. 6 Cant., 8, 6.

7 Cant., 1, 7. 8 Cant., 8, 7.

9 Cant., 8, 6.

10 « Il vit un chien qui courait au milieu du cloître et portait un paillasson [“un tapis râpé” trad. Lavaud, p.168] usé dans sa gueule […] il le lançait en l’air, il le jetait par terre, et il le déchirait. […] Il fut dit en lui : il en ira exactement ainsi pour toi dans la bouche de tes frères […] Il ramassa le paillasson et le garda bien des années comme un objet cher et précieux… », Suso, Vie, 20, cité par L. Cognet, Introduction aux mystiques rhéno-flamands, Desclée, 1968, p. 164.

11 Le pasteur Poiret.

À Homfeld. [D4.62]

Votre petit billet n’a donné un véritable plaisir, voyant les dispositions de grâces que Dieu a mis en vous. La plupart des hommes ne compte pour grâce que celle qui les flatte et qui est pleine de suavité, mais la grâce renfermée dans l’amertume, dans la sécheresse, dans l’obscurité, est une bien plus grande grâce. Dans la première, Dieu nous donne quelques marques de Son amour, mais dans la seconde Il tire des preuves essentielles du nôtre. Et cet amour, qui paraît sec, et qui est en quelque manière gratuit, attire la plénitude de l’amour de Dieu en nous, quoique d’une manière cachée.

Si Dieu n’en usait de la sorte, nous prendrions quelque chose à tout cela, et nous corromprions, autant qu’il serait en nous, la grâce même de Jésus-Christ. Car la nature est si maligne, qu’elle se nourrit de tout ce qu’elle distingue et dont elle s’aperçoit. C’est ce qui fait que Dieu nous met en obscurité, afin de cacher Son opération en nous. Je vous conjure donc de demeurer toujours abandonné à Sa conduite, de ne vouloir rien que ce qu’Il vous donne, et à la manière qu’Il vous le donne.

C’est cette mort de toute volonté pour ce qui nous concerne, qui plaît infiniment à Dieu, et qui L’oblige en quelque manière à prendre un soin plus particulier de nous. Plus nous nous abandonnons à Lui sans nous rechercher nous-mêmes, plus Il prend soin de nous : Il nous porte entre Ses bras comme un bon père et nous devenons l’objet de Sa complaisance. Croyez que je suis très unie à vous dans le cœur de Jésus, que je prie d’achever en vous ce qu’Il y a commencé.

– Dutoit, t. IV, Lettre 62, p. 179.

À Homfeld. [D4.73]

Je vous assure, mon cher frère en Notre Seigneur, que votre billet me donne beaucoup de consolation, y remarquant l’avancement de votre âme, Dieu vous ayant fait la grâce de vous donner une oraison simple, qui est celle de foi et de recueillement, et qui est en vérité une des plus grandes grâces de Dieu. Vous devez la continuer sans hésiter, soit qu’elle soit facile ou pénible : car Dieu est également dans l’une et dans l’autre, et même plus dans la dernière que dans la première, parce que c’est une opération secrète qui, en nous purifiant, nous dérobe l’opération de Dieu en nous.

Quand une fois on en est venu là, il faut bien se donner de garde de changer de route, ni même d’hésiter sous quelque prétexte que ce puisse être, le simple doute étant même injurieux à Dieu, parce qu’il faut s’abandonner absolument à Sa conduite. Il sait mieux ce qui nous convient que nous-mêmes. Si on ne demeure pas ferme en un état, on reste vacillant, et on détruit sous bons prétextes par sa propre activité ce que Dieu opère en nous. Demeurez donc ferme à ce que l’on vous dit là-dessus, et ne craignez point.

Ceux qui ont tant précautionné contre l’oisiveté, ont apparemment eu des personnes comme j’en ai connues moi-même, qui sans aucun don d’oraison, et par une certaine indolence, demeuraient sans rien faire ni extérieurement ni intérieurement et qui, ayant lu ensuite quelques traités sur l’oraison passive, se sont faussement imaginés d’y être ; et quoiqu’on ait tâché de leur faire connaître le contraire, ils ont persévéré dans cette pensée par l’amour de leur propre excellence. Mais il est bien aisé de connaître ces personnes : ils n’ont jamais ni connu, ni goûté rien de Dieu, ils n’ont jamais éprouvé un instant de recueillement, et ne savent ce que c’est que par la lecture. Et quoiqu’ils soient de la sorte, ils sont dans une si grande sécurité, qu’ils s’imaginent pouvoir conduire les autres dans un chemin qu’ils ignorent eux-mêmes, faute d’en avoir fait l’expérience. Aussi n’y voyons-nous pas les fruits que l’on remarque dans les autres, qui sont : la petitesse, la défiance d’eux-mêmes, une certaine tendance à n’être rien, une lumière sur leurs propres défauts que les autres ignorent absolument, et dont ils ne sauraient souffrir d’être éclairés. Ils n’ont point non plus une plus grande connaissance de ce que Dieu est et de ce qu’Il mérite, mais une ignorance absolue des voies de Dieu et de Son pur amour.

Tout ceci n’est point ni dans M***1 ni en vous. Ainsi allez donc sans hésiter : car c’est blesser le cœur de Dieu que de ne se pas abandonner totalement à Lui, et de se défier après s’être donné.

Vous me direz que ce n’est pas de Dieu que vous vous défiez, mais de vous-même. Vous avez grande raison de vous en défier, et c’est pour cela même que vous devez vous abandonner à Dieu sans réserve, afin qu’Il corrige et qu’Il rectifie ce qu’il ne Lui plaît pas en vous, et qu’Il y fasse ce qu’Il y désire. Nous nous trompons souvent, croyant pouvoir faire ce que nous ne pouvons faire et que Dieu même, s’Il nous aime, ne permettra pas que nous fassions, de peur que nous ne nous attribuions ce quI désire nous enfoncer de plus en plus afin de devenir notre Tout : car Dieu est un Dieu jaloux.

Pour ce qui regarde vos défauts, l’oraison les amortira peu à peu, quoique Dieu vous en laissera autant qu’il sera nécessaire pour détruire la vaine gloire et l’appui en vous-même, qui est ce qu’il y a de plus opposé à Dieu et qu’Il travaille le plus fortement à détruire. Ne nous trompons point : nous pouvons essuyer la superficie, mais Dieu seul peut détruire les défauts fonciers, en séparant la terre de nous-mêmes d’avec Ses propres opérations et Sa pure lumière. Comme vous verrez la réponse à Mr***1, je ne vous en dis pas davantage sinon que vous m’êtes très cher en Jésus-Christ, et le bon frère2, que je salue cordialement.

– Dutoit, t. IV, Lettre 73, p. 212.

1Poiret.

2Jodocus Homfeld.

À Homfeld. [D4.75]

Pour ***1, qui m’est très cher aussi en Notre Seigneur, il ne faut pas qu’il s’étonne s’il perd quelquefois le recueillement aperçu dans les occupations qui sont de l’ordre et de la volonté de Dieu. Il suffit alors d’une simple inclination de la volonté vers Dieu, ou même de la disposition foncière d’être à Dieu sans réserve. Notre esprit et notre cœur ne peuvent pas être toujours tendus. Ce n’est pas aussi ce que Dieu demande de nous, puisque cela est incompatible avec la fragilité de l’humanité. Mais il faut qu’en devenant plus simple, l’attrait se simplifie aussi. Et plus il est simple, moins il est sensible. Je vous assure que vous m’êtes tous deux très chers en Notre Seigneur, et que je ne vous oublierai pas dans la grande fête de Pâques.

– Dutoit, t. IV, Lettre 75 § 2. Le début de la lettre, éditée précédemment, est adressée à Poiret. Il est naturel que Madame Guyon groupe deux destinataires en une même lettre par ailleurs délicate à faire parvenir jusqu’aux membres du petit cercle de Rijnsburg.

1Otto.

À Homfeld. [D4.78]

Vous me demandez ce que j’ai voulu vous dire par ces expressions de laisser tomber les réflexions et de tenir le cœur au large. Ce que je veux dire est que nous sommes naturellement portés à la réflexion, ce qui empêche et trouble beaucoup la paix de notre âme. On veut voir, connaître, et sentir ce qu’on fait : si c’est quelque chose d’imparfait, il est à craindre d’en être troublé et découragé ; si c’est quelque chose de bon, la présomption excite notre esprit comme malgré nous. Et quoiqu’on n’y consente pas, cela ne laisse pas de tenir la glace pure de notre esprit qui, comme un miroir, doit être dégagé de ces deux haleines, de la tristesse et de la complaisance en soi-même, afin que Dieu S’y présente au naturel.

Si nous pouvions vivre sans réflexion et sans retours sur nous-mêmes, nous vivrions dans une parfaite pureté. Mais comme cela est difficile en cette vie, sitôt qu’on s’aperçoit que quelques-uns de ces petits nuages se sont élevés, il faut les laisser tomber aussitôt, ne s’en entretenant pas un moment, ce qui se fait en se tournant simplement vers Dieu d’une manière amoureuse et comme par un simple regard, sans acte distinct. Toutes les fois que la même chose s’élèvera en vous, il n’y a qu’à la laisser tomber, ce qui est un acte très simple, comme celui d’une personne qui cessant de tenir ce qu’elle tient dans sa main, la chose tombe de soi-même, et sans effort.

L’étendue ou la largeur du cœur est aussi très nécessaire. Dieu étant immense, il faut un cœur fort étendu pour Le recevoir. Il est dit que Dieu avait donné à Salomon un cœur étendu comme le sable de la mer1. Le cœur s’étrécit aisément par les craintes, les retours sur soi-même, le propre intérêt : c’est donc ce qu’il faut bannir de chez vous, afin que Dieu puisse faire Sa demeure en votre âme. Quoique notre cœur soit étroit, Dieu ne laisse pas d’être avec nous, mais d’une manière fort serrée. Il ne Se donne abondamment qu’à mesure de la vastitude de notre cœur.

Mais, me direz-vous, comment ce cœur est-il étendu ? Par une certaine souplesse à tous les vouloirs divins et aux ordres de Sa Providence, ne voulant que ce que nous avons de moment en moment, persuadés que nous devons être que ce Père plein de bonté sait mieux ce qu’il nous faut que nous-mêmes, et qu’Il ne manquera pas de nous le donner. Ainsi, ne voulant rien que ce qu’Il nous donne, notre cœur n’est plus rétréci ni par la crainte ni par le désir, et nous entrons insensiblement en ce moment éternel, qui n’est autre que l’ordre inviolable de la Providence sur nous.

– Dutoit, t. IV, Lettre 78, p. 227.

1III Rois 4, 29.

À Homfeld. [D4.80]

Vous ne saurez jamais manquer, mon cher frère, en vous appliquant les maximes de l’abandon, de la foi, du renoncement continuel à vous-même et de l’amour pur et désintéressé : cette route est sans méprise. Plus vous vous confierez et abandonnerez à Dieu, plus Il prendra soin de vous conduire.

N’entrez jamais en aucune défiance ni doute, parce que cela fait tort à la bonté infinie de Dieu. Vos misères, loin de vous décourager, doivent faire un effet tout contraire, puisque c’est un contrepoids que Dieu met en vous pour vous empêcher de vous élever. Nos misères ne déplaisent pas à Celui qui fait que nous ne sommes que boue, pourvu que nous ne L’offensions pas volontairement. Les fautes de surprise sont souvent plus utiles que de certaines vertus éclatantes.

Tout ce que Dieu désire est que nous soyons réellement convaincus que nous ne sommes rien, que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, que le bien qu’Il a mis en nous Lui appartient, de telle sorte que nous ne pouvons nous en attribuer la moindre chose sans L’offenser beaucoup. Allez donc à Lui bonnement, simplement, sans tant de retours sur vous-même. Les lettres de **1 sont propres à vous causer des retours, mais il faut tout laisser tomber et suivre simplement votre route, ne songer qu’à procurer la gloire de Dieu et à Le glorifier vous-même : Il prendra soin de ce qui vous concerne. On dit que Notre Seigneur dit un jour à sainte Catherine de Sienne : « Ma fille, pense à Moi et Je penserai à toi ». Ne songeons qu’à Dieu, oublions-nous et tout ira bien !

– Dutoit, t. IV, Lettre 80, p.232.

1 Probablement Bertot, qu’Homfeld lisait : v. l’exégèse précédente de Madame Guyon dans la lettre 376 (Le Directeur mystique sera édité par les survivants du groupe de Rijnsburg en 1726).






II . Metternich



Au baron de Metternich.

Ne craignez jamais, mon cher frère, de m’importuner. Votre âme m’est infiniment chère, et je voudrais de tout mon cœur, si c’était la volonté de Dieu, contribuer à son véritable bien. J’avais toujours espéré que votre abandon surmonterait votre peine. Mais puisque Dieu permet que ce soit autrement, je persévère dans la pensée que vous devez prendre trois mois pour demander à Dieu qu’Il vous fasse accomplir Sa sainte volonté ; et si après cela vous trouvez en vous une certaine correspondance du cœur pour ce mariage, faites-le sans retour et sans scrupule.

La plupart des personnes qui se donnent à Dieu font la faute que vous avez faite. Ils se font une perfection selon leurs vues, et sur cela ils font choix d’un état qu’ils regardent comme le plus parfait, au lieu de se laisser à chaque moment dans la main de Dieu : à chaque jour suffit son bien et son mal. Dieu, qui prend plaisir de renverser la destination que nous faisons de nous-mêmes, parce qu’Il veut nous conduire par un abandon total, détruit souvent ces idées d’un état parfait, permettant que nous soyons fortement tentés du contraire : et ainsi nous sommes réduits à une vie plus commune, plus humiliée et plus petite.

Suivez donc présentement ce que le Seigneur vous mettra au cœur, et puisqu’Il a préparé Lui-même une personne qui vous convient, demeurez abandonné à Lui, et faites bonnement ce qu’Il vous mettra au cœur. Il semble que Dieu donne à présent aux gens mariés qui s’unissent ensemble, dans la vue de Le servir, la grâce de l’intérieur qui semble se retirer insensiblement des cloîtres. Que conclure de cela, sinon que si Dieu vous appelle à une vie commune, elle sera plus parfaite pour vous que celles que l’on estime plus parfaites, qui cependant ne peuvent avoir de perfection qu’autant qu’elles sont conformes à ce que Dieu veut.

Pour ce qui est de votre oraison, elle est bien : continuez de la faire de même. On conseille aux personnes qui commencent, de rentrer souvent en eux-mêmes, et de faire plutôt une oraison de cœur et d’amour qu’une d’abstraction ou de pensée, parce que la volonté étant la souveraine des puissances, elle a un pouvoir singulier de les réunir en elle, et ainsi de les rapprocher du centre. Cette voie d’amour est la plus sûre et la plus courte, et elle unit plus que nulle autre l’âme à son Dieu. Mais lorsqu’il y a longtemps que l’on fait oraison et que l’on a acquis l’habitude de la faire, il serait difficile d’en revenir à ces détours, et on n’a qu’à demeurer comme on est. Toute oraison dont Dieu est le principe est bonne. Ainsi je ne suis pas surprise que vous ne puissiez ni vous élever ni vous rabaisser. Je vais vous dire sur cela huit ou dix petits vers :

Immense Dieu, grande Nature,

Qu’afin de pouvoir rencontrer

Il ne faut sortir ni rentrer

Au sein d’aucune créature,

Qui est de soi, qui chez soi vit,

Qu’un épais brouillard nous ravit,

Être d’une immuable essence,

Cercle sans principe et sans bout,

Qui n’a point de circonférence,

Son centre se trouvant partout.

Pour ce qui regarde l’envie que vous avez de vous lever la nuit, je crois que quand Dieu vous le met au cœur, il le faut faire promptement et sans raisonner. Je l’ai fait bien des années, et je me trouvais réveillée sans y avoir contribué à l’heure de minuit, qui est celle où l’on croit communément que le Sauveur du monde est né. J’ai toujours trouvé la prière de la nuit délicieuse. Il semble que le silence de toute la nature augmente le silence profond de l’âme, et je crois que c’est ce que voulut dire le Prophète : nox illuminatio mea in deliciis meis. 1 Allons, bon courage, mon cher frère : Dieu ne vous a pas mis en si beau chemin pour vous abandonner. S’Il vous choisit une épouse, sanctifiez-vous l’un l’autre, et que l’amour conjugal ne serve qu’à augmenter l’amour divin. Croyez-moi entièrement à vous en Notre Seigneur.

– Dutoit, t. III, Lettre 11, p. 57-61

1Ps. 138, 11 C’est à dire, selon la Vulgate : la nuit m’éclairera dans mes délices. D.

Du baron de Metternich. 8 septembre 1714.

Ce 8 septembre 1714.

Vénérable et très chère mère. Je ne saurais vous exprimer combien votre très chère [lettre] du 27 d’août m’a réjoui, par la simplicité avec laquelle vous donnez conseil. C’est justement comme j’ai cru de tout temps qu’il fallait faire, et que j’ai tâché de faire autant que ma corruption me l’a permis. Car si j’avais voulu regarder celle-ci, je n’aurais jamais dû donner conseil à personne, nonobstant que plusieurs m’en ont demandé. Mais passant par-dessus ma propre misère et ignorance, j’ai répondu simplement comme les pensées me venaient, priant ceux à qui j’ai écrit de ne pas regarder à ma personne, mais uniquement à la chose même, l’examinant devant Dieu si elle était bonne ou non, et de suivre après ce que Dieu leur mettait au cœur. C’est ainsi donc que je continuerai aux cas existants, laissant à Dieu si, quand et comment Il Se veut servir de moi, et s’Il veut permettre que je dise mal ou s’Il veut faire que je dise bien.

Je connais la vérité de tout ce que vous me dites, l’excellence de l’abandon et de demeurer dans notre rien. Je tâche par la grâce de Dieu d’y avancer de plus en plus, mais je ne puis pas empêcher qu’il ne se fasse sentir une joie quand il va bien. Je l’offre à Dieu : c’est à Lui de me l’ôter, si elle Lui déplaît. Je L’en prie car je ne saurais en devenir maître moi-même. Et pour la douleur et la confusion que me cause ma corruption, je la porte en patience et avec tranquillité, et même je ne désire pas d’en être quitte plus tôt que Dieu même le trouvera bon de Son propre mouvement. Il connaît ma misère et la raison pourquoi Il m’y laisse : je n’y trouve rien à redire. Je ne L’aime et ne Le loue pas moins pour cela, vu qu’Il ne le mérite pas moins pour cela [redite], demeurant également parfait et aimable en Soi, quoi qu’il arrive de moi. Et par rapport à moi, Il le mérite d’autant plus à cause de la grande patience qu’Il exerce envers moi en me continuant la vie et la permission de m’approcher de Lui : qu’Il S’en bénisse Lui-même et par toutes les créatures, d’autant plus que ma misère m’empêche de le faire autant que je voudrais.

Mon oraison, excepté que je suis tourmenté par beaucoup de pensées vagues de mon imagination, me paraît aller assez bien. Je continue toujours de demander doucement dans le cœur, lequel pour ainsi dire nage et se dilate en Dieu, mais tout en foi obscure, qui me satisfait pourtant pleinement. Je ne m’arrête jamais volontairement sur moi-même ; mais c’est Dieu seul qui peut m’ôter entièrement la vue de moi-même, que je souhaiterais de perdre si entièrement que je ne puisse jamais la retrouver. Mais tandis qu’Il me la laisse, je dois encore la porter en patience comme mes autres maux. Pour ma retraite je suis indifférent qu’elle se fasse, ou qu’elle ne se fasse pas. J’en laisserai le soin à Dieu, qui fera de moi ce qu’il Lui plaira. Je suis prêt d’être aussi à la Cour (quoiqu’il n’y ait aucune apparence d’y faire quelque bien), quand Dieu m’y appellera, pourvu que je ne m’y laisse pas engager sans Son appel. C’est ce que ma corruption [v°] me fait appréhender, mais je me dois rapporter aussi à Dieu de ceci. S’Il veut permettre que je fasse de faux pas, j’en ferai infailliblement.

Je vois le bonheur de ceux qui sont pleinement morts à eux-mêmes. C’est Dieu qui peut me porter le coup fatal, le comble de Sa miséricorde. Je n’en suis pas digne ; mais Il me donne cependant la hardiesse de l’espérer. Je vous prie de L’en conjurer pour moi. Ne vous lassez pas de me porter dans le cœur, afin que j’entre avec vous dans le cœur immense de notre divin Sauveur, à la sainte garde duquel je vous recommande, qui suis avec le plus profond respect tout à vous.

Vousa 1 me permettrez, vénérable et très chère mère, de vous faire la même prière, pour mon frère et pour moi, que celle avec laquelle le cher M. le baron finit cette lettre, comme nous nous donnons la liberté de joindre nos très profonds et très sincères respects aux siens, en conjurant la bonté de Notre Seigneur de vous conserver encore longtemps selon Sa sainte volonté pour le bien de plusieurs.

Pour M. R [amsa] y.b

Mon très cher frère. Je vous suis obligé de vos chères lignes. Ces mots, les offices de la charité qu’on doit à l’image de Dieu, m’ont charmé. Je crains que nous n’y manquions souventes fois, à quoi contribue la grande quantité des pauvres méchants, qui pourraient éviter leur pauvreté s’ils voulaient travailler et se conduire comme il faut. Ainsi on fait souventes fois plus de mal que de bien, quand on leur donne quelque chose. Qu’il est vrai, que le monde n’est rempli que de trompeurs et de trompés ! Et que celui est heureux qui vit à l’écart ! J’y ajoute : dans la compagnie d’un véritable ami, pour ceux qui sont encore si imparfaits que moi. J’espère que le Seigneur nous laissera encore quelque temps notre mère. Sa patience sera récompensée d’autant plus richement. Mes très sincères respects à M. Pèl [erin] 2. Je le félicite de son retour. Je vous embrasse au petit Maître. Mes respects et recommandations à tous les amis.

Vousa voyez, mon cher frère, que vos lettres du 31 juillet ont été bien adressées. J ’avais quelque répugnance d’adresser la dernière de M. le baron au p. a. 3, mais devant écrire le même jour à M. Duval, et doutant qu’il ne fût parti de P [aris] avant que ma lettre y fût arrivée, je croyais qu’il fallût adresser au P. A. ce que je voulais écrire à M. Duval. Et ceci me donna occasion d’y joindre celle de M. le baron pour ne pas doubler le port sans nécessité. J’espère qu’une autre fois j’userai de plus de précaution, et je prie D. de vouloir empêcher que cette méprise ne nuise à personne.

Je suis bien aise que la petite fiole vous soit rendue. Si le Rév. P. S. M.3 me veut bien donner encore la permission de lui envoyer encore quelque peu de cet élixir solis, je le ferai de tout mon cœur et par la même voie dont parle le cher […]. Il y a environ un an que le frère de M. Schrader, l’ambassadeur de la maison d’Hanovre à Paris est mort : il était grand ami de notre cher M. le baron de M [etternich] et aimait beaucoup toutes sortes de bons livres et ceux qui traitent de l’intérieur, lesquels il connaissait par la recommandation de son frère le d [octeu] r. Pour l’Electeur, son maître, à présent roi d’Angleterre, il a toujours passé pour un prince fort sage ; et M. Baemeipar que vous avez vu en ces pays, et qui a élevé le prince, son fils unique, m’a toujours dit qu’il était aussi un prince très juste qui ne prétendrait jamais à rien qu’il ne croirait lui être dû légitimement. Le meilleur est sans doute de reconnaître et d’adorer en tous ces changements la divine Providence, laquelle aussi ne manquera pas d’avoir soin de l’aimable prince dont vous parlez4, en le comblant des biens plus solides que ceux qu’il pouvait espérer en son pays5.

J’avais écrit il y a fort longtemps à M. Pèl [erin] touchant les corrections sur Hipocr. [Hippocrate] qu’il nous avait promises ; mais il n’a pas répondu ni rien envoyé. S’il est de retour auprès de vous, vous lui ferez nos respects bien tendres et sincères, et l’en ferez souvenir, comme aussi, et surtout, des lettres de M. Bert [ot] qu’on pensait nous communiquer. M. Flutot voudrait bien aussi avoir les airs des Cantiques, que [vous] savez6. M. le baron de M [etternich] m’écrit que le bon M. Leuth. a eu de grandes attaques de mélancolie et que cela l’obligera à suivre le conseil de ses amis en se mariant. Je vous prie de le recommander aux prières de notre père [Fénelon] et de vous en souvenir dans les vôtres. Mr le Dr K [eith] 7 nous mande qu’il souhaite d’avoir des nouvelles de la santé du R.P.S.M.8 et de la vôtre, n’ayant rien entendu de vous depuis le 24 juillet.

P.S. Voici tout ce que j’avais à vous écrire pour le présent. Je vous embrasse tendrement en notre S [eigneur] comme fait aussi mon frère, en vous suppliant de ne pas nous oublier devant Lui, et de nous faire part des nouvelles du dit Rev. Père lorsque vous en aurez.

– A.A.-S., pièce 7429, autographe. Nous plaçons cette lettre de 1714 au début de cette direction. – A.S.-S., ms 2176, pièce 7417 p. 23 (folios 10 et suivants)

aIci une autre main que celle de Metternich, d’écriture microscopique.

bReprise par Metternich.

1 La suite de cette lettre est peut-être d’une amie de Metternich.

2 Un Écossais connu de Metternich : comme il ne s’agit pas de Ramsay, nous pensons à William Forbes, qui vécut à Aix-la-Chapelle par la suite.

3 Fénelon ? Probablement déjà très faible : il meurt le 7 janvier suivant.

4 Le prince Charles-Edward, fils du « Vieux Prétendant ».

5 En 1715, « The Stewart claimant, James VIII, the Old Pretender », arriva trop tard après la bataille indécise de Sheriffmuir, « hung about for a while, burnt a couple of villages in the Ochils, left money to pay for the damage, and took ship from Montrose. » R. Mitchison, À History of Scotland, p. 322.

6 Les Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure…, de Madame Guyon, seront publiés en 4 volumes en 1722 ; un titre d’air à la mode est indiqué avant chaque pièce.

7 James Keith, médecin à Londres, ayant constitué un remarquable cercle d’amis, disséminant en Angleterre et en Écosse les livres édités par Poiret.

8 Fénelon ?

Au baron de Metternich.

Je vois bien que véritablement vous voulez être à Dieu et que vous ne cherchez qu’à faire Sa volonté, mais votre abandon est-il bien entier ? Vous faites trop de retours sur vous-même pour que cela soit. Dieu ne permet pas les tentations pour être une assurance et un soutien, mais pour nous délivrer de nos plus dangereux ennemis, qui sont l’orgueil, l’amour de la propre excellence, l’appui en ses œuvres, et certaines satisfactions secrètes de n’avoir rien à se reprocher, sur quoi l’on compte et l’on fonde son espérance. Vous dites que c’est un mauvais moyen de devenir spirituel. J’en conviens avec vous : aussi n’est-ce pas cela qui rend spirituel, si ce n’est qu’en nous déprenant de nous-mêmes par l’horreur que nous en devons avoir, cela nous dispose à la pauvreté d’esprit et au renoncement. Et comme c’est la plus grande croix que l’on puisse avoir lorsqu’on aime véritablement Dieu, on la porte avec une douleur extrême, mais patiente.

Vous voudriez avec cela être assuré de la grâce de Dieu. Quand vous n’auriez aucune de ces tentations, pourriez-vous en être assuré à moins que Dieu ne vous dise comme à saint Paul, lorsqu’Il le priait d’être délivré de ce corps de péché et de cet ange de Satan qui le souffletait : « Ma grâce te suffit. La vertu se perfectionne dans l’infirmité1. » Ce qui a allongé vos peines est le défaut d’abandon, des réflexions sur vous-même, certaines variations qui reviennent souvent, tantôt abandonnant à Dieu votre éternité, tantôt désirant certaines assurances. Mais si vous voulez vous servir d’un remède que j’ai donné à d’autres, qui s’en sont bien trouvés, c’est d’avoir recours à la Sainte Vierge Mère de Dieu dans le moment de votre tentation, vous unissant à sa pureté, encore plus à celle de son amour qu’à celle du corps : vous vous en trouverez bien. Du reste continuez à prier, et je prie pour vous. Si vous tâchez de vous faire un peu d’effort, et de vous recommander à cette sainte Mère, il pourra vous arriver ce que dit Tauler parlant sur la même matière : il dit qu’un chien accoutumé à aller à la boucherie parce qu’il a une longue habitude d’y trouver des os, lorsqu’il y a été plusieurs fois et qu’il trouve la boucherie fermée, il n’y retourne plus, parce qu’il ne trouve plus rien pour lui. Que si Dieu permet que vos peines continuent encore après avoir fait ce que je vous mande, c’est une marque qu’il y a en vous un orgueil secret que vous ne connaissez pas, et que Dieu veut détruire.

Il n’y a guère de punition plus forte pour un homme qui avait compté sur la perfection et sur ses voies, que d’être abandonné à sa propre corruption. Mais celui qui s’est servi de la boue pour guérir l’aveugle-né2 et qui ne l’a purifié qu’avec les eaux de Siloé, qui sont des eaux calmes et tranquilles, pourra vous purifier de la même manière, mettant votre âme et votre corps dans la tranquillité pour être guéri d’un pareil mal, qui est l’aveuglement que nous avons tiré d’Adam. Dieu se sert de la boue ; mais lorsqu’Il veut nous purifier de cette même boue, Il Se sert d’un abandon entier, d’un amour assez pur pour ôter tous les retours d’amour propre. Alors on ne manque pas d’être éclairé. Mais de quoi est-on éclairé ? De la bonté de la conduite de Dieu sur nous, qui S’est servi de notre propre corruption pour nous déprendre absolument de nous-mêmes, et nous faire entrer dans les intérêts de Sa divine justice sans aucune vue sur les nôtres propres, qui demeurent comme éteints et oubliés, en sorte qu’il ne reste aucun penchant quel qu’il soit en nous pour nous, mais uniquement pour la seule gloire et les seuls intérêts de Dieu seul. Perdez tout et vous trouverez tout, dit le petit livre de l’Imitation. 3 Perdons-nous nous-mêmes, soyons abîmés dans notre néant, et nous trouverons ce Tout immuable, qui par la totalité de tout ce qu’Il est en Lui-même absorbera si fort notre propre vie, que non seulement nous ne pourrons plus nous voir, mais nous ignorerons même si nous vivons encore. La seule vie de Dieu nous suffira, et nous pourrons dire avec saint Paul : Je vis, non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi4 , parce que la mort de Jésus-Christ ayant absorbé notre propre vie, Sa vie de même absorbera notre mort.

Je vous souhaite la bonne Pâque. Plût à Dieu qu’elle fût pour vous un véritable passage pour passer en Dieu par la sortie de vous-même. Car Jésus-Christ nous dit que c’est en perdant notre âme que nous la retrouverons5. Il dit encore que celui qui pour l’amour de Lui ne renonce à tout ce qu’il possède, est indigne de Lui6. Or de toutes les possessions, celle de nous-mêmes est la plus dangereuse parce que divers accidents peuvent nous ôter les autres possessions, mais il n’y a que Dieu qui nous puisse ôter celle-là. Il le fait lorsque nous acceptons de bon cœur les moyens dont Il veut Se servir pour cela, et que nous nous abandonnons à Sa conduite.

– Dutoit, t. III, Lettre 20, p. 87-92.

1II Cor. 12, 9 : « Ma grâce vous suffit ; car la force se perfectionne dans la faiblesse. » (Amelote). — L’ange de Satan est cité en I Cor., 5, 5 ; II Cor. 11, 14 ; II Cor. 12, 8…

2 Jean 9, 6-7 ; Marc 8, 23. Madame Guyon revient très souvent sur le thème de l’aveugle-né.

3 Liv. III, Chap. 32. « Quittez tout, et vous trouverez tout. Renoncez à vos désirs, et vous goûterez le repos. Méditez ce précepte, et quand vous l’aurez accompli, vous saurez tout […] Ce n’est pas l’œuvre d’un jour, ni un jeu d’enfants… » (trad. Lamennais).

4 Gal. 2, 20.

5 Marc 8, 35.

6 Luc 14, 33.

Du baron de Metternich. Janvier 1716.

Autre lettre de M. le baron de M [etternich] de janvier 1716.

Voici, ma très chère mère, les prophéties de Joachim Greulich, quant à ce qui concerne les Turcs. Le mot de Greulich signifie horrible, abominable, [ce] qui convient bien aux jugements dont il nous menace. Il a prédit plusieurs autres choses qui semblent avoir eu leur accomplissement, comme la peste à Londres, à Amsterdam, à Hambourg, à Dantzig, le siège et occupation de la ville d’Augsbourg, la grande victoire des Anglais en Allemagne près d’Hocstet dans la dernière guerre, un Allemand sur le trône de Pologne, sa dégradation, etc. Je ne compte pas sur ces choses ; mais aussi je ne les méprise pas : je m’en sers pour veiller, et pour me tenir prêt. Les grands péchés qui dominent partout, Dieu banni de tous les conseils, de toutes vues, qu’à peine peut-on souffrir de Le nommer, le gouvernail en main des athées et des sensuels, ni application, ni ordre, ni bon sens, etc. : tout cela ne doit-il pas nous tenir lieu des plus grandes prophéties, que les jugements de Dieu ne peuvent pas tarder longtemps ? Et si Dieu nous envoie de bonnes gens qui ne cherchent pas à se produire, comme celui-ci a été, à ce qu’on m’a dit, et qui nous avertissent encore que le temps est tout proche, je crois qu’on le doit prendre pour une grande miséricorde. Et pour les circonstances extérieures, elles semblent se disposer fort naturellement, que les prédictions de cet homme s’accompliront fort aisément. Il est remarquable qu’il dit que la guerre des Turcs commencera par Venise ; et c’est justement ce qui s’est fait l’année passée, et cette année-ci, selon toutes les apparences nous y entrerons aussi, quoique nous n’ayons ni argent ni union. Il ne faut que la perte d’une bonne bataille au commencement de la campagne pour perdre toute la Hongrie aussi bien que les Vénitiens ont perdu la Morée. Et en Pologne aussi, si les chrétiens perdent une bataille, les Turcs en seront maîtres pour entrer librement en Allemagne. Il ne faut point de miracle pour tout cela : tout s’y dispose fort naturellement. Si l’on regarde de tous les malheurs dont nous sommes menacés, la nature en a peur. C’est pourquoi il n’y faut pas penser, et en laisser le soin à Dieu : Il le fera comme Il le trouvera bon. Et si nous devons souffrir quelque chose, nous l’aurons bien mérité et particulièrement moi. [f° .1 v°]

Je ne vous ai rien à mander de mon état. Il est comme il a été. Je souffre mes maux avec tranquillité. Que Dieu fasse de moi ce qu’il Lui plaît. S’Il veut permettre que je périsse, il en a de grandes et justes raisons. S’Il veut me sauver, rien ne peut l’en empêcher : ma corruption est très grande, mais Sa puissance l’est infiniment davantage. Voilà où j’en suis, ma très chère mère. Ne croyez pas que j’aie voulu dire dans ma précédente que la puanteur de ma corruption fût un effet de ma pourriture. Car je sais que celle-ci suppose la mort, et moi je suis encore vivant. Je n’ai jamais su en quel état j’étais, je ne désire pas aussi de le savoir, car je n’en ferais pas un bon usage.

Voici, ma très chère mère, ce que m’écrit dernièrement mon frère : « Quel sujet de joie, et de confiance pour moi de savoir que ma s [ainte] mère veut s’intéresser et s’intéresser beaucoup pour moi devant le petit Maître ! Quelle charité en Lui de le faire sans en être requis, qu’en général peut-être ! Dieu lui accorde un surcroît de Sa grâce, et m’accorde celle de me rendre digne, ou plutôt de ne pas me rendre indigne de la continuation de son secours. » Il souhaite de se retirer aussi ; mais il y a encore de grands obstacles à vaincre. Il me dit là-dessus : « Je ne puis prévoir au lendemain ». Il est heureux, s’il est toujours dans cette disposition : c’est le meilleur. Mais c’est aussi ce qui est très difficile pour la nature, quoique en cela, elle, aussi bien que l’esprit, y trouve son repos. Adieu, ma très chère mère, ne perdez pas patience de souffrir une créature aussi misérable que je le suis, moi. J’embrasse tendrement, et avec respect au Seigneur, tous les amis qui m’honorent de leur souvenir, particulièrement le cher secrétaire1 de la précédente que vous avez eu la charité de m’écrire. Je suis avec un profond respect votre très humble et très obéissant serviteur.

Je ne crois pas vous avoir dit encore qu’il y a environ huit ans que j’eus un sentiment au cœur, mais très subtil, que je vivais et remuais dans un Être immense et stable qui, sans la moindre altération, me pénétrât [sic] de tous côtés. Comme par exemple (et cette similitude me fut imprimée en même temps) si un poisson vivant dans la mer nageait ci et là, et que la mer ne lui cédât pas, mais que l’eau fût immobile et si subtile qu’elle pénétrât le poisson de quelque côté qu’il allât. Je ne sais si je m’explique bien, mais il m’était et m’est encore fort clair. Et ce sentiment me disposa à entrer d’abord dans le système de Pordage (auteur anglais dont j’ai réduit les écrits en ordre, l’ai traduit, et publié en allemand) qui roule tout sur l’étendue infinie de la divine Essence, et qui sans cela est entièrement inexplicable, mais qui, avec cette immensité de la divine Essence, est le plus naturel, le plus auguste, et le plus beau, qui ait jamais paru dans le monde ; et il conduit à un intérieur fort solide.

Extrait des prophéties de Joachim Greilicha :

 « Le 23 juillet 1653, à minuit, étant en extase, l’ange de Dieu vint à moi et me conduisit sur une grande plaine en Pologne [….] Les chrétiens n’emporteront pas la victoire, de sorte que les Turcs se glisseront bientôt en Allemagne. Car, fils de l’homme, le Dieu tout-puissant me l’a commandé au ciel de te l’indiquer ; et je suis un chérubin, fils de l’homme, qui t’ai indiqué tout cela2. »

– A.S.-S., pièce 7430, autographe, et 7417, p. 36, copie du Marquis.

aD’une autre main, d’écriture microscopique.

1 Ramsay.

2 Nous nous limitons à un court extrait des deux pages denses de cet illuminé,  remplies de visions de combats entre chrétiens et Turcs, et de prédictions catastrophiques nourries de la mémoire des événements de la Guerre de Trente ans. Les Turcs du grand vizir Kara Mustafa arrivèrent devant Vienne le 13 juillet 1683 ; ils furent vaincus par les troupes allemandes — et polonaises de Jean Sobieski, le 12 septembre (bataille de Kahlenberg).

Au baron de Metternich

J’ai reçu votre réponse avec plaisir1, monsieur, parce que j’y remarque la lumière de la vérité et les démarches de la grâce. La véritable lumière de la vérité nous porte à préférer la foi nue, implicite à toute autre lumière. C’est ce brouillard épais et obscur dont parle saint Denis2 et dans lequel il faut nous abîmer pour trouver Dieu. La grâce vous a fait faire insensiblement les démarches qui sont de vous tirer peu à peu de la multiplicité des actes et de leur grossièreté, pour vous en faire faire de plus simples et de plus généraux : car il faut savoir que la simplicité met toujours dans la généralité, ôtant peu à peu ce qu’il y a de distinct et de trop marqué.

Mais je m’aperçois que vous vous servez de lecture pour commencer et même pour continuer votre oraison : cela est bon pendant un temps et même en tout temps, hors celui qu’on prend pour l’oraison. Mais dans l’état où Dieu vous a mis, je voudrais que vous ne vous servissiez plus de la lecture pour faire votre oraison, vous laissant purement et simplement à l’esprit de la grâce, qui vous donnera ou ôtera selon qu’il conviendra pour sa gloire et le bien de votre âme, ce qui ne vous empêchera pas dans les autres temps de reprendre votre lecture, qui vous causera un recueillement plus aperçu et qui est utile à fortifier votre âme. Mais pour le temps de l’oraison, vous n’y avancerez qu’autant que vous serez plus délaissé et plus abandonné à Dieu, afin qu’Il vous la fasse faire non à votre mode mais à la Sienne.

Demeurez simplement exposé à Ses yeux divins comme on s’expose aux rayons du soleil et au feu pour se réchauffer et, quoiqu’il ne vous paraisse aucune action de votre part que la simple exposition de vous-même devant Dieu, la chaleur divine de Son amour ne laissera pas de vous pénétrer imperceptiblement, comme le feu pénètre insensiblement les corps qui sont à une certaine distance, et leur donne une chaleur qui s’insinue partout, ce qui n’est pas si sensible. Je vous prie d’essayer de cette manière : quoique vous ayez peut-être moins de satisfaction, cela ne laissera pas d’avancer beaucoup plus votre âme. Du moins vous aurez cet avantage d’être en la main de Dieu, afin qu’Il fasse de vous tout ce qu’il Lui plaira et qu’Il devienne l’unique principe de votre oraison, qu’Il affermisse votre amour par les divers états où il Lui plaira de vous mettre, soit de sécheresse, soit de facilité : car tout sert en Sa main, et ce qui paraît à notre propre raison nous être le moins utile est ce qui nous l’est davantage. L’hiver sert à faire prendre racine aux arbres et leur donner une consistance durable. Il ne s’agit pas ici de se complaire en Dieu, mais que Dieu Se plaise en nous et Il S’y plaît d’autant plus que nous sommes souples sous Sa main. Je me trouve fort unie à vous en Notre Seigneur.

La voie par où Dieu vous conduit est plus sûre que celle des révélations, visions, etc., parce que cette voie conduit à la seule et vraie révélation, qui est celle de Jésus-Christ dont parle saint Paul3, qui n’est autre que la production du Verbe en nous. Et quoique la voie des révélations et visions soit plus satisfaisante, elle est directement opposée à la manifestation de Jésus-Christ dans le fond de l’âme. Cette manifestation de Jésus-Christ n’est autre qu’une possession qu’Il prend de tout nous-mêmes dans le centre de notre âme où Il veut agir et opérer seul afin de nous perdre et de nous cacher avec Lui en Dieu. 4 Les autres révélations et visions se faisant dans l’esprit tournent l’esprit vers elles et l’empêchent de se réunir avec la volonté dans le centre pour se perdre en Dieu.

Les lumières dont vous parlez ne sont pas de cette nature : elles ont servi simplement à dissiper vos doutes et à vous faire voir votre chemin, comme un flambeau qu’on allume pour faire voir le précipice. Ce sont des grâces passagères, qui sont néanmoins fort utiles pourvu qu’elles ne soient pas trop fréquentes, parce qu’on s’amuserait enfin à la lumière du flambeau et qu’on ne poursuivrait pas sa course. La révélation de Jésus-Christ n’a rien qui ne serve à l’âme sans lui nuire. Ce n’est point une lumière qui satisfasse l’esprit, mais c’est une réalité qui possède toute l’âme sans la satisfaire et qui ne lui laisse rien ignorer, sans qu’elle s’aperçoive de sa science que quand il la faut manifester, parce que n’ayant rien en elle pour elle, tout demeure en Dieu pour Dieu, qui donne à cette âme ainsi abandonnée à Lui tout ce qui lui est nécessaire à chaque moment. Je prie Dieu qu’Il vous fasse comprendre ce que je vous dis.

Ces dispositions de vicissitudes et d’alternatives sont absolument nécessaires pour affermir l’âme dans la volonté de Dieu et dans l’amour de Son bon plaisir au-dessus de tout intérêt propre du temps et de l’éternité. Et c’est la seule chose que Dieu en prétend, et je puis dire que c’est aussi la seule chose qui Le glorifie parfaitement. La lumière paraît au milieu des ténèbres et, quoique les ténèbres ne la comprennent pas5, elle s’en sert pour se cacher et elle est d’autant plus efficace qu’elle se couvre davantage. Rien ne la couvre tant que l’expérience de nos propres misères, et cependant elle produit efficacement son effet qui est de nous déprendre de nous-mêmes, de nous détacher de tous nos intérêts les plus grands et les plus délicats, afin que Dieu reste seul Dieu à nos propres dépens : c’est là se glorifier en Dieu, c’est rendre l’honneur dû à Sa justice, qui étant un attribut qui ne regarde que Lui, doit être préféré à tous ceux qui sont favorables aux hommes. Continuez donc, mon cher frère, de vouloir bien être la victime de la divine justice et vous serez celle de l’amour pur. Ô qu’on connaît peu Dieu et ce qu’Il mérite, quant on craint de se livrer à Lui sans réserve pour le temps et l’éternité !

Regardez-vous donc dorénavant comme une chose qui ne vous appartient plus, et laissez-vous en proie à toutes les dispositions douloureuses ou satisfaisantes : tout doit être égal, pourvu que le bon plaisir de Dieu s’accomplisse en vous. Ne croyez pas que Dieu permette vos infidélités afin que vous soyez infidèle, mais afin que vous ne comptiez point sur vos œuvres et que vous soyez convaincu par expérience que tout le salut vient du Seigneur. Je vous porte dans mon cœur comme une mère porte son enfant entre ses bras.

– Dutoit, t. III, Lettre 68, p. 286-292.

1 Il ne doit pas s’agir de la lettre précédente, qui devait accabler Madame Guyon par sa crédulité et par son pessimisme, mais d’une lettre aujourd’hui perdue.

2 Theol. Myst. Ch. 1. D : « … dépassant le monde où l’on est vu et où l’on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l’inconnaissance ; c’est là qu’il ferme les yeux à tout savoir positif… » (trad. Gandillac, Aubier).

3 Gal. 1, 16.

4 Col. 3,3.

5 Prologue de Jean.

Au baron de Metternich.

J’ai voulu, mon cher e [nfant], vous éprouver de toutes manières. J’avoue que j’appréhendais votre faiblesse, mais votre dernière lettre, que je viens de recevoir, m’a fait un plaisir que je ne puis vous exprimer. Demeurez donc dans votre abandon entre les mains de Dieu sans vous mettre en peine de vous. Regardez-vous comme une chose qui n’est plus en votre disposition, mais qui appartient à Celui à qui vous l’avez donnée. Vous ne trouverez de remède ni de force que dans l’abandon total. L’abandon ne suppose pas une assurance, car l’assurance regarde quelque chose qui est en nous, et nous regarde nous-mêmes, au lieu que l’abandon est pour Dieu contre nous. C’est l’ambassadeur de la divine justice et du pur amour, qui veut ne rien laisser à la créature, et la dépouiller tellement de tout, que cette créature regarde comme la plus noire infidélité de se reprendre pour un seul moment et de se regarder encore soi-même. Il est inutile pour vous de chercher de la sûreté, car vous n’en trouverez jamais que dans l’abandon, dans l’entière désappropriation, et dans un sacrifice total pour le temps et pour l’éternité.

La chaleur de l’amour fait faire facilement ce sacrifice, mais lorsque l’immolation dure longtemps, on craint, on hésite, on doute, on est tenté de chercher des remèdes, et ensuite on retombe en soi-même, et le courage manque. Mais si l’on était assez fort, ou que l’amour fût assez pur pour vouloir être immolé à la seule gloire de Dieu, on serait ravi qu’Il nous jetât dans la boue, qu’Il nous lavât ensuite et nous nettoyât selon Son bon plaisir. C’est cet abandon qui fait que nos péchés, auparavant si rouges, deviennent blancs comme la neige. Dieu fit voir un jour à Henri Suso1 que, pour être à lui comme il le désirait, il fallait qu’il fût comme un guenillon dont un chien se joue. Il regarda par sa fenêtre un chien qui effectivement se jouait d’un vieux morceau de drap : il le trempait dans la boue, ensuite il le levait en l’air, le mettait sous ses pieds, le déchirait même ; à tout cela le guenillon ne faisait aucune résistance. Dieu lui fit comprendre que c’était ainsi qu’il devait être en Sa main. Et cet homme, le plus favorisé de Dieu de son siècle, puisque Dieu lui fit voir son origine2, avoue qu’il resta ensuite dans une très grande pauvreté, et que même il eut une tentation secrète, qui selon les apparences devait lui durer toute sa vie. Ce que Dieu estime le plus au monde, est un homme qui lui soit dévoué de cette sorte. Mais hélas, qu’Il en trouve peu, ou du moins qui persévèrent dans ce dévouement !

Votre manière d’oraison est excellente et celle dont je voulais vous parler, lorsque je vous disais que la seule abstraction de l’esprit ne suffisait pas et qu’il fallait que tout se passât dans le cœur, ou dans l’intime de l’âme.

Il ne faut pas vous étonner ni vous affliger du temps que vous croyez avoir perdu. Il faut encore être abandonné à Dieu pour ce retard de votre avancement, car enfin nous ne devons mettre aucune borne, quelle qu’elle soit, à notre abandon. Que Dieu nous fasse marmitons de cuisine, de Ses premiers ministres qu’Il avait résolu de nous faire3, il faut en être contents et trouver qu’Il nous fait encore trop de grâce. Enfin, mon cher frère, soyons si petits, si rien, que Dieu ne nous trouve plus en nous-mêmes ni pour nous punir ni pour nous récompenser. Quand nous nous déroberons à nos propres yeux, le père Eternel ne verra plus en nous que Son Fils : c’est notre amour propre, notre propriété, l’intérêt que nous prenons encore pour nous-mêmes, qui Le dérobe à Ses yeux. C’est une chose horrible de cacher cet aimable petit Jésus aux yeux de Son Père par notre nous-mêmes. Je crois que, quand vous y ferez réflexion, vous haïrez plus ce vous-même que le diable, car quand vous n’en aurez plus, le diable ne pourra plus vous nuire. Vous direz à Dieu comme sainte Catherine de Gênes : Tôt, tôt, détruisez cette partie propre, et qu’il n’en reste plus de vestiges.

Vous dites que l’obscurité vous empêche de pouvoir découvrir le juste milieu entre l’assurance et la négligence. L’abandon est toujours accompagné d’obscurité : car si vous saviez où l’on vous mène, vous n’auriez que faire d’abandon. Quand vous vous laissez mener par un cocher dont vous êtes sûr, quoiqu’il vous mène par des chemins où vous n’avez jamais été, vous ne vous inquiétez pas pour cela : il sait bien où il vous mène, et vous en êtes content. Usez-en de même avec Dieu. Le juste milieu est de vous abandonner sans réserve à Sa conduite, de remplir à chaque moment vos devoirs, d’être fidèle à votre oraison, de vous laisser conduire la nuit et en ténèbres si le Maître qui vous conduit le désire de la sorte : enfin, fidélité à l’abandon, fidélité à l’oraison, fidélité à ne plus se regarder soi-même, fidélité à remplir tous ses devoirs à chaque moment, tant ceux de votre état que ceux que la Providence vous fournit. Une vie simple et réglée : l’amour et l’abandon, c’est tout ce qu’il vous faut ; l’un et l’autre vous conduiront sûrement, si vous vous confiez assez à eux pour ne vous point reprendre.

Mais sitôt qu’on craint et qu’on hésite, l’abandon qui tient l’âme, pour ainsi dire, par la lisière4, la laisse tomber, indigné qu’il est de ce qu’on craint après s’être donné à Dieu. Ô mon Dieu, ce n’est pas entre Vos mains qu’on peut s’égarer ; mais bien lorsqu’on est en la main de son propre conseil. Fiez-vous plutôt aux ténèbres qu’à la lumière, car la lumière vacille et se perd. S’il vous venait la lumière du monde la plus sûre et qu’un ange vînt vous assurer de la vérité de votre voie, cette lumière ne serait pas plus tôt passée qu’il vous viendrait plus de doutes qu’auparavant : Dieu habite dans les ténèbres, et ces mêmes ténèbres Lui servent de cachette5.

Laissez-vous donc conduire par ces ténèbres, et ne marquez jamais aucune défiance à Dieu, car c’est la plus grande injure que vous Lui puissiez faire. Vous me direz : « Je ne me défie pas de Dieu, mais de moi-même. » Si tout votre moi est détruit par ce même abandon, vous irez très sûrement, quoique vous ne connaissiez aucune sûreté. Fiez-vous à ce que je vous dis. Je vous parle à cœur ouvert comme à mon cher fils. Faites un sacrifice de votre propre raison et vous laissez conduire à Dieu. Ne voit-Il pas bien, ce Dieu de charité, que vous n’avez aucun désir que celui de lui plaire ? Quand, en courant après Lui de toutes vos forces, vous seriez prêt à tomber, Il mettra Sa main sous vous afin que vous ne vous blessiez point6. Tenons-nous ferme à l’abandon et nous ne courrons aucun risque. Mais je ne réponds pas que, si nous nous regardons nous-mêmes, nous ne tombions dans le précipice : quand on est sur une hauteur, et qu’on regarde en bas, la tête tourne, et c’est ce qui fait tout le mal de la vie spirituelle ; cependant les hommes peu éclairés regardent cela comme un grand bien.

Ne craignez pas, en m’écrivant, de me faire de la peine. Vos lettres me font un vrai plaisir, mais je serai ravie quand vous me manderez : « Je ne me connaîs plus, parce que je ne me regarde plus ». J’ai lu la lettre de cette bonne demoiselle : il y a bien du bon. Conduisez-la comme vous avez fait, et je ne doute point que Dieu ne vous donne tout ce qu’il vous faut pour elle. Je la salue bien cordialement, et j’espère de ne la pas oublier devant Dieu, non plus que mon cher fils qui me tient si fort au cœur. Je salue M. le Comte avec toute l’estime et le respect possibles. Je ne l’oublierai pas devant le Seigneur : je désire de tout mon cœur qu’Il règne véritablement en lui.

– Dutoit, t. III, Lettre 90, p. 384-391

1 « Il vit un chien qui courait au milieu du cloître… » Suso, Vie, 20, L. Cognet, Introduction aux mystiques rhéno-flamands, Desclée, 1968, p. 164, que nous avons cité plus haut, v. lettre « À Homfeld [D3.10] ». Et Cognet poursuit : « On reconnaît ici le passage d’où Mme Guyon […] tirera, trois siècles plus tard, la comparaison du “guenillon”, qui lui est si familière. »

2 Livre des sept roches, chap. 32. [D]. Il s’agit de Vie, 32 : « Au joyeux jour de Pâques […] dans un ravissement, lui vint de Dieu cette lumière : réjouissez-vous […] Ils ne savent plus rien d’eux-mêmes, mais ils prennent eux-mêmes et toutes choses dans leur première origine […] Ils obtiennent en eux-mêmes puissance de vœu, car le ciel et la terre les servent… » (trad. Lavaud).

3 Allusion à la parole du Christ aux apôtres : vous jugerez avec moi. Matt. 19, 27-28 ; Apoc. 3, 21 : « Quiconque aura vaincu [sa tiédeur et sa lâcheté] je le ferai asseoir avec moi dans mon trône : comme moi qui ai vaincu, je suis assis avec mon Père dans son trône. » (Amelote).

4 Bande d’étoffe que l’on attachait au vêtement d’un enfant. V. glossaire.

5III Rois 8, 12 & II Paralip. 6, 1 — Ps. 17, 22.

6Ps. 91, 12 (hébr.).

Au baron de Metternich.

Vous me parlez, mon cher frère, des inspirations : il est de la dernière conséquence d’y être fidèle. C’est ce qui fait acquérir à l’âme une certaine souplesse pour tout ce que Dieu veut d’elle. Le Saint-Esprit ne s’explique point autrement que par un certain mouvement du cœur, que vous appelez conscience, et qui cependant n’est pas la même chose. La conscience est un certain je ne sais quoi qui prévient le péché pour empêcher de le commettre, et qui le reproche après l’avoir commis ; et ceci est en nous par une impression que Dieu y a mise dès le commencement. L’autre [l’inspiration] est un certain mouvement de l’Esprit de Dieu, qui nous excite à faire les choses, tantôt voulant, tantôt ne voulant plus, pour nous accoutumer à la souplesse.

Il est de grande conséquence de suivre ces mouvements, et comme dit saint Paul, de ne point éteindre l’Esprit1. Nous Le contristons tout d’abord, puis nous L’éteignons tout à fait. De la fidélité à Le suivre dépend tout le progrès de la vie spirituelle. Pendant un temps plus on lui accorde et plus il est insatiable, ce qui fait de la peine d’abord, mais dans la suite, voyant la fidélité exacte de l’âme, Il Se contente et change de route. Laissez-vous donc conduire à l’Esprit de Dieu.

Il faut remarquer qu’afin que cela vienne de Dieu, il faut que ces mouvements nous viennent sans aucune réflexion de notre part, et lorsqu’on y pense le moins. Ce n’est point une chose qui, comme la conscience, prévienne l’infidélité ou le péché, mais c’est un je ne sais quoi que Dieu exige de nous, sans savoir d’où cela vient, parce qu’Il a droit de le faire. Il est de grande conséquence de démêler le mouvement de la grâce d’avec le scrupule, et j’espère que Dieu vous le fera connaître. Il y a bien de la différence à se laisser entortiller de scrupules, qui ne font qu’offusquer l’esprit, remplissent l’imagination, rétrécissent le cœur, au lieu que la fidélité à suivre les inspirations met le cœur au large et donne une parfaite liberté. Prenez donc garde à ne pas devenir scrupuleux.

Si Dieu vous met toujours au cœur de quitter le monde pour la solitude, vous pouvez vous y préparer de loin, et mettre ordre à vos affaires d’une manière que vous ayez de quoi vivre dans la santé et dans l’infirmité. J’espère que Dieu vous facilitera toutes choses.

Pour ce qui regarde votre ami, je ne suis point surprise que, n’ayant pas été fidèle à la grâce, lisant des livres que Dieu ne voulait pas qu’il lût, il s’est écarté. Mais il faut espérer qu’il reviendra. Ce qui déplaît à Dieu dans un temps, devient indifférent en l’autre : tout consiste à ne rien faire contre cet Esprit directeur. J’ai connu un ecclésiastique qui a perdu peu à peu son oraison pour ne m’avoir pas voulu obéir en ce point de lire des livres que je lui avais défendus ; il croyait avoir beaucoup gagné de me les cacher ; ce qui ne lui servait de rien, car je le poursuivis fortement là-dessus, quoiqu’il ne me le dît pas. J’espère que votre ami reviendra, et j’en prie Dieu de tout mon cœur. Il n’y a qu’à se faire un peu de violence, reprendre son premier train, et revenir à Dieu dans une humiliation douce, résolu de suivre véritablement Son Esprit.

Pour ce qui regarde votre oraison, l’abstraction et la tendance de la volonté sont très bonnes, unies ensemble, pourvu que ce soit l’amour et la volonté qui soient la source de l’abstraction, comme vous l’appelez. À mesure que la volonté s’unit à Dieu, les pensées tombent, les objets disparaissent, et la foi qui est toujours jointe à l’amour, rend l’esprit simple, pur, net, dégagé d’espèces : c’est ce qui fait la parfaite oraison.

Ce qui s’appelle sortir de soi, c’est lorsque, par l’exercice de l’oraison de la volonté, qui fait céder peu à peu notre volonté à celle de Dieu, nous venons à n’avoir plus de volonté : ce qui se fait insensiblement, en sorte que nous n’en trouvons point. L’âme trouve en elle une extinction de tout désir, ce qu’elle croit souvent mauvais, parce que ses désirs lui sont un témoignage de sa bonne volonté ; mais lorsque la volonté de Dieu prend la place de la nôtre, Il ne laisse pour un temps ni bonnes ni mauvaises volontés, afin de prendre entièrement la place de la nôtre. J’ai tant écrit de cela, comme étant l’essentiel de la vie spirituelle, que vous le trouverez assurément en bien des endroits. La sortie de soi se fait encore par la perte de toute propriété, ainsi que vous le verrez déduit assez au long. Contentez-vous présentement de laisser écouler toute votre volonté dans la volonté de Dieu par un amour véritable. Je vous souhaite toutes les bénédictions du saint enfant Jésus. Nous voilà près de Sa fête : je ne vous oublierai point ni tous vos amis ce jour-là.

Je voudrais que votre ami revînt, s’il est écarté, mais j’ai une bonne espérance de son cœur sans le connaître. Depuis ceci écrit, j’ai appris que votre ami régente une classe, ce qui le met dans une obligation de lire des choses qu’il ne devrait pas lire s’il était dans la solitude, ou que Dieu les lui reprochât. S’il ne lit que les choses nécessaires pour son emploi, et qu’il ne laisse pas en même temps d’être fidèle à l’oraison et à lire les choses qui lui sont nécessaires pour l’aider dans la voie, j’espère que tout ira bien.

Dutoit, t. IV, Lettre 54, p. 136-141.

1I Thess. 5, 19.

Au baron de Metternich.

Je commence par vous répondre d’abord, mon cher frère, sur ce qui vous concerne. Vous avez bien raison de dire qu’il ne faut pas conseiller facilement à ne se pas marier, surtout aux jeunes gens. Ceux qui l’ont fait, ont plutôt suivi leur ferveur particulière et la paix naturelle qu’ils éprouvaient en eux, que la connaissance expérimentale des hommes, dont la nature corrompue ne leur permet pas de faire tout ce qu’ils désirent. Je mets le sexe au rang des hommes. J’en ai vu des égarements et des chutes funestes, qui font un tort infini à la piété, ce qui m’a portée à conseiller à plusieurs dont je n’étais pas sûre, de se marier, croyant en cela suivre le conseil de S. Paul ; et j’ai remarqué que ceux qui se mariaient de la sorte, avec une convenance entière et un même désir d’être à Dieu sans réserve, se sont sanctifiés dans l’état du mariage d’une manière admirable, leur union devenant dans la suite plus de l’esprit que de la chair, et on ne verra que dans l’éternité les grâces que Dieu a fait[es] à deux personnes unies de la sorte, avec un désir sincère de Le servir aux dépens de toutes choses.

Il y a encore une autre chose sur laquelle il faut avoir une grande précaution, qui est de faire quitter l’état où Dieu engage par Sa Providence, sous prétexte d’un état plus parfait, car Jésus-Christ a sanctifié tous les états ; et j’ai vu des gens qui vivaient comme des anges dans l’état où Dieu les avait appelés, déchoir insensiblement, lorsque leur ferveur leur en fait embrasser un autre que Dieu ne demandait pas d’eux, ayant trop compté sur une force présente qui n’était que dans leur ferveur. Je crois que c’est ce que Jésus-Christ a voulu dire lorsqu’Il nous fait comprendre1 que, quand on voulait faire un édifice, il fallait voir si nous avions assez de fond pour l’achever, sans quoi, l’édifice demeurant imparfait, on devient la risée des passants. Nous ne devons jamais, pour quoi que ce soit, compter sur nous-mêmes, mais sur la force de Dieu, de sorte qu’avant que d’embrasser un état contraire à celui où nous sommes, il faut être bien dégagés de tout appui en nous-mêmes, et être certifiés de l’appel de Dieu pour autre chose. Nos yeux, troublés par l’amour propre, donnent une perfection aux idées qu’ils se sont faites, ne regardant que ce qu’il y a de grossier et de matériel dans les autres états, sans y voir l’esprit et la vie que Dieu y communique lorsque nous ne cherchons qu’à demeurer en repos dan la place où Il nous a mis, et à y faire Sa sainte volonté.

J’ai toujours remarqué la nécessité qu’il y a de ne s’entretenir volontairement sur aucune idée du passé ni de l’avenir, se laissant au moment présent entre les mains de la Providence, et tirant pour ainsi dire comme un rideau à toutes pensées et à tous raisonnements. Heureux ceux qui suivent cette maxime dès leur jeunesse, parce qu’ils la trouvent tout à fait aisée dans la suite : ils n’ont pas plus de peine à se défaire de leurs pensées et de leurs raisonnements que nous [n’] en avons à laisser tomber une chose que nous tenons en notre main.

Cette fidélité est la source d’une très grande pureté, et pour l’esprit et pour le corps, car la plupart des choses qui arrivent viennent par les pensées, qui émeuvent insensiblement la chair. Ce qui vous paraîtra étonnant, c’est que ce ne sont pas toujours les mauvaises pensées qui causent ces sortes de choses ; mais la facilité et l’accoutumance de penser des choses indifférentes, même souvent de bonnes, nous jette insensiblement dans d’autres pensées. C’est peu d’avoir la bouche fermée, si l’on ne ferme l’esprit à toutes les idées et les pensées. Aussi Jésus-Christ nous dit-Il : quand vous voudrez prier, entrez dans votre cabinet, c’est-à-dire : entrez en vous-même et dans votre cœur 2. Et fermez là votre porte sur vous, c’est-à-dire : fermez votre esprit à toutes les idées et les pensées. L’habitude des pensées vagues est comme une porte qui ne fait que s’ouvrir et se fermer elle-même.

Je sais que ce que je vous dis là est difficile pour les personnes qui n’ont pas pris cette habitude dès leur jeunesse, mais il est toujours temps de commencer. C’est pourquoi les vrais mystiques recommandent tant de ne point aller par la voie des visions et des fantômes (ou espèces), afin d’accoutumer l’esprit à ce vide et à cette pureté que la foi seule peut donner. C’est cette pauvreté d’esprit3, dont Jésus-Christ a fait la première béatitude, qui purge entièrement l’esprit et éteint insensiblement les dérèglements du corps où le cœur n’a point de part. Ne vous arrêtez donc point un moment à penser à l’avantage que vous auriez d’être en un autre état, mais supportez votre misère en patience, croyant que vous en avez besoin à cause de votre orgueil et de votre amour propre, puisque Dieu vous le laisse encore. Rien n’est plus capable de diminuer ce que vous éprouvez, que la fidélité à ne point admettre de pensées sur l’avenir.

Je comprends fort bien ce que vous me dites sur votre oraison, ce qui vous doit être une preuve que Dieu n’est point fâché contre vous, et doit redoubler votre espérance qu’Il vous délivrera bientôt de ce corps de mort. Vous devez cependant être abandonné entièrement à Dieu pour porter la puanteur de ce cadavre tant qu’il lui plaira, attendant tout de Sa bonté et rien de vos forces, car quoique le mal qui est en nous soit de nous, il n’y a que Dieu seul qui puisse nous en délivrer. L’extinction des pensées et l’abandon à Dieu sont les deux meilleurs moyens.

Pour ce qui regarde la demoiselle dont vous me parlez, il n’y a que Dieu seul qui connaisse si elle est sincère. Il y a tant de tours et de détours dans le cœur de l’homme, surtout de la femme, que le serpent en y glissant son poison y a aussi glissé les plis et les replis. Je n’ai garde de juger cette demoiselle, ne la connaissant en nulle manière. Ce que je puis vous dire, c’est que vous l’avez parfaitement bien conseillée. On ne peut que donner des avis. Il faut faire comme saint Paul, qui agissait comme au hasard4, car Dieu ne donne pas toujours de certitude du fond des personnes qui nous demandent conseil. Il arrive souvent qu’Il la donne, mais lorsqu’il ne la donne point, il ne faut pas la désirer. Combien de choses a-t-il cachées même à ses prophètes, témoin à Elisée5 ? Faisons toujours ce qui est en nous, et Dieu ne nous demandera compte du reste. Dès que cette demoiselle a confiance en vous, vous devez l’aider par vos lettres, selon ce qui vous sera donné dans le moment pour elle. Il faut l’accoutumer à recevoir également de Dieu les peines, les sécheresses, les absences, en servant Dieu pour Dieu : Il le mérite bien. C’est en Lui que je suis toute à vous et que je désire votre perfection au-delà de tout.

– Dutoit, t. IV, Lettre 72, p. 205 — 211. La façon dont Madame Guyon parle de la demoiselle fait penser que cette lettre se situe avant la lettre de la « demoiselle amie ».

1 Luc, 14, 28.

2 Matthieu, 6, 6.

3 Matthieu, 5, 3.

4 Rom., 11, 14 : Essayant de donner de l’émulation à ceux qui sont de la même race que moi, et d’en amener quelques-uns au salut. (Amelote).

5IV Rois, 4, 27 :… son âme est dans l’amertume, et le Seigneur me l’a caché et ne me l’a point fait connaître. (Sacy).

Au baron de Metternich.

Voilà, mon cher frère, un mot qui m’est venu dans l’esprit d’écrire à cette bonne demoiselle : je vous l’adresse. Laissez disposer doucement à Dieu toutes choses pour votre solitude. N’avancez rien par vous-même, mais aussi ne reculez pas quand le Seigneur vous ouvrira la porte. Je suis très unie à vous malgré tout ce qui paraît misère au-dehors : c’est un savon, qui doit vous nettoyer des propriétés de l’esprit, et même vous blanchir, car la même Ecriture qui nous assure1 que, quand nos mains, qui font nos actions, éblouiraient de blancheur, Dieu les ferait paraître toujours sales, nous assure aussi que2, quand nos péchés seraient rouges comme l’écarlate, Il les rendrait blancs comme la neige. Il y a de deux sortes de personnes qui suivent l’Agneau : les unes, dont la robe d’innocence n’a jamais été souillée, et d’autres, dont la robe a été blanchie dans le sang de l’Agneau3.

Jésus-Christ prit de la boue pour éclairer l’aveugle-né: cette boue était plus propre à l’aveugler s’il avait eu de bons yeux ; mais tout est bon dans la main de Dieu, et a un effet tout opposé à ce que la raison pourrait nous inspirer. Il lui dit de se laver dans le lavoir de Siloé, qui sont des eaux calmes et tranquilles, pour nous apprendre qu’il faut conserver la paix et la tranquillité dans notre boue pour être éclairé. Dieu est si jaloux de Sa gloire qu’Il détruit et renverse tout dans l’homme afin qu’on ne Lui en dérobe pas une petite étincelle. Demeurons bien petits et bien rien. Mais lorsqu’il faut agir pour la gloire de Dieu et le bien de nos frères, agissons en hommes courageux, sans pourtant nous appuyer sur notre courage, mais en Dieu seul. C’est bientôt la fête du divin petit Maître : honorons-Le par notre petitesse et notre néant.

– Dutoit, t. IV, Lettre 58, p.149-151.

1 Job 9, 30-31.

2 Isaïe 1, 18.

3Apoc. 7, 14.

4 Jean 9, 6-7.

Au baron de Metternich.

J’ai reçu, mon cher frère en Notre Seigneur, votre lettre avec une véritable consolation de mon cœur.

Vos misères ne m’ont point fait de peine, parce que j’en connais la source, mais votre humilité et simplicité à les découvrir m’a fait un extrême plaisir. Car je vois clairement le doigt de Dieu en tout cela, et connais que c’est une épreuve et non une malice qui soit en vous. C’est bien un effet de la malignité de votre nature, mais non pas de la malice de votre cœur. Il fallait que l’orgueil fût bien enraciné, puisqu’il vous faut une telle lessive. Ne croyez pas que je parle d’un orgueil grossier : nullement, mais de cet orgueil spirituel qui renonce même aux possessions de la terre, pour se conserver par l’amour de sa propre excellence dans le bien et dans une vertu propriétaire. L’orgueil grossier est méprisé par cet amour de la propre excellence et, comme dit Dieu en Job1, il estime l’or comme de la boue, les rayons du soleil sont sous lui, et le reste, qui est admirable.

Or pour guérir cette maladie d’autant plus dangereuse qu’elle est plus cachée, qu’on s’en défie moins et qu’on la regarde même comme une grande santé, Dieu Se sert des moyens tout contraires, afin de guérir un mal si grand et qui est irrémédiable à tout autre que Dieu. Non, il n’y a que Lui qui le puisse guérir. C’est pourquoi Il dit en deux endroits de l’Ecriture deux choses qui prouvent ce que je soutiens : l’une est dans Job2, Quand mes mains paraîtraient éblouissantes de blancheur comme la neige, vous me les feriez voir toutes pleines d’ordures ; l’autre est en Isaïe3 : Quand vos péchés seraient rouges comme l’écarlate, il les fera paraître blancs comme la neige. Lorsque nos œuvres et nos vertus nous paraissent si belles, Dieu nous en fait voir toute la laideur. Lorsque nous entrons dans une véritable humiliation, nous découvrons alors que le ver de l’amour propre, de la propriété, de l’amour de la propre excellence, en avait corrompu le dedans, qu’il n’y avait qu’une blancheur fragile au-dehors semblable à celle de la neige, qui n’est pas plutôt foulée aux pieds des passants qu’elle devient un objet d’horreur. Lorsque le Verbe, comme une divine pluie, vient à fondre cette neige, tout est fondu en un instant, il ne reste que boue et saleté. Quelle est cette pluie, sinon la vérité, qui s’introduit dans l’âme par la divine justice, qui en nous ôtant ce que nous croyons bien établi, nous fait voir à nu ce que nous sommes ? Ô divine vérité, fondez ces neiges, et que la justice par là fasse voir à l’homme la faiblesse de son ouvrage, et qu’il n’y a que l’ouvrage de Dieu qui soit stable, et c’est celui-là qui durera éternellement ! Au contraire, celui dont les péchés sont rouges comme l’écarlate, qui est accablé de confusion et de douleur, est blanchi par la divine justice d’une blancheur éclatante, et qui ne peut se corrompre : elle n’est point exposée aux pas des passants, car elle est cachés sous cette rougeur apparente. Dieu est un Dieu jaloux : Il abaisse ce qui paraît élevé, Il élève ce qui est abaissé, Il regarde les choses basses, Il s’abaisse sur les humbles et résiste aux superbes. La jalousie de Dieu est telle qu’Il ne peut souffrir que l’homme s’attribue aucun bien, et tout le soin de la divine justice est de détruire nos usurpations et de restituer à Dieu ce que nous Lui avons dérobé.

Cela supposé, je dis que vous devez vous estimer plus heureux, malgré votre extrême misère, que vous n’étiez dans votre prospérité spirituelle. Je remarque qu’elle a produit deux effets en vous, qui ne sont point équivoques : l’un, de vous apprendre à vous connaître vous-même, et le peu que vous pouvez ; l’autre, de vous donner une plus haute estime de Dieu et un amour plus pur, un abandon plus entier, une foi plus vive. J’espère que vous direz un jour avec le Prophète: J’ai trouvé ma consolation dans ma douleur la plus amère, pourvu que vous observiez ce que je vais vous dire : premièrement, de continuer votre oraison le plus que vous pourrez, de ne point changer votre oraison simple pour vous multiplier à cause de vos misères. Tous vos efforts sont inutiles pour vous en tirer, comme votre expérience vous l’a appris : cela ne sert qu’à les allonger et les rendre plus opiniâtres. Je ne juge pas, comme vous, qu’il y ait de la malice : votre état intérieur, tel que vous me le découvrez, est entièrement opposé à cette malice prétendue. Je crois que c’est plutôt une épreuve de Dieu, qui permet au démon, quoique d’une manière cachée et qui paraît toute naturelle, de vous exercer, pour vous purifier de tout ce qui reste en vous de vous, afin que vous aimiez Dieu si purement que, perdant tout propre intérêt, quel qu’il soit, pour le temps et pour l’éternité, vous vous immoliez à Sa divine justice, afin qu’elle soit satisfaite et qu’elle rende à Dieu ce que vous Lui aviez dérobé sans le vouloir, n’ayant plus d’autre intérêt que le seul honneur et la seule gloire de Dieu, qui ne peut rien perdre quand vous perdriez toutes choses. Ô que cet amour de Dieu, surpassant toutes choses, est bien plus digne de Dieu que toutes ces œuvres qui, comme dit saint Paul, ne seront admises qu’en passant par le feu!

Ce que je dis ici n’exclut pas les bonnes œuvres, mais l’appui en ces mêmes œuvres. Il faut savoir quelles sont les œuvres qui peuvent porter le nom de bonnes : ce sont celles qui sont faites par le mouvement de l’Esprit de Dieu, et non par l’esprit empressé de l’homme, ni par l’amour de sa propre excellence. Ce sont celles qui, comme dit saint Jean6, ne sont point nées de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de la volonté de Dieu. Or ceux qui sont les vrais enfants de Dieu sont nés de Sa volonté, car ils sont régénérés en Jésus-Christ : ceux-là font de bonnes œuvres, parce qu’ils les font dans la volonté de Dieu par Son Esprit, et non par leur caprice. C’est pour amener l’homme à ce point que Dieu, par ces sortes d’épreuves, le purifie de toute attache à soi-même et de toute estime de nos propres œuvres. Ô Dieu, dit l’Ecriture, c’est Vous qui faites en nous toutes vos œuvres 7 ! David disait : Vous avez rendu mes volontés merveilleuses8. Afin que nos volontés soient merveilleuses, il faut qu’elles soient devenues les volontés de Dieu, car il n’appartient qu’à Lui de faire des merveilles. Afin que notre volonté passe en celle de Dieu, il faut perdre en Lui toutes nos volontés, n’en conserver aucune, ni désir, ni choix, ni inclination, car tout cela est l’apanage de la propre volonté, mais mourant à tout désir, demeurer constamment en la main de Dieu, afin qu’Il nous traite comme il Lui plaira et aussi longtemps qu’il Lui plaira.

Demeurez donc sacrifié sous le couteau de l’épreuve, espérant tout de Dieu et rien de vous, vous abandonnant même à Sa justice pour recevoir le châtiment que vous méritez, si vous avez été assez malheureux pour Lui déplaire. Châtiez-moi, ô Père juste, mais infiniment miséricordieux dans votre justice : j’aime cette justice qui Vous est si glorieuse, quand même elle me serait contraire. Plus vous êtes misérable, plus vous devez tâcher de vous unir à Dieu : vous ne sauriez Le salir, mais Il vous purifiera, car c’est un feu dévorant et consumant. Tâchez de L’aimer de plus en plus, et consacrez-vous de nouveau à Sa volonté cachée, content de tout ce qu’Il ordonnera de vous. Si vous quittiez l’oraison et l’abandon sous quelque prétexte que ce pût être, vous seriez perdu et, croyant vous sauver vous-même, vous succomberiez infailliblement. Ne vous défiez point de Dieu. Ne craignez point, de peur d’enfoncer comme saint Pierre8a.

Je crois qu’une trop grande solitude vous serait à présent plus dommageable qu’elle ne vous serait utile : il faut encore quelque occupation. Priez de votre côté, je prierai du mien, et j’espère que Dieu me fera la grâce de vous le faire savoir lorsqu’il sera temps. Votre application à la chimie9 peut vous divertir quelques moments, mais je ne voudrais pas en faire mon application : vos affaires, le temps qu’il faut donner à Dieu doivent être préférés à tout. Je suis ravie du bien que vous a fait le Traité spirituel10. C’est pour vos semblables que Dieu l’a fait écrire. Demeurez ferme dans l’abandon : vous ne pouvez trouver de paix que là. Je ne crois pas qu’il y ait présentement nulle obligation de vous engager dans un ménage, quoique je sois fort portée pour que les jeunes gens se marient selon Dieu, à cause des inconvénients et des jours de tentations ; mais je voudrais qu’ils ne regardassent que la crainte et l’amour de Dieu dans leurs mariages, et nullement l’intérêt, ni la chair et le sang. Je crois que Dieu bénirait ces sortes de mariages. Je ne vois pas que Dieu demande la même chose de vous, mais un abandon total entre les mains de Dieu. Saint Paul qui avait des peines comme vous, ne pensa pas à se marier. Il pria trois fois, il lui fut dit : Ma grâce te suffit ; la vertu se perfectionne dans l’infirmité11. Je vous souhaite toutes les bénédictions du ciel, et à votre ami que je salue comme vous en Jésus-Christ.

Ne vous étonnez pas, si vous trouvez quelquefois dans les livres spirituels quelque chose que vous n’entendez pas : dans la suite vous l’entendrez, l’expérience est une grande maîtresse. Dieu donne toujours l’intelligence aux simples. Je serai toujours bien aise de répondre à vos difficultés ; mais je m’assure que ce que vous ne trouverez pas expliqué dans un endroit, vous le trouverez dans l’autre : si vous voulez marquer sur un papier votre difficulté, et lire avec patience, vous trouverez dans un autre endroit la résolution de votre doute.

Voici la réponse à la difficulté que vous proposez. Il n’y a aucune certitude infaillible en cette vie, ce qui serait contraire à l’Ecriture, qui assure que nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine12. Il est pourtant de conséquence, dans l’état de transformation, de suivre les premiers mouvements du fonds, car Dieu étant le principe et le moteur d’une telle âme, c’est Lui qui lui donne ces premières impulsions du cœur, où la pensée n’a point de part : ce qui s’étend pour les choses graves, ou pour les conseils qu’on nous demande. Dans les commencements ces mouvements sont plus marqués parce que Dieu veut dresser Lui-même l’âme à ce procédé. Elle voit par les suites que, lorsqu’elle n’y est pas fidèle, Dieu l’en punit, et les choses ne réussissent pas : elle en a du reproche. Mais lorsqu’elle a connu la conduite de Dieu sur elle, elle suit ces mouvements comme naturellement et avec grande simplicité, sans les examiner, car l’attention qu’elle y ferait, l’arrêterait et l’empêcherait de marcher dans un abandon parfait et dans une simplicité enfantine.

Les actions naturelles n’ont besoin d’aucun mouvement particulier, comme le boire, manger, dormir, etc., car ces personnes sont éloignées de passer les bornes de la droite raison. Tant que l’homme vit en lui-même, ses premiers mouvements doivent être réprimés, parce qu’ils sont de la nature, et que les seconds sont ordinairement le fruit d’une bonne réflexion. Il n’en est pas de même d’une âme véritablement régénérée (si tant est qu’il y en ait) : c’est Dieu en qui elle est, vit et opère, qui lui donne le mouvement. Ainsi ses premiers mouvements, dans les cas sus-allégués, sont de Dieu. Mais les seconds [viennent] d’une réflexion produite par l’amour propre, qui cause doute, hésitation, et qui met l’âme comme en nécessité de choisir : et alors ne trouvant ni choix, ni volonté (à cause de la perte de cette même volonté en Dieu), elle demeure obscurcie, sans connaître de quel côté est la vérité, et sans pouvoir la rattraper. Mais lorsqu’on a été fidèle à s’abandonner à Dieu en suivant ce premier mouvement, on reste en paix, attendant le succès de la Providence, et n’en voulant point d’autre que celui qu’il Lui plaira de donner.

Cela n’empêche pas que ces personnes n’aient des défauts extérieurs, mais ils sont sans malice. Et Dieu leur laisse ces défauts pour les cacher et à leurs propres yeux et à ceux des autres, sans quoi l’on en ferait trop de cas. Et puisque la présomption et l’orgueil a corrompu l’ange dans le paradis, que ne pourrait-il pas arriver à cette âme si Dieu, par tout le soin de Sa Providence, ne la couvrait d’une écorce grossière qui fait que, convaincue de ce qu’elle est par elle-même, elle ne cherche rien de grand, ni de bon en elle, mais demeure ravie que Dieu ait tous biens, et elle reste dans son rien par hommage à la sainteté de Dieu ? C’est là le sel qui préserve de toute corruption. Cette âme chante de bon cœur :

Rien n’égale ma pauvreté :

Je m’y complais, Seigneur, content de tes richesses.

Possède seul l’honneur, les biens, la sainteté :

Je ne veux rien pour moi que mes faiblesses.

Ô mon Dieu, disait un grand serviteur de Dieu, plutôt pécheur que superbe13. La faiblesse est le partage de l’homme : combien lui est-il quelquefois avantageux d’être faible ! Mais l’orgueil est l’apanage du diable. Le diable a soin de faire paraître ses assujettis sans aucun défaut, quoique leur cœur soit diabolique ; mais Dieu couvre les siens de défauts apparents, quoique leur cœur soit plein d’innocence et qu’il soit le trône de la majesté de Dieu.

– Dutoit, t. IV, Lettre 59, p.151-164.

1 Job 41, 21. « Voyez-en l’exposition dans les Explications et Réflexions sur l’Ancien Testament, au tome VII qui est sur Job. » D.

2 Job 9, 30-31.

3 Isaïe 1, 18.

4 Isaïe 38, 17.

5I Cor. 3, 13.

6 Jean 1, 13.

7 Isaïe 26, 12.

8Ps. 15, 3.

8aAllusion au manque de foi de saint Pierre, Matt. 14, 29 : « Mais lorsqu’il vit que le vent était grand, il eut peur, et commençant d’aller au fond, il s’écria : Seigneur, sauvez-moi. [30] Aussitôt Jésus étendit la main, et le prenant lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? » (Amelote).

9 Le baron fut réputé alchimiste.

10 Non identifié.

11II Cor. 12, 9.

12Ecclésiaste 9, 1 : « … Il y a des justes et des sages, et leurs œuvres sont dans la main de Dieu, et néanmoins l’homme ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. » (Sacy).

13 Brève Instruction du P. Lacombe, dans les Opuscules spirituels tome II, p. 518 : « Ô Seigneur, s’il se pouvait faire, plutôt mourir grand pécheur que superbe ! 

Du baron de Metternich. 31 mars 1716.

Autre du même, du 31 mars 1716.

Ma très chère mère. J’ai bien reçu votre très chère lettre dernière qui est partie de P [aris] le 20 janvier. Je vous suis infiniment obligé de vos salutaires instructions : elles me pénètrent tout le cœur, elles me sont toutes claires. Je ne puis douter de leur vérité et bonté, mais l’ennemi me voudrait bien persuader qu’elles ne me sont pas applicables à cause de ma trop grande corruption. Je suis rendua au péché. Mon mal augmente plutôt qu’il ne diminue. Il y a quinze jours que je me sers d’une médecine qui doit avoir eu grand effet dans d’autres, mais qui n’en a aucun en moi. Dieu a bouché Ses oreilles. Je Le prie de me punir et de me mettre par là dans l’esprit de ne Le pas offenser, mais je suis indigne de cette grâce. Il me donne de la santé et quand je suis quelquefois indisposé, c’est peu de chose et mon mal même ne me quitte pas pour cela. Je voudrais m’oublier, et je ne puis pas.

J’ai été fort éprouvé d’un passage que je viens de lire dans de certains Discours spirituels1, tome II, Discours 31, où il est dit : [27] “Deux choses mettent un obstacle si grand aux desseins de Dieu sur les âmes d’un certain état qu’il est absolument impossible qu’Il les accomplisse si elles ne sont entièrement levées. La première est une certaine conviction que l’on ne peut pas mieux faire que l’on fait […] b Le second obstacle […] c’est un abandon à contre-poil. Rien n’est si bon que l’abandon, rien n’est plus dangereux que cet abandon mal pris […] : on se contente de s’abandonner pour avoir tous ses défauts toute sa vie.” Je crains que je ne sois dans ce cas. Je suis trop lâche, je ne résiste pas assez. Je crie bien à Dieu et à tous ses saints, particulièrement à la sainte Vierge, mais je n’use pas assez de force pour endurer les assauts jusqu’à la fin. Il me semble bien que je souhaite de tout mon cœur d’en être quitte, mais c’est peut-être une tromperie de mon cœur. Si le désir était véritable j’aurais plus de force et de fermeté.

Je suis pourtant en repos sans inquiétude. Je suis content de la permission divine que j’ai mille et mille fois méritée. Il me semble que je vous trompe par mes lettres faisant un faux rapport de moi. Mais il est certain, ou je suis moi-même le plus trompé du monde, que je ne veux pas vous tromper sciemment. Plût à Dieu que je vous pusse parler et que vos oreilles pussent souffrir le récit de mes maux, ou que vous m’ordonnassiez à qui les raconter ! Je ne déguiserais rien afin que l’on connût ce misérable pour ce qu’il est, mais entre nous ces confessions ne sont pas en usage, et entre nous aussi elles sont tombées dans un très grand abus. Que faire donc ? Acquiescer à ma perte éternelle : c’est le juste jugement de Dieu, oui, mon Seigneur et juste juge, d’être abandonné à ma propre corruption. Je vous proteste assez souvent d’acquiescer à l’exécution de Vos adorables arrêts. Je le veux autant que je me connaîs, et [28] qu’il est en moi. Et si je ne le veux pas, Vos ordres seront pourtant exécutés, malgré que j’en aie. Que j’ai été fol dans ma jeunesse de m’engager au célibat ! Mais je l’ai fait par ignorance.

Mon oraison me semble aller assez bien, si je ne me trompe. Car à me regarder je devrais croire que Dieu ne mettrait jamais un don d’oraison en une âme si corrompue. Si je vis pourtant en grâce et dans la voie de Dieu, il faut bien avouer qu’Il sait remuer par la raison et qu’il est fort nécessaire de se faire des moyens particuliers dont Il se sert pour nous faire mourir chacun en particulier, car les autres ne sont pas capables de le porter. Tous s’en scandaliseraient. Je m’étonne qu’Il en ait parlé si amplement et si en détail dans de certains livres que j’estime et que personne ne L’entende, et que moi-même n’ose pas croire que je L’entende par rapport à moi de peur de me flatterc, et de trouver un appui dans la perte même de tout appui.

Je ne sais rien encore de ma retraite, tout étant si brouillé chez nous, qu’on n’ose pas bouger sans être quasi chassé à coups de fouet. Je prie Dieu de le faire quand Il voudra m’avoir quelque autre part. Je me tiens prêt à pouvoir décamper tous les jours. Mais ce n’est pas ainsi de mon frère. Il faudra une providence particulière pour le dégager, ce qu’il me témoigne de souhaiter beaucoup. Je lui ai mandé les paroles qui étaient pour lui. Voyez, ma très chère mère, ce qu’il m’y a répondu. Je baise bien humblement les mains à m [a] s [ainte] m [ère]. J’admire qu’il rencontre ma maxime et qu’il en fait une explication bien importante pour moi. Dieu veuille me mener où je dois être. J’espère que cela sera si cet ami ne m’oublie pas devant le Seigneur, comme il m’en assure. Pour entendre ce qu’il dit de sa maxime, elle a été depuis plus de vingt ans : debet esse aliquid medii inter vitae hujus negotia et ejus extrema, qui doit être la raison qu’un grand ministre d’un empereur a [29] alléguée pour vivre dans la retraite. C’est sur cette raison que nous nous sommes souventes fois dit l’un à l’autre : nous finirons nos vieux jours ensemble à la campagne. Il n’a pas tenu à moi que cela ne se soit fait il y a plusieurs années ; mais mon frère n’a pu jusques ici rompre ses liens. C’est ce qui m’a fait perdre ces pensées depuis quelques années. Nous avons donc été frappés tous deux de ce que vous avez réveillé la mémoire de cette maxime de vous-même, car je ne crois pas vous en avoir dit quelque chose ci-devant. Il a aussi excité en moi le désir d’achever enfin l’ouvrage de ma retraite, auquel je travaille depuis si longtemps.

Mais la nouvelle guerre qui commence avec le [illis.] en peu de semaines ne me laisse voir clair en aucune chose. Autrement je me pourrais retirer aisément chez un de mes neveux, qui me désirent avoir tous deux, mais si les [illis. : Turcs ?] vont fondre en Allemagne par la Pologne, ils seront obligés de fuir tous deux. Il faudra donc attendre ce que Dieu fera. Nous avons à attendre de grands troubles. On a vu dans ce mois dans une province d’Allemagne un terrible signe au ciel, qui serait trop long pour mander et même je ne saurais comment le traduire en français. Il marque une grande guerre et effusion de sang. En même temps on a vu à Leipzig deux armées, une rouge et l’autre blanche, se battre en l’air. Le Seigneur nous prépare à nous soumettre à Ses justes jugements.

Il y a longtemps que je reconnais que le grand mal est la propre volontéd. Mais il m’a toujours été obscur ce que c’est que la propre volonté, vu qu’il faut vouloir beaucoup de choses sans savoir si c’est la volonté de Dieu ce que nous voulons. Je crois donc que la propre volonté est lorsque nous voulons quelque chose avec attachementd, de sorte que nous n’en pouvions désister sans difficulté. Car quand je veux quelque chose, ou je ne suis pas la volonté de Dieu, étant cependant prêt à la quitter si, lorsque je saurais la volonté de Dieu, il me semble que Dieu n’imputera pas cela pour une volonté propre2. Car comment pourrais-je marcher autrement dans la foi nue et obscure, à l’aveugle ? Je vous prie, ma très chère mère, de m’en éclaircir là-dessus, car je n’ai jamais trouvé ceci bien expliqué en aucun livre, autant que je me souviens. [30]

De même il me reste une obscurité sur la présence de Dieu que je vous prie de m’ôter, s’il vous plaît. Dieu dit à Abraham : « marchez en ma présence ». Je le trouve aussi en plusieurs endroits des livres mystiques. Or je sais bien que Dieu demeure présent à moi par Sa miséricorde, quoique mes pensées ne soient pas toujours fixes sur Lui. Mais je ne puis pas comprendre que je sois présent à Dieu, quand je ne me souviens pas actuellement de Lui. J’ai donc toujours cru que nous ne sommes présents à Dieu que par un souvenir réel, mais très subtil et général, de Dieu, ou attention à Lui. Mais il me semble que vous m’avez écrit que ce n’est pas la présence de Dieu, et que nous ne pouvons pas toujours penser à Dieu. Je ne sais pas si vous entendez cela de la méditation de notre tête : si cela est, je vous entends et je vois que cela n’est pas possible. Mais il me semble que le cœur peut et doit se souvenir actuellement, mais très simplement et très généralement de Dieu sans interruption, ou avoir une attention continuelle à Lui. Si cela n’est pas, je vous avoue, ma chère mère, que je ne sais pas ce que c’est que marcher en la présence de Dieu. Malheureusement mon cœur n’est pas dans ce souvenir actuel et continu de Dieu. Mais c’est ce qui m’afflige et me fait voir combien [illis.] général de Dieu ene toutes choses et en tout temps a été dès le commencement de ma vie intérieure [ce] à quoi j’ai buté. Ç’a été le miroir qui m’a représenté mes égarements à ma confusion. Je ne trouve pas un amour étranger dans mon cœur quand j’y retourne de mes escapades, et j’y retrouve toujours Dieu : mais le souvenir de ma [illis.] interrompu, et j’ai laissé seul le Seigneur de ma vie et le seul objet qui devait faire toute l’occupation non seulement de la volonté, ou de l’amour, mais aussi de l’esprit suprême uni avec la volonté dans le cœur. Il me semble que si j’arrivais jamais à ce souvenir continuel de Dieu, ce serait le paradis en ce monde. Et s’il est possible d’y arriver, et si c’est là où je dois tendre, j’espère de renouveler ma course et de retrancher autant qu’il me sera possible tout ce qui m’en empêche. [31] Priez Dieu, je vous conjure, qu’il me donne cette grâce par sa miséricorde. Voyez, ma très chère mère, combien j’ai encore besoin de vos avis, combien je suis encore ignorant. Il me semble que je n’entends rien, et que je ne devrais ouvrir la bouche…

La bonne demoiselle continue dans le bon chemin. Voici une lettre qu’elle s’est donné la liberté de vous écrire en réponse à celle dont vous l’avez honorée. Si je valais quelque chose, je dirais que je suis tout à vous en Notre Seigneur. Le Seigneur soit votre tout.

– A.A.-S., ms 2176, pièce 7417, p. 26. On sait que l’auteur est célibataire par vœux et se sent condamné : il s’agit de Metternich. Cette lettre doit suivre de près celle accompagnant l’envoi par Madame Guyon d’un « mot qui m’est venu dans l’esprit d’écrire à cette bonne demoiselle. » Nous intercalons cependant la lettre suivante éditée par Dutoit, compte tenu de « salutaires instructions » mentionnées par Metternich.

aLecture incertaine.

bLes points de suspension du ms. correspondent à des omissions de ce Discours.

c (tromper biffé) flatter.

dSouligné par Metternich comme pour les mots en italiques qui suivent dans cette lettre.

e (a été biffé) en.

1 Madame Guyon, Discours chrétiens et spirituels…, vol. II, 1716, Discours XXXI « Deux obstacles à l’avancement spirituel de plusieurs » (réédition : Madame Guyon, De la vie intérieure…, coll. La Procure, 2000, p. 274-276).

2 Obscur ; traduit une hésitation du mental qui se rend compte du risque de décision par volonté propre.

D’une demoiselle amie.

La bonté que vous me témoignez surpassait si loin mes espérances qu’elle m’a fait verser un torrent de larmes, tant de joie que de reconnaissance. Il y a longtemps, ma très chère mère, que la profonde vénération que j’ai pour vous m’aurait porté à vous prévenir, si je l’avais osé ; mais j’ai cru qu’il ne m’était pas permis d’aspirer à ce bonheur, me bornant à celui de vous faire savoir par M. le baron1 de temps en temps que je désirais bien de vous appartenir en Celui à qui vous êtes si parfaitement, et que par Sa grâce j’espérais aussi l’esprit des vœux que vous faites pour notre salut. Pour ce qui est de M. le baron, je suis bien aise que votre approbation confirme ce que j’en pensais. Je n’entre point dans les faiblesses dont il s’accuse, il est peut-être le seul à s’en apercevoir. J’examine encore moins ce qu’il est à l’égard de Dieu et de soi-même, mais je suis convaincue qu’au mien il a des talents excellents, et tout divins.

J’ai appris à le connaître d’une manière si peu attendue que j’ai tout lieu d’en bénir la sainte Providence, comme l’ayant envoyé ici exprès pour mon salut, car dès le premier abord j’ai pu dire de lui ce que le peuple disait du Seigneur : qu’il parlait comme ayant autorité. Tout ce qu’il me disait, ce qu’il m’écrivait, et les lecturesa qu’il me procurait, tout cela, dis-je, faisait un effet si différent de ce que j’avais lu et entendu [32] autrefois et jusques alors, que j’en étais toute surprise et y reconnaissais sans peine le doigt de Dieu et Son esprit. Tout allait droit au cœur sans frapper ni mon imagination, ni mon raisonnement. Surtout je remarquais quelque chose, en lisant, qui m’embarrassait d’abord : c’est que, quoique j’aie toujours eu la mémoire assez heureuse, il m’était impossible de rien retenir de ce que je lisais. Tout était comme s’il tombait dans un abîme, et en achevant ma lecture, je ne me souvenais non plus de ce que j’avais lu que si je n’y avais jamais pensé. Cette manière si différente de celle que j’avais auparavant m’alarmait2. Je croyais manquer d’attention et, quoique je me sentisse fortement attirée à lire et que je me préparasse de toutes mes forces à y méditer, il n’y avait jamais moyen. À peine avais-je lu quelques lignes que je me perdais si fort, avec toutes les précautions que j’avais prises pour m’en avertir, que j’en revenais comme d’un profond sommeil, sans avoir la moindre trace de ce que j’avais fait, si ce n’était qu’à la marque du livre je m’apercevais que j’avais toujours continué et que j’avais fait assez de chemin. Je m’en plaignais à M. Le baron, qui me disait que je ne devais point m’en tourmenter, que ce n’était rien de mauvais. En effet quelque temps après, je m’apercevais que je n’avais pas lu sans fruit, et c’était presque comme une semence qui, à force d’être perdue dans la terre, germe et se produit. Depuis j’ai quelquefois pu méditer sur quelques passages, mais fort rarement. La plupart du temps la tête n’a eu aucune part à la lecture, ni à l’oraison, et lorsque je veux penser à ce que je fais, je sens de l’inquiétude, au lieu qu’en me laissant aller je me sens dans une profonde tranquillité. Je n’ai pas manqué de rendre un compte fort exactesà M. le b [aron de Metternich] et m’en suis toujours [33] bien trouvée.

Ses amis ont une entière conviction de la vérité qu’ils contiennent avec eux et, dans tout ce qui m’embarrasse, je n’ai qu’à m’en ouvrir à lui, et aussitôt j’y trouve du remède. Dieu m’a aussi donné une telle obéissance pour tout ce qu’il me conseille, que rien ne me coûterait plus que celui [de] désobéir, et si je n’en étais pas si éloignée, je serais ravie de demander ses avis dans la moindre de mes actions comme dans la plus importante. Pour la souplesse et l’indifférence, comme ils ne m’ont jamais coûté aucune peine, je n’y ai jamais trouvé d’autre mérite que d’être toujours contente. J’en ai toujours eu beaucoup, quoique celle d’à présent ne laisse pas d’être en quelque façon différente de celle d’autrefois.

Ma volonté a toujours été assez pliable, et elle a toujours été d’accord avec ce qui m’arrivait, mais je ne laissais pas de sentir que l’événement et ma volonté étaient deux choses distinctes, c’est-à-dire ce qui m’arrivait précédait à ma volonté, qui ne laissait pas de s’y joindre d’abord. Présentement, au contraire, il me semble que ma volonté est tellement unie et mêlée à ce qui m’arrive qu’au lieu qu’un événement devrait trouver la volonté chez moi et s’y joindre, il semble qu’il l’emmène avec soi et que ce n’est plus qu’une même chose, tellement que je n’aperçois plus la moindre distance, pas même d’un moment, entre ce que je dois et ce que je veux3. Cela est allé si loin que, quand on m’a proposé le choix de deux actions indifférentes, je n’ai su laquelle choisir, et j’ai souvent répondu qu’il m’était indifférent de faire laquelle qu’on voudrait. On a eu la bonté de m’accuser là-dessus d’avoir une sotte complaisance, une modestie affectée, une civilité outrée, et mille caractères semblables dont on m’a honorée sans autre fondement qu’il n’était pas naturel d’avoir une semblable indifférence, tellement que M. le baron m’a conseillé de me déterminer à l’avenir en pareil cas et de dire, pour les satisfaire, ce qui me tomberait le plus tôt en l’esprit. En effet, depuis, je me précipite si fort à dire oui ou non quand on me propose quelque chose, de crainte qu’il ne m’échappe encore malgré moi quelques « ce qu’il vous plaira », que le plus souvent il m’arrive d’ignorer lequel des deux j’ai prononcé [34] et je suis réduite à observer la réponse qu’on me fait pour m’en instruire, inconvénient assez plaisant et qui ne manquerait pas de m’attirer mille railleries si on s’en aperçevait. Mais comme le ridicule n’en tomberait que sur moi seule, je ne m’en mets guère en peine, espérant que quand, à force de me déterminer, je me serai désaccoutumée de ces réponses trop générales, j’aurai peut-être assez de liberté d’esprit pour penser à ce que je dis.

À l’égard de ma maladie passée, ma très chère mère, j’avoue que l’état où je me trouvais était assez particulier. Je n’aurais jamais cru que, sans une entière séparation de l’âme et du corps, il pût y avoir une pareille division. Je sentais mon âme tellement détachée de mon corps qu’elle n’y prenait non plus d’intérêt que si elle n’y avait jamais été jointe. Il semblait qu’elle était comme dans une citadelle bien gardée, et que le corps était comme une vaste muraille dont les attaques ne se faisaient pas seulement entendre dans la résidence de l’âme. À mesure que je commençais à me rétablir, je sentais qu’insensiblement l’âme semblait descendre pour se joindre au corps qu’elle avait quitté. La grande tranquillité que l’on me voyait faisait croire à tout le monde que je n’en reviendrais pas, et quand on me demandait de mes nouvelles, je ne pouvais que rendre grâces à Dieu d’être si bien, quoique je sentais bien que mon corps souffrait de grandes douleurs, qui pourtant me touchaient moins que si je les avais vues souffrir à un autre.

Il est bien vrai, ma chère mère, que quand Dieu nous soutient de la sorte, rien n’y ferait, et que pour nous la faire sentir, la retraite de Sa grâce en nous doive être celle qui précède les autres. Car soutenu de Sa grâce, l’enfer même cesserait d’être enfer et deviendrait paradis, ce qui ne laisse pas d’être difficile à croire, à moins que d’en avoir fait l’expérience. C’est bien en ces occasions, et pas plus tôt qu’on est convaincu des paroles du prophète au 72psaume, v. 164. Depuis la restitution de ma [35] santé, je ne me suis plus trouvée que très rarement dans cet état. Je ne puis rien dire de précis de celui où je me trouve présentement, si ce n’est que tout y est pour moi, surtout intérieurement, dans une grande obscurité. Pour peu que je veux y regarder, je ne rencontre que ténèbres. Il y a des moments où, quand je trouve en lisant quelque description d’un état qui a du rapport au mien, il semble que tout d’un coup il se fait une espèce de lumière en moi, mais aussi subtilement qu’un éclair, qui est comme pour me faire comprendre que c’est là le cas où je me trouve ; mais pour peu que je veuille m’y arrêter, et que la tête s’en mêle pour l’examiner, c’est comme si l’on fermait la porte qui s’était ouverte pour donner le jour, et me voilà aussi ignorante que jamais. Si je relisais le même passage mille fois de suite, il ne me ferait plus alors le même effet. Tout est nuage et obscurité. Cela me vient presque comme on dit des trésors, qui s’offrent lorsqu’on y pense le moins, et qui s’abîment quand on veut les chercher. Aussi comme je suis naturellement très peu curieuse et que je ne m’embarrasse pas de ce qu’on me veut cacher, j’en agis ici de même, et je n’y fais presque aucune attention, je crois même n’en avoir rien marqué à M. le Baron. Mais à présent ceci m’a tombé insensiblement dans la plume, comme fut le reste de cette lettre, que j’écris sans la moindre préméditation. Comme c’est à vous, ma chère mère, qu’elle s’adresse, je ne me mets guère en peine si je m’explique bien ou mal, dans l’entière assurance que vous verrez à tout plus clairement que je ne pourrais jamais entreprendre de vous représenter les choses, si j’en avais la plus grande éloquence.

Je devrais bien vous demander pardon de la longueur de ma lettre, si l’entière confiance que j’ai en vous pouvait laisser la moindre place à la crainte de vous déplaire, [36] mais je sens pour vous une tendresse si respectueuse et si cordiale qu’elle semble en quelque façon me répondre de votre bonté, à laquelle je me recommande de tout mon cœur, priant Dieu qu’Il vous conserve et prolonge vos jours pour Sa gloire et notre bien. Vous m’accorderez, s’il vous plaît, ma très chère mère, la grâce de vous souvenir de moi dans vos prières. Si la misère peut offrir et représenter quelque chose à Dieu, je Lui en ferai de très ardents pour votre santé.

– A.A.-S. ms 2176 pièce 7417 p. 31. Lettre envoyée par la demoiselle avec la précédente.

a (lettres biffé) (lectures add. interl).

1 Baron de Metternich.

2 Témoignage sur le passage de la méditation active (à travers la lecture) à un état intérieur qui engourdit la mémoire, préparant à l’état passif qui suit, dont on ne peut décrire que la sortie.

3 Description de l’état « les yeux ouverts », lorsque l’on ne se projette plus par la volonté dans les activités journalières.

4Ps. 72, 16 : « J’ai donc songé à vouloir pénétrer ce secret, mais un grand travail s’est présenté devant moi. » (Sacy).

Au baron de Metternich.

Mon cher frère en Notre Seigneur,

Je vois bien que vous avez des vues anticipées, et que, quoique Dieu vous ait appelé à l’abandon, et que vous en ayez la lumière, vous ne pratiquez pas néanmoins cet abandon. Il y a une grande différence entre avoir la lumière et le goût de l’abandon, et avoir la pratique de ce même abandon. Vous voulez avoir des certitudes de faire la volonté de Dieu. Si vous aviez la certitude de faire toujours la volonté de Dieu, vous auriez la certitude de votre salut : ce qui est contraire à l’Ecriture, qui nous assure1 que nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. Cette certitude que vous voulez avoir, est entièrement contraire à l’abandon. Cela s’appelle : donner et retenir avec Dieu. Il faut donc s’abandonner à Lui, et croire qu’Il fit toujours [toutes choses] justement, et pour des causes connues à Lui seul.

L’amour de la propre excellence est tellement enraciné dans le cœur de l’homme, qu’il n’y a rien que Dieu ne fasse pour le détruire, et Dieu aime mieux un pécheur à qui le péché déplaît qu’un superbe. Il n’y a point de remède aux maux que Dieu envoie pour détruire notre orgueil, que d’être humble. Cette humilité ne consiste pas à dire des paroles d’humilité, ni même entièrement à se reconnaître pécheur, puisque ce n’en est que la moindre partie ; mais l’humilité véritable consiste à n’attendre et à n’espérer plus rien de soi, demeurant dans son néant comme le ver dans sa boue. Lorsque l’âme est anéantie et détruite au point qu’il le faut, Dieu la guérit, parce que l’exercice qu’il [elle] a souffert, devient alors inutile à cette âme.

Mais comment Dieu la guérit-Il ? quia respexit humilitatem ancillae suae 2. Il regarde alors l’humilité de l’âme, Sa servante, et ce regard lui rend la vie. Vous êtes loin de cet état, vous qui vous regardez tant vous-même, vous qui voulez prévoir et ranger et prendre vos sûretés avec Dieu pour vous en fier à Lui, comme vous feriez avec un marchand auquel vous diriez : « Je veux bien risquer avec vous quelque chose pourvu que vous me donniez mes sûretés ». Votre lettre est celle d’un homme perplexe, qui s’est laissé gagner par la réflexion, comme lorsque l’eau entre dans une chambre ou dans un magasin, ce qui était auparavant bien rangé et mis solidement sur la terre ne fait plus que flotter sur l’eau et est dans l’agitation. Sitôt que nous quittons l’abandon, qui est notre centre, nous sommes comme un vaisseau agité qui fait eau de toutes parts. Non seulement vous voulez vous assurer pour les choses extérieures, mais je m’aperçois que vous voulez les mêmes assurances pour l’oraison. Vous dites que vous vous jetez à corps perdu dans la mer, et vous jetez l’ancre de tout côté par la crainte de vous noyer. Dieu ne perd rien de Ses droits : la perte ne peut être que pour vous. Je ne m’étonne pas que vous enfonciez dans les eaux. J’entends, ce me semble, Jésus-Christ qui vous dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? 3

Les austérités dont vous me parlez ont pu vous être utiles dans les commencements. Elles font alors l’effet que vous dites, qui est d’amortir les sentiments : c’est pourquoi Dieu en fait faire, car il s’agit alors de cette introduction dans la voie de l’esprit où l’âme, étant si peu avancée, a besoin de cet amortissement des sens pour ne pas retourner en arrière : les sens ne sont qu’amortis, et non morts. Mais cette première victoire nous ôtant peu à peu l’humiliation, nous commençons à nous appuyer en nos œuvres, et l’amour ou le désir de la propre excellence croît insensiblement et prend de profondes racines. Tout ce qui n’est pas fondé sur le pauvre et l’humble Jésus ne peut être de durée. Je n’empêche pas vos austérités, mais vous ne pouvez les faire sans vous reprendre et sans changer de route. Vous verrez si vous vous délivrerez de ce fort et puissant Dieu, qu’Il ne combatte plus vos sentiments. C’est le combat qu’Il nous laisse faire un temps : Il combat votre propre excellence. Vous êtes perplexe. Il faut s’affermir dans une voie ou dans l’autre, et ne pas faire ce que reproche Debora aux enfants de Ruben : qu’ils sont clochant de deux côtés à écouter le sifflement des troupeaux, qui sont les raisonnements et les réflexions4.

Avant que de vous déterminer à une vocation, il faut laisser entièrement votre âme et ne point vous déterminer dans la perplexité, comme on laisse rasseoir l’eau troublée pour voir ce qui est au fond. Pour connaître la volonté de Dieu, il faut être bien reposé. Pour ce qui regarde les choses extérieures, il faut suivre la droite raison, à moins que vous ne sentiez quelque chose au-dedans qui vous arrête. Vous sentez que vous tiraillez lorsque vous voulez passer outre, et cela vient quelquefois jusqu’au trouble, mais pas toujours. Mais lorsque sans écouter ce je ne sais quoi, qui voulait vous arrêter, vous passez outre, Dieu vous laisse faire, votre eau se trouble, vous devenez perplexe et incertain, un mésaise s’empare de vous, dont vous ne connaissez pas la cause. Vouloir connaître clairement la volonté de Dieu en toutes choses, cela n’est pas du ressort de cette vie, et c’est la source de mille égarements, entièrement contraire à la foi et à l’abandon. Nous méritons par là que Dieu nous laisse en la main de notre propre conseil5. Celui qui va confidemment, va sûrement ; mais lorsque qu’on s’écarte de là, on donne souvent de la tête contre les murailles.

Le démon craint plus que l’enfer une âme sincèrement abandonnée à Dieu. C’est pourquoi il fera tous ses efforts pour vous tirer de là, et vous donner de la défiance des personnes en qui nous pourrions prendre confiance pour marcher dans cette voie, nous portant à craindre et à douter d’eux. Mais il faut, comme dit S. Paul6 prendre les armes de la foi, le casque de l’espérance, etc. J’ajoute : la profonde défiance de nous-mêmes et de toutes nos œuvres, et un amour au-dessus de tout intérêt propre. Sur les austérités, écoutons saint Jérôme : « Je suis dans le désert séparé de tout le monde, mon corps desséché est comme un squelette, et cependant les ardeurs de la concupiscence me dévorent. » Combien de saints dans les déserts se sont-ils plaints de la même chose ? Un auteur des siècles passés parlant des épreuves que Dieu fait souffrir aux âmes pour les désapproprier et leur ôter la vaine gloire, dit : c’est une conscience perplexe, qui ne s’arrête pas aux conseils qu’on lui donne, on est tenté de mille choses.

Cette perplexité vient de ce qu’on sort de ce juste équilibre qui ne se trouve que dans l’abandon à Dieu, nous abandonnant pour porter l’expérience de notre corruption aussi longtemps qu’il Lui plaira. Il faut que Dieu ait bien en horreur la propriété et l’amour de la propre excellence pour Se servir de remèdes si fâcheux et si abjects. C’est l’aveuglement de naissance, car Adam crut qu’en désobéissant à Dieu, il deviendrait semblable à Lui ; mais il fut chassé du Paradis terrestre à cause de cet amour de la propre excellence que le diable lui inspira : lui qui avait été chassé du Ciel pour le même crime, désirait avoir des semblables. Voilà comment ce vice est le plus enraciné dans le cœur de l’homme : aussi Dieu le condamna-t-il aux choses les plus basses, comme de labourer la terre. Et lorsque Jésus-Christ voulut guérir l’aveugle-né7, qui représente bien l’aveuglement qu’Adam nous a transmis, Il fit de la boue qu’Il lui mit sur les yeux, et l’envoya se laver au lavoir de Siloé, qui sont des eaux calmes et tranquilles : ce qui marque que c’est l’expérience de notre misère, et demeurer abandonné à la volonté de Dieu, qui nous éclaire. Et de quoi sommes-nous éclairés ? Du Tout de Dieua et du rien de la créature, de la puissance de Dieu et de notre faiblesse, de la nécessité d’être à Dieu, de rester dans notre néant, de n’attendre rien du rien, car le rien ne peut rien, mais attendre tout du Tout, car le Tout peut tout8.

Si vous aviez plus de fermeté et d’abandon, vous pourriez facilement renoncer à toutes charges, dignités et honneurs pour vous retirer en solitude. Mais comme vous vous y porterez vous-même, et que les maux dont vous vous plaignez pourraient continuer de la même force et peut-être augmenter dans la solitude, si vous vous déterminez à prendre ce dernier parti, il faut vous armer de courage pour vous supporter vous-même. Allez où vous voudrez, pratiquez ce que vous voudrez : si vous ne vous quittez vous-même, vous serez toujours tourmenté. Mettez-vous comme un papier blanc devant Dieu, dans un vide de désir et de pensée pour quitter ou ne quitter pas, et Dieu vous déterminera ou par Sa Providence ou en inclinant votre cœur. Cette voie est tout à fait contraire à celle de ces prophètes dont vous parlez, car ils prétendent être certains et affermis, et ils se sont jetés dans l’extraordinaire. Je ne doute point qu’il n’y ait parmi eux quantité de gens de bonne foi, et qui sont trompés sans vouloir l’être, mais ce n’est pas cette voie-ci.

Je ne trouve pas votre oraison assez simple pour le long temps qu’il y a que vous êtes à Dieu, et qu’Il vous a donné la lumière de l’intérieur. Cela vient de l’envie d’être assuré, qui fait que, lorsque vous ne trouvez pas une douce correspondance du côté de Dieu, parce qu’Il veut vous avancer par cette privation, vous redoublez votre activité au lieu de suivre le conseil du Sage : Souffrez les suspensions et les retardements des consolations ; demeurez en paix dans votre douleur, afin que votre vie croisse et se renouvelle9. Vous croyez que la présence de Dieu peut se conserver avec la pensée : la présence de Dieu est dans l’intime du cœur, comme le traité de la prière ici joint vous le fera voir. Je vous envoie quelques petits écrits avec : je prie le Seigneur mon Dieu qu’ils vous soient utiles. Je vous assure que vous m’êtes infiniment cher en Jésus-Christ : c’est pourquoi je vous écris avec tant de franchise, désirant vous voir entièrement abandonné à Dieu.

J’ajoute encore quelques mots pour vous dire, mon cher frère en Jésus-Christ, que vous vous souveniez des paroles du grand saint Basile lorsqu’il était encore dans le désert : Un Père de l’Église très fameux dit que les tentations viennent de trois causes : ou de trop d’orgueil, ou de la trop grande abondance de viande et de vin, ou de trop de fréquentation des femmes du monde ; quand ces trois causes n’y sont pas, elles sont des épreuves de Dieu. Ni le second, ni le troisième ne sont point en vous ; et je vois beaucoup d’humilité dans vos lettres, mais beaucoup d’attente de vos œuvres. C’est cet appui dans les œuvres que Dieu veut détruire, un certain appui dans les bonnes choses dont vous seriez le principe, d’anciens préjugés. Il faut un abandon entier, non de vue, de sentiment, de pensée, mais très réel, n’attendant plus rien de vous-même, ne comptant plus sur vous, mais sur Dieu. Lorsqu’on s’est donné et ensuite abandonné, qui est de délaisser entre les mains d’une personne le don qu’on lui avait fait, on ne s’informe plus de ce qu’il en fait, mais on laisse le don tellement oublié qu’on n’y pense plus. Jamais, je vous en assure, vous ne guérirez que lorsque votre abandon sera parfait, et que vous n’aurez plus de regard sur vous-même pour le temps et pour l’éternité. Vous ne vous appartenez plus à vous-même, mais à Celui qui vous a racheté d’un grand prix. Prenez courage : Dieu vous assistera si vous prenez le vrai biais. Quittez tout, dit L’Imitation de Jésus-Christ, et vous trouverez tout10 : quittez-vous vous-même, et vous n’aurez plus d’autre demeure que Dieu. Je vous assure que votre âme m’est infiniment chère. — Dutoit, t. IV, Lettre 60, p. 165-176.

aItaliques de Dutoit.

1Ecclésiaste, 9, 1.

2 Luc, 1, 48 : Parce que le Tout-puissant a fait en moi de grandes choses ; et son nom est saint.

3 Matthieu, 14, 31.

4 Interprétation très symbolique de Juges, 5, 16-18 : « … Ainsi Ruben étant divisé contre lui-même […] — pendant que Galaad était en repos […] — Zabulon et Nephthali se sont exposés à la mort… » (Ce texte du « Cantique de Debora » est obscur car très ancien, proche des événements divers qu’il rapporte).

5 Prov., 10, 9.

6I Thess., 5, 8.

7 Jean, 9, 6-7.

8 Les italiques se rapportent saus doute à une quasi-citation sur ce thème qui évoque Condren.

9 Ecclésiastique, 2, 3.

10Liv III, chap. 32, § 1.

Au baron de Metternich.

Il faut du courage pour ne point retourner sur soi-même, et ne vouloir persévéramment que Dieu pour Dieu, sans nous inquiéter de nous-mêmes. Plus vous vous abandonnerez à Dieu, plus vous aurez de paix, de largeur et de contentement. Le bon Dieu n’a point encore voulu de moi. Il me laisse vivre avec quelques incommodités qui dureront autant qu’il Lui plaira. Je ne suis pas digne de paraître devant Lui, et c’est ce qui m’est souvent venu en pensée dans ma maladie. Je suis ravie que vous ne songiez plus à vous marier, car je crois que vous manqueriez aux desseins de Dieu sur vous. Prenez de loin les mesures nécessaires pour pouvoir vous retirer en solitude, et Dieu vous en fera trouver qui vous conviendra. Je vous assure que vous m’êtes toujours bien cher. N’écoutez plus votre imagination, et vous laissez conduire à Dieu où Il veut, et comme Il le veut. Il faut du courage pour ne point retourner sur soi-même et ne vouloir persévéramment que Dieu pour Dieu, sans nous inquiéter de nous-mêmes. Allez donc au jour la journée, sans vous mettre, comme dit l’Ecriture, en souci du lendemain: cela doit encore plus être pour votre âme que pour votre corps. Puisqu’il y a si peu de bien à faire où vous êtes, vous pouvez disposer les choses doucement, sans empressement ni précipitation, pour vous retirer quand il en sera temps. Il faut que vous ayez un fond suffisant pour vous faire vivre, même dans l’infirmité, si Dieu le permettait. Plus vous vous abandonnerez à Dieu, plus vous aurez de paix, de largeur et de contentement. C’est en Lui que je vous suis entièrement acquise.

– Dutoit, t. IV, Lettre 65, p. 184 — 186.

1 Matthieu, 6, 34.

Au baron de Metternich.

Ce qui me ferait pencher, mon cher frère, pour que vous allassiez auprès de N.1, c’est le bien que vous lui pourriez faire, et ce que vous avez dans l’intime du cœur pour cela. Car pour les guerres, il ne faut point prévoir l’avenir ; Dieu peut changer toutes choses. Sans cela je vous exhorterais à rester comme vous êtes, mais ma maxime a toujours été de suivre la Providence lorsqu’elle appelle sans qu’on y ait aucune part, et surtout le sentiment intérieur de cœur de ceux qui me consultent, quand je crois qu’ils sont conduits de Dieu. Vous savez mieux que moi qu’il ne faut tenir à rien. La raison de votre incapacité n’en n’est pas assurément une. Outre les talents que Dieu vous a déjà donnés, s’il vous appelle à un état, il vous donnera tout ce qui est nécessaire pour le remplir. Vous pourriez empêcher bien des injustices, non en vous opposant de front à ceux qui veulent s’opposer à l’équité, mais en faisant comprendre au souverain les conséquences des choses ; et pour peu qu’il ait des sentiments justes, il vous en estimera davantage et sera ravi de prendre vos avis.

Ne vous inquiétez pas de l’avenir. Si dans le moment présent qu’il faudra répondre, vous sentez une répugnance dans votre fond et un petit trouble s’élever dans votre cœur, ce sera une marque que Dieu ne voudra point que vous changiez de poste. J’ai une longue expérience que Dieu ne Se déclare souvent que dans le moment actuel, et que ce que l’on croyait pouvoir faire avec une certaine aisance change tout à coup. Vous vous trouvez tout d’un coup comme si quelque chose vous frappait au cœur. J’espère que Dieu ne vous laissera pas prendre le change, et je L’en prie de tout mon cœur.

Dutoit, t. IV, Lettre 68, p. 192 — 193.

1 Il s’agirait de Poiret. (voir la lettre suivante).

Au baron de Metternich.

Mon cher frère en Notre Seigneur.

Il est difficile de vous donner conseil. Puisque le R. P. 1 ne veut point vous en donner, je devrais faire la même chose. Mais je ne regarde en moi ni dignité ni indignité, me laissant simplement à ce qu’il me vient au cœur de dire, sans penser même si ce que je dis sera bien reçu ou non, s’il sera du goût de ceux à qui je parle, laissant tout cela à la Providence. Si je dis mal à propos, la simplicité et l’humilité de ceux qui me demandent avis me font espérer que Dieu ne permettra pas que je les trompe. Si je dis mal, il ne faut pas s’en étonner, si je dis bien, ce bien appartient à Dieu. Le bon ou le mauvais succès ne m’épouvante point, étant toujours prête à recommencer quand même je n’aurais pas réussi, ne voulant que la gloire de Dieu, sans me regarder en nulle manière. Il sera aussi bien glorifié quand on verra mes méprises que quand je réussirais. Nous devons poser un fondement qui doit être le soutien de notre vie, qui est de ne regarder que Dieu seul et de se servir des instruments qu’Il emploie sans considérer ces mêmes instruments et sans leur attribuer aucun bien, car tout bien est en Dieu et émane de Lui seul. Il le répand par des canaux vides de toutes choses et, si ce canal est propriétaire et qu’il retienne la moindre chose pour soi, il corrompt ces mêmes biens qui devaient passer par lui.

Je vous dirai donc à tout hasard ma pensée, qui est que, si Dieu veut Se servir de vous pour la conversion de * et qu’Il vous appelle auprès de lui, il faut plutôt regarder le bien des autres que le vôtre propre. Dieu appelle quelquefois en des endroits où l’on est plusieurs années sans savoir pourquoi on y est appelé et, après bien du temps, on découvre par Sa Providence que c’est pour y faire un bien que l’on n’avait pas pensé d’y faire. Ainsi restez encore quelque temps en patience.

J’espère que Dieu ne vous abandonnera pas malgré l’expérience de votre propre corruption, si vous vous abandonnez à Dieu afin qu’Il exerce sur vous Sa justice dans toute son étendue, car c’est la seule disposition qui glorifie véritablement Dieu en Dieu. Ô que nous avons besoin de sentir ce que nous sommes ! Il est vrai que plus l’amour propre et l’amour de la propre excellence sont enracinés en nous, plus Dieu nous fait éprouver le fond de notre propre corruption. Il la fait passer du dedans au-dehors, sans quoi on n’en guérirait jamais. Le pus qui sort d’une plaie ne s’arrête que lorsque le fond de la plaie est guéri, car sans cela il s’en produit toujours de nouveau. Et si cet admirable chirurgien guérissait la plaie avant que d’en avoir exprimé toute la corruption, ce même abcès que l’on a tâché d’attirer au-dehors, rentrant au-dedans, ferait bien plus de dégât et pourrait attaquer même les parties nobles, c’est-à-dire que cette corruption du dehors, étant cessée avant que la propriété et l’amour de nous-mêmes soient détruits, elle s’augmenterait insensiblement et nous nous croirions quelque chose de bon quand en effet nous ne sommes rien du tout que néant et péché.

Dieu voit mieux ce qui nous convient que nous-mêmes : c’est pourquoi il est d’une extrême conséquence de nous abandonner à Lui sans réserve. Ô que les voies de Dieu sont cachées ! Comment connaîtrions-nous Ses voies si profondes et si admirables puisque nous nous ignorons nous-mêmes, et que nous ne voyons point l’abîme profond de notre misère que quand Dieu en fait paraître quelque chose au-dehors ou quand Il nous fait sentir notre puanteur ? Il faut que cela vienne à tel point que nous n’ayons que de l’horreur de nous-mêmes, que nous n’en espérions jamais rien de bon, mais que toute notre espérance soit dans le Seigneur qui fait des choses admirables et sans nombre, et qui détruit de la plus terrible manière soit d’une façon ou d’une autre (car les moyens dont Dieu Se sert ne sont pas pareils en tous) les instruments dont Il veut (ensuite) Se servir, afin que ces mêmes instruments ne se glorifient pas en ce qu’Il fait par eux et que les autres ne s’amusent pas à leur attribuer aucun bien, comme on n’attribue pas à un instrument dont un habile sculpteur s’est servi l’admirable ouvrage qu’il a fait.

Comptez donc que tout ce qui déplaît le plus à Dieu en nous est notre orgueil, notre amour propre, l’amour de la propre excellence, le désir d’être quelque chose, même auprès de Dieu. Ô heureux rien, vrai trésor caché dans le champ, celui qui t’a une fois découvert vend tout ce qu’il a afin de te posséder2 ! Tu ne dérobes point à Dieu Sa gloire, tu Lui restitues toutes les usurpations que nous avions faites sans Le connaître ni Le vouloir même. Ô heureux rien, c’est toi qui donnes la tranquillité à l’âme qui ne veut plus et n’attend plus, parce que le rien est incapable de ces choses ! C’est toi qui nous donnes une vraie connaissance de ce que Dieu est et de ce qu’Il mérite. Tu es la même vérité, puisque celui qui possède ou qui veut ou qui espère quelque chose de soi, est dans l’erreur et le mensonge. Dieu tout et le reste rien : c’est la science des sciences, non seulement en théorie, mais dans l’expérience réelle de ce que nous sommes, en sorte que Dieu ferait par nous toutes choses, (et que cependant) on ne s’en attribuerait rien. L’estime et la condamnation des hommes [nous] est la même chose : le rien ne mérite ni l’un ni l’autre.

– Dutoit, t. IV, Lettre 74, p. 216-221.

1 Il s’agirait du « Révérend » Poiret.

2 Matthieu, 13, 44.

Au baron de Metternich.

Je prends beaucoup de part, mon cher frère en Jésus-Christ, à la perte que vous avez faite de votre cher et véritable ami. Les amis sont bien rares dans le siècle où nous sommes, et je pourrais bien assurer qu’il n’y point de véritables amis que ceux qui le sont en Dieu et pour Dieu. Il semble que Dieu veuille détacher de toutes choses M. N. Je souhaiterais fort qu’il pût prendre le parti de la retraite : il y trouverait la paix et le large, et son âme se trouverait tout autre. Mais il faut boire les eaux du torrent avant que de pouvoir élever sa tête1, c’est-à-dire qu’il faut passer par les amertumes de la vie avant que de posséder en Dieu une tranquillité parfaite. Il semble que Dieu s’oppose à votre solitude. Celui qui possède Dieu a la solitude partout et celui qui n’a pas Dieu est dans le tumulte au milieu du désert.

Je vous ai écrit une grande lettre de ma propre main, quoique je fusse fort mal. Toutes les dispositions de la bonne demoiselle me plaisent fort2, la souplesse de son naturel est un grand avantage qui abrège beaucoup la voie, empêchant les résistances. Mais celui qui n’a pas été tenté, que sait-il? Sa disposition dans sa maladie est admirable : j’espère que le Seigneur achèvera en elle l’ouvrage qu’Il a commencé, et qu’Il trouvera bien les moyens d’exercer sa souplesse. La disposition de votre ami à la mort m’a fait un grand plaisir : c’est dans ces occasions que Dieu nous marque davantage Sa fidélité. Il exige que nous Lui soyons fidèle durant toute notre vie, mais Il ne nous manque jamais dans les points essentiels. C’est Lui qui nous donne cette fidélité qu’Il demande de nous, cependant Il la couronne et la récompense comme si ce n’était pas un don de Sa bonté.

– Dutoit, t. IV, Lettre 77, p. 225 — 227.

1 Ps., 109, 7.

2 Voir la lettre précédente de la « demoiselle amie ».

3 Ecclésiastique, 34, 9.

Au baron de Metternich.

J’ai bien de la joie mon cher frère de la résolution que vous avez prise. On me manda de la part de vos amis, après que je vous eus écrit, la mauvaise disposition de N. en termes même fort exagérés ; je ne vous réécrivis point pour cela, ayant une certaine confiance au divin Maître qu’Il ne vous laisserait pas prendre le change. Puisque vous choisissez la solitude et que le moment actuel vous a décidé, il faut vous souvenir que Dieu dit : Sortez de Babylone, mon peuple1. La corruption est telle à présent qu’on ne saurait trop tôt sortir de cette Babylone.

Mais il y en a encore une plus dangereuse et qui l’est d’autant plus que nous la portons partout, c’est notre nous-mêmes. Si nous restons en nous-mêmes, nous ne serons point en solitude. Nous ne pouvons être solitaires qu’avec Dieu seul, ni participer à la solitude qu’Il a en Lui-même que par l’éloignement de ce moi. Sans ce moi, je serais solitaire dans les Cours les plus profanes et, avec ce moi, je ne le serais pas dans le désert. Cependant la solitude extérieure facilite l’autre, pourvu qu’on ne l’entreprenne que pour plaire à Dieu, sans se chercher soi-même.

Quelquefois on se trouve plus desséché dans la solitude que dans le monde : on ne doit point en avoir de peine, car Dieu, qui prend plus de plaisir et est plus glorifié dans la mort de nous-mêmes que dans les sentiments les plus élevés et les connaissances les plus sublimes, semble dessécher en nous un certain humide radical qui entretient la vie propre, c’est-à-dire une certaine saveur perceptible, quoique fort spirituelle en apparence. Il n’y a rien à craindre avec un si bon guide s’Il dit pour vous : « Je la mènerai en solitude et là Je parlerai à son cœur 2 ». Mais il faut auparavant purifier tout mélange, il faut éprouver jusqu’au bout notre misère, il faut suivre des sentiers pleins de précipices et aller la nuit. N’importe, l’abandon remédie à tout, non un abandon d’une certaine sorte où l’on s’abandonne pour être assuré, pour voir son chemin, mais un abandon aveugle, sans soin ni souci de soi. Toute notre attention, notre désir, notre souci doit être de suivre Dieu en quelque endroit qu’Il nous mène, ne voulant que Son bon plaisir en tout ce qu’Il fait de nous et en nous, et non pas de trouver notre plaisir en lui. En quelque lieu que vous alliez, nous ne serons pas plus éloignés ni plus proches. La proximité consiste à être plus perdus en Dieu : c’est là que cent mille lieues ne nous sépareraient pas ; mais si nous sommes éloignés de Dieu, quand nous serions ensemble, nous n’en serions pas plus proches. Mourons donc à tout, quittons le moi et nous nous trouverons unis en Dieu.

Pour M. N., je l’honore véritablement et prie Dieu de le mettre dans une disposition à ne pas être dégoûté de la manne et à ne pas regretter les oignons d’Egypte3. Dieu sait ce qu’Il me fait vous être en Lui [….]a Ne nous arrêtons qu’au moment divin de la Providence, qui approche les choses les plus éloignées et éloigne celles qui paraissent les plus proches. Ô altitudo! Cependant j’ai une persuasion foncière que Dieu vous mènera comme par la main malgré votre misère. Ô mon cher frère, Dieu ne veut de vous qu’un extrême abandon, qui aille jusqu’à vous délaisser si totalement à Dieu que vous vous regardiez comme n’étant plus à vous-même, mais à Celui à qui vous appartenez comme à votre Créateur et Rédempteur, et qui veut que vous soyez tellement à Lui sans réserve que vous ne vous regardiez plus vous-même, soit qu’Il vous élève ou abaisse, qu’Il vous guérisse ou vous fasse plus malade. Le moment présent qui est le moment éternel, doit vous conduire sans rien prévenir.

Punis-moi si Tu veux, mon adorable père.

Mon cœur est faible, hélas, mais il est détaché.

Je ne punis point la misère,

Je ne punis que le péché.

Je n’aime plus d’un amour mien,

Mais j’aime Dieu d’un amour Sien,

Car le rien ne peut, ne veut rien.

Dieu seul est toute chose :

Comme Il est notre unique bien,

En Lui le bien repose.

Vous voyez mes folies, mais ce qu’on fait plume courante n’est jamais régulier : la pensée suffit pourtant. Vous m’êtes bien cher en Jésus-Christ.

– Dutoit, t. IV, Lettre 83, p. 238 – 242.

aPoints de suspension de Dutoit.

1Apoc., 18, 4.

2 Osée, 2, 14.

3 Nombres, 11, 5.

4 Rom., 11, 33 : « O altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei… » « Ô profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! … » (Sacy).

Au baron de Metternich.

Je viens de recevoir votre lettre, mon très cher frère, et j’y réponds pour vous dire que je suis bien éloignée d’approuver les désordres du mariage, puisque ce que je recommande le plus à mes amis mariés, c’est la chasteté conjugale. Les jeunes gens qui se sont mariés ont fait les trois nuits de Tobie1 ; d’autres après quelques années ont vécu comme frères et sœurs ; d’autres sont restés avec leurs épouses jusqu’à la fin, mais avec la modération non seulement chrétienne, mais de personnes parfaitement à Dieu : chacun a tâché d’obéir à Dieu en toutes choses suivant non des paroles claires, mais un certain penchant intérieur soutenu du conseil et de l’obéissance.

Il y aurait bien des choses à dire sur la différence de conduite que Dieu tient sur les âmes : ce qui fait mourir les uns à eux-mêmes y ferait vivre les autres. Il y en a à qui Dieu fait boire la lie du calice (comme il est écrit : Qu’on lui donne le double, etc., que vous pouvez voir dans l’Apocalypse2.) Et ces personnes souffrent cette peine avec des douleurs intolérables. Ceux qui sont exercés de la sorte, ne le sont que parce qu’ils tiennent beaucoup à eux-mêmes, voulant toujours se mêler et se trouver en tout ce que Dieu fait ; et Dieu leur fait boire jusqu’à la lie de leur propre corruption, jusqu’à ce que désespérant de leur force propre, ils se jettent à corps perdu dans cet abîme sans fond de la justice de Dieu qui les châtie si rigoureusement, et s’abandonnent totalement à Lui en temps et éternité. Lorsque l’abandon est entier et parfait, sans retour sur son propre intérêt, Dieu en délivre ordinairement ; mais une simple complaisance de s’en voir délivré, un retour sur son propre intérêt spirituel, y fait retomber.

La délicatesse de Dieu est infinie, elle égale son amour, qui est fort comme la mort, et sa jalousie est dure comme l’enfer3. Ô, si vous aviez le courage de ne regarder que Dieu sans vous regarder vous-même, ce que vous souffrez comme malgré vous (quoiqu’il vous paraisse comme de vous) vous servirait comme d’un bain dont vous sortiriez pur et net ! Vous trouveriez votre amour épuré, votre cupidité détruite ; vous seriez changé en un autre homme, votre propre intérêt vous deviendrait comme de la boue ; le seul honneur et la seule gloire de Dieu en Lui-même et pour Lui-même, sans rapport à vous, habiterait sur la montagne4 où vous seriez transporté. Mais il faut entrer tout vivant en enfer, pour en sortir mort à tout. Quel est cet enfer, sinon l’expérience de sa propre corruption ? Qui peut mieux nous donner cette sainte haine de nous-mêmes, si recommandée par Jésus-Christ (quiconque hait son âme, la sauvera5), que cette expérience d’une misère qui fait horreur?

Je ne sais pourquoi je fais marier ceux qui sont comme vous, et que quelque chose en moi ne me permet pas de vous le conseiller. Ne précipitez rien pour votre retraite : j’espère que vous en aurez bientôt la permission. Reprenez votre manière d’oraison plus simple, vous y trouverez plus de force que dans une autre oraison pratiquée par vous-même. Dieu vous avait fait une grande grâce de vous donner du goût pour l’oraison simple : vous l’avez quittée pour éviter l’oisiveté. Croyez-moi, mon cher frère, il ne faut [pas] prendre pour soi certains avis que les mystiques donnent par précaution : il faut aller son chemin sans changer sa route. Si vous aviez été bien abandonné à Dieu, vous vous seriez abandonné à Lui seul, vous auriez fait l’oraison pour Lui plaire, et non pour y trouver votre sûreté. Il ne faut pas s’étonner si vous n’avez pas avancé autant que vous auriez fait. L’avancement suit l’oraison, et comme il n’y a que Dieu qui nous puisse rendre parfaits, plus nous traitons avec Lui d’une manière proportionnée à ce qu’Il est, Esprit et Vérité7 , plus Il nous unit à Soi et peu à peu nous transforme en Son image, qui est Jésus-Christ. L’oraison fort tranquille, lorsqu’elle est longue et le recueillement fort, assoupit insensiblement les sens, parce que l’âme est toute réunie en son divin Objet et leur donne peu d’attention : cela fait qu’on s’endort quelquefois. Il n’y a qu’à se réveiller sitôt qu’on s’en aperçoit. À ce réveil on se trouve en sa place. Il n’y a guère que cette oraison qui donne une présence de Dieu intime, qui se souvient dans les occupations, et l’âme par un simple retour au-dedans retrouve Celui qu’elle aime, qui ne s’est pas retiré pour Ses occupations qui sont de Son ordre.

Gardez-vous de la diversité de conseils : ils vous nuiraient beaucoup sans que vous vous en aperçussiez, et vous seriez toujours vacillant comme l’oiseau sur la branche. Lorsque Dieu voudrait vous dénuer et vider, vous reprendriez votre propre activité sous de bons prétextes, et vous vous déroberiez à la conduite de Dieu, gâtant et défigurant Son ouvrage avec votre main grossière. Si vous vous tenez ferme aux avis qu’on vous donnera, je ne désire rien plus que de servir votre âme selon la volonté de Dieu.

C’est un abus de croire qu’il faille une certitude de la volonté de Dieu pour les plus petites choses, et je crois que vous avez mal pris le sens de cette servante de Dieu. Tout ce qui nous arrive à chaque moment, et que nous faisons dans l’ordre de notre état, est volonté de Dieu pour nous. L’abandon à Dieu nous la fait faire incontestablement, mais d’une manière obscure et cachée, car c’est le propre de la foi de conduire de cette sorte, et non par la manifestation. Car la voie de foi nue est entièrement opposée à toute manifestation, mais elle est mille fois plus assurée que toute manifestation, où il peut y avoir et où il y a très souvent de la tromperie. C’est pourquoi le bienheureux J. de la Croix dit : À l’obscur, mais sans nul danger8.

Allant par la foi obscure, on s’en fie à Dieu seul, sans chercher d’assurance hors de Lui. Lorsque nous voulons des manifestations, nous nous confions à notre propre discernement, où il y a mille tromperies : dès que la raison s’en mêle, considère, compare et veut juger, nous perdons notre étoile. Allons et marchons sans nous arrêter. C’est le moyen de faire la volonté de Dieu : nous ne la trouverons jamais sûrement d’une autre manière. L’abandon sans raisonnement tient la balance dans l’équilibre, et le moindre grain de la volonté de Dieu lui donne le penchant par une aisance très délicate pour faire les choses, ou une légère répugnance pour ces mêmes choses.

Reprenez votre oraison simple. Confiez-vous à Dieu sans réserve, et vous irez bien. Il n’y a qu’une manifestation : c’est Jésus-Christ, Sa vie et Ses maximes. Il n’y a qu’une révélation : c’est ce même Jésus-Christ, lorsque l’âme est assez morte à toutes choses afin qu’Il Se manifeste en elle par Sa génération éternelle. Je prie Dieu qu’Il vous donne le courage d’achever votre course, et qu’elle se termine en Lui seul. C’est en Lui que je vous suis toute acquise.

– Dutoit, t. IV, Lettre 84, p. 242 – 249.

1 Tobie, 6 & 8.

2Apoc., 18, 6 : « Rendez-lui le mal qu’elle vous a fait et punissez-la au double selon ses œuvres : Faites-la boire dans le même calice deux fois autant qu’elle vous y a fait boire. » (Amelote). Dutoit renvoie aux Explications de Madame Guyon sur ce passage, tome 8.

3 Cant., 8, 6.

4 « Il est fait allusion à la figure mise au-devant des œuvres du B. Jean de la Croix. » (Dutoit).

5 Jean, 12, 25 : « Celui qui aime sa vie la perdra… »

6 Le style ne rappelle guère celui de Mme Guyon : faut-il voir une adaptation à un milieu pastoral protestant par une modification stylistique de l’éditeur ?

7 Jean, 4, 23.

8 « Montée ; Cant. I § 2. » (Dutoit). « Où T’es-Tu caché, Ami,/Toi qui me laissas dans les gémissements ? […] »

Au baron de Metternich.

Qu’est-ce donc, notre cher N. ? Est-ce que le courage vous manque ? Vous voulez être fort et faible tout en même temps. Car dans le même instant que vous avez généreusement refusé tout engagement, la réflexion de vos misères vous abat le cœur. La dernière fois que vous m’écrivîtes, vous étiez abandonné à les porter toute votre vie si telle était la volonté de Dieu, et c’est là le plus court chemin. Mais après un abandon si généreux, vous vous regardez vous-même, vous vous ennuyez de l’expérience de votre misère, vous cherchez des assurances dans cette misère même que Dieu ne permet que pour vous ôter tout appui et toute ressource en vous-même, que pour détruire un orgueil secret qui est en nous quoique nous ne le voyions pas toujours, un certain amour de la propre excellence qui fait la consolation et la joie des gens de bien d’un certain ordre, et qui ne doit point faire la vôtre.

Ô quand saurez-vous vous contenter du contentement de Dieu, de Sa gloire, de Sa sainteté en Lui-même, et non en vous ? Il faut que ce ver rampe et se traîne dans la poussière. La malédiction que Dieu donna au serpent après qu’il eut séduit l’homme, fut qu’il ramperait sur la terre. Cela ne fut pas pour le serpent seul, mais pour ce vieil homme, Adam pécheur, qui avait écouté la tentation du serpent et s’était laissé séduire. Tant que le vieil homme reste en nous, ne nous attendons pas à autre chose qu’à ramper dans notre boue. Souvenez-vous que Dieu ordonna à Moïse d’élever un serpent d’airain dans le désert, et que tous ceux qui étaient mordus des serpents étaient guéris en le regardant1. Outre ce qu’il représentait, et que l’Ecriture nous explique très bien de Jésus-Christ2, qui est sa véritable signification, il est certain (que cela marquait aussi) que l’humiliation que nous cause la vue de notre misère peut seule nous guérir, et que Jésus-Christ voulait nous faire voir par là que le vieil homme nous causant des blessures perpétuelles, nous ne pouvions être véritablement guéris que par l’homme nouveau qui produit en nous la vraie régénération. Or cette régénération ne se fait que par la pourriture du vieil homme, comme le grain de froment ne rapporte point un nouveau fruit qu’il ne soit premièrement pourri dans la terre.

Laissez-vous donc pourrir par votre misère. Mais l’amour propre fait qu’après s’être abandonné pour quelque temps, on se reprend. L’horreur de la pourriture fait qu’on ne la saurait souffrir : on voudrait se nettoyer, ce qui pourtant ne sert qu’à salir davantage. Celui qui demeure en paix sur son fumier se salit bien moins que celui qui s’agite et se remue sans cesse. Mais, me direz-vous, je voudrais être assuré que l’état où je suis ne déplaît point à Dieu, et que cet état me procurera un jour celui dont vous me parlez, de la régénération. Si vous étiez assuré, vous ne seriez point abandonné : car assurance et abandon impliquent contradiction. Quand ne vous intéresserez-vous pas davantage pour vous-même que pour un guenillon qui serait dans une ornière, et que vous ne voudriez pas seulement ramasser ? Il est dur à un homme d’esprit, de mérite et de vertu d’en venir là : aussi la chose n’est-elle pas possible à l’homme, mais au Dieu tout-puissant, qui ne travaille qu’à détruire ce vieil homme qui Lui est si contraire. Donnez-vous donc à Dieu tout de nouveau, afin qu’Il fasse en vous et de vous tout ce qu’Il voudra.

Dieu ne traite pas tous les hommes de la même manière, mais ceux en qui la propriété est plus profonde ont besoin d’être plus exercés et plus humiliés. Cherchez tant que vous voudrez, vous ne trouverez point d’hommes que Dieu veuille pour Lui qu’Il n’exerce d’une manière ou d’une autre. Ce vieil homme est l’aveugle-né, que Jésus-Christ n’éclaire que par de la boue3, afin que vous vous abandonniez sans réserve entre Ses mains, afin que vous perdiez tout appui en vous-même, tout amour de la propre excellence, toute envie d’être et de subsister en quelque chose. Alors vous trouverez votre repos dans la douleur la plus amère, et votre boue changera en un fleuve de paix.

Je vous demande une fidélité inviolable à l’oraison malgré votre paresse, si vous en avez. Ne vous embarrassez pas de l’avenir, car quand vous prendriez le parti que vous marquez, je regarderai cela comme un coup de vent qui vous a porté en Alger lorsque vous avez cru débarquer sur vos côtes. Il faudrait alors faire usage de votre captivité, vous laisser en la main de Dieu pour qu’Il vous façonnât par d’autres moyens que par ceux par lesquels Il vous a conduit jusqu’à présent. Je Le prie de vous être toutes choses. Vous m’êtes très cher en Lui. Je prierai pour N. Je ne connais d’autre remède pour les tentations que l’abandon entier entre les mains de Dieu. C’est cela seul qui donne la paix, car les peines excessives qu’on en a, ne viennent que d’orgueil. J’ai une grande compassion de voir de pauvres âmes qui se désespèrent d’une chose qui devrait faire leur bonheur, si elles savaient s’abandonner et souffrir en paix leur pauvreté : c’est donner gain de cause au démon que de s’inquiéter.

– Dutoit, t. IV, Lettre 98, p. 293 – 298.

1 Nombres, 21, 8-9.

2 Jean, 3, 14-17 : « Et comme Moïse éleva le serpent d’airain dans le désert, de même il faut que le fils de l’homme soit élevé. — Afin que quiconque croit en lui, ne périsse point… — Parce que Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son fils unique… » (Amelote).

3 Jean, 9, 6-7 ; Marc, 8, 23.

Au baron de Metternich.

Je crois que, quand je serais à l’agonie, je trouverais des forces pour écrire à mon cher **. Vous avez vu que vos remèdes, si utiles aux autres, ne vous ont servi de rien. Tentez toutes les voies, et vous m’en direz des nouvelles.

Il faut savoir que les épreuves des âmes sont presque aussi différentes que leurs visages : Dieu les proportionne aux besoins, et si le grand apôtre n’en a pas été exempt, comment le seriez-vous ? La vôtre est de la nature de celle que décrit si au long dom Barthélemy des Martyrs1. Nous devons haïr ce qui est laid en soi, et aimer uniquement ce qui est uniquement beau. Si vous êtes tel que vous vous dépeignez, vous devez vous haïr souverainement, et aimer Dieu infiniment. Une horrible bête, si nous la voyions, ou nous la fuirions ou nous l’écraserions ; si nous la voyions enfoncée dans un bourbier, bien loin de l’en retirer, nous l’y enfoncerions encore plus si nous pouvions. Haïssez-vous, fuyez-vous, ayez horreur de vous, ne prenez non plus d’intérêt pour vous-même que vous en prendriez à un vilain crapaud, reprochez-vous tous les moments que vous pensez à vous sous quelque prétexte que ce soit. Exposez-vous devant Dieu, qui peut en un moment dessécher votre boue. Elle ne vous fait pas encore assez mal au cœur : s’Il vous en tirait, vous verriez encore en vous des beautés et des amabilités qui vous amuseraient.

Lorsqu’on lit ce qui traite des épreuves, chacun en doit prendre ce qui lui convient, car l’épreuve de l’un n’est pas celle de l’autre. D’ailleurs, on écrit pour toutes sortes d’états et de personnes : c’est pourquoi les avis ne sont pas pareils. Ne prenez pas pour vous ce qui ne vous convient pas. Plût à Dieu que votre abandon fût sans réserve et sans bornes : il ne serait pas à contre-poil. Ne craignez pas de me tromper : je vous connais par nom et par surnom, et je n’ignore pas votre état. Je crois qu’il ne dure si longtemps que parce que vous vous abandonnez comme par secousses et prenez encore intérêt pour vous-même.

Ô si vous aviez plus de courage et plus de foi, vous transporteriez les montagnes ! Mais le crapaud ne peut voler comme l’hirondelle. Cependant ce même crapaud, si plein de venin, si hideux, lorsqu’il est desséché et pulvérisé, fait le meilleur antidote. Je fis, il y a trois mois, une petite fable là-dessus que ** vous transcrira. Lorsque la vie propre est évacuée et que nous sommes desséchés par le pur amour comme le crapaud par les rayons du soleil, à quoi ne sommes-nous pas propres ?

Il y a plusieurs manières d’avoir Dieu présent. Le souvenir de Dieu est bon, saint et salutaire, mais il ne peut pas être continuel : c’est plutôt un mémorial qu’une présence, comme on se souvient d’un ami absent. Ce n’est pas en ce sens qu’on doit entendre ces paroles : Marchez en Ma présence, et soyez parfait2. Il y a une présence de Dieu qui est une occupation du cœur, qui se trouve rempli d’un objet excédant sa portée : c’est un amour doux et tranquille, qui est plus sensible, et qui se discerne davantage au commencement, à cause que notre cœur étant alors fort étroit, il souffre délicieusement une certaine dilatation, qui s’y fait. Cette occupation du cœur se conserve presque sans interruption dans les affaires et les tracas de la vie : plus les occupations sont fortes, plus elle se fait sentir, à cause du contraste. Ceux qui éprouvent cela, deviennent en peu de temps bien plus parfaits que par toute autre voie. Mais à mesure que la divine charité étend et dilate le cœur, cette présence amoureuse devient moins sensible et moins aperçue : c’est la présence d’un objet qui est en nous, mais qui est distinct de nous. C’est un amour objectif, quoique très intime : c’est le règne de Dieu en nous, qui s’étend comme un baume répandu dans toute la volonté, et lui donne une qualité souple et pliable.

Comme nous avons en nous deux hommes, l’extérieur et l’intérieur, nous avons aussi deux volontés : l’extérieure est pour les choses du dehors et elle doit être conduite par la droite raison ; l’intérieure l’est par une qualité qui rend la volonté souple à tout ce que Dieu peut vouloir et permettre, et qui ôte toutes les répugnances et contrariétés qui sont en nous, en sorte que rien n’empêche la vérité et la volonté de Dieu de pénétrer toute l’âme. Dans la première manière de présence de Dieu qui est par la pensée, il faut souvent des actes de soumission parce que beaucoup de choses nous répugnent ; dans la seconde, il faut une certaine conformité à la volonté de Dieu, (conformité) qui se trouve comme faite tout d’un coup, parce que Celui qui possède le cœur si suavement Se fait obéir de même.

Il y a une autre présence de Dieu bien au-dessus de celle-là : ici Dieu est principe vivant et vivifiant, qui meut et agit l’âme comme tout naturellement, et la capacité de l’âme étant alors fort étendue, rien ne dilate avec effort. C’est pourquoi cela n’est pas sensible et ne se distingue pas, comme nous ne distinguons pas les fonctions de notre âme sur notre corps. Dieu n’est plus un objet distinct et séparé : Il est vie et amour à l’âme, et l’âme ne Le distingue que par une paix large et étendue, qui lui ôte toute répugnance et contrariété, tout vouloir et non vouloir, se laissant à Celui qui commande en maître, Lui laissant tout faire et ne pouvant plus Le discerner de soi, comme nous ne discernons pas notre âme. Cette paix est tout à fait affermie et n’est plus sujette aux variations parce qu’elle est devenue le propre état de l’âme. L’âme se laisse à tout sans distinction : Dieu est elle et le moi n’est plus comme moi. Or ces âmes marchent toujours en la présence de Dieu, avançant de plus en plus en Lui. Ce qui fait que cette présence de Dieu ne se discerne plus, c’est qu’elle réduit l’âme en unité et la consomme dans l’unité même : ce qui est un ne se discerne plus. Ce qu’on discerne a toujours quelque différence ou partage.

[On a trouvé à propos de mettre ici la fable ou l’emblème dont il est fait mention dans la lettre qui précède et qui est si instructif. La voici :]a

« Un jour un crapaud aperçut une hirondelle extrêmement maigre. Il lui dit : « Commère hirondelle, tu me fais une grande compassion. Tu es d’une maigreur effroyable. Tu ne reposes point sur terre comme les autres oiseaux. Regarde comme je suis gros et gras, moi qui n’abandonne point la terre ». L’hirondelle lui répondit : “Pour moi, j’aime ma maigreur, je ne me nourris que de ce que je trouve dans l’air, qui est mon élément. Je vole plus haut et plus rapidement qu’aucun autre oiseau, à la réserve de l’aigle, auquel nul ne se compare. Mais toi, qui habites la terre, tu tires en toi toute sa malignité. C’est ce qui t’enfle et te gonfle de la sorte. Tu ne saurais marcher, en sorte qu’il y a un proverbe : « Il marche comme un crapaud, il est gonflé comme un crapaud. » Tu n’es plein que d’un venin qui empoisonne. Tu fais horreur et je plais. Mais si tu veux que je te dise à quoi tu es propre, c’est que lorsque tu es desséché et réduit en poudre, tu sers d’antidote à tes pareils. Ne vante donc pas ta grosseur, qui nuit à tous. Imite ma maigreur et ma légèreté, qui peut être propre à quelque chose.”

Le même emblème en vers :

Un crapaud d’un large contour/ Voyant un jour une hirondelle/ Lui dit : aimable Demoiselle,/ Je voudrais vous faire l’amour3. / Mais vous n’approchez pas du séjour que j’habite : / Vous volez trop rapidement/ Sans vous arrêter un moment,/ Et c’est là ce qui me dépite.

Mais l’hirondelle bien apprise/ Lui dit : chacun vit à sa guise. / Je me plais dans mon élément. / Là je trouve ma nourriture,/ Mainte petite créature/ M’y servant d’un doux aliment.

Pour vous, vous rampez sur la terre ; / Vous en tirez tout le venin : / Je suis maigre et je suis légère,/ Je n’ai rien de pesant dans ce peu de matière ; / Vous faites peur au genre humain,/ Masse informe et horrible,/ Qui semblez n’être fait que pour être nuisible.

Si vous étiez un crapaud fort discret,/ Je vous apprendrais un secret : / Au lieu de vous enfler, ainsi que vous le faites,/ Laissez-vous plutôt dessécher,/ Laissez-vous bien pulvériser ; / Vous deviendrez bon en recettes,/ Afin de guérir des poisons/ De vous et de vos compagnons.

– Dutoit, t. IV, Lettre 102, p. 313 – 321.

aAjout de Dutoit.

1Saint Barthélémy des Martyrs (1514-1590), évêque de Braga, cité dix-huit fois dans les Justifications de Madame Guyon, à partir de ce qu’en rapporte le P. Nicolas de Jésus-Maria. V. aussi Lemaître de Sacy, La vie de Barthélemy des Martyrs…, 1663.

2 Gen., 17, 1.

3 Courtiser. V. glossaire.


Du baron de Metternich. 26 mai 1716.

Ce 26 mai 1716

Ma très chère mère. J’ai bien reçu vos deux très chères lettres, la première de votre propre main, et l’autre de celle d’un ami. Je vous suis infiniment obligé de la peine que vous avez bien voulu prendre même en votre maladie. Je rends grâces au Seigneur de ce qu’Il vous a rétablie un peu, et je le prie de tout mon cœur de vous conserver encore pour le besoin et pour la consolation de Ses faibles enfants, qui ont encore tant de besoin d’instruction et d’encouragement. Je suis bien comparé à un vilain crapaud et je demeurerai tel toujours, si Dieu ne veut pas par miséricorde me tuer et dessécher par le soleil de Sa Justice. La fable du crapaud et de l’hirondelle est très belle : heureux qui ressemble à cette dernière !

Il est vrai qu’autant que je me connais, il n’y a chose au monde en laquelle j’eusse du goût. Mais ma vilaine chair me fait ramper sur la terre à contre-cœur. Plût à Dieu que je pusse me haïr autant que je voudrais ! J’en aurais de la consolation. Mais je ne trouve que trop qu’il y a encore de l’amour propre en moi, sentant assez souvent s’élever en moi une complaisance, qui m’est en abomination et que j’offre au Seigneur pour l’extirper entièrement, vu que je n’en puis venir à bout moi-même. Je tâcherai par Sa grâce d’oublier ce vilain crapaud, et de le laisser à Sa divine Justice. Je ne fais d’autres prières en substance que : Seigneur, faites-Vous justice, faites-Vous obéir. Je suis au reste tranquille, et mon cœur se sent doucement rempli de son objet immense au milieu de mes misèr es. J’espère d’endurer l’esclavage auquel Il me laisse être assujetti, sans penser à me marier.

Ce que vous me dites de la présence de Dieu me plaît beaucoup : il me semble que j’entends toutes les trois manières, et que je goûte ou expérimente les deux premières, savoir le souvenir simple de Dieu et la douce occupation du cœur. J’ai trouvé que je n’ai pu toujours retenir ce souvenir de Dieu. Mais, ma très chère mère, ce souvenir continuel est-il quelque autre chose que cette [v°] attention continuelle à Dieu, que vous appelez écouter Dieu, et que vous recommandez si souvent ? Je vous prie de me donner là-dessus quelque éclaircissement, si Dieu vous le permet. Car je voudrais être toujours attentif à Dieu, et je trouve que mon esprit s’échappe à tout moment. Peut-être faut-il entendre cette attention continuelle de l’attention du cœur, qui ne doit admettre aucun autre objet que Dieu. Mais je crois pourtant qu’il faut tâcher aussi de tenir l’esprit occupé de Dieu autant qu’on peut. N’est-ce pas, ma très chère mère ? Ne vous dégoûtez pas, je vous prie, de ma stupidité, si je vous demande des choses qui vous paraissent toutes claires d’elles-mêmes. J’aime d’être bien affermi dans la vérité, pour prévenir tous les doutes, qui me pourraient survenir. Pour ce qui est de mon cœur, il est toujours tranquille, je ne sais qu’il soit attaché à chose au monde. Mais je ne dis pas qu’il n’est pas attaché : Dieu le sait, et s’Il m’ôtait toutes choses, il se trouverait bien de l’attachement peut-être par la douleur que j’en ressentirais. Je le trouve toujours rempli de son objet1 quand j’y retourne. Je suis souvent quasi en fonte, comme je suis présentement, et alors le cœur se fond et s’écoule en son objet, quand même mon esprit n’y fait point de réflexion et que je suis occupé d’esprit de quelque autre chose. Quelquefois le cœur est plus léger et il se repose pourtant en son objet, et je le trouve ainsi quand je retourne à moi, quoique je ne le sente pas distinctement durant que mon esprit est tourné dehors. Si c’est là la présence de Dieu dont il faut entendre les paroles de Dieu à Abraham : « marchez en Ma présence et soyez parfait », et que par conséquent je goûte en quelque mesure cette divine présence, ce me sera une grande consolation. J’appelle cette présence objective du cœur 2. Mais pour la troisième, où Dieu Lui-même [f.2 r°] est le principe constant de nos actions, et quasi l’âme de notre âme, je crois que j’en suis encore infiniment éloigné. Mais il me semble que je l’entends fort bien, et j’en connais sa valeur infinie.

Je vous avais encore écrit touchant la propre volonté, que j’entendais par là une volonté d’attache, qu’on ne voudrait pas quitter volontiers quand même nous la saurions contraire à celle de Dieu. Et que, si elle était quelque autre chose, je ne savais comment vivre dans l’abandon aveugle, qui suppose que nous ne savons pas la volonté de Dieu. Ce point m’a toujours été un peu obscur. J’ai d’abord connu que la propre volonté était mauvaise et la source de tout mal, mais je n’ai pas bien su ce que c’est la propre volonté, et c’est pour cela que j’ai tant cherché de connaître la volonté de Dieu en toutes les choses particulières. Si donc vous trouvez bon de me dire ce qui en est, ce me sera une grande joie, car je ne voudrais jamais avoir d’autre volonté que celle de Dieu. Si je puis donc croire que j’y sois uni, tant que je ne veux rien avec attache, et que je suis prêt à le quitter si je savais qu’il fût contraire à la volonté divine, ce me sera une si grande consolation et il servira tant à m’affermir dans le repos et dans l’abandon aveugle que je ne le saurais exprimer. Mais si Dieu veut me laisser plus longtemps en cette ignorance, j’en suis content aussi.

Ce m’est une grande joie que la disposition de cette bonne demoiselle vous plaise. Dieu soit loué de ce qu’Il a daigné de Se servir de moi pour lui procurer ce bonheur. Voici ce qu’elle m’a écrit la veille de Pâques : “Si vous apprenez quelque chose de notre sainte mère, faites-m’en, s’il vous plaît, part. Je sens une espèce d’inquiétude toute particulière pour ce saint homme3 et depuis quelque temps, [f° .2 v°] je ne puis ni prier pour lui, ni même y penser sans fondre en larmes. Je ne puis pas en pénétrer la raison. J’ai toujours senti un fond de tendresse et de vénération. Mais à présent c’est une espèce de mouvement qui semble m’attirer le cœur, et une certaine pente qui me fait fondre en larmes, qui pourtant ne semblent pas partir d’une douleur amère, mais d’un certain je ne sais quoi entremêlé d’un grand calme. Dernièrement je lisais tout bas une préface d’un livre où son nom était cité, j’en restais tellement émue que j’étais obligée à chercher plusieurs prétextes pour cacher cette émotion. Le bon Dieu veuille encore nous conserver ce grand trésor.” Je lui ai mandé depuis ce que vous dites d’elle en vos deux dernières : elle en sera extrêmement consolée.

J’ai fait aussi savoir à mon frère ce qui le concernait dans votre précédente. À quoi il me répond ce qui suit : « Je suis fort réjoui et consolé par le souvenir de notre sainte mère. Que me peut-il souhaiter davantage ? Dieu l’en récompense ici et dans l’autre monde, ce qui ne lui manquera pas. Je voudrais pouvoir jouir, au moins pour quelque temps, de sa compagnie quand je devrais être le moindre de sa maison et n’y manger qu’un morceau de pain sec et boire de l’eau. » Depuis ce temps je lui ai encore écrit le passage concernant de votre dernière lettre : il en sera fort touché. Et peut être que Dieu le dégage dans peu. Je vais en quatre jours le voir avec ma belle sœur. Je serai absent d’ici quatre ou six semaines. Il a fort désiré que je vinsse le voir. Je n’ai nul dessein, mais je verrai quelle occasion se présentera. La tutelle des enfants de feu mon ami ne m’arrêtera pas ici, puisqu’elle va finir bientôt. Le prince les fait venir dans son pays, vers où ils se mettront en chemin en deux jours, après quoi il me restera peu de choses à faire pour en être entièrement quitte.

Je me recommande, et mon frère, à vos saintes prières. Si Dieu faisait en sorte que je pusse encore venir vous voir, ce serait bien ma plus grande consolation. Je n’ai pas encore perdu toute espérance pour cela. Adieu, ma très chère mère. Le petit Maître soit votre récompense ! La guerre des Turcs va commencer. Dieu en sait l’issue. Si vous me voulez écrire pendant mon absence, vos lettres ne me manqueront point. Je suis tout à vous au petit Maître. Je salue cet ami qui vous a servi de secrétaire.

– A.S.-S., pièce 7431 ; nous la plaçons ici, compte tenu de l’allusion au crapaud.

a homme [c’est N M ajout interligne entre crochets] et.

1 Dieu.

2 [sic] : lacune ?

3Add. interl. d’une main plue récente, de lecture incertaine : [c’est Nm].

Au baron de Metternich.

Mon très cher frère, je n’avais pas fait pour vous la fable du crapaud, mais je ne suis pas fâchée que vous en ayez fait l’usage que vous en avez fait. Je sais assez depuis longtemps que vous avez un grand goût à être humilié : c’est pourquoi je me réjouis de ce qui produit cet effet en vous. Je vous conjure de demeurer ferme dans votre état. Que craignez-vous ? Votre maison est bâtie sur la roche vive : Jésus-Christ. L’inondation ne peut lui nuire, cependant dès que vous en voyez les approches, vous craignez comme si cette maison était votre ouvrage et non pas celui de Dieu. Quand je verrais une armée rangée en bataille, dit David, je ne craindrais pas, parce que le Seigneur est à ma droite1. Dieu vous fait des grâces infinies : s’Il retirait Son concours perceptible, que feriez-vous et que ne craindriez-vous pas ? Cela peut arriver néanmoins, si Dieu voulait vous ôter tout appui et vous perdre à vos propres yeux. Il y avait des temps où le Tabernacle paraissait aux yeux des enfants d’Israël, et d’autres temps où il était si couvert de nuages qu’ils ne le pouvaient plus voir2 : c’était néanmoins dans ce nuage et dans cette obscurité que Dieu se manifestait à Moïse, qu’Il lui apprenait Ses volontés, afin qu’il en instruisît son peuple. Si le témoignage de l’ancienne loi était rempli de ténèbres, combien celui de la nouvelle le doit-il être davantage, puisque tout se doit passer dans la foi ! Mais il n’est pas encore temps de ceci.

Il est impossible en cette vie que notre pensée soit continuellement appliquée à Dieu, ce qui serait incompatible avec toutes les actions nécessaires à la vie humaine. Ce qu’on appelle écouter Dieu, est une certaine attention du cœur vers Dieu, qui ne s’en détourne point volontairement, parce que son amour devient habituel et que la volonté ne se sépare point de la volonté de Dieu. Dans les commencements, comme je vous l’ai déjà dit, Dieu attire Lui-même toute l’attention de l’âme, la rappelant et la rassemblant autour de Lui comme par un coup de sifflet. Mais lorsque l’âme a acquis par des retours fréquents une certaine conversation habituelle vers son Dieu, Il ne la rappelle plus, ou du moins que très rarement, parce qu’elle ne s’écarte presque plus. Il se contente de la tenir auprès de Lui3. Il appelait dans les commencements l’épouse des Cantiques par l’odeur de ses parfums4, ce qui est une certaine consolation intime, et elle courait à lui de toutes ses forces : courir à un appel est une action fort marquée. Mais lorsque Dieu l’eut menée dans Ses celliers et qu’Il eut ordonné en elle la charité5, il ne fut plus question de courir : elle demeurait tranquille dans Son amour. Que dit-elle alors ? Que la multitude des grandes eaux ne saurait éteindre sa charité6. Elle fait plus : elle ne veut pas même retenir pour elle son Bien-aimé, elle lui dit : « Fuyez comme le chevreuil7, je ne crains plus de Vous perdre ; faites des conquêtes par toute la terre, parce que je ne suis plus attachée à Vous par une présence aperçue, mais par un amour ferme et constant ». Si votre cœur était attaché à quelque autre chose qu’à Dieu, il ne serait pas aussi tranquille qu’il est, parce que le partage cause toujours quelque agitation. Laissez-le donc dans son repos, qui ne peut venir que de l’approche du centre. Ne vous inquiétez plus pour vous-même, et souvenez-vous que vous appartenez à Celui qui vous a racheté d’un grand prix. N’entreprenez donc rien sur Ses droits : penser à vous, craindre pour vous, marquent que vous êtes encore à vous-même, et que vous n’êtes pas parfaitement abandonné. Pourquoi vous mêlez-vous de ce qui appartient à un autre ? Dieu est le fort armé, qui saura bien garder ce qui est Sien. Votre manière de présence de Dieu est très bonne : vous allez bien, demeurez en repos entre les bras du Bien-aimé. S’Il dort quelquefois dans le vaisseau, il ne faut pas Le réveiller ; car Il vous dirait comme à Pierre: Homme de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ?

Pour ce qui est de la propre volonté, elle consiste ou à ne pas vouloir tout ce que Dieu veut, ou à vouloir quelque chose qu’Il ne veut pas. La volonté de Dieu nous est marquée par toutes les providences qui arrivent dans l’état où Il nous a mis, s’y laissant conduire comme un enfant. Nul ne sait si bien la volonté de Dieu qu’un enfant, quoiqu’il ne le connaisse pas, parce qu’il vit dans l’innocence et qu’il se laisse mener comme on veut et où l’on veut. Il est certain qu’une personne qui ne veut rien avec attache, est unie en quelque sorte à la volonté de Dieu. Mais il y a outre cela une certaine souplesse, qui rend notre volonté si aisée à remuer par celle de Dieu qu’elle ne Lui résiste presque jamais, qu’elle trouve bon tout ce qu’Il fait, et comme Il le fait, en sorte qu’elle ne voudrait disposer d’elle-même en nulle manière. Et j’ose dire que, quand l’âme est fort avancée, je doute qu’elle pût le faire, non que cela soit absolument impossible, mais parce qu’une longue habitude est comme changée en nature. Notre volonté est comme une girouette exposée au vent, elle ne quitte point le lieu où on l’a placée, et néanmoins le moindre petit vent la fait mouvoir : aussi notre âme unie à Dieu par la pure charité, reçoit jusqu’aux moindres impulsions de l’Esprit de Dieu. Quand c’est quelque chose de conséquence que Dieu ne veut pas de nous et qu’on croit devoir entreprendre, dans le moment de l’exécution Dieu arrête l’âme par une certaine répugnance qu’Il lui donne ; que si c’est quelque chose qu’Il veut d’elle, si elle n’y entre pas d’abord (faute de lumière ou d’une autre sorte), elle sent une certaine mésaise, jusqu’à ce qu’elle ait fait ce que Dieu veut d’elle. Mais pour ce qui est ordinaire et journalier, il ne faut attendre rien de bien marqué, mais se laisser de moment en moment à tout ce qui nous arrive d’ordre de Dieu dans notre état.

La propre volonté se règle sur le propre amour. Plus l’amour est pur, moins il y a de propre volonté dans l’âme, et je puis vous assurer que l’âme vient au point de n’en pouvoir trouver. Comment l’âme désappropriée aurait-elle une propre volonté, puisque la propre volonté est la propriété la plus grossière ? Je prie Dieu de vous donner l’intelligence de ce que j’exprime peut-être fort mal. Mourez continuellement à vous-même, et vous en apprendrez plus que je ne puis vous en dire. Soyons les chiffons du bon Dieu, comme il fut montré à Henri Suso9 qu’il devait être. Soyons contents qu’on nous élève en haut, qu’on nous jette dans la boue : le pauvre chiffon ne résiste à rien.

J’oubliais de vous dire que c’est l’attention du cœur que Dieu demande. Il dit : Je la mènerai en solitude, et là Je parlerai à son cœur10, et à son prophète : Parlez au cœur de Jérusalem11. C’est donc le cœur qui doit être attentif. Les paroles du Verbe ne sont pas des paroles articulées : les paroles articulées se font par le ministère des anges. Mais le parler du Verbe est Son opération : cette opération, ou cette parole, est simple et paisible, elle instruit le cœur sans rien faire entendre à l’esprit, de sorte que l’âme est étonnée de ce qu’elle fait sans l’avoir appris. Dieu instruit aussi par Sa parole médiate, mais c’est d’une toute autre manière, qui est moins intime, moins profonde, et moins étendue, où l’imagination peut se mêler ; et cette manière, selon le bienheureux Jean de la Croix, est sujette à méprise.

– Dutoit, t. IV, Lettre 103, p. 322 - 329.

1 Ps., 3 ; Ps., 16 ; Ps., 26.

2 Deutéronome, 4, 11.

3 Cant., 3, 5 : « Filles de Jérusalem, je vous conjure […] de ne point réveiller celle qui est ma bien-aimée… » (Sacy).

4 Cant., 1, 3 : « Entraînez-moi après vous, nous courrons à l’odeur de vos parfums… » (Sacy).

5 Cant., 2, 4.

6 Cant., 8, 7 & 14.

7 Cant., 8, 17 : Conclusion : « Fuyez, ô mon bien-aimé, et soyez semblable à un chevreuil et à un faon de cerf, en vous retirant sur les montagnes des aromates. » (Sacy).

8 Matthieu, 14, 31.

9 « En sa vie, chap. 22. » (Dutoit). Chap. 20 dans les éditions modernes, déjà cité plus haut en note à une lettre adressée à Homfeld : « Il vit un chien qui courait au milieu du cloître et portait un paillasson [“un tapis râpé”] usé dans sa gueule […] il le lançait en l’air, il le jetait par terre, et il le déchirait… »

10 Osée, 2, 14.

11 Isaïe, 40, 2.

Au baron de Metternich.

Je comprends bien, mon cher frère, que les conseils de A. B 1. vous ont paru différents des miens, quoique ce soit la même chose dans le fond. Le conseil de renoncer à tout, est l’essentiel. Jésus-Christ le dit Lui-même : Celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède, ne peut être mon disciple2. Il n’est point question de renoncer à son état, mais à l’attachement pour toutes les choses de la terre. Nous voyons les exemples de l’un et de l’autre dans l’Ecriture sainte. Saint Jean ne conseille à personne de quitter son état, quoiqu’il les engage à la correction des mœurs dans leur état. Jésus-Christ fait changer d’état à ceux qu’Il appelle à la prédication de l’Évangile, et nous ne voyons pas qu’Il l’ait fait changer aux autres. Les apôtres en ont usé de même. Il y a à la vérité quantité de saints anachorètes et autres, qui ont tout quitté pour s’appliquer d’une manière plus particulière à Dieu dans la solitude. Nous voyons quantité de personnes qui renoncent encore au monde dans la religion catholique et ailleurs. Tout cela ne conclut rien pour vous, quoique j’espère bien que Dieu vous retirera tout à fait des embarras du monde.

Ce que vous devez faire le plus présentement est de vous détacher universellement de toutes choses et de vous-même, sans quoi la solitude vous serait peu utile. Si le seul renoncement des choses extérieures sanctifiait, tous nos religieux seraient des saints, et cependant on trouve rarement des saints parmi eux : ce qui fait voir que le renoncement extérieur n’est rien sans le renoncement absolu de nous-mêmes, c’est-à-dire de notre propre volonté et de tous ses apanages, comme sont les désirs, même ceux d’être parfait, enfin tout ce qui appartient à la volonté, que vous savez mieux que moi. Il faut aussi renoncer au propre esprit, aux raisonnements, aux idées, préventions, préjugés, etc.

Une des raisons qui fait que je désire qu’on ne quitte point son état, quoique je désire qu’on soit parfaitement détaché, c’est que Dieu voulant à présent et dans les siècles à venir introduire Son Esprit intérieur dans tous les lieux, parmi toutes les nations, dans tous états et conditions, je ne crois pas qu’on doive facilement quitter son état à moins d’une vocation particulière, et c’est ce que nous demandons à Dieu de tout notre cœur, d’être éclaircis sur ce qui vous regarde. Nous n’en pouvons être éclaircis que par deux moyens : l’un, si l’amour de la retraite est persévéramment gravé dans votre cœur, et si Dieu vous continue ce penchant ; l’autre, si véritablement en votre état vous y avez des attaches trop fortes. Je pourrais ajouter une troisième raison qui serait : si Dieu me le mettait fortement au cœur ; mais comme j’aimerais mieux suivre les deux premières, je m’arrête peu à ce dernier.

Je crois avoir répondu dans ma dernière à toutes vos difficultés, mais je ne laisserai pas encore de vous dire ce qui me viendra sur vos articles.

Pour commencer, je crois que vous cherchez toujours trop de certitude. La voie de la foi et celle de la certitude sont deux voies entièrement différentes. Je conviens que pour changer d’état, il faut quelque chose de particulier ; mais pour le courant de la vie il faut un grand abandon, et faire de moment à autre ce qui se présente à faire, dans l’ordre et l’état où l’on est mis. Votre manque d’abandon n’est pas pour demander conseil sur le mariage ou le changement d’état, car cela même est nécessaire et je vous y ai répondu par mes précédentes, mais pour toutes les petites choses journalières, où il faut aller son chemin avec une grande simplicité, foi et abandon, sans tant de scrupule et d’hésitation.

Jusqu’à votre quinzième article vous dites fort bien, et il est inutile de vous y répondre : vous en dites tout ce qu’on en peut dire. Pour ce qui regarde les autres jusqu’à l’article vingt-troisième, je crois vous en avoir assez dit, mais je ne laisserai pas de vous dire encore qu’il y a des choses qui paraissent volontaires et qui ne le sont point, que l’on en peut juger par le fond de la disposition de la personne. Mais comme Dieu permet ces chutes apparentes pour nous donner une sainte haine de nous-mêmes et nous ôter tous les appuis que nous pouvons avoir en nous-mêmes, nous faisons souvent de grandes fautes en voulant être trop certifiés : nous sortons par là de ce que Dieu veut de nous, car si l’on nous assure que ce sont des péchés réels, la misère ne finissant point pour cela, pour peu qu’on ait l’esprit faible on entre dans un désespoir très dangereux. Si l’on nous assure aussi qu’il n’y ait point de mal, la sécurité pourrait donner une certaine licence qui pourrait devenir un véritable mal. Ainsi combattons de toutes nos forces avec un entier abandon à Dieu. Si malgré cela nous succombons en apparence, ne laissons pas d’être infiniment abandonnés à Lui et humiliés à proportion, voyant notre misère et ce de quoi nous serions capables sans Sa grâce, puisque ce n’est là qu’un petit échantillon de ce que nous ferions sans Lui.

Ne vous étonnez donc pas si ceux qui ont écrit de ces sortes de voies intérieures ne décident rien positivement là-dessus : cette décision absolue ferait beaucoup plus de mal que de bien, parce que la nature, qui cherche son compte partout, désirerait fort d’être autorisée par la grâce. Ainsi demeurez dans votre abandon, et contentez-vous de ce qu’on vous a dit, et peut-être qu’on vous en a trop dit. Mais j’ai une chose dont je dois vous avertir, que quand vous seriez quitte de votre peine et que vous auriez été un temps considérable sans y retomber, un simple retour sur vous-même, une joie d’un seul instant de vous en voir quitte, sera suffisant pour vous y faire retomber ; Dieu étant infiniment jaloux que l’âme n’ait plus aucun retour sur elle-même et qu’elle demeure totalement abandonnée à Lui. L’époux dans le Cantique dit : Ma sœur, mon épouse, vous m’avez blessé par un de vos yeux, et par un cheveu de votre cou3, ce qui marque qu’elle n’avait qu’un seul et unique regard pour son unique et divin objet, l’autre œil étant fermé pour elle-même pour tout le reste. Le cheveu du cou marque que toutes ses pensées et ses affections étaient uniquement tournées vers ce grand objet sans se dissiper autre part, et c’est là ce qui fait le plaisir de l’époux et ce qui lui blesse le cœur.

À l’égard de votre article vingt-troisième et les suivants, ce qui dépend de l’homme est de ne point se reprendre et de demeurer fixement et invariablement abandonné à Dieu, quand Il nous conduirait aux enfers ou qu’Il permettrait que nous y tombassions. Dieu punit par ces sortes d’épreuves la propriété passée, la présente qu’Il connaît quoique nous ne la connaissions pas, et (si nous étions délivrés de nos peines) celle qui pourrait arriver par une secrète joie que nous aurions en cela, et par un repos pris en notre délivrance plutôt qu’en Dieu. Or comme l’homme ne se donne jamais la mort à soi-même quand il est sage, et qu’il meurt par des causes naturelles, nous ne pouvons point nous donner nous-mêmes la mort intérieure : il n’y a que Dieu qui le puisse faire par des moyens connus à Lui seul, et tout contraires à nos idées. Si l’homme pouvait comprendre le moyen de mort que Dieu lui a choisi, qu’il le regardât invariablement comme tel, il ne mourrait jamais par ce moyen-là, et Dieu lui en choisirait un autre auquel il n’aurait jamais pensé.

Ceux qui ont des personnes éclairées pour les conduire dans ces routes, ne sont point à plaindre s’ils ont de la foi, quoiqu’ils se croient malheureux : mais ceux qui n’en ont point sont dans un pas bien glissant, qui les jette ou dans la tentation de tout quitter ou dans un désespoir. Peu demeurent fidèlement abandonnés à Dieu, se laissant exercer par le démon et par les penchants de la nature corrompue, mettant toute leur gloire dans la seule gloire de Dieu, tout leur bonheur dans Son bonheur, sans se soucier d’eux non plus que d’un moucheron, Dieu ayant mille fois plus de droit de nous perdre s’Il le veut (ce qu’Il ne fera pourtant jamais) que nous d’écraser un moucheron, ne l’ayant point créé et ne pouvant lui rendre la vie.

Vous avez trop d’intelligence pour n’être pas content sur vos difficultés, et pour en laisser naître davantage dans votre esprit, ce qui serait un grand défaut d’abandon et qui vous tiendrait toujours autour de vous-même. Je ne vous dis pas cela pour vous empêcher de m’écrire vos difficultés, et je ne me lasserai jamais, s’il plaît à Dieu, d’y répondre, mais parce que je désire infiniment de vous voir sortir de vous-même, et que vous ayez cette sainte haine si fort recommandée, qui n’est pas seulement dans les discours ou la spéculation, mais très réelle, en sorte que nous venions jusqu’au point d’être ravis de nous voir traiter comme les derniers des hommes, accablés de notre propre misère, nous croyant indignes que Dieu étende Sa main pour nous en délivrer, n’osant même le Lui demander, mais demeurant dans notre néant comme un mort que les vers rongent de toutes parts sans qu’il se remue.

Il n’est point nécessaire de renouveler l’abandon, mais d’y demeurer réellement. Lorsque nous ne le rétractons pas par quelque action ou par quelque retour volontaire sur nous-mêmes, il demeure fixe, quoiqu’on ne l’aperçoive pas. Mais si on s’en était détourné volontairement, il faudrait alors faire un nouvel acte pour y rentrer ; non pas un acte distinct et multiplié, mais un simple retour d’adhérence à Dieu, qui dit tout sans rien exprimer.

Vous êtes trop multiplié, mais jusqu’à ce que vous retourniez à cet état simple dont vous vous êtes retiré par vous-même, vous ne serez point en la place où Dieu vous veut. Prenez courage, je vous en prie, et laissez-vous là comme une chose qui ne vous appartient plus, et dont vous ne devez plus vous mêler du tout, ni même vous souvenir si cela se pouvait. Plût à Dieu que vous fussiez si bien perdu dans votre Être original que vous ne vous vissiez plus vous-même ! Mais vous faites comme la femme de Lot, qui fut changée en statue de sel4, ce qui vous fait voir que c’est la fausse sagesse, ou la peur, qui font retourner l’homme sur lui-même et regarder derrière lui. C’est pourquoi Jésus-Christ dit que celui qui, ayant mis la main à la charrue, regarde derrière soi, n’est pas propre pour le royaume de Dieu5, c’est-à-dire pour que Dieu règne absolument en lui.

Pour ce qui regarde les livres spirituels, il ne les faut point lire par curiosité, mais pour nourrir l’âme, la rappeler au-dedans, se laisser engraisser d’une certaine onction qui y est cachée, n’en lire que ce qu’il faut pour faire ces effets, ne point lire avec avidité : lire et se reposer pour se nourrir véritablement, c’est avaler et digérer la viande, sans quoi on ne se nourrirait point quoiqu’on la machât sans cesse. Outre cela, la multiplicité des lectures et des livres qui, quoique écrits par des personnes spirituelles, ne sont pas néanmoins la voie que Dieu demande de nous, peuvent nous nuire beaucoup. Ou bien si, ayant outrepassé les lectures qui nous ont servi en un temps, nous voulions les reprendre parce qu’elles nous ont fait du bien, elles nous nuiraient alors, nous faisant rentrer dans nos premières voies et, nous tenant arrêtés en nous-mêmes, elles nous brouillent et nous causent plusieurs difficultés. Les moyens qui sont bons en un temps, ne le sont plus en un autre. L’homme aime naturellement quelque chose de détaillé, sur quoi il puisse appuyer son esprit, mais lorsque Dieu dénue, cela est fort nuisible.

Pour la chimie [alchimie], je vous avais déjà mandé que je ne croyais pas que vous dussiez vous y appliquer que pour des moments de délassement. Mais comme on m’a dit que c’est un travail suivi, il serait difficile que cela fût de la sorte. Il ne faut pas croire que le démon vous tentera de faire une chose sous prétexte de faire du mal, mais un bien. Ce désir de soulager le prochain est bon en soi, mais il faut savoir si Dieu vous y appelle. Laissez cela aux gens actifs et souvenez-vous de ces paroles de Jésus-Christ : Laissez aux morts le soin d’ensevelir les morts; et pensez à ce que dit Notre Seigneur : vous avez toujours les pauvres, mais vous ne M’aurez pas toujours7 , nous marquant par là que, quand Il appelait à l’intérieur et à jouir de Sa présence, il fallait laisser tout le reste pour ne s’occuper que de Lui, ne s’occupant des choses du dehors que comme par accident, ce qui pourtant n’exclut pas de remplir les devoirs dans l’état où l’on est.

Il me vient dans l’esprit ici que vous devriez travailler à ramener votre ami. Faute de connaître bien les voies de Dieu, on s’en écarte dans le temps d’épreuves ou de misères, et d’une faute on tombe dans une plus considérable, qui est de ne point revenir à Dieu, tant par la crainte des difficultés que par le doute où l’on est de pouvoir retrouver sa première place et sa première disposition, ce qui fait que l’on demeure avec persévérance dans son égarement. Ô si ces personnes-là comprenaient bien la bonté de Dieu, qui reçoit l’enfant prodigue 8 de tous les bras de Son amour, qui le comble de biens, le remet dans sa première place, ne se souvient plus de ses indignités, ne les lui reproche même plus si son retour est sincère et plein d’humilité ! Il ne faut point juger de Dieu comme des gens du monde, qui ont peine à rétablir leurs amis qui les ont outragés dans cette première familiarité qu’ils avaient ensemble. L’âme véritablement humble éprouve au contraire qu’où le péché avait abondé, la grâce surabonde9, ce qui accable l’âme de reconnaissance et de confusion ; et toutes les grâces ensemble ne la feraient pas sortir de son humiliation profonde, bien loin de devenir propriétaire de ces mêmes grâces. C’est ce que je voudrais que vous fissiez comprendre à votre ami.

La réponse au trente-neuvième article, où vous demandez une règle pour discerner les mouvements divins des mouvements de l’ennemi, est que celui qui marche simplement, marche confidemment10.

Puisque vous avez trouvé la victoire par le moyen de l’oraison, vous devez la continuer avec un grand soin, mais l’oraison la plus simple. Je crois que votre plus grand mal a été que Dieu vous y ayant appelé d’une manière si particulière, vous n’en avez pas fait votre principale occupation et la plus continuelle qui vous eût été possible. Mais sur toutes choses, retranchez vos doutes et vos craintes de vacuité. C’est assurément le démon qui les met en vous afin de vous détourner de ce que Dieu veut. Vous voyez par là combien il est de conséquence de ne se point appliquer toutes sortes de conseils. Lorsque les mystiques ont parlé de ce faux vide, ils ont parlé pour des personnes qui, par amour des choses élevées et sans avoir aucun don d’oraison, se mettent dans une certaine indolence où ils n’ont jamais eu aucune occupation de Dieu, comme j’en ai connus. D’ailleurs, parmi les écrivains mystiques, il y en a qui ont écrit dans une demi-lumière, et qui ayant trouvé d’ailleurs des personnes fainéantes et paresseuses, qui demeurent dans une certaine indolence sans faire aucun effort pour se combattre ni pour se tourner vers Dieu, ils ont cru devoir donner ces conseils. Mais je vous assure que souvent ces sortes de lectures des demi-éclairés nuisent plus qu’elles ne servent, car pour une douzaine d’âmes que l’on trouvera dans cet état d’indolence dont je parle, il s’en trouvera cent mille qui par amour propre ne voudraient point quitter leurs propres activités, ni leurs lumières distinctes et aperçues. Pour vous, soyez persuadé et certifié que Dieu vous appelle à une oraison très simple, à un grand abandon entre Ses mains, sans retour sur vous-même. Et j’ose dire que j’aimerais mieux pour vous une distraction vague de quelques moments où le cœur n’aurait point de part, que cette attention pour apercevoir votre oraison et votre application distincte à Dieu.

Ayez donc bon courage et vous laissez comme un petit enfant entre les bras de sa mère qui le lève, le couche, le tient en repos, le promène, le nourrit de son lait sans qu’il songe à lui, ni qu’il s’embarrasse de rien. C’est à cet état que vous êtes appelé, et dont vous vous êtes écarté pour vouloir trop bien faire et trop connaître ce que vous faites. C’est où il faut rentrer pour renaître de nouveau. Vous aurez peut-être de la peine d’abord, à cause de ce long circuit que l’intérêt que vous prenez pour vous-même vous a fait faire : mais avec le temps et la patience vous en viendrez à bout ; et quand Dieu ne vous recevrait pas d’abord, pour vous punir de votre infidélité, il faudrait porter cela dans une patience humble, attendant avec persévérance que Dieu vous remette en votre place, demeurant même abandonné pour ne la point retrouver. Ce procédé simple et paisible dans l’entier oubli de vous-même, vous rendra mille fois plus agréable à Dieu que vous ne pourriez être par tous vos efforts. Oubliez-vous, oubliez-vous, oubliez-vous, et vous serez comme un enfant entre les bras de Dieu ; c’est tout ce qu’il veut de vous. Quand il sera temps que vous quittiez tout extérieurement, j’espère que Dieu me fera vous le dire.

Pour les autres sortes de particularités, comme le souvenir des grâces que Dieu vous a faites, la prière pour le prochain, etc., l’âme en a dans tous les états. Dès que ces choses viennent de Dieu, et non de notre propre activité, le simple souvenir d’une personne est notre prière sans prière pour cette personne : il faut donc les recevoir, mais ne s’y arrêter pas un instant, les outrepassant aussitôt.

On a toujours recommandé la mortification avec l’oraison, plus forte dans les commencements, selon le tempérament d’un chacun, et Dieu n’a jamais pris une personne par l’intérieur, qu’Il ne lui en ait fait faire beaucoup de toutes sortes, jusqu’à ce qu’elles lui deviennent presque inutiles, parce que l’appétit ne se trouve plus en guère de choses, non plus que la répugnance. Mais lorsque Dieu veut Lui-même devenir le principe de la créature, la faisant sortir d’elle-même, Il ne lui permet plus ces sortes de mortifications qui s’appellent austérités, parce que l’âme y trouverait un appui et par conséquent un arrêt, qui la retenant et la fixant en elle-même, empêcherait cette souplesse infinie qu’on doit avoir pour se perdre dans son Être original. En quelque temps que ce soit, on ne cherche en nulle manière ni son goût, ni ses aises, oubliant tout cela comme le reste, une nourriture simple, frugale et uniforme étant une mortification perpétuelle, qui ne se remarque ni par soi-même ni par les autres. On doit aussi avoir beaucoup d’égard à la santé, à la faiblesse du tempérament, aux grandes occupations des emplois, à la manière d’oraison, parce qu’une abstraction forte détruit plus la santé que ne feraient les plus grandes austérités : ainsi si vous ajoutez à cela les austérités, vous devenez tellement infirme que dans la suite nous voyons la plupart se relâcher en mille choses, et puis s’employer tout à l’occupation de leur santé. La conduite dont je parle évite tous ces inconvénients. D’ailleurs c’est que, lorsque Dieu nous appelle à nous oublier nous-mêmes, ces austérités particulières et recherchées nous sont une occupation de nous et d’elles.

Il y a encore une autre raison : c’est que, quand Dieu prend Lui-même le soin de nous détruire, Il en est si jaloux qu’il ne veut pas que nous y mettions la main. Il nous punit comme Oza11, qui voulut mettre la main à l’arche pour la soutenir, non d’une mort extérieure, mais en retirant son soin et sa vigilance. Or il est certain que, quand nous nous mettrions tous les jours en pièces sans cesser de vivre, tous nos tourments ne seraient qu’une paille brûlée en comparaison de l’application de la divine justice sur l’âme pour la purifier, qui est le purgatoire de cette vie, que nous devons recevoir passivement, comme les âmes du purgatoire dans l’autre vie reçoivent passivement l’application de la divine justice, qui les purifie si radicalement qu’elle les rend propres à être réunies à leur Être original. Si par impossible les âmes du purgatoire restaient dans ce lieu après leur entière purification, elles n’y souffriraient rien du tout, et cette même justice qui les fait souffrir de si cruels tourments à cause de leurs impuretés, leur deviendrait une béatitude essentielle. Elles resteraient plongées dans une mer d’amour et non de douleur.

Voici une longue lettre, aussi bien que les dernières. Lisez-les de temps en temps et vous y tenez ferme, sans écouter vos raisonnements, qui sont comme le flux et le reflux de la mer. Il n’est point question de vous appuyer sur la raison, qu’il faut détruire, mais sur l’abandon entre les mains de Dieu. Il n’y a qu’une longue expérience et la suite qui puisse vous rendre stable.

Demeurez ferme aux avis qu’on vous donne et ne songez qu’au moment présent. Laissez l’avenir à la Providence. L’abrégé de votre lettre est excellent, tenez-vous y. Je prie Dieu de vous être toutes choses et vous assure que votre âme m’est infiniment chère.

– Dutoit, t. IV, Lettre 104.

1 Antoinette Bourignon ?

2 Luc, 14, 33 ; I Jean ; Matthieu, 4, 18-22 ; Actes, 13, 2-3 ; etc.

3 Cant., 4, 9.

4 Genèse, 19, 26.

5 Luc, 9, 62.

6 Luc, 9, 60.

7 Jean, 12, 8.

8 Luc, 15, 20.

9 Rom., 5, 20.

10 Prov., 10, 9.

11II Rois, 6, 6-7.

Au baron de Metternich.

Nisi dominum aedificavit domum, in vanum laboraverunt qui aedificant eam. Si le Seigneur ne bâtit Lui-même la maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent1.

Je n’ai garde, mon cher *, de vous demander ce que Dieu ne vous demanderait pas : ainsi ne craignez rien. Tout ce que je voudrais de vous est que vous fussiez dans un tel équilibre que Dieu pût vous pencher comme il Lui plairait. Pour cela il faut laisser les préjugés et demeurer abandonné à Dieu sans réserve, afin qu’Il vous penche comme il Lui plaira. Pour ce que vous me dites du système du D. P. 2, je suis de son sentiment sur cet article, mais comme j’ignore ses autres propositions, je les laisse pour ce qu’elles sont.

Ceux qui font une aussi grande injure à Dieu que de Le croire l’auteur du péché, ne connaissent point Dieu et n’ont pas, comme dit le sage3, des sentiments dignes de Sa bonté. Il est certain que l’oraison simple, la foi et le pur amour instruisent si foncièrement de ces vérités qu’on n’en saurait douter. De dire comme cela se fait, je n’y comprends rien autre chose que ce qui est dit dans l’Ecriture : que l’onction nous instruit4. Car par le seul recueillement, une foi simple et un amour pur, on est instruit de toute vérité. Esprit saint, Amour éternel, enseignez Vous-même Vos enfants, et toute vérité leur sera manifestée, non en distinction mais par une persuasion intime.

Je suis bien éloignée de ne vouloir point que vous lisiez les livres intérieurs : ils instruisent en deux manières, et par le distinct et par l’onction, et ce serait une témérité de vouloir vivre dans une continuelle abstraction. Cela ne sert d’ordinaire qu’à dessécher le cœur, qui est le lieu où Dieu réside. Je ne prétends pas, mon cher *, vous faire des lois, mais je vous dis simplement ce que je pense. Si Dieu permet que vous veniez, je ne vous obligerai à rien, car ce n’est pas à moi de me mêler de cela : Dieu fera ce qu’il Lui plaira. Je suis toujours malade, mais Dieu est le maître. Mes respects à M. votre frère.

– Dutoit, t. IV, Lettre 107.

1 Ps., 126, 1.

2 Il s’agit — peut-être — du mystique anglais John Pordage (1607-1681), lui-même influencé par Jacob Boehme. V. plus bas la lettre de Metternich du 19 août 1716 et la note correspondante.

3 Sagesse, 1, 1.

4I Jean, 2, 27 : « Mais pour vous, faites que l’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous. Et vous n’avez pas besoin que personne vous enseigne. Mais ce que son onction vous apprend de toutes choses, c’est la vérité et il n’y a point en cela de mensonge. Ainsi donc qu’il vous a enseigné, demeurez en lui. » (Amelote).

Au baron de Metternich

Je comprends à merveille ce que mon cher frère veut dire sur l’étendue des esprits, s’il entend par là que les esprits sont d’autant plus parfaits qu’ils ont plus d’étendue. Mais cette étendue n’est autre chose qu’une capacité de recevoir Dieu plus purement, et d’en être possédé plus pleinement et plus parfaitement. Cette qualité dans les hommes bienheureux vient de la souplesse et de la docilité qu’ils ont eue dans cette vie à se laisser désapproprier et étendre. C’est ce qui est marqué dans le Traité du Purgatoire sous la comparaison des vases1. Il est donc essentiel à l’esprit d’avoir cette sorte d’étendue.

Mais il n’en est pas de même des formes, car s’ils en avaient aucune, ils ne seraient pas assez disposés pour recevoir la communication pure et simple de Dieu. Lorsque nous voyons les esprits sous quelque forme, ce sont des formes qu’ils empruntent pour se faire discerner à nos esprits grossiers, mais cela n’est nullement de leur essence. C’est ce qui fait que toutes les visions sont très fautives, et qu’il ne faut jamais les prendre à la lettre. L’ange Gabriel s’apparut à la Sainte Vierge en forme humaine, parce que, comme il s’agissait de la plus grande ambassade qui ait jamais été, il fallait qu’il prît une forme pour lui parler et traiter avec elle de ce grand mystère ; cependant rien ne serait plus faux que d’attribuer à l’ange une forme corporelle et humaine semblable aux nôtres. L’ange Raphaël prit de même une forme humaine pour conduire Tobie : il n’avait pas néanmoins essentiellement la forme qu’il empruntait. Et pour faire voir que nos esprits discernent quelquefois des formes qui ne sont point, l’ange dit : Il paraissait que je buvais et mangeais lorsque j’étais avec vous ; cependant il n’en était rien ; je me nourris d’une autre viande que vous ne connaissez point2. Cette nourriture n’est autre que la communication de l’Esprit divin à l’esprit purifié des anges. Le Saint-Esprit a paru en forme de colombe et de langues de feu3 : ce serait néanmoins une absurdité de croire qu’il fût ou colombe ou langue de feu. Mais Dieu a la bonté de Se proportionner à notre faiblesse et Il S’accommode à notre intelligence.

Ce que je veux dire dans l’endroit du Deutéronome que vous citez4, n’est pas que Dieu soit partout par une étendue locale, mais qu’Il est tout en tout par Son immensité et Son indivisibilité, ce qui est un mystère que la raison ne comprend pas. Nous devons L’adorer avec respect et si nous en formons quelque idée, nous nous égarerons toujours.

Il y a eu autrefois des solitaires qui croyaient Dieu corporel, et ils passaient toute leur vie à s’en faire des formes différentes. Ils étaient pourtant de très saints hommes. Mais comme ils avaient ouï dire qu’il fallait chercher Dieu en soi afin de ramasser toutes les forces de l’âme au-dedans, et comme ils étaient extrêmement grossiers, ils crurent ne pouvoir chercher Dieu en eux qu’en se figurant des formes corporelles, de sorte qu’ils Le formaient et L’habillaient chacun à leur mode. Cela étant venu à la connaissance des saints hommes de ce temps, on fit ce qu’on put pour les tirer de là, et enfin cette manière de se faire des formes de Dieu fut condamnée universellement de toute l’Église. Comme ils étaient bons, pieux et dociles, ils travaillèrent de toutes leurs forces à se défaire de ces formes, dont ils avaient contracté une longue habitude ; mais ne trouvant plus cette facilité de fixer leurs esprits par des formes corporelles, ils pleuraient amèrement, disant : On nous a ôté notre Dieu.

Je crois que la cause de toutes les idolâtries qui sont arrivées dans le monde, a été de ne pouvoir adhérer par une pure et simple foi à la pure, nue et simple essence divine. C’est ce qui a fait qu’on a donné dans les formes, et comme chacun d’entre eux s’en formait d’une différente manière, cela fit la pluralité des dieux. Dieu pour empêcher les Israélites d’idolâtrer, et voyant combien l’esprit humain était léger et peu appliqué à la vérité pure, il ordonna un tabernacle et grand nombre de cérémonies pour arrêter la volubilité de l’esprit de l’homme. Jésus-Christ venant pour être notre sauveur et désirant nous enseigner une religion pure et simple, nous apprit d’abord la pauvreté d’esprit5, afin de nous conduire insensiblement par la foi, qui comprend tout ce que Dieu est dans la totalité de tout Lui-même sans en faire aucune forme ni espèce. Il nous apprit ensuite la manière d’adorer le pur Esprit, qui est de l’adorer en esprit, et la suprême vérité qui est de l’adorer en vérité selon tout ce qu’elle est. Or comme toutes les formes nous éloignent infiniment de cet Être pur et simple, qui n’a ni forme ni mélange, Jésus-Christ nous assura que Dieu, étant pur Esprit, voulait des adorateurs en esprit, parce qu’il faut que l’adoration soit conforme à son objet. Si je dis mal, accusez-en mon ignorance. Vous savez combien ma volonté est droite pour vous et combien je vous aime en Jésus-Christ.

Vous vous moquerez de moi, mon cher baron, de vous avoir écrit dans mon ignorance, mais la pure charité et l’affection sincère qui fait agir par le divin Maître, rehausse l’ignorant jusqu’au savant, et ravale le savant jusqu’à le mettre de niveau avec l’ignorant. Ce Maître divin sait seul combien vous m’êtes cher.

– Dutoit, t. IV, Lettre 108, p. 367.

« … un vase croît entre les mains du potier tant qu’il demeure sur le tour, il s’étend insensiblement. Mais lorsqu’après lui avoir donné la capacité conforme à l’usage auquel il le destine, [le potier] l’a mis dans le fourneau, il n’y a plus moyen de l’accroître. » (Traité du Purgatoire de Madame Guyon, éd. M.-L. Gondal, Millon, 1998, p.55).

2 Tobie, 12, 19. — viande : nourriture. V. glossaire.

3 Luc, 3, 22 : « Le saint Esprit descendit sur lui sous la forme visible d’une colombe… » ; Actes 2, 3 : « Il leur parut comme des langues de feu… »

4Peut-être Deutéronome, 32, 10-11 : « Il l’a trouvé dans une terre déserte […] il l’a instruit et il l’a conservé comme la prunelle de son œil. Comme un aigle attire ses petits pour leur apprendre à voler, et voltige doucement sur eux, il a de même étendu ses ailes… »

5 Matthieu, 5, 3 (les Béatitudes).

Au baron de Metternich.

Je vous aurais écrit plus tôt, mon très cher frère, si j’avais été en état de cela, mais je n’ai pu même lire votre lettre, ayant une grande fièvre continue, un mal de gorge et des douleurs très fortes. Je n’ai pu lire, à cause des maux de tête, ce que vous me mandez sur le sentiment de **1. Tout ce que je sais, c’est que saint Paul nous assure que Dieu est tout en tous2 et que saint Denis veut qu’on ne traite de Dieu que par négation et non par affirmation, de peur de se méprendre3. La voie de la foi est d’autant plus sûre et plus pure, qu’elle ne se forme aucune idée de Dieu. Elle Le croit tout ce qu’Il est dans Sa totalité tel qu’Il est, car lorsqu’il fut question de Se faire connaître à Moïse, Il ne dit que : Ego sum qui sum4. Adorons-Le, croyons-Le dans la totalité de ce qu’Il est, et ne tâchons point de pénétrer autre chose. Que notre amour suive notre foi : aimons-Le dans la totalité de ce qu’Il est.

Ceux qui se sont donnés à Lui et qui ont profité des discours de **, s’y donneraient tout de même et encore mieux si, sans rien examiner en Dieu, ils Le croyaient tout ce qu’Il est et L’aimaient selon ce qu’Il est. Je sais qu’il est difficile de mourir à ses préjugés et à ses opinions, cependant il y faut mourir pour Le traiter en Dieu et pour avoir des sentiments dignes de Lui. J’ai fait ce que j’ai pu pour lire et comprendre ce que vous dites sur l’étendue : je n’y ai rien pu comprendre non plus qu’à de l’arabe, car je ne sais rien. Je dis et écris ce qui m’est montré : hors de là je suis l’ignorance même. Et lorsque je vous l’ai mandé, j’ai dit dans le moment ce que je pensais, sans autre réflexion.

Je n’ai garde de vous dire que les pensées de ** sont des erreurs, n’y comprenant chose du monde. Mais il me paraît qu’il y a une disposition plus parfaite, qui est la foi et la charité : car après que saint Paul a parlé de tous les dons, il dit qu’il y a quelque chose de plus parfait, qui est la charité5. Ce qui est moins parfait n’est pas toujours une erreur. Mais je vous assure que le divin Maître ne m’a donné aucune intelligence de cela. Il me paraît néanmoins, pour ne vous point flatter, vous aimant trop pour cela, que vous avez trop de vif sur cette matière pour n’y être pas attaché. Mais c’est à Dieu à rompre peu à peu des liens que vous ne voyez pas, j’espère qu’Il le fera un jour. Je ne saurais trop vous témoigner, et à M. votre frère, ma reconnaissance. Je n’ai pu achever ma lettre à cause de ma faiblesse, et depuis j’ai reçu encore une lettre de vous, qui me plaît bien plus que l’autre.

Si Dieu me donnait avant que de mourir la consolation de vous voir, j’en aurais bien de la joie, car vous êtes bien cher à mon cœur. Il me paraît que Dieu vous appelle à une grande foi, à un extrême abandon, à l’oubli de vous-même, à un amour très pur du Souverain Être, qui doit tout absorber en soi. Or toute idée distincte de Dieu est absolument contraire à votre vocation. Je ne m’embarrasse nullement des idées des autres, dont Dieu ne m’a pas chargée, quoique je voie fort bien qu’ils ne prennent ni le plus court, ni le plus vrai, ni le plus parfait ; mais pour vous, que je porte dans mon cœur et que je désire offrir sans cesse à Dieu comme une hostie vivante, je souhaite que rien ne vous arrête ni n’empêche votre essor en Lui. Laissez donc toute opinion, quelle qu’elle soit, pour vous plonger, vous abîmer et vous perdre dans ces sacrées ténèbres que Dieu a choisies6 pour Sa cachette, et où Il veut vous cacher avec Lui et vous consumer dans Son amour. Tout ce qui n’est pas cela, ne servirait sous les plus beaux prétextes du monde qu’à vous empêcher de remplir votre vocation. Qui sait si les idées et les opinions ne contribuent pas un peu à entretenir vos misères ? Quoi qu’il en soit, il faut souffrir celles-ci en paix, et perdre les autres dans l’inconnu de Dieu. Vous savez l’évangile de l’aveugle-né7.

Je ne me souviens point de ce que j’ai écrit. Si j’ai écrit ce que vous me mandez, c’est sans doute pour vous engager à vous abandonner de plus en plus à Dieu, vous défier de vous-même, ne vous point reprendre et ne plus vous mêler de vous-même, puisque vous n’êtes plus à vous-même, mais à Celui qui vous a racheté d’un grand prix. Quoique Dieu veuille de nous une grande fidélité et que nous soyons toujours libres de Lui résister, Sa bonté est si grande que, lorsque nous Lui ferons un don irrévocable de cette liberté que nous Lui avons donnée, Il la reçoit, Il nous aide dans nos faiblesses, Il nous porte même.

Rien ne déshonore tant Dieu que cette idée de réprobation et de prédestination absolue. Nous sommes tous prédestinés au salut et à être conformes à l’image du Fils de Dieu. Mais nous nous servons de cette liberté, qui est le propre caractère qui fait l’homme et le différencie de l’ange et de la bête, nous nous servons, dis-je, de cette liberté pour nous opposer aux desseins de Dieu. Dieu veut que nous connaissions notre faiblesse, afin que nous nous donnions librement et volontairement à Sa force. J’espère que Celui qui vous a délivré de cette première opinion, que vous croyiez bonne alors, vous délivrera de toutes celles qui ne Lui sont pas assez glorieuses. En voilà assez pour ma faiblesse. Je vous embrasse des bras du divin petit Maître.

Je dois encore vous dire, mon cher frère, que vous ne vous étonniez pas de votre faiblesse, car il est expédient que cela soit ainsi. À mesure que la force de Dieu s’empare de notre âme, elle évacue notre propre force, en sorte que nous ne sentons plus que notre faiblesse, misère, incapacité. Lorsqu’on a ôté avec l’alambic l’esprit et la force du vin, il ne reste plus de ce même vin qu’une eau insipide. Vous n’apercevez plus que votre propre faiblesse, parce qu’il n’y a que cela en vous, mais la force divine soutient dans l’occasion. Si nous sentions toujours cette force divine, nous salirions son opération en nous l’attribuant ; mais lorsque Dieu nous soutient d’une main invisible malgré l’expérience continuelle de notre faiblesse, nous voyons bien que ce soutien vient de Lui, et nous Lui en rendons toute la gloire. C’est une chose étrange que la nature : elle dérobe tout, elle s’approprie tout, elle est la plus grande ennemie de Dieu et de nous-mêmes, c’est pourquoi Dieu lui arrache tout ce qui la nourrit et la fait vivre. J’ai écrit cette lettre à trois reprises.

– Dutoit, t. IV, Lettre 109.

1 Il s’agit peut-être du mystique anglais John Pordage (1607-1681), lui-même influencé par Jacob Boehme. V. la lettre de Metternich du 19 août 1716.

2I Cor., 15, 28.

3Theol. Mys., Ch. 3, 4, 5. D

4 Exode, 3, 14.

5I Cor., 12 & 13.

6 Ps., 17, 12.

7 Jean, 9, 6-7 ; Marc, 8, 23. L’aveugle-né, que Jésus-Christ n’éclaire que par « de la boue ».

Au baron de Metternich.

Je ne suis point fâchée, mon cher frère en Jésus-Christ, de vous avoir attristé pour des moments, quoique je l’aie fait sans dessein et par une pure permission divine, afin que j’eusse un témoignage plus assuré de votre foi. Je n’ai point douté de votre sincérité, puisque c’est cette même sincérité qui m’a unie si étroitement à vous dès les premières lettres que j’ai reçues de vous. Mais il m’a paru en même temps que, quoique le fond de votre cœur fût très droit, vous vous laissiez aller un peu trop au raisonnement. Lorsqu’on est accoutumé à raisonner, on raisonne sans s’en apercevoir, et comme le cœur est simple et droit, on ne comprend pas que l’esprit raisonne sous prétexte de chercher à s’éclaircir. Dieu veut qu’on aille à Lui, non par une claire connaissance, qui n’est pas pour cette vie, mais par un abandon aveugle, se fiant à Lui au-dessus de toute raison, conjecture, doute, crainte, etc. C’est à quoi Dieu vous appelle. De plus, c’est qu’il est sûr que Dieu vous donnera, ou par Lui-même ou par d’autres, dans le moment actuel ou pour la conduite présente, les lumières actuelles des choses dont vous aurez besoin, mais non d’une lumière anticipée, qui ne vous serait que médiocrement utile.

Votre oraison est bonne et très bonne, puisqu’elle retombe dans la volonté : c’est ce que les uns appellent simple regard, d’autres contemplation, et que j’ai appelé oraison de foi. Si cette oraison est sans espèces, quelles qu’elles soient, elle élève l’âme au-dessus d’elle-même en un certain sens. Mais ce qui se passe dans la volonté, qui est l’amour, quoique l’âme ne paraisse pas si élevée, est pourtant le plus court chemin, parce que c’est par le moyen de la volonté qu’on trouve le centre et l’union essentielle, au lieu que par l’autre voie de simple regard, c’est un plus long circuit. Mais comme le vôtre retombe dans la volonté, il est très bon, car tout dépend de l’amour.

Dieu est esprit et Il S’unit à l’esprit par la foi aidée de cette contemplation de simple regard. Mais Il est un esprit d’amour et de vérité, et c’est l’amour qui produit la vérité et, quoique la vérité soit propre à l’esprit, elle s’insinue néanmoins dans la vérité par l’amour ; ce qui est d’autant plus étonnant que la volonté, étant une puissance aveugle, semble ne rien découvrir. Dans les choses naturelles, c’est l’esprit qui est éclairé, et la volonté ne fait que choisir ce que l’esprit lui propose, mais dans les surnaturelles la véritable lumière est donnée par la volonté, ainsi qu’il est écrit : Goûtez et voyez1, et non : Voyez et goûtez, car l’amour est un feu ardent et lumineux : en échauffant, pour ainsi parler, il éclaire. Il est donc certain que tout s’opère par la volonté, la réunion dans le centre et la sortie de soi.

Ne donnez point à votre esprit la liberté de raisonner : il faut le tenir en bride. Ce n’est point agir en bête, mais selon le procédé de la foi, qui en nous rendant bête en apparence, nous instruit merveilleusement. Une simple paysanne instruite de cette sorte ferait honte aux plus grands docteurs. Laissez donc tout raisonnement sur les voies de Dieu et ne le conservez que pour les affaires. Fiez-vous à Dieu au-dessus de votre raison. Abandonnez-vous à Lui sans réserve. Jésus-Christ est un guide assuré : Il ne vous égarera pas quoique vous marchiez la nuit et sans flambeau, car Il est Lui-même votre voie, Il est votre lumière, lumière de vérité, qui éclaire tout homme venant au monde de l’intérieur et de la régénération. Il est la vie de celui qui veut bien mourir à son propre esprit et à son soi-même.

Car, mon cher frère, on raisonne sans s’en apercevoir : on est curieux de voir le chemin par lequel Dieu conduit et les routes par lesquelles on doit passer, sans croire que cela soit de la sorte. Vous allez bien : c’est assez pour vous d’en être certifié, marchez dans un abandon aveugle et un amour nu. Lorsqu’il vous vient des doutes, marchez toujours, vous fiant à Dieu au-dessus de tout et non à vos propres démarches. Ce procédé Lui plaît infiniment et gagne Son cœur, car c’est la plus forte preuve que vous puissiez Lui donner de votre amour que cette confiance aveugle. J’espère que Dieu vous assistera de plus en plus et vous rendra propre à tout. Faites le plus d’oraison que vous pourrez et, au milieu de vos occupations, un petit regard amoureux Lui dira tout sans rien dire. Il faut aller à Dieu bonnement, petitement, simplement. Dieu ne chicane point : le cœur qui L’aime est assuré d’être aimé de Lui. Il est simple avec les simples et un cœur enfantin est tout ce qu’Il veut.

La lettre qu’on avait jointe à la vôtre n’était point pour vous, elle avait été écrite à un autre. Bon courage ! il est quelquefois utile que nous soyons exercés, mais cette même main qui tue, vivifie.

Je dois néanmoins vous avertir d’une ruse de la nature, que l’âme de la meilleure volonté ne découvre presque jamais elle-même que bien tard : c’est qu’il y a certains endroits où elle se retranche et qu’elle cache à l’âme avec un extrême soin. Un homme droit et sincère ne s’en défie pas, parce qu’il dirait sans peine des défauts qui sont plus considérables, qui font même quelque honte à dire, parce qu’allant fort droit, il se surmonte en cela avec courage. Mais lorsqu’on touche certains défauts que la nature a dérobés à notre vue par le soin qu’elle a pris de se cacher, elle en a une peine lourde, un certain dépit secret qui lui donne du dégoût pour des avis qui ne cadrent pas à nos lumières, et elle se cache de plus en plus avec un extrême soin sans qu’il soit possible à l’âme de la découvrir. L’unique remède à cela est un simple acquiescement à ce qu’on nous dit et dont nous nous croyons très éloignés. Croire les autres au-dessus de ce que nous croyons voir et sentir en nous, cela s’appelle non seulement être dans la foi, mais agir en foi. Si le défaut qu’on nous dit n’est pas en nous, cet acquiescement ne coûte rien et rend petit et humble ; s’il est en nous, nous voyons la nature qui se cantonne pour se cacher. Alors nous exerçons une foi pure au-dessus de nos lumières et de nos sentiments, ce qui fait que Dieu nous éclaire de ce que nous ne voyions pas auparavant et que nous croyions ne pas avoir.

Je prie Dieu qu’Il vous donne l’intelligence et de ce que je vous dis, et aussi de la différence de la voie purement intellectuelle d’avec celle de l’amour fruitif2, comme parlent les mystiques, parce que la volonté s’écoule en Dieu par l’amour. Ceux qui ne marcheraient que par l’esprit, quoique purifié en apparence, ne peuvent arriver en Dieu que par le moyen de la volonté, ni mourir parfaitement à eux-mêmes que par elle. Il en faut toujours revenir là. Mais allez votre chemin, jusqu’à ce que Dieu vous éclaire Lui-même de ce que je vous dis. Ceux qui marchent comme dit le père3 que vous citez, que je n’ai point lu, mais qui est conforme à d’autres mystiques conduits par cette voie purement intellectuelle, ne sortent point de la sphère des puissances. Ils décrivent ce cercle avec grand fruit, mais ils n’arrivent pas au point central. Il ne faut pas confondre les voies, mais nous contentant de celle que Dieu nous donne, aller à Lui par le renoncement spirituel. Je Le prie qu’Il vous soit toutes choses. Je vous suis en Lui et pour Lui entièrement acquise.

– Dutoit, t. IV, Lettre 115, p. 393.

1 Ps., 33, 9.

2 Voir Ruysbroeck, Les Noces spirituelles, conclusion : « Or dans ce gouffre sans fond de la simplicité sont incluses toutes choses dans la béatitude fruitive […] » (traduction Bizet, Aubier, 1947, p. 365)

2 « Le père Jean Evangeliste. » (Dutoit). — Il s’agirait de Jean-Evangéliste de Bois-le-Duc (1588-1635), capucin : « La diffusion de ses œuvres est assez considérable au 17e et même au 18siècle, y compris dans les milieux jansénistes et protestants » (Dict. de Spir., vol. 8., col. 830). Pour ce dionysien, influencé par les rhéno-flamands : « La fin unique et suprême de l’homme est la vision et la fruition, immédiate bien qu’obscure, de Dieu présent dans l’âme, dans son fond primitif. » (Id., col. 828).

Au baron de Metternich.

Mon cher frère, le très cher ** m’a envoyé une partie de votre lettre, où je vois plusieurs questions et difficultés, et une certaine confusion et mélange d’états.

1. Il faut faire une grande différence d’une âme perdue en Dieu, retournée dans sa fin après avoir été régénérée, ou plutôt en qui le vieil homme a été détruit pour être faite une nouvelle créature en Jésus-Christ, à une âme qui est encore en chemin d’y arriver.

La première n’est pas sujette, comme la dernière, aux suggestions de l’ennemi, et le démon craint beaucoup ces âmes-là pour bien des raisons. Quiconque n’est plus sous la tyrannie du vieil homme, n’est plus aussi sous celle du démon, duquel ils connaîssent bien les ruses : c’est ce qui fait que les démons les craignent, et la moindre tentation serait repoussée par Jésus-Christ même, comme Il le fit dans le désert où, voulant être tenté pour notre instruction, Il nous apprit en même temps la manière de terrasser notre adversaire. Il y a des âmes très consommées à qui Dieu fait porter des tentations pour en délivrer leurs frères, lorsqu’elles se livrent à Dieu pour le prochain après que Dieu leur a inspiré de le faire. Il n’est nullement question ici de cela. Ces âmes sont si rares et si précieuses aux yeux de Dieu que ce serait L’attaquer que de les attaquer, et le démon ne s’adresse point à elles. Il faut donc bien se donner de garde de faire de tous états le même.

2. Pour les âmes qui sont en voie et qui ne sont pas arrivées à leur fin, il faut qu’elles marchent dans l’abandon à Dieu sans vouloir qu’Il fasse à tout moment des miracles pour leur conduite, car le plus grand de tous les miracles serait cette certitude de faire toujours la volonté de Dieu dans les plus petites bagatelles, dans tous les événements singuliers de chaque jour. Cette conduite serait bien sujette à l’illusion. Qui dit abandon ne dit pas certitude. La volonté de Dieu est que je m’abandonne à Lui : Il m’y exhorte en cent endroits de l’Ecriture. Je m’abandonne dans mon intérieur, ne désirant autre chose sinon de Lui laisser faire dans mon intérieur tout ce qu’il Lui plaira et en la manière qu’il Lui plaira, lumière ou ténèbres, facilité ou impuissance, consolation ou douleur. L’abandon extérieur est de faire à chaque moment, dans un esprit reposé, tout ce qui se présente à faire à chaque moment, ne songeant qu’à remplir ce moment dans Sa volonté selon l’état où Il nous a appelés, sans nous amuser à anticiper l’avenir sur des choses qui n’arriveront peut-être jamais. Celui qui se contente de remplir son état dans le moment présent, sans s’occuper d’autre chose, est toujours tranquille : il fait la volonté de Dieu, remplissant l’état où Il l’a appelé à chaque instant, sans penser à autre chose : à chaque jour suffit son mal1.

3. C’est donc une très grande faute de s’occuper de l’avenir, au lieu de faire usage de ce moment présent, auquel consiste tout notre bien. Et quiconque sait se contenter du moment présent, vit très heureux : son âme est toujours reposée et est plus propre à discerner ce que Dieu veut d’elle. Cela lui donne une certaine légèreté et souplesse qui fait que Dieu la remue facilement, comme le moindre petit zéphir remue une feuille, car l’inspiration du Seigneur est d’une extrême délicatesse. Il faut être reposé pour la discerner : Dieu n’était, dit l’Ecriture sur la communication de Dieu à Elie, ni dans le tremblement de terre, ni dans le grand vent, ni dans le feu, mais dans un petit vent2 presque imperceptible. Vous ne sauriez donc vous tromper en faisant à chaque moment ce qui se présente à faire dans votre état et condition, et c’est l’ordre de Dieu sur vous.

4. Il s’agit à présent de changer d’état, et cela a besoin d’un conseil plus marqué, j’en conviens. Et je croyais vous avoir donné le conseil le plus juste, mais l’occupation de l’avenir a fait que vous ne l’avez pas remarqué. C’était premièrement que la solitude était contraire à votre tempérament et que vous souffririez encore plus de tentations [en] étant hors de vos emplois que dans vos emplois : c’est tout dire. Je vous avais mandé de plus que, si vous aviez assez de courage pour supporter l’épreuve du Seigneur, vous demeurassiez dans le célibat, sans songer à vous marier. Mais je vous avais prié en même temps de vous exposer devant Dieu dans un entier dégagement de toutes pensées, de toute inclination, de tous penchants, afin que Dieu pût vous incliner du côté qu’il Lui plairait. Il fallait pour cela ne songer qu’au moment présent. Au lieu de cela, vous vous êtes laissé gagner au raisonnement pour l’avenir, — vous vous êtes embarrassé l’esprit de ce qu’il faudrait faire, — que si vous restez dans les charges, il faut vous marier pour une infinité de raisons.

Si Dieu voulait un mariage de vous, étant abandonné à Lui et vous laissant au moment divin, ne voulant que Sa gloire, Il aurait préparé Lui-même les choses, vous laissant trouver, lorsque vous y penseriez le moins, une femme selon Son cœur. Si Dieu ne veut de vous qu’un nombre de domestiques [sic], il vous en fera trouver de convenables. Et quand même vous auriez quelque chose à souffrir, qu’importe ? L’abandon au moment présent règle toutes vos difficultés. Que si vous n’avez pas assez de courage pour porter l’état d’épreuve où Dieu vous tient, et que Dieu vous donne une femme, ce sera à cause de votre faiblesse. Il faut vous défier de vous-même, mais ne vous défiez jamais de Dieu.

5. Choisissez des deux partis, de celui où vous êtes ou de celui qu’on vous offre, celui où vous serez le moins embarrassé, où vous aurez plus de moyen de servir Dieu, et enfin où Il vous inclinera le plus. Dieu vous a mis où vous êtes sans l’avoir cherché, vous connaissez votre Maître et vous êtes connu de Lui. Il faut que la même Providence vous en tire, ou que vous soyez assuré d’avoir moins d’occupation auprès de ***. Laissez-vous donc conduire à Dieu, je vous en prie. Mais comment connaîtrez-vous ce que Dieu veut, si vous vous occupez de l’avenir, et entassez raisons sur raisons dans votre esprit, si vous vous laissez en proie aux réflexions ? Le parfait abandonné bannit tout cela, et ne songe qu’à faire à chaque moment ce qui lui est marqué par la Providence. Ce moment devient éternel, il met l’âme dans une certaine stabilité qu’on ne peut avoir sans cela, et dans un grand repos d’esprit.

6. Quand on dit qu’il n’y a aucune certitude en cette vie, on l’entend d’une certitude absolue de faire la volonté de Dieu. Mais moins je suis certaine en moi, plus je suis assurée, par la foi et par l’abandon, à Celui qui voyant le désir sincère que j’ai de faire Sa sainte volonté, me la fait faire infailliblement, quoique d’une manière cachée, car de vouloir qu’à tous les instants du jour pour chaque action indifférente vous ayez une certitude, cela est impossible. Allez bonnement, confidemment, et vous irez sûrement. Allez sans vous arrêter et vous amuser autour de vous. Allez par ce moment divin, qui vous fera faire incessamment la volonté de Dieu sans témoignage sensible que vous la faites. C’est un chemin sûr et raccourci, c’est le chemin de la paix. Allez toujours, jusqu’à ce que vous trouviez un chemin barré.

Je vous parle, mon cher frère, simplement, ne pouvant faire autrement. Je ne vous fais point d’excuse : cela est indigne de Dieu. Je puis vous assurer que vous ne m’incommoderez jamais. Laissez avec simplicité de cœur les livres dont vous citez les endroits, sans trop raisonner : Dieu vous en donnera l’intelligence. Croyez-moi en Lui pleine d’intérêt pour Sa gloire en vous, afin qu’Il achève Son œuvre. Amen, Jésus !

7. Je dois encore vous dire pour votre consolation que lorsqu’une âme est déterminée d’être à Dieu comme la vôtre, qu’elle a travaillé à renoncer à sa propre volonté et qu’elle est par ordre de Dieu dans un état, tout ce qu’elle fait à chaque moment dans cet ordre où Dieu l’a mise, je dis que cette âme fait alors infailliblement la volonté de Dieu, même dans les moindres choses de son état, quelques petites qu’elles paraissent. Car l’homme s’étant faussement persuadé que la volonté de Dieu doit être dans des choses extraordinaires, ou marquée volonté de Dieu par des signes singuliers [sic], la cherche toujours où elle n’est pas pour lui et ne la cherche pas dans les choses où elle est, qui sont celles qui sont naturellement dans son ordre, même les plus petites et naturelles dans l’état où Il nous a mis. Et faute de faire usage du moment divin, on passe toute sa vie à chercher la volonté de Dieu, lorsqu’on l’a par cet ordre divin aussi facilement que l’air qu’on respire.

8. Lorsque vous serez assuré de cela, du moins que vous le croirez sur l’assurance qu’on vous en donne, vous vous trouverez dans un pays nouveau et serez changé en un autre homme ; et au lieu de chercher loin de vous ce que vous avez tout proche, vous ferez usage de ce que vous avez. Il me semble, mon cher frère, que vous faites comme Agar3, qui cherchait de l’eau, étant proche de la fontaine, ce qu’elle n’aperçut que lorsque l’ange lui eut ouvert les yeux. Je souhaite être cet ange pour vous. Désaltérez-vous à cette fontaine du moment divin, et si vous êtes assez heureux pour passer en Dieu et vous y perdre dès cette vie, vous verrez que ce même moment, qui vous doit être à présent volonté de Dieu, vous sera Dieu.

9. Il serait aisé de vous faire voir comment les événements extraordinaires de la Providence viennent comme naturellement. Nous le voyons en Jésus-Christ, où, après cette solennelle ambassade de l’ange pour la réconciliation de l’homme avec Dieu par l’incarnation du Verbe, le reste arrive comme naturellement, quoique très surnaturellement et par un ordre tout divin. La Sainte Vierge ne choisit point l’étable par humilité pour mettre au monde ce Dieu-enfant, ni pour le faire naître en Bethléem, ce qui était ordonné de toute éternité, selon que l’Ecriture l’avait manifestement déclaré, comme il devait venir de David et naître dans sa ville : Bethleem, tu n’es pas la plus petite des villes de Juda, puisque de toi doit naître le Sauveur d’Israël4. Comment cela se fait-il ? Dieu n’envoie point d’ange pour dire : « Allez en Bethléem : mon fils y doit naître », mais Il Se sert d’un ordre extérieur de l’empereur, par où il fallait que tous ceux de la maison et race de David allassent s’y faire inscrire. La pauvreté de Marie, jointe à la prodigieuse quantité de monde qui arrivait en Bethléem, obligea Marie et Joseph de se retirer dans une étable, n’ayant pas d’autre lieu et [Marie] étant pressée par le terme de mettre au monde ce Sauveur de tous les hommes.

10. Convainquez-vous donc une bonne fois que pour faire la volonté de Dieu, il ne faut point chercher les choses extraordinaires, mais suivre l’ordre immuable de Sa Providence. De croire qu’une personne éclairée de la lumière de Dieu le sera toujours pour vous conduire extraordinairement et pour démêler Sa volonté dans tous les événements, c’est ce qui ne se trouvera jamais dans une personne droite, qui ne veut pas donner sa propre pensée pour une révélation de Dieu. Car il y a des personnes qui, parce que Dieu leur a fait connaître la vérité de certaines choses, pensent qu’il faut qu’Il la leur fasse toujours connaître de même, et qui appréhendent qu’on les croie moins à s’ilsa ne se servent pas à tort et à travers de leurs pensées pour la signifier. Ceux qui demandent la volonté de Dieu veulent de même qu’on la leur dise toujours de cette sorte, mais ces personnes sont facilement trompées du diable. Nous voyons qu’Elisée dit à Giézi : Laissez venir cette Sulamite : Dieu m’a caché son affliction5. La Sainte Vierge cherche son cher fils partout6, Dieu lui ayant caché qu’il fût dans le Temple. Jésus-Christ laissant agir en Lui le mouvement naturel de la faim, cherche des figues et n’en trouve point7, et mille autres choses de cette nature. Contentons-nous du moment divin.

Enfin le plus sûr est de vous tenir en la présence de Dieu sans choix, penchant ni inclination. J’espère que Dieu inclinera la balance selon Sa sainte volonté. Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu8, qui est mort il y a plusieurs années : il était ami de monsieur de Bernières, et il a été mon directeur dans ma jeunesse.

[Cette lettre suivait immédiatement dans l’édition par Dutoit, v. nos explications qui suivent l’indication des sources.]

11. Une âme abandonnée est en la main de Dieu comme un enfant entre les mains de sa nourrice qui le tient par la lisière : elle le laisse jouer avec les autres enfants, aller et venir, le tenant toujours néanmoins d’une manière que souvent l’enfant n’aperçoit pas qu’on tienne sa lisière ; mais si cet enfant fait un faux pas, il s’aperçoit alors qu’il est soutenu par la main de sa nourrice, qui l’empêche de tomber. Il court dans un chemin uni ; sa nourrice le suit et le tient, ce semble, très faiblement et comme par jeu ; mais s’il veut aller de côté ou d’autre et qu’il prenne un mauvais chemin, alors elle se sert avec force de la lisière pour le faire retourner d’un autre côté : c’est de cette manière que, comme dit l’Ecriture9, nos âmes sont en la main de Dieu. Dieu nous laisse faire toutes les fonctions naturelles de notre état lorsque nous sommes véritablement abandonnés à lui, et même Il prend plaisir à nous les voir faire, puisque c’est Lui qui nous a menés dans ce chemin, comme la nourrice y a conduit ou porté l’enfant. Ce chemin est l’état ou la condition où on nous a mis : Il nous laisse suivre la droite raison et faire de moment à autre ce qui doit remplir ce même état, cet emploi ou cette condition, selon l’ordre de Sa Providence, mais sitôt que nous nous égarons le moins du monde, Il nous donne un coup de houlette, comme il est dit du bon pasteur ; ou plutôt Il nous retire par la lisière et nous fait prendre un autre chemin. Il nous soutient lorsque nous bronchons. On ne s’aperçoit que dans les occasions importantes qu’Il nous tient et nous conduit : du reste il nous laisse agir, ce semble, tout naturellement, comme la nourrice laisse jouer l’enfant, le tenant toujours néanmoins ; mais remarquez qu’il ne s’aperçoit de son assistance que dans le besoin pressant.

12. Cet enfant est donc en ce chemin parce que sa nourrice l’y a mené, comme nous sommes dans un état que nous n’avons pas choisi par caprice, mais par l’ordre de Dieu. Nous sommes en Sa main autant que nous Lui sommes abandonnés. Il nous laisse agir, aller, venir, sans nous dire sans cesse : C’est Moi qui vous conduisb, sans même que nous fassions réflexion à cette conduite et sans que nous nous disions sans cesse : Est-ce Dieu qui me conduit ? Il Lui est plus glorieux de s’en fier à Lui sans toutes ces attentions. Le petit enfant ne regarde pas sans cesse si sa nourrice le tient : il s’en fie à elle et la trouve au besoin, comme l’Ecriture nous assure que les yeux et le cœur de Dieu sont appliqués sur l’âme simple et qui se fie à lui10. L’enfant marche confidemment, parce qu’il marche simplement, sans attention et sans retour ; la nourrice semble l’oublier et s’appliquer à d’autres fonctions, mais elle ne fut jamais plus attentive qu’alors. Dieu semble quelquefois nous oublier, et c’est alors qu’Il nous conduit par tout le soin de Sa Providence.

13. C’est pour cela qu’il est si avantageux de s’en fier à Lui et de nous oublier nous-mêmes : plus nous nous oublions, plus même nous espérons contre l’espérance, plus nous nous confions sans sujet sensible de nous confier ; plus sommes-nous en assurance, comme la nourrice prend d’autant plus de soin de l’enfant qu’il est moins en état de se soigner soi-même, et qu’il est plus abandonné entre ses mains. Lorsque l’enfant est mené par sa nourrice, il ne retourne pas incessamment la tête pour voir si elle le conduit, il ne s’en informe pas, mais se laisse à son soin, sans souci de soi, et dans un entier oubli de ce qui le conservec. Lorsque l’enfant, devenant plus grand, sort de cette première simplicité, et qu’il ne veut pas que sa nourrice le tienne par la lisière11, qu’il crie et se dépite, et qu’il veut marcher seul, la nourrice le laisse faire pour le corriger ; et alors il tombe et se blesse. Lorsque nous voulons nous servir de notre raisonnement, nous sortons de la simple et petite enfance et de l’abandon entre les mains de Dieu, et c’est alors que nous faisons de faux pas, que nous tombons même. Et nos chutes nous sont utiles pour nous faire retourner dans la voie de l’abandon, dans la défiance de nous-mêmes, rentrer dans la simplicité enfantine, nous fier à Dieu au-dessus de toutes nos vues, pensées et raisonnements.

14. Dieu nous laisse faire de fausses démarches, parce que nous nous sommes retirés de l’abandon, que nous avons voulu trop d’assurance, que nous nous sommes livrés trop à notre raisonnement. Ce raisonnement rend la conscience perplexe et timide12, comme nous voyons cet enfant, qui s’est retiré de la main de sa nourrice, aller d’un pas chancelant et timide, tomber ensuite, au lieu que lorsqu’il était mené par la lisière et qu’il se laissait entre les mains de sa nourrice, il courait de toutes ses petites forces, badinait et jouait dans sa simplicité. Il faut aller à Dieu avec un cœur étendu, plein de confiance : la simplicité et l’abandon dilatent le cœur. David disait : Lorsque Vous aurez étendu mon cœur, je courrai dans les voies de Vos préceptes13.

15. La crainte, l’hésitation, le doute, resserrent d’autant plus le cœur que la simplicité le dilate, parce que Dieu est simple avec le simple. Celui-là est simple qui se confie absolument à Dieu, et qui ne s’imagine pas même que sa confiance puisse être d’issue : c’est celui-là qui plaît à Dieu, au lieu que la défiance lui déplaît beaucoup. C’est avoir de la défiance que de s’inquiéter pour soi-même. C’est traiter Dieu plus mal qu’on ne ferait [d’] un très honnête homme, car lorsqu’on le croit tel et habile, nous lui remettons nos affaires entre les mains et nous vivons en assurance, persuadés qu’elles ne peuvent mal aller puisqu’il en prend soin. Cette confiance l’oblige à redoubler ses soins, au lieu qu’une défiance marquée par un trop grand soin de voir comme il conduit notre affaire, lui déplairait beaucoup et la lui ferait négliger.

16. Ayons des sentiments du Seigneur dignes de Sa bonté14, ne nous défions jamais de Lui : Il ne nous trompera pas. Rien ne m’afflige plus que la défiance. N’est-ce pas se défier que de vouloir des certitudes ? C’est pourquoi Jésus-Christ aimait les enfants et nous assurait que le royaume des cieux était pour ceux qui leur ressemblait15. Il n’y a rien de plus abandonné qu’un enfant : il se laisse nourrir, conduire et gouverner, n’ayant non plus de soin ni de souci de soi-même que s’il n’était pas au monde. Ô si nous étions de cette sorte, que nous serions chers à Dieu ! Je vous souhaite tout à Lui sans réserve. À Dieu.

Lettre d’un grand serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente, sur la même matière, et de l’état où l’on trouve que Dieu est toutes choses en toutd.

Notre Seigneur m’a donné une si forte pensée de vous écrire […]

– Dutoit, t. IV, Lettre 121, p. 409-428, et lettre suivante, p. 428-462, « d’un grand serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente… ». On a rétabli cette lettre suivante, jointe par Madame Guyon à son envoi à Metternich, dans la correspondance passive reçue de Bertot, v. plus haut. Elle va de « 1. Notre Seigneur… » à « 20. … comprendre ». Sa suite, éditée dans Le Directeur Mystique, III, Lettre 67, sigle §§§, à partir du § 22 [sic : il manque le § 21 !] « Il me vient en pensée… ». Reproduite également plus haut en correspondance passive, elle ne faisait pas partie de l’envoi au baron de Metternich. Exceptionnellement nous conservons ici, dans cette première lettre très longue, la numérotation des paragraphes typique des éditions Poiret-Dutoit.

acroient moins à [421] s’ils D nous corrigeons ce qui semble être un oubli en supprimant le à

bItaliques de Dutoit.

c « peut-être concerne » Poiret.

dAjout en italiques avec l’annotation suivante : « C’était un Saint Gentil-homme nommé Monsieur Bertot, dont on a plusieurs autres Lettres qui n’ont pas encore été rendues publiques. » D

1 Matthieu, 6, 34. 2III Rois, 19, 11-12.

3 Genèse, 21, 19. 4Michée, 5, 2.

5IV Rois, 4, 27. 6 Luc, 2, 44.

7 Matthieu, 21, 18-19. 8 « M. Bertot » D.

9 Ps., 30, 16. 10 Ps., 32, 18.

11 Bande d’étoffe attachée au vêtement d’un enfant, v. glossaire.

12peureuse. V. Glossaire. 13 Ps., 118, 32.

14 Sagesse, 1, 1. 15 Marc, 10, 14.

Au baron de Metternich.

Qui ambulat simpliciter, ambulat confidenter1. Je vous assure, mon cher frère, que votre lettre m’a un peu surprise, ne comprenant pas qu’un homme qui est à Dieu depuis si longtemps, s’arrête à tant de minuties, et veuille avoir des certitudes sur les plus petites bagatelles et sur les choses les plus ordinaires et les plus naturelles. Il faut avoir une intention droite de ne vouloir que Dieu et n’agir que pour Lui, sans qu’il soit nécessaire d’avoir cette application actuelle et continuelle pour les petites choses de la vie. Vous agissez avec Dieu comme on fait avec les hommes de chicane, qui vous font un procès sur la moindre syllabe qui n’est pas bien expliquée. Dieu ne voit-Il pas le fond du cœur, et où tendent tous nos désirs ? Dieu veut vous tirer de vous-même, et vous vous y appliquez sans fin ! Comment peut-on marcher par la foi nue, et vouloir avoir continuellement un flambeau qui nous éclaire ? La foi nue et la certitude sont deux choses plus opposées que le ciel n’est à la terre. Marchez donc continuellement, sans vous tant regarder vous-même. Il faut commencer par remplir les devoirs de votre état, et pour toutes les autres actions qui sont indifférentes, il faut agir bonnement et simplement, aller toujours son chemin, jusqu’à ce que vous rencontriez le chemin bouché : alors vous suivrez le sentier que vous trouvez, de quelque côté qu’il vous mène.

Vous dites que vous voulez être abandonné à Dieu, et [cependant] a vous voulez qu’à chaque pas Il vous rende raison des lieux où Il vous mène, et pourquoi Il vous y mène. Vous ne feriez pas ce tort à un guide que vous croiriez honnête homme : vous vous laisseriez conduire.

Votre première question est plus curieuse qu’utile. On pourrait donner trois lignes pour connaître si une âme est perdue en Dieu : une entière désappropriation, une impuissance de vouloir, un amour pur sans intérêt. J’ai tant écrit de cela qu’il n’est pas nécessaire d’en dire davantage.

Pour votre seconde difficulté, quand il s’agit ou de changement d’état ou de quelque chose de conséquence, il faut consulter Dieu et vos amis que vous croyez les plus éclairés. Quand plusieurs choses se présentent à faire, il faut faire bonnement celles que vous croyez les plus pressées. Mais de croire avoir [là-dessus] a une certitude entière de la volonté de Dieu, c’est ce que vous n’aurez jamais : cela est trop contraire à l’abandon et à la simplicité. Tout le dessein de Dieu est de tirer les âmes d’elles-mêmes et de leur propre raison ; et vous vous y enfoncez toujours plus par vos raisonnements, qu’il faut laisser tomber absolument, sans quoi on demeure toujours indéterminé, plein de soi-même, rempli de tours et de retours, flottant et incertain, au lieu que, par l’abandon et la simplicité, on marche avec une aisance tout entière. Toute connaissance de la volonté de Dieu est faible quand nous voulons l’avoir par nous-mêmes. Mais l’abandon entre les mains de Dieu avec une grande simplicité est ce qu’il y a de plus assuré en cette vie, parce que nous ne nous appuyons ni sur aucune vue, ni sur aucune connaissance, ni sur aucune certitude, mais sur Dieu même, que nous voulons aimer de tout notre cœur et auquel nous nous abandonnons sans réserve. Dieu prend soin invariablement de l’âme qui se confie entièrement à Lui. Mais il faut une fois être persuadé que Sa conduite sur nous est infiniment différente de toutes nos vues. Il le dit Lui-même : Vos voies ne sont pas Mes voies, et autant que le ciel est éloigné de la terre, autant Mes vues et Mes pensées sont différentes des vôtres2. Ne croyez pas que j’entreprenne de répondre à tous vos raisonnements : cela ne servirait qu’à les entretenir, et je voudrais de tout mon cœur les faire tomber.

Pour la troisième difficulté : la règle de ne se point occuper de l’avenir est toujours certaine car, quand il arriverait quelque accident, soit par la guerre ou autrement, sans m’en occuper je prends mon parti dans le moment qu’il faut se déterminer, et j’agis simplement. Par exemple, il est permis, et même conseillé, aux disciples dans la persécution de fuir d’un lieu à un autre3. Cependant dans le moment présent de la persécution, il y en a eu une infinité qui sont restés dans le lieu où ils étaient exposés à toute la tyrannie des hommes, il y en a eu qui se sont présentés eux-mêmes lorsqu’on ne les cherchait pas. D’où vient cette différence ? C’est que les uns et les autres ont suivi dans le moment actuel ce que Dieu leur mettait au cœur. Les uns s’en allaient, craignant leur faiblesse, et faisaient souvent en cela un acte de grande humilité. D’autres au contraire, par un vif sentiment d’amour de Dieu et un goût extraordinaire que Dieu leur donnait pour la souffrance, se livraient avec joie. Les uns et les autres faisaient la volonté de Dieu, et Dieu le faisait assez connaître dans la force extraordinaire qu’Il leur donnait, aux uns pour supporter une privation générale des choses les plus nécessaires à la vie, aux autres, mourant avec un courage qui ne pouvait venir que de Dieu. Nous ne trouverons jamais notre force en nous occupant des événements à venir et de nous-mêmes, mais en nous résignant totalement entre les mains de Dieu pour fuir ou rester. Et je dois vous avertir que, quand on prévient le moment actuel, qui est celui où Dieu détermine, on passerait des années à penser, et à prier même, sans se trouver déterminé pour rien. Quand je parle du moment actuel, je veux dire le temps où l’on est obligé de se déterminer. J’éprouve même que, quand on me demande des avis anticipés sur les choses extérieures, ou qui ne regardent pas l’état présent de l’âme, Dieu ne me donne rien pour répondre.

Pour la quatrième difficulté : les inspirations de Dieu sont très délicates, mais quand il y a une nécessité absolue de se déterminer dans l’instant pour les choses de conséquence, Dieu incline le cœur ou Il y excite un petit trouble secret, qui est une marque que Dieu ne veut pas ce que nous allons faire. Mais qui voudrait étendre cela sur les minuties, tomberait insensiblement dans un fanatisme. D’ailleurs, quand on parle de la délicatesse des inspirations, c’est plus pour les choses intérieures que pour ce qui regarde les actions journalières d’une personne qui se conduit par la droite raison et par la crainte du Seigneur.

Pour votre septième question : l’auteur de la lettre que vous avez vue, écrivait à des femmes mariées qui, pour suivre le goût de leur dévotion, passaient une grande partie de leur temps à l’église ou dans des œuvres de piété, ne mesurant la valeur des choses que selon leurs idées, et par là négligeaient souvent leurs familles, dont il arrivait des inconvénients fâcheux. L’ordre de Dieu sur ces personnes était de satisfaire au devoir de leur état par obéissance à leurs maris et par l’éducation de leurs enfants, etc.. J’ai tant écris là-dessus qu’il y a assez de quoi vous en éclaircir. Mais je m’aperçois qu’il y a beaucoup de curiosité dans vos demandes, quoiqu’il soit absolument nécessaire de mourir à toutes les curiosités de l’esprit pour parvenir à cette pauvreté spirituelle dont Jésus-Christ fait la première et la principale des béatitudes. Je vous assure que si vous ne mourez à tout cela, vous resterez toujours entortillé en vous-même.

Pour votre huitième difficulté, ce que j’entends par « vivre sans réflexion », c’est sans retour sur nous-mêmes, ce qui n’empêche pas d’adorer et de bénir Dieu selon l’état de l’âme. Les uns le font d’une manière marquée et distincte, parce qu’ils sont encore en état d’agir de cette manière-là, les autres le font par un acte direct, simple et non réfléchi, qui comprend éminemment la première manière ; d’autres le font encore d’une manière plus épurée. En tant que l’âme est le principe de son opération, elle connaît ses actes propres. Mais en tant que Dieu en est le principe, Il dérobe tout à sa vue : cet état est bien plus parfait, et n’est point celui d’une machine, en étant infiniment éloigné, et même au-dessus de l’homme.

Il y a deux manières de présence de Dieu, sans y comprendre la virtuelle dont vous parlez : une que nous faisons nous-mêmes et que vous nommez fort bien actuelle, qui est une attention respectueuse à Dieu ; il n’est pas possible d’avoir celle-là sans s’en apercevoir. Il y en a une autre que Dieu imprime Lui-même dans l’intime de l’âme ou dans le fond de la volonté. Comme c’est Dieu qui en est l’auteur, il ne dépend pas de nous de l’apercevoir ou de ne l’apercevoir pas. Quelquefois elle se fait goûter d’une manière qui est aperçue, d’autres fois plus simple, d’autres fois sèche, mais toujours paisible, d’autres fois d’une manière si pure et si intime que l’âme n’en découvre rien, parce qu’elle n’y réfléchit pas même. Et je doute que la réflexion puisse y atteindre, parce qu’elle est dans le plus pur et le plus intime de l’âme. Si on voulait y faire attention, on pourrait le connaître par l’égale tranquillité de l’âme, qui dans la sécheresse est plutôt un non-trouble qu’une paix goûtée et aperçue, et ce peut bien être de cette sorte de présence dont Jésus-Christ parlait à Nicodème lorsqu’Il disait : L’esprit souffle où il veut. Et vous ne savez d’où il vient ni où il va4. Ce qui est soutenu par ce passage de saint Bernard dans son Explication des Cantiques5, où il dit, parlant de l’opération du Verbe d’une manière aperçue : « Je ne sais, ô divin Verbe, par où vous entrez dans mon âme, car je vous trouve intimement présent. Je ne sais aussi par où vous en sortez et vous retirez, car tous mes efforts ne pourraient pas me donner ce que j’éprouve dans cette admirable visite. » C’est donc cette présence-là qui ne dépend point de nous, et qui est très réelle, et qui devient à la suite invariable, quoique non toujours aperçue. Elle l’est [pourtant] souventes fois, mais c’est lorsque ce qui est dans le centre ou intime de l’âme se répand par la volonté de Dieu jusque sur les puissances, ce qui est dans le centre étant trop pur pour tomber sous notre discernement.

Vous me demandez la différence qu’il y a des puissances au centre, quoique ce ne soit qu’une seule et même âme. Les puissances ont leur opération différente, et il n’y a personne qui ignore qu’autre est l’acte de l’entendement, et [autre] celui de la volonté. Or comme la volonté est la souveraine des autres et qu’elle a tout pouvoir sur elles, à force de les rassembler et de les recueillir en elle par un certain goût plus fort ou plus simple, que Dieu verse dans la volonté, elle les attire de telle sorte, qu’elle semble les perdre en elle : alors la réunion de ces puissances attire une autre union, qui est celle de Dieu, qui S’unit à l’âme par le moyen de la volonté, et c’est alors que l’amour sacré fait ce passage admirable de notre âme en Dieu. Il n’est plus alors de distinction de puissances pour les fonctions intérieures, (car je ne parle pas de fonctions extérieures,) c’est alors que l’âme est faite un même esprit avec Dieu6.

Notez bien que cela ne se fait point par la voie de l’esprit ni de l’entendement, mais par la volonté, qui est, comme je dis, transformée en charité. Alors l’opération de l’âme est comme mystiquement anéantie pour donner lieu à l’opération de Dieu. Or comme Dieu est un être très simple, tout ce qu’Il fait et opère immédiatement est si pur, si simple, si net, que non seulement nos sens grossiers n’en discernent rien, mais même les puissances, Dieu leur cachant ce qu’Il opère afin qu’elles ne s’en mêlent pas. Tout ce qui se passe dans les puissances se passe dans la capacité propre de l’âme. Mais ce que Dieu fait de la sorte est hors de la capacité de l’âme, étant plus grand qu’elle. C’est pourquoi Dieu la perd en Lui afin d’opérer selon ce qu’Il est, c’est-à-dire simplicité et nudité. Vous voyez que cela est fort différent de l’idée que vous vous êtes faite. L’homme ne parviendra jamais à cela qu’en se laissant détruire à Dieu, en quittant ses propres raisonnements et sa manière de concevoir les choses. Il faut perdre notre première forme pour en reprendre une autre, ce que saint Paul appelle quitter le vieil homme7.

En voilà plus que vous n’en aviez besoin présentement, et si vous voulez bien faire usage de ce que l’on vous a mandé jusqu’ici, vous verrez que vous avez de la besogne taillée pour longtemps. Je vous prie de vous abstenir autant que vous pourrez de tout raisonnement et de toute curiosité, ce qui vous nuirait infiniment et vous empêcherait d’arriver où Dieu vous veut. Pour les besoins actuels, je vous y répondrai toujours avec joie, mais pour la curiosité et le raisonnement, je ne le ferai pas, car cela vous nuirait.

– Dutoit, t. IV, Lettre 123, p. 463.

aCrochets de Dutoit qui s’avèrent en fait peu utiles, comme ceux qui suivent.

1 « Prov., 10, 9. Qui marche en simplicité marche en assurance. » D.

2 Isaïe, 55, 8-9.

3 Matthieu, 10, 23.

4 Jean, 3, 8.

5 « Par où est-il donc survenu ? Par où est-il donc survenu ? Faut-il croire qu’il n’est pas entré du tout et qu’il ne vient pas du dehors ? Il n’est pas, en effet, du nombre des choses extérieures. Mais d’autre part il ne saurait venir du dedans de moi, puisqu’il est bon… » p. 766 de la trad. moderne d’A. Béguin, Saint Bernard, Œuvres mystiques, Seuil, 1953.

6 Jean, 17, 22-23 & I Cor., 6, 17.

7 Ephésiens, 4, 22.

Au baron de Metternich.

Pour ce qui regarde la sortie de soi, on n’y parvient que par le continuel renoncement à soi-même. À force de se renoncer, on vient au point de se quitter insensiblement soi-même. Tauler demandant au mendiant où il avait trouvé Dieu, il lui dit que c’était où il s’était quitté soi-même1. Le fidèle renoncement vous en apprendra plus là-dessus que je ne puis vous en dire.

Pour ce qui est de ce que vous me dites de cette occupation de cœur de la présence de Dieu, vous n’avez pas encore bien compris que plus cette présence et occupation se concentre, plus elle devient imperceptible. Tant que Dieu nous la fait goûter, il faut conserver ce baume, comme vous faites fort bien. Vous voyez bien que Dieu ne Se retire pas pour les occupations extérieures, puisque vous Le retrouvez toujours au même endroit. Tout ce qui est d’ordre de Dieu pour les occupations extérieures, quoiqu’elles semblent distraire nos sens, ne fait rien du tout au fond. Conservez cette occupation perceptible tant que Dieu vous la laissera. C’est une remarque que vous en avez besoin, Dieu vous exerçant d’une autre sorte (que par vous en priver) a, mais il faut la conserver sans attache, en sorte que, quand il plaira à Dieu de vous en dépouiller, vous en soyez content. Dieu nous fait goûter l’amour, mais ce n’est pas pour ce goût que nous l’aimons. La perception du cœur est une assurance qui nous est nécessaire tant que Dieu nous la laisse pour affermir notre amour et notre foi. Quand Il l’ôte, c’est pour exercer cet amour d’une manière plus pure. C’est alors qu’Il ferme le rideau et qu’Il est pour nous un Dieu caché : Il paraît dormir2, comme dans la barque de saint Pierre, mais il n’y a rien à craindre pour nous. Ses apôtres craignirent, et voulurent Le réveiller : Il les reprend de leur peu de foi. J’espère beaucoup de votre âme, si vous êtes fidèle à vous laisser à Dieu en la manière qu’Il le voudra.

La vie de Grégoire Lopez est admirable3, mais celui qui l’a faite rapporte comme un état distinct et aperçu ce qui, selon les apparences, n’était que l’état d’un homme réuni dans le centre ; et c’était cet état de réunion qui faisait cette parfaite égalité et cet état de consistance où il a paru être, ce qui ne peut être autrement. Il y a même un endroit dans la fin de sa vie, que le père Losa n’a point compris du tout, où il dit5 que Dieu l’a réduit à manger l’herbe comme les bêtes. Il vous sera aisé d’avoir l’intelligence de cet endroit quand vous le lirez. Ce qui fait voir que, quoiqu’il fût affermi dans son don et dans une parfaite égalité, il n’avait pas cependant une perpétuelle jouissance, du moins en manière aperçue. Nous ne pouvons guère discerner de ce qui est de ces grands saints lorsque d’autres écrivent leur vie : il faudrait qu’ils l’écrivissent eux-mêmes.

– Dutoit, t. IV, Lettre 123, p. 475-478.

aProbablement un éclaircissement apporté par Dutoit. Par est à prendre au sens de pour.

1 « Colloque du Théologien Jean Tauler avec un pauvre mendiant » (v. la traduction à partir de Surius par Noël, Œuvres complètes, VII, 346 ss, Paris, 1912).

2 Matthieu, 8, 24-25.

3 V. Œuvres diverses de monsieur Arnauld d’Andilly, Paris, chez Pierre le Petit, 1675. Le tome I contient (p. 153-301) : « La Vie du Bienheureux Grégoire Lopez… écrite par François Losa curé de l’Église Cathédrale de la ville de Mexico dans la nouvelle Espagne ». Sur G. Lopez (1542-1596), Losa rapporte : « … nulles choses créées n’étaient capable de le divertir ni de le ralentir dans ce continuel acte d’amour de Dieu et du prochain qui lui était devenu comme naturel et que tant s’en faut qu’il reculât dans cette union que Dieu lui communiquait, il y avançait toujours, référant à Dieu par cet acte d’un pur amour toutes les grâces que Sa Majesté lui faisait sans s’en rien appliquer, et [il me dit] que cette union était la source et l’origine de tout ce qu’il savait, qu’ainsi c’était Dieu qui lui avait servi Lui-même de maître et non pas les livres, quoique ce lui fût une grande satisfaction de lire ce que Taulere et Rusbroch ont écrit des choses purement intérieures qu’il plaît à Dieu de communiquer. Il me dit aussi […] quelle était cette union par l’exemple de celle qui se rencontre entre la lumière et l’air […] deux choses distinctes tellement unies que Dieu seul est capable de les distinguer. » p. 258.

5 « chapitre 25 vers la fin » D.

Au baron de Metternich.

Je vous ai déjà écrit, mon très cher frère, sur le mariage. Je n’aurais guère de choses plus particulières à vous mander sinon, sur la description que vous me faites de la personne, de prendre trois ou quatre mois pour prier Dieu de vous faire connaître Sa volonté. Prenez garde que la chair et le sang ne s’en mêlent point. Si Dieu, pendant ce temps-là, vous donne une pente douce et tranquille du cœur pour exécuter ce mariage, faites-le. Mais qu’il n’y entre aucune considération humaine telle qu’elle puisse être, ni des autres, ni de vous-même. Quand vous aurez pratiqué ceci durant le temps que je vous marque, mandez-moi en simplicité de cœur vos dispositions. Et je vous manderai ma pensée, si je suis encore en vie. Je pensais mourir depuis peu d’un catarrhe qui m’est tombé sur la poitrine.

Je souhaite de vous voir tout à Dieu en la manière qu’Il veut. Souvenez-vous seulement d’un passage de l’Ecriture, qui ne semble pas avoir du rapport à votre affaire, et à qui j’en trouve cependant : Les Juifs demandèrent un roi, et Samuel fut fort touché de cela. Dieu le consola en lui disant : ce n’est pas toi qu’ils ont rejeté, mais c’est Moi. Afin que Je ne règne point sur Israël. Cependant contente ce peuple1. Dieu eut la bonté Lui-même de leur choisir un roi et il ne parut point qu’Il fût fâché contre eux pour cela. Au contraire, Il leur donna après celui-là l’homme selon son cœur, qui était David. Ainsi, mon cher frère, observez ce que je vous dis là. Et si Dieu me laisse encore en vie, je prendrai la petite fiole de Samuel pour la verser sur vos têtes. Vous m’êtes infiniment cher en Jésus-Christ.

Vous avez sans doute appris la perte que nous venons de faire par la mort de N.2 Mais il est présentement dans le sein de Dieu. Il est plus que jamais avec nous si nous savions le trouver dans notre centre commun. Pour moi, je le trouve plus que jamais présent à mon cœur. Je ne puis croire que je l’ai perdu. Je lui parle, et je le prie de prier le divin petit Maître d’avancer Son règne. Unissez-vous à lui : il connaît vos infirmités, et vous procurera de grands secours. C’était un martyr du pur amour, caché au monde par ce qu’il admirait le plus en lui, caché aux âmes pieuses mêmes par ce qu’elles condamnaient en lui comme une faiblesse, mais qui était un effet de la plus pure abnégation.

– Dutoit, t. IV, Lettre 129, p. 510.

1I Rois, 8, 7.

2 Fénelon.

Au baron de Metternich.

Mon cher frère. Je me sers de la main du pauvre N., qui m’est venu rendre une visite, parce qu’outre mes maux ordinaires, j’ai encore la fièvre. C’est un ami sûr et fidèle. Je vous dirai, pour ce qui regarde vos peines et vos tentations, qu’il y a bien des choses qui paraissent volontaires, et qui ne sont néanmoins ni volontaires ni libres. Dieu livre souvent l’extérieur au démon pour purifier l’âme. De peur que saint Paul ne s’élevât pour ses grandes révélations, Dieu lui donna un ange de Satan.

Les uns aperçoivent le démon, et cela leur est un grand appui, quoiqu’ils souffrent beaucoup. En d’autres, cela paraît comme tout naturel. Quand Dieu livra Job au démon, Il ne le lui fit point apercevoir1. Mais une troupe de Chaldéens et d’autres voleurs lui enlevèrent ses bestiaux : cela parut une chose toute naturelle. Un grand vent, comme une espèce d’ouragan, ébranle et abat sa maison, ses enfants sont écrasés dessous : on n’y voit point la main du démon. Il est ensuite frappé d’une plaie depuis la tête jusqu’aux pieds : il ne regarde pas cela comme un ouvrage du démon, mais comme une épreuve de Dieu. Dieu a pourtant voulu que nous sussions que le démon avait fait toutes ces choses, quoiqu’il n’en soit point parlé dans tous les discours de Job. Afin de nous faire comprendre qu’Il livrait souvent le dehors au démon, mais qu’Il lui défendait de toucher à notre âme. Qu’est-ce que de ne pas toucher à l’âme de celui qui est éprouvé ? C’est de ne pas détourner sa volonté de Dieu. Vous savez que saint Paul dit: qu’il livrait à Satan le Corinthien pour sauver son âme.

Votre disposition intérieure serait toute propre à rassurer ceux qui cherchent de l’assurance. Mais nous n’en voulons point d’autre que d’être la victime de la justice de Dieu en cette vie, et même en l’autre si telle était Sa volonté. La justice de Dieu est toujours aimable, toujours adorable. Et c’est elle qui s’exerce sur ceux qui veulent être véritablement à Dieu. La plénitude de l’ire de Dieu est pour les réprouvés, et Sa justice pour les enfants du Seigneur.

Dieu m’a fait la miséricorde de me trouver quelquefois à point nommé pour assister de pauvres âmes prêtes à se désespérer, ce qui arrive souvent lorsqu’on ne trouve pas des personnes qui entendent les voies secrètes de Dieu. Cela cause une aliénation dans leurs esprits, disant qu’ils aiment mieux mourir que d’offenser Dieu, et ils ne voient pas que le plus grand des péchés est de se défaire soi-même. Ceux qui sont le plus à plaindre sont ceux dont l’œil intérieur est tellement obscurci par le défaut de foi, d’abandon et d’instruction, qu’ils ne comprennent [pas ?] et ne voient point de ressource que dans le désespoir ; mais lorsqu’ils trouvent des personnes qui les portent à s’abandonner à la justice de Dieu, à espérer contre l’espérance même, ils entrent dans une véritable paix et leur intérieur change en un moment. Ils comprennent alors que c’est eux-mêmes qu’ils regrettent, que c’était leur amour propre et l’amour de leur propre excellence qui les jetaient dans ce désespoir, car pour Dieu, Il ne perd rien de Ses droits, Il est toujours le même, infiniment grand et heureux. Il est juste qu’Il soit toujours Dieu et que nous autres petits vers de terre, nous nous traînions le mieux que nous pouvons dans notre boue sans cesser de L’adorer et de L’aimer. Si Dieu avait permis que votre intérieur se fût obscurci avec les peines extérieures que vous avez, vous seriez bien plus à plaindre. Ce qui ne manquerait pas d’arriver si vous cessiez de vous abandonner à Lui et si vous preniez quelque moyen de vous dérober à Sa justice, ce qui, comme j’espère, ne sera pas. Car mon cœur, qui vous porte sans cesse dans le sien, serait obligé de secouer une charge si pesante.

– Dutoit, t. IV, Lettre 148, p. 570.

1 Job, 1, 6-12.

2I Cor., 5, 5.

Du baron de Metternich. 19 août 1716.

Pour ma sainte mère. À Vienne le 19août 1716.

Ma très chère mère, j’ai à répondre à trois de vos très chères lettres. Je commencerai par la dernière, qui est du 29e du mois passé, et parle du chevalier Jacques Forbes. Elle me fut rendue le 15e et comme la poste partait le même jour, il n’était pas possible de faire ce que vous nous demandez, à mon frère et moi. J’ai une grande joie, ma très chère mère, que vous ne doutez pas de nos bonnes volontés pour vous rendre, et aux enfants du petit Maître, tous les services dont nous sommes capables. C’est une bonne providence que j’aie été encore ici, autrement nous aurions perdu plus de temps. Mon frère a d’abord parlé aux deux secrétaires d’ambassade de Sa M [ajesté] britannique, qui sont ici. Ils lui ont promis tous deux, non seulement d’adresser les lettres que mon frère a écrites au ministre, le baron de Berensdorff, le comte de Bothmar, et Mylord Stanhope, et de les accompagner de leurs relations favorables, mais aussi de recommander la même affaire aux deux secrétaires d’Etat, MM. Thorensend et Stanjan. Car le Roi est à présent en Allemagne à Hanovre : nous y avons envoyé les lettres tout droit, et espérons d’en voir l’effet d’autant plus tôt. Comme mon frère a ci-devant rendu des services considérables à Sa Majesté comme Electeur, et que l’on croit peut-être qu’il lui en pourrait encore rendre, nous espérons que les ministres auront quelques égards pour l’intercession de mon frère. Et je prie Dieu de lui donner du poids pour l’amour de vous et de son bon enfant. Mon frère a dû assurer que monsieur Forbes ne se laisserait jamais plus séduire aux rébellions et sans doute que c’est là la première condition que la grâce du roi suppose1. J’envoie copie de tout à M. Pel [erin] 2 sous l’adresse que vous m’avez donnée.

Pour ce qui est de mon intérieur, je vous ai des obligations infinies, ma très chère mère, de toute la charité, indulgence et patience que vous avez pour le plus misérable et plus corrompu de tous vos enfants. Tout ce que vous me dites m’est comme un baume, me pénètre, m’encourage et m’affermit dans le repos que Dieu m’accorde dans le fond par Sa grande miséricorde. Il est vrai que Dieu me fait des grâces infinies. Là, nonobstant toutes mes ordures, Il ne m’ôte pas Sa paix ni Son oraison. [f° .1 v°] Mon âme fond de douleur, mais sans inquiétude, et je me trouve comme dans un air serein. Quand je réfléchis sur moi ou que je fixe mes pensées avec application sur quelque chose de particulier, c’est comme si une nuée se mettait devant mes yeux. Sitôt que je m’en aperçois, je laisse tout tomber, et le cœur se dilate en Son Être immense qui fait son repos et sa satisfaction, et alors c’est comme si mon cœur était diaphane et qu’une sérénité indistincte le pénétrât de tout côté sans obstacle.

Peut-être que je ne vous écris que des faussetés, mais assurément je ne voudrais le faire pour tout le monde : je ne sais pas me dépeindre autrement, et cependant je ne le sais concilier avec le bourbier où Dieu me laisse toujours par Son juste jugement pour mes péchés. Il faut bien que l’homme extérieur est une bête entièrement distincte de l’homme intérieur, comme Pordage3 le décrit si bien, et que celui-ci est plongé dans le premier comme dans un cachot plein d’ordures. Que si cela peut servir dans la main du petit Maître pour ma destruction, ô que je suis heureux ! Car c’est tout mon souhait d’être anéanti, afin qu’il ne reste que Dieu seul en moi, qu’Il Se satisfasse selon toute l’étendue de Ses desseins et qu’Il ne Se laisse pas arrêter par ma crainte et pusillanimité naturelles. Mon cœur ne quitte jamais, par Sa miséricorde, le fond général de Lui céder la place en tout et d’être à Lui seul sans réserve. Mais c’est Lui seul qui me le peut faire effectuer, et qui me peut tenir ferme par Sa main secrète. Car sans cela, que ferais-je, ma très vénérable mère ? Sans doute je me retirerais de Sa conduite et me précipiterais dans l’abîme. La nature ne pourrait pas regarder sa misère sans se vouloir aider elle-même, et il est bien vrai, ce que j’ai lu depuis peu, que c’est ici qu’un directeur expérimenté peut beaucoup. Je crois qu’il est presque impossible de faire ce passage sans une telle aide, car il renverse toute la raison, toute idée qu’on aurait et que tout le monde a de la spiritualité. Si l’on en parle, personne ne l’entend pos.a, et si l’on en voulait parler clair à quiconque n’est pas dans ce cas, il en serait extrêmement scandalisé. Il faut donc souffrir et se [vous ?] laisser juger, ma très chère mère. Si je ne vous dois beaucoup, et si je ne serais pas le plus ingrat de tout le monde, si je ne vous aimais pas par-dessus tout le monde, si Dieu daigne de faire quelque chose de cette masse [f.2 r°] corrompue, c’est à vos prières et à vos avis que j’en suis redevable. Le petit Maître Lui-même soit votre récompense dans l’éternité ! Continuez, je vous conjure, de vous intéresser pour moi, pour m’obtenir la grâce de suivre vos salutaires avis, de me laisser bien détruire et d’être véritablement un chiffon du bon Dieu, surtout aussi de demeurer ferme dans le célibat. N’est-il pas drôle qu’un homme qui a passé cinquante ans, doive tant craindre de se laisser aller au mariage, qui dans sa jeunesse se serait moqué de toutes les beautés du monde et peut-être s’en est moqué secrètement. Ah, que Dieu les a bien vengées, et qu’Il m’a bien fait sentir ma sottise et ma présomption, et qu’Il m’a châtié du tort que je Lui avais fait en ne pas reconnaissant la sagesse de Son ordonnance ! Je porterai ma peine, puisque je l’ai bien méritée, et je loue Son saint Nom en ceci aussi bien qu’en toute autre chose.

À présent je dirai aussi quelque chose de l’extérieur. Mon frère a acheté deux belles seigneuries en Bohême pour se préparer la retraite. Son fils cadet s’est fait catholique. Il témoigne en être fort content, et j’espère qu’il l’a fait par un bon motif, quoique l’achat de ces biens y ait donné l’occasion. Il l’a fait de fort bon gré, sans y être induit par crainte ou persuasion. Il est d’un bon naturel et craint Dieu. Il n’a pas envie de se pousser dans le monde, mais de s’appliquer à l’économie. Mais comme il n’a que vingt-quatre ans, on ne peut pas faire fond là-dessus. Son père paraît résolu de suivre son exemple, sitôt qu’il se pourra défaire de sa charge, et de se retirer sur ses terres. Je lui ai donné tout mon peu de capital, qui est 8000 écus blancs de France ou 24 000 livres, outre ce que j’ai en Hollande, qui sont bien 7 000 livres. Lesquels je tâcherai de retirer de là et de les employer en Allemagne à six pour cent, de sorte que j’aurai en tout 1 800 livres de rentes. Cela me suffira pour ma subsistance hors de services desquels j’espère de me défaire bientôt, si Dieu me donne la vie, c’est-à-dire dans l’année prochaine. C’est aussi alors que j’espère d’avoir le bonheur de vous voir. Mon frère m’offre sur sa terre maison et bois, si je veux vivre à part, et la table aussi, si je veux vivre avec lui. Je ne sais pas encore si je l’accepterai. L’un des obstacles est que c’est un pays tout catholique, et que je ne le sois pas. J’y pourrais bien vivre sans persécution, mais il a pourtant beaucoup de [f° .2 v°] difficultés, surtout quand on est malade ou que l’on vient à mourir.

On me dit que je dois aussi rentrer dans cette Église. Mais trois ou quatre raisons s’y opposent : (1) Je ne puis jamais croire que les conciles, beaucoup moins le Pape avec son Consistoire, soient infaillibles. Je connais trop les intrigues qui s’y sont faites, et qui s’y font tous les jours. Je ne puis donc pas mentir publiquement, disant que je le crois, en ne le croyant pas. (2) Je vois qu’il y a plus d’ouverture pour l’esprit intérieur parmi nous que parmi les catholiques, puisque nous avons plus de liberté de lire les bons livres que nous rencontrons. (3) Je fortifierais les catholiques dans l’erreur que la grâce de Dieu est uniquement attachée à leur parti. (4) Je scandaliserais les bons d’entre mon parti car je suis assez connu parmi eux, et le peu de bien que j’y puis avoir fait serait entièrement détruit, si je venais à changer de religion. (5) Je ne crois pas me devoir assujettir à la domination du clergé, après que Dieu m’a fait naître libre. Car on ne peut pas nier que ces gens-là n’exercent une grande tyrannie. Surtout (6) ils pourraient facilement avoir prise sur moi. Car j’ai publié quelques petits traités, non pas sous mon nom, mais que beaucoup de personnes pourtant jugent venir de moi. Ils pourraient facilement en apprendre quelque chose et trouver par là une occasion favorable de me persécuter. Or je ne crois pas devoir m’y exposer moi-même. Si Dieu me veut faire persécuter, Il me saura bien trouver, sans que je doive y aller au-devant. (7) Quoique l’esprit persécuteur règne assez dans toutes les sectes, il est pourtant certain qu’il est incomparablement plus dominant dans l’Église catholique. Or cet esprit ne peut pas être de Dieu. Et pour la vie, elle n’est pas meilleure parmi les catholiques que parmi les protestants. Quel bien me pourrait donc venir de ce changement de quartier ? Ainsi je crois que le meilleur est de demeurer comme je suis né, étant uni d’esprit à tous les bons d’entre les catholiques aussi bien que d’entre nous, quoique d’ailleurs tout le culte catholique ne me fasse la moindre peine et que je puisse assister à la messe avec beaucoup d’édification. Voilà, ma très chère mère, un fort grand changement qui s’est fait dans les affaires domestiques de mon frère et qui en tirera aussi après soi dans les miennes. Dieu fasse tout tourner à la gloire de Son saint nom.

Le même jour que je reçus votre précédente du 16juin, je reçus aussi avis de la bonne demoiselle que, par une conduite tout à fait déraisonnable de la dame auprès de qui elle était, elle avait été obligée et contrainte d’accepter l’offre qu’on lui avait faite d’aller à la Cour pour élever une jeune princesse. Je fus charmé de voir que vous lui donniez le même conseil, et je lui mandai cette bonne nouvelle le même jour pour sa consolation. Je ne sais pas si elle y est déjà arrivée ou non. Une très bonne âme, qui a été dix-sept ans dans la maison de mon frère et a élevé ses enfants, vous fait ses respects ; il est fort édifié par les lettres que j’ai le bonheur de recevoir de votre part, comme aussi des excellents livres, que je goûte tant. Il me dit, un de ces jours, qu’au moins il était revenu de son zèle contre l’Epître aux Romains, qu’il ne pouvait nullement souffrir, tellement qu’il voulait se faire relier un Nouveau Testament où cette Epître fût retranchée. Je suis tout à vous.

– A.S.-S., Pièce 7428.

apos. : positivement ? ou bien pas ? mais le point pose alors problème.

1 Lord Forbes passa quelque mois en prison à Edimbourg, après le soulèvement de 1715. V. notre présentation des écossais.

2 « M. Pèlerin » désignerait le correspondant londonien, Dr Keith ?

3 John Pordage (1607-1681), influencé par Jacob Boehme, dont il traduisit les œuvres en Angleterre avec Jane Leade (1623-1704) : v. The Encyclopaedia of Religion, vol. 5, « Esotericism », p. 161.

Du baron de Metternich. 27 octobre 1716.

Ce 27 d’octobre 1716.

Ma très chère mère, je désire fort d’avoir de vos nouvelles. Cependant je crois vous faire du plaisir en vous mandant que la sœur de feu mon collègue qui était mon ami non seulement selon le monde mais aussi selon Dieu, a un grand goût aux livres mystiques que vous savez ; elle est toute amour et ferveur, et elle comprend les choses fort bien. Elle vous aime et honore beaucoup et se dit votre fille. Elle vous salue fort cordialement et respectueusement, et vous prie très instamment de vous souvenir devant Dieu de feu son frère pour qu’Il lui fasse miséricorde. Elle est catholique et mariée, le frère était protestant. Autant que je puis juger, elle a un bon cœur et tâche bonnement de servir Dieu. Vous voyez, ma très chère mère, que Dieu Se sert d’une aussi misérable créature que je suis pour servir d’occasion à d’autres pour entrer dans les voies de la vie intérieure, qui lui seront plus fidèles que moi. Qu’il en soit loué par toutes les créatures !

Il n’y a personne ici que je connaisse parmi les catholiques, qui goûte les vérités mystiques : Dieu Se sert donc de ceux qui ne sont pas de cette communion. Et je vous assure, ma très chère mère, que la vie intérieure trouve beaucoup plus d’entrée parmi les protestants que parmi les catholiques. Ils sont trop gênés et trop craintifs de tomber dans la censure de quiétisme ou autre. Ils n’osent pas même approuver publiquement des livres imprimés en France avec quantité d’approbations et qu’on a traduit en allemand, comme la vie de la bonne Armelle1, tant ils ont peur. Et c’est là l’effet naturel des fréquentes censures de Rome, qui confondent tellement les gens qu’ils ne savent plus où ils en sont. Car, puisqu’ils voient des livres condamnés qui ont été plusieurs années en vogue et crédit, et publiés avec les approbations des personnes autorisées pour cela, qui peut se croire plus clairvoyant que ces personnes savantes et choisies expressément pour juger de la pureté de la doctrine, et qui cependant n’ont pas eu la foi de leur Église ? C’est ce qui met tout le monde en appréhension à l’égard des livres spirituels, et fait qu’ils n’en veulent pas lire, et qu’ils se tiennent aux plus communs catéchismes ou formulaire de prières. Je sais même ici un exemple qu’un confesseur a ôté l’Imitation de Kempis à un de ces enfants spirituels, sous prétexte que ce livre était trop haut pour (f.1 v°) lui, nonobstant qu’il le lisait avec beaucoup d’édification. Un vieux ecclésiastique, fort honnête homme et craignant Dieu, sans L’aimer pourtant, qui s’est donné beaucoup de peine pour nous faire catholiques, mon frère et moi, a recommandé à mon frère avec de grands éloges les livres de Quesnel2. Eta en France voilà un grand parti qui prend sa défense contre le Saint-Siège !

Que ferais-je donc dans une communion où les plus savants ne savent pas ce qu’ils doivent croire, et où l’on veut pourtant qu’on soit obligé sous peine de damnation éternelle de croire tous les articles de foi, ainsi appelés ? La foi chrétienne si simple et si proportionnée aux plus petites capacités, comment la pourrais-je trouver dans toute une armée d’articles de foi, rangés et ajustés avec tant d’art et de science humaine et scolastique ? Cela n’est pas pour moi. Je crois toute vérité de Dieu, connue et inconnue. Et je me sers bonnement des persuasions particulières qui me paraîssent vraies, pour m’approcher de plus en plus, par le pur amour, de la vérité substantielle et éternelle et pour m’y perdre enfin entièrement. Et je suis pleinement convaincu que tout ce qui me sert effectivement à m’approcher de cette fin, ne m’en peut pas éloigner, et par conséquent ne peut pas nuire à mon salut. C’est sur ce fondement que Dieu a établi ma paix solide par rapport à la diversité de religions et de sentiments dans chacune d’elle, qui autrefois m’a terriblement embarrassé. C’est de là que j’ai appris d’examiner les livres par le cœur et non pas par la tête, et d’en lire de toutes sortes, sans crainte de m’écarter, et de me nourrir de tout qui m’a touché le cœur. C’est cette liberté que je crois être nécessaire ou au moins fort utile pour avancer le règne intérieur, et qui fait qu’il se trouve parmi nous beaucoup plus qui le goûtent et qui lui donnent entrée que non pas parmi vous, où l’on a quasi bouché toutes les avenues. Je n’ai pas encore trouvé un seul catholique (excepté la dame dont j’ai parlé au commencement) dans nos quartiers, qui ait estimé des livres mystiques et à qui j’eusse pu ouvrir mon cœur. Comment ne pourrais-je donc me soumettre de plein gré, n’y étant pas engagé par naissance, à la domination absolue des gens si ignorants dans les voies de Dieu ? À présent je suis comme une petite abeille qui voltige librement sur toutes sortes de fleurs : je prends partout ce qui me nourrit, et laisse le reste. Ainsi tout ce que les catholiques ont de bon est à mon usage, et le reste ne m’est pas un empêchement. Je suis intimement uni à tous les bons catholiques, et suis fermement persuadé que Dieu n’agrée pas moins cette union intérieure, pour la séparation extérieure dans laquelle il m’a fait naître.

Mais je vois que mon papier se remplit. Il faut encore vous demander une grâce, ma très chère mère. Vous exhortez souvent à sortir de soi-même : il m’est un peu obscur ce que vous entendez par là. Est-ce que le cœur doit être tourné directement vers Dieu, Lui adhérer généralement et être rempli de ce seul sujet, sans réfléchir sur soi-même, et faire les œuvres extérieures, qui ne sont pas de devoir, quasi en passant et comme (pour ainsi dire) en songe, ou sans application qui empêche le cœur de s’occuper de son objet ? Je vous demande vos éclaircissements. Mon frère vous doitb ses salutations cordiales. Je suis avec un profond respect, etc.


– A.S.-S., pièce 7425 autographe.

aQuenel [sic] (suit une demi-ligne raturée illisible) Et

bLecture incertaine.

1Poiret regroupa les deux volumes de l’édition de Paris de 1683 en un volume, dont voici le savoureux titre : L’Ecole du pur Amour de Dieu ouverte aux savans et aux ignorans dans la vie merveilleuse d’une pauvre fille idiote, païsanne de naissance et servante de condition, Armelle Nicolas vulgairement dite la bonne Armelle décédée depuis peu en Bretagne, par une fille religieuse de sa connaissance, A Cologne, chez Jean de la Pierre, 1704. — Armelle (1606-1671) est une mystique profonde, influente sur le P. Rigoleuc. Ses admirables « dits », rapportés par l’ursuline Jeanne de la Nativité, eurent une influence en milieu protestant (Byrom, Wesley).

2 Quesnel (1634-1719), oratorien, érudit estimé, influent sur Arnauld, ouvert aux « concessions pacificatrices » (Cognet), auteur jansénisant des Réflexions morales. En 1710, Fénelon entama avec lui une polémique. En 1713 la bulle Unigenitus condamna 101 propositions extraites des Réflexions morales.

Du baron de Metternich. 17 novembre 1716.

Ce 17e novembre 1716.

Votre très chère lettre de l’onzième d’octobre, ma très chère mère, m’a été bien rendue, dont je vous suis d’autant plus obligé que votre grande maladie n’a pas empêché votre charité de me favoriser de vos salutaires instructions. Je ne veux pas me justifier que le système de Pordage1 ne soit pas mon sentiment mignon, car il m’a servi à me débarrasser de toutes les difficultés en matière spirituelle et à montrer l’innocence de Dieu par rapport à l’origine du mal et du péché, ce qui m’avait inquiété beaucoup, comme il est encore la pierre d’achoppement à plusieurs. Et je crois aussi qu’on ne pourra jamais satisfaire pleinement à ces scrupules par une autre hypothèse. Il peut donc bien être que j’y sois un peu attaché, mais je ne le sais pas, et je ne le veux pas : je l’offre à Dieu pour qu’Il le détruise et qu’Il me pardonne ma faute.

Je crois que vous savez, ma très chère mère, qu’il y a plus de seize ans que Dieu m’a mis par Sa miséricorde dans la voie de croire Dieu tel qu’Il est en Lui-même et dans Sa totalité, de L’adorer et de L’aimer comme tel : ç’a été là depuis ce temps-là mon fondement immobile, qui m’a mis dans une tranquillité parfaite par rapport à toutes les controverses qui partagent la chrétienté ; ç’a été aussi le fondement de mon oraison. Si je suis entré outre cela en quelque particularité, ç’a été puisque j’ai cru et crois encore que ma force ne va pas encore jusqu’à pouvoir me passer de toute lecture, qui ne peut être sans particularité. Si je pouvais demeurer toujours dans cette nudité et généralité d’adhérer à Dieu tel qu’Il est en Lui-même sans penser à aucune vérité spéciale, je ne devrais plus lire, ni l’Ecriture Sainte ou d’autres bons livres. Si vous croyez que je doive quitter tout cela et employer tout le temps qui me reste des affaires de mon état, à me tenir dans cette généralité devant Dieu, j’en ferai l’épreuve. Mais si je ne suis pas encore assez avancé pour cela, il faut bien que l’esprit pendant le temps de lecture entre dans la particularité de ce que je lis, et je dois me contenter de tenir le cœur doucement attaché à cet Être souverain dans Sa totalité. C’est de même quand j’ai été engagé par occasion à parler ou écrire des matières spirituelles, je ne sais pas les avoir cherchées ; et quand le discours ou la lettre ou le traité a été fini, je n’y ai plus pensé, comme aussi ma mémoire perd naturellement tout ce que j’ai lu ou écrit. C’est ainsi que depuis le temps que les ouvrages de Pordage ont été achevés, je ne les ai plus relus.

Je ne dis pas cela pour me justifier, mais pour m’exposer à vos yeux tel que je suis. Je ne doute nullement qu’en tout cela il ne se mêle beaucoup d’imperfection et même de corruption. Hélas, je n’en trouve que trop dans [v°] moi ! Comment donc tout ce que je fais n’y participerait-il pas ? Je dois implorer la miséricorde de Dieu sur tout ce que je suis et que je fais. Je vous demande aussi pardon à vous, ma très chère mère, si j’ai écrit quelque chose qui vous déplaît, et d’avoir abusé de votre patience. Je vous suis fort obligé de ce que vous avez bien voulu m’assurer de ma vocation à une grande foi, à un extrême abandon, à l’oubli de moi-même et à un amour très pur du souverain Être ; et que vous y avez ajouté que toute idée distincte de Dieu est absolument contraire à ma vocation. C’est une grande miséricorde de Dieu de m’appeler à un si sublime état, qui me doit être le plus fort motif d’y être fidèle, mais cette fidélité est encore un don de Sa même miséricorde que je Lui demande dans le plus profond anéantissement dont je suis capable. Et vous, ma très chère mère, conjurez-Le avec moi et pour moi, qu’Il achève Lui-même l’ouvrage qu’Il a bien voulu commencer. Je tâcherai dès à présent par Sa grâce de me tenir de plus en plus dans une nudité d’esprit et de laisser tomber tout le distinct. Pour mes misères, je les porterai en patience et dans l’esprit d’anéantissement. Je sens bien que ma corruption, mon orgueil, obligent Dieu à me laisser chargé de ce fardeau, et je dois crier : « Seigneur, plutôt pécheur que superbe! »

Je suis sensiblement touché de votre maladie. Que le petit Maître vous en délivre selon Sa très sainte volonté et qu’Il vous conserve encore en vie, pour fortifier les faibles, d’entre lesquels je suis le plus misérable. En tout cas qu’Il disposât autrement, je vous conjure, ma très chère mère, de ne pas m’oublier devant Son trône, mais de m’obtenir la grâce qu’Il soit Lui seul le roi de mon cœur, comme Il en a pris possession sensiblement en cette qualité, il y a environ dix-huit ans. C’est de quoi je Le fais souvenir quelquefois, et appelle à Sa constance à ne pas quitter Sa prise après qu’il Lui a plu une fois de S’en rendre maître, car Il sait bien qu’en cette expérience-là, je Lui ai cédé tout droit sur moi irrévocablement. Je le tiendrai pour une grâce très singulière, si j’ai le bonheur de vous voir et que je puisse demeurer quelque temps avec vous sans être obligé de changer. Cara à ceci je ne m’y pourrai pas résoudre facilement. Mon frère n’est pas encore ici, mais il viendra bientôt. Ce sera alors que je consulterai avec lui sur les moyens de me procurer une permission de faire un voyage pour quelques mois. Je crois que les amis de H. vous auront mandé que monsieur le chevalier de Forbes, avec le docteur Garden, est arrivé là : ils m’ont fait saluer. Un ministre anglais va à la Cour impériale. Nous verrons si, par son moyen, nous pourrons réitérer nos instances. Je suis avec le plus profond respect tout à vous au petit Maître.

– A.S.-S., pièce 7426.

1 changer (de religion biffé). Car

1 Intéressé par les écrits des fondateurs de la Société de Philadelphie, John Pordage et Jane Leade, le baron les avait traduits en allemand. Il se défend ici d’avoir adopté tous leurs points de vue.

2 Formule qui rappelle certaines du P. Lacombe.

Du baron de Metternich. 15 décembre 1716.

Ce 15 décembre 1716.

Ma très chère mère. Votre très chère [lettre] du 11e de novembre nous a donné bien de la joie, à la dame sœur de feu mon ami, et à moi. Nous louons Dieu de Sa miséricorde envers le défunt. Qu’Il lui en fasse sentir encore plus les effets en considération de vos prières, dont nous vous sommes infiniment obligés. La dame m’a prié de vous assurer de ses respects et de ses plus tendres affections, et de la recommander à vos prières. À ce que je puis juger, elle est sincère, et toute amour actif1. Ce que vous répondez sur mes difficultés m’a fort édifié et confirmé dans le sentiment que j’ai eu depuis longtemps. Mon frère en a été charmé aussi. Il est de retour ici depuis quelques jours, avec sa femme, tous deux, grâce à Dieu, sains et saufs. Il vous assure de ses respects et vous a toutes les obligations possibles de la charité que vous avez pour lui, à laquelle il se recommande toujours. Il faut à présent voir si le changement que son fils cadet a fait, lui apportera quelque préjudice auprès du roi son maître.

Pour revenir à votre très chère lettre, que cette totalité de croyance, qui dans sa simplicité embrasse la vraie religion telle qu’elle est en soi, est admirable ! Que le monde le comprend (rait] plus et que l’on verrait bientôt refleurir la paix, si l’on s’y prenait de cette manière ! C’est pour cela que toutes les disputes me sont à dégoût depuis longtemps, mais depuis votre précédente et cette dernière-là, je tâcherai par la grâce de Dieu de laisser tomber de plus en plus tout le distinct, pour retenir l’esprit vide et le cœur occupé de Dieu dans Sa généralité. Quand j’ai dit que je fais comme les abeilles, en lisant plusieurs livres, je ne le fais pas pour exercer le [f° .1 v°] raisonnement, mais pour goûter l’onction par le cœur ; et les livres qui ne portent pas ce caractère, ne sont pas pour moi, et je ne puis pas les lire, fussent-ils les mieux raisonnés du monde. Aussi mon goût est déjà si accoutumé aux livres que vous savez, qu’il [n’] y en a guère, quoique d’ailleurs ils soient assez bons, qui me donnent de la satisfaction, et que je puis lire. Il y a un je ne sais quoi, qui me fait sentir qu’ils ne sont pas de cœur, mais de la tête.

Pour la sortie de soi, je vois bien qu’on [n’] en peut avoir une pleine intelligence que par l’expérience. Dieu me fasse la miséricorde de m’y introduire. Cependant mon exercice, je crois, devra être de me quitter partout où je me trouve être la fin de mes prétentions. Mais, ô Dieu, qu’il y aura encore des combats à soutenir ! C’est Vous seul, Sauveur du monde, qui le pouvez faire dans moi. Mais, ma très chère mère, comme je trouve dans moi une douce occupation générale du cœur de son Dieu, et que je sais que mon cœur est ainsi occupé de Dieu, est-il impossible que cette occupation que je sais être dans moi, continue toujours et soit sans interruption ? J’avoue que jusqu’ici je ne comprends pas bien que je sois dans la présence de Dieu, quand mon cœur n’est pas occupé tellement de Lui, que je sais en être occupé [sic]. Il est vrai que jusqu’ici je n’y ai pu arriver, mais j’attribue cela à mon infidélité, que je ne tiens pas mon esprit assez concentré dans le cœur par un doux recueillement. Je suis fortifié dans cette appréhension par la vie de Grégoire Lopez, que je lis présentement, et qui a été un excellent homme2. Il y est dit dans le chapitre 22, note 7 : « Rien de ce qu’il lui arrivait, qu’on lui disait, n’était capable de le divertir de son recueillement, et cette égalité d’esprit, qu’il conservait toujours, faisait bien voir qu’il était élevé au-dessus de toutes les choses humaines, et occupé de la pensée de celles du ciel sans le perdre jamais de vue. » Je n’entends pas cela d’une pensée raisonnée de la tête, que je sais bien pouvoir être continuelle, mais il me semble que le cœur, qui est appliqué à Dieu d’une manière très simple et générale, peut bien aussi [f° .2 r°] s’apercevoir d’une manière simple générale, qu’il est ainsi appliqué à Dieu, et cela continuellement sans interruption. Je vois pourtant qu’il est très difficile, et je trouve que, quand je perds cet apercevoir de l’application du cœur à Dieu et que, puis après, je reviens à moi, le cœur est encore dans la même situation, ce me semble au moins, et qu’il n’a rien perdu par cette échappade de l’esprit. Je crois pourtant, ma très chère mère, que vous voulez qu’on fasse de son mieux pour s’occuper perceptiblement de Dieu le plus continuellement qu’il se peut, et qu’on évite à son possible tout ce qui nous fait perdre cette perception de l’application du cœur à Dieu. Je vous prie, ma très chère mère, de me répondre sur cet article, que j’ai marqué de rouge, si Dieu vous le permet. Car peut-être est-ce là le principal point où je manque de fidélité, et qui arrête Dieu d’achever Son œuvre, et pourquoi Il me laisse si longtemps croupir dans mes misères. Que si c’est là le point à redresser, ma nature aura encore de terribles combats à subir. Ô Dieu, je veux pourtant que cela soit ainsi, si vous le voulez, et j’espère de combattre sous vos enseignes. Je ne sais pas si je m’explique bien. Mais vous, mon Seigneur, soyez-en Vous-même l’interprète pour m’instruire clairement de Vos voies, et donnez-moi aussi la force d’y marcher fidèlement.

Il est vrai, ma très chère mère, que dans votre religion il y a encore plus d’introductions à la vie intérieure que dans la nôtre. Mais j’ai aussi reconnu que le trop grand assujettissement aux prêtres, dont la plupart sont fort ignorants dans ces voies, y met un grand obstacle. Ce qui est une des plus grandes raisons que je ne me sois pas fait catholique il y a longtemps, croyant qu’après que Dieu m’avait donné la connaissance de Ses vérités salutaires, Il n’exigeait pas de moi de me priver moi-même de la liberté dans laquelle Il m’a fait naître, et de m’assujettir à des gens qui, pour la plupart, non seulement ne m’aideraient en rien, mais s’y [f.2 v°] opposeraient encore de toutes leurs forces. Et je vous avoue, ma très chère mère, que j’ai été extrêmement scandalisé que je n’ai pu trouver un seul moine ou autre prêtre, qui eût quelque chose de leurs saints fondateurs. J’ai cru donc être le plus sûr d’être catholique par la sainte foi implicite et générale, quoique j’en fusse séparé quant à l’usage des moyens extérieurs, auxquels malheureusement on fait aujourd’hui consister toute la religion. Ma plus grande joie est à présent d’ôter aux autres ces préventions contre les catholiques, et de leur montrer le chemin de l’intérieur. Il y en a plusieurs parmi nous qui reconnaissent que nos prêtres font tort aux catholiques en plusieurs endroits, mais pour la vie intérieure, elle est plus rare, et les âmes simples, sans étude, y sont plus propres que les autres.

Une chose m’a fort affligé : c’est qu’on avoue que les jésuites ont dessein d’introduire en France l’Inquisition, et que le père Tellier a voulu être l’Inquisiteur général, que ce dessein est bien interrompu pour quelque temps, mais qu’on trouvera un autre pour l’exécuter. Ô ma très chère mère, je ne puis m’empêcher de croire que cette Inquisition est une pure invention du diable, et la plus cruelle et la plus détestable qui fût jamais et qui pût jamais être ! Ayant lu L’Inquisition de Goaa, je dit un jour à une compagnie de catholiques que si l’on me pouvait montrer que Jésus-Christ, étant encore sur la terre, pourrait déduire son innocence devant ce tribunal, je m’engageais à me faire catholique sur-le-champ. Les cheveux me dressèrent quand je le lus, et me dressent encore quand j’y pense. Rien au monde n’a tant aliéné de votre Église que vos dragonnades et cette Inquisition. Et c’est là l’esprit dominant, publiquement approuvé, et qui pourtant ne peut jamais être de Dieu. Pardon, ma très chère mère, que je vide ainsi mon cœur dans le vôtre. Je suis tout à vous dans le petit Maître.

Pour monsieur R [amsa] y.

Mon très cher frère. Vous m’obligerez bien sensiblement en m’envoyant le livre de l’extérieur de la religion : j’espère que mes sentiments n’y seront pas contraires. Et il me semble que c’est une matière fort importante, dont l’ignorance est cause que la chrétienté se déchire si cruellement, au grand scandale des infidèles. Mais je vous prie, monsieur, de faire en sorte que j’en aie au moins deux exemplaires, car mon frère le désire aussi. Je le paierai volontiers. Je vous embrasse tendrement au petit Maître. J’ai un peu de cheveux de notre père [Fénelon] et j’aurai le portrait de notre mère : ce m’est une grande joie. Mille grâces pour la nouvelle année, qui va commencer bientôt.

– A.S.-S., pièce 7427, autographe. Tous les italiques sont des soulignements.

ade Goas. Nous corrigeons — sans avoir retrouvé l’ouvrage sur l’Inquisition portugaise aux Indes.

1 Toute pleine d’amour agissant.

2 Grégoire Lopez (1542-1596), ermite qui vécut au Mexique ; La Vie du Bienheureux Grégoire Lopez, écrite par François Losa, curé de l’Église Cathédrale de la ville de Mexico dans la nouvelle Espagne est très appréciée des mystiques. Elle fut traduite en français par Arnauld d’Andilly en 1674 (Œuvres diverses de Monsieur Arnauld d’Andilly, Paris, 1675, tome I, p. 153-301).

Au baron de Metternich. 1717.

Quoique je serais bien aise de vous voir si Dieu le permettait, je ne puis cependant rien désirer par moi-même. Il est dit1 de saint Paul qu’il était puissant par ses lettres, mais que sa présence était méprisable : je ne trouve rien en moi qui mérite la moindre estime. L’instrument ne peut s’attribuer l’ouvrage que l’ouvrier seul fait par son moyen : Dieu Se sert des instruments les plus méprisables pour faire Son ouvrage. Il est digne d’un tel ouvrier d’opérer sur le néant et par le néant. Que dis-je ? Il n’emploie que le néant pour faire ce qu’Il fait. Je ne suis rien et moins que rien. Je ne sais ce qu’Il fait en moi ni par moi : il ne reste aucune trace. Il ôte et Il donne, je Le laisse faire. S’Il le veut, je puis tout en Lui, s’Il me laisse, je suis un néant vide, un canal sans eau. Chacun trouve par ce canal selon sa foi, afin que rien ne soit attribué à la créature. Il y a longtemps qu’Il m’a rendue enfant, qu’Il conduit comme Il veut, sans résistance et sans réflexion. Je serais étonnée d’entendre dire qu’Il fait du bien par moi. Si je pouvais réfléchir sur moi ou trouver ce moi, je l’abhorrerais plus que le démon.

J’espère que, si Dieu permet que vous me veniez voir, Il me donnera tout ce qu’il faut pour vous. Votre âme m’est précieuse devant le Seigneur, et c’est dans Son cœur souffrant et adorable que vous me trouverez toujours présente. 1717.

– Dutoit, t. IV, Lettre 166.

1II Cor., 10, 10 : « Car il est vrai, disent-ils, que ses lettres [épîtres] ont du poids et de la force ; mais lorsqu’il vient en personne, ce n’est qu’un petit homme faible, et dont le discours est digne de mépris. » (Amelote).

Au baron de Metternich. 1717.

Mon cher frère. Il y a longtemps que j’ai au cœur de vous écrire pour vous dire que, si le bon Dieu me retire de ce monde et qu’il vienne à vous ôter les soutiens que vous avez encore, voyant devant vous votre marche, vous ne vous en étonniez pas et que vous soyez fidèle et courageux. Combattez les combats du Seigneur. J’ai reçu votre lettre. Il n’est point question de rentrer en soi : cela était bon autrefois. Ce que vous avez à faire est de sortir de vous-même et de vous écouler en Dieu. Vous ne trouverez de vrai repos que là. Quand vous pourrez venir, je vous prendrai avec joie, si je suis en vie. 1717.

– Dutoit, t. IV, Lettre 167.






III. Écossais



À Ramsay ? Hiver 1709.

Comme votre lettre n’est point datée, je ne sais de quand elle est écrite, mais je réponds quelques heures après l’avoir reçue. Cette ville ici est dans un état horrible par la négligence des magistrats, qui ne se sont donnés aucuns mouvements pour faire passer les glaces. Elles se sont amoncelées plus haut que les maisons, elles ont emporté douze arches des ponts qui sont tombés, le peu qu’il en reste étaita hors de l’eau, de sorte que la ville et le faubourg sont séparés, les maisons tombées et les chapelles, la rivière presque comblée par les débris. Il faut plus d’un million pour réparer ou refaire un pont. Il faut que les carrosses et la poste changent de route : si vous êtes plus longtemps sans réponse, ce n’est pas ma faute.

Je suis étonnée de la délicatesse de M. votre père car il est dans l’ordre que les ecclésiastiques aient des pensions sur les choses ecclésiastiques. Il aurait mieux aimé que la personne eût été E. b, qui est une chose peut-être au-dessus de ses forces et d’une plus grande conséquence ; mais quand on ne suit sur la conscience que les principes qu’on eut formés, on est souvent sujet à la méprise et on fait un grand cas du moins lorsqu’on passe par-dessus des choses plus considérables. Il y a un ordre militaire qui est approuvé de Rome : ainsi il ne faut pas que vous ayez de peine que M. votre frère y entre et y ait part. Il serait à souhaiter que M. votre frère sût que notre père1 a eu ses raisons pour donner à p.2 ce qu’il lui a donné. Si vous aviez pu vous exempter de répondre, cela aurait été mieux, mais peut-être qu’en le voyant vous lui ferez entendre raison. J’espère vous voir en passant et que vous pourrez alors traverser la rivière en bateau : on va en établir pour cela au lieu de pont. Je crois que vous avez eu tort de ne point demander d’argent pour messieurs vos frères : c’est ce qui persuade que vous êtes mieux que vous n’êtes. Si monsieur votre père connaissait bien notre père, il aurait appris qu’il était bien loin d’accumuler des trésors3, mais dès qu’on se laisse aller à ses préventions, c’est pitié.

Pour ce qui vous regarde personnellement il ne faut point agir par ce que vous sentez ou ne sentez pas, mais être fidèle à vos exercices sans songer au goût. Il faut, autant que vous pouvez, laisser tomber vos imaginations : la vivacité de votre esprit vous en fournit sans cesse. Quand vous ne pouvez les laisser tomber, souffrez-les comme un mal de tête. Comme vous n’avez, lorsque vous êtes seul, aucune raison ni d’âge ni d’infirmité, de prier assis, je le ferais à genoux : la posture respectueuse du corps contribue au recueillement de l’esprit. Il ne faut pas s’embarrasser de prier assis lorsque quelqu’une des raisons que j’ai dites nous empêche de le faire à genoux, mais lorsque nous le pouvons et qu’il n’y a que la mollesse et la paresse qui nous retient, il faut les combattre et demeurer devant Dieu d’une manière respectueuse dans le temps précis de l’oraison. Vous avez plus besoin qu’un autre de ne vous pas laisser aller à la mollesse, car c’est votre tempérament. Ne vous contraignez point pour m’écrire, cela est inutile, il le faut faire dans la nécessité et rien plus. Je vous prie de ne vous plus faire d’affaire de dire ce qui se passe dans votre esprit : cela vous entortille, vous retient en vous-même, vous rend perplexe et vous empêche d’avancer. Ne pensez plus ni à dire ni à ne pas dire, laissez tout tomber à présent pour fixer votre esprit. Plût à Dieu que M. F [orbes] eût un peu de ce que vous avez trop et que vous eussiez un peu de ce qu’il a de trop, ce serait des merveilles. Bon courage, soyez fidèle, ne vous arrêtez pas à tout ce qui vous passe par la tête, laissez-le tomber sans y rien prendre. Il suffit que cela ne soit pas volontaire, vous avez bien de quoi vous humilier dans vos faiblesses. Je vous embrasse mon enfant.

Quoiqu’il ne vous reste rien de détaillé de ce que vous lisez ou de ce qu’on vous lit, il ne laisse pas par le simple recueillement ou recueil de faire l’effet qu’elle [la lecture] doit faire.

– A.S.-S., pièce 7497, autographe, adressée « À monsieur Ramsay, chez Mr le comte de Sassenage en son hôtel sur le quai des Théatins à Paris ». On doit donc penser que cette lettre s’adresse au seul « chevalier » Ramsay, qui en effet fut attaché au comte. Mais Ramsay était le fils d’un meunier et ce que nous savons de son environnement familial s’accorde mal aux informations fournies au second paragraphe. (v. G. D. Henderson, Chevalier Ramsay, Nelson, 1952, p. 3 et suivantes.) Par ailleurs Ramsay agissait probablement comme intermédiaire dans les communications discrètes avec Cambrai. Le destinataire serait-il alors le marquis de Fénelon ? Mais la date très probable de 1709 pose problème : le marquis entre en relation avec Madame Guyon après sa blessure datant de 1711… – A.A.-S., pièce 7417, p. 182 (lettre 31) et Dutoit, t. IV, Lettre 28, p. 64-65, reprennent seulement les deux derniers paragraphes : « Pour ce qui vous regarde […] l’effet qu’il doit faire. »

La lettre est datée très probablement de l’hiver 1709 par la description des glaces sur la Loire (une synthèse intéressante du « grand hiver » de l’année 1709 et de ses suites est donnée par Pillorget, R. et S., France baroque, France classique, p. 1144-1154).

alecture incertaine, ce qui obscurcit le sens ? Faut-il comprendre que tout ce qui était dans le lit du fleuve a disparu (les douze arches) ?

bMajuscule de Lecture incertaine.

1n.p. : il s’agit très probablement de Fénelon.

2 Indéterminé.

3 Le revenu de l’archevêché de Cambrai était considérable ; cependant Fénelon mourut pauvre (mais sans dettes), ayant consacré ce revenu au secours d’une région ravagée par les guerres de la fin du règne de Louis XIV. (v. par ex. la Revue Fénelon, 1912).

À Milord Duplin. 1714 ?

Autre lettre de notre mère pour milor [d] du p. [Duplin].

Milord,

J’ai pris toute la part possible dans le changement arrivé dans votre maison. Je crois que Dieu l’a permis de la sorte afin de vous donner plus de temps pour être à Lui, et vous renouveler dans Son amour. Le temps des croix et des afflictions est un temps bien précieux, et dont il faut faire un grand usage. C’est alors qu’on sème, comme dit saint Paul, et on ne sème qu’avec peine et labeur, mais vous en retirerez un grand fruit et une ample moisson1. Qui sème peu recueille peu. Ainsi, puisque Dieu vous donne un si grand moyen de faire germer en vous cette grâce qu’Il y avait répandue, tenez-vous heureux d’être disgracié des hommes. Jetez-vous par un abandon entier entre les bras de Jésus-Christ, qui est cet ami fidèle qui ne change point : on Le trouve sûrement à la croix, et Il nous assure qu’Il est avec ceux qui sont dans l’affliction. Je Le prie de tout mon cœur qu’Il vous enseigne Lui-même les routes que vous devez tenir pour Le trouver. Si mes prières étaient de quelque valeur, je les offrirais au Seigneur pour vous.

– A.S.-S., ms 2176, pièce 7417 p. 10.

1 Ga 6, 8 : « Car chacun recueillera ce qu’il aura semé ; celui qui sème dans sa chair, ne recueillera de sa chair que la corruption ; mais celui qui sèmera dans l’Esprit, recueillera de l’Esprit la vie éternelle. » (Amelote).  

À Milord Duplin. 1714 ?

Autre réponse de notre mère à [milord du p.].

J’ai toujours de la joie, N., lorsque je reçois des nouvelles de votre âme, car je vous assure qu’elle est bien chère à la mienne. J’espère que le petit Maître vous consolera de plus en plus de Ses miséricordes, vous faisant la plus grande de toutes, qui est de vous unir très intimement à Lui par la pure charité. À mesure que l’amour amortit notre volonté et la fait écouler peu à peu en Dieu, tout désir s’y écoule aussi, tout choix, tout penchant, toute inclination. Vous éprouverez de plus en plus que vous ne trouverez de volonté pour quoi que ce soit, en sorte qu’il semblera que votre volonté soit disparue aussi bien que tout ce qui lui appartient. Saint Paul avait bien raison de dire que l’homme charnel ne comprend point ce qui est de l’esprit, c’est pourquoi il le condamne1. C’est ici une science d’expérience, et d’amour. (Scientia sapida). Il est certain aussi qu’il faut en faire l’expérience pour la connaître. Comment les hommes qui sont enveloppés dans les sens, enflés d’orgueil, pleins de passions et de raisonnements, pourraient-ils la comprendre ? La corruption est générale, aussi puis-je vous assurer que Dieu a encore le bras levé, et que Sa colère n’est pas encore apaisée.

[12] Ce que vous me dites de la violence que vous vous faites pour rendre votre esprit abstrait n’est nullement ce que Dieu demande de vous, et ce n’est point la voie dont il s’agit. Nous tâchons que tout se concentre dans le cœur, sans nul effort de tête, car Dieu souvent cache ce qu’Il opère dans l’intime de l’âme sous des distractions vagues et involontaires, afin de le dérober à la connaissance du démon et de l’amour propre. L’abstraction de l’esprit a de grands inconvénients, car outre qu’elle ne fait guère de véritables intérieurs, elle nuit fort à la santé, et peut à la longue affaiblir l’esprit. Il n’en est pas de même de la volonté. Plus elle est excitée à l’amour, plus elle se repose dans cet amour, plus elle a de force. Elle ne s’affaiblit ni ne se lasse par ce divin exercice, au contraire elle reprend chaque jour une force nouvelle, non plus toujours une force aperçue, mais réelle. Accoutumez-vous donc à ce simple exercice d’amour dans la volonté qui, ramassant les autres puissances en elle, sans les forcer ni les contraindre, les réunit par l’amour dans le bien souverain, ainsi que l’Ecriture nous l’enseigne lorsqu’elle dit : passez en moi, [13] vous tous qui me désirez avec ardeur. Comme le désir ne peut appartenir qu’à la volonté, c’est par ce désir amoureux que nous passons en Dieu et non par la contention de la tête.

Ce que nous pouvons faire quelquefois, c’est de laisser tomber, par un retour amoureux au-dedans de nous, la distraction de l’esprit, et non par la contention de la tête, mais en cessant de retenir volontairement ce qui nous occupe l’esprit, comme une personne qui ne fait que laisser ce qu’elle tenait en sa main en l’ouvrant doucement. Alors tout tombe de soi-même. Soyez donc persuadé une bonne fois que c’est la véritable voie. La foi nue est pour l’esprit et l’amour pour la volonté, non que nous devions nous dénuer de nous-mêmes l’esprit, mais à la longue cette même foi le dénue des activités propres, et non pas toujours des distractions, car il y a une grande différence entre l’activité propre et volontaire de l’esprit et les distractions vagues et involontaires : la première arrête l’opération de Dieu, et la seconde ne sert qu’à la couvrir. Comprenez une bonne fois que nous ne pouvons jamais fixer notre imagination : il n’y a que Dieu seul qui le puisse faire, et Il ne le fait pas d’ordinaire par les raisons que je vous ai dit[es]. Lorsque l’âme [14] est accoutumée à aller à Dieu par l’amour dans la volonté, elle ne pense pas même à ses distractions, et elles ne lui nuisent point. Elle les laisse pour ce qu’elles sont, comme un grand bruit qui se ferait autour de nous ne nous empêcherait ni d’aimer ni de nous occuper de Dieu. L’âme éprouve même souvent que, malgré ces tumultes de l’imagination, elle goûte au-dedans un grand repos. Elle n’a garde de s’amuser à ce qui se passe dans sa tête, étant comme une chose séparée d’elle. Lorsqu’on s’occupe à se défaire de ses pensées, on perd cette douce tranquillité de la volonté en Dieu, et on fait comme une personne qui quitterait incessamment sa prière pour aller faire taire des chiens qui aboient. Laissons-nous donc totalement à Dieu, et ne songeons qu’à L’aimer et à faire Sa volonté : Il fera le reste Lui-même.

Il me vient donc dans l’esprit que ce qui vous a fait éprouver une si grande différence entre la facilité que vous aviez au commencement et la difficulté que vous trouvez maintenant, est que vous avez fait consister votre oraison dans une certaine suspension d’esprit qui se peut même faire naturellement sans aucun [15] don d’en haut, au lieu que l’oraison qui vient de l’amour et de la volonté est toujours accompagnée d’une grâce particulière, puisqu’elle est le fruit de la pure charité. La suspension et l’abstraction étaient la manière de contempler des philosophes, qui ne rend pas plus saint, quoiqu’on croie par là acquérir de la lumière. Ce n’est point la lumière que nous cherchons, mais l’amour qui, sans lumière distincte, nous enseigne par son onction toute vérité, et nous rend de ces véritables philosophes qui, au lieu de s’élever, ne songent qu’à s’abaisser devant cet Être suprême qui, comme un feu dévorant et sacré, détruit tout ce qui est de l’homme Adam en nous pour nous faire vivre par le nouvel homme en Jésus-Christ. Cette différence est d’une extrême conséquence, je vous prie de la peser.

J’ajoute à ceci que, quand l’oraison est trop sèche et ennuyeuse, il faut de temps en temps la réveiller par quelques petites aspirations vers Dieu ou, si l’âme est plus avancée et que ces aspirations courtes et éloignées soient moins faciles qu’au commencement, [16] il faut se servir d’un simple plongement vers son centre, ce qui se fait par abaissement et non par élévation. Cet enfoncement est aussi très utile pendant le jour au milieu des occupations, et cela se fait en un clin d’œil, et nous redonne pour l’ordinaire la paix et la tranquillité du cœur. Cette oraison dont je parle n’incommode jamais. Plus on est malade, plus on a de facilité à la faire, au lieu que celle qui se ferait par la tête augmenterait beaucoup la maladie et il faut la laisser pendant qu’on est malade ; cela est si vrai que les maîtres spirituels qui ont écrit sur la méditation, qui est beaucoup plus facile que l’abstraction, défendent aux malades de la faire, au lieu que le cœur n’est jamais plus paisible et plus tranquille que lorsque le corps est accablé de souffrance, ce qui donne une liberté à l’âme si grande qu’elle ne pense presque point à ses maux. Il y a un grand abus à ce que l’on s’imagine qu’il faut que la lumière soit [17] donnée directement à l’entendement, et que c’est cette lumière qui échauffe le cœur, mais c’est tout le contraire : la véritable lumière vient de l’amour. Ce feu échauffant éclaire, c’est pourquoi il est dit : spectate et videte2 , parce que la lumière qui vient du goût et du cœur, ou de la volonté, est la sûre et vraie lumière. C’est pourquoi Osée ne dit pas : « La lumière vous enseignera toute vérité », mais l’onction3, et cette onction n’est vécue dans la volonté que par l’amour, le Saint-Esprit étant le Dieu d’amour et de vérité, et c’est par l’amour qu’Il donne la vérité.

– A.S.-S., ms 2176, pièce 7417, p. 11.

1 Rom., 8, 5-8.

2 Citation libre de Jean 1, 39 : Dicit eis venite et videte…

3 Osée, 6, 3 : « [… [Nous entrerons dans la science du Seigneur, et nous le suivrons afin de le connaître de plus en plus. Son lever sera semblable à celui de l’aurore, et il descendra sur nous comme les pluies de l’automne et du printemps viennent sur la terre. » (Sacy).

De Lord Deskford. 24 octobre 1714.

Ma chère et respectable mère. Je vous rends grâces cordiales pour la lettre que vous m’avez envoyée, la dernière. J’ai grande raison d’adorer la bonté et la fidélité de mon cher petit Maître, qui attire et qui sollicite mon âme indigne et pourrie par tant de moyens d’amour. Quoique j’aie été toujours crasseux [sic] et infidèle, qu’Il soit béni à jamais, car c’est Lui qui arrache les pécheurs de l’abîme et qui nous donne à manger le pain de vie, afin que nous puissions retourner à Lui, qui est notre seule paix et notre seule force. Quoique avant la réception de votre lettre il me parût que j’avais une grande tendance à cette méthode que vous m’avez prescrite, je sens cependant depuis vos derniers avis une plus grande sérénité dans mon âme, et une plus grande facilité de pratiquer l’oraison de la manière que vous m’ordonnez. Et je sens que la présence divine pendant le jour, loin de m’empêcher [1 v°] de remplir les devoirs de mon état qui sont de l’ordre de la Providence, nous aide à les exécuter avec plus d’exactitude et de diligence. Je trouve aussi que la voie d’oraison dont vous parlez, j’entends celle d’une simple exposition de nos âmes devant Dieu, vide de tous désirs et de tous efforts, nous laissant à Lui afin qu’Il fasse en nous et de nous tout ce qu’il Lui plaît, communique cet esprit à nos emplois et même aux diversions auxquelles nous sommes assujettis à la Cour, plus que la méditation, la lecture ou toute autre voie.

J’ai par la grâce de Dieu un désir foncier et sincère d’être aua petit Maître, et de Lui sacrifier entièrement mon cœur, mon âme et mon moi-même, en Lui rendant le tribut du pur amour et de l’humble adoration qui appartient à Son excellence et à Sa perfection immense. Mais je sens un poids extrême de propriété et de vanité en moi, dont le diable se sert pour me faire abuser des meilleures lumières et des appels si engageants de la grâce : c’est la [2] la raison pourquoi je m’ennuie si aisément de l’oraison quand elle n’est pas accompagnée des douceurs, et que la moindre petite chose me touche et m’ôte la tranquillité et sérénité de mon âme. Je me trouve faible et rampant devant Dieu, et l’expérience que j’ai de ma vanité, de ma mollesse, de mon inconstance, et ce fonds de corruption qui est en moi me fait désespérer de mes propres forces, et me montre la nécessité de dépendre de Dieu seul et de Lui donner toute la gloire. Nourrissez-moi par votre charité, soutenez-moi par vos prières. Je m’imagine que j’en sens les effets, comme aussi des prières des autres saints. Le souvenir de vous m’attire doucement dans votre cœur, et dans celui de votre petit Maître pour y reposer et adorer avec vous paisiblement l’enfant Jésus.

J’ai souvent des lettres très tendres et très affectionnées de ma femme : elle m’a écrit qu’elle est grosse. Puisse le petit Maître former ce pauvre enfant à Sa propre image : puisse-t-il être Son enfant et Son tabernacle ! [2 v°] Tout l’intérêt que j’y ai, je le donne au petit Maître : priez-Le qu’il Lui soit pliable et souple, et qu’Il détruise, pendant qu’il est encore fleur en bouton, tout ce qui est désagréable à Lui. Depuis qu’elle m’a donné ces nouvelles, j’ai de temps en temps trouvé de petites sentences pieuses dans mes lettres, croyant qu’environ ce temps-ci de ses douleurs son âme sera plus capable de recevoir ces impressions. Mais je tâcherai de ménager ceci avec discrétion, de crainte par ma précipitation de gâter l’œuvre de Dieu qui connaît les temps et les moments pour toucher efficacement le cœur.

[Ici prend place une « Lettre d’une demoiselle anglaise religieuse du p [etit] m [aître] dans le couvent de son cœur, nommée Melle Fissec : Je ne saurais vous exprimer la consolation indicible… » que l’on trouvera reproduite par la suite.]

Post-scriptum

Très vénérable et bien-aimée mère, comme notre ami [le] d [octeur] K [eith] 1 n’a pas encore envoyé la lettre que je vous écrivis il y a quelques jours, je prends occasion d’y ajouter ce petit mot pour vous prier d’offrir mon cœur et mon âme à notre aimable petit Maître et d’obtenir pour moi la grâce de la fidélité à Lui. Mon inconstance et ma corruption sont si effroyables que je n’ose rien promettre de moi. Toute mon espérance est en Lui, à qui je m’abandonne à jamais sans réserve afin qu’Il dispose de mon intérieur et de mon extérieur entièrement selon Son bon plaisir. L’amour propre voudrait bien se réserver quelque chose ici, mais la justice et la vérité n’en veulent rien permettre. Je vous prie aussi pour l’amour de notre cher petit Maître de m’écrire de temps en temps ce que vous croyez [3] pour le service de Dieu en mon âme, car chacune de vos lettres fait une impression très grande en mon cœur et la grâce dont notre Roi les accompagne me montre évidemment qu’elles viennent de Lui. Quand je vous écris, je tâche de vous exposer sans aucun déguisement le véritable état de mon âme, et de le faire tout simplement et sans réfléchir fort particulièrement ; mais comme je ne connais point mon cœur, je suis persuadé que je ne dis point les choses avec autant d’exactitude et de fidélité que je le souhaiterais, mais le petit Maître suppléera bien à cela. Mon père ayant depuis peu perdu sa charge2, nous irons bientôt en Écosse, et je crois que nous demeurerons ensemble pendant quelque temps. Je tâcherai avec l’aide du petit Maître d’être soumis comme Il a été.

Lorsque je me recueille pour prier ou pour me souvenir de Dieu, je sens souvent un certain doux sentiment de la présence de l’Être b incompréhensible. Cela se perd quelquefois par l’égarement de l’imagination ou par divers souhaits irréguliers, qui s’attachent au fond de mon cœur et se montrent aux occasions. Il se renouvelle par de petits souvenirs et par de courtes aspirations de louange. Quelquefois je me souviens que je dois outrepasser le sentiment pour jeter mon âme dans la suprême Essence et la parfaite et pure volonté du souverain Bien. Souvent je ne puis [3 v°] demeurer ma demi-heure entière à genoux sans trouver grande difficulté, mais je tâche de me faire une violence pour l’amour et l’obéissance du petit Maître. Ordinairement Dieu me fait souvenir de Lui souvent pendant le jour, mais peu de chose me distrait, et j’ai peu de courage. Que le royaume de notre Maître s’établisse dans tous les cœurs. Amen.

Du 24 [octo] bre 1714.

– A.S.-S., ms 2176, pièce 7417, page de titre :  « Copies de lettres de quelques trans à la mère des enfants du petit Maître avec des réponses de cette bonne m. », f° 1 : « Lettre de milor Exford à notre mère traduite de l’anglais » – autre copie : pièce 7419 sous le titre « Quelques copies de lettres détachées ».

Lettre publiée par Henderson, Mystics of the North-East, p. 85-88 ; ce dernier paraît avoir suivi la pièce actuellement numérotée 7419 : nous donnons la seule variante significative (les autres proviennent de notre modernisation de l’orthographe).

On relève que les lettres de correspondants étrangers étaient traduites en français par Ramsay pour Madame Guyon.

Henderson indique que Lord Deskford était à Londres durant les mois de septembre à décembre 1714.

a d’être fidèle au Henderson.

b de [Dieu biffé] l’Être b

1 Dr. James Keith, intermédiaire dans les correspondances entre disciples écossais et Madame Guyon à Blois.

2 Henderson cite the Earl of Oxford écrivant le 13 septembre 1714 : « Annandale will succeed Findlater. »

À Lord Deskford. Après le 24 octobre 1714.

Réponse de notre mère à cette lettre :

Ne vous inquiétez point, mon cher enfant, des pensées de vanité dans ce que vous faites pour Dieu pourvu que vous n’y adhériez point volontairement, car le démon emploie toute sorte d’artifices pour troubler l’âme tranquille. Quand nous sommes parfaitement convaincusa de ce que nous sommes par nous-mêmes et de ce que nous serions sans la grâce, il y a plutôt lieu de se moquer des suggestions du démon queb de les craindre. Quand on en fait cas et qu’on se trouble de ces sortes de pensées, il les multiplie à l’infini, mais lorsqu’on ne fait pas seulement de réflexion, etc qu’on les méprise, il ne retourne pas si souvent à la charge. Vous n’avez qu’une chose à faire quand ces sortes de penséesd vous attaquent, qui est de demeurer ferme dans votre néant. Nous avons un grand exemple [4] de cela dans la mère de Dieu, lorsque l’ange et ensuite sainte Elisabeth lui donnente les plus grandes louanges qui se puissent donner. Elle ne s’en défendit point comme nous avons coutume de faire imparfaitementf, mais en rendant à Dieu gloire de toutes choses, elle dit qu’Il a regardé sa bassesse et son néant1 pour en faire ce qu’il Lui a plu, [f.2r°] et c’est ce qui fait le sujet de sa joie. Laissez donc passer tout cela et vous attachez plus fortement à Dieu par un profond anéantissement.

Goûtez les pensées qui ne sont point volontaires, ne dépendant pointg de nous : il faut les laisser écouler comme l’eau. Lorsque votre oraison est plus sèche, il ne faut pas vous en faire de peine, c’est souvent le temps où elle est la meilleure. Supportez en patience les ennuis et les sécheressesh et vous accoutumez peu à peu à une entière indifférence pour tous les états où il plaira à Dieu de vous mettre dans ces tempsi, car ce n’est pas nous-mêmes que nous recherchons dans l’oraison, mais de plaire à Dieu et de faire Sa sainte volonté. Comme les temps de sécheresse sont plus longs et plus fréquents que ceux de consolation, il faut faire alors une oraison de patience et donner à Dieu des preuves effectives de notre amour. Les sens sont comme [6] des enfants qui s’ennuient lorsqu’ils n’ont rien qui les amuse, mais cela n’attaque point le fond, au contraire. La sécheresse sert à nous éloigner des sentiments par la foi qui s’exerce dans ces temps-là, nous approche par conséquent davantage de Dieu, parce que Dieu ne Se fait point sentir : ce sont Ses dons et Ses faveurs qui se discernent et se goûtent. Dieu retire ces choses pour exercer comme je l’ai dit notre foi, et nous accoutumer à un amour plus pur qui, ne voulant rien pour soi, est content de ne rien avoir et que Dieu en use selon Son bon plaisir.

Je sais que ces temps sont durs à la nature et qu’elle fait ce qu’elle peut pour s’échapper de cette dure captivité, et si on n’y prend garde on fait plus souvent des fautes dans ce temps que dans un plus goûté, Dieu le permettant ainsi afin que nous nous attachions plus fortement à Lui par la foi, l’abandon et l’amour, puisque c’est en ce temps que nous en avons le plus de besoin. Il y en a qui se dégoûtent et ne sont pas fidèles à l’oraison dans ce temps-là, quoique ce soit celui où elle soit le plus utile. Soyez-y donc fidèle et témoignez à Dieu votre amour dans ces occasions pour reconnaître celui qu’il vous a témoigné dans les autres temps. Le temps de la [f.2 v°] sécheresse et de peine est un temps bien précieux et [7] qui fait beaucoup avancer l’âme, où Il nous met à nu pour nous faire courir plus fortement et plus légèrement. Les dons de Dieu nous appesantissent et nous recourbent vers nous-mêmes par les réflexions, mais la foi qu’on exerce dans les sécheresses nous tire insensiblement hors de nous-mêmes et nous approche davantage de Dieu.

J’ai une grande joie de la disposition où est votre épouse. J’espère que votre union en deviendra une de grâce aussi bien que de nature. Je la recommande de tout mon cœur au petit Maîtrej, aussi bien que le petit enfant qui est dans son sein. J’aime votre simplicité, et vous m’êtes plus cher que je ne saurais vous dire. Livrez-vous doucement à la paix et à la tranquillité lorsque Dieu vous la donne. Qu’il est doux de marcher lorsqu’Il nous porte dansk Ses bras, mais il faut être également contents ou de nous laisser porter ou de marcher à Sa suite parmi les ronces et les épines. On se crotte, on se déchire quelquefois en marchant, mais tout est bon dans la volonté du petit Maîtrel.

J’ai beaucoup de joie de la résolution que vous avez prise de contenter autant que vous pouvez milord votre père. C’est l’ordre de Dieu sur vous, et toute dévotion qui ne va pas à remplir ses devoirs m’a toujours été un peu suspecte, car Dieu ne change guère l’ordre qu’Il a mis dans les choses. Il nous sanctifie par des moyens qu’Il y a préparésm, et non pas en en choisissant [8] d’autres qui ne servent qu’à contenter l’amour propre et la propre volonté. On se croit souvent saint en faisant ce qu’on ne devrait pas faire et ne faisant pas ce qu’on devrait faire. Ces moyens que Dieu a choisis nous affermissent dans l’humilité. Nous ne voyons rien, ni les autres, d’extraordinaire dans notre conduite ; mais Dieu qui voit le fond de nos cœurs met le poids àn cette conduite simple et uniforme qui nous fait remplir Ses desseins éternels sur nous. D’ailleurs [f.3 r°] cette vie simple et d’attachement à ses devoirs n’est pas sans épines, ce qui fait mourir la nature à elle-même, lui laissant peu d’usage de sa propre volonté. On verra dans l’éternité des âmes éminentes en sainteté qui n’ont mené aux yeux des hommes qu’une vie toute commune. Les choses ne sont grandes devant Dieu que par le principe dont elles partent, et non par ce qu’elles ont d’extraordinaire aux yeux des hommes. Quels miracles Jésus-Christ n’aurait-Il pas pu faire pendant trente ans de Sa vie cachée, où Il travaillait comme un pauvre charpentier2 parce que c’était l’ordre de Son père ? Que ne méritait-Il point alors pour les hommes ? Il n’est rien dit de Lui pendant tout ce temps-là sinon : erat subditus illis 3. Soyez donc de même bien petit, bien simple, bien soumis, sans regarder les personnes qui vous commandent, s’ils ont raison ou non, ne regardant que Dieu en eux qui Se sert souvent de leur déraison pour faire Son œuvre en nous. Cependant il faut observer que [9] notre obéissance aux hommes ne doit jamais aller contre la loi de Dieu et contre ce qu’Il veut de nous pour l’intérieur, car comme cet intérieur n’est connu que de Lui et qu’on ne sait pas ce qui se passe au-dedans, l’homme n’y a aucun droit.

Je vous prie de ne vous point faire de violence pour vous tenir à genoux : la violence qu’on se fait en affaiblissant le corps serto souvent de distraction à l’esprit. Lorsque vous aurez commencé votre prière à genoux, asseyez-vous tout simplement. Les enfants doivent vivre en enfants, et non pas vouloir faire comme les grandes personnesp. Ce n’est pas la posture du corps que Dieu demande, mais la [f.2 v°] situation du cœur. Je vous embrasse, mon cher enfant, des bras du petit Maîtreq.

Voilà4, mon cher M [ilord], ce que notre mère m’a dicté pour vous. Votre droiture, candeur et simplicité lui font grand plaisir et vous êtes un de ses plus chers enfants.

[Seul Henderson, qui suit le manuscrit de Cullen House, donne le paragraphe suivant :]

Je vous prie de garder toujours une copie des lettres5 que je vous écris de la part de notre mère. Il faut en faire faire quelque jour un recueil et les envoyer à Dr. K [eith] afin qu’il les envoie avec les autres écrites aux amis à M. P [oire] t.

[L’ensemble des pièces donne :]

Unissez-vous à notre M [aître], à tous ses enfants répandus par le monde le jour, et si vous pouvez la veille de Noël, qui est le 25 décembre ici et à ce que je crois le 14 décembre chez vous. On demande alors que le petit M [aître] étende son règne par toute la terre et dépêche l’heureux temps, quand tous les hommes l’adoreront en esprit et en vérité.

[La pièce 7418 et Henderson continuent par :]

 J’espère que votre chère miladie accouchera d’un petit milord. J’aurai un jour peut-être l’honneur d’être son gouverneur. Adieu, mon cher milord, personne ne vous honore et ne vous aime plus parfaitement que moi. Ce 24octobre.   

– A.S.-S., ms 2176, pièces 7417, 7418 — Dutoit 4.90, p. 268 — Henderson, p. 88, reproduit seulement l’adjonction de Ramsay d’après le ms. de Cullen House, après avoir repéré la lettre Dutoit 4.90, à laquelle il renvoie pour le texte principal. Le destinataire de cette lettre ne figure pas dans le supplément situé à la fin du dernier volume de Dutoit (comme c’est le cas pour Fénelon, Metternich, etc.).

Nous donnons toutes les variantes, compte tenu de la rareté des manuscrits correspondants aux lettres éditées. On relève dans le cas présent un assez grand nombre de corrections qui affectent parfois légèrement le sens profond (sans toutefois que le premier éditeur Poiret en ait été conscient : adjonctions de Dieu ou divin ou Notre Seigneur, singulier affecté aux sécheresses).

a sommes véritablement convaincus D.

b plutôt sujet de se moquer du démon et de ses suggestions que D.

c multiplie sans fin, mais lorsqu’on n’y fait pas seulement attention et D.

d ces pensées D.

e donnèrent D.

f nous le faisons imparfaitement D.

g anéantissement. Toutes les pensées qui ne sont pas volontaires ne dépendent point D modification du sens.

h ennuis de la sécheresse D.

i ce temps D singulier ; dorénavant nous ne donnons que les variantes modifiant le sens.

j à Notre Seigneur D.

k entre D.

l de Dieu. D.

m par les moyens qu’il nous a préparés D.

n fond du cœur sait mettre le prix à D.

o point forcer à vous tenir à genoux : la violence qu’on se fait pour cela en affaiblissant le corps et le peinant sert D.

p les grands. D.

q du divin petit Maître. D ajout.

1 Luc, 1, 47-48.

2 Marc, 6, 3.

3 Luc, 2, 51.

4 Cette adjonction par Ramsay figure dans les copies des A.S.-S. et dans celle, reproduite par Henderson, qui se trouvait à Cullen House.

5 Henderson souligne l’intérêt de l’information : « This is most interesting information, which shows how the large collection of Madame Guyon’s letters was formed. » Nous notons la confiance de Madame Guyon envers Poiret, ce qui justifiera la publication de la Vie par ce dernier, malgré l’opposition de Ramsay. Celui-ci œuvre cependant ici (« Je vous prie de garder toujours une copie des lettres ») en vue d’une future publication de la correspondance par Poiret.

De Lord Deskford.

[....] je tâcherai selon vos ordres de remplir avec exactitude les devoirs de mon état. Surtout je suis résolu d’honorer et de complaire à mon père en tout ce que je pourrai et de ne lui donner aucun juste sujet de se scandaliser contre la bonne voie. Je vois, comme vous dites, que c’est la volonté de Dieu sur moi, et de faire autrement serait donner un faux témoignage du petit Maître et de Ses enfants.

Notre patrie est déchirée des partis et des factions1. L’ambition, l’avarice, la violence, et l’envie, la malice, et toutes sortes de passions dominent des deux côtés. La plupart des hommes semblent avoir oublié2, et ne l’avoir point dans leur pensée. Plusieurs vont jusqu’à se moquer de toutes religions, et de tous ceux qui en sont touchés. Il est fort difficile pour les enfants du petit Maître de savoir comment se comporter, car ils ne peuvent pas entrer dans les excès ni de l’un, ni de l’autre parti. Mais il faut recevoir toutes choses de la main de Dieu avec joie, avec action de grâces. Notre seule consolation est que c’est Dieu qui gouverne le monde, et que dans son temps Il lèveraa l’ordre de la confusion, et fera réussira les plus malignes [sic] stratagèmes des démons et des impies pour le bien de Ses enfants et pour l’accomplissement de Ses desseins.

Vous voyez, mon cher R [amsay] que j’écris à notre mère tout ce qu’il me vient à la tête, trouvant que cette méthode plaît plus au petit Maître et que les [illis.] et méprises ne sont rien, quand la sincérité n’est pas blessée, et valent mieux que les précautions. Dieu accompagne toutes les lettres de notre mère avec de nouvelles [illis.] de sa grâce et de nouvelles forces dans le petit Maître. Adieu.

[f° .1 v] « copie de la fin d’une lettre d’un Anglais, enfant de maman » :

Je vous prie de me faire savoir l’état de vos disputes ecclésiastiques : plusieurs des protestants qui jugent en prophètes et expliquent les passages de l’Apocalypse contre l’Église romaine, attendent de grands événements de ses disciples, et avec joie un schisme dans l’Église gallicane par le jansénisme.

– A.S.-S. pièce 7418. On introduit ici la transcription  de deux fragments qui se suivent sur la copie, premier folio, devant la lettre du 24 octobre de Lord Deskford : « Ma chère et respectable mère. Je vous rends grâces cordiales… ». Le second fragment, « copie de la fin d’une lettre… », précède immédiatement « Réponse de notre mère à cette lettre [du 24 octobre] : Ne vous inquiétez point mon cher enfant… ». Mais la réponse de Madame Guyon aux « pensées de vanité » indique qu’il s’agit ici d’un oubli du copiste, justifiant notre adjonction entre crochets de la date du 24 octobre au passage qui vient d’être cité et qui pointe sur la lettre que l’on a lue précédemment.

1 Il s’agit des disputes entre écossais en majorité jacobites : les uns sont partisans d’un compromis avec les Anglais (dont le père de Lord Deskford), les autres (dont Lord Deskford) sont prêts à la lutte armée. On sait que ces derniers l’emporteront, ce qui conduira à deux révoltes successives. La dernière se terminera par le désastre de Culloden (1745).

2 Lacune : oubli de la bonne voie ?

a Lecture incertaine.

De Lord Deskford. Fin 1714 ou début 1715.

Autre lettre de milord d’Ex [ford].

Très vénérable et bien-aimée mère, je sens un penchant de vous appeler ainsi à cause de la grande affection que vous montrez pour moi en Jésus-Christ, et de l’autorité qu’ont vos paroles sur mon esprit. Je bénis Dieu de ce qu’Il Se sert de vous pour me donner le lait spirituel qui m’est nécessaire pour entretenir mon âme. Quoique dans le général je ne trouve point de difficulté de m’abandonner à Dieu, cependant lorsque mon esprit envisage les croix, [18] les traverses, les bouleversements, les obscurités et les sécheresses par où il faut passer pour être entièrement à l’amour, ma nature frémit et voudrait bien retourner sur ses pas ; mais mon Père céleste m’encourage, me soutient et me dit secrètement au cœur qu’il est juste que je sois à Lui, et que je ne dois point craindre puisqu’Il sera avec moi.

Depuis que j’ai reçu votre dernière lettre, j’ai trouvé une grande facilité de me recueillir pour écouter Dieu, qui est partout, et qui veut régner en mon âme, mais mon oraison me semble quelquefois un peu bouillante, car comme Dieu me favorise d’un sentiment doux et simple de Sa sainte présence, souvent je fais trop grande attention à cette douceur, et je tâche de la retenir par des efforts de tête au lieu de cesser pour laisser agir Dieu dans mon cœur. Je fais ceci souvent naturellement et non de dessein prémédité, mais aussitôt que je l’aperçois, je tâche de rentrer dans ce calme. Je ne sais si je m’exprime assez bien pour me faire entendre, mais je ne doute pas que Dieu ne vous donne une connaissance suffisante pour me donner les directions nécessaires. Je ne me connais pas moi-même, et je ne saurais faire nul fond sur mes propres idées. Quelquefois, lorsque ma tête est affectée par ces douceurs sensibles, je sens une crainte des esprits qui agitent les prophètes de nos jours1, mais mon remède est de retourner à Dieu et de tâcher de me contenter de Lui, et de me réjouir en Sa présence.

Une autre question que je voudrais vous faire, c’est comment ferais-je pour m’oublier moi-même en l’oraison, car les réflexions sur moi et sur mon état m’importunent [19] souvent. Mon remède est de tâcher de retourner à Dieu. Il y a en mon âme des monceaux de méchanceté qui ne se montrent pas à présent, mais ils se verraient bien s’ils avaient des occasions. Je ne puis pas vous représenter mes défauts et mes imperfections. Dieu le fera s’Il le juge à propos. Les conseils et la charité de notre cher ami d [octeur] K [eith] m’ont été de grande utilité. Je prie le bon Dieu qu’Il l’en récompense. Souvent je me sens attaqué par mille imaginations et soucis frivoles, qui ne conviennent point aux associés à l’enfance. Aujourd’hui que je vous écris, mon imagination a été remplie de beaucoup de petites craintes et fantaisies qui ne valent pas la peine d’être couchées par écrit, quoique je ne les cacherais pas si j’étais auprès de vous. Je les raconte tout librement à d [octeur] K [eith] lorsque nous sommes seuls.

Une partie de ces choses, c’est que ma femme [et] ce côté-là de mes amis sont du parti qui ne s’avoue pas à présent. Mon père2 est d’une inclination contraire, quoique non pas violente, ni outrée. La plus grande partie de ses dépendants et amis sont violents pour le parti présent. Pour moi j’obéis à mon père dans toutes les choses indifférentes, ou pour le moins mon inclination est de le faire. Comme il ne sait pas parler français, j’ai dit au roi et à ses ministres allemands avec fidélité ce que mon père m’a ordonné3. Nonobstant cela il a perdu sa charge, à cause qu’il a suivi les mesures de la feu bonne reine pendant ces deux dernières années. Je me soumets avec joie à la Providence. La politique ne trouble guère mon esprit. Cependant il faut que j’avoue que j’ai une pente secrète pour le parti qui a le dessous à présent, tellement que si la Providence favorisait ce côté-là, je serais bien éloigné d’en être fâché. Nonobstant cela, j’ai une certaine imagination que, s’il y avait des guerres civiles, ce serait une source de souffrance pour moi et pour notre famille, à cause de la part que mon père a eue dans les mesures publiques.

J’ai un sentiment que c’est mon devoir d’oublier tous ces soucis, de ne point entrer dans les intrigues, ni d’être aucunement actif pour les bouleversements, de laisser agir la Providence, et dans les occasions, de faire une bonne fois ce que la Providence demande de moi selon mes devoirs particuliers, en tâchant d’agir pour l’amour de Dieu dans l’état où Il m’a mis, me contentant et me réjouissant perpétuellement devant Lui, puisque Sa volonté est bonne, parfaite et adorable, et [que] mes idées sont frivoles et méritent d’être négligées. Je n’aurais pas écrit tout ceci par la poste. Après la mort de la bonne reine4, nous étions en crainte d’être pillés à tous moments et encore [20] plus maltraités des montagnards5 en cas de soulèvements, et il y avait des intelligences qui nous faisaient croire que ces craintes n’étaient pas mal fondées.

Les compagnies du monde ne m’attirent plus beaucoup à cause que, pendant quelque temps, je n’avais pas cette gaieté et enjouement que j’aurais à présent, à ce qu’il me semble, si je me laissais conduire entièrement par l’enfance. Mais j’ai un naturel fort aisé qui se laisse facilement entraîner par la complaisance. Par exemple le jour que M. F [orbes] 6 est venu en ville, je me suis laissé persuader par le frère7 de ma femme à demeurer avec lui plusieurs heures à boire. Lorsque je fis connaissance avec lui, il avait de l’inclination pour la piété. Pendant qu’il demeurait en Écosse, ce penchant a été nourri par la grâce de Dieu et par les bons conseils de mon cher ami le chevalier P. Murray8, mais depuis ce temps-là les flatteurs, la prospérité et les attraits du monde l’ont beaucoup gâté et lui ont fait perdre le goût de l’intérieur. Je prie que le bon Dieu aie pitié de lui, et Se fasse justice en son âme. Lorsque je suis en Écosse, il n’y a personne à qui je parle tant des affaires intérieures qu’au chevalier Murray. M. F [orbes] vous dira son caractère : c’est un homme qui n’affecte rien d’extraordinaire, mais qui est grandement touché de Dieu et qui témoigne grand respect pour vous. Il n’entend pas le français, mais il souhaite fort de voir quelques-uns de vos livres en anglais. Son frère D [avid] M [urray], qui est mort, a été un homme fort craignant Dieu, et adonné à l’intérieur. Quelques-uns de mes amis ont grande vénération pour lui.

J’écris tout ceci afin de m’exposer entièrement devant vous. Je ne m’attends point à des réponses particulières à chaque point de ma lettre, si vous ne le trouvez à propos. Pour ce qui regarde les réflexions pendant l’oraison dont j’ai parlé au commencement de la lettre, elles font quelquefois des retours pour voir si je suis dans l’état où je voudrais être. Quelquefois ce sont des retours de vanité, suscités sans doute par la nature et le démon. Je tâche de n’y faire point d’attention, mais de m’occuper de Dieu, et des choses auxquelles Il m’applique. Le souvenir de vous et de votre cœur me recueille souvent. Je m’abandonne à Dieu, et je m’en vais le faire pour L’adorer et L’écouter. Je suis entièrement à vous dans le fond de mon cœur en Jésus-Christ, qui est votre maître, votre roi et votre époux. Que Son [21] règne s’établisse en tous les cœurs. Priez Dieu pour moi. Envoyez-moi toutes les directions que vous me croyez propresa. Je me soumets à Dieu pour recevoir les influences de Sa grâce par votre moyen, et par aucun autre qu’Il trouvera à propos. Que Sa volonté soit faite. J’ai lu dans un livre depuis peu que Jésus-Christ nous aime tant qu’Il nous porte en Ses entrailles. Je crois et j’admire Son amour. Comment ferai-je pour reconnaître un amour si grand, et que rendrais-je à mon Seigneur pour tous ses bienfaits dont Il me comble à chaque moment ?

My dear friend A. R[amsay]. After the long letter I have written above I have nothing to say to you, but only to give you thanks for your constant and affectionate friendship and to assure of my most sincere good wishes. If the worthy person who is with you, or you yourselfb, has anything to write to me, let it be directed to the care of our dear friend Dr K[eith]. What comes from that hand, comes, as I am convinced, from a higher level source, and has great influence on my spirit. Continue your love, remembrance and good will, for I can assure you, I am most cordially yours. Wether my desire of seeing you, papers as you send may not have a great mixture of curiosity I can’t tell, or wether I am sure that it has, but yet I am likewise convinced God makes very good use of them in my heart. May it and yours and all hearts be entirely His. November 17th.

- A.S.-S., ms 2176, pièce 7417, p. 10 & ms 2177, pièce 7423, comportant l’addition à Ramsay —Henderson (M.N.E.), p. 88-92 —Revue Fénelon 1910-1911, « Madame Guyon, directrice de conscience, quelques lettres inédites », [1911] 166-169.

a [sic] : les conseils de direction spirituelle.

b [sic] : répétition (yourself suffirait).

1 Référence aux prophètes protestants français des Cévennes qui visitèrent en réfugiés l’Angleterre et l’Écosse et créèrent une certaine agitation.

2 Henderson fournit les précisions suivantes : « Chancellor Earl of Seafield, v. Macky (Characters, p. 182) : « a gentleman of great knowledge in the civil law […] He affects plainness and familiarity in his conversation, but is not sincere […] a soft tongue. » Le parti « qui ne s’avoue pas à présent » est le parti jacobite dans cette période de domination anglaise ; son père tente une certaine collaboration.

3 Henderson cite un passage indiquant la volonté de son père “to have his son here [at Cullen House, demeure des Deskford] for going to the King [Georges de Hanovre]”, afin d’éviter la ruine familiale.

4 Anne (1665-1714), reine d’Écosse (1702-1714), fille de James VII, mariée en 1683 au prince George de Danemark.

5 Highlanders. Henderson souligne la crainte des gens des environs de Cullen, qui sont armés pour s’en défendre.

6 William, Master of Forbes.

7 Lord Dupplin.

8Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

À Lord Deskford. 12 janvier 1715.

[228] C’est de tout mon cœur, mon cher M [ilord], que je veux bien être votre mère, mais vous ne savez pas à quoi cette qualité m’engage. Je ne la prends pas aisément à cause de cela : jusques à présent Dieu m’a châtiée pour l’infidélité des enfants, Il me fait souffrir pour eux. Mais aussi Il leur demande à mon égard une grande docilité et simplicité, de sorte que j’ai bien compris combien Jésus-Christ a souffert pour enfanter les prédestinés, car quoique nous soyons unis en Jésus-Christ à tous ceux qui veulent L’aimer, nous ne portons les langueurs et les peines que de ceux qu’Il nous donne pour véritables enfants.

Vous ne devez point craindre les croix, les sécheresses et les peines par [229] où Dieu fait passer. Outre qu’elles ne sont pas égales pour tous, c’est que le bonheur, qui suit la fidélité à les porter pour l’amour de Dieu, nous fait comprendre, lorsque nous sommes arrivés au but, que ce n’étaient point des véritables croix ni des peines, mais des miséricordes infinies de Dieu. Il faut être purifié en ce monde ou en l’autre : cent années de souffrance en cette vie n’égalent qu’à peine un jour des souffrances de l’autre pour être purifié ; et il y a encore cette différence que ce que nous souffrons en cette vie, qui est si peu de chose, acquiert, comme dit saint Paul, un poids immense de gloire1 en l’autre, et (ce qui est plus que tout cela) donne une très grande gloire à Dieu, car nous devons plus estimer la gloire de Dieu et Son bon plaisir que toutes les récompenses.

Je comprends bien que les grâces douces et consolantes excitent en vous une certaine activité amoureuse : la nature, qui veut prendre sa part de tout, tâche de l’augmenter encore ; [230] mais il faut mettre le holà à la nature, laissant tomber par un repos tranquille les efforts qu’elle voudrait faire soit pour correspondre activement à Dieu, soit pour augmenter sa sensibilité. Vous trouverez dans ce repos moins actif un goût beaucoup plus délicat, plus pur, plus simple, quoique moins sensible, que dans ce bouillonnement2 dont vous parlez.

Ce que Dieu demande de vous est un grand abandon intérieurement et extérieurement, parce qu’Il vous conduira par la main comme Son enfant. Accoutumez-vous de bonne heure à vous laisser conduire par toutes les routes où Il trouvera bon de vous mener, douces ou amères, par des routes unies et agréables, ou dans des déserts pleins de rocher. Tous lieux sont bons, et tous pays sont égaux lorsqu’on est à Sa suite. S’Il vous mène quelquefois par des lieux arides, c’est pour vous faire trouver ensuite les eaux de source. Ne craignez rien en Le suivant, ou plutôt craignez de craindre et de ne Le pas suivre aveuglément. Dans les commencements on caresse les enfants, parce qu’ils [231] sont encore petits et faibles ; mais quand ils sont devenus grands, le père, quoiqu’il les aime beaucoup plus, a une conduite sévère. Il les emploie alors pour sa propre gloire : Virtus filiorum, gloria patrum.

Ne craignez point de tomber dans l’état des (nouveaux prétendus) prophètes3, mais il faut prendre garde de ne point trop employer votre tête dans votre oraison, qu’elle se fasse dans la volonté4 : c’est l’amour que Dieu veut, et non la forte application de l’esprit. Cela tombera peu à peu. Cette voie ici est simple, droite, pure, dégagée de fantôme et d’enthousiasme, puisque même le sensible de la volonté se perd peu à peu. C’est pourquoi il faut aller par la foi pure, qui croit Dieu tout ce qu’Il est, sans vouloir rien chercher en Lui que Lui-même. Dans les commencements, la tête paraît prendre quelque part à ce qui se passe au-dedans de nous ; insensiblement il s’y fait comme un bandement5, qu’il faut négliger et laisser tomber comme on peut, afin que la volonté ne soit occupée que de l’amour. Car ce n’est point ce qui est dans la tête qui nous [232] fait devenir véritablement intérieurs, mais la foi seule et l’amour. Il est vrai que, comme la volonté tâche de réunir d’abord toutes les puissances en elle, cela fait d’abord comme une contrainte à l’esprit, à cause de leur dispersion ; mais à mesure qu’elles se réunissent par l’amour, la tête demeure simple, dégagée, et sans contention. J’espère que vous aurez un jour l’expérience de ce que je vous dis.

Ne vous occupez volontairement d’aucune de toutes les pensées dont vous me parlez, car on n’est pas toujours maître d’empêcher ce qui se passe par la tête. L’abandon à Dieu pour le présent et pour l’avenir est tout ce qu’il faut. Ce qui paraît le plus contraire est souvent ce qui ramène toutes choses en une, et Dieu se sert très souvent de contraires pour réussir dans Ses desseins. Laissons-Le faire : Il fera toujours tout pour le mieux. Il aime souvent mieux faire un saint qu’un empereur de tout le monde. Mais enfin sans s’occuper de quoi que ce soit, laissons-Le agir selon Sa gloire et Son bon plaisir. Ce serait une infidélité de nous occuper de l’avenir. [233] Laissons la rivière aller son cours : elle trouve ses bornes dans la mer de la volonté divine.

Nous sommes présentement dans le temps de l’enfance du divin petit Maître : je souhaite fort qu’Il vous communique de plus en plus Son enfance. Plus vous serez enfant, plus vous serez agréable à Ses yeux ; et Ses délices sont d’être avec les enfants des hommes6, comme dit l’Écriture, qui assure aussi qu’avant tous les siècles, la Sagesse se jouait devant Dieu, ce qui nous fait comprendre que la véritable sagesse n’est point un extérieur composé, ni une prudence affectée, mais une simplicité, candeur et innocence de petits enfants.

Pour l’oubli de soi, il ne vient pas tout d’un coup, mais peu à peu, à force de laisser tomber toutes les réflexions. Ne vous amusez point à regarder dans l’oraison ni ce que vous faites, ni comme vous êtes. Abandonnez-vous totalement à Dieu, sans réserve et sans vous inquiéter de vos imaginations : tout ce que vous avez [234] à faire est de ne les jamais entretenir volontairement. J’espère beaucoup de votre âme, si vous êtes fidèle à vous laisser entre les mains de Dieu. Croyez-moi en Lui véritablement à vous.

Ce n’est pas par effort qu’on peut ni s’oublier soi-même, ni oublier les autres créatures. On ne peut jamais éteindre les activités vagues et involontaires de l’esprit et de l’imagination en les combattant par nos propres forces : au contraire, cela les augmenterait. Mais il faut cesser autant qu’on peut toute occupation volontaire des créatures, soit de soi-même, soit des autres. Il faut se détourner doucement de toute complaisance, vanité, activité propre et volontaire, et pour ce qui est involontaire, il faut le porter, comme nos autres misères, jusqu’à ce que Dieu les détruise Lui-même par Son opération.

Quand je dis qu’il faut mettre le holà à la nature, ce n’est pas qu’il faille de soi-même se dénuer de toute activité et se mettre dans une passiveté opérée et efforcée par la créature. Cela serait et dégénérerait en [235] une vraie oisiveté infructueuse. Il faut nourrir toujours une certaine amoureuse activité de la volonté, qui loin d’être impétueuse et bouillante, est au contraire très calme et paisible ; et loin que l’âme cesse alors d’agir en se contraignant et s’efforçant, elle agit d’une manière beaucoup plus réelle, plus foncière, et plus centrale, parce que son action se concentrant toute dans la volonté et l’intime de l’âme, elle est d’autant plus noble et plus efficace que l’imagination et les sentiments y ont moins de part.

Depuisa celle-ci écrite, j’ai perdu mon vrai père, et mon plus cher enfant, dans la personne de M. de St. François7. Mais nous ne l’avons pas perdu. Il est dans le sein du petit Maître8. Il est notre intercesseur dans le ciel.

Jusqu’ici 9 c’est notre mère qui m’a dicté, mon cher milord. Permettez-moi d’ajouter un petit mot. L’action de la pure flamme, quoiqu’elle paraisse fort tranquille, est néanmoins infiniment plus vite que celle des eaux les plus rapides. C’est que nous mesurons la vitesse du mouvement selon que le changement successif des lieux est plus prompt et plus remarquable à nos sens, mais quand cette succession, à cause de sa vitesse, échappe le [au] discernement de notre vue, nous la croyons ou immobile ou lente. De même dans le monde intellectuel, nous mesurons l’action de nos puissances selon la multiplicité et l’ardeur de nos actes successifs et distingués, quoiqu’il y ait une action bien plus vitale, efficace, noble et intime qui paraît moins parce qu’elle est moins distincte et moins superficielle. De plus les idées vives de l’esprit et les émotions ardentes de la volonté ont une connexion naturelle avec le mouvement du sang et des esprits animaux et le branlement des fibres et des nerfs, mais quand l’opération de l’âme est plus concentrée, elle n’influe pas tant sur la machine animale et par conséquent n’est pas si sensible, quoiqu’elle soit beaucoup plus réelle et efficace [….] Pardonnez-moi si je mêle mes idées et explications imparfaites avec des vérités si pures. Je tâche de vous bégayer comme un simple enfant et de vous dire ce que je conçois de l’opération de notre Père céleste. J’espère qu’Il agréera ma simplicité.

Nous sommes à présent doublement unis : la filiation spirituelle, et la fraternité divine qui nous rend les enfants de la même mère est encore plus forte que tous les liens d’une respectueuse amitié qui m’unissait à vous auparavant. Puissions-nous par le cœur de notre mère nous perdre un jour entièrement dans le sein de notre Père céleste. Amen et amen. M. F [orbes], qui est arrivé ici en bonne santé, vous fait ses compliments et vous embrasse du meilleur de son cœur. Le neveu de M. de Saint François [le marquis de Fénelon] vous fait bien des compliments10. Il a vu quelque-unes de vos lettres à notre mère et il y a un grand rapport entre son naturel et le vôtre, car il a une grande candeur et simplicité. N’oubliez pas de le resaluer dans vos lettres, car il vous aime fort quoiqu’il ne vous ait jamais vu. Et je vous appelle souvent le marquis de F [énelon] écossais, et lui [le] Milord Desk [ford] français. Je vous prie de me faire savoir votre adresse en Écosse, afin que je vous écrive tout droit sans donner la peine à notre cher Dr. K [eith]. My dear father the A[rchbishop] of C[ambray] is dead. He left his blessing to all ye transmarin friends and lovers of ye N. M.11 You are of the number. Unite yourself to him in the presence of God et you [wil]l find the bless[e]d effects of such an union. Our dear mo[ther] is equally afflicted and abandonn[e]d to the divine will.

Jan[ua]ry. 12. N. S. 1715.

– Dutoit, t. III, Lettre 53, p. 228-235 ; complété par Henderson (M.N.E.), p. 94-95, transcrivant le ms. de Cullen House.

aAddition du ms. de Cullen House qui porte sur ce dernier court paragraphe dicté par Madame Guyon et sur tout l’ajout de Ramsay.

1II Cor., 4, 16-17 : « C’est pourquoi nous ne perdons point courage ; et bien que notre homme extérieur se consûme, néanmoins l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. — Parce que les afflictions si courtes et si légères, que nous souffrons en cette vie, produisent en nous la durée éternelle d’une gloire incomparable. » (Amelote).

2 V. le début de la lettre précédente : « … mon oraison me semble quelquefois un peu bouillante… »

3 Protestants français émigrés des Cévennes : v. lettre précédente.

4 V. Benoît de Canfield, etc.

5Bandement : dérivé de « bander », tendre avec effort.

6 Prov., 8, 30-31.

7 Fénelon, décédé à Cambrai le 7 janvier 1715, appelé « M. de St. François » dans la correspondance « secrète ». Le marquis de Fénelon utilise aussi ce nom dans son livre de lettres.

8 Voir Dutoit, t. IV, lettre 129, p. 511 : « … il est présentement dans le sein de Dieu. Il est plus que jamais avec nous si nous savions le trouver dans notre centre commun. »

9 Ajout par Ramsay à l’intention de Lord Deskford.

10 Ramsay atteste ainsi de la présence à Blois de Forbes et du marquis de Fénelon, neveu du grand Fénelon (« M. de Saint François », appell ation que l’on retrouve dans le cahier des lettres du marquis).

11 Notre Mère. (Henderson donne L. M., probable coquille.)

À Lord Deskford. 13 mars 1715.

Ce 13 de mars 1715.

Voici1, mon cher Milord, une lettre de la part de notre mère avec plusieurs jolies chansons2 pour vous réjouir. J’y ai joint aussi la copie d’une lettre de mon cher père, qui est à présent dans le sein de Dieu. Unissez-vous à lui : il vous procurera de puissants secours3. C’était le plus grand et le plus petit4 des hommes. Tout ce que le monde admirait en lui n’était qu’un voile pour le cacher des yeux des hommes, tout ce que les âmes pieuses condamnaient en lui était l’effet de la plus pure abnégation, de manière qu’il était également caché et des profanes et des dévots, et encore plus de lui-même. Je sens à présent que pour un père que j’ai perdu sur terre, j’ai gagné un protecteur dans le ciel. Les sens et l’imagination ont perdu leur objet, mais mon cœur le trouve dans notre centre commun5. Il répand sur moi un rayon de cette paix céleste dont il jouit, quand je m’y unis en simplicité et sans détour. Il m’est un canal de grâce. Il vous le sera aussi, si vous vous y unissez avec foi. Il a donné en mourant sa bénédiction à tous les enfants du petit Maître. Si vous en connaissez quelques-uns près de vous, dites-le leur.

Je vous aurais écrit plus tôt, mais nous pensâmes être orphelins depuis peu et perdre notre mère, qui a été trois fois aux portes de la mort par un catarrhe qui lui tomba sur la poitrine et pensa l’étouffer. Mais le petit Maître a eu pitié de nous et a fait… a, ainsi que trois saignées l’ont beaucoup soulagée, quoiqu’elle soit encore fort faible et alitée. C’est de son sang que j’ai écrit ces paroles qu’elle me dit de mander à tous les enfants du petit Maître : dans le fort de sa maladie, on me les dicta. Voici la chose la plus précieuse que je saurais vous envoyer. Gardez-la chèrement et accusez-m’en la réception, comme aussi de cette lettre.

Comme notre mère ne connaît pas l’air6 dont vous parlez, elle n’a pas pu vous envoyer des chansons là-dessus, mais en voici quatre admirables : le premier a été fait dans sa prison, les autres depuis. Si vous souhaitez d’en voir d’autres, M. F [orbes], qui vous salue cordialement, me dit de vous dire que vous en trouverez entre les mains de M. son frère7, de M. le dr. G [eorge] G [arden] 8 et de M. Alexr. Strachan9. Je suis sûr que tous ces trois seront prêts à vous communiquer tout ce qu’ils ont.

Je vous prie, mon cher Milord, d’envoyer ce que je vous écris à Milord Pitsligo, notre très cher et très honoré ami. Notre mère vous embrasse des bras du petit Maître qui sont longs. Pour moi je vous trouve souvent auprès de nous et au milieu de nous, quand nous sommes devant ce cher petit Maître. Comptez sur ma tendresse, sur mon respect, sur mon attachement inviolable, et quand je peux vous servir, je me sens toute âme et tout cœur. Enfin notre filiation demande que nous ne soyons que cor unum et anima una10. Adieu.

Je11 n’ai pas pu vous faire une chanson anglaise sur l’air que vous marquez, car je ne la connais point, ni aucun air. N’ayant aucune connaissance de la musique, je ne pourrais peut-être pas y ajouter ma poésie, quoique je susse les paroles de l’air. D’ailleurs ma veine poétique se dessèche, je ne sais si je pourrais présentement faire quatre vers de bonne rime. Mais je tâcherai de servir mon cher Milord par des services plus essentiels que par mes activités [poétiques] stériles et infructueuses. Je tâcherai de lui envoyer de temps en temps les paroles de vie. Adieu. Osculo sancto vos amplector. Ora et ama.

– Henderson, M.N.E., p. 96-97.

aManque un mot ?

1 Le début de cette lettre est adressée par Ramsay à Lord Deskford, avant la note dictée par Madame Guyon.

2 Manquantes.

3 En écho à Madame Guyon : voir Dutoit, lettre 4 129, p. 512 : « Unissez-vous à lui. Il connaît vos infirmités, et vous procurera de grands secours. »

4 Par son humilité.

5Dutoit, lettre 4 129, p. 511 : « Il est plus que jamais avec nous si nous savions le trouver dans notre centre commun. »

6 Henderson cite Dutoit 3.41 : « Il est bien difficile de faire des chansons spirituelles sur l’air que vous m’envoyez… ». Sur les chansons faites en prison, v. Vie 3.20.5, p. 871 de notre édition, ainsi que les cantiques issus de la pièce 2057, f°. 236 et suivants (deux d’entre eux sont reproduits p. 1041-1042).

7 James Forbes, qui épousa une sœur de Lord Forbes of Pitsligo : v. note Henderson, p. 97.

8 Rarement cité dans cette correspondance ; son frère aîné, James Garden, est l’auteur de Comparative theology, 1699, ouvrage comportant de beaux passages spirituels sur l’amour divin ; James Garden a joué un rôle essentiel auprès du groupe écossais par son cercle de Rosehearty ; il devint disciple de Madame Guyon après avoir été adepte d’Antoinette Bourignon.

9 Identification difficile : v. note Henderson, p. 97.

10 Actes, 4, 32 : « Toute la multitude de ceux qui croyaient, n’était qu’un cœur et une âme, et aucun d’eux ne regardait rien de ce qu’il possédait, comme lui appartenant en particulier, mais ils mettaient tout en commun. » (Amelote).

11 Note dictée par Madame Guyon.

À Lord Deskford. 15 avril 1715.

Apr [il] 15. 1715.

M. R [amsay] m’a 1 u la lettre que vous avez pris la peine d’écrire. Ce que j’ai prétendu, monsieur, a été de vous inspirer une oraison libre dont l’amour soit le principe, et qui parte plus du cœur que de la tête : quelques douces affections mêlées de silence1. Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher et à raisonner, j’ai voulu faire tomber l’activité de l’esprit par une foi simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur et simple, conforme à la simplicité de votre foi. Cela ne se fait pas par une tension de l’esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul, excitant la volonté par une tendance de cette volonté vers son divin Objet.

On est bien loin de vouloir vous donner des méthodes : il n’en est point question pour vous. Ce serait la même chose que de vouloir qu’un enfant déjà né rentre dans le sein de sa mère. Tous les livres sont pleins de méthodes, et ces méthodes sont très peu fructueuses : elles servent à nourrir l’activité de l’esprit que la foi doit surpasser. L’esprit de l’homme, naturellement curieux, voudrait voir un système clair et net de tout ce qu’il tâche de concevoir. Il n’en est pas de même de l’oraison que des sciences. Il faut ici que le Saint-Esprit soit le maître, et s’abandonner à Lui. Moins nous agissons, plus Il agit, mais comme Il ne demande que notre cœur, c’est-à-dire notre volonté, c’est donc par là qu’il faut aller à Lui : c’est le plus court chemin. Le traité De la Réunion2 en dit quelque chose. Le commencement des Torrents en parle aussi. Mais pour ce qui vous regarde, il ne faut que vous abandonner à l’Esprit de Dieu, vous mettre en Sa présence et rappeler cette présence par une petite affection lorsqu’elle vous échappe, des retours fréquents en vous-même durant le jour, et prendre quelque temps plus long et plus marqué pour vous tenir auprès de Dieu, comme un enfant auprès de son père qu’il aime. Plus nous agissons simplement avec Dieu, plus Il est content de nous, et plus nous sommes contents de Lui. Quand on a un si bon guide, on n’a pas besoin de demander une route particulière. Il a tant été écrit sur ces matières qu’il est inutile d’en dire d’avantage. Je ne le fais que pour vous marquer combien je vous suis dévouée en Jésus-Christ.

Plus nous agissons simplement avec Dieu, plus Il est content, et nous devons travailler à Le contenter et non à nous satisfaire nous-mêmes. C’est pour cela que Jésus-Christ a dit : Si vous ne recevez le Royaume de Dieu comme des enfants, vous n’y entrerez point3. Ce royaume est l’Intérieur. L’expérience en apprend plus que toutes les théories du monde. Et j’ose même dire que, sans expérience, non seulement on ne peut écrire solidement de choses intérieures, mais même les bien goûter et les bien comprendre en les lisant. Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous4, dit Jésus-Christ. Il dit ensuite : Cherchez le Royaume de Dieu et Sa justice5. C’est donc en nous qu’il le faut chercher. Lorsqu’on l’a trouvé, on trouve Sa justice. C’est qu’on voit les œuvres de cette divine justice, comme elle fait tout en l’âme pour détruire l’amour propre et restituer à Dieu nos usurpations : alors tout nous est donné par surcroît. Il faut renoncer à nous-mêmes, et c’est par là qu’on parvient à la bienheureuse pauvreté d’esprit.

– Henderson, M.N.E., p. 100-102 : « Copy of letter from Madame Guyon in the handwriting of Dr. James Keith, sent to Lord Deskford and preserved at Cullen House. There is nothing to indicate for whom the letter was originally intended. Some expressions very closely resemble what we find in Madame Guyon’s printed letters. »

1Dutoit, vol. IV, lettre 44, p. 100 : « Que votre oraison soit libre, plutôt du cœur que de la tête, plus d’affection que de raisonnement. Accoutumez-vous à entremêler vos affections d’un peu de silence. »

2 La voie et la réunion de l’âme à Dieu, Opuscules spirituels, 1712 - Dutoit, vol. IV, lettre 128, p. 508-509 : « On devrait faire une petite société intérieure entre toutes les âmes qui veulent véritablement aimer Dieu […] Il y a un traité de la Réunion de l’âme à Dieu […] Je prie Dieu […] de détruire tellement en vous le vieil homme, qu’il n’y reste plus que Jésus-Christ. »

3 Marc, 10,15. V. Dutoit, vol. V, Discours V, « Contre la prudence humaine et la propriété », p. 49 : « Jusques à quand clochera-t-on des deux côtés ? Suivez ou la simplicité ou la prudence… »

4 Luc, 17, 21.

5 Matthieu, 7, 33. — Voir Dutoit, vol. V, Discours II, « Oeconomie de la vie intérieure », p. 20 : « … c’est par elle qu’on apprend la véritable justice, qui arrache tout à la créature pour restituer tout à Dieu… »

De Lord Forbes au marquis de Fénelon. Début 1715.



À monsieur le m [arqui] s de Fén [elon].

Soyez persuadé, mon cher marquis, que le temps qui s’est écoulé depuis que j’ai eu l’honneur de vous écrire, n’a nullement diminué mon estime et affection pour vous. J’ai été fort infidèle au petit Maître, mais cependant Son amour est encore la plus grande passion de mon cœur. Lorsque j’y suis tant soit peu fidèle, mon affection pour vous se renouvelle d’une manière très ardente. Priez pour moi, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche.

J’ai en vue à présent un second mariage1. Je souhaite que le petit Maître conduise cela selon ce qu’Il le trouvera pour Sa gloire. La personne me paraît avoir toutes les dispositions que je puis souhaiter pour devenir une véritable Antiope2. La Providence m’a engagé dans ce dessein sans que j’y aie pensé. Je lui en laisse l’événement et je serai content de tout ce qui arrivera. C’est la sœur du gentilhomme que j’ai recommandé à R [amsay]. Je vous le recommande aussi. Tâchez de le détourner du vice et de lui donner de l’inclination pour la vertu, mais ne lui parlez pas des disputes de parti ; d’ailleurs il s’éloignera de votre compagnie, et vous ne lui pourrez faire aucun bien. Je vous demande le secret sur ce que je vous ai communiqué, et quand même cette affaire réussirait, je prie vous et R [amsay] de ne jamais laisser savoir monsieur Hay que vous avez connu mon dessein, mais si vous pouvez lui insinuer une bonne opinion de moi, ce me sera une très grande faveur. Vous ne paraîtrez pas me connaître autrement que par le rapport de R [amsay]. J’écris fort confusément, car j’oublie mon français tous les jours. Faites que R [amsay] vous lise sa lettre. Elle vous dira tout ce que je sais touchant ce jeune homme. Croyez que je suis de tout mon cœur tout à vous, et ayez la bonté d’excuser mes fautes et de vous souvenir avec compassion de moi auprès de notre Seigneur. Je fais mille fautes : les distractions, les tentations, les obscurités, la paresse m’accablent. Je ne trouve du remède que lorsque j’ai du temps pour la retraite et l’oraison. Comme notre mère nous a unis vous et moi, je vous aime toujours extrêmement. Je me réjouirais d’apprendre quelques fois de vos nouvelles, mais nulle distance ni nul silence ne me feront oublier le respect et l’amour que je dois avoir pour vous.

– A.S.-S., pièce 7420. Cette lettre entre tiers, adressée par Forbes au marquis de Fénelon, témoigne de l’entente entre disciples du vivant de Madame Guyon (on a lu le témoignage de Ramsay sur Deskford). La « dispute » portant sur l’édition de la Vie semble avoir été rapidement résolue.

Cette lettre est précieuse, car elle montre l’importance spirituelle accordée à Madame de Guiche, Marie-Christine de Noailles, mariée en 1687 au comte de Guiche. Veuve en 1725, elle vivra jusqu’en 1748. Surnommée « La colombe », elle était une fervente disciple : peut-être a-t-elle succédé à Madame Guyon, à moins que ce ne soit « la petite duchesse » de Mortemart.

1 James, 16ême Lord Forbes, se maria avant le soulèvement de 1715 avec Mary, veuve, sœur d’Alexandre, 4ême Lord Pitsligo, fameux jacobite. Ils eurent quatre enfants (The House of Forbes, Aberdeen, Spalding club, 1937, p. 251).

2 Antiope, fille d’Idoménée, au livre XVII du Télémaque, la fiancée idéale : « Antiope sera mon épouse. Ce qui me touche en elle, c’est son silence, sa modestie… »

De Lord Forbes au marquis de Fénelon.

À monsieur le marquis de Fénelon.

J’ai été rempli de joie, mon très cher frère, en lisant votre lettre. Tout ce que j’y ai trouvé m’en a donné sujet, mais je me suis réjoui principalement de voir que votre cœur est si fortement touché de l’amour et que les maximes du cher petit Maître découlent si aisément de votre plume. La bonté de la Providence, en vous donnant une Antiope1 et en vous bénissant d’un fils, qui sera une petite image et, comme j’espère, une aimable demeure de l’esprit du petit Maître, m’a encore comblé de joie. Je bénis Dieu de toutes Ses bontés envers vous, et j’en souhaite la continuation, avec toute l’ardeur dont je suis capable. Soyez assuré que mon attachement pour vous est tout à fait sincère, et que c’est de tout mon cœur que je désire que vous et madame votre épouse, et votre jeune fils, soyez remplis de toute la vertu et de tout le bonheur dont la bonté divine souhaite sans cesse de vous combler.

L’amour ne cesse pas de frapper à nos portes. La bonne volonté et la puissance de Dieu ne diminuent point. Il est toujours également excellent et aimable en toutes manières. Ses saints, et particulièrement notre mère et nos proches amis, s’unissent sans doute 2 à intercéder pour nous, et comme leurs prières viennent de l’Esprit de cet adorable Maître, elle Lui sont sans doute agréables. Quel malheur de nous détourner de l’Être souverain et parfait, qui mérite seul l’entier attachement de tous les cœurs, pour nous tourner vers nous-mêmes et vers nos propres recherches qui ne valent rien ! Et cependant c’est ce que j’ai fait, et c’est ce que je ferais toujours, si Sa bonté sans bornes ne m’en empêchait. Ce que je blâme le plus, comme ayant été la cause d’un si grand [f° .1 v°] malheur, est l’esprit d’indolence et de paresse qui m’est naturel, et qui m’a empêché le plus souvent de donner les temps nécessaires à l’oraison et à la retraite. C’est quelquefois prétexte de besoin de dormir qui me fait coucher trop tôt, ou demeurer trop longtemps en lit [sic]. D’autres fois c’est prétexte de nécessité pour les affaires ou pour la bienséance, qui me fait donner trop de temps aux compagnies, aux petites affaires et aux amusements, et cependant des gens, mille fois plus occupés et plus embarqués dans les affaires que moi, trouvent autant de loisir qu’ils doivent souhaiter. Lorsqu’il m’arrive d’être un temps considérable sans donner le loisir nécessaire pour la nourriture de mon âme, il arrive en même temps que les conversations du monde qui ne roulent que sur la richesse, la grandeur et les commodités de la vie font impression sur une âme aussi [sen] sible que la mienne, et si quelque chose survient qui puisse susciter la promptitude, l’anxiété, la tristesse, ou les autres passions, ma corruption ne manque pas de se montrer en toute sa laideur. Je demande pardon de ce que j’ai pris tant de temps pour vous raconter mes misères. C’est afin que vous, et M. de G.3 et monsieur R [amsay] ayez la bonté de vous en souvenir devant le petit Maître et que vous Lui en demandiez le remède.

La raison qui m’a fait penser à un second mariage4 a été le désir d’être dans un état plus fixé, afin d’avoir plus de commodité pour le soin des affaires spirituelles et temporelles, et surtout pour l’instruction de mes enfants. Lorsque j’ai été pendant plusieurs mois confirmé dans ce dessein, j’ai eu beaucoup de difficulté à me déterminer sur le choix d’une personne qui me serait propre, et là-dessus, après avoir recommandé l’affaire [f° .2 r°] à Dieu, j’ai demandé conseil à plusieurs amis. Chacun d’eux m’a nommé plusieurs demoiselles de caractères différents, selon leur goûts. Quoique j’avais plus d’inclination pour certaines d’entre elles que pour d’autres, je ne pouvais me déterminer, et c’est pourquoi je les nommai toutes à mon père pour lui en laisser le choix. Après avoir varié quelque temps, il se fixa pour celle que j’ai à présent en vue, et comme deux de mes intimes amis qui ont du goût pour les livres intérieurs, m’en avaient donné un très bon caractère, je m’en trouvais tout à fait content. Selon l’ordre de mon père et la détermination de la Providence, je fis toutes les démarches que je devais pour y réussir, mais comme sa condition dans le monde est fort bonne, plusieurs de ses amis se trouvèrent d’avis qu’elle ne devait pas s’engager à devenir belle-mère. Comme mon père devait venir ici et voulait absolument me mener avec lui, elle trouva à propos de me donner pour réponse qu’elle ne devait pas se déterminer temporairement, mais qu’à mon retour de Londres, elle me dirait sa résolution. Ces obstacles, joints avec l’accroissement de mon estime pour la demoiselle, me donnèrent pendant quelques semaines une anxiété et un attachement violent que le fond de mon cœur condamnait, mais à présent, il me semble que le petit Maître m’en a délivré, sans que mon estime et affection pour la demoiselle soit aucunement diminuée. Je serais avec l’aide de Dieu tout à fait content de tout ce qu’Il fera, et pour obéir à Sa Providence, qui m’a engagé en ce dessein, je ferai tout ce que la prudence demandera pour y réussir. Et s’il m’arrive d’être rétabli dans la campagne dans un état marié, mon principal soin sera de gagner tout à fait au Seigneur les cœurs de mon épouse et de mes enfants, et pour cet effet mon dessein est, avec l’aide de Dieu, d’observer les instructions de notre mère avec tout l’assiduité dont je serai capable.

Je n’ai jamais connu le gentilhomme que je vous ai recommandé : ça été environ deux mois [manque bas de page]. [f° .2 v°] a commencé. J’espère qu’il a les inclinations tournées vers la vertu, si les mauvaises compagnies et les penchants naturels à la jeunesse ne l’entraînent pas dans les désordres. Si vous pouvez lui inspirer doucement l’amour de la vertu, je serais trop bien récompensé pour tout le tracas que ce dessein m’a causé, quand même mon but principal ne réussirait pas. Il n’est pas nécessaire de vous avertir dans quel parti il a été élevé pour la religion et la politique. Sa conversation vous découvrira ces choses-là bientôt, et vous montrera les opinions sur lesquelles il ne faut pas faire tomber vos entretiens, surtout dans le commencement. Ma lettre devient beaucoup plus longue que je [ne le] souhaitais. J’ai oublié mon français tellement que vous aurez de la difficulté à comprendre ce que je veux dire. Je demande la liberté d’assurer madame votre épouse de mes très humbles respects. Je suis de tout mon cœur tout à vous. D [octeur] K [eith] souhaite que je vous assure de son estime et affection très cordiale.

To A [ndrew] R [amsay].

I have given, my dear R[amsay], this trouble after having writen so lately for no other reason, but that I might return you and the marquis thanks for your kind letters, which gave me great joy. My letter to the marquis is unreasonably long and so bad french that there are parts of it which he perhaps will not understand, but I resolve to let it go as it is, and shall do nothing to you or the subjects mentioned in it. Be assured, my dear R[amsay], you have no brother who has a more sincere and tender affection for you than I have. With all my heart, I wish you everything that is good, particularly that you may be very faithfull to the instructions of notre mère and that the spirit of our lovely little Master may completely prevail, and be all in you. May His name be hallowed, may His kingdom come, may His will be done in you now and for ever more. May you if it be [sic] His good pleasure, be an instrument in His hand for such good as He has think [sic] fit. I beg you and the marquis may recommand me to the prayers of Mme de G[ramont]5. I was, when in Scotland, fond of the expectation of Mr de C[ambray’s] life, but when I came here and found by L[ord] of … a and L… K… the dispute and trouble that was like to happen, I do own it was a great affliction to me and I do heartily return thanks to our lovely Master, who has preserved peace among brethren so dear to one another. May all our hearts be filled and governed by the divine love and may our wills be swift in His. May all the good effects that follow silence, peace, and retirement be plentifully communicated to you, be so for your own good and the good of others, I am [illis.] the bottom of my heart entirely yours. Adieu.

D. K[eith] does heartily wish you well.

– A.S.-S., Pièce 7459. Datation délicate. D’une part la référence à Antiope semble placer cette lettre tôt (comme le faisons ici) ; d’autre part la référence à un second mariage possible pose problème.

ams.

1 L’épouse parfaite. Le mariage du marquis de Fénelon avec la fille de Louis Le Pelletier avait fait de lui un parent du secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, le comte de Morville.

2 Sans aucun doute.

3 Probablement Madame de Gramont. Son nom est repris dans la partie de la lettre adressée à Ramsay. Elle semble avoir une grande importance pour les disciples et succéda peut-être à Madame Guyon.

4 Un second mariage eut lieu en 1741 avec Elisabeth, fille de Sir James Gordon of Park, date qui fait problème si le projet de cette lettre s’est réalisé, compte tenu de la mort de Keith en 1726 selon Henderson, M.N.E. - « The declining years of the 16th Lord were spent quietly at Putachie […] man of very sweet temper. The household at Putachie would otherwise have been a difficult one to run, consisting as it did of himself and second wife, Elisabeth Gordon, his son and son’s wife… » (The House of Forbes, op. cit., p. 253).

5 Comtesse de Gramont désignée antérieurement comme « Madame de Guiche » (v. note sur Marie-Christine de Noailles, qui épousa le comte de Guiche, devenu duc de Gramont).

Au Dr James Keith. 22 août 1715.

Aug. 22, N. S. 1715.

À Dr K [eith].

J’ai toujours bien de la joie, mon cher frère, d’apprendre de vos nouvelles, et de celles de la bonne Mlle Fis [sec] 1. Elle est bienheureuse que Dieu l’ait rendue digne de participer à la croix de Son Fils. Je ne suis guère sans incommodité. Le Maître nous sait tailler des croix de tout arbre : ô  qu’Il sait bien les choisir et n’en point laisser manquer ! Cette croix est scandale aux Juifs, et folie aux Gentils, mais pour ceux qui croient, elle est la Vertu de Dieu2. Jésus-Christ n’était-Il pas une pierre d’achoppement pour ceux qui ne croyaient pas, Lui qui était une source de Vie et un fleuve jaillissant pour ceux qui croyaient en lui ? Saint Paul ne dit-il pas : Nous sommes tous les jours pour l’amour de vous comme des agneaux qu’on mène à la boucherie3 ? Heureux ceux qui souffrent comme innocents et non pas comme coupables. Ceux qui savent se résigner avec joie à la volonté de Dieu dans leurs peines sont heureux, quoique les hommes n’en jugent pas de la sorte, et lorsque la conscience ne reproche rien, on a le repos d’esprit dans les plus fortes attaques. Les hommes sont bien plus difficiles à contenter que Dieu : c’est que les hommes jugent sur des apparences souvent fausses, mais Dieu voit le fond du cœur.

Il y a ici de deux sortes de jans [énistes] : les uns jurent tout ce qu’on veut, contre leur propre conscience, afin de se maintenir dans leurs bénéfices ; les autres au contraire ne veulent point jurer, crainte de se parjurer, et je les estime d’avantage. Les uns et les autres ne font que caballer, s’agiter, soulever tout le monde, ennemis jurés de la paix et de la vérité. Il faut, comme dit saint Paul, se soumettre à toute puissance4. Les bruits, les soulèvements ne font que tout gâter. Je me souviens d’un saint évêque4 en Perse qui, par un faux zèle, abattit un temple d’idoles et causa une terrible persécution aux chrétiens.

Il semble que nous soyons dans le temps décrit par le prophète5les femmes pleuraient Adonis et les vieillards tournaient le dos à l’autel pour adorer le soleil levant. Quand on envisage d’un coup d’œil le monde entier, on ne voit que discordes et divisions, les hommes qui se déchirent les uns les autres : les torrents de l’iniquité sont débordés partout. Il est certain que les vrais serviteurs de Dieu, qui n’aiment que la paix, sont à plaindre. Mais disons avec Maccabée : Mourons dans notre simplicité, et ne violons pas la loi du Seigneur6.

Hélas ! que la simplicité est loin, et que cette loi éternelle de la charité et de la volonté de Dieu est loin de nos cœurs ! On ne s’attache qu’à l’apparence, et Dieu permet que nous soyons séduits et trompés par cette même apparence. La simplicité méprisée nous enfonce de plus en plus en Dieu. L’âme se trouve en sa place, lorsqu’on se voit regardé avec des yeux qui jugent et veulent pénétrer, et qui s’aveuglent eux-mêmes. Soyons les heureuses victimes de l’amour et de la foi, et Dieu nous donnera ces yeux d’aigle qui découvrent la moelle du cèdre7 au travers de son écorce grossière et impénétrable aux yeux de la raison. Je suis très unie à vous en Jésus-Christ. La distance des lieux ne fait rien aux esprits8. Je salue madame votre ép [ouse] [Mrs Keith] et Mlle. Fiss [ec], ainsi que ceux qui appartiennent à Jésus-Christ. Mais qu’ils sont rares ! Tous veulent se posséder eux-mêmes : c’est pourquoi Il ne les possède pas.

– Henderson, M.N.E., p. 111-113 : « Copy of letter from Madame Guyon to Dr. James Keith enclosed in his letter of Sept. 17 to Lord Deskford. Text according to Keith. »

1 Mademoiselle Fissec : v. lettres suivantes.

2I Cor., 1, 23.

3 V. Rom., 8, 36 avec référence au Ps. 43, 23.

4 Rom., 13, 1.

4Abdas, en 420. Henderson renvoie à Théodoret, V, ch. 39.

5Ezéchiel, 8, 14.

6I Maccabées, 2, 20 & 37. Sur la simplicité Henderson donne d’intéressantes références : « Simplicity (like littleness), one of the qualities most necessary in the mystic. V. [Henderson] p. 88, 96 ; Lettres, [Dutoit] I, p. 145, 175, 291, 388, 438, etc. ; Vie de M. Renty [éditée par Poiret], p. 326, 384, 425, etc. ; Fénelon, Œuvres, I, p. 368 ss., etc. ; Mirror of Simple Souls ; etc. »

7Ezéchiel, 17, 3 : « … Un aigle puissant qui avait de grandes ailes et un corps très long, plein de plumes diversifiées par la variété des couleurs, vint sur le mont Liban, et emporta la moelle d’un cèdre ». (Sacy). « Tu diras : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Le grand Aigle aux grandes ailes […] vint au Liban. Il ôta la pointe du cèdre, [v. 4] arracha la cime de ses branches… » (T.O.B.) — Henderson, M. N. E., renvoie au Mirror of Simple Souls [de Marguerite Porete] « where not only the point about the cedar occurs, but the more important comparison of love and reason. The eagle-eye is a favourite figure and is to be found in Dionysius the Areopagite […] and in Ruysbroeck […] It derives from Aristotle and Pliny. » - Le « mont Liban » fut l’objet d’un songe célèbre de Madame Guyon. (Vie 2.16.7).

8Dutoit, t. IV, lettre 126, p. 499 : « Vous m’êtes très présent en Lui. La distance des lieux n’interrompt ni cette union ni cette présence lorsqu’elle est en Celui en qui tout est présent » ; t. IV, lettre 150 ; adressée à P. Poiret, p. 577 : « J’espère que ni distance de lieux ni nulle autre différence ne nous empêcheront pas d’être réunis dans ce divin Objet, qui rend tous un en Lui. »

De mademoiselle Fissec. 1715 ?

Je ne saurais vous exprimer la consolation indicible que m’a donnée la dernière lettre de notre chère mère. Je m’enfonce humblement dans le plus profond silence et j’adore la condescendance infinie de notre Seigneur, qui a écouté ma requête par cette âme bienheureuse et bénite. Sa bonté divine m’a toujours soutenue dans toutes mes souffrances, et me portant de souffrances en souffrances, Il porte ma croix et moi-même aussi. Quand je suis proche à succomber sous le poids, Son bras tout-puissant me relève afin de me préparer pour un autre, lequel je reçois avec joie, parce qu’il vient de Son amour infini pour ma purification et mon anéantissement. J’ai expérimenté d’une manière admirable ce que notre respectable mère dit, que dans le commencement, Dieu nous donne de grandes consolations pour nous attirer à Lui-même, et quand Il est bien assuré de notre cœur, Il retire tout cela et nous met dans le feu de la plus profonde tribulation, ce qui est un purgatoire très désolant.

Depuis ce dernier état, j’ai été environnée de grands nuages et enveloppée de ténèbres épaisses. [f.2 v°] Alors je pense, je dis en moi-même : heureuses ténèbres qui me cachent toutes consolations sensibles, toutes douceurs, tout soutien perceptible, goûté ou senti ! Car si je les avais, ils me rendraient grande et forte en moi-même et je me croirais quelque chose, au lieu que mon seul désir est de vivre dans l’enfance spirituelle, dans l’oubli continuel de toutes ces choses et dans un constant abandon de moi-même en Dieu, ne cherchant rien que Sa pure volonté, et ne désirant rien pour ce moi-même, ni dans le temps ni dans l’éternité, que ce que Dieu désire en moi et au lieu de moi. Il y a longtemps que le Seigneur m’avait montré que je ne dois me reposer en aucun don, consolation, ni faveur, mais en Lui seul, et je suis bien persuadée que l’âme qui a une fois eu un regard de Dieu par cette foi pure, simple, nue, rien moins que Saa pure divine essence, ne peut penser qu’à la conserver. Et qu’est-ce qu’une telle âme ne souffrirait point pour y parvenir ? Non, le pouvoir de l’amour divin, qui est totalement abandonné à un Dieu-Enfant le porte à souffrir plus que je ne suis capable et que je n’ose exprimer, car l’amour est plus fort que la mort et sa jalousie est plus dure que l’enfer. Vous en avez un très divin exemple chaque jour devant vos yeux, et je puis dire que je suis là en esprit, et je sens une force attractive de l’Esprit divin qui possède cette âme sainte, qui m’entraîne dans une très profonde paix et tranquillité inexprimable. Obtenez de Lui, mon cher monsieur, qu’elle continue ses prières efficaces à l’Enfant-Dieu, afin que je sois de plus en plus transformée dans Sa divine enfance.

- Pièce 7419, f.° 2r° : « Lettre d’une demoiselle anglaise religieuse du petit Maître dans le couvent de son cœur, nommée Melle Fissec » —Pièce 7416, f.° 21, copie du marquis  —A.A.-S., ms 2176, pièce 7417, p. 21 : « Lettre de M [ademoi] selle [illis.] anglaise » ; la lettre qui suit dans le ms. est du baron de Metternich et du 8 septembre 1714.

aManque t-il un mot ?

À Lord Deskford. 17 mars 1716.

« Tenez votre cœur dans la joie… »

Ce 17 mars.

Mon cher enfant, je ne sais si M. F [orbes], qui va en vos quartiers, aura la joie de vous voir. Si le petit Maître permet qu’il v [ou] s voie, il vous dira mieux que rnoi combien je vous aime dans le petit M [aître] et combien je m’intéresse à votre bien spirituel. Evitez toutes les pensées qui peuvent vous chagriner, tenez votre cœur dans la joie, mais ne manquez point à votre oraison : c’est la nourriture de l’âme1 aussi bien que la présence de Dieu durant le jour, sans quoi l’âme se dessèche. David disait : Mon â me s’est desséchée comme l’araignée, parce que j’ai oublié de manger mon pain2. Quel est ce pain dont la privation fait périr l’âme ? C’est le Verbe, ainsi qu’il est dit ailleurs : L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu3. C’est ce divin Verbe qui est sans fin engendré de Son père, qui est la seule nourriture propre à l’âme, et nous ne profitons de cette nouriture que par le moyen de l’oraison : c’est par là que cette nourriture substantielle s’introduit dans l’âme. Donnez donc lieu à ce divin Verbe de vous remplir de Lui-même. Il faut pour cela qu’Il détruise en nous toutes les contrariétés et les obstacles qui s’opposent à Son empire. C’est l’article le plus pénible, car il faut mourir avant d’être revivifiés, il faut être purifiés de nos ténèbres avant d’être pénétrés de la vraie lumière. Je vous envoie une petite image4 et vous embrasse dans le petit Maître.

– Henderson, M.N.E., p. 121 : « This short letter without year or address or signature is in the handwriting of Madame Guyon and is preserved at Cullen House, being no doubt intended for Lord Deskford. The reference to the departure of M.F. (Master of Forbes) from. France in the spring of 1716 (he was in London in May. v. next letter) suggests this placing of the letter. » L’autographe est reproduit par Henderson et repris par Gondal, Madame Guyon, un nouveau visage, 1989, p. 254-255. Nous donnons ci-dessous sa transcription qui impose un certain effort de lecture :

« Ce 17 mars.

« Mon cher enfant je ne scay si m f qui va en vos cartiers aura la ioye de vous voir sy le petit Maître permet quil vs voye il vous dira mieux que rnoy combien ie vous ayme dans le petit m et combien je minteresse a vostre bien spirituel Euittez toutes les pensée qui peuuent vous chagriner tenez vostre cœur dans la ioye mais ne manquez point a vôtre oraison cest la nouriture de lame e aussy bien que la presance de Dieu durant le jour sans quoy lame se deseche david disoit mon ame sest deséchée come laregnée parce que j’ay oublié de manger mon pain quel est se pain dont la priuation fait perir lame Cest le verbe ainsy quil est dit ailleurs lhome ne vit pas seullement de pain mais de toute parolle qui sort de la bouche de Dieu cest ce diuin verbe qui est sans fin engendré de son pere qui est la seulle nouriture propre a lame et nous ne profittons de cette nouriture que par le moyen de l’oraison cest parla que cette nouriture substacielle sintroduit dans l’ame donnez donc lieu a se diuin verbe de vous remplir de luy meure il faut pour cela quil detruisse en nous toutes les contrarietes et les obstacles qui soppose a son empire cest larticle le plus penible car il faut mourir auant destre reuivifies il faut estre purifies de nos tenebres auant destre penetres de la vrais lumiere je vous envoye un petit ymage et vous embrasse dans le p m. »

1Dutoit, t. IV, lettre 20, p.52 : « Ne manquez mais à l’oraison, soit que vous y ayez du goût ou non. » ; lettre 105, p. 351 : « L’oraison est la nourriture de l’âme. »

2 Ps., 101, 5.

3Matt., 4, 4.

4Dutoit, lettre 2 114, p. 327 : « Pourquoi me renvoyez-vous le divin petit Maître ? » [Note de Poiret :] « C’était l’image de l’enfant Jésus. »

À Lord Deskford. 3 juin 1716.

Je reçois toujours beaucoup de consolation, monsieur, en lisant vos lettres, d’y voir que vous voulez de plus en plus être à Dieu, mais ma joie redouble de savoir que madame votre épouse y veut aussi être sincèrement. Vous êtes obligé d’être pour elle, comme dit Saint Paul, la bonne odeur du Christ1. Comme vous êtes vif et prompt, travaillez tout de bon à vous vaincre. Ce n’est pas en combattant directement, mais en rentrant en vous-même et en ne parlant pas, soit pour ordonner, soit pour reprendre, tant que vous êtes ému, mais lorsque l’émotion de la vivacité est passée, dites [353] bonnement ce que vous avez à dire, et cela fera bien plus d’effet que tout ce que vous pourriez dire lorsque la passion est émue.

Je vous conjure de ne jamais manquer à votre oraison, à moins que ce ne fût pour une obligation indispensable, ce qui est rare. Car le démon ne demande qu’à vous empêcher de la faire, parce qu’il sait bien que c’est la source de tout bien et le remède à tous maux. Lorsque vous y aurez manqué sans nécessité absolue, faites-en le lendemain et le jour d’après un quart d’heure de plus. Cette légère pénitence vous rendra plus soigneux de ne pas y manquer. Ne vous étonnez pas des distractions de votre imagination : vous faites bien de les laisser tomber par un simple retour. Vos misères ne vous nuiront point si vous êtes fidèle : au contraire elles serviront à contrebalancer votre amour propre.

Mais la plus dangereuse de toutes les tentations, si vous vous y arrêtiez, ce serait celle qui vous porterait à quitter la voie intérieure sous prétexte de plus de rafraîchissement. Vous feriez comme celui qui aime mieux [354] avaler une pinte de boue qu’un demi-verre d’eau de roche. Ô que ces eaux qui sont données par la source de vie, Jésus-Christ, sont pures et bonnes ! Il est vrai que l’eau la plus excellente est sans odeur, sans couleur, sans goût, sans consistance, et qu’on pourrait donner le goût empoisonné de la bourbe à ce qui n’en a point. Cependant le Seigneur vous traite en enfant gâté, Il vous donne souvent du lait, et vous seriez le plus ingrat de tous les hommes si vous manquiez de reconnaissance et si vous cessiez de vous abandonner à Lui. Qu’importe quelle route Il vous fasse tenir, pourvu qu’Il vous conduise à la fin tant désirée, qui est Dieu même ? Vous ne pouvez nier le soin qu’Il prend de vous : suivez-Le et vous serez heureux. Si vous quittiez Sa voie, vous deviendriez le plus malheureux des hommes, vous ne trouveriez aucune bonne place. Mais j’espère bien que cela ne se fera pas et que vous serez fidèle jusqu’à la fin. Amen.

R [amsay] : Mon cher milord, passez ce terme à ce que sent mon cœur pour vous,… a m’exhorte à prendre la liberté d’ajouter un mot de moi à la lettre de notre mère. Je le fais pour vous dire que je veux être bien uni à vous. Je serai heureux si vous le voulez aussi. Ce que vous écrit notre mère est tellement tout pour moi que je serais tenté de croire quelque chose de la ressemblance dont on me flatte. Ce que vous mande n [otre mère] sur la promptitude2, je vous le montrerais dans les lettres que j’ai d’elle, je crois, en mêmes termes, parce que j’avais, et bien davantage encore, le même besoin. Je vous fais mon compliment, milord, sur la naissance du nouveau fils3 que le petit Maître vous a donné. Puisqu’il vient de Lui, j’espère qu’il sera à Lui. Je souhaite que vous ne soyez plus, comme saint Joseph, que son père présumé, et que ce soit le petit Maître qui soit le véritable, et que vous ayez la consolation de voir madame votre respectable épouse répondre à vos espérances en changeant aussi d’époux4. Que direz-vous de ma folie ? Mais je vous assure que si je ne sais ce que je dis, ce n’est pas merveille, car j’ai pris la plume sans dessein que de vous communiquer l’épanchement de mon cœur auquel je n’ai point de bornes. Ainsi excusez tout en faveur de la simplicité qui, j’espère, sera notre union en cette vie et en l’éternité. J’ai été obligé de quitter notre mère par des raisons de nécessité. Un heureux hasard m’y remmènera dans peu pour quelques jours. Ce ne sera pas sans me perdre avec vous entre ses bras.

[Du Marquis de Fénelon5 ?] On va imprimer un nouveau Télémaque6, où il se trouvera plusieurs choses qui ne sont dans aucune autre édition. R [amsay] y a fait une préface qui est un chef-d’œuvre de l’esprit et du cœur, et qui sera un grand ornement pour Télémaque. Dès qu’il sera imprimé, j’aurai l’honneur de vous en envoyer. Permettez-moi de manquer à tout, je me sens point de compliment pour vous, quoique je sache tout ce que je vous dois.

Henderson, M.N.E., p. 125-126 : « The letter from Madame Guyon … is apparently that which appears in the printed Lettres, Vol. I, no. 108 [Dutoit]. What seems to be the original of this is [was…] preserved at Cullen House. It is in the handwriting (and indifferent spelling) of Madame Guyon. To it is appended the following short letter from the Marquis de Fénelon to Lord Deskford. / The original letter from Madame Guyon does not give the year but is merely headed " M.L.D., ce 3 Juin." It is thus clearly to Lord Deskford, and from its contents, and from the reference in the Marquis’s letter to the new 1717 edition of Télémaque, we seem to be tied down to the year 1716, especially when we remember that by June 3 of the next year Madame Guyon was already dead. »

De nombreuses autres lettres éditées par Poiret et Dutoit sans destinataire semblent devoir être attribuées à la correspondance écossaise. En l’absence de preuves déterminantes, nous les réservons pour le volume « III Mystique ».

aManque un mot ?

1II Cor., 2, 15.

2Dutoit, Lettres, 3,39, p. 155 ; 4,45, p. 102 : « Ce que vous avez le plus à travailler est de mourir de tout point à votre propre volonté et à une certaine promptitude, qui vous est naturelle. » ; 4,46, p. 107 : « Quand vous sentez élever en vous des mouvements de promptitude, laissez-les tomber, et ne dites rien du tout que le trouble ne soit cessé. »

3 James, né le 16 avril 1716 : succéda comme 6th Earl of Findlater and 3rd of Seafield in 1764. (H., note p.122).

4 Inimitable Ramsay !

5 Ce dernier paragraphe est probablement du marquis de Fénelon, comme le suggère Henderson, cité ci-dessus.

6 Les Avantures de Télémaque fils d’Ulysse, […] Première édition conforme au manuscrit original […], 1717, comportant en préface un « Discours [de Ramsay] de la poésie épique ». Voir Fénelon (Le Brun), vol. II, bibliographie, p. 1272.

De M. le Dr Garden.

Copie d’une lettre de Mr. le d. Gardin à N [otre] M [ère]. Ce 16 de septembre.

J’ai reçu, ma chère madame, votre très aimable et consolante lettre. Béni soit Dieu qui nous soutient dans toutes nos tribulations, et qui vous a inspiré de m’écrire une lettre si pleine de consolation dans l’état où sa sage et bonne Providence m’avait placé. Je désire d’être totalement abandonné à la bonne volonté de mon Dieu plein de miséricorde, et j’espère qu’Il fortifiera en moi toujours de plus en plus ces dispositions. Il Lui a plû de me donner une âme paisible et contente dans ma prison1 et m’a fait voir par expérience que l’amour propre fait paraître la croix plus affreuse quand elle est éloignée qu’elle n’est véritablement quand notre Père céleste nous la donne et nous la fait portera. Il ne nous en charge que selon notre faiblesse, et Ses châtiments sont infiniment moindres que mon démérite et mon besoin. Puis [sé] — je devenir amoureux de Sa justice et m’y soumettre toujours !

J’ai été poussé par l’importunité de quelques-uns de mes bons amis de m’échapper de prison, parce qu’on avait dessein de me traiter avec la dernière sévérité. Ils me pressaient d’y consentir par l’exemple de saint Paul qu’on descendit dans un panier et échappa ainsi des mains de ses ennemis2. S’il avait plû à Dieu que cette entreprise n’eût point suffi, j’espère qu’Il m’aurait donné la grâce d’en être content, et s’il Lui plaît encore de me laisser tomber entre les mains de mes ennemis, chère B. (f.1 v°) J’espère qu’Il me donnera la grâce de me soumettre avec allégresse à Ses volontés adorables. Les mêmes amis me conseillent de quitter pour quelques temps ce pays-ci. J’attends la première occasion de m’embarquer pour la Hollandeb.

Je suis persuadé que Dieu soutient sa faible créature à proportion des maux qu’Il lui faitc souffrir, et je ne désire autre chose que d’être abandonné à Sa sainte volonté, de me délaisser totalement à Sa sage Providence, et de n’avoir aucun soin pour moi-même, mais de Lui remettre tout. Béni soit Dieu qui vous inspire de me chercher dans le cœur de Jésus ! Ô puissiez-vous me trouver là, puisse le chemin royal de la Croix me conduire à Son pur amour, puisse un amourd être mon asile, mon refuge, mon domicile : celui qui habite dans l’amour, habite en Dieu, et Dieu habite en lui. La croix qu’Ile lui plaît de me donner, et l’intérêt qu’Il vous fait prendre à moi me font espérer qu’Il a des desseins de miséricorde sur moi. Et si Sa Providence m’ouvre le chemin au pays où vous êtes, et que je sois aussi heureux que d’avoir l’honneur de vous y voir, j’espère que par votre moyen Il me communiquera quelques rayons de Sa grâce intérieure quef je n’ai pas éprouvés encore. Ô serai-je [saurais-je] vous prier, ma chère mère, de vous souvenir devant Dieu [du] pauvre misérable pécheur et de lui donner rendez-vous dans le cœur de Jésus ? Adieu. Ce 5 d’août.

A.S.-S., ms 2177, pièce 7424.

1 Georges Garden (1649-1733), refusant de se cacher, fut emprisonné dans le château d’Edimbourg lorsque les presbytériens déposèrent des ministres épiscopaliens, puis s’échappa en Hollande.

2 Actes, 9, 25.

anous (la add. interl.) donne (la mot illisible de la) (et nous la fait add. interl.) porter

bHollande (d’abord. raturé)

cqu’Il lui (fera biffé) fait

dpuisse ce qu’un amour. Nous corrigeons.

ecroix (plusieurs mots raturés illisibles) qu’il

fintérieure (plusieurs mots raturés illisibles) que

À Ramsay. Début 1717 ?

[f. 1 v°]… sois jamais infidèle. Vous me ferez un grand plaisir, mon cher e [nfant], de me venir voir. Je […] a si je suis encore en vie, vous veillerez comme les autres à votre […] b. Je ne serais pas fâchée que vous fussiez ici lorsque je mourrai, si le p [etit Maître] c veut bien que je meure. Le mal est si long et augmente chaque jour, je ne vois point de fin sans la charmante mort. Je n’ose ni la flatter ni la vouloir. Dieu fera ce qu’Il voudra. Je vous souhaite bonne et brève fin en vos affaires et vous embrasse. Je salue ff. et f.1

– A.S.-S., pièce 7139, autographe « à monsieur/monsieur de Ramsay à hôtel de Sassenage sur le quai des théatins à Paris », cachet médaillon visage de profil. Le feuillet est unique, plié pour envoi. Date incertaine. Nous la faisons précéder de peu la « charmante mort » de Madame Guyon. Texte incomplet dont manque le début.

aDeux mots illisibles.

bUn mot illisible.

cManque par déchirure.

1 Indéterminés.

Au Dr. James Keith 19 mars 1717.

Ce 19 mars.

M. K [eith]. Je m’intéresse beaucoup à votre affliction sur la mort de votre fils aîné. Mais je vous dirai ma pensée : c’est que Dieu l’a enlevé du monde de peur qu’il ne se corrompît, parce qu’Il l’a aimé et qu’Il vous aime. Il y a peu de fond à faire sur la piété des enfants. J’avais mon cadet, qui a marqué des sentiments pour Dieu bien au-dessus de son âge, jusqu’à faire par sa foi des choses qui ne paraissaient pas naturelles ; cependant comme il était très beau, il n’a pas été plutôt dans le monde que les femmes l’ont corrompu. J’avais une petite fille dont la piété était très édifiante et sa beauté charmante : j’ai remercié Dieu qui l’avait enlevée du monde avant qu’elle pût aimer le monde. Ainsi croyez-moi, le Maître qui connaît l’avenir fait tout pour le mieux, et ce que nous croyons des pertes sont des grands gains. J’assure madame votre épouse que je l’estime et lui souhaite en Jésus-Christ le véritable bien. Je ne puis néanmoins avoir peine de la mort de M. son fils, connaissant le petit Maître comme je Le connais.

Je vous assure que, lorsqu’[on] a trouvé le secret d’être un en Dieu, on est aussi présent de loin que de près. Ma santé est mauvaise, c’est une fièvre et un dégoût depuis un an : je sens que la nature s’use et défaille. Je prie Dieu qu’Il soit votre consolation et à madame v [otre] ép [ouse]. Vous serez ravis de retrouver ce cher fils un jour dans le sein de Dieu.

– Lettre de sympathie de Madame Guyon reçue par le Dr. Keith. Il joindra celle-ci en copie à Lord Deskford en même temps qu’une lettre qu’il lui adresse de Londres le 13 avril 1717 (Henderson, p.141-143) : « To The Right Honble. / The Lord Deskford/ at his House at Boin / near Bamff. ». On sait que les disciples faisaient ainsi circuler entre eux la correspondance de Madame Guyon.

Nous terminons cette correspondance écossaise par quelques lettres entre tiers qui informent sur la mort de Madame Guyon.

Du Dr. Keith à Lord Deskford. 11 juin 1717.

June 11th, 1717.

My dear Lord,

I had the honour of yours of May 9th and in a few days after forwarded the inclos’d to the Ven. M[y] S[aint] M[other] [Madame Guyon] who by all our accounts at that time was again become extreamly ill. Her sickness, w[hi]ch was a feaver, attended with a swelling and inflammation in her stomach with constant vomitings and difficulty of swallowing, encreas’d till the 9th of June N.S. our May 29th about 12 at night, when it pleas’d God to deliver her out of prison and to take her into his Eternal Rest. Blessed and adored be his holy will in all things. Let us be continually united with her in the heart of our divine L.M. who will not leave us orphans. A[ndrew] R[amsay] and D[r] G[arden] with the other two friends were then there1, and were to set out immediatly for P[aris] and the three last from thence for Holl[and]. I have lately read over her life2. [….]3

– Henderson (M.N.E.), p. 145-146.

1 Au lit de mort de Madame Guyon se trouvaient, parmi les écossais : Andrew Ramsay, George Garden, Lord Forbes et son frère James Forbes.

2 Noter la lecture du manuscrit de la Vie à Londres, où résidait Keith, avant sa publication par Poiret ; par ailleurs, après la deuxième partie du texte de la Vie, on trouve : « Pour Mr R-y [Ramsay]/Qu’on prie de la renvoyer s’il lui plaît à Mr K. [Keith] après qu’on s’en sera servi. » (v. La Vie…, description du manuscrit d’Oxford, p. 85).

3 La lettre porte ensuite sur d’autres sujets.

Du marquis de Fénelon à Lord Deskford. 29 juin 1717.

À Paris ce 29 juin.

Mon cher milord. Après la perte que nous avons faite, il ne nous reste plus que d’être unis en Celui qui ne nous manquera jamais et que nous devons croire ne nous avoir privés de la présence sensible de notre mère que pour nous faire trouver par son intercession un secours plus puissant et plus conforme à nos besoins. Cette bonne mère aurait été, je crois, bien touchée, si on lui avait pu lire votre dernière lettre qui arriva comme elle commençait à agoniser. L’abandon en Dieu, la perte de tout appui, et le détachement de toute créature et de tout hors Dieu est ce qu’il m’a semblé que le temps que j’ai passé auprès d’elle dans ces derniers moments de sa vie, m’a montré d’une manière sensible être la voie que je devais suivre. Dieu veuille m’y rendre fidèle.

J’ai été consolé en voyant, dans cette lettre que notre mère n’a pu voir, que vous étiez dans des dispositions conformes à ce que Dieu me faisait sentir. Soyons unis, mon cher milord, malgré la distance des lieux. Je n’aurai jamais rien qui me soit si précieux que de pouvoir espérer que j’aurai toujours en vous un ami et un frère dans le petit Maître : Dieu le veuille, et que je ne cesse pas de l’être par mes infidélités. Je suis bien touché de la séparation des amis avec lesquels j’ai passé un temps qui sera le plus doux de ma vie. Celui qui veut bien se charger de ce billet vous instruira de tout ce qu’il a vu avec nous. Il vous présentera aussi un petit présent que vous m’avez permis de vous offrir. Je souhaite qu’il vous fasse ressouvenir quelquefois de celui de qui il vient, à qui l’honneur de votre souvenir sera toujours également cher et précieux.

Jea ne saurais laisser partir cette lettre, mon très cher milord, sans vous marquer ma tendresse et mon respect. Je souhaite infiniment que notre union fraternelle subsiste à jamais. Celle qui est dans le sein de Dieu sera notre lien. Les paroles me manquent, mais mon cœur vous parle. Cor meum est apud te sine voce et silentium meum loquitur tibi.

À milord D [esk] f [or] d.

– Henderson, M.N.E., p. 147.

aMain et orthographe différentes.

Du Dr. Keith à Lord Deskford. 2 juillet 1717.

[….]1 A. R[amsay] has sent the inclos’d by J[ames] F[orbes] who is safely arrived here and with My L[or]d his Br[other]2 salutes you most affectionatly. Say nothing of it yet.

R[amsay] speaking of M.S.M. [Madame Guyon] adds : « Sa mort a été semblable à sa vie. Elle a porté jusqu’à sa fin les états de Jésus crucifié, et est expirée enfin sur la croix avec une paix et une douceur où il paraissait une insensibilité à tout ce qui est au-dehors, mais où je crois que l’Intérieur était bien occupé, et d’une manière peu intelligible à ceux qui n’ont pas les yeux de la foi. Elle est morte le 9 de ce mois [de juin] à onze heures et demi du soir. Elle me dit le matin, avant et après avoir reçu le saint viatique, qu’elle était dans un état de délaissement extrême. Je compris que le petit Maître la rendait conforme à son état sur la Croix quand Il dit : Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’avez vous abandonné ? 3 Je le lui dis même et elle ne répliqua que ces paroles avec une douceur et un abandon parfaits : Mon Dieu, vous m’avez abandonné. Le reste du jour jusqu’à six heures du soir se passa en grandes douleurs et souffrances. Alors elle reçut l’extrême-onction et sembla perdre connaissance de tout ce qui est au-dehors, et expira sans douleur, sans peine, dans un silence et paix profonde. »

– Henderson, M.N.E., p. 145-146.

1 Le début de la lettre donne des nouvelles de Londres.

2 Lord Forbes. La présence de ce dernier authentifie le récit de Ramsay (qui n’est pas toujours fiable) rapporté par Keith.

3 Matthieu, 27, 46 : « Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria, en disant : Eli, Eli, lamma sabacthani ; c’est-à-dire, Mon Dieu, mon Dieu, comment m’avez-vous délaissé ? » ; Marc 16, 34 : « Et à la neuvième heure Jésus s’écria d’une voix forte : Eloï, Eloï, Lamma sabacthani ; qui veut dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » ; Luc 23, 46 : « Alors Jésus cria d’une voix forte : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains » ; Jean ne rapporte aucune dernière parole.

Du Dr. James Keith à Lord Deskford. 10 septembre 1717.

Sept. 10th.

I would have answer’d my dear Lord’s letter w[hi]ch I rec[eive]d by M. Rud[diman]’s care in due time, had it not been that I was not furnished with what I took to be principally wanted in it, namely some account of the last years and hours of M.S.M.’s life. The account of the most valuable part during the last years of her life, I have not yet had, nor do I ever expect to have, her state being wholly inexplicable, but by a few general words, and indeed the fewer the better. As for her last moments, besides what I had from J[ames] F[orbes] who will also tell your Lop what he saw and heard, I shall here transcribe what A[ndrew] R[amsay] wrote me upon that occasion. His letter is of Aug[ust] 7th.

« Elle sentit depuis longtemps que Dieu l’allait retirer, que sa mission était finie, et [le] marquait par l’oubli profond où elle était désappropriée. Ses souffrances ont été extrêmes, et sa patience tout à fait chrétienne. II n’y a pas grande chose à dire d’une âme que Dieu avait toujours cachée dans le secret de Sa face, et qu’on ne pouvoit connaitre que par le silence du cœur. Il y a des saints qui parlent beaucoup en mourant. Il y en a d’autres qui n’ouvrent la bouche que pour dire avec Jésus-Christ sur la croix : Mon Dieu, Mon Dieu, combien vous m’avez abandonné1. Elle a porté ce dernier état de Jésus sur la croix, et m’a dit souvent le jour de sa mort : je suis dans un délaissement extrême. Mais tout se passa presque dans le silence, jusqu’à ce qu’enfin elle perdît connaissance de tout ce qui se passait au-dehors ». He adds : « J’ai eu ses ordres d’écrire ce que je sais de sa vie, mais en vérité ses écrits et ses souffrances sont si parlantes que je ne trouve presque rien à dire ; et je croirais manquer à toutes ses instructions, si je m’étendais en éloges vagues et hyperboliques. Je prie Dieu que le vénérable P [oiret] ne tombe point dans ces enthousiasmes outrés où il est tombé en écrivant la vie de Mlle B [ourignon] 2, où il la compare avec les autres saints, et l’élève au-dessus de tous depuis le temps des apôtres. Notre mère, en communiquant l’esprit de l’onction à ses enfants, les détachait du canal3, et ne souffrirait point qu’on s’attachât à l’instrument. »

This last period brings to my mind what perhaps your Lop has not yet heard of, namely the very strong opposition that is made by A. R[amsay] with all the other friends in Fr[ance] against M. P[oiret]’s printing and publishing that most valuable Life at this time, and in order to hinder him from doing it, they have represented the copy w[hi]ch he has as defective and imperfect, and therefore have desir’d him to return it to them to be corrected by one w[hi]ch they call more perfect. R[amsay] has written several letters (by their order as he says) to M. P[oiret] himself, to D[r] G[arden] and to us here, to this purpose, w[hi]ch is highly surprising to us all, and the more [is] that he himself transcrib’d that very copy w[hi]ch M. P[oiret] has, and sent it to him by Notre Mère’s express order (having first carefully revis’d and corrected it herself) to be published after her death. But the good old man refuses to give it up and resolves to be faithful to the trust reposed in him. They, on the other hand, have, they say, strong reasons for delaying it, but do not say what they are. L[or]d F[orbes] when you see him will acquaint your Lop with all this. He and his br[other James Forbes] took journey for Scotl[an]d the 2d instant and I hope may be at Edbr [Edimbourg] by this time. L. P. [Lord Forbes of Pitsligo] and D[r] G[arden] are well but when they will come over I cannot tell. When the 3d and 4th vol. of Lett[ers] are sent me, I shall obey your Lop’s orders, but the 4th is not yet finished, nor are the Télémaques4 come. One of the next they go upon will be les Opuscules Spirituelles [sic] de M. L’Arch. de C[ambray] w[hi]ch are said to be very fine. J.F[orbes] has his Sentiments de Piété, w[hi]ch I have read. He has also P. Surin’s Cantiques Spirituels for your Lop. It was M.S.M.’s own book.

M. Abercromby5 desir’d me to enclose your Lop’s letters to him, but I forbear to do it till I have your orders. He went down by sea with his Lady about 3 weeks ago. I hope they are safely arrived. With my best and sincerest wishes for your Lop. and your dear Lady and children in the tenderest manner, I am, ever, your Lop’s, etc.

– Henderson, M.N.E., p.150-151.


1 Henderson : « Madame Guyon several times in her writings turns specially to this incident : e.g. Lettres, IV, p. 258 f. ; V, p. 156. So also with Tauler : v. Opera Omnia (1615), p. 44. 436, 704, etc. Voir also use by Francis de Sales and Fénelon. »

2 L’œuvre d’Antoinette Bourignon fut éditée en 19 volumes par Poiret entre 1679 et 1686. En fait Pierre Poiret, devenu disciple de Madame Guyon, avait probablement bien changé depuis son « enthousiasme » (?), dont on ne trouve nulle trace écrite (à l’inverse de Dutoit).

3Dutoit, vol. 5 des Lettres, Anecdotes et réflexions [préface par Dutoit, usuellement dithyrambique :] « Madame Guyon n’a été que le canal, et l’Esprit de Dieu s’est servi de cet organe. »

4 Le s de Télémaques parce qu’il s’agit des exemplaires imprimés.

5 Capt Alexander Abercromby of Glassaugh, M. P. for Banffshire, membre du parlement écossais avant l’Union. (V. Henderson, M.N.E., p. 132, note 1.) 

De Lord Forbes (?). 16 mai 1723.

Il y a longtemps, mon cher frère, que j’ai eu l’honneur de votre chère lettre et de celle de Put [Dupuy]. Elles me donnèrent un double plaisir, et d’avoir le bonheur de vos nouvelles et de trouver aussi que ni l’un ni l’autre [n’] approuvait la clause dont il s’agissait. Je ne croyais pas que je serais obligé de vous donner plus de peine sur cet article, puisque M. R [amsay] par sa dernière m’écrivait en ces termes :

« Vous serez à présent satisfait. La Vie de M. de C-y [Cambrai] ne s’imprime plus. Malheur à moi si j’ai aucun attachement à mes faibles productions. L’obéissance m’a fait entreprendre cet ouvrage. L’obéissance m’engage à l’oublier et ce ne sera que par obéissance que je m’en ressouviendrai. Que l’homme et ses œuvres périssent, afin que Dieu seul règne. J’ai résisté à madame la duchesse de Sully1, qui voulait désavouer la Vie. Je vous ai résisté pour désavouer l’impression. J’ai cru suivre la vérité parce que Madame la Col.2 approuva l’expression qui vous formalisa. J’ai pu me tromper, mais j’étais droit dans mes intentions. Tous les différends finissent par la suppression de l’ouvrage, etc. »

Il écrivit (f.° 1v) à M. H [ooke] au même temps, comme fit aussi la Col [ombe] 2, lui priant d’arrêter l’impression de la Vie de S. B. [Fénelon] et même de la reprendre de la main du libraire en cas qu’il l’avait commencé. Il faut que je m’arrête un peu ici pour observer que le style du R [amsay] dans sa dernière est bien différent d’autrefois. Il n’insiste point sur la clause, il ne s’agit plus « de ne point trahir sa conscience ni d’obéir aux ordres d’une mère mourante, etc. », mais seulement d’obéir à une dame vivante. Et avec combien de démission d’esprit, de docilité, de petitesse et de simplicité écrit-il ! Mais j’avoue que j’aimerais mieux des paroles moins fleuries et une conduite plus droite et plus sincère. Car n’aurait-on pas cru l’affaire finie ? Point du tout. Voici des nouvelles ruses.

La Col [ombe], à l’instance sans doute de R [amsay] ou du moins pour lui faire plaisir, en peu de semaines après donna ses ordres par une tierce personne à M. H [ooke] de faire imprimer la Vie de S. B. [Fénelon] incessamment avec la dite clause et de n’en rien dire à personne ; et en effet on a bien gardé le secret, car pour moi je n’en ai rien su jusqu’à ce que la copie fût non seulement entre les mains du libraire, mais actuellement envoyée en Hollande. Enfin, mon cher marquis, que pensez-vous d’une conduite si étrange ? Il me semble qu’elle s’accorde très bien avec tout le reste et que ce procédé est digne de la clause3. [f.° 2r]

Mais puisque ni les scandales ni les suites funestes qu’une telle dispute pourrait avoir, ni la vérité même, [ne] pu [ren] t les empêcher de passer outre, je ne ménagerai plus rien, ni ma réputation ni la leur, et j’ai pris la résolution de publier au monde l’origine et le progrès de cette affaire avec tous les tours et détours. J’imprimerai les lettres de R [amsay] et les miennes, et je ferai voir la part que la duchesse de Sully4 a voulu prendre et celle que la Col [ombe] a prise. Je les nommerai tout au long et je signerai le récit enfin : puisqu’on me force de donner une comédie au public, les autres auront part au jeu. Vous voyez, mon cher frère, que R [amsay] se dit avoir agi seulement par obéissance à la Col [ombe], M. H [ooke] dit de même. Quel intérêt a-t-elle en toute cette affaire, croit-elle de bonne foi que notre mère n’ait jamais écrit et corrigé sa propre Vie comme elle est, ou pense-t-elle que [le] v [énérable] P [oiret] n’ait jamais eu ses ordres exprès par écrit de la publier après sa mort ? Pourquoi se fait-elle l’auteur de toute cette contestation, et de toutes les suites, et se mêle-t-elle de gaieté de cœur pour faire accroire au monde des choses dont tous les cis5 savent le contraire ? Pourquoi veut-elle flétrir la Vie de notre mère et la réputation de nos amis en Hollande et, indirectement, le crédit de tous les livres spirituels qu’ils ont publiés ? Enfin pourquoi veut-elle me réduire à la dure nécessité de donner au public une scène de cette nature ? Assurément elle devrait avoir des ordres bien positifs de notre mère ou des ordres encore supérieursa. [f.2v] Puisque je n’ai pas l’honneur d’être connu à la Col [ombe], si vous le trouvez à propos, je vous prie de lui parler de ma part et de la conjurer encore une fois d’interposer son autorité6 pour ôter la cause de cette dispute, et pour rétablir l’esprit de paix parmi les enfants d’une même mère : vous voyez qu’il ne tient qu’à elle.

Ayez la bonté aussi d’assurer tous les cis que j’ai fait tout mon possible, pendant une année entière, de prévenir les conséquences d’une opiniâtreté qui puissent un jour malgré moi leur donner de la peine. Je ne suis nullement l’agresseur : c’est R [amsay] qui a commencé et la Col [ombe] qui insiste. J’aurais gardé le silence si des devoirs indispensables, à ce que je crois, ne m’obligeaient à faire autrement pour bien des raisons : ainsi j’espère qu’on me pardonnera. Je doute, mon cher frère, si vous pouvez entendre mon baragouin, mais soyez sûr que je suis, avec tout l’attachement possible, votre, etc. Ce 16 mai v. st.1723.

Je vous prie de me donner un mot de réponse le plus tôt que vous pourrez, car il est encore temps, quoique, à dire la vérité, je n’attends pas beaucoup de ce dernier effort. J’ai oublié de vous dire que M. H [ooke] ne voulut jamais me montrer les lettres de R [amsay] à lui, parce que, comme je crois, il en a honte. Mais dans la chaleur de la conversation, il m’a lu quelques endroits dans l’un desquels R [amsay] dit que non seulement il abandonnerait plutôt son ouvrage, mais même qu’il dirait et écrirait des choses qui l’obligeraient de quitter la France, plutôt que de quitter la clause en question. Que peut-on attendre d’une telle opiniâtreté ? Mais il est vrai qu’il écrivait cette lettre du temps avant sa dernière à moi [adressée].

– A.S.-S., Pièce 7422.

asupérieurs (aux siens raturé).

1 La fille de Madame Guyon voulait préserver la mémoire familiale en empêchant la publication « scandaleuse » de la Vie de sa mère.

2 Madame de Guiche, Marie-Christine de Noailles, mariée en 1687 au comte de Guiche. Veuve en 1725, elle vivra jusqu’en 1748. « La colombe » était une fervente disciple ; voir Fénelon (Orcibal), t. 4, p. 26 et t. 17, lettre 1572, note 8.

3 La clause : disposition testamentaire. Nous n’en connaissons pas le contenu.

4 La fille de Madame Guyon.

5 Disciples résidant en France par opposition aux trans.

6 Confirmation de l’autorité de Madame de Gramont.







IV. Suisses  

À monsieur Monod.

J’ai reçu, monsieur et cher frère en Jésus-Christ, votre bonne lettre. Pour répondre au premier article qui regarde l’usage du mariage, je crois que vous devez vivre d’une vie toute sainte et commune, comme tant de saints ont fait dans la primitive Église, usant du monde comme n’en usant point, c’est-à-dire sans attache, prêt à tout quitter lorsque le Seigneur marquerait le vouloir. Souvent tout ce que nous voulons faire d’extraordinaire, et hors de la route commune, ne vient que de l’amour de la propre excellence, qui donne volontiers dans ce qu’il y a de grand et de merveilleux. On a peine de se voir assujetti comme les autres hommes, au lieu que cet assujettissement doit être un contrepoids à notre orgueil. Ce que saint Paul raconte de lui-même1, que de peur qu’il ne s’élevât par ses révélations sublimes, Dieu lui avait donné un ange de Satan qui le souffletait et lui était comme un contrepoids, en est une preuve. Nous voulons toujours voler en haut, et Dieu nous repousse en bas par le poids de notre propre misère, parce que rien ne déplaît tant à Dieu que l’orgueil, et qu’Il aime mieux un ver qui rampe dans la terre de son humiliation, qu’un vol superbe et audacieux. En voilà assez sur cet article.

Demeurez bien abandonné à Dieu, et la fidélité à l’oraison et l’amour de Dieu détruiront plus la concupiscence de la chair que tout ce que vous pourriez faire par vos efforts propres. Les efforts ne donnent que des secousses, qui ne sont pas de durée, mais l’oraison et l’amour de Dieu éteignent peu à peu les sentiments de la chair. Soyez donc bien humble et bien petit : cela sera plus agréable à Dieu que tout le reste.

Pour ce qui regarde de vous priver de tout culte extérieur sous prétexte d’adoration en esprit et en vérité, c’est une méprise très forte. Jésus-Christ, qui nous a enseigné le culte de l’Esprit, nous a donné Lui-même des exemples de l’adoration extérieure : Il passait des nuits à genoux à faire la prière de Dieu, Il s’est prosterné le visage contre terre. Il faut que nous comprenions bien que nous sommes composés d’âme et de corps, et qu’il faut que chacun rende hommage à Dieu en sa manière. Et même les âmes très intérieures éprouvent qu’après que Dieu, par un long et profond silence, leur a ôté une multiplicité très forte et une certaine attache à leurs propres opérations, il leur est donné une facilité de louer et bénir Dieu. Il y a une infinité d’exemples dans l’Ecriture sainte de ce cantique merveilleux que l’âme chante lorsque Dieu, l’ayant tiré d’elle et de sa manière ordinaire d’agir, elle se trouve dans un épanouissement de joie en Lui, ce que la sainte Vierge appelle dans son cantique une espèce d’exultation2. Et même après la résurrection, nos corps rendront à Dieu dans le ciel une louange convenable à ce qu’ils sont. C’est pourquoi il est écrit que les anges et les saints disent sans cesse : Sanctus, Sanctus, etc., ce qui marque la louange du corps. Il ne faut pas faire sa principale occupation du culte extérieur : au contraire, il n’a de valeur qu’autant qu’il dépend de l’intérieur, mais il se faut bien donner de garde de le retrancher tout à fait. Il est aisé de porter la privation de tout culte extérieur dans le temps des consolations. Mais lorsque l’âme est mise en sécheresse, s’étant privée elle-même de tout ce qui est extérieur, elle se trouve tout d’un coup dénuée de tout. Et il est bien à craindre qu’elle ne retourne aux amusements du siècle.

Je sais qu’il y a eu de saint anachorètes, comme saint Paul l’ermite, que la nécessité de leur état avait comme réduits à être privés de tout culte public. Mais quel culte ne rendaient-ils pas dans le particulier, ces grand saints, dont le corps même priait après la mort : ces grands saints restaient à genoux les bras étendus comme s’ils eussent été encore vivants ! La multitude des solitaires s’assemblaient les dimanches, et quoiqu’ils fussent très unis de cœur et d’esprit, ils se rassemblaient une fois la semaine pour rendre tous ensemble un culte d’amour et de reconnaissance envers Dieu. Nous voyons que les premiers chrétiens s’assemblaient tous ensemble pour prier, et ils étaient réunis de la sorte dans le Cénacle lorsque le Saint-Esprit descendit sur eux. L’Ecriture dit qu’ils n’étaient tous qu’un cœur et qu’une âme, et qu’ils persévéraient tous dans la fraction du pain3. Même les Pères du désert ne permettaient pas aux pères de se retirer dans les déserts reculés qu’après une longue épreuve d’une vertu très solide, ayant vu que plusieurs jeunes solitaires, pour s’être retirés des autres et avoir voulu mener une vie plus parfaite que le commun, avait été trompés par le diable et étaient tombés misérablement. Ne travaillons pas, comme dit l’Imitation de Jésus-Christ, à avoir ce qui est plus grand et élevé, mais ce qui est plus humble et plus petit4. C’est où il n’y a point de méprise, et où le démon ne saurait tendre ses pièges.

C’est une grande vertu de savoir se supporter soi-même, de souffrir ses propres misères. La vraie perfection ne vient pas tout d’un coup. Tout consiste dans un renoncement perpétuel et à honorer le tout de Dieu par notre bassesse et notre impuissance. Il faut s’accoutumer dans tous les emplois et dans toutes les occupations à rentrer souvent en soi-même, en se tournant de tout le cœur vers Dieu, et cherchant dans le cœur, où Il veut être trouvé. D’ailleurs, il faut remplir pour Son amour tous les devoirs de notre état, quels qu’ils soient. Et quand on le fait de cette sorte, ils peuvent bien empêcher l’attention de l’esprit, mais ils n’ôtent pas le fond de la volonté, qui est à Dieu.

Quant à ce que vous demandez sur les Inspirés5 de vos quartiers, je n’ai garde de les blâmer ni d’en juger. Le conseil qu’ils vous ont donné, contraire à ce que d’autres voulaient exiger de vous, est fort bon. Mais le sûr remède pour ne tomber en aucune illusion, est d’outrepasser tout ce qui est extraordinaire, sans s’y arrêter, pour ne s’attacher qu’à Dieu, et aller à Lui par une foi nue, qui met à couvert de toute illusion. Tout ce qui est extraordinaire et merveilleux, est très sujet à tromperie. Le démon s’y fourre souvent, il se sert même de ce merveilleux pour séduire les âmes droites, et ses séductions les plus subtiles et les plus dangereuses sont celles où il fait dire les plus belles choses. Le plus sûr est donc de tout outrepasser, de laisser le merveilleux pour ce qu’il est, sans s’y attacher, et sans l’examiner pour en juger, et d’aller à Dieu par un abandon général et au-dessus de tout, aimant autant l’obscurité que la lumière, et ne regardant jamais la lumière même que comme un don de Dieu pour nous conduire à Lui, et qu’il faut par conséquent outrepasser, comme tout le reste, sans nous y arrêter.

Vous ne devez avoir aucune peine sur le squelette dont vous me parlez. L’opinion que les âmes ne jouissent point de Dieu tant que les corps sont privés de sépulture, est une opinion toute païenne et qui n’a aucun fondement. Si l’on enterre les corps dans le christianisme, c’est par un respect pour des corps que Jésus-Christ doit ressusciter à Son jugement. Mais ce n’est pas pour le besoin que les âmes a [ura] ient de cette sépulture.

J’ajouterai à ce que j’ai déjà répondu sur ce qui regarde l’article des Inspirés, que la façon dont ils souffrent les persécutions qu’ils essuient partout, est en effet une très bonne marque, et qu’il est très vrai que les véritables enfants de Dieu sont tous les jours persécutés. Mais quoique cette persécution et cette patience à souffrir tous les mauvais traitements soient d’excellentes marques, cependant ce ne sont pas des preuves certaines contre le danger de l’illusion. Le démon, qui se travestit de fois à autre en ange de lumière6, se revêt quelquefois des marques des enfants de Dieu pour séduire ceux qui se laissent aller aux choses extraordinaires. Tous les hommes sont frappés de l’extraordinaire. Il n’y a que la petitesse, le renoncement, la croix, l’oubli et le mépris des autres pour nous, et l’oubli de soi-même, qui ne frappent point les hommes, et qui sont cependant le seul chemin sûr qui nous conduit à Jésus-Christ, mort nu sur la croix. Sainte Thérèse raconte elle-même dans sa Vie d’avoir souvent éprouvé des lumières qui venaient de l’ange de ténèbres, et dans lesquelles elle trouvait plus de douceur et de consolation que dans celles qui venaient de Dieu. Ce qui fait bien voir que ce ne sont ni les dons, ni les lumières qui peuvent nous assurer, et qu’il n’y a qu’une voie de foi et d’abandon qui puisse nous préserver de tout également. Il viendra dans la fin de siècle des faux prophètes qui feront toutes sortes de prodiges7. Ce ne sont donc ni les prodiges ni le merveilleux auxquels nous devons nous attacher, mais à l’abandon, à la prière et à l’amour de Dieu, où il ne peut jamais y avoir de méprise. Croyez-moi, monsieur, entièrement à vous en Jésus-Christ.

Pour vos enfants, pensant comme vous êtes, il serait à souhaiter que vous pussiez les élever auprès de vous et vaquer assez à leur éducation pour leur inspirer des sentiments chrétiens. Mais il faut beaucoup s’abandonner à Dieu sur cela, comme sur le reste, car ce n’est point sur nos propres efforts qu’il faut compter en quoi que ce soit : il y a une Providence sur les enfants, comme sur le reste, à laquelle il faut tout remettre, après que l’on a fait ce qu’on a pu. Les collèges sont la route commune et, malgré la corruption qui y règne, Dieu S’y choisit des serviteurs dès l’enfance ; cependant, si vous croyiez être sûr que vos enfants s’y corrompissent, il ne faudrait pas les exposer à ce danger, mais faire de votre mieux, les gardant chez vous, et vous abandonnant à Dieu pour le succès.

– Dutoit, t. IV, Lettre 106 : « À M. Monod, chirurgien et Maître des postes, à Morges. »

1II Cor., 12, 7.

2 Luc, 1, 46-54 : « Et mon esprit se réjouit en Dieu mon sauveur —… » ; 3.6 : « Et toute chair verra le Sauveur qui est donén de Dieu. »

3 Actes, 2, 3-4, 42 et 4, 32.

4 Imitation, I, chap. 1-2.

5 Il s’agit des émigrés cévenols.

6II Cor., 11, 14.

7 Matthieu, 24, 24.

À Mlle de Venoge.

J’ai reçu votre lettre, ma chère sœur et véritable amie, avec beaucoup de joie. Bien loin que votre pauvreté me fasse horreur, si vous étiez encore plus pauvre, je vous aimerais davantage. Vous vous croyez bien pauvre et vous êtes encore bien riche, mais il faut se laisser au Seigneur pour qu’Il donne et ôte comme il Lui plaît. Ce n’est point l’ouvrage de la créature, mais celui de Dieu. Ainsi laissez-le Lui faire tout entier, qu’Il vous mène où et comme il Lui plaira : tout est bon de Sa main. Il est difficile, quand la pauvreté devient plus grande, de ne pas vouloir se mêler de l’œuvre. Mais il n’est pas encore temps de parler de cela. Votre Bien-aimé ne peut point vouloir que vous ne L’aimiez pas, quoiqu’Il puisse vouloir que vous ne connaissiez ni sentiez votre amour : car lorsqu’Il appauvrit et dénue l’âme, c’est pour Se faire aimer plus purement.

Il n’a pas encore pris tout le sien, il s’en faut bien. Il ne vous a pas encore mise dans le profond abîme du néant. Il vous laisse bien dans votre néant, c’est-à-dire dans la place qui vous convient selon votre état ; mais pour l’abîme du néant, il est si profond qu’il faut y avancer bien des années avant que d’en atteindre le fond, et je crois qu’il n’y a jamais eu que Jésus-Christ qui l’ait approfondi véritablement en S’anéantissant Soi-même1. Quand la sainte Vierge parle d’elle-même dans l’Ecriture, elle dit que Dieu a regardé sa bassesse2, et comme elle était la plus anéantie des pures créatures, le Verbe l’a choisie pour être Sa mère : ainsi plus nous sommes pauvres, petits et anéantis, plus nous sommes agréables à Dieu. C’est dans ces cœurs où Il Se plaît infiniment et où Il répand Son plus pur amour : après les avoir anéantis selon Ses desseins éternels, Il S’y incarne Lui-même mystiquement.

Ce que vous avez donc à faire est de ne vous mêler de rien et de Lui laisser tout faire, car tout ce que vous feriez ne servirait qu’à L’empêcher d’agir en vous. Le dessein de Dieu en agissant en nous n’est pas de nous rendre merveilleuses, de nous remplir de dons et de faveurs, mais de nous réduire à rien, car c’est un Dieu jaloux, qui ne veut rien souffrir en nous que Lui-même pour Lui-même et non pour nous.

Vous dites que vous n’avez plus que la foi nue : c’est la meilleure de toutes les voies et, quand vous cesserez de l’apercevoir, ne vous en étonnez pas, car plus elle devient nue, plus elle disparaît à nos yeux. Dieu est si jaloux, comme je vous l’ai dit, qu’Il ne veut pas même que nous voyions s’Il opère en nous, ni ce qu’Il opère. Demeurez immobile à moins qu’Il ne vous remue Lui-même. Je vous assure, ma très chère amie, que dans le chemin que vous tenez, vous n’y trouverez pas de presse et que la foule ne vous y incommodera point, car chacun tend à être quelque chose, et peu tendent à n’être rien afin que Dieu soit tout en eux, non pour eux, comme je vous l’ai dit, mais pour Lui-même. Je m’intéresse beaucoup pour votre âme afin que Dieu soit glorifié en vous selon qu’Il le désire. Je vois qu’Il vous a conduite par une bonne voie, puisque vous avez travaillé à ôter de vous tout ce qui n’était pas Dieu. C’est jusqu’où l’activité aidée de la grâce peut aller. Laissez donc tout faire à Dieu à présent.

Pour ce que vous me demandez, si le corps et le sang de notre Seigneur sont dans le pain et le vin qu’on vous donne à la Cène, je ne le crois pas, mais ce serait une trop longue discussion de vous dire où Il est véritablement3. Contentez-vous, puisque le Seigneur vous en a retirée, du soin qu’Il a de vous. Pour les sermons, allez-y quelquefois, pour ne point faire de peine aux autres et pour ne point attirer la persécution.

Pour la bonne personne dont vous me parlez, je ne suis nullement surprise de ce que vous me dites. J’en ai connu beaucoup d’autres que Dieu a menées là, malgré une ferme résolution, qu’elles avaient faite de ne se point marier. Ce n’est ni le mariage ni le célibat qui sanctifient, mais la volonté de Dieu. Lorsque Dieu prépare Lui-même les choses, ce serait une propriété de ne vouloir pas s’y rendre. J’espère que Dieu ne vous manquera, ni à N., si vous Lui êtes fidèle. Sa parole y est engagée lorsqu’Il a dit : Cherchez le règne de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné comme par surcroît4.

Je suis bien aise que vous aimiez la justice de Dieu, car c’est un attribut qui est tout pour Lui. C’est elle qui Lui restitue toutes nos usurpations, qui nous purifie de tout ce qui Lui est contraire. Elle crie sans cesse : « Qui est comme Dieu ? », afin qu’on Lui immole toutes choses. C’est l’attribut auquel je suis dévouée. Je suis ravie que vous le soyez de même, et je vous embrasse, ma chère amie, de toute la tendresse de mon cœur.

Vous avez bien raison, ma chère amie, de dire qu’il faut bien des morts pour arriver là et qu’il faut bien perdre des vies, parce que notre vie propre se trouve partout, même dans les choses qui paraissent les plus saintes. C’est pourquoi il faut tant de morts pour arriver à la vie éternelle. Mais quelle est cette vie éternelle ? Jésus-Christ nous l’apprend quand Il dit : La vie éternelle consiste à vous connaître, ô Père, et Jésus-Christ que vous avez envoyé5. J’ajoute à cela, que la mort et la vie consistent dans l’amour le plus pur et le plus désintéressé. Tant que nous prenons intérêt pour nous-mêmes, nous vivons à nous-mêmes, et par conséquent ne pouvons être dans cette mort entière, si nécessaire pour avoir la vie éternelle, qui est Dieu même. J’espère que vous me comprendrez.

– Dutoit, t. IV, Lettre 151 : « À Mlle de Venoge à Lausanne. »

1 Philippiens, 2, 7 : « Mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme et la nature de serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors. » (Sacy).

2 Luc, 1, 48. 

3 Cela suggère que la destinataire est calviniste, ce qui est vraisemblable à Lausanne.

4 Matthieu, 6, 23.

5 Jean, 17, 3.

À l’abbé de Wattenville.

J’ai bien de la joie, mon cher frère en Jésus-Christ, d’apprendre que l’on vous a dispensé de votre serment. Ne vous engagez pas de nouveau, et servez-vous de ce que la Providence a fait par votre charité pour ces pauvres gens, afin de demeurer entièrement dégagé de toutes choses. Jésus-Christ dit : Quand on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre1. Il faut en user ainsi, à moins que nous n’ayons un mouvement intérieur d’en user d’une autre sorte. C’est ce mouvement seul qui m’a empêchée de fuir, et qui m’a fait négliger tous les moyens que j’avais de le faire. Il ne faut point nous appuyer sur notre courage, car le courage de l’homme est un roseau cassé, qui ne saurait lui servir d’appui. Mais quand Dieu nous porte Lui-même à essuyer toutes les persécutions, malgré la connaissance que nous avons de notre misère et de notre faiblesse, c’est Lui qui soutient Lui-même et qui donne une force invincible. C’est pourquoi il est écrit, dans le premier livre des Rois, que l’homme ne sera jamais fort de sa propre force2. Dieu se plaît de détruire les choses fortes et de soutenir les faibles. Demeurez donc abandonné à Lui. Ne préméditez rien. Restez dans votre silence et dans votre solitude jusqu’à ce que quelque providence vous en tire.

Profitez du don que le Seigneur vous a fait. Car la grâce de l’intérieur est la plus grande que notre Seigneur puisse vous faire en cette vie, parce que c’est par elle que nous arrivons à cette union que Jésus-Christ demanda à Son Père à la Cène pour les siens3. C’est l’intérieur qui commence, qui continue, et qui perfectionne l’ouvrage le plus grand qu’il y ait en cette vie, qui est de nous faire rentrer dans le dessein de Dieu en nous créant, et dans celui que Jésus-Christ a eu en Se faisant homme pour l’amour de nous, qui est de nous unir à Lui, et de nous rendre conforme à l’image de ce Fils qui est Lui-même l’image de Son Père.

C’est pourquoi nous avons besoin de nous abandonner beaucoup à Dieu, et de nous défier extrêmement de nous-mêmes. Cette défiance nous empêchera de compter sur nous, et l’abandon nous portera à nous laisser conduire à Dieu par toutes les routes qu’il Lui plaira de nous faire traverser, soit que nous apercevions Sa main puissante qui nous soutient, soit que nous ne L’apercevions plus et qu’au contraire il semble qu’Il soit entièrement disparu et que nous n’éprouvions que notre faiblesse. Mais quand on s’est une fois livré à Lui sans réserve, il faut Lui laisser faire ce qui Lui plaît, et comme il Lui plaît, nous contentant de Son contentement, sans nous mettre en peine si nous sommes contents nous-mêmes : car la nature et l’amour propre ne se contentent point pour l’ordinaire de ce qui plaît le plus à Dieu. Ce qui Lui plaît le plus, c’est de retracer en nous l’image de Son Fils, ce qui ne se peut faire qu’en détruisant celle du vieil homme en nous qui cause toutes les peines, les croix, les vicissitudes de la vie intérieure. Mais lorsque l’on est fidèle à laisser faire à Dieu en nous et de nous ce qu’il Lui plaît, l’homme nouveau paraît, ainsi que saint Paul le dit4, et nous sommes renouvelés en nouveauté de vie. C’est un si grand bien qu’il n’y a rien qu’on ne doive souffrir pour l’obtenir. C’est aussi la plus grande gloire que Dieu puisse tirer de l’homme, que de voir renouveler en Lui l’image de Son Fils, puisqu’Il ne peut prendre Ses délices que dans ce Fils. Il y a bien de la différence entre que nous nous délections en Dieu, ou que Dieu Se délecte en nous : nous nous délectons en Dieu sitôt qu’Il nous envoie des grâces consolantes, mais Il ne Se délecte en nous que par l’homme nouveau en Jésus-Christ, lorsque le vieil homme est détruit.

Ce ne serait rien que de répandre notre sang pour être à Jésus-Christ une bonne fois. Mais ce n’est pas ce qu’Il demande à présent : Il aime bien mieux nous conduire par un long martyre, tant intérieur qu’extérieur, martyre d’amour et de douleur. Et c’est ce long martyre qui, en nous purifiant des fautes les plus cachées, des propriétés les plus centrales et les plus inconnues, nous rend, pour ainsi dire, dignes de Dieu. C’est ce martyre si long et si ennuyeux à la nature qui prouve à Dieu notre fidélité la plus inviolable. Qui ne donnerait pas sa vie de bon cœur ? Un moment de douleur n’est rien. C’est la manière dont Dieu a voulu sanctifier les premiers chrétiens. Mais dans ce siècle d’une corruption si générale, il veut sanctifier les siens par des renversements bien plus longs et bien plus pénibles. La ferveur intérieure fait tout dévorer. Mais Il Se plaît, ce Dieu de bonté, d’ôter à Ses amants cette ferveur sensible, afin qu’ils portent nuement Sa croix.

C’est ainsi qu’Il en usa à l’égard de Jésus-Christ. La Divinité, par un miracle surprenant, suspendit toutes les consolations qui rejaillissaient naturellement sur l’homme extérieur en Jésus-Christ, et Sa souffrance fut si excessive qu’Il en sua au Jardin des Oliviers le sang et l’eau. Et lorsqu’Il fut sur la croix, Il ne Se plaignit point des horribles tourments qu’on Lui fit souffrir, mais seulement de l’abandon de Dieu et qu’il s’était fait comme une suspension des grâces que la Divinité répandait sur Son humanité sainte : c’était comme un nuage épais qui couvrait le brillant de la Divinité, et qui arrêtait toutes les influences.

Voilà de quelle manière Dieu en use à l’égard de l’homme dont Il veut s’assurer le cœur, et qu’Il veut confirmer dans Son pur amour. Les ténèbres qui couvrirent toute la terre à la mort de Jésus-Christ n’étaient que la figure de ces effroyables ténèbres que la partie inférieure de Jésus-Christ avait soufferte. Mais ce délaissement fut la consommation de Son sacrifice comme Il le dit : Tout est consommé5. Ne nous trompons point : Dieu ne prendra jamais d’autres moyens pour nous sanctifier et pour nous éprouver que ceux qu’Il a exercés à l’égard de Son Fils. Il ne les a point soufferts pour Lui-même, car Il était une victime pure et sans tâche, mais pour sanctifier tous les états par où Dieu fait passer pour être à Lui, et en même temps pour nous être un argument de ce qui se doit passer en nous pour achever ce qui manque à la passion de Jésus-Christ6, qui n’est autre que son extension sur ses membres.

Tenez-vous heureux que Dieu vous ait choisi, entre tant d’autres qui ne Le connaissent point, pour vous faire être une nouvelle créature en Lui. Soyez-Lui fidèle jusqu’à la mort : c’est un don que Lui seul peut donner, mais Il ne le refuse à personne lorsqu’on le Lui demande et qu’on est résolu de suivre Ses exemples et Ses maximes quoi qu’il en coûte. Soyez persuadé que vous m’êtes tout à fait cher. Les lumières de Dieu ne varient guère, mais les expressions peuvent varier. Peut-être que si j’avais su qu’on pouvait en abuser, j’aurais écrit d’une manière plus précautionnée. Mais comme j’écrivais sans y faire réflexion, et qu’il a fallu écrire pour des personnes très avancées, qui trouvent [ailleurs] peu de choses qui leur conviennent, cela pourrait bien faire peine à ceux qui n’en ont pas l’expérience. Le conseil qu’il y a à donner là-dessus est que chacun profite de ce qui lui convient selon son état, sans examiner ni juger ce que l’on n’a pas encore expérimenté.

– Dutoit, t. IV, Lettre 89 : « À l’abbé de Wattenville à Berne ».

1 Jean, 17, 3.

2I Rois, 2, 9.

3 Jean, 17, 21.

4 Rom., 6, 4 : « Parce que nous avons été ensevelis avec lui par le baptême, pour mourir avec lui ; afin que comme Jésus-Christ est ressuscité par la gloire et par la puissance de son Père ; de même aussi nous marchions dans une nouvelle vie. » (Amelote).

5 Jean, 19, 30.

6 Colossiens, 1, 24.

À l’abbé de Wattenville. Mai 1714.

J’ai reçu votre lettre, mon très cher frère en Jésus-Christ, avec beaucoup de joie. Le seul plaisir que je puisse avoir en cette vie est de voir le règne de Dieu s’étendre dans les cœurs. Vous ne sauriez trop remercier Notre Seigneur de la miséricorde qu’Il vous fait de vous éclairer de bonne heure, d’être à Lui au milieu de la corruption générale du siècle.

Une faveur si grande mérite une fidélité inviolable. Il y a deux manières d’être fidèle à Dieu : la première de correspondre à l’attrait de Dieu et de suivre ce qu’Il nous fait connaître qu’Il veut de nous, la seconde de remplir nos devoirs lorsqu’Il nous engage dans quelque état. Vous me paraissez libre et n’avoir nul engagement : il s’agit donc pour vous présentement de correspondre à l’attrait de la grâce. Mais cette correspondance n’est pas toujours selon nos vues et nos idées. La faveur nous précipite souvent à embrasser un état que nous ne pouvons soutenir dans la suite. C’est pourquoi il faut commencer par établir profondément l’intérieur avant que de choisir une manière de vivre extraordinaire. La retraite extérieure est très nécessaire surtout dans les commencements, afin de cultiver le silence intérieur, mais il faut faire cette retraite d’une manière où il ne paraisse rien d’extraordinaire au-dehors, il faut dérober notre piété autant que nous le pouvons à la connaissance des hommes et des démons, qui attaquent plus vivement ceux qui prennent un genre de vie singulier. D’ailleurs l’extérieur doit être le fruit d’un profond intérieur. Cet intérieur doit être bâti sur la pierre vive Jésus-Christ, qui ayant été le plus humble des hommes, ne Se trouve que par l’humilité profonde et un parfait détachement, non seulement des choses qui sont hors de nous, mais de nous-mêmes.

Quand Jésus-Christ a dit : « Celui qui ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple1 », Il a plus entendu par là que le simple renoncement aux choses extérieures, parce que tout ce qui est extérieur, quoiqu’il nous appartient, nous ne le possédons quasi point, puisque tout ce qui se peut perdre par la violence des hommes ou l’inconstance de la fortune, n’est ni en notre pouvoir ni proprement en notre possession. Ce que Jésus-Christ désire donc, afin que nous soyons Ses disciples, est que nous nous renoncions à nous-mêmes, ainsi qu’Il l’a expliqué ailleurs : « Renoncez-vous vous-mêmes, portez votre croix et Me suivez2 ». La première démarche de ce renoncement est de quitter la propre volonté, renoncer à ses passions et à ses inclinations naturelles : c’est le sujet d’un long combat. Les anciens Pères des déserts ne permettaient point [f.1 v°] à leurs disciples de se retirer dans une entière solitude qu’ils n’eussent été fondés dans un profond intérieur et dans l’exercice de toutes les vertus chrétiennes. Ils les exercaient même par une contradiction quasi-perpétuelle, et lorsqu’ils étaient exercés de la sorte et qu’ils les voyaient affermis dans l’intérieur, ils leur permettaient une entière solitude, parce que celui qui s’y retirait sans être affermi de la manière que je vous dis, devenait bientôt le jouet des démons.

Je conclus de là que, puisque vous avez encore monsieur votre père, il faut que vous demeuriez encore quelque temps avec lui, pratiquant l’entière obéissance et souffrant tout ce qui peut contrarier votre esprit et votre volonté : que votre solitude soit tout intérieure. Accoutumez-vous à faire une retraite au fond de votre cœur. Tenez-vous-y ferme lorsque quelque chose vous contrarie et vous déplaît. Evitez de voir les personnes corrompues et dissipées, vivez en liaison et amitié avec ceux qui cherchent véritablement le règne de Dieu : ils vous seront utiles. Il faut se fortifier les uns les autres dans une certaine détermination invariable d’être à Dieu sans retenue. La facilité et la consolation intérieure ne durent pas toujours. C’est pourquoi il faut l’affermir pour porter les sécheresses et les tentations. Servez-vous de la grâce présente non pour l’évaporer au-dehors par des paroles et des actions ferventes, mais pour la renfermer au-dedans de vous par une correspondance continuelle et une application de votre cœur vers Dieu. Tâchez de conserver Sa présence en tout temps et en toute occasion, non par une application géhennante3 de l’esprit et de la pensée, mais par une tendance amoureuse du cœur vers Dieu. Cela rendra votre piété solide et de durée. Il est dit de la sainte Vierge qu’elle conservait toutes ces choses dans son cœur 4 : faites de même. Dieu vous a donné l’onction de la grâce, c’est une liqueur délicate qui s’évapore facilement lorsqu’elle n’est pas bien renfermée et resserrée : ceci est d’une si grande conséquence, pour établir un intérieur solide, que vous n’y sauriez trop prendre garde, car en se répandant au-dehors, quoiqu’on y trouve un certain goût, cela évapore cette onction toute sainte.

Je vous assure que je prends grand intérêt à votre âme. Vous me feriez plaisir de me faire savoir s’il y en a quelques autres dans vos quartiers qui cherchent véritablement le règne de Dieu. Vous me demandez quand ce règne de Dieu arrivera et si la destruction de ses ennemis est proche. Je vous réponds à cela ce que Jésus-Christ a répondu à Ses disciples [f.2 r°] : « Nous savons que cela arrivera, mais nous ne savons pas les temps et les moments que le Père a mis en puissance 5 ». Jésus-Christ ajoute que ce temps-là n’est connu de personne, pas même du fils de l’homme en tant que fils de l’homme6, car comme homme-Dieu Il ne pouvait rien ignorer. Attendons avec humilité ce règne de Dieu, sans nous occuper des choses extraordinaires qui ne servent de rien à notre sanctification. Employons tous les moments de notre vie à chercher le Seigneur, cherchons, comme dit David, sans cesse Son visage, qui n’est autre que Jésus-Christ et cette occupation continue de Dieu au-dedans ; et de nous conformer à Jésus-Christ au-dehors est tout ce qu’il nous faut. Nous pourrions écrire que le règne de Dieu est proche parce qu’il n’y a plus de foi sur la terre7, la charité en est bannie et on ne se met plus en peine de faire régner Dieu en nous ni en autrui.

Je vous offre à Dieu de tout mon cœur et ne vous oublierai point. Je salue bien cordialement madame Zerlaider, dont vous me parlez. C’est une grande miséricorde de Dieu quand on trouve des âmes qui pensent à l’unique nécessaire, et avec lesquelles on peut se fortifier dans l’amour de Dieu et dans le désir d’être à Lui sans réserve. Ce sont deux sociétés bien heureuses et de ces unions avec lesquelles Jésus-Christ se trouve toujours. Vous ne sauriez avoir trop de reconnaissance des miséricordes que Dieu vous a faites et du soin qu’Il a pris de vous donner des personnes qui peuvent vous aider et animer pour être à Lui sans réserve.

Je n’ai point de cancer, mais bien un abcès dans le corps qui se renouvelle tous les ans ; j’ai aussi quantité d’autres maladies et infirmités, mais cela n’est rien pour mon état intérieur. Dieu est tout, et moi rien et moins que rien. C’est tout ce que je vous en peux dire. Il me suffit que Dieu soit Dieu pour être parfaitement contente. Je vous porte dans mon cœur et prie Notre Seigneur de vous combler de Ses grâ ces.

– Manuscrit Lausanne TP 1136 C/1 – En fin de manuscrit : « Cette lettre est de Madame Guyon à M. L’Abbé de Watteville à Berne. » (repris par Dutoit, t. V, Indice, p. 629).

1 Luc, 14, 26.

2 Matthieu, 16, 24.

3 Dans un emploi figuré, géhenne se dit aussi d’une souffrance intense.

4 Luc, 2, 19.

5 Actes, 1, 7.

6 Marc, 13, 32.

7 Luc, 18, 8.

À l’abbé de Wattenville. 8 juin 1715.

J’ai reçu, mon cher frère en Jésus-Christ, votre lettre du 28e de mai qui m’a fait un grand plaisir, non seulement par la continuation de vos bonnes dispositions, mais par le nombre de personnes de votre connaissance qui cherchent Dieu. Je ne désire qu’une chose au monde, qui est le règne de Dieu dans les cœurs, puisque c’est la fin pour laquelle nous avons été créés. Je vous prie de vous unir tous avec moi pour demander à Dieu ce règne. Il y a dans le Pater : que Votre règne arrive, et l’amour propre a fait ajouter par quelques-uns : que Votre règne nousa arrive. Ce n’est point la demande que Jésus-Christ nous a ordonné de faire. Pourvu qu’Il règne dans le cœur, Il fera de nous ce qu’il Lui plaira. Ô combien devons-nous souhaiter cet empire de Jésus-Christ sur toutes les âmes, qu’Il a bien voulu racheter de Son sang ! Commençons par Lui donner un plein pouvoir sur nous-mêmes, afin de pouvoir obtenir qu’Il règne dans les autres cœurs. Je vous assure que je ne vous oublierai point devant le Seigneur, vous et tous vos amis : nous ne devons être qu’un en Lui. Ce que Dieu n’accorderait pas à chacun de nous en particulier, Il l’accordera à cette union des cœurs pour Lui demander la même chose. Il me semble que nous devons mourir à tout intérêt propre pour n’avoir que Son seul intérêt en recommandation. Heureux celui qui s’oublie de tout intérêt propre pour ne penser qu’au seul intérêt de Dieu seul.

Pour ce que vous me demandez sur les Inspirésa, j’en ai déjà beaucoup écrit à d’autres qui me demandaient ma pensée sur cela. Je crois qu’il peut y avoir entre eux un grand nombre de bonnes personnes droites et sincères qui ne voudraient pas tromper, mais qui ne laissent pas d’être trompées. Il y a en cela une espèce d’obsession, car Dieu Se communique dans la paix et dans le silence du cœur et non point par des ardentes agitationsb. Lorsqu’Elie fut averti par un ange qu’il verrait le passage du Seigneur dans la montagne d’Horeb1, il se mit dans une caverne et se tenait à l’entrée ; il vint un grand tremblement mais Dieu, dit l’Ecriture, n’était point dans le tremblement ; il vint ensuite un vent impétueux et Dieu n’y était pas encore ; mais il vint enfin un petit zéphir doux et paisible, et la même Ecriture nous assure que c’est où Dieu était. Il y a beaucoup de ces personnes en Angleterre, mais ces agitations-là sont presque cessées et quelques-unes ont reconnu de bonne foi la tromperie. Je crois que tout cela est une tentation du démon pour retirer les âmes de cet intérieur paisible et tranquille et de cette foi ténébreuse que Dieu a choisie, comme dit l’Ecriture, pour Sa cachette2.

L’esprit de l’homme est toujours porté à l’extraordinaire et donne facilement là-dedans, au lieu de suivre l’humble et petit Jésus dans Sa retraite, dans Son humiliation et dans les souffrances, dans Sa vie cachée et toute commune. Il a passé trente ans sur la terre sans être connu, quoiqu’Il vînt pour sauver tous les hommes. Il n’est rien dit de Lui pendant ce temps, sinon qu’Il était soumis : Et erat subditus illis3. Lorsqu’Il a fait [f.1 v°] des miracles, Il l’a fait pour confirmer la nouvelle doctrine toute céleste qu’Il voulait établir. Cependant Son extérieur et Sa manière de vivre était toute commune. C’est pourquoi il faut bien se donner de garde de prendre le change. Demeurons cachés et inconnus comme Lui. Le vrai amour de Dieu voudrait non seulement être caché aux yeux des hommes, mais même à ses propres yeux. L’apôtre, voulant faire une véritable peinture de l’intérieur, dit qu’il est paix et joie au saint Esprit4. Ainsi vous voyez bien que toutes ces agitations empêchent le parfait repos de l’âme en Dieu. Il y a beaucoup de personnes de tous côtés qui désirent le règne de Dieu, mais quelques-unes des plus considérables et des plus avancées sont mortes depuis peu : ils sont allés à Celui qu’ils ont cherché, qu’ils ont trouvé et qu’ils ont aiméc.

Pour ce qui me regarde, j’ai eu de grands biens que j’ai crus incompatibles avec l’état que Dieu voulait de moi. Je m’en suis défaite et je me suis réservé peu de chose, mais de ce peu la Providence m’en a encore ôté. Cependant je vis très contente, le pur nécessaire suffit pour mon âge : j’ai soixante-six ans passés5 ; le mois qui vient, il y aura trente-neuf ans que je suis veuve. Pour ma santé je suis fort infirme et tous les hivers en danger de mort, mais Dieu ne me juge point encore digne de paraître devant Lui. J’ai été bien des années en prison. Je suis à cette heure en exil, mais il n’y a point d’exil pour un chrétien : tous lieux sont sa patrie. Si Dieu vous inspire de nous venir voir, vous pourrez le faire librement, car je ne suis point surveillée que les amis ne me voient quelquefois. Vous serez le bienvenu, mais que la curiosité ni l’envie de voir simplement ne vous le fasse point faire : Dieu est également partout. Il n’y a point de personnes intérieures dans le lieu où je suis, si ce n’est deux bons étrangers que j’aime fort et que je regarde comme mes enfants. J’ai des enfants naturels6, mais ils sont trop du monde pour convenir avec moi. Voilà tout ce que vous désirez de savoir.

Je vous prie de saluer de ma part tous vos bons amis : je prie Dieu qu’Il leur soit toutes choses et à vous aussi. Donnez-vous bien de garde d’affranchir vos lettres : cela les ferait perdre. Ne vous inquiétez pas pour la dame à qui vous les adressez, car c’est une bonne servante de Dieu. Il n’est pas nécessaire que vous lui écriviez, mais seulement sous une enveloppe adressée à elle votre lettre marquée de ces deux lettres N M sans nommer sexe ni lieu. Cette dame se fait un grand plaisir de recevoir toutes les lettres qui viennent des personnes comme vous, et elle me prie de vous saluer de sa part. Ce 8e de juin.

Les deux étrangers qui sont ici vous saluent cordialement et se recommandent à vos bonnes prières et à celles de tous vos amis. Ils sont les intimes amis de M. P [oiret] dont vous avez parlé dans votre première lettre, et que j’estime et aime beaucoup en Jésus-Christ. Je ne croisd point ce jeune enfant qui prêche, sinon qu’il a beaucoup d’esprit7 : il n’y a rien en tout cela qu’un génie et des talents purement naturels.

J’ai appris tous les ans à la Pentecôte de faire à tous mes amis en Jésus-Christ des billets composés des dons et des fruits du Saint-Esprit. J’y ajoute les vers qui me viennent au cœur et ensuite, après avoir invoqué le Saint-Esprit, j’en tire un pour chacun au sort. Voilà celui qui vous est échu :

Don de sapience, fruit de charité :

De Sapience, ô Verbe Esprit-Saint,

Tout amour,

Eclairez et brûlez nose cœurs en ce grand jour8.

- Manuscrit Lausanne TP 1136 C/1, « Copie de la seconde lettre que Mme Guyon a écrite » —Dutoit, t. IV, lettre 145, p. 558-562, sans attribution d’auteur dans l’Indice ; notre exemplaire comporte un ajout manuscrit, v. note (c) —Dans le manuscrit, l’écriture est différente de celle du copiste de la première lettre adressée à « l’abbé de Wattenville de Berne », aussi l’attribution est-elle incertaine, surtout si l’on tient compte de l’absence d’attribution de la part de Dutoit. Notre hypothèse est basée sur la réponse à une question : « … me fait un grand plaisir […] par le nombre de personnes de votre connaissance qui cherchent Dieu. » —Lettre de 1714 ? Mais « … j’ai soixante-six ans passés ; le mois qui vient il y aura trente-neuf ans que je suis veuve… » est contredit par le copiste de l’ajout manuscrit ; nous le suivons et adoptons la date de 1715.

amis en italique par D

bde violentes agitations D

cfin de D ; notre exemplaire porte un ajout manuscrit intercalaire reproduisant de près toute la fin du ms. et débutant par : « prise d’une copie manuscrite de la bibliothèque Pétillet » (le disciple de Dutoit).

dconnais selon l’ajout ms.

ebrûlez nos cœurs selon l’ajout ms.

1III Rois, 19, 11-12.

2II Paralipomènes, 6, 1 : « Alors Salomon dit : Le Seigneur avait promis qu’il habiterait dans une nuée. » (Sacy). ; Ps. 17, 12 : « Et il est monté sur les chérubins, et il s’est envolé ; il a volé sur les ailes des vents. » (Sacy).

3 Luc, 2, 51 : « Il s’en retourna néanmoins avec eux à Nazareth : et il leur était soumis, et sa mère conservait toutes ces choses en son cœur. » (Amelote).

4 Rom., 14, 17 : « Car le Royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire et dans le manger, mais dans la justice, dans la paix et dans la joie du saint Esprit. » (Amelote).

5 Notre ajout ms apporte la note suivante : « c’est sans doute une faute du copiste. Il doit y avoir 67 ans passés […] la présente lettre étant du 8 juin 1715. » Nous adoptons cette année à la place de 1714.

6A changé de sens.

7 Il s’agit probablement du prophétisme de camisards exilés, accompagné de trances, qui était le fait même d’enfants ; certains voyagèrent à Londres, à Edimbourg en 1709, et en d’autres lieux ; sur ces manifestations et sur l’intérêt que leur porta Ramsay et Lord Forbes de Pitsligo, v. Henderson, M. N. E., « The french prophets in Scotland », p. 191-199.

8 « Cette année la Pentecôte a été le 9 juin, cette lettre a donc été écrite la veille de cette belle fête […] » note de l’ajout ms dont nous reproduisons la disposition selon les mètres — encore que le dernier « vers » fasse treize syllabes : faut-il rectifier en : brûlez nos cœurs ? Par ailleurs on s’attendrait à venez au lieu de Verbe. Mais il peut s’agir, en ce jour de Pentecôte, du Verbe-Esprit-Saint.

À l’abbé de Wattenville. 1715.

J’ai reçu, mon cher frère, votre lettre et votre lettre de change que je vous renvoie. Je sens comme je dois votre bon cœur, et je vous en ai la même obligation que si je la recevais [l’acceptais]. Je croirais offenser Dieu si, après avoir quitté ce que je possédais pour l’amour de Lui, je recevais le bien d’autrui, n’en ayant pas besoin. Votre simplicitéa et votre candeur me charment. Ce que vous me mandez de votre état me donne toujours plus d’opposition pour ceux qui font eux-mêmes la vocation de leurs enfants, avant qu’ils soient en état de le choisir eux-mêmes. Si vous pouviez vous défaire du ministère, et sans que cela vous attirât des persécutions, plusieurs raisons vous devraient porter à le faire, mais puisque c’est un état où vous êtes engagé et dont vous n’êtes plus libre de vous dégager, il faut tâcher d’en faire usage. Je ne crois pas que vous soyez obligé de prêcher souvent ; si cela était, je crains que cela ne préjudiciât à votre âme, de manière que pour faire bon état de cet état telb qu’il est, je voudrais observer plusieurs choses.

Premièrement de ne point prêcher de controverse, parce qu’outre que souvent l’on prêche par là le mensonge en croyant prêcher la vérité, c’est que rien ne dessèche tant le cœur que cela.

Je ne voudrais nonc plus prêcher pour faire parade de la science ni de l’éloquence, mais simplement l’Évangile, et en particulier celui du royaume de Dieu. Je ferais [f.1v°] comprendre que ce royaume est proche, qued la source de tous les désordres qui sont présentement dans le monde, c’est d’avoir oublié et négligé cette parole de Jésus-Christ intérieure. Sie on y avait fait attention, on se serait mis en devoir de chercher ce royaume et de le chercher dans le même lieu où Jésus-Christ nous a dit qu’il était, c’est-à-dire au-dedans de nous1, puisque, lorsqu’on lef cherche avec simplicité et une véritable conversion et retour au-dedans vers Dieu, on ne manque jamaisg de l’y trouver. C’est là le commencement des voies de Dieu qu’on devrait enseigner à tous chrétiens, comme aussi à se recueillir souvent en Dieu, à chercherh, comme dit David, la face du Seigneur2. Il y a peu de personnes qui, voulant bien chercher Dieu dans leur cœur d’une manière simple et sincère, ne l’y trouvent. Nous sommes tous les temples du Seigneur3, où Il désire encore plus d’habiter que dans les temples bâtis par la main des hommes : c’est ce temple qu’Il S’est bâti lui-même, où Il exerce un sacerdoce perpétuel.

Que les hommes sont à plaindre qui ignorent ces grandes vérités ! Ils honorent Dieu de leurs lèvres pendant que leur cœur est bien loin de lui4, étant presque tous tournés au-dehors. Ils ne connaissent ainsi que les sens, étant par là livrési à leurs ennemis, qui sont les démons de la concupiscence de la chair, la convoitise des yeux et la superbe de la vie : c’est pourquoi ils tombent presque tous dans [f.2r°] l’avaricej, la cupidité et l’ambition démesurée. Ils vivent sans Dieu et comme s’ils n’étaient créés que pour ce monde. Si dans cette disposition, ilsk rendent quelque culte à Dieu, il est si superficiel que, ne faisant en eux aucune impression, ils oublient toute leur vie ce même Dieu qui est si proche d’eux qu’ils pourraient en jouir et Le posséder à tout moment, car Dieu les a créé pour cela et pourl les rendre infiniment heureux par Sa possession. Là où ils se rendent infiniment misérables en voulant posséder toutes choses hors de Lui, c’est ce qui les rend malheureux, nem possédant rien dans les choses qu’ils croient posséder, parce que ce qui est hors de nous ne se possède point véritablement et que ce qu’on peut nous ravir et que nous pouvons perdre n’est point réellement à nous, mais bien ce qui est dans nous et dans lequel nous sommes. Ce bonheur de posséder Dieu estn si grand et cette possession si assurée, lorsqu’on y est fidèle, que Jésus-Christ assure Ses apôtres que nulle chose au ciel et en la terre ne la leur pourra ravir, non plus que leur joieo 5.

Quels biens ne feriez-vous pas ainsi, monsieur, par de pareils sermons ! Mais afin de les rendre efficaces, il faudrait que ces sermons fussent le fruit de votre amour et de l’abandon à l’Esprit de Dieu sortant d’un véritable intérieur, et nullement d’une étude sèche et purement spéculative, [f.2v°] qui fait que l’on se trompe soi-même par cette lueur qui sort ordinairement du propre esprit, et que l’on séduit aussi les autres sans le vouloir faire. Je prie Notre Seigneur de vous donner non seulement l’intelligence de ce que je vous dis, mais de plus de vous mettre dans la disposition qui est la plus convenable pour Sa gloire et pour votre propre bien. C’est une chose excellente de garder dans les commencements et assez longtemps une exacte solitude, afin de se laisser remplir de l’Esprit de Dieu afin de Le pouvoir ensuite communiquer aux autres, vu que nul ne peut donner à autrui ce qu’il n’a pas encore lui-même ; ou s’il a quelque chose, il donne de son nécessaire, n’étant pas encore arrivé dans la source pour toujours pouvoir puiser de nouveau sans se tarirp. Mais quand un homme veut prêcher avec fruit, il doit seulement se laisser mouvoir à l’Esprit de Dieu : alors quel fruit ne fait-il point, car quel bien surpasse celui de gagner des âmes à Dieu qui les a rachetées au prix de tout son sang ? Le malheur est de ce qu’on ne profite pas de ce que je viens de dire et qu’on n’en fait pas l’usage nécessaire.

Siq vous prêchez de cette sorte, je suis sûr que vous trouverez que vos sermons, loin de vous vider, vous rempliront [f.3r°] encore plus de Dieu et de Sa grâce, vu qu’Il Se plaîtr de donner abondamment ce qu’on répand abondamment pour Sa seule gloire, sans recherche de soi-même, recherche qui est plus à craindre que la mort même, étant l’écueil de la plupart des gens de bien d’aujourd’hui aussi bien que le propre intérêt. De là vient que fort peu se trouvent qui n’échouent tôt ou tard malheureusement, d’autant que l’amour de la propre excellence et la propre recherche est un poison si subtil et venimeux qu’il a rendu du premier des anges le premier des démons, outre qu’il y a une infinité d’autres péchés d’esprit dont on ne se défie pas, que l’on nourrit néanmoins souvent en soi et dont [sic] Dieu abhorre.

Il n’y a ainsi que la parfaite humilité jointe à l’entier désintéressement, qui nous puisse mettre à couvert de tous ces malheurs et inconvénients, car sitôt que l’on n’a que Dieu seul en vue dans tout ce que l’on fait et commet, et sans se plus regarder soi-même comme n’étant qu’un pur néant, il est sûr qu’alors Dieu donne à de tels Ses grâces en abondance, vu qu’aux humbles Il donne Sa grâce là où Il résiste au superbe. La pluies coule [f.3v°] seulement en abondance dans les vallées, mais ne s’arrête point sur les montagnes, étant certain que si nous étions bien convaincus du tout de Dieu et du néant de l’homme et de toute créature, nous ne ferions non plus d’état de toutes choses et de nous-mêmes que de la boue. Prenez donc courage, monsieur, et faites bonnement et en simplicité de cœur ce que Dieu voudra de vous. Si l’on ne veut vous décharger de votre ministère, abandonnez-vous à Dieu, confiez-vous à Lui et tout ira bien. Peut-être inspirera-t-Il à ceux dont vous dépendez de vous laisser une fois libre, et alors vous tâcherez de remplir votre vocation dans la solitude.

Par rapport aux sermons que les pasteurs de vos églises sont obligés de faire quand ils sont admis au ministère, c’est bien là une des plus grandes difficultés que j’y trouve, aussi bien que l’administration de la communion dans le siècle corrompu où nous vivons. Je prierai Dieu de tout mon cœur et mes amis, que l’on vous décharge de ce fardeau. Si vous n’aviez pas encore prêté ce serment, donnez-vous bien garde de le faire : je n’avais pas fait attention à cet [f.4r°] endroit de votre lettre. Il me paraît d’une grande conséquence. J’espère que Dieu vous assistera et vous délivrera d’un pas si dangereux.

Pourt votre disposition intérieure, je la trouve très bonne. Je prie le Seigneur de vous y faire persévérer. Vous pourrez dans la suite y avoir des vicissitudes et ne vous trouver plus une si grande facilité à vous tenir auprès de Dieu dans votre cœur. Mais il ne faudra pas vous en étonner, car comme dit le livre de l’Imitation de Jésus-Christ, que c’est une grande chose de savoir porter l’exil du cœur 6 ! Et l’Ecriture nous assure qu’il faut souffrir les suspensions et les retardements des consolations et attendre Dieu en patience afin que notre vie croisse et se renouvelle7, car plus Dieu fait des grâces à une âme, plus Il veut éprouver son amour et sa fidélité par des absences parentes. Il ne s’absente pas néanmoins, ce Dieu de bonté, Il Se dérobe seulement au sentiment et au goût et à la connaissance. Il s’enfonce plus profondément en nous, mais comme il n’y a rien que l’on puisse apercevoir, on croit souvent que tout est alors perdu, et c’est le contraire, car c’est dans ce temps-là qu’il faut témoigner à Dieu notre amour par une fidélité inviolable, encore qu’Il paraisse nous rebuter. Voilà pourquoi il est si nécessaire de s’accoutumer de bonne heure à un entier désintéressement et à Le servir uniquement pour Lui-même, Le comptant pour tout et nous pour rien, aimant le plaisir qu’Il prend à nous traiter comme il Lui plaît et non le plaisir que nous avons à L’aimer. Ceci est d’une si grande conséquence que tout notre bonheur dépend d’être bien informé de cela, pratiqué dans l’occasion, caru si nous mettons notre bonheur en [f.4v°] quelque perception, quelle qu’elle soit, nous ne serons jamais heureux. Mais si nous le mettons dans le contentement de Dieu, Il sera toujours un Dieu content et heureux, et nous serons heureux de Son propre contentement. C’est le pur amour, seul digne de Dieu.

Je crois que vous ferez fort bien de quitter toute lecture indifférente, et même celle qui serait pour l’étude et le travail. Mais il est bon de faire les lectures conformes à notre état, qui soient purement sur l’intérieur : cela réveille et empêche l’esprit de s’émousser par une trop grande application et le cœur de se dessécher. Quelquefois la simple ouverture du livre vous servira, ou quelque petit mot que vous lirez. Quand vous vous trouverez plus recueilli, cessez tout, mais quand vous vous retrouverez languissant et dissipé, vous reprendrez votre lecture. La lecture vous sera très utile dans le temps des sécheresses, surtout dans les commencements. J’espère que Dieu vous comblera de plus en plus de Ses grâces, et je m’intéresse beaucoup pour votre âme.

Pour ce qui me regarde, j’aurais bien de la peine à vous parler de mon intérieur. Il y a longtemps que je tâche de m’oublier moi-même. Dieu y fait ce qu’il Lui plaît sans que je m’en mêle. Le fond ne varie point, il me semble, depuis longtemps : il est toujours fort tranquille. Pour mon état extérieur, ce sont de grandes maladies et, dans le temps que je ne suis pas alitée, je ne suis pas pour cela en santé. Il me semble que tous états doivent être égaux : dans la volonté de Dieu, tout est égal à une âme qui ne veut rien pour soi. Si Dieu ne me chargeait pas du soin de quelques âmes, je serais trop heureuse, nonobstant mes croix et souffrances à parler naturellement, car à cet égard Dieu peut [f.5r°] faire de Sa petite créature ce qu’il Lui plaît : elle ne lui demandera jamais pourquoi et, quand je souffre des violentes douleurs, je les sens bien, mais cela ne fait rien pour le fond de mon âme. Comme je ne sors point à cause de mes maladies, je communie dans ma propre maison : si l’on ne me l’avait permis, je me serais contentée de l’ordre et direction médiate de Dieu à cet égard et d’autres.

Puis donc quev vous me parlez de dépouillement de tout le culte extérieur, je vous dirai que nous ne devons pas nous en dépouiller par nous-mêmes, mais je veux dire d’un dépouillement absolu, car l’on pourrait souvent manquer à suivre un tel attrait intérieur. Il est ainsi de conséquence que nous comprenions bien que ce n’est point affaire à nous de nous dépouiller entièrement de tout culte extérieur, c’est-à-dire à le faire afin que, comme dit saint Paul, qu’ils soient survêtus de Jésus-Christ8. Non, Dieu le doit faire de Lui-même, soit par l’impuissance où Il nous met de leur pratique par les infirmités corporelles, ou qu’Il nous fasse changer de situation, ou par quelques autres voies. Nous n’avons pas, nous autres, les mêmes embarras que vous avez, [n’] étant obligés ni à chanter ni à telles autres fonctions, pouvant assister à tous les offices sans changer notre situation intérieure, dans une pure adhérence à l’Esprit de Dieu. Si vous en pouviez faire de même pour votre particulier, vous feriez bien aussi de vous y abstenir de ces chants et autres telles prières vocales.

La raison pourquoi il ne convient de quitterw tout culte extérieur, est que, étant composé de corps et d’âme, l’on doit ainsi un double culte à Dieu, selon le dire de saint Paul, savoir de corps et d’esprit, ou de l’extérieur et de l’intérieur. Si néanmoins [f.5v°] le culte extérieur devait empêcher dans des certains temps l’intérieur, alors l’on doit préférer l’un à l’autre. Il ne faudrait pourtant pas en cela se rapporter simplement à nos goûts et sentiments, mais à une parfaite connaissance de la volonté et direction de Dieu à cet égard. Mais faute de cette connaissance, je ne crois pas que vous deviez vous exposer à essuyer les persécutions pour semblables choses, parce que par là-même vous donneriez seulement de l’horreur à un chacun pour la voie intérieure et ne seriez ainsi plus en état d’y introduire les autres. C’est pourquoi cachezx autant que vous pourrez à ceux qui n’en sont pas capables ce qui se passe au-dedans de vous. Votre Père qui voit dans le secret ce qui se passe en vous, ne laissera pas, malgré certaines petites choses qui vous paraissent des obstacles, de vous faire les mêmes grâces sans cela : Mon secret est à moi9, dit l’Ecriture, c’est-à-dire qu’il faut tenir caché tant que l’on peut ce qui se passe en nous, à moins que nous ne soyons avec des personnes qui sont dans la même voie. Lorsque vous ne ferez rien extérieurement qui puisse vous découvrir par rapport à cet extérieur non mauvais de soi-même, vous ne vous rendrez pas suspect aux autres et serez par conséquent plus à portée de les attirer dans la voie de l’intérieury.

Les apôtres mêmes, quoiqu’ils connussent bien que la loi ancienne allait finir et qu’il y avait un autre culte et une autre religion, que Jésus-Christ leur avait enseignée à pratiquer, ils ne laissaient pourtant [f.6r°] pas de vaquer encore longtemps dans la pratique ancienne et d’aller dans le temple pour y invoquer le nom de Dieu10, jusqu’à ce que le temps fût venu de faire autrement. Il ne faut jamais que notre piété trouble les sociétés dans lesquelles l’on est engagé par sa naissance, encore qu’elle serait en quelque manière plus corrompue et mauvaise que les autres, il ne faudrait pour cela troubler le monde, mais s’abandonner beaucoup à Dieu et faire son principal de conserver son intérieur pur et irréprochable, l’amour de Dieu devant toujours produire l’amour pour nos frères en tâchant de leur procurer le même bien que nous possédons nous-mêmes. Hors de là, il faut demeurer pour soi dans un siècle corrompu comme est celui d’aujourd’hui, sans participer à sa corruption.

Je salue cordialement tous vos amis. Je désire de tout mon cœur que Dieu les comble de Ses grâces et en accroisse le nombre. Pour Mlle de Pente, je vous prie de lui dire que je l’aime véritablement en Jésus-Christ, et que je vois bien qu’elle entend le mystère si caché de la communication des âmes et des esprits, sans qu’il soit besoin d’être en même lieu pour cela : la foi et l’amour opèrent ces sortes d’union. Je la prie de croire que je serai toujours unie à elle en Jésus-Christ, et je prie le même Jésus-Christ de Se répandre abondamment dans son âme. Monsieur P. Poiret a publié depuis peu quelque chose qui pourrait vous servir. Les étrangers qui sont ici vous saluent avec cordialité, et tous les amis. Ils sont ravis d’avoir avec vous une société spirituelle.

- Manuscrit Lausanne TP 1136 C/1 – Cette lettre serait adressée à M. de Wattenville, compte tenu de : « … Si vous pouviez vous défaire du ministère et sans que cela vous attirât des persécutions… » ainsi que du renvoi de la lettre de change (qui pourrait avoir été envoyée en réponse à la précision biographique données par Jeanne Guyon précédemment : « … j’ai eu de grands biens… je m’en suis défait… ») —Elle succéderait à la lettre du 8 juin 1715. - Dutoit, III, lettre 45, sans attribution, donne le texte à partir de : « votre simplicité… », et se termine avant la fin. Notre exemplaire a été « collationné et complété sur une copie de l’original appartenant à la bibliothèque Pétillet » (annotation marg.), et se conforme au texte du manuscrit. On sait que Pétillet était le jeune disciple de Dutoit. - Le manuscrit et l’ajout de notre exemplaire de l’édition Dutoit se terminent par : « L’enveloppe sera adressée à monsieur Dupuy, rue de l’Université, Faubourg saint Germain à Paris, et la lettre pour Mme G. sous la dite enveloppe sera N M cachetée de pain enchanté. » Enfin, notre exemplaire de l’édition Dutoit porte l’ajout séparé suivant : « Cette lettre a été probablement adressée à Mr de Wattenville, de Berne. Voyez ce qui lui a été écrit postérieurement, lettre LXXXIX, tome IV, page 260. » (seule lettre attribuée à l’abbé de Wattenville par Dutoit : « J’ai bien de la joie, mon cher frère en Jésus-Christ, d’apprendre que l’on vous a dispensé de votre serment… »).

adébut de Dutoit, t. III, lettre 45 (D3.45). Notre exemplaire a été complété manuscritement conformément au ms. de Lausanne (ce fond d’archives qui restent à exploiter doit donc provenir de la bibliothèque de Pétillet).

bétat de choisir. Puisque vous n’êtes plus libre de vous dégager de votre état, il faut tâcher d’en faire usage. Je ne crois pas que vous soyez obligé de prêcher souvent : cependant pour faire usage de l’état tel D3.45

cIl ne faut point non plus D3.45

dsimplement l’Évangile, surtout l’Évangile du Royaume de Dieu [Mc 1, 14-15]. Il faut faire comprendre que le Royaume de Dieu est proche ; que D3.45

eJésus-Christ intérieure. Si D3.45 ajout.

f nous. Lorsqu’on l’y D3.45

bpoint D3.45

hchrétiens comme aussi à se recueillir souvent en Dieu, à chercher D3.45

iconnaissent que les sens, et sont livrés D3.45

jvie. Ils sont livrés à l’avarice D3.45

kpour la terre. S’ils D3.45

lmoment. Dieu les a créés pour D3.45

mlui, et néanmoins ne D3.45

nbonheur est D3.45

oApôtres que nul ne pourra leur ravir leur joie. D3.4. Nous ne donnons plus dorénavant que les variantes affectant le sens profond, la réécriture par Dutoit entraînant de très nombreuses variantes mineures.

psource pour toujours pouvoir puiser de nouveau sans la tarir. D3.45

qLe malheur est de ce qu’on ne profite pas de ce sang précieux, faute d’en savoir faire usage. Si D3.45

rDieu qui Se plaît D3.45

sDieu seul en vue dans ce que nous faisons et omettons, sans nous regarder nous-mêmes, qui ne sommes que de purs néants. Dieu donne Sa grâce aux humbles et résiste aux superbes. [I P 5, 5] D3.45

tsolitude. Pour D3.45omission du paragraphe précédent.

udépend de là ; car D3.45 omission.

vvotre âme. Puisque D3.45 omission du paragraphe précédent.

wsaint Paul, nous soyons survêtus. Dieu le fait ou par l’impuissance où Il nous met, ou par les infirmités, ou en nous faisant changer de situation. Il ne faut point quitter D3.45 omission.

xsentiments. Cachez D3.45 omission.

yIci se termine D3.45.

1 Luc, 17, 21.

2 Ps., 104, 4.

3II Cor., 6, 16.

4 Matthieu, 15, 4.

5 Jean, 16, 22 : « Ainsi vous autres, vous êtes maintenant dans l’affliction ; mais je vous reverrai encore, et votre cœur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie. » (Amelote).

6 Livre II, c. IX 5,1.

7 Ecclésiastique, 2, 2 : « Humiliez votre cœur, et attendez avec patience ; prêtez l’oreille, et recevez les paroles de la sagesse, et ne vous hâtez point au temps de l’obscurité. » (Sacy).

8II Cor., 5, 4.

9 Isaïe, 24, 16.

10 Actes, 2, 46 : « Ils persévéraient aussi tous les jours dans le temple, unis de cœur et d’esprit entre eux… » (Sacy).

De « Frison ». 26 octobre 1716.

Le 26 octobre 1716.

Quoiqu’il y ait longtemps que vous n’avez pas reçu de mes lettres, ma chère mère, je crois que vous n’avez pas manqué de mes nouvelles. Vous m’êtes si présente que je ne m’aperçois ni de votre éloignement, ni du temps que je passe sans vous écrire. Vous devez bien avoir senti l’effet que votre très chère lettre a fait sur mon cœur. Je ne sais si elle a répandu par avance quelque bonne odeur dans mon âme avant qu’elle [ne] me fût rendue : j’étais quelques jours avant que de la recevoir dans de si heureuses dispositions que je goûtais véritablement le bien que Dieu me fait par votre entremise. J’ai eu d’autres intervalles depuis, qui m’ont fait connaître un peu plus moi-même par les distractions que j’ai eu à essuyer. Mais un soulagement souverain m’est venu par vos écrits, que j’ai tous reçus pendant ce temps. Oui, ma chère mère, la lecture que j’en fais tous les jours (et je ne lis point d’autres livres de dévotion) me tient lieu de tout ce que je pourrais souhaiter d’instruction pour la vie intérieure. Je ne trouve nulle difficulté, nulle demande à vous faire, auxquelles vos écrits ne satisfassent, hormis que je ne suis pas toujours également heureux à faire l’application quant à moi-même. Il me semble quelquefois que vous ne parliez que de moi dans un endroit, lorsque vous y ajoutez quelque chose, qui ne se trouvant pas ainsi en moi, gâte tout et me laisse dans l’incertitude. Cependant j’y trouve une certaine nourriture qui va au-delà de l’expression, qui me rappelle au-dedans, qui me fortifie et m’encourage même au milieu de mes défauts, enfin qui est ma ressource dans ce pays sec et désolé.

Je dois vous dire encore, ma chère mère, que j’ai été depuis quelque temps sujet à de grandes dissipations dans la prière que je fais le matin. J’y emploie une demi-heure avant que de rien faire autre chose, mais ce temps se passe pour l’ordinaire sans aucun fruit : je ne puis me recueillir en aucune manière, je fais tous mes efforts pour me représenter vivement la présence de Dieu hors moi et en moi, suivant le conseil que vous donnez dans un de vos discours, cependant je n’y réussis guère. Dieu m’est trop étrange, je ne sens et je n’aime qu’un Dieu inconnu. Il semble qu’Il ne Se soucie pas de moi. Quand après cela je me mets à lire vos écrits, il se répand assez souvent par toute mon âme comme un baume, qui parfume jusqu’au corps, et qui me donne une certaine tranquillité et assurance, [sic] qu’il semble que je n’ai rien à désirer. Il me reste pourtant toujours des soupirs et une grande impatience d’aimer Dieu et de l’avoir présent à mon âme. Je n’ai jamais plus de facilité de me recueillir que le soir vers les onze heures ou minuit, temps où je me couche d’ordinaire, mais le malheur est que le sommeil m’accable bien souvent au milieu de la prière.

Je vous dis cela, ma chère mère, non pour me plaindre, je n’en ai nulle envie, je ne saurais aussi le faire, quoiqu’il semble que j’en aie grand sujet. Je regarde ma misère d’un œil tranquille et indifférent : Dieu sait si je fais bien, mais je ne saurais faire autrement, parce que je suis persuadé que ce que j’en vois n’est pas encore la centième partie de ce qui est en moi, et que je ne puis le détruire moi-même. Je suis enseveli dans des ténèbres par rapport à Dieu et à moi-même. De fois à autre je suis effrayé d’entrevoir en moi à la faveur d’une [f. 1 v°] petite lueur, qui passe comme un éclair par-dessus mon âme, un fond de misère et de rébellion qui va jusqu’à l’infini, et je m’écrie : « Est-il possible, mon Dieu, que vous trouviez moyen de m’en délivrer ? »

Quand je considère la tendresse que ma chère mère a pour moi, j’en suis tout pénétré de honte et de joie en même temps. Je me dis à moi-même que ce m’est sans doute une marque que Dieu veut bien me tirer et me délivrer de moi, parce que autrement Il ne vous donnerait pas ces mouvements sur mon sujet. Il est vrai que j’ai tremblé un peu de voir que vous pourriez bien croire, à ce que vous m’écrivez, que vous n’agissez pas par le mouvement du petit Maître. Je fus d’abord tenté de craindre que Dieu n’eût permis que vous prissiez le change à mon sujet, pour vous préparer de nouveaux tourments, quand dans la suite vous verriez bien que je n’avance pas dans la voie du Seigneur. Mais je penche plus à espérer que vous ne vous tromperez point, et que Dieu ne discontinuera pas de vous mouvoir en ma faveur. Avec cela j’ai résolu que, quand même par une justice trop sévère de mon Dieu ma chère mère serait portée à m’abandonner, j’aimerais mieux mourir que de ne vouloir être à Dieu sans réserve, quoi qu’il m’en arrive. Plût à Dieu de me donner la force de Lui être plus fidèle que je ne le suis. J’ai la consolation qu’en cas que vous perdiez votre Frison, ma chère mère, vous ayez trouvé ici une Frisonne qui est mille fois plus digne de votre tendresse que moi.

C’est une demoiselle d’honneur de madame la princesse de ce pays-ci. Elle n’a pas encore dix-sept ans accomplis, et comme c’est une très belle personne et qu’elle est d’une des plus anciennes familles d’Allemagne, le prince de ce monde serait bien fâché qu’elle échappât de sa domination, passant au domaine de notre petit Maître. Elle en a pourtant grande envie. Il y a environ quinze mois que Dieu la toucha d’une manière très forte, lorsqu’elle dut pour la première fois approcher de la sainte communion. Elle forma dès lors le dessein de se donner entièrement à Dieu et n’a pas été infidèle jusqu’ici. Un pasteur qui fit l’aide de sa confirmation dans la religion luthérienne, lui avait, avec de bons sentiments de piété, inspiré en même temps une très grande aversion pour la religion catholique, n’en étant instruit lui-même que sur les abus, qui à la vérité sont extrêmement grands en Allemagne parmi les catholiques.

Par hasard elle fut un jour présente, lorsque avec deux autres demoiselles de très bonne volonté je m’entretenais de l’intérieur et du véritable esprit de christianisme. Elle en fut frappée et, après avoir été quelques semaines sans pouvoir, comme auparavant, me parler de hasard, elle souhaita que je lui ménageasse exprès une occasion de me demander mon avis sur quelques persécutions que des gens du monde lui faisaient à cause de la piété. Je n’eus garde d’y manquer, et je me servis de cette occasion de lui faire goûter les vérités essentielles de la religion catholique, telles que ma chère mère les enseigne dans ses écrits. Elle en fut toute pénétrée et comme une aveugle qui retrouve la vue, elle fut surprise de trouver si peu de solidité en ce qu’elle avait admiré autrefois. Les prédications de ce monsieur l’anti-catholique lui devinrent insipides : elle ne souhaita que d’entendre le français pour pouvoir lire les livres de ma mère. Je lui en traduisis quelque chose et lui donnai la Règle des [f. 2 r°] Associés à l’Enfance de Jésus de la traduction du bon baron de M [etternich] avec d’autres extraits de vos écrits. Elle la lisait plusieurs fois et me témoigna une extrême impatience d’être des petits enfants du petit Maître. Elle est entrée dans la pratique de cette règle. Je lui promis un jour de la recommander au cœur de ma chère mère, elle en tressaillit de joie et versa en même temps un torrent de larmes, se jugeant indigne de parvenir à votre connaissance. Depuis ce temps-là elle m’a fait souvenir très souvent de mes paroles, et je ne sais pourquoi j’ai été si longtemps à la satisfaire là-dessus. Il y a trois semaines que je reçus votre portrait, dont je lui avais parlé quelquefois. Je ne le lui fit pas voir plus tôt qu’elle s’écria avec un transport de joie : « Ah ! c’est ma chère mama », elle le prit, le serra contre sa poitrine et, le baisant mille fois, le baigna de ses larmes.

Comme elle avait pris beaucoup de goût pour la confession, chose inconnue parmi les protestants de ce pays-ci, et qu’il n’y a personne ici à qui elle se puisse ouvrir, elle me pria de me charger de sa conduite, d’entendre ses confessions et d’être son directeur. Me voilà bien embarrassé. Cependant je ne pus pas le lui refuser absolument, vu qu’elle n’a personne à qui elle pût ou voulût se confier. Je fis donc de nécessité vertu, considérant que la qualité de chrétien donne en quelque façon celle de prêtre au moins spirituel, appuyé encore d’un passage qui se trouve en saint Jacques, suivant lequel l’un doit se confesser de ses péchés à l’autre1. Je déférai donc à son désir, mais à condition que ce ne fût que pour deux mois, parce que, lui dis-je, que « je ne suis pas bien assuré si c’est dans le bon plaisir de Dieu qu’un homme qui voit à peine ses propres démarches, se charge de la conduite d’autres. Pendant cet intervalle j’en écrirai à ma chère mère. Elle nous dira les mesures que nous avons à prendre. Si je fais mal, continuai-je, de vouloir vous aider, Dieu voyant la simplicité de mon âme me pardonnera les deux mois ». Elle s’en contenta et déchargea son cœur par une confession générale, et je vis bien par le détail qu’elle faisait de sa vie, qu’elle en agissait de bonne foi. Je lui trouvai une grande innocence. Dès sa plus tendre enfance, elle a eu de grands attraits de Dieu, mais elle n’y a fidèlement répondu que depuis le temps de sa première communion, comme je l’ai déjà remarqué.

Voilà, ma chère mère, la bonne enfant dont j’ai résolu de me décharger entre vos bras. Heureuse si elle y est reçue ! Elle le sera si Dieu le veut, et ce me sera une marque qu’elle persistera dans l’amour de Dieu. J’en ai parlé un peu en détail pour vous la faire mieux connaître. Je vous supplie de nous communiquer ce que le petit Maître vous inspirera sur ce sujet. Que je souhaiterais que les deux autres enfants dont j’ai parlé à l’occasion de celle-ci, trouvassent place aussi dans votre cœur ! Elles vous aiment bien. L’une qui est petite et naturellement bonne et simple, a essuyé et essuie encore quelquefois de grandes anxiétés, mais elle est fort soulagée par les vérités que je lui ai fait comprendre [f. 2 v°] dans vos écrits. Elle entend le français, ainsi je lui fournis ceux de vos traités que je lui crois les plus convenables. L’autre, qui est grande et naturellement fière, affectée et sujette aux promptitudes, passe par de vives expériences de sa misère. Elle en est humiliée et a de la peine à croire qu’elle puisse jamais parvenir à l’amour de Dieu, cependant depuis peu elle commence à prendre un peu courage.

J’ai ces trois demoiselles sur le col, je les aide autant que je puis ; mais je crains qu’elles n’y perdent, et pour dire le vrai, je me défie un peu de moi-même, je crains que la chair ne s’en mêle : c’est pour cela que je ne les vois que quand elles le souhaitent et me font appeler, d’autant que ce n’est guère la manière de ce pays-ci que les hommes voient souvent les demoiselles. D’ailleurs ne pouvant voir les autres dames de cette cour, qui sont toutes mondaines, si je borne mes visites à ces trois, la jalousie et la malice fera les autres en prendre ombrage, qui nous soupçonneront du moins de quiétisme, ou, selon le langage du pays, de piétisme, dont je leur suis suspect. Je voudrais donc faire passer ces enfants au cœur de ma chère mère, tant pour leur bien que pour ma sûreté. Mais comme il n’en sera rien si Dieu ne vous en donne le mouvement, je prie ce bon Père qu’Il fasse selon Ses desseins éternels, et qu’Il y assujettisse tellement notre volonté qu’elle ne s’en égare jamais. Je suis et serai dans votre cœur, ma chère mère, qui est le cœur du petit Maître. Vous ne m’en chasserez pas, et je tâcherai et espère d’y être fidèle. Je vous baise bien humblement les mains.

Frison.

Pour M. R [amsay].

Voici, mon cher frère, une lettre pour notre chère mère. Je vous permets de la lire, si vous voulez prendre la patience. Je vous félicite de ce que vous avez été dans la maison maternelle. Que vous êtes heureux ! Mais le petit Maître n’a pas trouvé à propos de me procurer ce bonheur : je me contente. Ma chère mère ne m’en est pas moins connue et familière, Dieu merci ! Hier au matin j’étais convaincu malgré moi d’être celui qui, s’étant fourré parmi les conviés, manque de robe nuptiale (Matthieu 22), mais le soir Dieu me fit trop de caresses pour me laisser dans cette persuasion. Enfin je ne sais ce que je suis et je me passe aisément de le savoir. Je sais une chose, c’est de vouloir être ce que Dieu veut que je sois.

Je vous prie, mon cher frère, de vous charger de la lettre pour le perruquier. Je dois une réponse au cher monsieur Pit et au P… Ce sera pour une autre fois. Assurez-la, s’il vous plaît, de mon souvenir tendre et reconnaissant, de même que tous les autres de la famille du petit Maître quia me connaissent. J’ai oublié de remercier ma chère mère du présent qu’elle m’a fait des chansons, surtout de la nouvelle qu’elle a eu la tendresse de faire pour moi. Ayez la bonté de lui en témoigner de ma part une très parfaite et respectueuse reconnaissance.

– A.A.-S., pièce 7415, ms 2175.

a autres (qui sont biffé) de la famille du PM (et biffé) qui

1 Jacques, 5, 16.

D’une demoiselle suisse. 29 octobre 1716.

Madame ma très chère et bien-aimée mère en Jésus-Christ Notre Seigneur. J’ai très bien reçu la chère vôtre ; mais comme j’étais alors à Bade, ensuite avec ma mère chez mon amie madame la générale Marnay pendant l’espace de trois mois, j’ai tardé jusqu’ici à vous répondre, ne pouvant alors le faire si commodément comme ici, où j’ai la commodité de vous faire venir sûrement mes lettres. Loué en soit Dieu.

Je vous dirai donc, madame, qu’il me semble tout comme à vous que le Seigneur me conduit et m’appelle à la perfection. Je le vois et je le sens. Mais permettez-moi, je vous prie, qu’en bonne mère je vous […] a tout mon cœur dans votre sein et que je vous dise tous mes sentiments et mon intérieur en toutes choses et sur toutes choses, puisque je n’ai qui que ce soit à qui j’ose me confier, ni dire le moindre de mes sentiments […] a Il est vrai que Dieu m’appelle à la perfection : je le crois. Mais il est vrai aussi qu’il me semble toujours que je n’atteindrai point cette perfection que je ne sois parmi vous et dans la communion de votre Église. Je suis entièrement détachée avec le cœur de toutes les religions extérieures, et encore plus de la nôtre que de pas une dans le monde ; et ayant réfléchi sur toutes les choses extérieures, j’ai trouvé que dans votre Église on avait les meilleurs moyens pour se sauver. J’espère parvenir à une véritable […] a perfection, ce qui me donne une grande envie, et des désirs bien ardents à pouvoir me joindre à cette Église, où il me semble que j’aurais les occasions et les moyens de m’unir avec Dieu, en quoi consiste la véritable perfection. Je vous avoue, ma très chère madame, qu’il y a déjà quelque temps que je sens ces désirs en moi ; mais il s’augmente si fort en moi [sic] qu’il me semble qu’il ne fera jamais rien de moi, et que je n’avancerai point dans mon intérieur, à moins que je ne sois hors d’ici, et unie avec votre Église pour pouvoir profiter des bons moyens que Dieu m’y suscitera pour ma perfection. Car je vous avoue, ma [f° 1, v°] bien chère madame, que je regarde pour un grand moyen de perfection que celui de ne se point conduire soi-même, mais de soumettre son jugement et sa volonté aux personnes éclairées de Dieu, pour qu’elles vous conduisent en toutes choses selon la volonté de Dieu, en nous faisant renoncer à la nôtre propre. Ô Dieu, quels biens ! Quelle bénédiction, Seigneur, n’est-ce pas ceci que d’être conduite et aidée par des personnes plus expérimentées et plus éclairées dans les voies de la foi, que vous ? Ô Dieu, je regarde ceci pour le plus grand moyen de notre salut et de notre union avec Dieu.

Cependant ici nous n’avons point cela : chacun se conduit soi-même. Chacun qui a un peu de lumière intérieure est son propre guide et se conduit soi-même comme il veut, ou comme il croit le voir et le sentir être selon la volonté de Dieu dans son intérieur. Mais ceci est si sujet à tromperie, et notre volonté propre si mauvaise, que j’avoue qu’à moins d’une grande et longue expérience dans les voies de Dieu, je trouve qu’on est presque toujours trompé, et au lieu de faire la volonté de Dieu, nous voyons que nous ne suivons presque que la volonté propre, faute de lumière et d’assistance, ce qui est cause que je regrette extrêmement d’être où je suis, parce que je suis obligée de me conduire moi-même, et que je n’ai personne à qui je puisse me confier, parce qu’on ne trouve point ces choses nécessaires, ni utiles à salut. Mais je vous dirai que je les trouve si nécessaires qu’il me semble que véritablement je ne serai jamais sauvée que je ne puisse me soumettre à quelqu’un, parce que ma volonté estime […] a que je serai sûrement perdue, si je ne puis avoir l’occasion de la soumettre au bon guide qui soit plus éclairé et plus expérimenté que moi, qu’il puisse me conduire à Dieu, car pour moi je ne suis qu’une aveugle, et me perdrai moi-même sûrement si Dieu ne me conduit Lui-même hors d’ici, pour me remettre en de bonnes mains.

Et surtout j’ai de si grands attraits pour la vie religieuse, il me semble, que si je savais un monastère [pièce 7421 (2), f° .1 r°] rempli de personnes saintes et éclairées comme vous, ma chère madame, je n’aurais point de repos que je n’y fusse. Mais n’en sachant point, je me contenterais de me rendre de votre communion, si j’en avais l’occasion et que je fusse bien persuadée que mes désirs sont véritablement de Dieu et non de la nature ou du démon qui cherchent à me tromper, puisque je vois tant d’autres personnes qui sont infiniment plus dévotes que moi (et vous en connaissez quelques-unes), qui ne pensent point à sortir de leur religion pour en embrasser une autre, qu’ils trouvent encore moins bonne que la nôtre par rapport à tant de cérémonies extérieures qui, disent-ils, ne servent qu’à distraire les gens de l’intérieur. Voyant donc de tels sentiments en tous ceux qui sont pieux et plus dévots et éclairés que moi, vous pouvez juger, madame, si je n’ai pas raison de craindre si je ne suis point trompée par de tels sentiments comme les miens, et si mes désirs ne doivent point me paraître suspects, puisque je ne les crois et ne les remarque en qui que ce soit par ici. Et c’est aussi la cause que je suis obligée de me cacher sans faire le moindre semblant à personne, crainte d’être reprise et blâmée comme folle et insensée. Mais j’ai beau cacher ces désirs, […] a ils deviennent si forts et si ardents qu’il me semble que jamais il n’y aura de perfection pour moi, si je n’accomplis ces désirs lorsque Dieu m’en fournira l’occasion.

Voilà, ma plus chère madame, les dispositions de mon cœur et mon véritable état. Je vous supplie, pour l’amour de Dieu, […] a plus pure de votre conscience de me dire votre sentiment là-dessus : si j’ai raison ou si j’ai tort, si ces désirs sont de Dieu ou du démon. Parlez-moi, je vous conjure au nom de Jésus-Christ crucifié. Parlez.

– A.S.-S., pièce 7421 ; en tête : « Copie d’une lettre d’une demoiselle suisse du 29 o [cto] 1716 BRE. » 

a mots illisibles.









FÉNELON MYSTIQUE

Un Florilège











Choix établi & présenté par Dominique Tronc







Présentation

François de Fénelon a fait l’objet d’un très grand nombre d’études, dont un bon millier pour le seul dernier demi-siècle126. Mais dès que l’on veut approcher son vécu au plan spirituel en négligeant les controverses, choix de textes et études sont plus rares127 et notre titre « Fénelon mystique » demeure original.

On l’a dépouillé de ce qui était essentiel à ses yeux pour le réduire parfois à un « homme de lettres ». Il y a de bonnes raisons à cela. Les autorités religieuses catholiques ou protestantes se méfient de la quiétude mystique. Souvent des critiques préfèrent Bossuet, prélat à la pensée simple et facilement partagée qui occupa une large place dans le canon littéraire français au XIXe siècle. Il succéda à Fénelon dont le rayonnement européen n’est grand qu’au Siècle des Lumières précédent. Les défenseurs de l’archevêque ont caché ses relations avec madame Guyon parce qu’elles étonnent en l’absence d’une sensibilité mystique128. Enfin certains des textes essentiels n’ont été rendus disponibles que fort récemment. Il s’agit de la correspondance complète avec madame Guyon129 et de la mise en valeur des fragments de lettres assemblés par les membres du cercle mystique animé par Fénelon. Ces derniers lui ont joué un mauvais tour. Ils ont supprimés des noms et des dates pour protéger les membres des deux cercles quiétistes de Cambrai et de Blois. Cette suppression est préjudiciable à toute édition critique 130.

Le choix de « bonnes pages » par des proches131 avait en effet sauvé l’essentiel mystique, mais ‘trop tôt’ en omettant les dates et les noms des correspondants. Ceci a conduit à minorer leur importance au bénéfice de textes complets signés mais souvent d’intérêt mineur.

Car les aspects visibles et multiformes ont été mis en valeur très tôt - ils intéressaient l’histoire du temps -, mais ils ont perdu depuis leur actualité : il s’agit de multiples opuscules rédigés en défense du quiétisme, de ceux rédigés en réaction à la seconde période janséniste, de textes éducatifs et de conseils politiques qui demeurèrent inutiles à la suite du décès du duc de Bourgogne, un temps dauphin.

L’image un peu molle de l’auteur du Télémaque destiné à un prince adolescent, ou bien celle de l’archevêque ferraillant contre le jansénisme, a caché la grandeur et la fermeté chirurgicale nécessaire du grand directeur spirituel ; il nous apparaît aujourd’hui comme le plus profond des moralistes132.

La trajectoire ascendante qui transforme la vie du jeune abbé, poulain de Bossuet promis à un brillant avenir de par ses capacités intellectuelles, conduira à la grandeur de l’archevêque combattant misères personnelles et collectives sans en tirer aucun profit personnel ou familial. Cette évolution n’a pas été suffisamment soulignée car la statue figée, érigée au siècle de sa mort, ne rend pas compte de l’homme cheminant vers son accomplissement intérieur 133.

Nous privilégions donc ici les écrits mystiques datant surtout de la fin d’une vie qui se déroule dans l’ombre portée par des politiques religieuses et royales contraires. L’image d’un auteur littéraire laisse place à celle du mystique sobre et sans illusion dont l’esprit subtil n’hésite pas lorsque l’essentiel à ses yeux est mis en cause.

Le desengaño134 parfois évoqué pour rendre compte d’un « tempérament sec » délivré de toute illusion se rattache souvent aux stades mystiques avancés. Il s’agit d’une vision des phénomènes vécus par qui a dépassé le senti et des interprétations tributaires d’époques et de croyances.

Notre florilège sera chronologique pour souligner la dynamique d’une vie consacrée puis donnée à Dieu. Tout commence par une rencontre improbable où l’attirance naturelle n’a guère de part, entre une ‘Dame directrice’ 135 et le jeune abbé. Rencontre sans sublime ni amalgame, contrairement à l’expression malicieuse de Saint-Simon. Puis vient la découverte rendue avec élan et fraîcheur par une identification avec les premiers chrétiens d’Alexandrie conduits par saint Clément.

Ensuite, le pasteur compose des essais titrés et ferraille avec finesse, mais sans fautes dans les combats de la ‘querelle quiétiste’. Enfin - condamnation acceptée et silence induit obligent -, le prélat se tait. Mais il s’opposera aux désunions des chrétiens en défendant l’autorité religieuse du pape tandis que sa charge d’âmes lui a fait produire des mandements qu’il jugeait nécessaires à leur conduite.

Plus discrètement il continua à diriger de Cambrai des âmes intérieures - membres du cercle constitué autour de « notre père » - outre la carmélite Charlotte de Saint-Cyprien dont nous reproduisons en premier l’ensemble des rares lettres qui nous sont parvenues – au moment même où madame Guyon, « notre mère », retirée sur les bords de la Loire près de Blois, agissait de même auprès de ses visiteurs. Les deux amis communiquaient par l’intermédiaire de ces derniers, en particulier par le neveu de l’archevêque.

On retiendra de ces aventures d’un passé évanoui la grandeur du moraliste qui traverse les couches superficielles des égoïsmes. Il sait révéler, au sein de ces couches intermédiaires nous séparant du cœur de nous-mêmes, reconnues aujourd’hui de psychologues et de psychanalystes, tous les fils échappatoires. Il les coupe avec une lame dont la précision est illustrée par le récit de Tchoang-tseu136. Son seul but est de mener droitement à Dieu. En même temps son devoir de pasteur archevêque lui fait guerroyer en théologie et philosopher assez intelligemment sur l’existence de Dieu137. L’abondance de ces derniers textes publics a voilé l’essentiel.

Notre florilège mystique est constitué de parties qui se succèdent chronologiquement : la rencontre mystique avec madame Guyon précède des extraits d’écrits titrés dont se détache le saint Clément. Puis une abondante correspondance de direction privilégie la période de maturité où Fénelon atteint le plein achèvement mystique.

Le florilège spirituel revivifie l’image de Fénelon, mais surtout veut être utile aujourd’hui. Aussi notre contribution dans le plein texte est-elle réduite,138 car, plutôt que de paraphraser des sources il faut laisser toute la place aux témoignages personnels : seul l’individu reflète une vie mystique.

Pour la chronologie des événements, on se reportera à celles établies par J. Orcibal dans la Correspondance de Fénelon139. Ainsi qu’à un « recueil de textes d’époque, rangés dans un ordre aussi rigoureusement chronologique que possible, reliés par une brève narration » pour approcher madame Guyon140.

Le dossier à incidences mystiques que nous proposons demande une certaine patience envers des textes qui ne recherchaient aucune diffusion, mais s’adressaient à tel(le) correspondant(e) ciblé(e). Elle est encouragée par le don d’écrire du directeur.

Son lecteur va commencer l’exploration par un témoignage « brut de décoffrage » provenant de sa « dame directrice », texte de sa Vie par elle-même qui n’était destiné qu’à un confesseur, le P. Lacombe141.





Avertissement

Notre but n’est ni historique ni théorique. Nous nous adressons aux chercheurs spirituels.

Toutefois nous mêlons - localement et en corps de caractères réduit - des aspects historiques au florilège proposé, afin de souligner un comportement exemplaire rare chez les prélats du temps, mais constant chez le pasteur et directeur spirituel François de Fénelon, digne successeur de François de Sales.

Prouver le rôle de la « dame directrice » qui l’initia à la vie mystique corrige « l’oubli » de siècles où l’on a dû protéger la figure illustre de l’Archevêque en l’occultant. Après le témoignage intime forcément subjectif de 1688 porté par Mme Guyon - Fénelon n’a jamais eu à exposer par écrit à la requête d’un confesseur la manière dont il a vécu une rencontre décisive - nous proposons quelques échanges entre directrice et dirigé, produisons les questions-réponses de l’échange de mai 1710, seul survivant des relations par questions-réponses rétablies après les prisons. Ensuite des extraits de correspondance témoignent d’une parfaite fidélité fénelonienne.

Les interactions entre Fénelon et ses dirigé(e)s furent éclairées magistralement par J. Orcibal : nous reprenons ses notes en les allégeant seulement de renvois, puisque le présent ouvrage ne prétend pas à érudition. Et de même pour celles par I. Noye dont son [CF 18] a été le moteur de notre travail. Ces reprises seront utiles aux chercheurs car nous ne disposons à ce jour d’aucun outil permettant de les retrouver facilement au sein des volumes impairs des études et notes de la [CF]142 ! Il en est de même d’une utilité offerte par les Relevés de correspondances figurant en fin des sections par destinataire et concernant les volumes pairs de lettres.

Notre disposition reste chronologique, par et dans les sections propres à chaque dirigé(e). Ceci permet de suivre « à la trace » chaque évolution, souvent de longue durée, pas toujours mystique. C’est le seul moyen de s’approcher d’un vécu intérieur. Nous privilégions l’expérience vécue, donc pas de théologie ! La distribution par destinataires permet d’apprécier la finesse du commun directeur envers des « commençants » ou des « pèlerins », tous considérés comme des « amis ». Fénelon aurait succédé à Mme Guyon s’il eût vécu.

Ce florilège est issu de lectures successives sur une dizaine d’années effectuées à travers mais sans couvrir l’immensité des écrits féneloniens. Il doit tout aux travaux de Gosselin [OC], d’Orcibal et de Noye [CF], de Le Brun [OP]. Table des sigles des sources, infra.

Nous pensons que ce travail met en valeur, outre la profondeur d’une Charlotte de Saint-Cyprien, la ‘Petite Duchesse’ de Mortemart : cette cadette du ‘clan Colbert’ sut s’imposer auprès de son frère et des membres du ‘petit troupeau’ mystique. Elle en prit la direction avec Fénelon au moment des épreuves de la ‘Dame Directrice’. Adoucie par l’expérience, après la disparition de Fénelon en janvier 1715 puis de Mme Guyon en juin 1717, elle continua leur apostolat en couvrant la première moitié du XVIIIe siècle, certes aidée par d’autres membres des deux cercles de spirituels, les un « cis » français, les autres « trans » européens. Nous avons approfondi son portrait placé en tête de la section qui lui est consacrée.

Table des sources

Œuvres de Fénelon 

OS, OC, GC, EP, OP, CF, LSP :

Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon… I & II, à Anvers, 1718 [OS 1 et 2].

Œuvres Complètes de Fénelon, édition en dix tomes dite de Paris, ou de Saint-Sulpice, « par les soins de MM. Gosselin et Caron » (1848-1852) [OP 1 à OP 10].

Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie […] de 1694, éd. Dudon, Paris, Beauchesne, 1930 ; éd. Tronc, Paris-Orbey, 2006 (« La tradition secrète des mystiques »). [GC]

J.-L. Goré, La notion d’indifférence chez Fénelon et ses sources, P.U.F., 1956, « Mémoire sur l’État passif » [EP], notes [G].

Fénelon, Œuvres I & II, éd. par Jacques le Brun, Paris, Gallimard Pléiade (1983 & 1997) [OP 1 et OP 2].

Correspondance de Fénelon, tomes II-XVIII, Klinksieck puis Droz (1972-1999, 2007) [CF 1-17, 18 : L. vol. pairs, comm. vol. impairs], notes [O] ; [CF 18] contient « II. Lettres spirituelles » [LSP].

Œuvres de Mme Guyon

VG, CG, EG :

Madame Guyon, La vie par elle-même […], Honoré Champion (2001) [VG]

Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles(2003), II Années de combats (2004), III Chemins mystiques (2005) Honoré Champion [CG 1 à 3].

«Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Honoré Champion, 2009 [ EG ].

Etudes

Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, « Bibliographie chronologique (1940-2000) ».

Fénelon, Œuvres spirituelles, Introduction et choix de textes par François Varillon S.J, Aubier, 1954. 

François Trémolières, Fénelon et le sublime, Littérature, anthropologie, spiritualité, Honoré Champion, 2009.



Une rencontre mystique



L’éveil à la vie mystique commence par des relations liant « aîné » à « cadet ». Nous commençons par livrer le témoignage de « l’aîné(e) » - il s’agit ici de madame Guyon. Ce témoignage n’était pas destiné à être divulgué. Il nous est rapporté hors du manuscrit dit d’Oxford, la source des éditions anciennes de la Vie par elle-même. Il s’agit de deux manuscrits repris dans notre édition critique143.

Le témoignage de madame Guyon

[3.9.10]144 « Quelques jours après ma sortie145, je fus à B[eynes]146 chez M[adame] de Charost [...]147 ayant ouï parler de M. 148, je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur. Il me sembla que Notre Seigneur me l’unissait très intimement et plus que nul autre. Il me fut demandé un consentement : je le donnai; alors il me parut qu’il se fit de lui à moi comme une filiation spirituelle. J’eus occasion de le voir le lendemain, je sentais intérieurement que cette première entrevue ne le satisfaisait pas, qu’il ne me goûtait point, et j’éprouvai un je ne sais quoi qui me faisait tendre à verser mon cœur dans le sien, mais je ne trouvais pas de correspondance, ce qui me faisait beaucoup souffrir. La nuit, je souffris extrêmement à son occasion. Nous fûmes trois lieues enfermées en carrosse; le matin, je le vis, nous restâmes quelque temps en silence et le nuage s’éclaircit un peu, mais il n’était pas encore comme je le souhaitais. Je souffris huit jours entiers, après quoi je me trouvai unie à lui sans obstacle; et depuis ce temps je trouve toujours que l’union augmente d’une manière pure et ineffable. Il me semble que mon âme a un rapport entier avec la sienne, et ces paroles de David pour Jonathas, que son âme était collée à celle de David, me paraissaient propres à cette union. Notre Seigneur m’a fait comprendre les grands desseins qu’il a sur cette personne et combien elle lui est chère.

[3.10.1] […]149 « Il me semble que depuis qu’il me fut donné à B[eynes] que je l’acceptai et que je m’offris pour le porter dans mon sein et pour souffrir pour lui tout ce qu’il plairait à l’amour, que je l’ai porté dans mon sein, je le trouvai toujours en moi. Ce fut vers la saint François du mois d’octobre 1688 150.

« Depuis ce temps, je n’ai jamais été invitée de Dieu pour retourner dans mon fond, que je ne le trouvasse près de mon cœur; mais cela d’une manière autant pure, spirituelle que réelle, car, il n’y a rien d’imaginatif en moi, mais tout passe dans le fond en réalité. Comme je le portais de cette sorte dans mon cœur, il me semblait que toutes les grâces que Dieu lui faisait passaient par moi ; et, je n’en pouvais douter, je le sentais plus proche et plus présent que les enfants que j’ai portés dans mes entrailles, et de tous les enfants spirituels que Dieu m’a donnés, je n’en ai eu aucun qui me fût pareil à celui-là ; c’est une intimité qui ne se peut exprimer, et à moins d’être fait une même chose il ne se peut rien de plus intime. Il suffisait que je pensasse à lui pour être plus unie à Dieu, et lorsque Dieu me serrait plus fortement il me paraissait que des mêmes bras dont il me serrait, il le serrait aussi.

Depuis les huit premiers jours après notre première entrevue à B[eynes], où je souffris beaucoup, car je trouvais comme un chaos entre lui et moi qui empêchait mon cœur de se verser dans le sien, mais à mesure que je souffrais, je trouvais que ce chaos se détortillait, jusqu’à ce qu’enfin étant entièrement débrouillé, je trouvais qu’avec une suavité incomparable mon cœur se versait dans le sien sans que je le visse ni que je lui parlasse; mais au commencement avec moins de largeur, ensuite toujours plus facilement, en sorte que j’éprouvais qu’il se faisait un écoulement presque continuel de Dieu dans mon âme et de mon âme dans la sienne, comme ces cascades qui tombent d’un bassin dans l’autre; cela était souvent en sorte que je ne pouvais parler et je me tirais à l’écart pour me laisser posséder à Dieu et le laisser opérer en moi pour lui tout ce qu’il voulait. Il y avait des moments où l’on me réveillait avec une promptitude extrême, et je le trouvai tout prêt à recevoir, alors il recevait ; mais quelquefois je sentais cet écoulement comme suspendu, et j’éprouvais qu’il était alors mis en sécheresse.

Je ne lui disais pas cela, ne pouvant lui parler, je lui en écrivais quelque chose, mais il m’est impossible de bien exprimer ce que je sens à son égard. Dieu me fit comprendre les grands desseins qu’il avait sur cette âme et combien elle lui était chère. Je m’étonnais de ce qu’il me donnait plus pour lui seul que pour tous les autres ensembles, et l’on me faisait comprendre en cela que l’on voulait beaucoup l’avancer et qu’il ne lui serait rien donné que par ce misérable canal. Je n’osais m’expliquer de tout cela; cependant j’étais quelquefois si fort poussée que, pour ne pas résister, ne le pouvant plus malgré mes répugnances naturelles, je passais outre et j’en écrivais ; j’aspirais à une certaine liberté qui était de pouvoir agir avec lui sans gêne et qu’il put concevoir ce que je lui étais en Jésus-Christ, mais les avenues étant fermées, je ne pouvais assez m’en expliquer 151.

« Je connus que M.L.[M. L’abbé de F.] serait précepteur de M. le Duc de Bourgogne152 et je le lui ai mandé [en] mai 89 : Dieu se servira de lui d’une manière singulière, mais il faut qu’il soit anéanti et étrangement rapetissé. Dieu travaillera surtout à détruire sa propre sagesse et sa propre raison, et il se servira de ma folie pour accomplir son œuvre en lui.

« Il me fut donné à connaître que dès 1680 que Dieu me le fit voir en songe, il me le donna et qu’il me donna à lui, mais je ne le connus qu’en 1688. Son visage me fut d’abord connu : je le cherchais partout sans le rencontrer. Notre-Seigneur me fit connaître qu’il eut dès lors quelque attrait pour l’intérieur. Je n’ai point encore eu d’âme avec laquelle la mienne eût un si entier rapport. Je songeai de lui, assez près l’un de l’autre, deux songes qui me confirmèrent dans la certitude que Dieu voulait se servir de moi et qu’il le voulait beaucoup anéantir intérieurement et le mener par sa pure volonté. Je lui écrivis ingénument le songe. À quelques jours de là, c’était proche de la St Jean 1689, il me fut fait comprendre que Dieu le voulait conduire comme un enfant par la petitesse […] Dieu me donne cette simplicité à son égard de lui écrire selon le mouvement qu’il m’en donne, quoique je sache qu’ayant autant d’esprit et de science qu’il en a, il ne peut trouver dans mes expressions et dans ce que je lui écris que des pauvretés; mais tout cela ne me met pas en peine, je n’y peux faire d’attention et il saura discerner ce qui est de Dieu d’avec ce qui est de ma pauvreté, la petitesse qu’il exercera, me supportant, étant fort agréable à Dieu, et fait que ce qui est de Dieu a toujours son effet, quoique non toujours aperçu. Juin 89 153.

« Quelque union que j’aie eu pour le père La Combe j’avoue que celle que j’ai pour M. L. est encore tout d’une autre nature; et il y a quelque chose dans la nature de l’union que j’ai pour lui qui m’est entièrement nouvelle, ne l’ayant jamais éprouvée. Il en est de même pour ce que je souffre pour lui. Cette différence ne peut jamais tomber que sous l’expérience. Je crois que Dieu me l’a donné de cette sorte, pour l’exercer et le faire mourir par l’opposition de son naturel; aussi vois-je clairement qu’il ne sera point exercé par les fortes croix154, son état étant uni et non sujet aux alternatives de douleurs et de joie. Il faut donc détruire sa propre sagesse dans tous les endroits où elle se retranche et c’est à quoi il me paraît que Dieu me destine. […]

« J’ai oublié de dire qu’après l’état ressuscité, je fus quelques années avant que d’être mise dans l’état que l’on appelle apostolique ou de mission pour aider les autres. […] Mais lorsqu’il plut à Dieu de vouloir bien m’honorer de sa mission, il me fit comprendre que le véritable père en Jésus-Christ et le pasteur apostolique devait souffrir comme lui pour les hommes, porter leurs langueurs, payer leurs dettes, se vêtir de leurs faiblesses. Mais Dieu ne fait point ces sortes de choses sans demander à l’âme son consentement; mais qu’il est bien sûr que cette âme ne lui refusera pas ce qu’il demande! Il incline lui-même le cœur à ce qu’il veut obtenir […] Si j’avais demeuré dans ma vie cachée, je n’aurais jamais souffert aucune persécution, on ne persécute que ceux qui sont employés à aider aux âmes. » Il fallut alors un consentement d’immolation pour entrer dans tous les desseins de Dieu sur les âmes qu’il se destine.

[2.] « Il me fit comprendre qu’il ne m’appelait point, comme l’on avait cru, à une propagation de l’extérieur de l’Église, qui consiste à gagner les hérétiques, mais à la propagation de son Esprit, qui n’est autre que l’esprit intérieur, et que ce serait pour cet Esprit que je souffrirais. Il ne me destine pas même pour la première conversion des pécheurs, mais bien pour faire entrer ceux qui sont touchés du désir de se convertir, dans la parfaite conversion, qui n’est autre que cet esprit intérieur. Depuis ce temps Notre Seigneur ne m’a pas chargée d’une âme qu’il ne m’ait demandé mon consentement, et qu’après avoir accepté cette âme en moi, il ne m’ait immolée à souffrir pour elle. »

§

Après cet événement de l’automne 1688 va commencer le cheminement sur les Secrets sentiers de l’amour divin155. Nous plaçons ici une Chronologie couvrant deux années, suivie d’une Histoire et état documentaire des sources :


Chronologie couvrant les deux années qui suivent la rencontre

Ce qui nous a été conservé sur six trimestres (janvier 1689 – Juin 1690) présente une répartition uniforme correspondant à une lettre échangée par jour. La correspondance issue de Fénelon y contribue en moyenne par une lettre tous les trois jours.

On pense que des lettres de Madame Guyon furent adressées à Fénelon longtemps auparavant156. On sait que la correspondance continua après 1690, indirectement relayée par le duc de Chevreuse, interrompue par l’emprisonnement à la Bastille, pour reprendre ensuite : les courriers entre Cambrai et Blois étant assurés par le marquis neveu de Fénelon, Ramsay, Dupuy et d’autres.

Il est intéressant de regarder la distribution des lettres écrites par Fénelon à divers correspondants durant les années 1689-1690 : plus de la moitié des lettres sont adressées à Madame Guyon. Madame de Maintenon vient en seconde place suivie de près par les autres dirigé(e)s de l’abbé.

Il est utile d’évoquer ici le cadre événementiel par une chronologie couvrant ces années de correspondance, ce qui n’est pas facile en ce qui concerne madame Guyon car nous avons peu de renseignements précis sur cette période couvrant exceptionnellement deux années heureuses pour elle donc « sans problèmes », mais très bien établie pour Fénelon par Orcibal :

13 septembre 1688 : Madame Guyon sort de la prison de la Visitation du Faubourg Saint-Antoine, suite aux interventions de Mme de Miramion et d’une abbesse parente de Mme de Maintenon.

« Un peu avant le 3 octobre 1688 » : rencontre avec l’abbé de Fénelon au château de Beynes.

Madame Guyon est malade trois mois, avec un abcès à l’œil. Elle réside chez les dames de Mme de Miramion. Cette dernière découvre les calomnies du P. la Mothe.

2 décembre 1688 : Fénelon écrit à Mme Guyon.

Fénelon prêche successivement à des religieuses (28 novembre, 1er dimanche de l’Avent), aux Nouvelles Catholiques (12 décembre, 3e dimanche de l’Avent), à la maison professe des jésuites (1er jour de l’an 1689.)

Entre le 10 et le 14 avril 1689 : entrevue entre Fénelon et Madame Guyon.

À partir du 22 au 30 avril 1689 : séjour de Madame Guyon à la campagne.

20 juin 1689 : rencontre à Saint-Jacques de la Boucherie.

17 juillet 1689 : Fénelon écrit : « Je reviens de la campagne [Germigny ?] où j’ai demeuré cinq jours ».

24 et sans doute 28 août 1689 : Rencontres.

25 août 1689 : Armand-Jacques, le fils aîné de Madame Guyon, est blessé à l’engagement de Valcourt. Il restera estropié.

26 août 1689 : sa fille Jeanne-Marie épouse Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux.

29 août 1689 : Fénelon prête serment devant le roi comme précepteur du duc de Bourgogne. Il commence son enseignement le 3 septembre et réside désormais à Versailles.

Début octobre 1689 : Fénelon « n’a pas assez de foi ». Crise de novembre.

Janvier 1690 ? : Lettre de Fénelon à Mme de Maintenon, « sur ses défauts. »

Février 1690 : « Pour ma santé, elle est bien détruite… »

L’année 1690 est très mal documentée en ce qui concerne Madame Guyon : « Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison éloignée du monde… » Longue période sans événements datés.

Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay, fils aîné du ministre, est assisté par Fénelon et meurt le 3 novembre 1690. (Les filles ont épousé les deux ducs de Beauvillier et de Chevreuse, disciples de Madame Guyon).

8 novembre 1690 : Fénelon va à Issy remettre une lettre à M. Tronson, son ancien confesseur, à la demande de Mme de Maintenon.

29 novembre 1690 : mise à l’index du Moyen court.

11 décembre 1690 : Fénelon participe à un conseil des directeurs de Saint-Cyr qui décide de la vocation de Mme de la Maisonfort.


Histoire et état documentaire des sources

La relation avec Fénelon constitue la plus importante série des directions spirituelles par Madame Guyon : nous renvoyons à [CG1].

Les deux derniers volumes sur quatre repérés sont perdus. L’histoire éditoriale est complexe mais elle a permis de mettre à jour le « dossier » des relations étroites liant la « dame directrice » à Fénelon :

(1) La « Correspondance secrète » de l’année 1689 » fut publiée par Dutoit en 1767-1768 et reconnue authentique tardivement par Masson en 1907. Elle couvre les quatorze premiers mois de la rencontre (octobre 1688 à décembre 1689). Elle est éditée en [CG 1], 215-458 157.

(2) « Le complément de l’année 1690 » couvre presque la même durée soit de fin décembre 1689 à la fin de l’année 1690. Cet apport du manuscrit de la B.N.F. découvert par I. Noye est éditée pour la première fois en [CG 1], 2003, 459-554.

(3) « Lettres écrites après 1703 », reprend les deux seuls témoignages sûrs qui nous sont parvenus de leur correspondance postérieure à la période des emprisonnements, dont se détache le dialogue daté de mai 1710. Le manuscrit a fait le voyage de Cambrai à Blois puis son retour, probablement porté par le marquis de Fénelon ou par Ramsay. Écrit sur deux colonnes comportant d’un côté des questions posées par l’archevêque et de l’autre les réponses de Madame Guyon il est reproduit en [CG 1], 555-563, comme ici infra, de façon compréhensible, c’est-à-dire en associant les réponses aux questions correspondantes158. Ce précieux témoin nous éclaire sur le type de relations qui perdura jusqu’à la mort de Fénelon : il y eut un courant de lettres portées par des amis sûrs entre Blois et Cambrai et vers l’étranger.

(4) Poésies spirituelles. Nous les omettons car elles sont d’attribution douteuse






Des premiers échanges



Voici un aperçu bref de l’échange épistolaire intense suivant la découverte de la vie mystique par Fénelon159. Il s’agit d’un dialogue remarquable par son recul pris vis-à-vis de manifestations visibles « mystiques » : elles sont totalement absentes.

La dépendance que manifeste Fénelon vis-à-vis de son initiatrice est fondée sur l’expérience intraduisible, mais très directe de communication de cœur à cœur qu’il ne peut rejeter, malgré son aversion pour certains traits féminins. Madame Guyon ne les désavoue pas : elle se sent d’ailleurs libre vis-à-vis de ses limites, sachant qu’elle n’est rien par elle-même, mais toute efficiente par grâce.

Je reprend leur analyse par Murielle Tronc publié en présentation de ces premiers échanges160 :

« La correspondance entre Madame Guyon et Fénelon eest d’un exceptionnel intérêt161 car elle constitue à notre connaissance le seul texte relatant au jour le jour la « mise au monde » d’un mystique par une autre mystique servant de canal à la grâce. Le lecteur contemporain imprégné de psychanalyse frémira parfois devant les dérapages sentimentaux de Madame Guyon. Mais interpréter cette relation comme traduisant un érotisme frustré réduit à un connu élémentaire ce qui le dépasse visiblement, si l’on se penche sur ces textes avec respect et honnêteté : ils témoignent de la découverte expérimentale d’un au-delà du monde corporel et psychologique, qu’ils ont appelé Dieu.

Il faut donc accepter d’entrer avec eux dans le territoire inconnu dont ils portent témoignage et que Madame Guyon a exploré seule sans personne pour la guider. Elle a rencontré Fénelon le 13 septembre 1688, après qu’il lui eut été désigné par un rêve :

Après vous avoir vu en songe, je vous cherchais dans toutes les personnes que je voyais, je ne vous trouvais point : vous ayant trouvé, j’ai été remplie de joie, parce que je vois que les yeux et le cœur de Dieu sont tout appliqués sur vous. [CG I] Lettre 154 162.

Il fut le disciple préféré, avec qui elle se sentait en union mystique complète ; il se révéla le seul dont les potentialités fussent égales aux siennes, ce qui explique son immense joie, le soin extrême qu’elle prit à le suivre pas à pas et les analyses remarquables qu’elle lui adressa durant de nombreuses années (dont ne demeurent que le début de leur relation et quelques vestiges) :

Dieu ne veut faire qu’un seul et unique tout de vous et de Lui : aussi n’ai-je jamais trouvé avec personne une si entière correspondance, et je suis certaine que la conduite intérieure de Dieu sur vous sera la même qu’Il a tenue sur moi, quoique l’extérieur soit infiniment différent. [CG I] Lettre 132.

Le fondement de la relation de Madame Guyon avec ses enfants spirituels était la communication de la grâce dans le silence d’un cœur à cœur qui se poursuivait même à distance. Elle eut donc à apprendre à Fénelon à aller au-delà du langage, à préférer une conversation silencieuse :

Lorsqu’on a une fois appris ce langage [...], on apprend à être uni en tout lieu sans espèce et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle. [CG 1] L. 157.

Tout au long de ces lettres, elle tente par images d’exprimer le flux de grâce qui passe à travers elle :

Mon âme fait à présent à votre égard comme la mer qui entre dans le fleuve pour l’entraîner et comme l’inviter à se perdre en elle » (L. 276). Ou encore : « Dieu me tient incessamment devant Lui pour vous, comme une lampe qui se consume sans relâche […] Il me paraissait tantôt que je n’étais qu’un canal de communication, sans rien prendre. [CG 1] L. 114.

Sa mission est souvent lourde à supporter :

Dieu m’a associée à votre égard à Sa paternité divine […] Il veut que je vous aide à y marcher [vers la destruction], que je vous porte même sur mes bras et dans mon cœur, que je me charge de vos langueurs et que j’en porte la plus forte charge. [CG 1] L. 154.

Elle sait combien cela paraît extraordinaire et elle insiste souvent :

Ceci n’est point imaginaire, mais très réel : il se passe dans le plus intime de mon âme, dans cette noble portion où Dieu habite seul et où rien n’est reçu que ce qu’Il porte en Lui. [CG 1] L. 146.

Avec l’autorité que donne l’expérience, elle fonde ontologiquement la paternité spirituelle dans l’importante lettre 276 :

Le père en Christ ne se sert pas seulement de la force de la parole, mais de la substance de son âme, qui n’est autre que la communication centrale du Verbe.

Cette circulation de la grâce se fonde sur le « flux et reflux » qui a lieu dans la Trinité même. Elle affirme avec force : « Tout ce qui n’est point cela n’est point sainteté. » La tâche est immense et ne souffre aucun relâche :

Je me trouve disposée à vous poursuivre partout dans tous les lieux où vous pourriez trouver refuge et, quoi qu’il m’en puisse arriver, je ne vous laisserai point que je ne vous ai conduit où je suis. [CG 1] L. 220.

Elle va lui faire quitter peu à peu tous ses appuis, à commencer par le domaine de l’intellect auquel s’accroche cet homme si raisonnable et scrupuleux :

Vous raisonnez assurément trop sur les choses [...] Je vous plains, par ce que je conçois de la conduite de Dieu sur vous. Mais vous êtes à Lui, il ne faut pas reculer. (L. 128).

Il rend les armes et ironise sur lui-même :

 Je ménage ma tête, j’amuse mes sens, mon oraison va fort irrégulièrement ; et quand j’y suis, je ne fais presque rêver [...] Enfin je deviens un pauvre homme et je le veux bien. (L. 149).

Elle lui fait abandonner toute ses habitudes d’ecclésiastique, son bréviaire (L. 231 sq.) et même la confession :

Il faut que (Dieu) soit votre seul appui et votre seule purification. Dans l’état où vous êtes, toute autre purification vous salirait. Ceci est fort. (L. 267).

Elle lui fait dépasser toute référence morale humaine :

Je vous prie donc que, sans vous arrêter à nulles lois, vous suiviez la loi du cœur et que vous fassiez bonnement là-dessus ce que le Seigneur vous inspirera. Ce n’est plus la vertu que nous devons envisager en quoi que ce soit - cela n’est plus pour nous -,  mais la volonté de Dieu, qui est au-dessus de toutes vertus. (L. 219).

Le but est d’atteindre l’état d’enfance où Dieu seul est le maître et où nul attachement humain n’a plus cours :

C’est cet état d’enfance qui doit être votre propre caractère : c’est lui qui vous donnera toutes grâces. Vous ne sauriez être trop petit, ni trop enfant : c’est pourquoi Dieu vous a choisi une enfant pour vous tenir compagnie et vous apprendre la route des enfants. (L. 154).

Elle le ramène sans cesse à l’essentiel :

Il faut que nous cessions d’être et d’agir afin que Dieu seul soit. (L. 263).

On mesure facilement les difficultés de Fénelon : dans cette société profondément patriarcale, ce prince de l’Église à qui toute femme devait obéissance a dû s’incliner devant l’envoyée choisie par la grâce. Elle ne s’y trompe pas et lui dit carrément :

Il me paraît que c’est une conduite de Dieu rapetissante et humiliante pour vous qu’Il veuille me donner ce qui vous est propre. Cependant cela est et cela sera, parce qu’Il l’a ainsi voulu. (L. 124).

Plus tard, elle lui écrit avec humour et tendresse :

Recevez donc cet esprit qui est en moi pour vous, qui n’est autre que l’esprit de mon Maître qui S’est caché pour vous non sous la forme d’une colombe [...], mais sous celle d’une petite femmelette. (L. 292).

Leurs deux tempéraments étaient opposés : il était un intellectuel sec et raisonnable, un esprit analytique très fin, un ecclésiastique rempli de scrupules ; elle était passionnée, parfois un peu trop exaltée, et surtout elle ne pouvait rien contre les « mouvements » de la grâce, si prompts qu’elle agissait et écrivait sans y pouvoir rien (L. 253). Elle s’excuse souvent de ce qu’elle est :

Dieu m’a choisie telle que je suis pour vous, afin de détruire par ma folie votre sagesse, non en ne me faisant rien, mais en me supportant telle que je suis. (L. 171).

Mais avec tendresse et rigueur, elle le bouscule pour lui faire lâcher ses attachements personnels et le ramener à tout prix vers l’essentiel. On le voit peu à peu abandonner ses préjugés et ses peurs, il la rassure : « Rien ne me scandalise en vous et je ne suis jamais importuné de vos expressions. Je suis convaincu que Dieu vous les donne selon mes besoins. » et il termine en souriant sur lui-même : « Rien n’égale mon attachement froid et sec pour vous. » (L. 172). Surtout il accède à l’essence même de la relation spirituelle :

Je ne saurais penser à vous que cette pensée ne m’enfonce davantage dans cet inconnu de Dieu, où je veux me perdre à jamais. (L. 195).

Il règne entre eux deux un rapport complexe d’autorité réciproque : bien qu’elle lui laisse son entière liberté, il sait bien que sa parole est vérité et avertissement divin (l . 220).

Quand elle manque de mourir, il lui écrit, éperdu : « Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? Ou bien serais-je à l’avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer. » (L. 249).

Inversement, elle le considère comme signe de Dieu pour elle et lui affirme toujours sa soumission en tout : « Il n’y a rien au monde que je ne condamnasse au feu de ce qui m’appartient, sitôt que vous me le diriez [...] Comptez, monsieur, que je vous obéirai toujours en enfant. » (L. 169).

Avec une totale confiance et une grande estime, elle se confie à lui car elle est dans un état d’enfance, d’abandon trop profond à la volonté divine pour vouloir encore réfléchir ou décider par elle-même :

Notre Seigneur m’a fait entendre que vous êtes mon père et mon fils, et qu’en ces qualités vous me devez conduire et me faire faire ce que vous jugerez à propos, à cause de mon enfance qui ne me laisse du tout rien voir, ni bien ni mal, que ce qu’on me montre dans le moment actuel. (L. 280).

Il lui répondra toujours avec une déférence et une délicatesse extrêmes : sans oser lui donner d’ordres, il lui suggère des solutions dans des problèmes délicats ou familiaux.

Si Madame Guyon a été source de souffrances purificatrices pour Fénelon, il a été pour elle le support de projections psychologiques intenses, qui elles aussi ont été détruites par la Providence. Fénelon fut gouverneur du Dauphin de 1689 à 1695 et aurait pu devenir son Premier ministre après la mort de Louis XIV : Madame Guyon et son entourage ont rêvé d’une France enfin gouvernée par un prince bien entouré et imprégné de spiritualité, au point que Madame Guyon s’est laissée aller à des prédictions à propos de ce prince : « Il redressera ce qui est presque détruit [...] par le vrai esprit de la foi. » (L. 184). On sait que le Dauphin mourut en 1712.

De même, Madame Guyon vit en Fénelon son successeur après sa mort. En avril 1690, croyant mourir, elle lui confia sa charge spirituelle : « Je vous laisse l’Esprit directeur que Dieu m’a donné [...] Je vous fais l’héritier universel de ce que Dieu m’a confié. » (L. 248). Malheureusement Fénelon est mort avant elle en janvier 1715.

Si Fénelon n’a pas pu continuer après elle, il a été d’une grande aide puisqu’il a pris en charge ceux qui se trouvaient autour de lui. Petit à petit, on voit Madame Guyon lui donner des conseils pour diriger certains amis, et il expérimente à son tour la communication de la grâce cœur à cœur avec ses propres disciples :

Je me sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma. Il me semble que son âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec vous en Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme des petits enfants ensemble, et vous y êtes aussi quoique vous soyez loin de nous. (L. 266).

Ceci ne peut exister que dans son union avec elle, lui explique Madame Guyon :

Vous ne ferez rien sans celle qui est comme votre racine, vous enté en elle comme elle l’est en Jésus-Christ [...] Elle est comme la sève qui vous donne la vie. (L. 289).

Comme on le voit très clairement dans les lettres aux autres disciples, il s’est formé autour de Fénelon un cercle spirituel équivalent à celui de Madame Guyon à Blois, au point que tous les appelaient « père » et « mère ».

Tout au long de ces années, Madame Guyon s’émerveilla de leur union si totale en Dieu :

« Vous ne pourriez en sortir [de Dieu] sans être désuni d’avec moi, ni être désuni d’avec moi sans sortir de Dieu. » (L. 271).

Elle célèbre la liberté absolue de cette union au-delà de l’humain « au-dessus de ce que le monde renferme de cérémonies et de lois » ;  « les enfants de l’éternité […] se sentent dégagés de tous liens bons et mauvais, leur pays est celui du parfait repos et de l’entière liberté. » (L. 271).

Le jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée, quoiqu’assez éloignée de lui, d’une douleur profonde, mais suave. Toute douleur cessa à sa mort et nous sommes tous, sans exception, trouvés plus unis à lui que pendant sa vie. (L. 385 adressée à Poiret). 

Même la mort ne pouvait les désunir. »




Fénelon défend madame Guyon



On semble s’écarter ici du thème « Fénelon mystique » mais il importe de montrer sa rectitude, sa franchise et sa constance maintenues au fil des ans malgré des pressions multiples, tout d’abord séductrices puis rudes. Ce sont les marques du vrai mystique.

Toutefois les écrits du début sont « entortillés » par une souplesse naturelle qui pouvait être perçue comme une « diplomatie double » voire duplicité 163, dans les deux lettres adressées à Monsieur Tronson (qui fut son directeur et confesseur) puis à Madame de Maintenon (qu’il dirigea et confessa). Fénelon n’avait pas encore perdu toute illusion…



351. À M. TRONSON. À Versailles, 26 février [1696]164.

…Pour la personne, on veut que je la condamne avec ses écrits165. Quand l’Eglise fera là-dessus un formulaire, je serai le premier à le signer de mon sang et à le faire signer. Hors de là, je ne puis ni ne dois le faire. J’ai vu de près des faits certains qui m’ont infiniment édifié : pourquoi veut-on que je la condamne sur d’autres faits que je n’ai point vus, qui ne concluent rien par eux-mêmes, et sans l’entendre pour savoir ce qu’elle y répondrait ? Ai-je tort de vouloir croire le mal le plus tard que je pourrai, et de ne le dire point contre ma conscience, pour ménager la faveur ?

Pour les écrits, je déclare hautement que je me suis abstenu de les examiner, afin d’être hors de portée d’en parler ni en bien ni en mal à ceux qui voudraient malignement me faire parler. Je les suppose encore plus pernicieux qu’on ne le prétend : ne sont-ils pas assez condamnés par tant d’Ordonnances166, qui n’ont été contredites de personne, et auxquelles les amis de la personne et la personne même se sont soumis paisiblement ? Que veut-on de plus ? Je ne suis point obligé de censurer tous les mauvais livres, surtout ceux qui sont absolument inconnus dans mon diocèse. On ne pourrait exiger de moi cette censure, que pour lever les soupçons qu’on peut former sur mes sentiments : mais j’ai d’autres moyens bien plus naturels pour lever ces soupçons, sans aller accabler167 une pauvre personne, que tant d’autres ont déjà foudroyée, et dont j’ai été ami. Il ne me convient pas même d’aller me déclarer d’une manière affectée contre ses écrits ; car le public ne manquerait pas de croire que c’est une espèce d’abjuration qu’on m’a extorquée…

352. À Mme DE MAINTENON. 7 mars 1696.

Votre dernière lettre168, qui devrait m’affliger sensiblement, Madame, me remplit de consolation ; elle me montre un fonds de bonté, qui est la seule chose dont j’étais en peine. Si j’étais capable d’approuver une personne qui enseigne un nouvel Evangile169, j’aurais horreur de moi plus que du diable : il faudrait me déposer et me brûler, bien loin de me supporter comme vous faites. Mais je puis fort innocemment me tromper sur une personne que je crois sainte, parce que je crois qu’elle n’a jamais eu intention ni d’enseigner ni d’écrire rien de contraire à la doctrine de l’Église catholique. Si je me trompe dans ce fait, mon erreur est très innocente ; et comme je ne veux jamais ni parler ni écrire pour autoriser170 ou excuser cette personne, mon erreur est aussi indifférente à l’Eglise, qu’innocente pour moi.

Je dois savoir les vrais sentiments de Mme G[uyon], mieux que tous ceux qui l’ont examinée pour la condamner ; car elle m’a parlé avec plus de confiance qu’à eux. Je l’ai examinée en toute rigueur, et peut-être que je suis allé trop loin pour la contredire. Je n’ai jamais eu aucun goût naturel pour elle ni pour ses écrits. Je n’ai jamais éprouvé rien d’extraordinaire en elle, qui ait pu me prévenir en sa faveur. Dans l’état le plus libre et le plus naturel, elle m’a expliqué toutes ses expériences et tous ses sentiments. Il n’est pas question des termes, que je ne défends point, et qui importent peu dans une femme, pourvu que le sens soit catholique. C’est ce qui m’a toujours paru. Elle est naturellement exagérante, et peu précautionnée dans ses expressions. Elle a même un excès de confiance pour les gens qui la questionnent. La preuve en est bien claire, puisque M. de Meaux vous a redit comme des impiétés, des choses qu’elle lui avait confiées avec un cœur soumis et en secret de confession. Je ne compte pour rien ni ses prétendues prophéties ni ses prétendues révélations ; et je ferais peu de cas d’elle, si elle les comptait pour quelque chose. Une personne qui est bien à Dieu, peut dire dans le moment ce qu’elle a eu au cœur, sans en juger et sans vouloir que les autres s’y arrêtent. Ce peut être une impression de Dieu (car ses dons ne sont point taris), mais ce peut être aussi une imagination sans fondement. La voie où l’on aime Dieu uniquement pour lui, en se renonçant pleinement soi-même, est une voie de pure foi, qui n’a aucun rapport avec les miracles et les visions. Personne n’est plus précautionné ni plus sobre que moi là-dessus.

Je n’ai jamais lu ni entendu dire à Mme G[uyon], qu’elle fût la pierre angulaire : mais, supposé qu’elle l’ait dit ou écrit, je ne suis point en peine du sens de ces paroles. Si elle veut dire qu’elle est Jésus-Christ, elle est folle, elle est impie; je la déteste, et je le signerai de mon sang. Si elle veut dire seulement qu’elle est comme la pierre du coin, qui lie les autres pierres de l’édifice, c’est-à-dire qu’elle édifie, et qu’elle unit plusieurs personnes en société qui veulent servir Dieu; elle ne dit que ce qu’on peut dire de tous ceux qui édifient le prochain ; et cela est vrai de chacun, suivant son degré. Pour la petite Église171, elle ne signifie point dans le langage de saint Paul, d’où cette expression est tirée, une église séparée de la catholique ; c’est un membre très soumis. Je me souviens que le P. de Monchy, bien éloigné de l’esprit de schisme, ne m’écrivait jamais sans saluer notre petite église ; il voulait parler de ma famille. De telles expressions ne portent par elles-mêmes aucun mauvais sens ; il ne faut point juger par elles de la doctrine d’une personne : tout au contraire, il faut juger de ces expressions par le fond de la doctrine de la personne qui s’en sert. Je n’ai jamais ouï parler de ce grand et de ce petit lit172; mais je suis assuré qu’elle n’est point assez extravagante et assez impie pour se préférer à la sainte Vierge. Je parierais ma tête que tout cela ne veut rien dire de précis, et que M. de Meaux est inexcusable de vous avoir donné comme une doctrine de Mme G[uyon], ce qui n’est qu’un songe, ou quelque expression figurée, ou quelque autre chose d’équivalent, qu’elle ne lui avait même confié que sous le secret de la confession. Quoi qu’il en soit, si elle se comparait à la sainte Vierge pour s’égaler à elle, je ne trouverais point de termes assez forts et assez rigoureux pour abhorrer une si extravagante créature. Il est vrai qu’elle a parlé quelquefois comme une mère qui a des enfants en J.-C.173, et qu’elle leur a donné des conseils sur les voies de la perfection : mais il y a une grande différence entre la présomption d’une femme qui enseigne indépendamment de l’Église, et une femme qui aide les âmes, en leur donnant des conseils fondés sur ses expériences, et qui le fait avec soumission aux pasteurs. Toutes les supérieures de communauté doivent diriger de cette dernière façon, quand il n’est question que de consoler, d’avertir, de reprendre, de mettre les âmes dans de certaines pratiques de perfection, ou de retrancher certains soutiens de l’amour-propre. La supérieure, pleine de grâce et d’expérience, peut le faire très utilement ; mais elle doit renvoyer aux ministres de l’Église toutes les décisions qui ont rapport à la doctrine.

Si Mme G[uyon] a passé cette règle, elle est inexcusable ; si elle l’a passée seulement par zèle indiscret, elle ne mérite que d’être redressée charitablement, et cela ne doit pas empêcher qu’on ne puisse la croire bonne ; si elle y a manqué avec obstination et de mauvaise foi, cette conduite est incompatible avec la piété. Les choses avantageuses qu’elle a dites d’elle-même ne doivent pas être prises, ce me semble, dans toute la rigueur de la lettre. S. Paul dit qu’il accomplit ce qui manquait à la passion du Fils de Dieu. On voit bien que ces paroles seraient des blasphèmes, si on les prenait en toute rigueur, comme si le sacrifice de Jésus-Christ eût été imparfait, et qu’il fallût que saint Paul lui donnât le degré de perfection qui lui manquait. À Dieu ne plaise que je veuille comparer Mme G[uyon] à saint Paul ! mais saint Paul est encore plus loin du Fils de Dieu, que Mme G[uyon] ne l’est de cet apôtre. La plupart de ces expressions pleines de transport sont insoutenables, si on les prend dans toute la rigueur de la lettre. Il faut entendre la personne, et ne se point scandaliser de ces sortes d’excès, si d’ailleurs la doctrine est innocente, et la personne docile.

[…]

Permettez-moi de vous dire, Madame, qu’après avoir paru entrer dans notre opinion de l’innocence de cette femme174, vous passâtes tout à coup dans l’opinion contraire. Dès ce moment, vous vous défiâtes de mon entêtement, vous eûtes le cœur fermé pour moi : des gens, qui voulurent avoir occasion d’entrer en commerce avec vous, et de se rendre nécessaires, vous firent entendre, par des voies détournées, que j’étais dans l’illusion, et que je deviendrais peut-être un hérésiarque. On prépara plusieurs moyens de vous ébranler : vous fûtes frappée; vous passâtes de l’excès de simplicité et de confiance à un excès d’ombrage et d’effroi. Voilà tout ce qui a fait tous nos malheurs ; vous n’osâtes suivre votre cœur ni votre lumière. Vous voulûtes (et j’en suis édifié) marcher par la voie la plus sûre, qui est celle de l’autorité. La consultation des docteurs vous a livrée à des gens qui, sans malice, ont eu leurs préventions et leur politique. Si vous m’eussiez parlé à cœur ouvert et sans défiance, j’aurais en trois jours mis en paix tous les esprits échauffés de Saint-Cyr, dans une parfaite docilité sous la conduite de leur saint évêque. J’aurais fait écrire par Mme G[uyon] les explications les plus précises de tous les endroits de ses livres, qui paraissent ou excessifs ou équivoques. Ces explications ou rétractations ( comme on voudra les appeler) étant faites par elle de son propre mouvement, en pleine liberté, auraient été bien plus utiles, pour persuader les gens qui l’estiment, que des signatures faites en prison, et que des condamnations rigoureuses faites par des gens qui n’étaient certainement pas encore instruits de la matière, lorsqu’ils vous ont promis de censurer. Après ces explications ou rétractations écrites et données au public, je vous aurais répondu que Mme G[uyon] se serait retirée bien loin de nous, et dans le lieu que vous auriez voulu, avec assurance qu’elle aurait cessé tout commerce et toute écriture de spiritualité.

Dieu n’a pas permis qu’une chose si naturelle ait pu se faire. On n’a rien trouvé contre ses mœurs, que des calomnies. On ne peut lui imputer qu’un zèle indiscret, et des manières de parler d’elle-même, qui sont trop avantageuses. Pour sa doctrine, quand elle se serait trompée de bonne foi, est-ce un crime ? Mais n’est-il pas naturel d’en croire qu’une femme, qui a écrit sans précaution avant l’éclat de Molinos, a exagéré ses expériences, et qu’elle n’a pas su la juste valeur des termes ? Je suis si persuadé qu’elle n’a rien cru de mauvais, que je répondrais encore de lui faire donner une explication très précise et très claire de toute sa doctrine pour la réduire aux justes bornes, et pour détester tout ce qui va plus loin. Cette explication servirait pour détromper ceux qu’on prétend qu’elle a infectés de ses erreurs, et pour la décréditer175 auprès d’eux, si elle fait semblant de condamner ce qu’elle a enseigné.

Peut-être croirez-vous, Madame, que je ne fais cette offre que pour la faire mettre en liberté ? Non : je m’engage à lui faire faire cette explication précise et cette réfutation de toutes les erreurs condamnées, sans songer à la tirer de prison…

362. AU DUC DE CHEVREUSE. À Versailles, 24 juillet 1696.

…. Le moins que je puisse donner à une personne de mes amies qui est malheureuse, que j’estime toujours, et de qui je n’ai jamais reçu que de l’édification, c’est de me taire pendant que les autres la condamnent. On doit être content de mon procédé, puisque je ne la défends ni ne l’excuse, ni directement ni indirectement. J’ajoute que je condamnerais plus rigoureusement qu’aucun autre et sa personne et ses écrits, si j’étais convaincu qu’elle eût cru réellement les erreurs qu’on lui impose.

[…]

Quand l’Église jugera nécessaire de dresser un formulaire contre cette femme, pour flétrir sa personne et ses écrits, on ne me verra jamais distinguer le fait d’avec le droit176. Je serai le premier à signer, et à faire signer tout le clergé de mon diocèse. Personne ne surpassera ma fidélité et ma soumission aveugle : hors de là, je n’ai d’autre parti à prendre que celui d’un profond silence sur tout ce qui a rapport à elle. M. de M[eaux] n’a pas besoin d’une aussi faible approbation que la mienne. Il ne me la demande que pour montrer au public que je pense comme lui, et je lui suis bien obligé d’un soin si charitable ; mais cette approbation aurait de ma part l’air d’une abjuration déguisée qu’il aurait exigée de moi, et j’espère que Dieu ne me laissera point tomber dans cette lâcheté. ….

364. À Mme DE MAINTENON. [Septembre 1696].

177 On n’a pas manqué de me dire que je pouvais condamner les livres de Mad. G[uyon], sans diffamer sa personne, et sans me faire tort. Mais je conjure ceux qui parlent ainsi de peser devant Dieu les raisons que je vais leur représenter. Les erreurs qu’on impute à Mad. G[uyon] ne sont point excusables par l’ignorance de son sexe. Il n’y a point de villageoise grossière qui n’eût d’abord horreur de ce qu’on veut qu’elle ait enseigné.

[…]

Voilà ma sentence prononcée et signée par moi-même, à la tête du livre de Mgr de Meaux, où ce système est étalé dans toutes ses horreurs. Je soutiens que ce coup de plume donné contre ma conscience, par une lâche politique, me rendrait à jamais infâme et indigne à mon ministère. Voilà néanmoins ce que les personnes les plus sages et les plus affectionnées pour moi ont souhaité et ont préparé de loin. C’est donc pour assurer ma réputation qu’on veut que je signe que mon amie mérite évidemment d’être brûlée avec ses écrits, pour une spiritualité exécrable qui fait l’unique lien de notre amitié. …

Pendant ce temps voici un exemple édifiant de lettre à laquelle Fénelon doit faire face. Elle est écrite par le confesseur qui fut imposé à son amie en prison :

374A. DE L'ABBÉ J.J. BOILEAU A FÉNELON. A Paris, 26 novembre 1696. « Pour la Dame, j'avoue que son état m'épouvante. Il n'y a rien que je ne fisse pour la délivrer d'une illusion qui lui est si préjudiciable, et qui fait tant de tort à des personnes dont la réputation est si chère à l'Église. Mais le moyen d'éclairer une femme en qui l'orgueil a répandu ces ténèbres qui obscurcissent le coeur aussi bien que l'esprit ? […] Griselidis, don Quichotte, Peau d'âne, la belle Hélène, des opéras, des romans, les comédies de Molière. Jamais dévote jusqu'ici n'avait fait provision de tels livres. Je sais ce qu'elle allègue pour s'excuser, mais cela s'appelle s'accuser en s'excusant. C'est dans les livres saints que les âmes justes et affligées ont cherché de tout temps leur consolation et les soutiens de leur patience. C'est dans les Cantiques divins, et non dans des airs profanes et dangereux, que les chrétiens sont très persuadés qu'on peut apprendre à chanter le pur amour. […] Hé bien ! Monseigneur, ai-je tort encore d'avoir cru la Dame fanatique ? Et quand je l'aurais jugée, avec une infinité de gens et pieux, digne d'une prison perpétuelle, mon zèle aurait-il été si excessif ? Ma délicatesse pour mes amis, auxquels elle a tant nui, était-elle trop blâmable? Mais je n'ai pas été si noir qu'on me fait. M. le duc de C[hevreuse] n'aura peut-être pas oublié qu'avant l'éclat qui a causé à la fin la détention de la Dame, j'insinuai qu'elle devrait se mettre volontairement dans un monastère. Cette prison n'était pas trop rigoureuse pour une veuve qui aurait voulu vivre selon son état. Mais j'ai bien vu qu'elle avait ses raisons pour ne pas s'enfermer… »

403. À L. A. DE NOAILLES. 8 juin 1697.

… Je connus Mad. G.[uyon] à peu près vers le temps que je vins à la cour : j’étais prévenu contre elle. Je lui demandai des explications sur sa doctrine ; elle me les donna : je les crus suffisantes pour une femme. M. Boileau fut encore plus satisfait que moi de ces mêmes explications qu’elle lui donna sur son livre intitulé Moyen court. Il voulut même qu’on les imprimât dans une nouvelle édition du livre. M. Nicole les approuva aussi, et demanda seulement quelques additions. Je n’ai vu ni pu voir bien souvent Mad. G. Mon principal commerce avec elle a été par lettres, où je la questionnais sur toutes les matières d’oraison. Je n’ai jamais rien vu que de bon dans ses réponses, et j’ai été édifié d’elle, à cause qu’il ne m’y a paru que droiture et piété. Dès qu’on a parlé contre elle, j’ai cessé de la voir, de lui écrire, et de recevoir de ses lettres, pour ôter tout sujet de peine aux personnes alarmées.

[…]

Il est vrai que j’ai été édifié de Mad. G. pour toutes les choses que j’en ai vues. Est-ce un crime qui mérite un si grand scandale ? Je ne connais aucun ouvrage d’elle que son Moyen court et son Explication du Cantique. Elle m’a toujours protesté qu’elle n’était point dans les voies de visions et d’inspirations miraculeuses, mais au contraire dans celles de pure foi, où l’on n’a point d’autre lumière que celle qui est commune à tous les fidèles. Elle m’a toujours paru craindre les autres voies, comme sujettes à de très grandes illusions. …




En l’anno horribilis 1697, voici des extraits d’une série de longues lettres que Fénelon adresse à son envoyé à Rome, l’abbé de Chanterac178.

Fénelon n’a pas eu l’autorisation de Louis XIV de se rendre auprès des cardinaux romains pour défendre lui-même son livre. Comment répondre aux insinuations malveillantes de l’abbé neveu de Bossuet ?



454. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À Cambray, 25 septembre [1697].

… Quant à sa personne, j’en ai été très édifié, est-ce un crime : elle m’a paru soumise, ingénue, désintéressée, et même éclairée par expérience sur les choses d’oraison. Puis-je en dire le mal que je n’en sais pas ? On ne me prouvera jamais que je l’ai crue prophétesse quoiqu’elle ait des révélations. Je n’ai rien vu en elle qui ne fût d’un autre caractère. Quand même, ce qui n’est pas, j’aurais cru que c’était une sainte à révélations, fallait-il pour cela me traiter d’hérétique ? L’Église sera-t-elle en péril, quand je croirai de Madame Guion qu’on lui impute mal à propos des erreurs qu’elle m’a toujours assuré qu’elle détestait, et quand je la croirai une sainte extraordinaire, pourvu que je ne l’estime qu’autant qu’elle est soumise à la foi de l’Église. …

471. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À Cambrai 8 décembre [1697]

… Que peut-on donc craindre ? que je pense encore secrètement, avec un très petit nombre d’amis, que cette femme est une s[ain]te qu’on opprime, qu’elle a bien pensé, et qu’elle s’est mal expliquée ? Mais tout cela fait-il mal à quelqu’un ? L’Église est-elle par là en péril ?

[…]

J’ai vu cette femme d’une manière qui ne me permet pas de douter de sa sincérité, je l’ai observée ; je m’en suis défié ; j’ai été prévenu autant et peut-être plus que les autres contre elle ; j’ai voulu m’assurer de ses sentiments sur les erreurs qu’on lui impute ; je crois avoir vu clairement qu’elle les a autant en horreur que ceux qui l’en accusent. J’ai cessé de la voir dès qu’on a commencé à prendre des ombrages ; depuis ce temps-là, j’ai suspendu mon jugement sur toutes les accusations qu’on fait contre elle. L’animosité de ceux qui les font me les rend suspects, et je ne puis me fier aux accusations faites contre Mad. G[uyon] par des gens passionnés dont j’éprouve moi-même l’injustice, quoique j’aie toujours agi et parlé avec bien plus de précautions qu’elle.

[…]

J’oubliais de vous dire qu’on ne manquera pas de faire entendre à Rome que l’unique ressource pour apaiser le Roi, pour me rapprocher de la cour, et pour lever le scandale, c’est que je fasse certains pas pour effacer les mauvaises impressions, et pour reconnaître humblement que j’ai quelque tort. Mais je déclare que je ne pense de près ni de loin à retourner à la Cour, que je ne veux que me détromper de bonne foi, si je suis dans l’erreur, et que poursuivre sans relâche avec patience et humilité ma justification, si je ne me trompe pas, et si on me calomnie touchant ma foi. La Cour de Rome voudra au moins contenter le Roi, en me faisant peur pour me réduire à un accommodement, si elle ne croit pas le devoir contenter en me condamnant. Mais, s’il plaît à D[ieu], je n’aurai aucune peur jusqu’au bout ; car, supposé même qu’on voulût effectivement me condamner, j’aime mieux finir par une condamnation rigoureuse, et reçue avec une sincère soumission, que par un accommodement qui renfermerait la moindre équivoque. …

523. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 23 mai [1698].

… Pour Mad. Guion, vous avez tous les faits écrits de ma main. Faites-les bien valoir en cas de besoin ; plaignez-vous hautement et amèrement de ces manières indirectes et malignes de me flétrir par des faits, quand on succombe pour le dogme. Quelle foi peut-on avoir en mes parties sur des faits secrets, puisqu’ils ont interprété si injustement mes paroles claires, et qu’ils en ont tronqué et altéré à la face de toute l’Église ? Par quel esprit pourraient-ils publier ces faits, supposé même qu’ils fussent véritables ? et ne doit-on pas les soupçonner de faux, puisqu’ils ne pourraient (même s’ils étaient véritables) les divulguer que par passion et par malignité ? Enfin je dis comme S. Chrysostome, moi indigne : S’ils prouvent que j’aie manqué contre la foi ou contre les mœurs, je veux que mon nom soit rayé du catalogue des évêques, je donnerai une démission ; mais aussi, que leur fera-t-on, s’ils succombent comme des calomniateurs en accusant leur frère ? …

524. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 30 mai [1698].

… À l’égard des faits sur Mad. G[uyon], promettez une histoire bien prouvée par des témoins qui sont révérés de tout le public, et qui éclaircira tout ce que M. de Paris embrouille. Je vous réponds qu’ils trouveront encore moins leur compte sur les faits que sur les dogmes. Ils ne veulent (je le vois bien) que me flétrir par les faits de Mad. G[uyon], ne pouvant le faire par la doctrine, et qu’engager le Pape à me faire signer une espèce de formulaire pour condamner Mad. G[uyon], afin de pouvoir dire qu’ils ont enfin obtenu tout ce qu’ils voulaient, en m’arrachant cette souscription contre mes sentiments cachés ; mais vous voyez l’art pour me flétrir. Ce serait me flétrir pour contenter leur passion et leur point d’honneur. …

Au même moment l’abbé de Chanterac lui écrit sur l’usage romain de l’expression « bonne amie »179, tandis que Fénelon s’exprime sur elle en s’adressant à d’autres :

539. À L’ÉVÊQUE DE [SAINT-PONS ? 180]. À Cambray, 4 août [1698].

… Pour la personne de Mad. Guion, il est vrai que je l’ai estimée sur de bons témoignages de sa vertu. Elle m’a toujours protesté qu’elle n’avait que de l’horreur pour la doctrine qu’on lui impute. Elle a pu dissimuler et me tromper. Il s’en faut beaucoup que je ne sache pénétrer le fond des cœurs. Je ne me suis jamais mêlé de la justifier ; je l’abandonne, comme je l’ai fait, il y a déjà longtemps, au jugement de ses supérieurs. Personne n’a plus de zèle que moi contre les erreurs qu’on lui attribue, et personne n’aura plus d’indignation contre elle, dès qu’il sera vérifié qu’elle m’a trompé…

542. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 6 septembre [1698].

… Pour Mad. G[uyon], ne craignez point de dire qu’en croyant toujours ses livres censurables, ne connaissant point les visions, et ne doutant jamais sur ses mœurs, je l’ai estimée, révérée comme une sainte, et crue très expérimentée sur l’oraison. …

551. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 27 septembre [1698].

… J’ai cru Mad. G[uyon] une très sainte personne qui avait une lumière fort particulière par expérience sur la vie intérieure ; mais je n’ai aucune connaissance de curé. En général, tout homme qui a aimé les personnes de piété et d’oraison, est exposé, comme je le suis, à avoir pris pour des saints et pour des saintes des gens trompeurs. Si on recherchait de même pour d’autres, on trouverait peut-être qu’ils ont estimé ce qui ne le méritait pas181. Pour moi, je ne me rends pas caution de toutes les personnes dont j’ai été édifié. De plus, on fait en notre temps une grande injustice à la vie contemplative. C’est de la rendre suspecte à cause des hypocrites qui ont couvert leurs infamies de cette belle apparence. On veut chercher dans les principes des contemplatifs quelque chose de dangereux, qui mène au dérèglement. C’est par cette méthode que M. de Meaux se jette dans l’extrémité de n’admettre que l’amour d’espérance, de peur que celui de pure charité ne détache trop les hommes du désir du salut et de la crainte des peines. C’est par cette méthode que beaucoup de gens rejettent toute oraison de quiétude, toute contemplation, tout ce qui n’est pas l’oraison d’actes discursifs. S’ils osaient, ils supprimeraient tous les livres des saints mystiques. Enfin, je voudrais qu’on prît garde que la plupart de ces malheureux qui cachent des infamies sous une apparence d’oraison, sont plutôt des hypocrites qui veulent tromper les autres, et à qui la spiritualité ne sert que de prétexte, que des hommes trompés, et que la spiritualité ait jetés dans l’illusion. La mode est venue d’imputer au Quiétisme toutes les infamies que des fripons font sous prétexte de dévotion…

553. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 10 octobre [1698].

…7° Dites partout et hautement que j’ai cru Mad. Guion une vraie sainte fort expérimentée sur les choses d’oraison et de vie intérieure ; que, si elle est trompeuse comme on le dit, j’ai été fort trompé dans le fait par son hypocrisie. Comme M. de Meaux peut avoir quelque lettre que j’aie écrite avec une très particulière confiance à cette personne, il faut préparer les esprits là-dessus, pour empêcher la surprise que font ces sortes de choses, quand elles ne sont pas attendues. Du reste, je n’ai tant estimé Mad. G[uyon] qu’à force de la croire tout le contraire de ce qu’on dit qu’elle est. …

568. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 14 décembre [1698].

…. 2° J’ai composé, selon votre désir, une lettre au Pape dans les termes les plus forts contre le quiétisme, et les plus remplis de ménagement par rapport à la paix, que ma conscience m’a pu permettre. Vous verrez que j’y promets une soumission sans réserve pour le jugement de mon livre, tant sur le fait que sur le droit. Pour ceux de Mad. Guion, je montre que je les ai toujours condamnés sans distinction de fait et de droit. J’offre même au Pape de condamner jusqu’aux intentions de la personne, s’il connaît par lui-même, après l’avoir examinée, qu’elle est fanatique et hypocrite, comme on le dit. Enfin je lui promets de donner là-dessus une nouvelle déclaration faite exprès, quoiqu’un tel acte fût une espèce de formulaire et d’abjuration qui me flétrirait à jamais : je la lui promets, dis-je, par pure obéissance, contre toute la pente de mon esprit et de mon cœur, supposé qu’il veuille me flétrir ; car j’aime mieux être flétri que de manquer de soumission et de patience. …

Puis Fénelon s’adresse au confident ami de M. de Chartres (Godet des Marais) :

569. À PIERRE CLÉMENT [Vers le 14 décembre 1698].

…. 1° Je ne puis parler contre les intentions personnelles ou sentiments de Mad. G[uyon], qu’en blessant ma conscience. Je n’ai rien vu de tout ce qu’on en dit. Ces choses peuvent être vraies, mais je ne les sais pas ; et si je les disais, sans les savoir avec certitude, je parlerais témérairement. Que ses supérieurs les déclarent, s’ils les ont clairement vérifiées : pour moi, il ne m’est pas permis de les déclarer sans les savoir, et il ne convient point à un évêque de les déclarer sur l’examen d’autrui, sans les avoir examinées par lui-même. …

570. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À Cambray, 19 décembre [1698].

… Voudrait-on à Rome me condamner, à moins que je ne condamne les intentions intérieures de Mad. G[uyon], que j’ai un si grand intérêt de dire que je n’ai jamais connues telles qu’on les dépeint, et que ma conscience ne me permet pas de croire si abominables, sans en avoir vu aucune preuve. …

571. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 26 décembre [1698].

… D’un côté, vous m’assurez qu’on est bien persuadé à Rome que mon livre n’est point l’apologie de Mad. G[uyon] ; de l’autre, vous me dites, de la part de l’auteur du mémoire rebuté182, que tout est en un extrême péril, si je ne condamne encore, dans une lettre au Pape, les livres et la personne de Mad. G[uyon], sans restriction. Cela me ferait croire, ou que l’auteur du Mémoire vous pousse, étant secrètement poussé du côté de France, ou bien que Rome n’est point assurée, comme on vous le témoigne, sur l’apologie de Mad. G[uyon], et qu’on a reçu de ce côté-là quelque accusation secrète183. C’est pourquoi je vous conjure d’insister auprès du Pape, avec les plus vives instances, afin que, si on lui allègue quelque autre preuve secrète contre moi sur les faits, elle me soit promptement communiquée, et que je puisse réfuter la calomnie qui se cache avec une apparence de modestie, pour m’assassiner avec plus de sûreté. Pour Mad. G[uyon], je laisse au Pape le jugement de sa personne et de ses intentions, pour me conformer à ce qu’il en jugera après l’avoir examiné. Peut-on pousser plus loin la soumission, et l’éloignement de tout entêtement sur une personne ? Ce n’est pas une précaution qu’on cherche contre Mad. G[uyon] ; c’est une flétrissure qu’on veut me donner, en exigeant de moi une abjuration de cette personne….

578. À L’ABBÉ DE CHANTÉRAC. À C[ambrai], 16 janvier [1699].

…On mande de Paris que Mad. Guyon] est morte à la Bastille184. Je dois dire après sa mort, comme pendant sa vie, que je n’ai jamais rien connu d’elle qui ne m’ait fort édifié. Fût-elle un démon incarné, je ne pourrais dire en avoir su que ce qui m’en a paru dans le temps. Ce serait une lâcheté horrible que de parler ambigument là-dessus pour me tirer d’oppression. Je n’ai plus rien à ménager pour elle : la vérité seule me retient. …



Cette série de rapports entre Fénelon et son représentant à Rome précède la condamnation de leur cause par le bref de 1699. L’archevêque se tait alors pour tout ce qui touche le quiétisme et son amie. Cela ne l’empêchera pas de garder des contacts par l’intermédiaire des visiteurs et de son neveu le marquis de Fénelon. Faisant un grand saut dans le temps, on retrouve madame Guyon désignée par « N. » dans la lettre suivante :

1121. À LA DUCHESSE DE MORTEMART. À Cambray, 9 janvier 1707.

… Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autre les écrits de N., que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés185. N’y en a-t-il point trop de copies ? ne les communique-t-on point trop facilement? chacun ne se mêle-t-il point de décider pour les communiquer comme il le juge à propos, quoiqu’il ne soit peut-être pas assez avancé pour faire cette décision? Je ne sais point ce qui se passe; ainsi je ne blâme aucun de nos amis. Mais en général je voudrais qu’ils eussent là-dessus une règle de l’auteur lui-même qui les retînt.

Il y a dans ces écrits un grand nombre de choses excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. …





Fénelon maintient secrètement le contact



Reste la seule longue lettre de mai 1711 qui nous soit parvenue en témoignage de la poursuite de leur contact épistolaire par questions-réponses. C’est une pièce essentielle et longue qui montre l’importance que Fénelon attachait aux avis de Madame Guyon 186.



De FÉNELON avec les réponses de Madame GUYON. 4 (?) Mai  1710.

‘Écrit de la propre main de M. l’Archevêque de Cambray que l’on a avec les réponses en marge de Madame Guion’ 187.

[Question :] Si la guerre dure nous allons être ruinés sans ressource. Les armées seront sur nos terres. D’ailleurs le moindre mauvais événement enlèvera toute cette frontière à la France 188. Il faut attendre en paix la volonté du P.[etit] M.[aître] et Le laisser Se jouer de nous.

J’ai fait réponse sur le mémoire 189 qu’il fallait suivre votre sentiment sur les gens et les places. Peut-être Dieu aidera-t-Il ce bon prince : Dieu peut tout. Je vous avoue que je suis fort affligée que le R[oi] tournât ses armes contre lui, mais, pour tout le reste, on peut le faire si on est sûr de la paix à ses conditions. Mais croyez-vous que les ennemis la donnent de bonne foi et qu’après avoir détrôné le fils, ils ne tâchent pas de détrôner le père 190 ? Je ne vois point qu’on se convertisse ni qu’on s’humilie. Il semble qu’on ne travaille qu’à augmenter la mesure des iniquités. J’en suis souvent affligée.

[Q.] Vous avez paru avoir quelque pensée que vous ne vivrez pas longtemps. Cette pensée subsiste-t-elle encore ? En quel état est votre santé ? N’avez-vous besoin d’aucun secours pour des commodités dans votre indisposition ? Je serais ravi de vous envoyer tout ce que vous voudriez bien souffrir que je vous envoyasse191.

Il est vrai que la pensée que je mourrais bientôt m’a resté quelque temps dans l’esprit, mais cela m’a été enlevé tout à coup. Tout est dans l’équilibre pour vivre ou mourir. Je vous ai écrit une lettre qu’il y a du temps que put [Dupuy] m’a mandé vous avoir envoyée par gens sûrs : vous ne m’en dites rien. C’était l’état de mon âme que je vous exposais, elle commençait benedic me pater.

[Q.] La p.[etite] D.[uchesse]192 ne m’écrit presque plus; pour moi je lui écris moitié vérité dite avec beaucoup de douceur et de ménagement, moitié raisonnant sur les nouvelles générales, et amitiés pour ne lui montrer point trop de changement, mais je vois bien que son cœur demeure malade parce qu’elle croit que tous nos bonnes gens5 ont changé et ont tort à son égard. Elle est piquée à l’égard du P. abbé [de Langeron] et de Dupuy qui ont secoué son joug.

Il est certain que la petite d[uchesse] est fort peinée du changement universel et qu’elle ne prend point le change, que toute amitié qui ne sera point accompagnée de confiance et de dépendance ne la contentera pas. C’est une crise. J’espère que cela passera et qu’elle rentrera dans la place où elle doit être 193. Il est plus sûr d’obéir que de commander.

[Q.] Le petit abbé fait fort bien ici, mais il dort une sixième partie de la journée194. Je trouve qu’il vieillit et s’appesantit. J’en crains les suites. D’ailleurs il est bon, accommodant, gai et simple. Il fait d’excellentes instructions dans notre séminaire.

Le petit abbé ne devrait pas se laisser aller au sommeil : c’est cela qui l’appesantit et qui le vieillit. Comme je dors peu la nuit à cause de mes infirmités, quelquefois je dormirais volontiers de jour une heure, mais je ne m’y laisse point aller. Me trouvant la tête embarrassée jusqu’à en avoir la fièvre, je prie le Seigneur de vous le conserver, car il vous est utile ; je ne puis m’empêcher de déplorer le temps qu’on lui a fait perdre. Quoi, n’est-on pas éclairé là-dessus et n’en est-on point touché, et vous, cher père, comment ne vous êtes-vous pas servi de l’autorité que Dieu vous avait donnée pour le tirer de cette léthargie ?

[Q.] L’abbé de Chanterac, homme savant, expérimenté, pour toutes les matières ecclésiastiques, et d’un très bon conseil pour le gouvernement d’un diocèse, (c’est lui qui a été à Rome pour moi, et qui s’y est acquis une grande vénération) est accablé d’incommodités et, à soixante-douze ans, il voudrait fort nous quitter pour aller chercher dans notre pays de Gascogne un climat plus doux dans sa vieillesse caduque195. Je n’ai que lui pour conseil éclairé dans les matières difficiles de droit canon. Je ne saurais compter sur les gens du pays. Lui ferais-je toujours violence pour le retenir, ou bien m’abandonnerais-je à la Providence pour m’en passer?

Je serais très fâchée que l’abbé de Ch[anterac] vous quitte. Croit-il se mieux porter ailleurs et peut-il mieux faire que de consacrer le reste de sa vie pour l’Église ? Que ne donnerais-je pas pour cette sainte Mère si déchirée, si combattue, qui porte dans Ses entrailles un millier d’Esaü pour un Jacob ? Si vous pouvez le retenir, tâchez de le faire avec votre douceur ordinaire. Je voudrais qu’il sentît une petite partie de ce que je sens pour l’Église : je ne prie que pour elle et je m’oublie absolument de tout le reste ; je vois ici un mal horrible. Vous avez pu apprendre de p[ut] [Dupuy] tout ce qui s’y passe : je le lui ai mandé afin que vous en fussiez instruit 196. S’il veut absolument s’en aller, que faire autre chose que s’abandonner ? mais arrêtez-le si vous pouvez.

[Q.] J’ai ici M. l’abbé de Laval, homme de grande condition197, plein d’honneur et de probité, sensible à l’amitié jusqu’à une délicatesse épineuse, assez savant, et véritablement désabusé du jansénisme dont il avait été fort prévenu. Son naturel est haut, sec, négatif, roide, âpre, critique et dédaigneux. Il ne se fait point aimer. Il sent son naturel et voudrait faire mieux, mais l’humeur le tourmente. Il a le cœur serré et ne peut l’ouvrir. Voilà bien des défauts pour l’épiscopat. Mais en comparaison de tant d’autres qui ne valent rien, voilà d’excellentes qualités. Le puis-je proposer comme un bon sujet en cas que le père confesseur du roi trouvât quelque ouverture pour le faire évêque ?

Ce qui fait qu’il y a si peu de gens qui réussissent, c’est qu’on ne connaît point la petitesse, la hauteur et le partage de ceux qui se disent honnêtes gens : il faut porter les défauts, et c’est ce qu’on trouve partout. On regarde l’humilité chrétienne comme une chose honteuse. Les gens mêmes qui en parlent et qui l’affectent en sont infiniment éloignés. Elle ne consiste pas dans les discours, mais dans une simplicité petite et naïve qui n’a rien de lâche et de pusillanime, qui est au-dessus et au-dessous de tout. Vous ne trouverez cela que dans les gens qui aiment Dieu réellement, car tant qu’on s’aime soi-même pour peu que ce soit, on n’est point parfait dans l’amour, et on veut quelque chose et être compté être bon à quelque chose. Que Dieu a peu de cœurs dont Il puisse disposer absolument. Il faut prendre les moins mauvais, et je crois que vous le pouvez proposer pour être é[vêque] 198. Ce qui m’effraye, c’est que les gens qui ont été placés parce qu’ils paraissaient opposés au Jan[sénisme], le deviennent dès qu’ils sont placés : on ne trouve que cela, les plus déréglés s’en piquent.

[Q.] L’abbé de Beaumont199 a un très bon esprit et une grande étendue de connaissances fort exactes avec un cœur noble, ingénu, et très pieux. Mais il est très lent, d’une exactitude excessive et amusé par ses curiosités200. Je ne trouve pas qu’il avance dans l’intérieur, comme je le désirerais. Il y a trop de raison en lui.

Que ne dites-vous à l’abbé de Beaumont votre pensée, car il croit vous obéir comme un enfant. Rien n’est plus nuisible à l’intérieur que la curiosité et la propre raison. Amour, vous aviez raison de dire qu’il faut devenir comme un enfant pour entrer au royaume des cieux, il faut être tel pour le royaume intérieur. Dieu ne demande pas de tous l’austérité, mais la mortification du propre esprit, qui n’est rendu souple, non plus que la volonté, que par un renoncement continuel jusqu’à ce qu’on n’ait plus rien à renoncer.

[Q.] Je suis bien embarrassé sur les jansénistes de ce pays. Tout notre clergé en est plein, et nous n’avons presque aucun bon sujet qui ne soit prévenu en faveur de la nouveauté. Si je tenais ferme pour n’admettre que les ecclésiastiques opposés à la nouvelle doctrine, je remplirais mal les places. Je n’aurais que des sujets ignorants et faibles. Le tempérament à prendre, ce me semble, est de se servir des moins mauvais qu’on trouve, de ne mettre point dans les places principales ceux qui sont les plus entêtés, de tâcher de gagner les autres, et cependant de travailler à former des sujets dans d’autres principes opposés. Qu’en pensez-vous ?

Le mal dont vous vous plaignez est universel. Je crois qu’il faut prendre les moins entêtés, tâcher de les éclairer comme vous faites, et abandonner le reste à Dieu : c’est sa chose. J’espère beaucoup des ouvrages sur saint Augustin et sur saint Thomas, parce que cela éclaire sans combat et effarouche moins les esprits qu’une controverse 201. J’ai été frappée de ce qu’on n’a pas admis la bulle contre M. de Saint Pons : cela me fait voir qu’on protège secrètement ceux qu’on fait semblant de ne pas approuver. Il n’y a que Dieu qui puisse remédier à un si grand mal et si universel, mais il faut tâcher d’en former d’opposés. Le mal est que, lorsqu’on met ses  sujets qui ne sont pas Jan[sénistes] dans les mêmes places où il y en a là, en moins de rien ils sont gagnés. Travaillez infatigablement pour l’Église, et j’espère que vous en recueillerez un jour les fruits et que Dieu vous conservera malgré votre délicatesse. Le R[oi] n’a pas de plus dangereux ennemis. Ils attendent la perte et la destruction de leur patrie avec une ardeur impatiente, ils s’en expliquent même d’une manière autant hardie que honteuse.

[Q.] Si M. l’abbé de Chanterac veut absolument nous quitter, je prierai M. l’abbé de Langeron de prendre sur notre séminaire l’inspection que M. L’abbé de Chanterac y a ; M. L’abbé de Leschelle202 est bon homme et bien à Dieu. Mais il a peu de fonds pour le travail ecclésiastique. Il a un neveu qui est incommodé, mais qui est de grande espérance, s’il peut rétablir sa faible santé.

C’est bien fait de mettre M. l’abbé de L[angeron] dans la place de L. de Ch[anterac]. S’il veut absolument quitter, qu’il dorme moins et Dieu l’aidera pour le mettre à portée de vous être plus utile.

Ce que vous dites de l’abbé de Leschelle est très vrai : il le sait et le connaît bien ; il a même des défauts, mais du reste bon et docile. Je donnerais ma vie pour un sujet. Il faut espérer que Dieu en donnera à l’Église. Je connais un ecclésiastique qui a été treize ans curé d’une paroisse de mon fils203. Il n’a quitté qu’à cause de son dérèglement d’œil. Il a quarante-huit ans, il sait prêcher, il a fort lu et goûté vos écrits contre le Jan[sénisme]. Il n’a pas de bénéfices. S’il était plus jeune, je vous le proposerais. Il est bachelier et n’a pu se pousser da[vantage]. [Il] est sage. Il approuve l’intérieur. Il a des défauts comme de n’avoir pas, à ce qu’on dit, tout le secret possible. Il comprend mieux qu’un autre ce qu’on lui dit et a du fonds. J’ai ouï dire à gens qui s’y connaissent mieux que moi qu’il était savant.

[Q.] Je ne suis point intéressé, mais il y a une certaine libéralité d’abandon qui n’est pas assez journalière et unie en moi. Je ne veux rien réserver ni pour moi ni pour les miens. Je suis ravi quand je donne beaucoup aux pauvres. Je me réduirais avec joie à une vie très petite et très simple : elle me débarrasserait. Je ne crains point de me trouver pour ma personne dans une pauvreté sans secours, si la guerre, qui est à la veille de me ruiner cette campagne, me fait tous les maux qu’il est presque certain qu’elle me fasse.

Je continuerais de faire comme vous avez fait, retranchant le superflu de la table, car je crois qu’il faut éviter la magnificence trop forte comme la lésine. Je suis très persuadée que, pensant comme vous pensez, vous seriez content d’une fortune médiocre, mais Dieu vous ayant mis sur le chandelier pour éclairer, il faut y rester jusqu’à ce qu’on vous en ôte. Je crois qu’Il vous a donné exprès du revenu afin de vous faire connaître et de vous rendre utile. Je le prie d’achever en vous son œuvre. Vous savez que rien au monde ne m’est aussi cher que vous : croissez, multipliez, remplissez la terre.

Je voudrais savoir si vous avez reçu mes deux lettres, mandez les mots à Put, qui disent que vous les avez reçus avec un oui ou non pour la dernière. Si je dois vous faire un plus grand détail, mandez que j’écrive plus amplement. Si ce que j’ai écrit suffit, usez-en auprès de Dieu comme il vous plaira pour lier ou délier. Si vous voulez que je fasse à l’abbé Colas 204 ce que je vous ai mandé, un oui me suffira. Ne lui nuirais-je point à lui-même par là ? Commandez : vous serez obéi.

[Q.] Je quitterais, même en pleine paix, mon revenu, qui est grand, pour me retirer dans une solitude où je n’aurais que le nécessaire avec du repos et de la liberté.  Je ne serais en peine que pour mon neveu, qui a besoin de mon secours. Mais je crains les grosses dépenses que je fais par l’abord continuel que nous avons sur cette frontière, et par la facilité avec laquelle nous faisons les honneurs à tous, allant et venant. D’un côté, j’aime à faire honneur à l’Église par une dépense noble et bienfaisante. D’un autre côté je me reproche de n’être pas dans une certaine frugalité apostolique. Il y a en tout cela quelque chose de mélangé et de vertueux humainement. Cela n’est pas assez simple. Qu’en dites-vous ? D[ieu] seul sait ce qu’Il fait en moi pour m’unir à vous.

J’entre dans toutes vos raisons sur le mémoire qu’on ne m’a jamais exposé de la sorte, mais par le seul revers il n’y a pas à hésiter et le scrupule ne vaut rien en cette occasion. Mille fois à vous dans notre petit Maître 205.

§

Après cette longue lettre de questions et réponses en deux colonnes ne nous est parvenue qu’une seule autre brève missive206 :

De FÉNELON. fin mai 1710 ?

… On [Fénelon] me charge de vous prier de croire qu’on veut être plus uni que jamais. On se trouve si dépourvu de tout fond au-dedans qu’on y aperçoit rien que la seule nature, sans aucun [don] de grâce. C’est un vide et un néant de tout ce qui est vertueux. On serait tenté de croire que l’on n’a plus aucun reste de foi, ni de trace de christianisme. Cependant on aimerait mieux mille morts que manquer à Dieu, mais tout cela est si obscurci et embrouillé, qu’on [n’]y trouve que de quoi se confondre et s’abandonner. On craint de ne pas avoir assez de foi pour transporter les montagnes, car il faudrait les transporter pour faire un si grand changement.

On fera aussi la neuvaine que vous avez demandée et on la commencera le 29 de ce mois207. On vous conjure de ménager votre santé et de ne mourir pas si tôt, car on a grand besoin de vous. On se trouve fort uni à P. P. [le duc de Bourgogne] et au petit abbé [de Langeron]. On aime de tout son cœur et on embrasse votre fils, M. F[orbes]208, avec une véritable tendresse. On est à vous sans mesure.



Fénelon directeur



Nous portons dorénavant toute notre attention sur la Correspondance. Les lettres sont bien adaptées au suivi de la vie intérieure et mystique qui est individuelle, intime, et varie suivant les types psychologiques et les tempéraments. Elles couvrent les trois-quarts de notre Florilège.

Nous avons regroupé les extraits chronologiquement au sein de chaque série ou de chaque destinataire209 puisque la vie spirituelle, lorsqu’elle s’avère mystique, s’exprime très diversement et s’adapte au caractère de chacun210. Toute approche « généraliste » de nature théorique ou même tout regroupement par thèmes s’avère mal adapté, les mailles du filet laisse passer ce qui est mystique et qui ne peut être rangé dans quelque catégorie.

Restait à ordonner les destinataires eux-mêmes. Nous avons préféré l’ordre chronologique par dates de décès211. Ceci permet de regrouper cinq correspondants dont Fénelon connut la fin de vie : Blainville, Gramont, Lamy, Chevreuse et Beauvillier ouvrent ainsi la séquence. Puis cinq succèdent de peu à Fénelon : Maintenon, Montberon, Salm, Risbourg, Maisonfort. Trois vécurent presque la moitié du XVIIIe siècle et assurèrent ainsi une permanence de l’esprit quiétiste : le Marquis, Charlotte, Mortemart. Suivent enfin sous quatre titres des destinataires divers ou anonymes : dame Y ou demoiselle Z, correspondants connus et inconnus.

Si les Œuvres de Fénelon, largement et bien éditées, sont d’accès facile, le caractère monumental de la grande édition critique de sa Correspondance comportant neuf volumes de lettres auxquels s’ajoutent neuf volumes d’études et de précieux commentaires, comme sa mise en ordre scientifique donc chronologique, découragent le chercheur spirituel qui se retrouve devant un admirable mais trop vaste (et coûteux) Mélange.

Heureusement le dix-huitième volume de la grande édition établie entre 1972 et 2007 constitue le guide caché 212 qui permet une navigation assurée. En outre ce dernier volume livre les « bonnes feuilles » spirituelles choisies et détachées par les disciples en vue de l’édition de 1717. Surtout son éditeur I. Noye propose, avec une compétence qui restera inégalée, des noms pour la plupart des destinataires.

Les apports d’Orcibal, Noye et Le Brun, œuvres de trois vies d’érudits, permettent de reconstituer des séries de choix de textes chronologiques par dirigé(e) à partir d’un vaste ensemble chronologique. La récolte a été faite sur les volumes [CF-nos pairs] publiés de 1973 à 1999 puis en 2007 constituant le volume [CF-18]. On espère la mise à disposition d’un volume indexant l’admirable travail critique édité dans les volumes impairs I à XVII 213.

Signalons que la « Petite Duchesse » de Mortemart, dont l’importance était reconnue par les membres des cercles qui entouraient Fénelon et Mme Guyon, retrouve une présence « réelle » grâce aux « bonnes feuilles » qui lui étaient destinées.

« Envoi »

Le volume second des Œuvres spirituelles [OS], publié en 1718, est un condensé admirable des textes spirituels de Fénelon. Voici quelques fragments 214, recueillis avant notre lecture complète de [OFV] que sa lecture a provoquée et dont sont extraites la quasi-totalité de cette partie consacrée aux lettres de direction :



[...] il me semble qu’il ne me reste plus ni force ni haleine pour respirer dans la souffrance. La croix me fait horreur, et ma lâcheté m’en fait aussi. Je suis entre ces deux horreurs à charge à moi-même. Je frémis toujours par la crainte de quelque nouvelle occasion de souffrance. [...] Il y a en moi, ce me semble, un fonds d’intérêt propre, et une [198] légèreté dont je suis content. La moindre chose triste pour moi m’accable. La moindre, qui me flatte un peu, me relève sans mesure. [...] Dieu nous ouvre un étrange livre pour nous instruire quand il nous fait lire dans notre propre cœur. (OS2-113).

Il faut nous accoutumer à supporter au-dehors la contradiction d’autrui, et au-dedans notre propre faiblesse[...]. Alors nous [200] désespérons de nous-mêmes, et nous n’attendons plus rien que de Dieu[...]. La révolte intérieure, loin d’empêcher le fruit de la correction, est au contraire ce qui nous en fait sentir le pressant besoin. En effet la correction ne peut se faire sentir qu’autant qu’elle coupe dans le vif. Si elle ne coupait que dans le mort, nous ne la sentirions pas. Ainsi plus nous la sentons vivement, plus il faut conclure qu’elle nous est nécessaire. (OS2-115).

Désespérez toujours de vos propres efforts[...] Et n’espérez qu’en la grâce, à l’opération simple, unie et paisible de laquelle il faut s’accommoder. [...] Vous n’aurez ni fidélité ni repos que quand vous consentirez pleinement [218] à éprouver toute cette vie tous les sentiments indignés et honteux qui vous occupent. [...] Accoutumez-vous donc à vous voir injuste, jalouse, envieuse, inégale, ombrageuse. La paix est là : vous ne la trouverez jamais ailleurs. (OS2-123).






Madame de Maintenon (1635-1719)

Enracinée dans la vie morale de par son origine protestante, amie puis ennemie de Madame Guyon et de Fénelon, épouse morganatique de Louis XIV 215. Nous omettons la plus grande partie de cette correspondance.

174. À MADAME DE MAINTENON. [17 juin 1691]

…Ce n’est point par les lèvres ni par les actions extérieures; c’est par le désir du cœur, et par un profond abaissement de tout soi-même devant Dieu, qu’ou attire en soi cet esprit de vie, sans lequel nos meilleures actions sont mortes. Dieu est si bon, qu’il n’attend que notre désir pour nous combler de ce don qui est lui-même. Le cri, dit-il dans l’Écriture, ne sera pas encore formé dans votre bouche, et déjà, moi qui le verrai naître dans votre cœur, je l’exaucerai avant qu’il soit fait. Il nous prévient, il nous presse de le presser; il nous prie, pour ainsi dire, de le prier. Il souffre patiemment nos duretés, nos langueurs, nos lâchetés, nos ingratitudes; il nous ordonne de lui demander, tant il craint d’être réduit à ne nous donner pas. …

259. À MADAME DE MAINTENON mai 1694

… Vous ne tenez point aux biens ni aux honneurs grossiers; mais vous tenez peut-être, sans le voir, à la bienséance, à la réputation des honnêtes gens, à l’amitié, et surtout à une certaine perfection de vertu, qu’on voudrait trouver en soi, et qui tiendrait lieu de tous les autres biens : c’est le plus grand raffinement de l’amour-propre, qui console de toute perte. Comme on ne veut rien d’extérieur pour soi, on se console aisément de perdre toutes les choses extérieures, dont la perte ne fait que nous rendre plus grands et plus parfaits.

Quand on a du courage, voilà de quoi on se nourrit intérieurement. Alors plus on paraît parfait aux gens sans expérience, et qui ne jugent que par les actions, plus on est imparfait; car on est plein de soi-même, comme Lucifer. Son péché ne consiste que dans le plaisir de se voir parfait. Je dis, parfait pour l’amour de soi; car pour être pur dans sa perfection, il faut la regarder en soi tout comme en autrui, sans nulle complaisance que ce soit soi-même plutôt qu’un autre; ou plutôt ne la regarder jamais, allant toujours en avant d’une vue droite et simple, sans réflexion ni retour.

Tant qu’on n’est point encore arrivé là, on sent toujours des retours inquiets, des hontes, des dépits, des sensibilités, des délicatesses. Tout cela est bon à éprouver; plus il est douloureux, plus il est utile; car cette douleur est nécessaire, comme celle des incisions pour guérir des plaies.

Vous n’êtes point encore assez accoutumée à la fatigue sur l’avilissement intérieur où les bonnes âmes doivent passer216. Il faut venir jusqu’à avoir horreur de soi, et à ne trouver plus en soi ni consolation, ni ressource, ni lieu à poser le pied sur le bord de l’abîme. Dieu vous fait des grâces infinies; je souhaite seulement que vous marchiez à proportion, et que rien ne vous arrête. Il faut une mort perpétuelle en tout; mais une mort prise à contresens ne ferait que vous épuiser pour la santé, que vous dessécher intérieurement, que vous charger de pratiques gênantes, que vous livrer à votre courage naturel, et que vous faire hésiter dans les voies que Dieu vous marque.

C’est par petitesse et par simplicité, et non par courage et par multitude de pratiques, qu’il faut que vous mouriez à votre propre esprit, à votre goût pour les vertus naturelles, et à tout ce qui nourrit la délicatesse de votre amour-propre.



Relevé de Correspondance217

Lettres adressées à Mme de MAINTENON (Françoise d'AUBIGNÉ, marquise de-):

1689, 4 octobre, 25 décembre,

1690 (8 L.), janvier (?), février (?), 2-5 avril, 1er-10 mai, 10-14 mai, 3 septembre, début d'octobre, lettre de Mme de M. « à sept heures, mercredi 8 novembre »,

1691 (11 L .), début de janvier, 18-24 janvier, 23 février (?), février (?), 27 février, 18-20 mars, 20 mars, 8-9 avril, 12 avril, 1-7 juin, 21-26 septembre,

1692, (6 L.), 2 février, 12 mars, 24 mars, 4 avril, 25 mai, 26 septembre,

1693, (5 L.), 1er janvier, 2 février, 25 mai, 20 novembre, 26 novembre,

1694, 7 (?) mai,

1695, 10-19 septembre,

1696, 7 mars, septembre, fin novembre,

1697, 29 juillet, 1er août.

Soit un total de 39 lettres.



Marquis de Blainville (1663-1704)

Jules-Armand, quatrième fils de Colbert et frère de la « petite duchesse » de Mortemart, commence en 1684 une « brillante carrière militaire (‘il avait des parties de capitaine’), dit Saint-Simon. » Lieutenant général en 1702, il fut tué le 17 août 1704. Il avoua à Mme Guyon avoir vécu quinze ans « dans le désordre et l’athéisme » avant de se mettre sous la direction spirituelle de Fénelon, « qui régla ses prières et ses lectures » 218.

Nous plaçons en premier la série de lettres de [CF 18] adressées « à un converti (O) » - militaire selon la lettre LSP 36. Il s’agit très probablement de Blainville 219.


« Quatrième fils du ministre, Jules-Armand Colbert naquit le 7 décembre 1663 et fut d'abord titré marquis d'Ormoy. Il eut Barbier d'Aucour pour précepteur et devint le 28 mars 1674 surintendant des bâtiments en survivance. Il semble y avoir montré de l'incapacité, mais c'est peut-être surtout en raison de la disgrâce de sa famille qu'il fut, en septembre 1683, obligé de céder cette charge à Louvois pour 500 000 livres. Dès le 30 janvier 1685, il pouvait cependant acheter celle de grand maître des cérémonies.

Il avait commencé en 1684 une brillante carrière militaire (« il avait des parties de capitaine », dit Saint-Simon). Comme il était déjà pourvu, Seignelay ne lui fit cependant donner le 4 septembre 1689 que le régiment de son cadet, le comte de Sceaux, et ce n'est qu'à la mort de celui-ci qu'il eut le 9 juillet 1690 le régiment de Champagne. Brigadier en 1693, lieutenant général en 1702, il sera tué le 17 août 1704. Deux filles étaient nées en 1684 et en 1686 de son mariage avec Gabrielle de Tonnay-Charente qu'il avait épousée le 27 juillet 1682 et qui devint folle. » (CF 3, LSP 43, n.1). [O].

LSP 32.*A UN CONVERTI (O)

Vous 220 me trouverez bien indiscret, Monsieur; mais je ne puis garder aucune mesure avec vous, quoique je n’aie point l’honneur d’en être connu. Ce qu’on m’a fait connaître de la situation de votre cœur me touche tellement, que je passe au-dessus de toutes les règles. Vos amis, qui sont les miens, vous ont déjà répondu de la sincérité de mon zèle pour votre personne. Je ne saurais sentir une plus parfaite joie, que celle de vous posséder quelques jours. En attendant, je ne puis m’empêcher de vous dire qu’il faut céder à Dieu, quand il nous invite à le laisser régner au dedans de nous. Avons-nous autant délibéré quand le monde nous a invités à nous laisser séduire par les amusements et par les passions ? avons-nous autant hésité ? avons-nous demandé autant de démonstrations ? avons-nous autant résisté au mal, que nous résistons au bien ? Est-il question de s’égarer, de se corrompre, de se perdre, d’agir contre le fond le plus intime de son cœur et de sa raison, pour chercher la vanité ou le plaisir des sens ? On ne craint point d’aller trop loin ; on décide, on s’abandonne sans réserve. Est-il question de croire qu’une main toute sage et toute-puissante nous a fait, puisque nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes ; s’agit-il de reconnaître que nous devons tout à celui de qui nous tenons tout, et qui nous a fait pour lui seul ? On commence à hésiter, à délibérer, à douter avec subtilité des choses les plus simples et les plus claires ; on craint d’être trop crédule, on se défie de son propre sentiment, on chicane le terrain, on appréhende de donner trop à celui à qui tout n’est pas trop, et à qui on n’a jamais rien donné; on a même honte de cesser d’être ingrat envers lui, et on n’ose laisser voir au monde qu’on le veut servir: en un mot, on est aussi timide, aussi tâtonnant et aussi difficile pour la vertu, qu’on a été hardi et décisif sans examen pour le dérèglement.

Je ne vous demande, Monsieur, qu’une seule chose, qui est de suivre simplement la pente du fond de votre cœur pour le bien, comme vous avez suivi autrefois les passions mondaines pour le mal. Toutes les fois que vous voudrez examiner les fondements de la religion, vous reconnaîtrez sans peine qu’on n’y peut opposer rien de solide, et que ceux qui la combattent ne le font que pour ne se point assujettir aux règles de la vertu : ainsi ils ne refusent de suivre Dieu, que pour se contenter eux-mêmes. De bonne foi, est-il juste d’être si facile pour soi, et si retranché contre Dieu ? Faut-il tant de délibérations pour conclure qu’il ne nous a pas fait pour nous, mais pour lui ? En le servant, que hasardons-nous ? Nous ferons toutes les mêmes choses honnêtes et innocentes que nous avons faites jusqu’ici ; nous aurons à peu près les mêmes devoirs à remplir, et les mêmes peines à souffrir patiemment : mais nous y ajouterons la consolation infinie d’aimer ce qui est souverainement aimable, de travailler et de souffrir pour plaire au véritable et parfait ami, qui tient compte des moindres choses, et qui les récompense au centuple dès cette vie par la paix qu’il répand dans le cœur. Enfin nous y ajouterons l’attente d’une vie bienheureuse et éternelle, en comparaison de laquelle celle-ci n’est qu’une mort lente.

Ne raisonnez point. Ou croyez votre propre cœur, à qui Dieu, si longtemps oublié, se fait sentir amoureusement malgré tant de longues infidélités ; ou du moins consultez vos amis, gens de bien, que vous connaissez pour sincères : demandez-leur ce qu’il leur en coûte pour servir Dieu ; sachez d’eux s’ils se repentent de s’y être engagés, et s’ils ont été ou trop crédules ou trop hardis dans leur conversion. Ils ont été dans le monde comme vous : demandez-leur s’ils regrettent de l’avoir quitté, et si l’ivresse de Babylone est plus douce que la paix de Sion. Non, Monsieur, quelque croix qu’on souffre dans la vie chrétienne, on ne perd jamais cette bienheureuse paix du cœur, dans laquelle on veut tout ce qu’on souffre, et on ne voudrait aucune des joies dont on est privé.

Le monde en donne-t-il autant ? vous le savez. Y est-on toujours content d’avoir tout ce qu’on a, et de n’avoir aucune des choses qui manquent ? Y fait-on toutes choses par amour et du fond du cœur ? Que craignez-vous donc ? De quitter ce qui vous quittera bientôt, ce qui vous échappe déjà à toute heure, ce qui ne remplit jamais votre cœur, ce qui se tourne en langueur mortelle, ce qui porte avec soi un vide triste, et même un reproche secret du fond de la conscience ; enfin ce qui n’est rien dans le moment même où il éblouit ? Et que craignez-vous ? De trouver une vertu trop pure à suivre, un Dieu trop aimable à aimer, un attrait d’amour qui ne vous laissera plus à vous-même ni aux vanités d’ici-bas ? Que craignez-vous ? De devenir trop humble, trop détaché, trop pur, trop juste, trop raisonnable, trop reconnaissant pour votre Père qui est au ciel ? Ne craignez donc rien tant que cette injuste crainte, et cette folle sagesse du monde qui délibère entre Dieu et soi, entre le vice et la vertu, entre la reconnaissance et l’ingratitude, entre la vie et la mort.

Vous savez, par une expérience sensible, ce que c’est que de languir faute d’avoir au dedans de soi une vie et une nourriture d’amour. On est inanimé et comme sans âme, dès qu’on n’a plus ce je ne sais quoi au dedans, qui soutient, qui porte, qui renouvelle à toute heure. Tout ce que les amants insensés du monde disent dans leurs folles passions est vrai en un sens à la lettre. Ne rien aimer, ce n’est pas vivre ; n’aimer que faiblement, c’est languir plutôt que vivre. Toutes les plus folles passions qui transportent les hommes ne sont que le vrai amour déplacé, qui s’est égaré loin de son centre. Dieu nous a fait pour vivre de lui et de son amour. Nous sommes nés pour être brûlés et nourris tout ensemble de cet amour, comme un flambeau pour se consumer devant celui qu’il éclaire. Voilà cette bienheureuse flamme de vie que Dieu a allumée au fond de notre cœur: toute autre vie n’est que mort. Il faut donc aimer.

Mais qu’aimerez-vous ? Ce qui ne vous aime point sincèrement, ce qui n’est point aimable, ce qui nous échappe comme une ombre qu’on voudrait saisir ? Qu’aimerez-vous dans le monde ? Des hommes qui seraient jaloux et rongés d’une infâme envie, si vous étiez content ? Qu’aimerez-vous ? Des cœurs qui sont aussi hypocrites en probité, qu’on accuse les dévots d’être hypocrites en dévotion ? Qu’aimerez-vous ? Un nom de dignité qui vous fuira peut-être, et qui ne guérirait de rien votre cœur, si vous l’obteniez? Qu’aimerez-vous? L’estime des hommes aveugles, que vous méprisez presque tous en détail ? Qu’aimerez-vous ? Ce corps de boue qui salit notre raison, et qui assujettit l’âme aux douleurs des maladies et de la mort prochaine? Que ferez-vous donc? N’aimerez-vous rien? vivrez-vous sans vie, plutôt que d’aimer Dieu qui vous aime, qui veut que vous l’aimiez, et qui ne veut vous avoir tout à lui, que pour se donner tout entier à vous? Craignez-vous qu’avec ce trésor il puisse vous manquer quelque chose? Croyez-vous que le Dieu infini ne pourra pas remplir et rassasier votre cœur? Défiez-vous de vous-même et de toutes les créatures ensemble : ce n’est qu’un néant, qui ne saurait suffire au cœur de l’homme fait pour Dieu; mais ne vous défiez jamais de celui qui est lui seul tout bien, et qui vous dégoûte miséricordieusement de tout le reste, pour vous forcer à revenir à lui.

LSP 31*A UN CONVERTI (O)

Je suis ravi, Monsieur, de voir la bonté de cœur avec laquelle vous avez reçu la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire. Dieu opère certainement en vous, puisqu’il vous donne le goût de la vérité, et le désir d’être soutenu dans vos bons projets. Je ne demande pas mieux que de vous y aider. Plus vous ferez pour Dieu, plus il fera pour vous. Chaque pas que vous ferez dans le bon chemin se tournera en paix et en consolation dans votre cœur. La perfection même que l’on craint tant, de peur qu’elle ne soit triste et gênante, n’est perfection qu’en ce qu’elle augmente la bonne volonté. Or à mesure que ce qu’on fait augmente, l’ennui et la gêne diminuent en le faisant; car on n’est point gêné en ne faisant que les choses qu’on aime à faire. Quand on fait une chose pénible avec un grand amour, ce grand amour adoucit la peine, et fait qu’on est content de la souffrir /1221. On ne voudrait pas être soulagé en manquant à l’amour dont on est rempli ; on se fait même un plaisir de se sacrifier au bien-aimé. Ainsi plus on avance vers la perfection, plus on est content de suivre ce qu’on aime. Que voulez-vous de mieux, que d’être toujours content, et de ne souffrir jamais aucune croix qui ne vous contente plus que les plaisirs opposés ? C’est ce contentement que vous ne trouverez jamais dans votre cœur en vous livrant à vos passions, et qui ne vous manquera jamais en cherchant Dieu.

Il est vrai que ce n’est pas toujours un contentement sensible et flatteur, comme celui des plaisirs profanes ; mais enfin c’est un contentement très réel, et fort supérieur à ceux que le monde donne, puisque les pécheurs veulent toujours ce qui leur manque, et que les âmes pleines de l’amour de Dieu ne veulent rien que ce qu’elles ont. C’est une paix quelquefois sèche et même amère, mais que l’âme aime mieux que l’ivresse des passions. C’est une paix où l’on est d’accord avec soi, une paix qui n’est jamais troublée ni altérée que par les infidélités. Ainsi moins on est infidèle, plus on jouit de cette heureuse paix. Comme le monde ne peut la donner /2, il ne peut l’ôter. Si vous ne voulez pas le croire, essayez-le. Goûtez, et voyez combien le Seigneur est doux /3.

Vous ne pouvez rien faire de mieux que de régler votre temps, en sorte que vous fassiez tous les jours une petite lecture, avec un peu d’oraison en méditation affectueuse, pour repasser sur vos faiblesses, étudier vos devoirs, recourir à Dieu, et vous accoutumer à être familièrement avec lui. Que vous serez heureux, si vous apprenez ce que c’est que l’occupation de l’amour ! Il ne faut point demander ce qu’on fait avec Dieu quand on l’aime. On n’a point de peine à s’entretenir avec son ami; on a toujours à lui ouvrir son cœur; on ne cherche jamais ce qu’on lui dira, mais on le lui dit sans réflexion : on ne peut lui rien réserver ; quand même on n’aurait rien à lui dire, on est content d’être avec lui. O que l’amour est bien plus propre à soutenir que la crainte ! La crainte captive et contraint pendant qu’elle trouble ; mais l’amour persuade, console, anime, possède toute l’âme, et fait vouloir le bien pour le bien même. Il est vrai que vous avez encore besoin de la crainte des jugements de Dieu, pour faire le contrepoids de vos passions; confige timore tuo carnes meas /4: mais en commençant par la crainte qui dompte la chair, il faut se hâter de tendre à l’amour qui console l’esprit. O que vous trouverez Dieu bon et fidèle ami, quand vous voudrez entrer en amitié sincère et constante avec lui !

Le point capital, si vous voulez bien vous donner à lui de bonne foi, c’est de vous défier de vous-même après tant d’expériences de votre fragilité, et de renoncer sans retardement à toutes les compagnies qui peuvent vous faire retomber. Si vous voulez aimer Dieu, pourquoi voulez-vous passer votre vie dans l’amitié de ceux qui ne l’aiment pas, et qui se moquent de son amour? Pourquoi ne vous contenter pas de la société de ceux qui l’aiment, et qui sont propres à vous affermir dans votre amour pour lui ?

Je ne demande point que vous rompiez d’abord sans aucune mesure avec tous vos amis, et avec toutes les personnes vers lesquelles une véritable bienséance vous demande quelque commerce. Je demande encore moins que vous abandonniez ce qu’on appelle les devoirs, pour faire votre cour, et vous trouver dans les lieux où l’on n’a besoin que de paraître en passant ; mais il s’agit des liaisons suivies, qui contribuent beaucoup à gâter le cœur, et qui rentraînent insensiblement contre les meilleures résolutions qu’on a prises. Il s’agit de retrancher les conversations fréquentes de femmes vaines qui cherchent à plaire, et des autres compagnies qui réveillent le goût des plaisirs, qui accoutument à mépriser la piété, et qui causent une très dangereuse dissipation. C’est ce qui est très nuisible pour le salut à tous les hommes les plus confirmés dans la vertu, et par conséquent c’est ce qui est encore bien plus pernicieux pour un homme qui ne fait que les premiers pas vers le bien, et dont le naturel est si facile pour se laisser dérégler.

De plus vous devez vous reprocher vos longues infidélités, et l’abus que vous avez fait si longtemps des grâces. Dieu vous a attendu, cherché, invité, pressé, forcé, pour ainsi dire, à revenir à lui : n’est-il pas juste que vous l’attendiez un peu à votre tour ? N’avez-vous pas besoin de mortifier vos goûts, et de réprimer vos habitudes, surtout à l’égard des choses dangereuses ? Ne faut-il pas faire une sérieuse pénitence de vos péchés ? Ne devez-vous pas appliquer votre pénitence à vous humilier et à vous ennuyer /5 un peu, pour vous éloigner des compagnies contagieuses ? Celui, dit le Saint-Esprit /6, qui aime le péril y périra. Il faut, quoi qu’il en coûte, quitter les occasions prochaines. On est obligé, selon le commandement de Jésus-Christ, de couper son pied et sa main, et même d’arracher son œil, s’ils nous scandalisent /7, c’est-à-dire s’ils sont pour nous des pièges ou sujets de chute.

J’avoue que vous ne devez point donner au public une scène de conversion qui fasse discourir avec malignité; la vraie piété ne demande jamais ces démonstrations. Il suffit de faire deux choses : l’une est de ne donner aucun mauvais exemple ; c’est sur quoi il n’est jamais permis de rougir de Jésus-Christ et de son Évangile: l’autre chose est de faire sans affectation et sans éclat tout ce que le sincère amour de Dieu demande. Suivant la première règle, il ne faut paraître que modestement à l’église; et, dans toutes les compagnies, on ne peut ni flatter le vice, ni entrer dans les discours indécents des libertins. Suivant la seconde règle, il n’y a qu’à faire ses lectures, ses prières, ses confessions, ses communions, et ses autres bonnes œuvres en particulier. Par là vous éviterez la critique maligne 98 du monde, sans tomber dans une mauvaise honte et dans une timidité politique, qui vous rentraînerait bientôt dans le torrent de l’iniquité. La principale démarche à faire, est de vous retirer doucement de tous les amusements, qui sont encore plus à craindre pour vous que pour un autre, et de vous retrancher dans la société d’un petit nombre de personnes choisies qui pensent comme vous voulez penser toute votre vie.


/1. Cf. AUGUSTIN, De bono viduitatis, c. 21, P.L. 40, col. 448.

/2. Cf. Jean XIV, 27. /3. Ps. 33, 9. /4. Ps. 118, 120.

/5. S'ennuyer: éprouver des contrariétés pénibles ; ici, avec «s'appliquer», «s'humilier», le pronom réfléchi suggère plutôt l'idée de «s'y contraindre ».

/6. Ecclés. III. 27. /7. Matth., v, 29-30.


LSP 33*A UN CONVERTI (O)

Quoique je n’aie point reçu de vos nouvelles, je ne puis ni vous oublier, ni perdre la liberté que vous m’avez donnée. Souffrez donc, je vous en conjure, que je vous représente combien vous seriez coupable devant Dieu, si vous résistiez à la vérité connue, et au sentiment très vif que Dieu vous en a donné : ce serait résister au Saint-Esprit même. Le voyage que vous avez pris la peine de faire se tournerait en condamnation contre vous. Vous ne pouvez douter ni de l’indignité du monde, ni de son impuissance de vous rendre heureux, ni de l’illusion de tout ce qu’il promet de flatteur. Vous connaissez les droits du Créateur sur sa créature, et combien l’ingratitude à l’égard de Dieu est encore plus inexcusable que celle où l’on tombe à l’égard des amis, qui ne sont que des hommes. Vous sentez la vérité de ce Dieu, par la sagesse qui reluit dans tous ses ouvrages, et par les vertus qu’il inspire aux hommes remplis de son amour. Qu’avez-vous à opposer à des choses si touchantes /1, si ce n’est un goût de liberté et d’indocilité naturelle qui forme votre irrésolution ? On craint de porter le joug ; et c’est là le vrai levain d’une certaine incrédulité qu’on s’objecte à soi-même. On veut se persuader qu’on ne croit pas encore assez, et que, dans cet état de doute, on ne pourrait faire aucun pas vers la religion sans le faire témérairement et avec danger de reculer bientôt. Mais ce n’est pas un vrai doute sur la vérité du christianisme qui cause cette irrésolution; c’est au contraire l’irrésolution qui se sert du prétexte de ce doute, pour différer toujours d’exécuter ce que la nature craint. On se fait accroire à soi-même qu’on doute, pour se dispenser de s’exécuter soi-même, et de sacrifier une malheureuse liberté dont l’amour-propre est jaloux.

De bonne foi, qu’avez-vous de solide et de précis à opposer aux vérités de la religion? Rien qu’une crainte d’être gêné, et de mener une vie triste et pénible; rien qu’une crainte d’être mené plus loin que vous ne voudriez vers la perfection. Ce n’est qu’à force d’estimer la religion, de sentir sa juste autorité, et de voir tous les sacrifices qu’elle inspire, que vous la craignez et que vous n’osez vous livrer à elle.

Mais permettez-moi de vous dire que vous ne la connaissez pas encore aussi douce et aussi aimable qu’elle est. Vous voyez ce qu’elle ôte, mais vous ne voyez pas ce qu’elle donne. Vous vous exagérez ses sacrifices, sans envisager ses consolations. Non, elle ne laisse aucun vide dans le cœur. Elle ne vous fera faire que les choses que vous voudrez faire, et que vous voudrez préférer à toutes les autres qui vous ont si longtemps séduit. Si le monde ne vous demandait jamais que /2 ce que votre cœur aimerait et accepterait par amour, ne serait-il pas meilleur maître qu’il ne l’est? Dieu vous ménagera, vous attendra, vous préparera, vous fera vouloir avant que de vous demander. S’il gêne vos inclinations corrompues, il vous donnera un goût de vérité et de vertu par son amour, qui sera supérieur à tous vos autres goûts déréglés. Qu’attendez-vous? Qu’il fasse des miracles pour vous convaincre? Nul miracle ne vous ôterait cette irrésolution d’un amour-propre qui craint d’être sacrifié. Que voulez-vous? Des raisonnements sans fin, pendant que vous sentez dans le fond de votre conscience ce que Dieu a droit de vous demander ? Les raisonnements ne guériront jamais la plaie de votre cœur. Vous raisonnez, non pour conclure et exécuter, mais pour douter, vous excuser, et demeurer en possession de vous-même.

Vous mériteriez que Dieu vous laissât à vous-même, pour punition d’une si longue résistance ; mais il vous aime plus que vous ne savez vous aimer. Il vous poursuit par miséricorde, et trouble votre cœur pour le subjuguer. Rendez-vous à lui, et finissez vos dangereuses incertitudes. Cette suspension apparente entre les deux partis est un parti véritable : cette apparence de délibération, qui ne finit point, est une résolution secrète et déguisée d’un cœur que l’amour-propre tient dans l’illusion, et qui voudrait toujours fuir la règle. Vous n’avez que trop raisonné. Si vous avez encore des difficultés solides et importantes, expliquez-les nettement par écrit, et on les approfondira simplement avec vous : si au contraire vous n’avez qu’un doute confus, qui vient d’une crainte d’être trop pressé par la règle de la foi, que tardez-vous à vous soumettre ? Faites taire votre esprit. Faut-il s’étonner que l’infini surpasse nos raisonnements, qui sont si faibles et si courts ? Voulez-vous mesurer Dieu et ses mystères par vos vues ? Serait-il infini, si vous pouviez le mesurer, et sonder toutes ses profondeurs ?

Faites-vous justice à vous-même, et vous la ferez bientôt à Dieu. Humiliez-vous, défiez-vous de vous-même, apetissez-vous à vos propres yeux, rabaissez-vous, sentez les ténèbres de votre esprit et la fragilité de votre cœur. Au lieu de juger Dieu, laissez-vous juger par lui et avouez que vous avez besoin qu’il vous redresse. Rien n’est grand, que cette petitesse intérieure de l’âme qui se fait justice. Rien n’est raisonnable, que ce juste désaveu de notre raison égarée. Rien n’est digne de Dieu, que cette docilité de l’homme qui sent l’impuissance de son esprit, et qui est désabusé de ses fausses lumières. O qu’une âme humble est éclairée ! O qu’elle voit de vérités, quand elle est bien convaincue de ses ténèbres, et qu’elle ne laisse plus aucune ressource à sa présomption ! Pardon, Monsieur, d’une lettre si indiscrète: je ne puis modérer le zèle que votre confiance m’a inspiré.

/1. Toucher, « frapper», en parlant des choses morales (Cayrou).

/2. Phrase obscure dans les éditions «Versailles» et «Paris » qui omettent ce mot fourni par celles de 1718 et 1719.


LSP 34.*A UN CONVERTI (O)

Ce que vous avez le plus à craindre, Monsieur, c’est la mollesse et l’amusement. Ces deux défauts sont capables de jeter dans les plus affreux désordres les personnes même les plus résolues à pratiquer la vertu, et les plus remplies d’horreur pour le vice. La mollesse est une langueur de l’âme, qui l’engourdit, et qui lui ôte toute vie pour le bien; mais c’est une langueur traîtresse, qui la passionne secrètement pour le mal, et qui cache sous la cendre un feu toujours prêt à tout embraser. Il faut donc une foi mâle et vigoureuse, qui gourmande cette mollesse sans l’écouter jamais. Sitôt qu’on l’écoute et qu’on marchande avec elle, tout est perdu. Elle fait même autant de mal selon le monde que selon Dieu. Un homme mou et amusé ne peut jamais être qu’un pauvre homme; et s’il se trouve dans de grandes places, il n’y sera que pour se déshonorer. La mollesse ôte à l’homme tout ce qui peut faire les qualités éclatantes. Un homme mou n’est pas un homme ; c’est une demi-femme /1. L’amour de ses commodités l’entraîne toujours malgré ses plus grands intérêts. Il ne saurait cultiver ses talents, ni acquérir les connaissances nécessaires dans sa profession, ni s’assujettir de suite /2 au travail dans les fonctions pénibles, ni se contraindre longtemps pour s’accommoder au goût et à l’humeur d’autrui, ni s’appliquer courageusement à se corriger.

C’est le paresseux de l’Écriture /3, qui veut et ne veut pas; qui veut de loin ce qu’il faut vouloir, mais à qui les mains tombent de langueur dès qu’il regarde le travail de près. Que faire d’un tel homme ? il n’est bon à rien. Les affaires l’ennuient, la lecture sérieuse le fatigue, le service d’armée trouble ses plaisirs, l’assiduité même de la cour le gêne. Il faudrait lui faire passer sa vie sur un lit de repos. Travaille-t-il ? Les moments lui paraissent des heures. S’amuse-t-il ? Les heures ne lui paraissent plus que des moments. Tout son temps lui échappe, il ne sait ce qu’il en fait; il le laisse couler comme l’eau sous les ponts. Demandez-lui ce qu’il a fait de sa matinée: il n’en sait rien, car il a vécu sans songer s’il vivait, il a dormi le plus tard qu’il a pu, s’est habillé fort lentement, a parlé au premier venu, a fait plusieurs tours dans sa chambre, a entendu nonchalamment la messe. Le dîner est venu : l’après-dînée se passera comme le matin, et toute la vie comme cette journée. Encore une fois, un tel homme n’est bon à rien. Il ne faudrait que de l’orgueil, pour ne se pouvoir supporter soi-même dans un état si indigne d’un homme. Le seul honneur du monde suffit pour faire crever l’orgueil de dépit et de rage, quand on se voit si imbécile.

Un tel homme non seulement sera incapable de tout bien, mais il tombera peu à peu dans les plus grands maux. Le plaisir le trahira. Ce n’est pas pour rien que la chair veut être flattée. Après avoir paru indolente et insensible, elle passera tout d’un coup à être furieuse et brutale ; on n’apercevra ce feu que quand il ne sera plus temps de l’étouffer.

Il faut même craindre que vos sentiments de religion, se mêlant avec votre mollesse, ne vous engagent peu à peu dans une vie sérieuse et particulière qui aura quelques dehors réguliers, et qui, dans le fond, n’ aura rien de solide. Vous compterez pour beaucoup de vous éloigner des compagnies folles de la jeunesse, et vous n’apercevrez pas que la religion ne sera que votre prétexte pour les fuir: c’est que vous vous trouverez gêné avec eux; c’est que vous ne serez pas à la mode parmi eux ; c’est que vous n’aurez pas les manières enjouées et étourdies qu’ils cherchent. Tout cela vous enfoncera par votre propre goût dans une vie plus sérieuse et plus sombre : mais craignez que ce ne soit un sérieux aussi vide et aussi dangereux que leurs folies gaies. Un sérieux mou, où les passions règnent tristement, fait une vie obscure, lâche, corrompue, dont le monde même, tout monde qu’il est, ne peut s’empêcher d’avoir horreur. Ainsi peu à peu vous quitteriez le monde, non pour Dieu, mais pour vos passions, ou du moins pour une vie indolente qui ne serait guère moins contraire à Dieu ; et qui serait plus méprisable selon le monde, que les passions mêmes les plus dépravées. Vous ne quitteriez les grandes prétentions, que pour vous entêter de colifichets et de petits amusements dont on doit rougir dès qu’on est sorti de l’enfance.

Venons aux moyens de vous précautionner contre vous-même là-dessus.

Le premier est de vous faire un projet pour remplir votre temps, et de le suivre, quoi qu’il vous en coûte. Le second, c’est de mettre dans ce projet, comme l’article le plus essentiel, celui de faire tous les jours une demi-heure de lecture méditée, où vous ne manquerez jamais de renouveler vos résolutions contre votre mollesse. Le troisième, c’est que vous ferez tous les soirs un examen de votre journée, pour voir si la mollesse vous a entraîné et si vous avez perdu du temps.

Le quatrième est de vous confesser régulièrement de quinze en quinze jours à un confesseur qui connaisse votre penchant, et que vous engagiez à vous soutenir vigoureusement contre vous-même. Le cinquième moyen est d’avoir quelque bon ami ou quelque domestique assez discret et assez zélé pour pouvoir vous avertir secrètement quand il verra que votre mollesse commencera à vous engourdir. Pour se mettre en état de recevoir de tels avis, il faut les demander cordialement, montrer aux gens qu’on leur sait bon gré de ce qu’ils les donnent, et leur faire voir qu’on tâche d’en profiter. Jamais ne leur montrez ni chagrin, ni indocilité, ni hauteur, ni jalousie.

Pour vos occupations, il faut les régler, soit à l’armée ou à la cour. Partout il faut se faire une règle, et ranger si bien toutes les choses, qu’on y manque fort rarement. Le matin, votre lecture méditée avant toutes choses, et lorsqu’on vous croit encore au lit. Vers le soir une autre lecture. Si vous vous sentez alors quelque goût à vous recueillir un peu en la faisant, vous vous accoutumerez par là peu à peu à faire le soir comme le matin. Mais d’abord il ne faut pas vous gêner et vous lasser de prières. Pendant la messe, vous pourrez lire l’épître et l’évangile, pour vous unir au prêtre dans le grand sacrifice de Jésus-Christ ; quelque pensée tirée de l’évangile ou de l’épître, qui aura rapport au sacrifice, pourra vous aider à tenir votre esprit élevé à Dieu.

Il faut voir civilement tout le monde dans les lieux où tout le monde va, à la cour, chez le Roi, à l’armée, chez les généraux. Il faut tâcher d’acquérir une certaine politesse, qui fait qu’on défère à tout le monde avec dignité. Nul air de gloire, nulle affectation, nul empressement: savoir traiter chacun selon son rang, sa réputation ; son mérite, son crédit ; au mérite, l’estime; à la capacité accompagnée de droiture et d’amitié, la confiance et l’attachement; aux dignités, la civilité et la cérémonie. Ainsi satisfaire au public par une honnête représentation dans ces lieux où il n’est question que de représenter; saluer et traiter bien en passant tout le monde, mais entrer en conversation avec peu de gens. La mauvaise compagnie déshonore, surtout un jeune homme en qui tout est encore douteux. Il est permis de voir fort peu de gens, mais il n’est pas permis de voir les gens désapprouvés. Ne vous moquez point d’eux comme les autres, mais écartez-vous doucement.

Lisez les livres qui conviennent à votre état, surtout l’histoire de votre pays. Voyant tout le monde d’une manière gaie et civile en public, et ayant des occupations louables pour votre métier selon le monde même, vous ne devez pas craindre d’être retiré. Autant qu’une retraite vide est déshonorante, autant une retraite occupée et pleine des devoirs de sa profession élève-t-elle un homme au-dessus de tous ces fainéants qui n’apprennent jamais leur métier. Quand on saura que vous travaillez à n’ignorer rien dans l’histoire et dans la guerre, personne n’osera vous attaquer sur la dévotion: la plupart même ne vous en soupçonneront point: ils croiront seulement que vous êtes un sage ambitieux. Par ces soins, vous pouvez vous dispenser d’être avec la folle jeunesse, et par là vous pourrez être retiré pour vous donner tout à Dieu et aux devoirs de l’état où la Providence vous a mis.

Outre qu’il ne faut jamais paraître se préférer à personne, il faut encore certaines manières simples, naturelles, ingénues; un visage ouvert, quelque chose de complaisant dans le commerce passager: que tout marque de la noblesse, de l’élévation, un cœur libéral, officieux /4, bienfaisant, touché du mérite ; de l’industrie pour obliger, du regret quand on ne le peut pas, de la délicatesse pour prévenir les gens de mérite, pour les entendre à demi-mot, pour leur épargner certaines peines, pour dire à demi ce qu’il ne faut pas achever de dire, pour assaisonner un service de ce qui peut le rendre obligeant sans le faire valoir. L’orgueil cherche la gloire par ce chemin, et il faut que la religion cherche par ce chemin la vraie bienséance par des motifs tout divins. Rien n’est si noble, si délicat, si grand, si héroïque, que le cœur d’un vrai chrétien; mais en lui rien de faux, rien d’affecté, rien que de simple, de modeste et d’effectif en tout.

Voilà à peu près les choses qui regardent le commerce public. Il y a encore le commerce de certains amis d’une amitié superficielle. Il ne faut point compter sur eux, ni s’en servir sans un grand besoin; mais il faut, autant qu’on le peut, les servir, et faire en sorte qu’ils vous soient obligés. Il n’est pas nécessaire que ces gens-là soient tous d’un mérite accompli ; il suffit de lier commerce extérieur avec ceux qui passent pour les plus honnêtes gens. C’est ceux-là avec qui on s’arrête et on raisonne, au lieu qu’on ne dit que bonjour aux autres. On les va voir chez eux aux occasions de compliments, on se trouve avec eux en certains endroits: mais on n’est point de leurs plaisirs, et on ne les met point dans sa confidence. S’ils veulent pousser plus avant la liaison, on esquive doucement; tantôt on a une affaire, tantôt une autre.

Pour les vrais amis, il faut les choisir avec de grandes précautions, et par conséquent se borner à un fort petit nombre. Point d’ami intime qui ne craigne Dieu, et que les pures maximes de religion ne gouvernent en tout; autrement il vous perdra, quelque bonté de cœur qu’il ait. Choisissez, autant que vous pouvez, vos amis dans un âge un peu au-dessus du vôtre : vous en mûrirez plus promptement. À l’égard des vrais et intimes amis, un cœur ouvert ; rien pour eux de secret que le secret d’autrui, excepté dans les choses où vous pourriez craindre qu’ils ne fussent préoccupés /5. Soyez chaud, désintéressé, fidèle, effectif /6, constant dans l’amitié ; mais jamais aveugle sur les défauts et sur les divers degrés de mérite de vos amis : qu’ils vous trouvent au besoin, et que leurs malheurs ne vous refroidissent jamais.

Traitez bien vos domestiques : une autorité ferme et douce, un grand soin d’entrer dans leurs besoins, de leur faire tout le bien qu’on peut, de distinguer ceux qui méritent quelque distinction, et de les attacher à soi par le cœur; supporter leurs défauts, lorsqu’ils ne sont pas essentiels, et qu’ils ont bonne volonté de s’en corriger ; se défaire de ceux dont on ne saurait faire d’honnêtes gens selon leur état.

Enfin souvenez-vous, Monsieur, (et je finis par où j’ai commencé) que la mollesse énerve tout, qu’elle affadit tout, qu’elle ôte leur sève et leur force à toutes les vertus et à toutes les qualités de l’âme, même suivant le monde. Un homme livré à sa mollesse est un homme faible et petit en tout: il est si tiède, que Dieu le vomit /7. Le monde le vomit aussi à son tour, car il ne veut rien que de vif et de ferme. Il est donc le rebut de Dieu et du monde, c’est un néant ; il est comme s’il n’était pas; quand on en parle, on dit: Ce n’est pas un homme. Craignez, Monsieur, ce défaut, qui serait la source de tant d’autres. Priez, veillez ; mais veillez contre vous-même. Pincez-vous comme on pince un léthargique; faites-vous piquer par vos amis pour vous réveiller. Recourez assidûment aux sacrements, qui sont les sources de vie, et n’oubliez jamais que l’honneur du monde et celui de l’Évangile sont ici d’accord. Ces deux royaumes ne sont donnés qu’aux violents qui les emportent d’assaut /8.



/1. Après l’appel au sens de l’honneur, la conclusion est accablante. Fénelon emploie volontiers ce tour dévalorisant (cf. demi-oraison, demi-dévots, demi-abandon, LSP 108, 113, 176, 198…).

/2. De suite, « avec continuité ». /3. Prov. XIII, 4.

/4. Officieux, « obligeant, serviable ».

/5. Préoccupé, « disposé défavorablement ».

/6. Effectif, « qui ne promet rien qu’il ne tienne » (Littré, qui cite Fléchier).

/7. Cf. Apoc. III, 16. /8. Cf. Matth. XI, 12.


LSP 36.*A UN CONVERTI (O)

Je ne m’étonne point de ce dégoût que vous ressentez pour tant de choses contraires à Dieu ; c’est l’effet naturel du changement de votre cœur. Vous aimeriez un certain calme, où vous pourriez vous occuper librement de ce qui vous touche, et vous délivrer de tout ce qui est capable de rouvrir vos plaies; mais ce n’est pas là ce que Dieu veut. Il veut que ce qui vous a trop touché et occupé autrefois, se tourne en importunité, et serve à votre pénitence. Portez donc en paix cette croix pour l’expiation de vos péchés, et attendez que Dieu vous débarrasse. Il le fera, Monsieur, dans son temps, et non pas dans le vôtre. Cependant réservez-vous les heures dont vous avez besoin pour penser à Dieu, et à vous par rapport à lui. Il faut lire, prier, se défier de ses inclinations et de ses habitudes, songer qu’on porte le don de Dieu dans un vase d’argile /1, et surtout se nourrir au-dedans par l’amour de Dieu.

Quoiqu’on ait vécu bien loin de lui, on ne doit pas craindre de s’en rapprocher par un amour familier. Parlez-lui, dans votre prière, de toutes vos misères, de tous vos besoins, de toutes vos peines, des dégoûts mêmes qui pourraient vous venir pour son service. Vous ne sauriez lui parler trop librement ni avec trop de confiance. Il aime les simples et les petits; c’est avec eux qu’il s’entretient. Si vous êtes de ce nombre, laissez là votre esprit et toutes vos hautes pensées ; ouvrez-lui votre cœur, et dites-lui tout. Après lui avoir parlé, écoutez-le un peu. Mettez-vous dans une telle préparation de cœur, qu’il puisse vous imprimer les vertus comme il lui plaira : que tout se taise en vous pour l’entendre. Ce silence des créatures au dehors, des passions grossières et des pensées humaines au dedans, est essentiel pour entendre cette voix qui appelle l’âme à mourir à elle-même, et à adorer Dieu en esprit et en vérité /2.

Vous avez, Monsieur, de grands secours dans les connaissances que vous avez acquises. Vous avez lu beaucoup de bons livres, vous connaissez les vrais fondements de la religion, et la faiblesse de tout ce qu’on lui oppose: mais tous ces moyens, qui vous conduisent à Dieu pour les commencements, vous arrêteraient dans la suite, si vous teniez trop à vos lumières. Le meilleur et le dernier usage de notre esprit est de nous en défier, d’y renoncer, et de le soumettre à celui de Dieu par une foi simple /3. Il faut devenir petit enfant ; il y a une petitesse qui est bien au-dessus de toute grandeur: heureux qui la connaît ! C’est peu de raisonner, de comparer, de démêler, de prévoir, de conclure ; il faut aimer le seul vrai, le seul bon, et demeurer en lui par une volonté stable. L’esprit se promène ; la volonté est ce qui ne doit jamais varier.

Il ne s’agit point, Monsieur, de faire beaucoup de choses difficiles : faites les plus petites et les plus communes avec un cœur tourné vers Dieu, et comme un homme qui va à l’unique fin de sa création ; vous ferez tout ce que font les autres, excepté le péché. Vous serez bon ami, poli, officieux, complaisant, gai aux heures et dans les compagnies qui conviennent à un vrai chrétien. Vous serez sobre à table, et sobre partout ailleurs ; sobre à parler, sobre à dépenser, sobre à juger, sobre à vous mêler, sobre à vous divertir, sobre même à être sage et prévoyant, comme le veut saint Paul /4. C’est cette sobriété universelle dans l’usage des meilleures choses, que l’amour de Dieu fait pratiquer avec une simplicité charmante. On n’est ni sauvage, ni épineux, ni scrupuleux ; mais on a au-dedans de soi un principe d’amour qui élargit le cœur, qui adoucit toutes choses, qui sans gêner ni troubler, inspire une certaine délicatesse pour ne déplaire jamais à Dieu, et qui arrête quand on est tenté d’aller au-delà des règles.

En cet état, on souffre ce que les autres gens souffrent aussi, des fatigues, des embarras, des contretemps, des oppositions d’humeur, des incommodités corporelles, des difficultés avec soi-même aussi bien qu’avec les autres, des tentations, et quelquefois des dégoûts et des découragements ; mais si les croix sont communes avec le monde, les motifs de les supporter sont bien différents. On connaît 105 en Jésus-Christ sauveur le prix et la vertu de la croix. Elle nous purifie, nous détache, et nous renouvelle. Nous voyons sans cesse Dieu en tout; mais nous ne le voyons jamais si clairement ni si utilement, que dans les souffrances et les humiliations. La croix est la force de Dieu même: plus elle nous détruit, plus elle avance l’être nouveau en Jésus-Christ, pour faire un nouvel homme sur les ruines du vieil Adam.

Vivez, Monsieur, sans aucun changement extérieur, que ceux qui seront nécessaires ou pour éviter le mal, ou pour vous précautionner contre votre faiblesse, ou pour ne rougir pas de l’Évangile. Pour tout le reste, que votre gauche ne sache pas le bien que votre droite fera /5. Tâchez d’être gai et tranquille. Si vous pouvez trouver quelque ami sensé et qui craigne Dieu, soulagez-vous un peu le cœur en lui parlant des choses que vous le croyez capable de porter, mais comptez que Dieu est le bon ami du cœur, et que personne ne console comme lui. Il n’y a personne qui entende tout à demi-mot comme lui, qui entre dans toutes les peines, et qui s’accommode à tous les besoins sans en être importuné. Faites-en un second vous-même. Bientôt ce vous-même supplantera le premier, et lui ôtera tout crédit chez vous.

Réglez votre dépense et vos affaires. Soyez honorable et modeste, simple, et point attaché. C’est le bon temps pour servir, que de servir par devoir, sans ambition et sans vaines espérances/6: c’est servir sa patrie, son Roi, le Roi des Rois, devant qui les Majestés visibles ne sont que des ombres. C’est réparer par un service désintéressé les campagnes faites avec faste et passion pour la fortune. Montrez une conduite unie, modérée, sans affectation de bien non plus que de mal, mais ferme pour la vertu, et si décidé, qu’on n’espère plus de vous rentraîner. Vous en serez quitte à meilleur marché, et on vous importunera moins quand on croira que vous êtes de bonne foi attaché à la religion, et que vous ne reculerez pas là-dessus. On tourmente plus longtemps ceux qu’on soupçonne d’être faux, ou faibles et légers.

Mettez votre confiance, non dans votre force ni dans vos résolutions, ni même dans les plus solides précautions, (quoiqu’il faille les prendre avec beaucoup d’exactitude et de vigilance) ni même dans les engagements d’honneur que vous prendrez pour ne pouvoir plus reculer, mais dans la seule bonté de Dieu, qui vous a aimé éternellement avant que vous l’aimassiez, et lors même que vous l’offensiez avec ingratitude.

Il faut vous faire une règle de bonnes lectures selon votre goût et selon votre besoin. Il faut lire simplement, assez courtement; se reposer après avoir lu, méditer ce qu’on vient de lire ; le méditer sans grand raisonnement, plus par le cœur que par l’esprit, et laisser faire à Dieu son impression dans votre cœur sur la vérité méditée. Peu d’aliment nourrit beaucoup quand on le digère bien. Il faut mâcher lentement, sucer l’aliment, et se l’approprier, pour le convertir tout en sa propre substance.

/1. Cf. Il Cor. IV, 7.

/2. Jean IV, 22.

/3. Cf. Pascal: « La dernière démarche de la raison...» et «Soumission est usage de la raison, en quoi consiste le vrai christianisme » (Pensées 267 et 259 de l’éd. Brunschvicg). De Fénelon, voir l’opuscule XLVII, Sur la raison, éd. Pléiade, L I, p. 765.

/4. Rom. XII, 3.

/5. Matth. VI, 3.

/6. Ceci induit [N] à proposer pour « (O) » le marquis de Blainville : « De nombreux officiers pouvaient se plaindre de ne pas obtenir une promotion espérée; mais si l’on se souvient que le marquis de Blainville, entre septembre 1689 et juillet 1690, n’avait commandé qu’un régiment sans lustre, on pourrait voir en lui le « converti O ». Le voisinage, dès l’édition A (1718). des lettres LSP 34 et 36 (A 143 et 149) avec A 144 (LSP 35, Corr. 78, adressée au chevalier Colbert), A 145 (LSP 84), A 146 (LSP 82, Corr. 715) et 148 (LSP 75, Corr. 317) toutes trois envoyées au marquis de Blainville, semble encourager cette hypothèse. 

LSP 38.*POUR UN CONVERTI (O?)

Je plains fort M… Je comprends que son état est très violent /1. Il commence à se tourner vers Dieu ; sa vertu est encore bien faible. Il est obligé à combattre contre tous ses goûts, contre toutes ses inclinations, contre toutes ses habitudes, et même contre des passions violentes. Son naturel est facile et vif pour le plaisir; il est accoutumé à une dissipation continuelle. Il n’a pas moins à combattre au dehors qu’au-dedans : tout ce qui l’environne n’est que tentation et que mauvais exemple ; tout ce qu’il voit le porte au mal ; tout ce qu’il entend le lui inspire. Il est éloigné de tous les bons exemples et de tous les conseils. Voilà des commencements exposés à une étrange épreuve ; mais je vous avoue que je ne saurais croire qu’il soit de l’ordre de Dieu qu’il quitte tout à coup son emploi, sans garder ni mesures ni bienséances /2. S’il est fidèle à lire, à prier, à fréquenter les sacrements, à veiller sur sa propre conduite, à se défier de lui-même, à éviter la dissipation autant que ses devoirs le lui permettront, j’espère que Dieu aura soin de lui, et qu’il ne permettra point qu’il soit tenté au-dessus de ses forces. Les choses que Dieu fait faire pour l’amour de lui sont d’ordinaire préparées par une providence douce et insensible. Elle amène si naturellement les choses, qu’elles paraissent venir comme d’elles-mêmes. Il ne faut rien de forcé ni d’irrégulier. Il vaut mieux attendre un peu pour ouvrir la porte avec la clef, que de rompre la serrure par impatience. Si cette retraite vient de Dieu, sa main ouvrira le chemin pour le retour. En attendant, Dieu gardera ce qui se donne à lui ! il le tiendra à l’ombre de ses ailes /3.

Un homme de condition distinguée, qui a une charge, avec de l’esprit, du talent et de l’usage du monde, ne doit plus être embarrassé à un certain âge pour soutenir un genre de vie réglé et sérieux, comme le serait un jeune homme que chacun se croit en droit de tourmenter. Ce n’est pourtant pas ce qui doit être sa principale ressource; il faut qu’il ne compte que sur Dieu, et qu’il ne craigne rien tant que sa propre fragilité. Je voudrais donc qu’il prît de grandes précautions contre les tentations de son état, mais qu’il ne l’abandonnât point d’une façon précipitée. Il doit craindre de se tromper: peut-être que son cœur tend moins à s’éloigner des périls du salut, qu’à se rapprocher d’une vie plus douce et plus agréable. Il fuit peut-être beaucoup moins le péché, que les dégoûts, les embarras, les fatigues et les contraintes de la situation où il se trouve. Il est naturel d’être dans cette disposition, et il est très ordinaire à l’amour-propre de nous persuader que nous agissons par un motif de conscience, quand c’est lui qui a la plus grande part à notre détermination. Pour moi, je crois que Dieu ne demande point une démarche si irrégulière, et que la bienséance la défend. Il vaut mieux, ce me semble, attendre jusqu’à l’hiver. En attendant, Dieu, s’il lui est fidèle, le portera dans ses mains de peur qu’il ne heurte contre quelque pierre /4.

O que Dieu est compatissant et consolant pour ceux qui ont le cœur serré, et qui recourent à lui avec confiance ! Les hommes sont secs, critiques, rigoureux et ne sont jamais condescendants qu’à demi; mais Dieu supporte tout, il a pitié de tous ; il est inépuisable en bonté, en patience, en ménagements. Je le prie de tout mon cœur de tenir lieu de tout à notre ami.

/1. Il semble que, par souci de discrétion, les conseils soient donnés au correspondant comme s’ils visaient un tiers. Cf au t. XII, la lettre 1049.

/2. On a vu Fénelon, en juillet 1700, conseiller le marquis de Blainville tenté de quitter tout à coup son emploi, ayant «en vue ([...]) une profession sainte » (supra, t. X, lettre 570); en aurions-nous ici un prodrome? Où simplement un cas semblable vécu par un autre homme du monde?

/3. Cf. Psaume 16, 8. /4. Cf. Psaume 90, 12.

A partir d’ici les lettres sont toutes nommément adressée « Au marquis de Blainville »222 . Nous en donnons des extraits.

43. LSP 66. Au MARQUIS DE BLAINVILLE. [Fin de 1688]

Vous m’avez oublié, Monsieur; mais il n’est pas en mon pouvoir d’en faire autant à votre égard. Je porte au fond du cœur quelque chose qui me parle toujours de vous, et qui fait que je suis toujours empressé à demander de vos nouvelles : c’est ce que j’ai senti particulièrement pendant les périls de votre campagne. Votre oubli, bien loin de me rebuter, me touche encore davantage. Vous m’avez témoigné autrefois une sorte d’amitié dont l’impression ne s’efface jamais, et qui m’attendrit presque jusqu’aux larmes, quand je me rappelle nos conversations : j’espère que vous vous souviendrez combien elles étaient douces et cordiales. Avez-vous trouvé depuis ce temps-là quelque chose de plus doux que Dieu, quand on est digne de le sentir ? Les vérités qui vous transportaient ne sont-elles plus ? La pure lumière du Royaume de Dieu est-elle éteinte ? […]

LSP 132.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je suis toujours uni à vous et à votre chère famille du fond du cœur ; n’en doutez pas. Nous sommes bien près les uns des autres sans nous voir, au lieu que les gens qui se voient à toute heure sont bien éloignés dans la même chambre. Dieu réunit tout, et anéantit toutes les plus grandes distances à l’égard des cœurs réunis en lui. C’est dans ce centre que se touchent les hommes de la Chine avec ceux du Pérou223. Je ne laisse pas de sentir la privation de vous voir; mais il la faut porter en paix tant qu’il plaira à Dieu, et jusqu’à la mort s’il le veut. Renfermez-vous dans vos véritables devoirs. Du reste, soyez retiré et recueilli, appliqué à bien régler vos affaires, patient dans les croix domestiques. Pour Madame, je prie Dieu qu’elle ne regarde jamais derrière elle, et qu’elle tende toujours en avant dans la voie la plus droite. Je souhaite que Notre-Seigneur bénisse toute votre maison, et qu’elle soit la sienne.

LSP 133.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je comprends bien ce que vous me dites sur une peine qui vous paraît trop forte et trop allongée dans N...224 sur vos fautes ; mais ce n’est point à vous à juger si cette peine va trop loin. Quand un homme, qui, comme vous, est depuis si longtemps à Dieu, duquel il a reçu des grâces capables de sanctifier cent pécheurs, tombe dans certaines infidélités, il ne faut pas s’étonner que l’esprit de grâce en soit vivement et longtemps contristé dans les personnes que la même grâce unit intimement avec lui.

Vous vous impatientez de ce que Dieu fait souffrir votre prochain pour vous ; c’est de la pénitence que vous devriez faire, que vous ne faites pas, et que N… fait dans son cœur pour vous, que vous êtes dépité contre elle. C’est au contraire ce qui devrait vous attendrir, redoubler votre confiance, votre soumission, votre docilité. Peut-être même avez-vous besoin de cette triste, forte et longue peine, afin qu’elle vous fasse sentir toute votre infidélité et tout le danger où vous êtes. Il vous faut cette petite sévérité pour faire le contrepoids de votre légèreté ; vous avez besoin, dans votre faiblesse, d’être retenu par la crainte. Je la prie néanmoins de proportionner sa tristesse à votre délicatesse excessive’. Je ne lui demande pas de la supprimer par effort et par industrie, pour vous épargner et pour flatter votre amour-propre dans vos fautes : à Dieu ne plaise ! Je la prie seulement de n’agir que par grâce, suivant le fond de son cœur, afin qu’elle ne s’attriste point de vos infidélités par une tristesse naturelle. Vous me donnez une joie incroyable en me marquant l’avancement où vous la voyez. Plus elle est avancée, plus vous devez la croire et regarder toutes ces peines à votre égard comme des impressions de la grâce qu’elle reçoit pour vous.

Pendant qu’elle avance, vous reculez. O Mon cher ! si je pouvais vous voir, je ne vous laisserais pas respirer par amour-propre ; je ne vous laisserais échapper en rien ; je vous ferais petit malgré vous. Il n’y a que la petitesse qui soit la ressource des faibles. Un petit enfant ne peut marcher, mais il se laisse tourner et retourner, porter, emmailloter. Pour un grand homme qui est faible et se croit fort, il tombe au premier pas qu’il fait; il n’a ni ressource pour se conduire ni souplesse pour se laisser conduire par autrui. Dès que vous sentez de la répugnance à vous ouvrir et à croire, comptez que la tentation vous entraîne vers le précipice.

LSP 134.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Votre lettre, Monsieur, m’a donné une très sensible consolation. Béni soit Dieu qui vous donne des lumières si utiles ! Mais notre fidélité doit être proportionnée aux lumières que nous recevons. Puisque vous connaissez que votre société avec N…225 se tourne en piège pour vous, au lieu d’être un secours, vous devez redresser cette société. Il ne faut pas songer à la rompre, puisqu’elle est de grâce aussi bien que de nature ; mais il faut la mettre, quoi qu’il en coûte, au point où Dieu la veut. Hélas ! que sera-ce, si ceux qui sont donnés les uns aux autres pour s’aider à mourir226, ne font que se redonner des aliments de vie secrète? Il faut que toute votre union ne tende qu’à la simplicité, qu’à l’oubli de vous-même, qu’à la perte de tous les appuis. En perdant ceux du dedans, vous en cherchez encore au-dehors. Le dedans est souvent simple et nu ; mais le dehors est composé, étudié, politique, et trouble la simplicité intérieure. Vous faites bon marché du principal, et vous chicanez le terrain sur ce qui ne regarde que le monde.

Ce n’est point là cette unité à laquelle il faut que tout homme soit réduit. Soyez tout un ou tout autre. L’intérieur abandonné à Dieu règle assez l’extérieur par l’esprit de Dieu même. Dieu fait assez faire dans cette simplicité d’abandon tout ce qu’il faut : mais si on sort de la simplicité pour le dehors par des vues humaines, cette sortie est une infidélité qui dérange tout le dedans. Ce n’est point à vous, Monsieur, à vous laisser entraîner contre votre grâce ; c’est au contraire à vous à redresser les autres qui sont encore trop humains. Vous devez borner votre docilité, à recevoir, par petitesse, les avis de tous ceux qui vous montreront que vous ne suivez pas assez votre grâce, et que vous agissez trop humainement ; mais vous laisser entraîner dans l’humain par les autres sous de beaux prétextes, c’est reculer, et leur nuire comme ils vous nuisent. Je ne manquerai pas de le dire à N..... quand il repassera227.

Votre union ne doit faire qu’augmenter, mais pour la mort commune et totale, tant du dehors que du dedans228. Quand celle du dehors manque, elle manque par le dedans, qui veut encore se réserver quelque vie secrète par le dehors. Il est temps d’achever de mourir, Monsieur. En retardant le dernier coup, vous ne faites que languir et prolonger vos douleurs. Vous ne sauriez plus vivre que pour souffrir en résistant à Dieu. Mourez donc, laissez-vous mourir; le dernier coup sera le coup de grâce. Il ne faut plus vouloir rien voir; car vouloir voir, c’est vouloir posséder; et vouloir posséder, c’est vouloir vivre. Les morts ne possèdent et ne voient plus rien. Aussi bien que verriez-vous ? Vous courriez après une ombre qui échappe toujours. Mille fois tout à vous.

LSP 169.*AU MARQUIS DE BLAINVILLE

Je prends, Monsieur, une très grande part à toutes vos peines domestiques229, et je comprends qu’elles doivent être fort grandes ; mais vous savez que la croix est faite pour nous, et nous pour elle. C’est notre place que d’y demeurer paisiblement attachés avec Jésus-Christ jusqu’au dernier soupir de la vie. Il serait glorieux d’y avoir été patiemment, si on pouvait en descendre ; mais y être cloué et y expirer, c’est ce qui est terrible. C’est seulement dans ce dernier moment qu’on peut dire, Tout est consommé.

Je prie N...230 de faire le moins de réflexions qu’elle pourra sur tout ce qui ne va qu’à troubler sa paix et son avancement, en la jetant dans une occupation inquiète d’elle-même, qui est une tentation véritable. Pour vous, Monsieur, prenez courage : sustine sustentationes Dei. Toute notre piété n’est qu’imagination, si nous ne sommes pas contents lorsque Dieu nous frappe, et si nous cherchons, par ragoût, des espérances dans les temps à venir de cette vie pour nous consoler. Le détachement de ce monde ne saurait être trop absolu et trop de pratique.

LSP 170.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je prie souvent Dieu qu’il vous tienne dans sa main. Le point essentiel est la petitesse. Il n’y a rien qu’elle ne raccommode, parce que la petitesse rend docile, et que la docilité redresse tout. Vous seriez plus coupable qu’un autre si vous résistiez à Dieu en ce point. D’un côté, vous avez reçu plus de lumière et de grâce qu’un autre pour vous laisser rapetisser: d’un autre côté, personne n’a plus éprouvé que vous ce qui doit rabaisser le cœur, et ôter toute confiance en soi-même. C’est le grand fruit de l’expérience de nos infirmités, que de nous rendre petits et souples. J’espère que Notre-Seigneur vous gardera, et je le lui demande avec instance.

LSP 171.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Pour N... [Mortemart], je prie Notre-Seigneur de lui donner une simplicité qui soit la source de la paix pour elle. Quand nous serons fidèles à laisser tomber d’abord toute réflexion superflue et inquiète, qui vient d’un amour de nous-mêmes très différent de la charité, nous serons au large au milieu de la voie étroite ; et sans manquer ni à Dieu ni aux hommes, nous serons dans la pure liberté et dans la paix innocente des enfants de Dieu.

Je prends pour moi, Monsieur, ce que je donne aux autres, et je vois bien que je dois chercher la paix où je leur propose de la chercher. J’ai le cœur en souffrance231. C’est la vie à nous-mêmes qui nous fait souffrir; ce qui est mort ne sent plus. Si nous étions morts, et si notre vie était cachée avec Jésus-Christ en Dieu, comme parle l’Apôtre232, nous n’aurions plus les peines de l’esprit que nous ressentons. Nous pourrions bien sentir des douleurs du corps, comme la fièvre, la goutte, etc. ; nous pourrions bien aussi souffrir des douleurs spirituelles, c’est-à-dire des douleurs imprimées dans l’âme, sans qu’elle y eût aucune part: mais pour les peines d’inquiétude, où l’âme ajoute à la croix imposée par la main de Dieu une agitation de résistance, et, pour ainsi dire, une non-volonté de souffrir, nous n’avons ces sortes de douleurs qu’autant que nous vivons encore à nous-mêmes. […]

LSP 172.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

[…] En quelque état que soit votre malade233, et quelque suite que Dieu donne à son mal, elle est bienheureuse d’être si souple dans la main de Dieu. Si elle meurt, elle meurt au Seigneur; si elle vit, elle vit à lui234. Ou la croix, ou la mort235.

Rien n’est au-dessus de la croix, que le parfait règne de Dieu, et encore la souffrance en amour est un règne commencé, dont il faut se contenter pendant que Dieu diffère la consommation. […]

LSP 173.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

Je n’ai rien à vous répondre sur ce qui vous regarde ; je ne vois rien à ajouter sur les choses que Dieu vous fait voir, et qu’il est capital de suivre sans relâche. Allez toujours mourant de plus en plus. La mort est bien plus mort quand autrui nous la donne. Demeurez dans la dépendance où Dieu vous met ; elle sert à vous décider, à vous tirer de votre sagesse, et à vous apetisser, vous dont la pente était de mener les autres. Mais ne laissez pas de dire à autrui votre simple pensée, à mesure qu’elle vous vient au cœur, sans réflexion ni mesure. […]

LSP 175.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE (?) [1694 ?]

O que vous me serez chers, vous et N....236, si ce que nous avons dit ici ensemble fait de nous un cœur et une âme ! Je ne le répète point, n’en ayant pas le temps; vous le savez. Ce n’est pas à la mémoire, mais au cœur que je l’ai confié. S’il est entré dans votre cœur, vous le verserez fidèlement dans celui de N..... Non, mon cher, plus d’ambition, plus de curiosité ni de vivacité sur le monde, plus de régularité politique. Que le dehors soit simple, droit et petit, comme le dedans. Si spiritu vivimus spiritu et ambulemus.

Soyons sages, mais de la sagesse de Dieu, et non de la nôtre. O la mauvaise sûreté, que celle qui vient d’une prudence mondaine ! Laissez tomber tout empressement, toute activité, toute dissipation : vous en avez un besoin infini. Lors même qu’on ne se recueille point par méthode, on doit laisser tomber par simple fidélité tout ce qui dissipe et distrait, tout ce qui ébranle l’imagination, qui réveille les goûts et les désirs naturels, qui trouble la paix, le silence, la petitesse, et la nudité intérieure. On parle magnifiquement de la passiveté avec une activité perpétuelle. On veut des sûretés, des lumières extraordinaires, et même des prédictions, pour se contenter dans l’obscurité de la pure foi. C’est vouloir voir le soleil à minuit. Soyez bien petits, bien simples […]

LSP 180.*Au MARQUIS DE BLAINVILLE

C’est dans la peine et dans l’amertume que je vous goûte davantage. J’ai vu de la candeur et de la petitesse dans vos lettres, et j’en remercie Dieu avec attendrissement. Il faut aimer ce que Dieu aime, et je ne doute point qu’il ne nous aime davantage quand il nous rapetisse en nous rabaissant. Pendant que cette opération vous est douloureuse, comptez qu’elle vous est utile et nécessaire. Le chirurgien ne nous fait du mal, qu’autant qu’il coupe dans le vif. Le malade ne sent rien quand on ne coupe que la chair déjà morte. Si vous étiez mort aux choses dont il s’agit, leur retranchement ne vous causerait aucune douleur. Détachez-vous absolument, si vous voulez être en paix et mourir à vous-même. Ne vous contentez pas de faire certains efforts, et d’être petit par secousses : délaissez-vous sans aucune réserve à Dieu, pour mourir à vous-même dans toute l’étendue de ses desseins. Courage sans courage humain : ne perdez pas les grands fruits de cette croix. Soumettez-vous non seulement à N... [Mme de Mortemart] pour vous laisser redresser, mais encore aux plus petits qui se mêleront de vous donner des avis à propos ou hors de propos. S’ils ne sont pas bons pour ceux qui les donneront par une critique indiscrète, ils seront excellents pour vous qui les recevrez en esprit de désappropriation et de mort.

Pour vos défauts, supportez-les avec patience, comme ceux du prochain, sans les flatter ni excuser. Il ne faut pas les vouloir garder, puisqu’ils déplaisent à Dieu : mais il faut sentir votre impuissance de les vaincre, et profiter de l’abjection qu’ils vous causent à vos propres yeux pour désespérer de vous-même. Jusqu’à ce désespoir de la nature, il n’y a rien de fait. Mais il ne faut jamais désespérer des bontés de Dieu sur nous, et ne nous défier que de nous-mêmes. Plus on désespère de soi pour n’espérer qu’en Dieu sur la correction de ses défauts, plus l’œuvre de la correction est avancée. Mais aussi il ne faut pas que l’on compte sur Dieu sans travailler fortement de notre part. La grâce ne travaille avec fruit en nous, qu’autant qu’elle nous fait travailler sans relâche avec elles. Il faut veiller, se faire violence, craindre de se flatter, écouter avec docilité les avis les plus humiliants, et ne se croire fidèle à Dieu qu’à proportion des sacrifices qu’on fait tous les jours pour mourir à soi-même.

444. Au MARQUIS DE BLAINVILLE. [été 1697?]

Je serai bien aise, mon cher typographe237, que mon courrier n’aille point paraître à Versailles, et que vous ayez la bonté d’y faire rendre mes lettres. Vous en trouverez aussi une pour la bonne[...]238, que je vous prie de lui donner. Demeurez bien uni avec elle. Quand vous ne serez pas content d’elle sur quelque chapitre, ne formez aucun jugement, et ne vous laissez point aller à votre penchant naturel de décider rigoureusement. Supportez-la même dans ses imperfections les plus grossières, et souvenez-vous de la compensation avec les vôtres. Souvent, sous l’écorce la plus dure et la plus raboteuse, il y a un tronc vif et plein de sève qui porte d’excellents fruits. […]

664. Au MARQUIS DE BLAINVILLE. À Cambray [15 juin 1700]

… Voilà, mon très cher malade, la santé que je vous souhaite dans l’esprit, avec une véritable guérison du corps. En attendant, souffrez avec humilité et patience. Dieu sait quelle joie j’aurais si je pouvais vous embrasser, et vous posséder ici. Mais j’entends l’orage qui gronde plus que jamais239. Il ne faut pas le renouveler par notre impatience. Attendez donc encore un peu. Dès qu’on croira que vous pourrez venir sans danger, votre présence sera une grande consolation pour moi dans mes peines. En retardant votre voyage, je prends encore plus sur moi que sur vous. Rien n’est plus sincère que la tendresse avec laquelle je vous suis tout dévoué. …

LSP 83. Au MARQUIS DE BLAINVILLE [1701-1704]

Je vous souhaite paix240, simplicité, recueillement, mort à vos goûts spirituels et corporels, défiance de votre propre esprit et de vos pensées, avec une grande fidélité pour remplir sans relâche toute la grâce de Dieu sur vous. Vous souhaitez que Dieu vous détruise, et ce souhait est bon, puisqu’on ne veut être détruit que pour établir Dieu sur les ruines de la créature ; mais il faut le désirer pour contenter Dieu, et non pour se contenter soi-même. Il faut que ce désir soit réel et constant dans tout le détail de la vie; il faut qu’il soit modéré, et réglé par l’obéissance. Je suis, Monsieur et très cher fils, très tendrement tout à vous.

LSP 84. Au MARQUIS DE BLAINVILLE [1701-1704]

Je ne vous écris, mon bon et cher fils, que deux mots pour vous recommander de plus en plus la franchise, et d’éviter les retours de délicatesse sur vous-même qui’ font la plupart de vos infidélités et de vos peines. Plus vous serez simple, plus vous serez souple et docile. Pour l’être véritablement, il faut l’être pour tous ceux qui nous parlent avec charité. O que cet état d’être toujours prêt à être blâmé, méprisé, corrigé, est aimable aux yeux de Dieu ! Vous m’êtes infiniment cher: Despondi enim te uni viro virginem castam exhibere Christo 241.

Soyez bon homme sans hauteur, ni décision, ni critique, ni dédain, ni délicatesse, ni tour de passe-passe d’amour-propre242. Soyez vrai, ingénu, en défiance de votre propre sens. Soyez fidèle à renoncer à votre vanité et aux sensibilités de votre amour-propre dès que Dieu vous le montre intérieurement. Pendant que la lumière luit, suivez-la pour être enfant de lumière 243. Je prie Dieu qu’il vous rende doux, simple et enfant avec Jésus né dans une crèche. Ne soyez point habile, ni décisif, ni attentif aux fautes d’autrui, ni délicat et facile à blesser, ni meilleur en apparence qu’en vérité. O que la vérité est maltraitée dans ce qui paraît le meilleur en nous !

Retranchez toutes les curiosités qui passionnent, et soyez fidèle à ne parler jamais sans nécessité de ce que vous sauriez mieux qu’un autre. Surtout ne vous laissez point ensorceler par les attraits diaboliques de la géométrie244. Rien n’éteindrait tant en vous l’esprit intérieur de grâce, de recueillement et de mort à votre propre esprit.

LSP 85. Au MARQUIS DE BLAINVILLE [1701-1704]

Il faut se sevrer des joies les plus innocentes, quand Dieu vous les refuse. Vous m’êtes très présent en lui ; la foi a des yeux245 qui voient mieux les amis que les yeux du corps. L’amour tendre que Dieu inspire a des bras assez longs pour les embrasser malgré la distance des lieux. Souffrez en homme qui sait le prix de la souffrance en Jésus-Christ. Ménagez votre santé ; délassez-vous l’esprit pour soulager le corps ; consolez-vous avec Dieu et avec de vrais amis pleins de lui; aimez-moi toujours, et comptez que je vous aime, comme Dieu sait faire aimer.



Relevé de correspondance

Il ne figure pas en détails ici. La majorité figure en [CF 18], soit 6 « à un converti » et 12 «  au marquis de Blainville », auxquelles s‘ajoutent 2 lettres relevées dans des tomes précédents de [CF] soit un total de 20 lettres.




Comtesse de Gramont (1640 ?-1708)



Écossaise réfugiée en France, dame du palais « tout à fait dans la dévotion » selon le chroniqueur Danjeau.

« Elisabeth Hamilton, comtesse de Gramont (1640 ? – 1708). « Nièce du duc d'Ormond, Elisabeth Hamilton était née vers 1640 d'une très noble famille écossaise passée en 1610 en Irlande ; réfugiée en France sous Cromwell, celle‑ci la fit élever à Port‑Royal. Elle brilla après la Restauration à la Cour d'Angleterre et y épousa au début de 1664 Philibert, comte de Gramont, frère consanguin d'Antoine III duc de Gramont et maréchal de France. Elle fut nommée dame du palais le 21 février 1667. […] Une lettre de Mme de Maintenon fait placer la « conversion » de la comtesse à la fin de 1683, ce que semble confirmer le Journal de Danjeau à la date du 15 octobre 1687 : « La comtesse de Gramont est tout à fait dans la dévotion… » Elle mourut le 3 juin 1708. » 246

1957. À LA COMTESSE DE GRAMONT [1688-1689 ?]247.

… Les pénitences que nous choisissons, ou que nous acceptons quand on nous les impose, ne font point mourir notre amour-propre, comme celles que Dieu nous distribue lui-même chaque jour. Celles-ci n’ont rien où notre volonté puisse s’appuyer, et comme elles viennent immédiatement d’une providence miséricordieuse, elles portent avec elles une grâce proportionnée à tous nos besoins. Il n’y a donc qu’à se livrer à Dieu chaque jour sans regarder plus loin. Il nous porte entre ses bras comme une mère tendre porte son enfant. Croyons, espérons, aimons avec toute la simplicité des enfants. …

1960. À LA COMTESSE DE GRAMONT [1691 ?]248.

Pour vous, Madame, je crois que vous devez recevoir vos croix comme votre principale pénitence. Les importunités du monde doivent vous détacher de lui, et vos misères doivent vous détacher de vous. Portez en paix ce fardeau perpétuel et vous ne cesserez d’avancer dans la voie étroite. Elle est étroite par les peines qui serrent le cœur. Mais elle est large par l’étendue que Dieu donne au cœur par le dedans. On souffre, on est environné de contradictions. On est privé des consolations mêmes spirituelles. Mais on est libre parce qu’on veut tout ce qu’on a, et on ne voudrait pas s’en délivrer. On souffre sa propre langueur, et on la préfère aux états les plus doux, parce que c’est le choix de Dieu. Le grand point est de souffrir sans se décourager.

175. À LA COMTESSE DE GRAMONT. Samedi, 2 juin [1691].

… Tandis que nous demeurons renfermés en nous-mêmes, nous sommes en butte à la contradiction des hommes, à leur malignité et à leur injustice. Notre humeur nous expose à celle d’autrui; nos passions s’entrechoquent avec celles de nos voisins; nos désirs sont autant d’endroits par où nous donnons prise à tous les traits du reste des hommes. Notre orgueil, qui est incompatible avec l’orgueil du prochain, s’élève comme les flots de la mer irritée : tout nous combat, tout nous repousse, tout nous attaque; nous sommes ouverts de toutes parts par la sensibilité de nos passions et par la jalousie de notre orgueil. Il n’y a nulle paix à espérer en soi, où l’on vit à la merci d’une foule de désirs avides et insatiables, et où l’on ne saurait jamais contenter ce moi si délicat et si ombrageux sur tout ce qui le touche. De là vient qu’on est dans le commerce du prochain, comme les malades qui ont langui longtemps dans un lit : il n’y a aucune partie du corps où l’on puisse les toucher sans les blesser. L’amour-propre malade, et attendri sur lui-même, ne peut être touché sans crier les hauts cris. Touchez-le du bout du doigt, il se croit écorché. Joignez à cette délicatesse la grossièreté du prochain plein d’imperfections qu’il ne connaît pas lui-même; joignez-y la révolte du prochain contre nos défauts, qui n’est pas moins grande que la nôtre contre les siens : voilà tous les enfants d’Adam qui se servent de supplice les uns aux autres; voilà la moitié des hommes qui est rendue malheureuse par l’autre, et qui la rend misérable à son tour; voilà dans toutes les nations, dans toutes les villes, dans toutes les communautés, dans toutes les familles, et jusqu’entre deux amis, le martyre de l’amour-propre.

L’unique remède est donc de sortir de soi pour trouver la paix. Il faut se renoncer, et perdre tout intérêt, pour n’avoir plus rien à perdre, ni à craindre, ni à ménager. Alors on goûte la vraie paix réservée aux hommes de bonne volonté, c’est à dire à ceux qui n’ont plus d’autre volonté que celle de Dieu, qui devient la leur. Alors les hommes ne peuvent plus rien sur nous; car ils ne peuvent plus nous prendre par nos désirs ni par nos craintes : alors nous voulons tout, et nous ne voulons rien. C’est être inaccessible à l’ennemi; c’est devenir invulnérable. L’homme ne peut que ce que Dieu lui donne de faire; et tout ce que Dieu lui donne de faire contre nous, étant la volonté de Dieu, est aussi la nôtre. En cet état, on a mis son trésor si haut, que nulle main ne peut y atteindre pour nous le ravir. …

322. À LA COMTESSE DE GRAMONT. À Issy, 25 mai [1689]249.

Les croix que nous nous faisons à nous-mêmes, par une prévoyance inquiète de l’avenir, ne sont point des croix qui viennent de Dieu. Nous le tentons par notre fausse sagesse, en voulant prévenir son ordre, et en nous efforçant de suppléer à sa providence par notre providence propre. Le fruit de notre sagesse est toujours amer, et Dieu le permet pour nous confondre, quand nous sortons de sa conduite paternelle. L’avenir n’est point encore à nous : peut-être n’y sera-t-il jamais. S’il vient, il viendra peut-être tout autrement que nous ne l’avons prévu. Fermons donc les yeux sur ce que Dieu nous cache, et qu’il tient en réserve dans les trésors de son profond conseil. Adorons sans voir ; taisons-nous ; demeurons en paix. […] Sortons de nous-mêmes ; plus d’intérêt propre, et la volonté de Dieu, qui se développe à chaque moment en tout, nous consolera aussi en chaque moment de tout ce que Dieu fera autour de nous, ou en nous, aux dépens de nous-mêmes. Les contradictions des hommes, leur inconstance, leurs injustices même, nous paraîtront les effets de la sagesse, de la justice et de la bonté invariable de Dieu : nous ne verrons plus que Dieu infiniment bon, qui se cache sous les faiblesses des hommes aveugles et corrompus. […] Réjouissons-nous d’éprouver ainsi le néant et le mensonge de tout ce qui n’est point Dieu ; car c’est par cette expérience crucifiante, que nous sommes arrachés à nous-mêmes et aux désirs du siècle. Réjouissons-nous, car c’est par ces douleurs de l’enfantement, que l’homme nouveau naît en nous.

Quoi ! nous nous décourageons, et c’est la main de Dieu qui se hâte de faire son œuvre ! […]

Que ne fait-il point espérer ! mais, dans le fond, que donne-t-il ? Vanité et affliction d’esprit de toutes parts sous le soleil, mais surtout dans les plus hautes places. Le néant n’y est pas moins néant qu’ailleurs ; car il est également rien partout : mais il y est plus menteur. C’est une décoration qui n’est pas moins creuse, mais qui est plus ornée ; elle allume les espérances, elle irrite les désirs, mais elle ne remplit jamais le cœur. Ce qui est vide soi-même, ne saurait rien remplir. Ces créatures faibles et malheureuses, qui sont les divinités de la terre, ne peuvent donner la force et le bonheur qu’elles n’ont pas. Va-t-on puiser de l’eau dans une fontaine tarie ? Non, sans doute. Pourquoi donc vouloir aller puiser la paix et la joie chez ces grands qu’on voit soupirer, qui mendient eux-mêmes de l’amusement, et que l’ennui vient dévorer au milieu de tous les appareils de plaisir ? …



Nous avons limité notre choix effectué dans cette correspondance, seconde par le nombre dans les Lettres Spirituelles, pour mettre en valeur des figures plus profondes.

Relevé partiel corrigé de correspondance

GRAMONT (Elisabeth HAMILTON, comtesse de) :

1686, 10 décembre, 1687-1688 (?), 29 décembre,

1687, 29 décembre (L.35 non 1688)

1688, 1er ou 11 juin, 17 novembre,

1689, 25 août, 2 octobre, 25 mai (L.322 non 1695), L.1957

1690, 23 février, 21 mars, 11 juin, 27 juin, 22 juillet, 29 juillet, 14 novembre, 17 novembre, 19 novembre, L1959

1691, 4 avril, 6 avril, 1er juin (?), 2 juin, 10 ou 11 décembre (L.23 mais non l’année 1686), L.1960

1692, 7 juin (L.205 non du 17 juin)

1693, 22 juin (L.300), L.1961

1695, 4 juillet, 31 juillet,

1697, 31 juillet, 12 septembre,

L.1958 & L.1962 sans date

Les lettres n°1957 et suivantes sont en [CF 18], « Lettres retrouvées » v. « Note sur les lettres à la comtesse de Gramont » [N].

LSP 227 à 266 à la comtesse de Gramont, voir les tables des t. II, IV et VI et supplément, 1. 1958-1962 - LSP 267 à 489 ibid. t. X à XVI et supplément 1.1966-1971. [N] – 262 lettres (pour 325 adressées à la comtesse de Montberon).




Dom François Lamy (1636-1711)



« Homme de grande intelligence … jamais banal … intime ami de Malebranche ».

« François Lamy était né au château de Montireau dans le Perche (aujourd'hui arrondissement de Nogent-le-Rotrou) en 1636. Après avoir eu pour précepteur Francois Rohaut, champion du cartésianisme en physique et en philosophie, il entra dans la carrière des armes, mais, à la suite d'un duel, il prit l'habit bénédictin en 1658 et prononça ses voeux le 30 juin 1659. Il fut chargé d'enseigner la philosophie et la théologie, puis, après un séjour à l'abbaye Saint-Faron de Meaux où il se lia avec Bossuet. Il fut en 1687 nommé prieur de Rebais, dans le même diocèse. Mais deux ans plus tard un ordre du Roi le fit destituer et déclarer inéligible à toute charge dans son ordre. « De combien de lettres de cachet n'a-t-il point été chargé pour le cartésianisme et le jansénisme ? M. de La Sale, abbé de Rebais et maintenant évêque de Tournai, ne le fit-il pas déposer de la charge de prieur de Rebais pour des opinions et des conduites singulières qu'il reconnut en lui ? » (J. B. THIERS, Apologie pour M. de la Trappe, p. 83). Retiré à l'abbaye de Saint-Denis, il y mourut le 11 avril 1711 après une vie consacrée à l'étude et à la piété. » […]250.

696. À DOM FRANÇOIS LAMY. À C[ambrai] 13 déc[embre] 1700.

…Pour moi, je n’ai à parler qu’à Dieu, et mon état me dispense de parler aux hommes, excepté mes diocésains. Votre attention et votre sensibilité pour tout ce que vous croyez qui peut avoir quelque rapport à moi, me touche vivement. Mais rien de ce monde ne me regarde. Ce qui peut m’être utile et consolant, c’est qu’un ami tel que vous continue à m’aimer, et à prier pour moi. De mon côté je ne cesserai jamais de prier pour vous, de vous honorer, et de vous aimer très cordialement.

766. LSP 6. À DOM FRANÇOIS LAMY . À Tournay 26 octobre 1701.

Pardon, mon Révérend Père, de n’avoir pas répondu à votre question. Il n’y a eu dans mon silence rien qui doive vous faire aucune peine, ni qui vienne d’aucune réserve. Voici simplement ce que je pense là-dessus.

Notre [corps] n’a besoin que d’être nourri. Il lui suffit que l’âme qui le gouverne, soit sensiblement avertie de ses besoins, et que le plaisir facilite l’exécution d’une chose si nécessaire. Pour l’âme, elle a un autre besoin. Si elle était simple, elle pourrait recevoir toujours une force sensible, et en bien user. Mais depuis qu’elle est malade de l’amour d’elle-même, elle a besoin que D[ieu] lui cache sa force, son accroissement, et ses bons désirs. Si elle les voit, du moins ce n’est qu’à demi, et d’une manière si confuse qu’elle ne peut s’en assurer. Encore ne laisse-t-elle pas de regarder ces dons avec une vaine complaisance, malgré une incertitude si humiliante. Que ne ferait-elle point, si elle voyait clairement la grâce qui l’inspire, et sa fidèle correspondance? D[ieu] fait donc deux choses pour l’âme au lieu qu’il n’en fait qu’une pour le corps. Il donne au corps la nourriture avec la faim et le plaisir de manger. Tout cela est sensible. Pour l’âme, il donne la faim qui est le désir, et la nourriture. Mais en accordant ses dons il les cache, de peur que l’âme ne s’y complaise vainement: ainsi, dans les temps d’épreuve où il veut nous purifier, il nous soustrait les goûts, les ferveurs sensibles, les désirs ardents et aperçus. Comme l’âme tournait en poison par orgueil toute force sensible, D[ieu] la réduit à ne sentir que dégoût, langueur, faiblesse, tentation. Ce n’est pas qu’elle ne reçoive toujours les secours réels. Elle est avertie, excitée, soutenue pour persévérer dans la vertu. Mais il lui est utile de n’en avoir point le goût sensible, qui est très différent du fond de la chose. L’oraison est très différente du plaisir sensible qui accompagne souvent l’oraison. Le médecin fait quelquefois manger un malade sans appétit. Il n’a aucun plaisir à manger, et ne laisse pas de digérer et de se nourrir. Sainte Thérèse remarquait que beaucoup d’âmes quittaient par découragement l’oraison dès que le goût sensible cessait, et que c’était quitter l’oraison, quand elle commence à se perfectionner. La vraie oraison n’est ni dans le sens, ni dans l’imagination. Elle est dans l’esprit et dans la volonté. On peut se tromper beaucoup en parlant de plaisir et de délectation. Il y a un plaisir indélibéré et sensible qui prévient la volonté, et qui est indélibéré. Celui-là peut être séparé d’une très véritable oraison. Il y a le plaisir délibéré qui n’est autre chose que la volonté délibérée même. Cette délectation qui est notre vouloir délibéré est celle que le Psalmiste commande, et à laquelle il promet une récompense: Delectare in Domino, et dabit tibi petitiones cordis tui. Cette délectation est inséparable de l’oraison en tout état, parce qu’elle est l’oraison même. Mais cette délectation qui n’est qu’un simple vouloir n’est pas toujours accompagnée de l’autre délectation prévenante et indélibérée qui est sensible. La première peut être très réelle et ne donner aucun goût consolant. C’est ainsi que les âmes les plus rigoureusement éprouvées peuvent conserver la délectation de pure volonté, c’est-à-dire le vouloir ou l’amour tout nu, dans une oraison très sèche, sans conserver le goût et le plaisir de faire oraison. Autrement il faudrait dire qu’on ne se perfectionne dans les voies de D[ieu] qu’autant qu’on sent augmenter le plaisir des vertus, et que toutes les âmes privées du plaisir sensible par les épreuves, ont perdu l’amour de D[ieu] et sont dans l’illusion. Ce serait renverser toute la conduite des âmes, et réduire toute la piété au plaisir de l’imagination. C’est ce qui nous mènerait au fanatisme le plus dangereux. Chacun se jugerait soi-même pour son degré de perfection par son degré de goût et de plaisir. C’est ce que font souvent bien des âmes sans y prendre garde. Elles ne cherchent que le goût et le plaisir dans l’oraison. Elles sont toutes dans le sentiment. Elles ne prennent pour réel que ce qu’elles goûtent et imaginent. Elles deviennent en quelque manière enthousiastes. Sont-elles en ferveur? elles entreprennent et décident tout. Rien ne les arrête, nulle autorité ne les modère. La ferveur sensible tarit-elle? aussitôt ces âmes se découragent, se relâchent, se dissipent et reculent. …

1034. À DOM FR. LAMY. À C[ambrai] 11 février 1705.

J’ai reçu avec joie, mon Révérend Père, la nouvelle de votre guérison. Je ne vous dirai pas à quel point j’ai été en peine pour vous. Ne vous fiez pas trop à ce petit retour de santé. Vous avez usé vos forces par une vie austère, et par de longs travaux. L’application vous épuise et vous mine. Au nom de Dieu ménagez-vous, et faites-le avec simplicité dans un besoin si évident. Vous qui parlez aux autres avec tant d’amitié, laissez vous dire ce que vous leur avez dit. J’espère que vous verrez bientôt beaucoup de choses éclaircies. Tout est réduit maintenant à la notoriété humaine, dont on veut faire l’unique fondement de toute la certitude des symboles et des canons. Mais on verra s’il plaît à Dieu, que c’est la chimère la plus insoutenable et la plus dangereuse, à laquelle on puisse réduire cette controverse. Je ne m’étonne point qu’on parle ainsi, ni qu’on le fasse d’un ton si décisif. On n’a plus que cette notoriété [pour faire) illusion, et ce ton affirmatif pour se soutenir. Priez pour moi, mon Révérend Père, et aimez toujours l’homme du monde qui vous aime et qui vous révère le plus.

1132. LSP 7. À DOM FR. LAMY. À C[ambrai] 25 mars 1707.

Je ne veux point, mon Révérend Père, former aucun sentiment sur la sincérité de la personne que vous avez examinée, ni me mêler de juger des choses qu’elle prétend éprouver. Vous pouvez bien mieux en juger après avoir observé de près le détail, que ceux qui comme moi n’ont rien vu ni suivi. En général je craindrais fort que la lecture des choses extraordinaires n’eût fait trop d’impression sur une imagination faible. D’ailleurs l’amour-propre se flatte aisément d’être dans les états qu’on a admirés dans les livres. Il me semble que le seul parti à prendre est de conduire cette personne, comme si on ne faisait attention à aucune de ces choses, et de l’obliger à ne s’y arrêter jamais elle-même volontairement. C’est le vrai moyen de découvrir si l’amour-propre ne l’attache point à ces prétendues grâces. Rien ne pique tant l’amour-propre, et ne découvre mieux l’illusion, qu’une direction simple, qui compte pour rien ces merveilles, et qui assujettit la personne en qui elles sont, de faire comme si elle ne les avait pas. Jusqu’à ce qu’on ait fait cette épreuve, on ne doit pas croire, ce me semble, qu’on ait éprouvé la personne, ni qu’on se croit précautionné contre l’illusion. En l’obligeant à ne s’arrêter jamais volontairement à ces choses extraordinaires, on ne fera que suivre la règle du bienheureux Jean de la Croix, qui est expliquée à fond dans ses ouvrages : On outrepasse toujours, dit-il, ces lumières, et on demeure dans l’obscurité de la foi nue. Cette obscurité et ce détachement n’empêchent pas que les impressions de grâce et de lumière ne se fassent dans l’âme, supposé que ces dons soient réels, et s’ils ne le sont pas, cette foi qui ne s’arrête à rien garantit l’âme de l’illusion. De plus, cette conduite ne gêne point une âme pour les véritables attraits de Dieu, car on ne s’y oppose point. Elle ne pourrait que contrister l’amour-propre, qui voudrait tirer une secrète complaisance de ces états extraordinaires, et c’est précisément ce qu’il importe de retrancher. Enfin, quand même ces choses seraient certainement réelles et excellentes, il serait capital d’en détacher une âme, et de l’accoutumer à une vie de pure foi. Quelque excellence qu’il puisse y avoir dans ces dons, le détachement de ces dons est encore plus excellent qu’eux; adhuc excellentiorem viam vobis demonstem. C’est la voie de foi et d’amour, sans s’attacher ni à voir, ni à sentir, ni à goûter, mais à obéir au bien-aimé. Cette voie est simple, droite, abrégée, exempte des pièges de l’orgueil. Cette simplicité et cette nudité font qu’on ne prend point autre chose pour Dieu, ne s’arrêtant à rien’. Si vous n’agissez que par cet esprit de foi, que vous devez inspirer à la personne, Dieu vous fera trouver ce qui lui convient pour être secourue dans sa voie, ou du moins ce qui vous conviendra pour n’être point trompé. Ne suivez point vos raisonnements naturels, mais l’esprit de grâce, et les conseils des saints expérimentés, comme le bienh. Jean] de la C[roix], qui sont très opposés à l’illusion. Dieu sait à quel point je suis, mon R[évérend] P[ère], tout à vous à jamais en lui. 251

1219. À DOM FRANÇOIS LAMY. [juillet 1708].

… 2° Plus les âmes sont fidèles à D[ieu], plus on voit que Dieu les éprouve, et qu’elles augmentent en humilité. Plus une âme est humble, moins elle est contente de «l’amour» qu’elle a pour Dieu et du «service» qu’elle lui rend. Plus une âme est éprouvée, plus elle est, pendant le trouble de la tentation, dans un obscurcissement, où elle ne trouve plus en elle ni vertu, ni amour, ni service de Dieu. En cet état si elle ne tenait à l’amour de D[ieu] et à son service qu’autant qu’elle compterait sur sa prédestination, elle courrait grand risque de se « départir du service et de l’amour» de Dieu. Ce qui la soutient le plus dans l’extrémité de l’épreuve est de dire comme vous: « De quelque manière que Dieu ait décidé de mon sort, [...] je ne veux pour rien du monde me départir de son service et de son amour. » Voilà dans la pratique ce qui calme l’orage. Voilà ce qui n’introduit nullement le désespoir, mais qui au contraire en dissipe la tentation. Voilà ce qui nourrit une secrète et intime espérance, qui est alors toute concentrée au fond du cœur. Voilà le sentiment d’une âme prédestinée. C’est là qu’on impose silence au tentateur. On ne s’écoute plus soi-même. On n’écoute plus que l’amour, et on aime de plus en plus. Voilà ce qui fait passer du trouble de l’épreuve à la paix la plus simple, où une âme dit : « Le bien-aimé est à moi, et je suis à lui »; ce qui renferme sans doute la pleine confiance de l’épouse, et la plus haute espérance de le posséder à jamais. Alors une âme ne veut plus de D[ieu] que D[ieu] seul. « De Deo Deum sperare », dit S. Aug[ustin].

3° Cette paix, qui est un petit commencement de celle des saints de la Jérusalem d’en haut, ne s’acquiert point par des raisonnements philosophiques sur la prescience de D[ieu], sur l’ordre de ses décrets, sur la nature de ses secours intérieurs, sur les divers systèmes des écoles touchant la grâce. S. Paul nous apprend que « comme le monde n’a point connu Dieu dans sa sagesse, par la sagesse qui est en eux, il a plu à Dieu de sauver les fidèles par la folie de la prédication ». Notre mal ne consiste que dans notre passion pour raisonner. C’est notre sagesse intempérante et éloignée de toute sobriété, laquelle nous travaille, comme une fièvre ardente qui met en délire. C’est la vaine curiosité d’un esprit qui veut toujours tenter l’impossible, et qui ne peut ni sortir de son ignorance ni la supporter humblement en paix. C’est ce mésaise et cette rêverie de malade, que nous n’avons point honte d’appeler une noble recherche de la vérité. Voulons-nous comprendre les jugements incompréhensibles? Espérons-nous de pénétrer les voies impénétrables? L’homme prétend, à force de raisonner, se guérir d’un mal qui est l’intempérie du raisonnement même: c’est en arrêtant notre raisonnement téméraire que nous guérirons notre raison. « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie cette sagesse» vaine et inquiète? La sagesse qui n’est point folle est celle qui ne présume point d’être sage, et qui est contente de s’abandonner au conseil de Dieu sur toutes les vérités auxquelles elle ne peut atteindre. O qu’il y a de consolation à savoir qu’en ce genre on ne sait, et on ne peut rien savoir! O qu’on est bien, quand on demeure les yeux fermés dans les bras de Dieu, en s’attachant à lui sans mesure ! O la merveilleuse science que celle de l’amour qui ne voit et qui ne veut voir que la bonté infinie de D[ieu] avec notre infinie impuissance et indignité! La paix se trouve non dans un éclaircissement qui est impossible en cette vie, mais dans une amoureuse acceptation des ténèbres et de l’incertitude, où il faut achever d’aimer et de servir Dieu ici-bas, sans savoir s’il nous jugera dignes de sa miséricorde éternelle. La paix se trouve, non en se troublant, en s’inquiétant, et en se tentant soi-même de désespoir, mais en aimant Dieu et en méritant par là son amour. La paix se trouve, non dans une philosophie sèche, vaine, discoureuse, qui court sans cesse après une ombre fugitive, et qui veut à contretemps se donner des sûretés où il n’y en a aucune, mais dans un amour de préférence de Dieu à nous, et dans une confiance en sa bonté qui répond sans subtilité à toutes les tentations les plus subtiles dans la pratique. La paix se trouve, non dans les raisonnements abstraits, mais dans l’oraison simple, non dans les recherches spéculatives, mais dans les vertus réelles et journalières, non en s’écoutant, mais en se faisant taire, non en se flattant de pénétrer le conseil de Dieu, mais en se contentant de ne le pénétrer jamais, et en se bornant à aimer malgré l’incertitude de notre béatitude, qu’on ne cesse jamais d’espérer.

Je suis de plus en plus, mon Révérend Père, tout à vous avec tendresse et vénération.

766. À DOM FRANÇOIS LAMY. À Tournay 26 octobre 1701.

… D[ieu] fait donc deux choses pour l’âme au lieu qu’il n’en fait qu’une pour le corps. Il donne au corps la nourriture avec la faim et le plaisir de manger. Tout cela est sensible. Pour l’âme, il donne la faim qui est le désir, et la nourriture. Mais en accordant ses dons il les cache, de peur que l’âme ne s’y complaise vainement : ainsi, dans les temps d’épreuve où il veut nous purifier, il nous soustrait les goûts, les ferveurs sensibles, les désirs ardents et aperçus. Comme l’âme tournait en poison par orgueil toute force sensible, D[ieu] la réduit à ne sentir que dégoût, langueur, faiblesse, tentation. Ce n’est pas qu’elle ne reçoive toujours les secours réels. Elle est avertie, excitée, soutenue pour persévérer dans la vertu. Mais il lui est utile de n’en avoir point le goût sensible, qui est très différent du fond de la chose. L’oraison est très différente du plaisir sensible qui accompagne souvent l’oraison. Le médecin, fait quelquefois manger un malade sans appétit. Il n’a aucun plaisir à manger, et ne laisse pas de digérer et de se nourrir. Sainte Thérèse remarquait que beaucoup d’âmes quittaient par découragement l’oraison dès que le goût sensible cessait, et que c’était quitter l’oraison, quand elle commence à se perfectionner. La vraie oraison n’est ni dans le sens, ni dans l’imagination. Elle est dans l’esprit et dans la volonté. On peut se tromper beaucoup en parlant de plaisir et de délectation. Il y a un plaisir indélibéré et sensible qui prévient la volonté, et qui est indélibéré. Celui-là peut être séparé d’une très véritable oraison. Il y a le plaisir délibéré qui n’est autre chose que la volonté délibérée même. Cette délectation qui est notre vouloir délibéré est celle que le Psalmiste commande, et à laquelle il promet une récompense: Delectare in Domino, et dabit tibi petitiones cordis tuis. Cette délectation est inséparable de l’oraison en tout état, parce qu’elle est l’oraison même. Mais cette délectation qui n’est qu’un simple vouloir n’est pas toujours accompagnée de l’autre délectation prévenante et indélibérée qui est sensible. La première peut être très réelle et ne donner aucun goût consolant. C’est ainsi que les âmes les plus rigoureusement éprouvées peuvent conserver la délectation de pure volonté, c’est-à-dire le vouloir ou l’amour tout nu, dans une oraison très sèche, sans conserver le goût et le plaisir de faire oraison. Autrement il faudrait dire qu’on ne se perfectionne dans les voies de D[ieu] qu’autant qu’on sent augmenter le plaisir des vertus, et que toutes les âmes privées du plaisir sensible par les épreuves, ont perdu l’amour de D[ieu] et sont dans l’illusion. Ce serait renverser toute la conduite des âmes, et réduire toute la piété au plaisir de l’imagination. C’est ce qui nous mènerait au fanatisme le plus dangereux. Chacun se jugerait soi-même pour son degré de perfection par son degré de goût et de plaisir. C’est ce que font souvent bien des âmes sans y prendre garde. Elles ne cherchent que le goût et le plaisir dans l’oraison. Elles sont toutes dans le sentiment. Elles ne prennent pour réel que ce qu’elles goûtent et imaginent. […]

Cessons de raisonner en philosophes sur la cause, et arrêtons-nous simplement à l’effet. Comptons que nous ne devons jamais tant faire oraison, que quand le plaisir de faire oraison nous échappe. C’est le temps de l’épreuve et de la tentation, et par conséquent celui du recours à D[ieu] et de l’oraison la plus intime. D’un autre côté, il faut recevoir simplement les ferveurs sensibles d’oraison, puisqu’elles sont données pour nourrir, pour consoler, pour fortifier l’âme. Mais ne comptons point sur ces douceurs où l’imagination se mêle souvent et nous flatte. Suivons J[ésus]-C[hrist] à la croix comme S. Jean. C’est ce qui ne nous trompera point. S. Pierre fut dans une espèce d’illusion sur le Tabor. […]

F. A. D. C.

1132. À DOM FR. LAMY. [À Cambrai] 25 mars 1707.

… En général je craindrais fort que la lecture des choses extraordinaires n’eût fait trop d’impression sur une imagination faible. D’ailleurs l’amour-propre se flatte aisément d’être dans les états qu’on a admirés dans les livres. Il me semble que le seul parti à prendre est de conduire cette personne, comme si on ne faisait attention à aucune de ces choses, et de l’obliger à ne s’y arrêter jamais elle-même volontairement. C’est le vrai moyen de découvrir si l’amour-propre ne l’attache point à ces prétendues grâces. Rien ne pique tant l’amour-propre, et ne découvre mieux l’illusion, qu’une direction simple, qui compte pour rien ces merveilles, et qui assujettit la personne en qui elles sont, de faire comme si elle ne les avait pas. Jusqu’à ce qu’on ait fait cette épreuve, on ne doit pas croire, ce me semble, qu’on ait éprouvé la personne, ni qu’on se croit précautionné contre l’illusion. En l’obligeant à ne s’arrêter jamais volontairement à ces choses extraordinaires, on ne fera que suivre la règle du bienheureux Jean de la Croix, qui est expliquée à fond dans ses ouvrages. On outrepasse toujours, dit-il, ces lumières, et on demeure dans l’obscurité de la foi nue. Cette obscurité et ce détachement n’empêchent pas que les impressions de grâce et de lumière ne se fassent dans l’âme, supposé que ces dons soient réels, et s’ils ne le sont pas, cette foi qui ne s’arrête à rien garantit l’âme de l’illusion. […]. C’est la voie de foi et d’amour, sans s’attacher ni à voir, ni à sentir, ni à goûter, mais à obéir au bien-aimé. Cette voie est simple, droite, abrégée, exempte des pièges de l’orgueil. Cette simplicité et cette nudité font qu’on ne prend point autre chose pour Dieu, ne s’arrêtant à rien. Si vous n’agissez que par cet esprit de foi, que vous devez inspirer à la personne, Dieu vous fera trouver ce qui lui convient pour être secourue dans sa voie, ou du moins ce qui vous conviendra pour n’être point trompé. Ne suivez point vos raisonnements naturels, mais l’esprit de grâce, et les conseils des saints expérimentés, comme le bienh. J[ean] de la C[roix], qui sont très opposés à l’illusion. Dieu sait à quel point je suis, mon R[évérend] P[ère], tout à vous à jamais en lui.

1189. À DOM FRANÇOIS LAMY. À Cambray, 4 janvier 1708.

… Je n’ai point lu l’ouvrage dont vous me parlez, et ce que vous m’en dites ne me donne aucune envie de le lire. Je ne suis pas surpris de ce que vous trouvez que l’auteur n’a aucune expérience de la vie intérieure et de l’oraison. En tout art et en toute science où il s’agit de la pratique, ceux qui n’ont qu’une pure spéculation ne sauraient bien écrire. Laissez dire ceux qui raisonnent sur la prière au lieu de prier, et contentez-vous de ce que Dieu vous donne. …

FR. AR. D. DE CAMBRAY.

1217. À DOM FRANÇOIS LAMY. À C[ambrai] 22 juin 1708.

… Notre ami252 me paraît penser sérieusement à être homme, c’est-à-dire dépendant de l’esprit de grâce. Encore une fois priez bien pour lui. Il a des pièges infinis à craindre. Ceux d’une très vive jeunesse et de l’ambition sont grands pour un homme qui a de l’appui, du talent, et des manières très agréables: mais je crains encore plus la science qui enfle, je crains la sagesse renfermée au dedans de soi-même et qui se sait bon gré de faire mieux que les autres. Je crains qu’il ne se craigne pas assez lui-même. Jamais liaison n’a été faite plus promptement que la nôtre. Je l’ai aimé dès que je l’ai vu. Il a été accoutumé à nous dès le premier jour, et toute la maison le voit avec complaisance. Mais rien n’est tant à craindre que l’amour-propre flatté par tout ce qu’il y a de plus subtil et de plus séduisant. Je le verrai partir à regret, et je ne l’oublierai pas devant Dieu pendant ses voyages. Faites de même, mon cher Père, et en vous souvenant de lui ne m’oubliez pas.

1297. À DOM FRANÇOIS LAMY. [À Cambrai] 21 avril 1709.

J’étais, mon Révérend Père, dans une grande alarme pour votre vie; mais M. l’abbé de La Parisière m’a consolé, en m’apprenant votre heureuse résurrection. Je ne suis pourtant pas hors d’inquiétude, car je crains votre tempérament usé, vos infirmités habituelles, et votre négligence pour vous conserver. Au reste, je remercie Dieu de la profonde paix où cet abbé m’a mandé que vous étiez aux portes de la mort. Vous voyez par cette expérience qu’il n’y a qu’à s’abandonner à Dieu. Il mesure les tentations, et les proportionne aux forces qui nous viennent de lui en chaque moment. Sa providence est encore plus merveilleuse et plus aimable dans l’intérieur que dans l’extérieur. Le raisonnement dans les choses qui sont au-dessus de la raison ne fait que nous agiter. Soyons fidèles à Dieu. Humilions-nous dans les moindres fautes que sa lumière nous découvre, et demeurons en paix par l’amour. Je prie tous les jours pour vous, et je ne crois pas que personne puisse avoir pour votre personne plus de tendresse et de vénération que j’en ai.

FR. AR. DUC DE CAMBRAY.

1405  À DOM FRANÇOIS LAMY. 2 octobre 1710.

… Il est vrai que vous ne sauriez comprendre aucune liaison entre votre sirop et votre oraison. Mais que savons-nous s’il y a quelque liaison réelle entre ces deux choses, qui n’ont, ce semble, aucun rapport? Il n’y a qu’à ne chercher point ce rapport, qu’à ne juger de rien, et qu’à demeurer simplement dans les ténèbres de la foi. Je n’ai aucune lumière ni sentiment extraordinaire. Mais s’il m’en venait, je ne voudrais dans le doute ni les rejeter par une sagesse incrédule, ni y acquiescer par un goût de ces sortes de grâces apparentes, qui peuvent flatter l’amour-propre, et exposer à l’illusion. Je voudrais selon la règle du bienheureux Jean de la Croix outrepasser tout, sans en juger, et demeurer dans l’obscurité de la pure foi, me contentant de croire sans voir, d’aimer sans sentir, si D[ieu] le veut, et d’obéir sans écouter mon amour-propre. L’obscurité de la foi et l’obéissance à l’Évangile ne nous égareront jamais. Or l’oraison que D[ieu] vous fait éprouver est très conforme à l’Évangile. D’où je conclus que vous ferez très bien de la continuer tant qu’elle pourra durer, et de rentrer paisiblement dans votre nudité, dès que Dieu] vous ôtera cette oraison. …

Lettre au P. Lami sur la grâce et la prédestination

quand j’entre dans un lieu où il y a un concert de musique , il ne dépend nullement de moi de n’avoir point du plaisir; il faut ou que je sorte, ou que je bouche mes oreilles pour m’en priver ; mais, dans ce premier moment de surprise, ce plaisir est en moi aussi indélibéré que la chute d’une pierre […] Il en est de même du plaisir indélibéré de la plus sublime contemplation. Il est en lui- même entièrement passif , et imprimé en nous , sans nous: non seulement il n’a , selon la supposition , rien de délibéré, mais encore rien de volontaire dans sa nature253.



Relevé de correspondance

Lettres adressées à DOM FRANÇOIS LAMY:

1695, 29 janvier.

1696, 27 avril,

1697, 3 janvier, 22 février, 7 avril,

1698, 18 mai, 3 décembre,

1699, 29 mars,

1700, 4 février, 14 novembre, 13 décembre,

1701, 23 janvier, 26 octobre, 3 février, novembre-décembre, 19 décembre,

1702, 3 mars,

1703, de dom Lamy : 2 septembre,

1704, de dom Lamy  le 19 mai, de F. le 22 mai, de dom Lamy  les 2 juin, 10 juillet, 16 août, de F. les 23 août, 17 décembre,

1705, 11 février, 25 mai, 27 octobre, de dom Lamy : 21 février, 12 juin,

1706, 4 mai, 31 mai, de dom Lamy : 16 juillet,

1707, 28 novembre, de dom Lamy : 25 mars, 15 novembre,

1708, 4 janvier, 4 et 5 mars, 3 mai, 22 juin, juillet, 8 et 17 et 28 août, de dom Lamy en août et après août, de F. les 30 novembre, 18 décembre, en décembre (?),

1709, 18 janvier, de dom Lamy avant le 8 mars, de F. les 8 mars, 21 avril, 26 novembre,

1710, 13 janvier, de dom Lamy le 12 mars , de F. les 4 août, 2 octobre, 20 décembre,

1711, 21 janvier à BISSY avant le 21 janvier.

Il s’agit d’un abondant dialogue poursuivi tous les ans pendant 16 ans entre deux têtes solides, F. étant attentif envers son ami en particulier à la fin de sa vie :13 lettres de dom Lamy auxquelles répondnt 45 lettres de Fénelon ;




Duc (1656-1712) puis duchesse (-1752) de Chevreuse



Voici des extraits de la correspondance avec le Duc de Chevreuse 254, ami très cher de Fénelon et le confident de Madame Guyon dont il fut son secrétaire pendant les “années de Combat” 255 :

433. À UN AMI [CHEVREUSE OU BEAUVILLIER]. 3 Août 1697.

Je ne veux que deux choses qui composent ma doctrine. La première, c’est que la charité est un amour de Dieu par lui-même, indépendamment du motif de la béatitude qu’on trouve en lui. La seconde est que dans la vie des âmes les plus parfaites, c’est la charité qui prévient toutes les autres vertus, qui les anime et qui en commande les actes pour les rapporter à sa fin, en sorte que le juste de cet état exerce alors d’ordinaire l’espérance et toutes les autres vertus avec tout le désintéressement de la charité même qui en commande l’exercice. […]

La perfection est devenue suspecte : il n’en fallait pas moins pour en éloigner les chrétiens lâches et pleins d’eux-mêmes. L’amour désintéressé paraît une source d’illusion et d’impiété abominable. On accoutume les chrétiens, sous prétexte de sûreté et de précaution, à ne chercher Dieu que par le motif de leur béatitude, et par intérêt pour eux-mêmes: on défend aux âmes les plus avancées de servir Dieu par le pur motif, par lequel on avait jusqu’ici souhaité que les pécheurs revinssent de leur égarement, je veux dire la bonté de Dieu infiniment aimable.256

626. AU DUC DE CHEVREUSE. 31 août 1699.

…Vous avez l’esprit trop occupé de choses extérieures, et plus encore de raisonnements, pour pouvoir agir avec une fréquente présence de Dieu. Je crains toujours beaucoup votre pente excessive à raisonner. Elle est un grand obstacle à ce recueillement et à ce silence où Dieu se communique. Soyons simples, humbles, et sincèrement détachés avec les hommes. Soyons recueillis, calmes, et point raisonneurs avec Dieu. Les gens que vous avez le plus écoutés autrefois257 sont infiniment secs, raisonneurs, critiques, et opposés à la vraie vie intérieure. Si peu que vous les écoutassiez, vous écouteriez aussi un raisonnement sans fin, et une curiosité dangereuse, qui vous mettrait insensiblement hors de votre grâce, pour vous rejeter dans le fond de votre naturel. Les longues habitudes se réveillent bientôt, et les changements qui se font pour rentrer dans son naturel, étant conformes au fond de l’homme, se font beaucoup moins sentir que les autres. Défiez-vous-en, mon bon [duc], et prenez garde aux commencements qui entraînent tout.

Je vous parle avec une liberté sans mesure, parce que votre lettre m’y engage et que je connais votre bon cœur, et que rien ne peut retenir mon zèle pour vous. Je donnerais ma vie pour votre véritable avancement selon Dieu. Si nous avions pu nous voir, je vous aurais dit bien des choses. Je suis dans une paix sèche et amère, où ma santé augmente avec le travail258. Prions les uns pour les autres : demeurons infiniment unis en celui qui est notre centre commun. Je salue avec zèle et respect la bonne [duchesse] : je serai dévoué et à vous, mon bon [duc], et à elle jusqu’au dernier soupir. …

627. AU DUC DE CHEVREUSE [Après le 14 septembre 1699] 259.

… La misère espagnole surpasse toute imagination. Les places frontières n’ont ni canons ni affûts ; les brèches d’Ath260 ne sont pas encore réparées; tous les remparts sous lesquels on avait essayé mal à propos de creuser des souterrains, en soutenant la terre par des étaies, sont enfoncés, et on ne songe pas même qu’il soit question de les relever. Les soldats sont tout nus, et mendient sans cesse; ils n’ont qu’une poignée de ces gueux; la cavalerie entière n’a pas un seul cheval. M. l’Electeur261 voit toutes ces choses; il s’en console avec ses maîtresses, il passe les jours à la chasse, il joue de la flûte, il achète des tableaux, il s’endette, il ruine son pays, et ne fait aucun bien à celui où il est transplanté ; il ne paraît pas même songer aux ennemis qui peuvent le surprendre. …

633. AU DUC DE CHEVREUSE [vers le 4 novembre 1699].

… Il y a quatre mois que je n’ai eu aucun loisir d’étudier; mais je suis bien aise de me passer d’étude, et de ne tenir à rien, dès que la Providence me secoue. Peut-être que, cet hiver, je pourrai me remettre dans mon cabinet; et alors je n’y entrerai que pour y demeurer un pied en l’air, prêt à en sortir au moindre signal. Il faut faire jeûner l’esprit comme le corps. Je n’ai aucune envie ni d’écrire, ni de parler, ni de faire parler de moi, ni de raisonner, ni de persuader personne. Je vis au jour la journée, assez sèchement et avec diverses sujétions extérieures qui m’importunent, mais je m’amuse dès que je le puis et que j’ai besoin de me délasser. Ceux qui font des almanachs sur moi, et qui me craignent, sont de grandes dupes. Dieu les bénisse ! Je suis si loin d’eux, qu’il faudrait que je fusse fou pour vouloir m’incommoder en les incommodant. Je leur dirais volontiers comme Abraham à Lot: Toute la terre est devant nous. Si vous allez à l’orient, je m’en irai à l’occident262.

Heureux qui est véritablement délivré ! Il n’y a que le Fils de Dieu qui délivre: mais il ne délivre qu’en rompant tout lien: et comment les rompt-il? C’est par ce glaive qui sépare l’époux et l’épouse, le père et le fils, le frère et la sœur. Alors le monde n’est plus rien; mais tandis qu’il est encore quelque chose, la liberté n’est qu’en parole, et on est pris comme un oiseau qu’un filet tient par le pied. Il paraît libre, le fil ne se voit point; il s’envole, mais il ne peut voler au-delà de la longueur de son filet, et il est captif. Vous entendez la parabole. Ce que je vous souhaite est meilleur que tout ce que vous pourriez craindre de perdre. Soyez fidèle dans ce que vous connaissez, pour mériter de connaître encore davantage. Défiez-vous de votre esprit, qui vous a souvent trompé. Le mien m’a tant trompé, que je ne dois plus compter sur lui. Soyez simple, et ferme dans votre simplicité. …

639. Au DUC DE CHEVREUSE. 30 décembre 1699.

… Écoutez un peu moins vos pensées, pour vous mettre en état d’écouter Dieu plus souvent.

J’ose vous promettre, mon bon cher [duc], que, si vous êtes fidèle là-dessus à la lumière intérieure dans chaque occasion, vous serez bientôt soulagé pour tous vos devoirs, plus propre à contenter le prochain, et en même temps beaucoup plus dans la voie de votre vocation. Ce n’est pas le tout que d’aimer les bons livres, il faut être un bon livre vivant. Il faut que votre intérieur soit la réalité de ce que les livres enseignent. Les saints ont eu plus d’embarras et de croix que vous: c’est au milieu de tous ces embarras qu’ils ont conservé et augmenté leur paix, leur simplicité, leur vie de pure foi et d’oraison presque continuelle. N’ayez point, je vous en conjure, de scrupule déplacé. Craignez votre propre esprit qui altère votre voie; mais ne craignez point votre voie qui est simple et droite par elle-même. Je crois sans peine que la multitude des affaires vous dessèche et vous dissipe. Le vrai remède à ce mal est d’accourcir [abréger] chaque affaire, et de ne vous laisser point entraîner par un détail d’occupations où votre esprit agit trop selon sa pente d’exactitude, parce qu’insensiblement, faute de nourriture, votre grâce pour l’intérieur pourrait tarir : Renovamini spiritu mentis vestrae263. Faites comme les gens sages qui aperçoivent que leur dépense va trop loin; ils retranchent courageusement sur tous les articles de peur de se ruiner. Réservez-vous des temps de nourriture intérieure qui soient des sources de grâces pour les autres temps, et dans les temps mêmes d’affaires extérieures, agissez en paix avec cet esprit de brièveté qui vous fera mourir à vous-même. De plus, il faudrait, mon bon [duc], nourrir l’esprit de simplicité qui vous fait encore aimer et goûter les bons livres. Il faudrait donc en lire, à moins que l’oraison ne prît la place: et même vous pourriez sans peine accorder ces deux choses; car vous commenceriez la lecture toutes les fois que vous ne seriez point attiré à l’oraison; et vous feriez céder la lecture à l’oraison, toutes les fois que l’oraison vous donnerait quelque attrait pour elle. Enfin il faudrait un peu d’entretien avec quelqu’un qui eût un vrai fonds de grâce pour l’intérieur. Il ne serait pas nécessaire que ce fût une personne consommée, ni qui eût une supériorité de conduite sur vous. Il suffirait de vous entretenir dans la dernière simplicité avec quelque personne bien éloignée de tout raisonnement et de toute curiosité. Vous lui ouvririez votre cœur pour vous exercer à la simplicité, et pour vous élargir264. Cette personne vous consolerait, vous nourrirait, vous développerait à vos propres yeux, et vous dirait vos vérités. Par de tels entretiens, on devient moins haut, moins sec, moins rétréci, plus maniable dans la main de Dieu, plus accoutumé à être repris. Une vérité qu’on nous dit nous fait plus de peine que cent que nous nous dirions à nous-mêmes. On est moins humilié du fond des vérités, que flatté de savoir se les dire. Ce qui vient d’autrui blesse toujours un peu, et porte un coup de mort. J’avoue qu’il faut bien prendre garde au choix de la personne avec qui on aura cette communication. La plupart vous gêneraient, vous dessécheraient, et boucheraient votre cœur à la véritable grâce de votre état. Je prie Notre Seigneur qu’il vous éclaire là-dessus. Défiez-vous de votre ancienne prévention en faveur des gens qui sont raisonneurs et rigides. C’est, ce me semble, sans passion que je vous parle ainsi. Je vis bien avec eux, et eux bien avec moi en ce pays : mais le vrai intérieur est bien loin de là. …

Nous donnons en note265 la réponse du Duc, un exemple de droiture et simplicité.

642. Au DUC DE CHEVREUSE. 27 janvier 1700

… Votre lettre, mon bon Duc, m’a fait un plaisir que nul terme ne peut exprimer, et ce plaisir m’a fait voir à quel point je vous aime. Il me semble que vous entrez, du moins par conviction, précisément dans ce que Dieu demande de vous, et faute de quoi votre travail serait inutile. Comme vous y entrez, je n’ai rien à répéter du contenu de ma première lettre. Je prie Dieu que vous y entriez moins par réflexion et par raison propre, que par simplicité, petitesse, docilité, et désappropriation de votre lumière. Si vous y entrez, non en vous rendant ces choses propres et en les possédant, mais en vous laissant posséder tout entier par elles, vous verrez le changement qu’elles feront sur le fond de votre naturel et sur toutes les habitudes. Croyez, et vous recevrez selon la mesure de votre foi. […]

Le chapitre le plus difficile à traiter est le choix d’une personne à qui vous puissiez ouvrir votre cœur. Marv[alière]266 ne vous convient pas: le bon Duc [de Beauvillier] n’est pas en état de vous élargir, étant lui-même trop étroit. Je ne vois que la bonne petite D[uchesse]; elle a ses défauts, mais vous pouvez les lui dire, sans vouloir décider. Les avis qu’on donne ne blessent d’ordinaire qu’à cause qu’on les donne comme certainement vrais. Il ne faut ni juger, ni vouloir être cru. Il faut dire ce qu’on pense, non avec autorité, et comptant qu’une personne aura tort si elle ne se laisse corriger, mais simplement pour décharger son cœur, pour n’user point d’une réserve contraire à la simplicité, pour ne manquer pas à une personne qu’on aime, mais sans préférer nos lumières aux siennes, comptant qu’on peut facilement se tromper et se scandaliser mal à propos; enfin étant aussi content de n’être pas cru, si on dit mal, que d’être cru si on dit bien. Quand on donne des avis avec ces dispositions, on les donne doucement, et on les fait aimer. S’ils sont vrais, ils entrent dans le cœur de la personne qui en a besoin, et y portent la grâce avec eux; s’ils ne sont pas vrais, on se désabuse avec plaisir soi-même, et on reconnaît qu’on avait pris, en tout ou en partie, certaines choses extérieures autrement qu’elles ne doivent être prises. La bonne [petite duchesse] est vive, brusque et libre; mais elle est bonne, droite, simple, et ferme contre elle-même, dans l’étendue de ce qu’elle connaît. Je vois même qu’elle s’est beaucoup modérée depuis deux ans ; elle n’est point parfaite, mais personne ne l’est. Attendez-vous que Dieu vous envoie un ange? À tout prendre, elle est, si je ne me trompe, sans comparaison, ce que vous pouvez trouver de meilleur267. Elle a de la lumière; elle vous aime; vous l’aimez; vous vous connaissez; vous pouvez vous voir268; vous lui ferez du bien, et j’espère qu’elle vous le rendra même avec usure. Ne vous rebutez point de ses défauts : les apôtres en avaient. Saint Paul ne voulait pas qu’on méprisât son extérieur, praesentia corporis infirma, quoique cet extérieur n’eût point de proportion avec la gravité de ses lettres. Il faut toujours quelque contrepoids pour rabaisser la personne, et quelque voile pour exercer la foi des spectateurs. Si la bonne [petite duchesse] vous parle trop librement, et si ses avis ne vous conviennent pas, vous pouvez le lui dire simplement : elle s’arrêtera d’abord. Si les avis que vous lui donnerez la blessent, elle vous en avertira de même. Vous ne déciderez rien de par ni d’autre, et chacun pourra, d’un moment à l’autre, borner les ouvertures de cœur. …

856. AU DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai] 7 septembre 1702.

… Vous n’êtes point lent, et on a tort de le croire; au contraire, vous avez l’action et la parole prompte. Mais vous mêlez en chaque chose trop de pensées ou étrangères ou non nécessaires au fait précis. Vous joignez à trop de pensées trop de paroles. Vous craignez trop de n’être pas assez clair et d’omettre quelque tour de persuasion. Les précautions ne finissent point. D’ailleurs, la curiosité de l’esprit, passion ancienne et dominante, qui a jeté secrètement de profondes racines dans votre cœur269, vous prend plus de temps que vous ne croyez. Si je pouvais feuilleter vos livres et papiers, je trouverais peut- être bien des coups de crayon, des oreilles, des notes, etc. qui montreraient combien vous lisez à la dérobée. De plus, votre curiosité n’agit pas seulement dans la lecture. Elle prend sur vous, dans les méditations philosophiques270, dans les conversations raisonnées, avec les gens d’esprit et presque dans tout le cours de la vie. D’ailleurs, vous traitez dogmatiquement les affaires comme les questions de théologie. Requiescite pusillum, disait Jésus-Christ aux apôtres. Vacate et videte quoniam ego sum Deus.271. Cette cessation de l’âme est le plus grand sacrifice. C’est le vrai sabbat. Amusez si vous voulez vos sens et votre imagination à quelque chose qui ne soit pas un piège à l’esprit curieux. Mais suspendez tout ce qui empêche la nourriture et le silence du fond, qui doit laisser faire Dieu. O mon bon cher Duc, je vous aime du vrai amour.

912A.  LE DUC DE CHEVREUSE A FÉNELON. À Dampierre, ce 16e mai 1703.

… Je suis plus content que jamais de la B.P.D. 272. J’y trouve le même esprit de conduite qu’elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son fond. …

1128. Au DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai], 24 février 1707.

… Je pense souvent à vous avec attendrissement de cœur. J’augmente, ce me semble, en zèle pour Mad. la D. de Chevreuse. Je l’ai trouvée à Chaulnes plus dégagée qu’autrefois. Elle est bonne. Elle sera, comme je l’espère, encore meilleure. Mettez paisiblement l’ordre que vous pourrez à vos affaires, et songez à vous débarrasser. Toute affaire, quelque soin et quelque habileté qu’on y emploie, n’est point bien faite quand on ne la finit point. Il faut couper court pour aller à une fin, et sacrifier beaucoup pour gagner du temps sur une vie si courte. O que je souhaite que vous puissiez respirer après tant de travaux ! En attendant, il faut trouver Dieu en soi malgré tout ce qui nous environne pour nous l’ôter. C’est peu de le voir par l’esprit comme un objet. Il faut l’avoir au-dedans pour principe. Tandis qu’il n’est qu’objet, il est comme hors de nous. Quand il est principe, on le porte au-dedans de soi, et peu à peu il prend toute la place du moi. Le moi, c’est l’amour-propre. L’amour de D[ieu] est Dieu même en nous. Nous ne trouvons plus que D[ieu] seul en nous, quand l’amour de D[ieu] y a pris la place avec toutes les fonctions que l’amour-propre y usurpait. Bon soir, mon bon Duc, ne vous écoutez point, et D[ieu] parlera sans cesse. Sa raison sera mise sur les ruines de la vôtre. Quel profit dans cet échange!

1144 Au DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai] 17 mai 1707.

J’ai attendu, mon bon Duc, tout le plus longtemps que j’ai pu, le passage de M. le vidame. Mais il ne vient point, et je ne puis plus retarder mon départ pour mes visites. Notre P.A. [Langeron] vous dira bien plus que je ne saurais vous écrire. Il vous parlera de tout ce qui regarde la métaphysique et la théologie. Pour la vie intérieure je ne saurais vous recommander que deux points. L’un est d’accourcir tant que vous pourrez toutes vos actions et vos discours au-dehors. L’autre, de jeûner de raisonnement. Quand vous cesserez de raisonner, vous mourrez à vous-même, car la raison est toute votre vie. Or que voulez-vous de plus sûr et de plus parfait que la mort à vous-même? Rien n’est plus opposé à l’illusion de l’amour-propre, que ce qui met la cognée à la racine de l’arbre, et qui fait mourir cet amour. Plus vous raisonnerez, plus vous donnerez d’aliment à cette vie philosophique. Abandonnez-vous donc à la simplicité et à la folie de la croix. Le premier chapitre de la première Ep[ître] aux Cor[inthiens] est fait pour vous. Tâchez de donner une forme à vos affaires, pour vous mettre en repos. Il faut tâcher de calmer la bonne duchesse quand elle s’empresse d’en voir la fin. Mais il faut supporter en paix son impatience et vous en servir comme d’un aiguillon pour vous presser de finir. On gagne en perdant, quand on perd pour abréger. Sed ut sapientes redimentes tempus 273. Si vous venez l’automne à Chaulnes, faites-le-moi savoir de bonne heure, et mandez-moi, avec simplicité, si je pourrai vous aller voir. Dieu sait la joie que j’en aurai ! Aimez toujours, mon bon Duc, celui qui vous est dévoué ad convivendum et commoriendum 274.

1266. Au DUC DE CHEVREUSE. À C[ambrai] 3 décembre 1708.275.

… M. le Duc de Bourgogne n’a point eu, dit-on, pendant la campagne assez d’autorité ni d’expérience pour pouvoir redresser M. de Vendosme. On est même très mécontent de notre jeune prince, parce que, indépendamment des partis pris pour la guerre, à l’égard desquels les fautes énormes ne tombent point sur lui, on prétend qu’il n’a point assez d’application pour aller visiter les postes, pour s’instruire des détails importants, pour consulter en particulier les meilleurs officiers, et pour connaître le mérite de chacun d’eux. Il a passé, dit-on, de grands temps dans des jeux d’enfants avec M. son frère…

… M. de Chamillart, qui me représentait très fortement l’impuissance de soutenir la guerre, disait d’un autre côté qu’on ne pouvait point chercher la paix avec de honteuses conditions. Pour moi je fus tenté de lui dire: ou faites mieux la guerre, ou ne la faites plus. Si vous continuez à la faire ainsi, les conditions de paix seront encore plus honteuses dans un an qu’aujourd’hui. Vous ne pouvez que perdre à attendre.

Si le Roi venait en personne sur la frontière, il serait cent fois plus embarrassé que M. le Duc de Bourgogne. Il verrait qu’on manque de tout, et dans les places en cas de siège, et dans les troupes faute d’argent. Il verrait le découragement de l’armée, le dégoût des officiers, le relâchement de la discipline, le mépris du gouvernement, l’ascendant des ennemis, le soulèvement secret des peuples, et l’irrésolution des généraux, dès qu’il s’agit de hasarder quelque grand coup. Je ne saurais les blâmer de ce qu’ils hésitent dans ces circonstances. Il n’y a aucune principale tête qui réunisse le total des affaires, ni qui ose rien prendre sur soi. En un mot un grand joueur qui perd parce qu’il joue trop mal, ne doit plus jouer. Le branle donné du temps de M. de Louvois est perdu. L’argent et la vigueur du commandement nous manquent. Il n’y a personne qui soit à portée de rétablir ces deux points essentiels. …

LSP 148. *Au DUC DE CHEVREUSE (?)

Pour N....276, ce n’est que faiblesse et dissipation. La guerre l’avait trop dissipé; d’autres tentations l’ont trouvé affaibli par celle-là: mais j’espère que l’expérience de sa faiblesse se tournera à profit. Ayez une patience sans bornes avec lui. Parlez-lui quand Dieu vous donne des paroles, et n’en mêlez jamais aucune des vôtres. Ne le pressez jamais par activité et par sagesse humaine; ne patientez jamais par politique et par méthode. Quand vous lui direz les paroles de Dieu, elles seront pleines d’autorité, et vous serez écouté. On peut parler avec force, et attendre avec patience tout ensemble : sa faiblesse même augmentera votre autorité. Elle doit lui faire sentir combien il a besoin de se défier de lui, et d’être docile. Soyez ferme sur les points essentiels, desquels tous les autres dépendent.

Je l’aime toujours tendrement, et j’espère que Dieu ne lui aura montré le bord du précipice, que pour le guérir de sa dissipation, de son goût pour le monde, et de sa confiance en lui-même ; mais il tomberait enfin bien bas, s’il refusait d’être simple, docile et petit, parmi tant d’expériences de sa fragilité et de sa misère. Quand nous ne nous humilions pas au milieu même de l’humiliation que Dieu nous donne tout exprès pour nous réduire à la petitesse et à la souplesse, nous le forçons malgré lui à frapper des coups encore plus grands, et à nous faire éprouver de plus humiliantes faiblesses. Au contraire, notre petitesse et notre docilité dans la misère apaisent le cœur de Dieu. On peut lui dire avec confiance : vous ne mépriserez point un cœur abattu et écrasé. Dieu s’attendrit, et ne résiste point à cette souplesse des petits.

Parlez donc suivant qu’il vous sera donné une bouche et une sagesse. Tenez l’enfant par la lisière ; ne le laissez pas tomber. Ménagez votre santé, sur laquelle on me met en quelque inquiétude ; reposez-vous et soulagez-vous en tout ce que vous le pourrez. Plus vous prendrez les croix journalières comme le pain quotidien, avec paix et simplicité, moins elles détruiront votre santé faible et délicate ; mais les prévoyances et les réflexions vous tueraient bientôt. Voulez-vous mener tout comme Dieu, qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et douceurs? n’y mêlez rien d’humain, et surtout nulle volonté intéressée pour la réputation de votre famille.

1611. À LA DUCHESSE DE CHEVREUSE.[Après le 20 novembre 1712].

La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire m’a coûté des larmes. La douleur de votre perte se joint à la mienne; mais je crois que nous devons entrer, malgré toute notre amertume, dans le dessein de Dieu. Il a voulu récompenser celui que nous regrettons, et nous détacher. Il a voulu même nous ôter un appui humain pour sa gloire, sur lequel nous comptions trop. Il est jaloux des plus dignes instruments, et il veut que nous n’attendions l’accomplissement de son ouvrage que de lui-même.

Le principal fruit que Dieu vous prépare de cette épreuve, est de vous apprendre, par une expérience sensible, que vous n’étiez point encore détachée, comme vous vous flattiez de l’être. On ne se connaît que dans l’occasion, et l’occasion n’est donnée par la Providence, que pour nous détromper de notre détachement superficiel. Dieu permit l’horrible chute de saint Pierre, pour le désabuser d’une certaine ferveur sensible, et d’un courage très fragile auquel il se confiait vainement. Si vous n’aviez que la croix extérieure, quelque grande et douloureuse qu’elle soit, elle ne vous détromperait point de votre détachement : au contraire, plus la croix est accablante en soi, plus vous vous sauriez bon gré de ne vous en trouver point accablée ; ce serait un prodigieux accroissement de confiance, et par conséquent une très dangereuse illusion. La croix n’opère la petitesse et le sentiment de notre misère, qu’autant que l’intérieur nous paraît vide et obscurci, pendant que le dehors nous ébranle. Il faut voir sa pauvreté au-dedans et la supporter ; alors la pauvreté se tourne en trésor, et on a tout en n’ayant rien.

Unissons-nous de cœur à celui que nous regrettons. Il nous voit, il nous aime, il est touché de nos besoins, il prie pour nous. Il vous dit encore, d’une voix secrète, ce qu’il vous disait si souvent pendant qu’il vivait au milieu de nous: «Ne vivez que de foi ; ne comptez point sur la régularité de vos œuvres ni sur la symétrie de vos vertus ; portez en paix la vue de vos imperfections; abandonnez-vous à la Providence; ne vous écoutez point vous-même, n’écoutez que l’esprit de grâce.» Voilà ce qu’il disait; voilà ce qu’il dit encore à votre cœur. Loin de l’avoir perdu, vous le trouverez plus présent, plus uni à vous, plus secourable pour votre consolation, plus efficace dans ses conseils de perfection, si vous voulez bien changer en société de pure foi la société visible où vous étiez à toute heure avec lui. Pour moi, je trouve un vrai soulagement de cœur d’être très souvent en esprit avec lui.

Ménagez votre santé pour votre famille, qui a grand besoin de vous. Que le courage de la foi vous soutienne. C’est un courage qui n’a rien de haut, et qui ne donne point une force sensible sur laquelle on puisse compter. On ne trouve nulle ressource en soi, et on ne manque de rien dans l’occasion : on est riche de sa pauvreté. Si on fait quelque faute contre son intention, on la tourne à profit par l’humiliation qui en revient. On retombe toujours dans son centre par l’acquiescement à tout ce qui nous dépossède de notre propre cœur. On se livre à Dieu, ne se renfermant plus en soi, et n’osant plus s’y fier. Alors tout devient peu à peu recueillement, silence, dépendance de la grâce pour chaque moment, et vie intérieure en mort perpétuelle. En cet état, on ne possède plus rien de tout ce qu’on voit, et on retrouve en Dieu, avec l’union la plus simple et la plus intime, tout ce qu’on croyait avoir perdu.

1647. À LA DUCHESSE DE CHEVREUSE. À C[ambray], 20 février 1713.

Je choisis un petit papier, Madame, tout exprès pour m’ôter la tentation d’écrire une trop longue lettre. Il est bien juste de ne vous fatiguer point, pendant que vous souffrez une si longue infirmité. Je me borne à vous supplier instamment d’éviter toute application aux affaires, vous ne parviendrez point à les régler, et elles nuiront très dangereusement au rétablissement de votre santé. Au nom de Dieu, laissez la décision de tout le détail à M. du Cornet, homme habile, dit-on, et très zélé. Renfermez-vous dans les soins nécessaires pour conduire votre maison et pour ne laisser jamais altérer l’union entre les deux branches. Il suffit que M. du Cornet vous rende compte en gros des décisions faites, et des plans formés, autrement votre santé ne se rétablira point, et votre maison perdra infiniment, si elle a le malheur de vous perdre. Pour l’intérieur tout consiste à porter paisiblement vos croix. Le détachement du monde et l’amour de Dieu les adoucissent, mais cet amour, où le puise-t-on ? Dans une oraison simple, paisible, et plus du cœur que de la tête, qui nourrisse, et qui n’épuise point. Supportez vos défauts, tournez-les en source de vraie humilité. Ne vous en impatientez point contre vous-même. Corrigez-vous doucement et sans chagrin. Tournez-vous souvent du côté de Dieu avec familiarité et confiance pour trouver en lui tout ce qui vous manque en vous. Ne comptez ni sur vos goûts ni sur vos sentiments, souvent ce n’est que naturel, et imagination, mais attachez-vous à une bonne et droite volonté, quoique nue et sèche, elle sera d’un grand prix devant Dieu, si elle porte les fruits que Dieu demande. Mais je parle trop, pardon, Madame. Rien n’égale le zèle et le respect avec lequel je vous suis dévoué à jamais. …

1675. À LA DUCHESSE DE CHEVREUSE. À C[ambrai], 3 [mai] 1713.

Je ne puis, Madame, laisser partir M. Dupuy277 sans vous dire combien je suis souvent occupé de vos peines, et en crainte pour votre santé. Je connais la bonté de votre cœur et la vivacité de vos sentiments. L’embarras de vos affaires ouvre souvent toutes vos plaies. Il n’y a que Dieu seul qui puisse vous calmer. Il veut néanmoins donner la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Il faut donc que tous nos soins et tous nos désirs ne troublent point cette paix intérieure, qui est le don de Dieu. Travaillons, prions, mais possédons nos âmes en patience, et laissons-nous posséder par l’esprit de paix. Encore un peu et tout ce qui nous reste ici-bas autour de nous va s’évanouir. Nous suivrons bientôt ce que nous regrettons. Il ne s’agit que d’en imiter les vertus. Usez de ce monde comme n’en usant pas ; ce n’est qu’une figure qui passe dans le moment où l’on croit en jouir. Elle impose. Elle éblouit dans le pays où vous êtes ; mais elle n’a rien de durable ni de réel. C’est un fantôme. Heureux qui ne s’y attache point. Je souhaite fort que vous ayez établi un ordre dans vos affaires, afin qu’elles aillent un train réglé par la décision d’un bon conseil, sans vous accabler d’un détail continuel. C’est le moyen de vous conserver pour votre maison qui a un besoin infini de votre secours. Jamais personne ne vous sera dévoué, Madame, avec plus de zèle, d’attachement et de respect que. FR. AR. Duc DE CAMBRAY.

Relevé de correspondance

Lettres adressées à Charles-Honoré d’ALBERT, duc de CHEVREUSE , à Marie-Thérèse COLBERT son épouse, de & à M. TRONSON :

1688, 3 octobre,

(À Marie-Thérèse COLBERT, duchesse de CHEVREUSE :) 1690, 20 et 27 juillet, 1691,4 et 7 avril, 1694, 20 septembre,

1696, 8 mars, 24 juillet,

(de & à M. TRONSON :) 17 et 28 janvier, 2 février, 1697, 13 et 14 et 16 et 18 et 20 janvier,

1698, 4 février,

1699, 18 mai, 31 août, après le 14 septembre, vers le 4 novembre, 30 décembre,

1700, 27 janvier,

1701, 24 mars, 16 juin, ler et 18 août, 3 décembre,

1702, 7 septembre, 274-275

(Lettres de CHEVREUSE :) 1700, 11 janvier, 1701, 26 août,

1704, 19 et 28 septembre, 12 octobre,

1705, 13 janvier, début automne, 5 et 12 et 18 novembre, 29 décembre, 1707, 24 février, 17 mai, 24 décembre,

(Lettres de CHEVREUSE :) 1703, 16 mai, 2 juin, 1706, 16 novembre,

1708, 3 décembre,

1709, 24 octobre, 18 et 23 et 24 novembre, 1er et 5 et 19 décembre, 1710, 11 et 16 janvier, 10 et 23 et 24 février, 20 et 25 mars, 7 et 17 et 24 avril, 3 et 4 mai, 24 juin, 3 et 8 juillet, 4 août, 23 octobre, 2-8 novembre,

1711, 5 janvier, 15 février, 16 et 25 et 31 mars, 9 et 20 avril, 12 mai, 9 juin, 6 juillet,

1712, 2 et 11 janvier, 2 et 18 et 27 février, 8 mars, 7 juin, juillet-octobre (?),

(Lettre de CHEVREUSE :) 1712, 24 mars,

(À Marie-Thérèse COLBERT, duchesse de CHEVREUSE :) 1712, 16 novembre, après le 20 novembre, 22 décembre, 1713, 20 février, 3 mai,

Voir aussi des annotations au Tome XVIII.








Comtesse de Montberon (~1646-1720)





Marie Gruyn, née vers 1646, d’origine bourgeoise, fille d’un secrétaire du Roi, épousa en 1667 François de Montbron ou Montberon, officier de mousquetaires (v. sur le comte de Montberon : [CF 9, 258 - CF 13, 248]. Elle eut un fils et une fille. Veuve en 1708 elle mourut en 1720 au couvent de la Madeleine du Traisnel, rue de Charonne. [CF 11, 55].

La comtesse de Montberon bénéficiera d’un grand nombre de lettres provenant du très patient directeur d’une âme scrupuleuse à l’ « esprit délicat et inquiet 278». En voici des extraits choisis 279.

648. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Lundi 22 février [1700]

… Votre piété est un peu trop vive et trop inquiète. Ne vous défiez point de Dieu. Pourvu que vous ne lui manquiez point, il ne vous manquera pas, et il vous donnera les secours nécessaires pour aller à lui. Ou sa providence vous procurera des conseils au-dehors, ou son esprit suppléera au-dedans ce qu’il vous ôtera extérieurement. Croyez en Dieu fidèle dans ses promesses, et il vous donnera selon la mesure de votre foi. Fussiez-vous abandonnée de tous les hommes dans un désert inaccessible, la manne y tomberait du ciel pour vous seule, et les eaux abondantes couleraient des rochers. Ne craignez donc que de manquer à Dieu, et encore ne faut-il pas le craindre jusqu’à se troubler. Supportez-vous vous-même, comme on supporte le prochain, sans le flatter dans ses imperfections. Laissez là toutes vos délicatesses d’esprit et de sentiments. Vous voudriez les avoir avec Dieu comme avec les hommes. Il se glisse dans ces merveilles un raffinement de goût, et un retour subtil sur soi-même. …280.

660. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À Mons 30 avril

… J’ai souvent des distractions et des négligences. Mais je ne change point, surtout pour vous, Madame, et je suis touché de plus en plus du désir de votre sanctification. Je vois avec joie que Dieu vous donne certaines lumières, qui ne viennent point ni de l’esprit, ni de la délicatesse qui vous est naturelle, mais de l’expérience et d’un fonds de grâce. C’est ainsi qu’on commence à penser, quand Dieu ouvre le cœur, et qu’il veut mettre dans la vie intérieure. L’homme qui vous a parlé est bon, sage, pieux, et solide dans ses maximes. Mais il n’a pas l’expérience des choses sur lesquelles vous le consultez, et faute de cette expérience, il vous retarderait, en vous gênant, au lieu de vous aider. Ne quittez point vos sujets d’oraison, ni les livres d’où vous les tirez. Mais quand vous éprouvez un attrait au silence devant Dieu, et que vos lectures ou sujets font ce que vous appelez un bruit qui vous distrait, laissez tomber le livre de vos mains, laissez disparaître votre sujet, et ne craignez point d’écouter Dieu au fond de vous-même en faisant taire tout le reste. Les sujets pris d’abord avec fidélité vous mèneront à ce silence si profond, et ce silence vous nourrira des vérités plus substantiellement que les raisonnements les plus lumineux. …

665. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Jeudi 17 juin.

Vous avez raison, Madame, de croire que dans les moments de recueillement et de paix, dont vous m’avez parlé, on ne peut qu’aimer, et se livrer à la grâce qu’on reçoit. Ce que vous ajoutez a encore un sens très véritable. Vous dites que vous avez cru sentir que notre travail doit cesser, quand Dieu veut bien agir par lui-même. Ce n’est pas qu’on cesse alors de coopérer à la grâce, et de correspondre à ce que Dieu imprime intérieurement, car vous reconnaissez vous-même qu’alors on aime et on se livre à la grâce. L’amour est sans doute le plus parfait exercice de la volonté. Se livrer à la grâce par un choix libre, c’est sans doute y coopérer de la manière la plus réelle, et la plus parfaite. Il n’y a donc point d’oisiveté, ni de cessation d’actes dans ces moments de recueillement et de paix, où vous dites que notre travail doit cesser. Ce sont des moments où D[ieu] veut bien agir par lui-même, c’est-à-dire prévenir l’âme par des impressions plus puissantes, et la tenir en silence, pour écouter ses intimes communications; mais alors elle n’est point sans correspondance. Elle aime, elle se livre à la grâce, c’est-à-dire qu’elle fait les actes les plus simples et les plus paisibles, mais les plus réels, d’amour et de foi pour l’époux qu’elle écoute intérieurement; c’est-à-dire qu’elle acquiesce à tout ce qui est dû à l’époux et à tout ce qu’il demande par sa grâce; c’est-à-dire que l’âme s’enfonce de plus en plus dans l’amour de l’époux, dans la mort à tous les désirs terrestres, et dans toutes les vertus que l’esprit de grâce peut inspirer selon les divers besoins. Ces actes quoique très réels ne paraissent qu’une disposition de l’âme, et ils sont si généraux qu’ils paraissent confus. Mais ils ne laissent pas de contenir dans cette généralité le germe de chaque vertu particulière pour les occasions. Ne craignez donc pas, Madame, de suivre l’attrait intérieur dans ces moments de recueillement et de paix. Ces moments ne remplissent pas toute la vie. Vous en trouverez assez d’autres, où vous pourrez revenir aux règles communes. …

673. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Au Cateau, 26 juillet.

Je suis fort irrégulier, Madame. Mais vous avez besoin de mes irrégularités et de mes sécheresses. En attendant que nos amis deviennent parfaits, il faut tourner à profit pour nous leurs imperfections. […]

Ce que vous sentez est une grande nouveauté pour vous. C’est une vie toute nouvelle et inconnue. On ne se connaît plus, on croit songer les yeux ouverts. Recevez, et ne tenez à rien. Aimez, souffrez, aimez encore. Peu d’attention aux dons, sinon pour louer l’Epoux qui donne. Grande simplicité, docilité, fidélité dans l’usage en chaque moment. L’amour rend libre, en simplifiant, sans dérégler.

Dormez autant que vous pourrez. Votre corps en a besoin, et vous ne devez point y manquer par avarice d’oraison. L’esprit d’oraison fait quitter l’oraison même, pour se conformer aux ordres de la Providence. Pendant que vous dormirez, votre cœur veillera. …

677. À LA COMTESSE DE MONTBERON.  Jeudi 5 août.

… Je ne suis point pressé de ravoir les livres. Ne les lisez que quand vous n’avez rien de meilleur à faire. […] Les paroles propres des saints sont bien autres que les discours de ceux qui ont voulu les dépeindre. Ste Cath[erine de G[ênes] est un prodige d’amour. Le Frère L[aurent] est grossier par nature, et délicat par grâce. Ce mélange est aimable, et montre Dieu en lui. Je l’ai vu, et il y a un endroit du livre, où l’auteur, sans me nommer par mon nom, raconte en deux mots une excellente conversation, que j’eus avec lui sur la mort, pendant qu’il était fort malade, et fort gai.

679. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À C[ambrai], 2 septembre.

Je suis ravi, Madame, non seulement de ce que Dieu fait dans votre cœur, mais encore du commencement de simplicité qu’il vous donne, pour me le confier. […] Dieu veut qu’on soit libre avec lui, quand on ne cherche que lui seul. L’amour est familier. Il ne réserve rien. Il ne ménage rien. Il se montre dans tous ses premiers mouvements au bien-aimé. Quand on a encore des ménagements à son égard, il y a dans le cœur quelque autre amour qui partage, qui retient, qui fait hésiter. On ne retourne tant sur soi, avec inquiétude, qu’à cause qu’on veut garder quelque autre affection, et qu’on borne l’union avec le bien-aimé. Vous qui connaissez tant les délicatesses de l’amitié, ne sentiriez-vous pas les réserves d’une personne pour qui vous n’en auriez aucune et qui mesurerait toujours sa confiance, pour ne la laisser jamais aller au-delà de certaines bornes? Vous ne manqueriez pas de lui dire: Je ne suis point avec vous comme vous êtes avec moi; je ne mesure rien: je sens que vous mesurez tout. Vous ne m’aimez point comme je vous aime, et comme vous devriez m’aimer. Si vous, créature indigne d’être aimée, voudriez une amitié simple et sans réserve, combien l’époux sacré est-il en droit d’être plus jaloux ! Soyez donc fidèle à croître en simplicité. Je ne vous demande point des choses qui vous troublent, ou qui vous gênent. Je suis content pourvu que vous ne résistiez point à l’attrait de simplicité, et que vous laissiez tomber tous les retours inquiets, qui y sont contraires, dès que vous les apercevez.

Suivez librement la pente de votre cœur pour vos lectures, et à l’égard de l’oraison que l’épouse ne soit point éveillée, jusqu’à ce qu’elle s’éveille d’elle-même. […]

Je suis sec et irrégulier. Mais Dieu est bon dans ceux qui ont besoin de bonté pour faire son œuvre, et dont il se sert. Confiez-vous donc à Dieu, et ne regardez que lui seul. C’est le bon ami, dont le cœur sera toujours infiniment meilleur que le vôtre. Défiez-vous de vous-même, et non de lui. Il est jaloux. Mais sa jalousie est un grand amour, et nous devons être jaloux pour lui contre nous, comme il l’est lui-même. Fiez-vous à l’amour. Il ôte tout. Mais il donne tout. Il ne laisse rien dans le cœur que lui, et il ne peut y rien souffrir. Mais il suffit seul pour rassasier, et il est lui seul toutes choses. Pendant qu’on le goûte, on est enivré d’un torrent de volupté, qui n’est pourtant qu’une goutte des biens célestes. L’amour goûté et senti ravit, transporte, absorbe, rend tous les dépouillements indifférents. Mais l’amour insensible, qui se cache pour dénuer l’âme au dedans, la martyrise plus que mille dépouillements extérieurs. Laissez-vous maintenant enivrer dans les celliers de l’Époux.

688. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Dimanche au soir 7 novembre.

On ne peut, Madame, être plus touché que je le suis de ce qui vous regarde. Il m’a paru dans notre conversation que vos scrupules vous ont un peu retardée et desséchée. Ils vous feraient des torts irréparables, si vous les écoutiez. C’est une vraie infidélité. Vous avez la lumière pour les laisser tomber, et si vous y manquez, vous contristerez en vous le S. Esprit. Où est l’esprit de Dieu, là est la liberté.281. Où est la gêne, le trouble, et la servitude, là est l’esprit propre, et un amour excessif de soi. O que le parfait amour est éloigné de ces inquiétudes! On n’aime guère le bien-aimé, quand on est si occupé de ses propres délicatesses! Vos peines ne sont venues que d’infidélité. Si vous n’eussiez point résisté à Dieu, pour vous écouter, vous n’auriez pas tant souffert. Rien ne coûte tant que ces recherches d’un soulagement imaginaire. Comme un hydropique en buvant augmente sa soif, un scrupule en écoutant ses scrupules, les augmente, et le mérite bien282. Le seul remède est de se faire taire, et de se tourner d’abord vers Dieu. C’est l’oraison et non pas la confession qui guérit alors le cœur. Travaillez donc à réparer le temps perdu; car franchement je vous trouve un peu déchue et affaiblie. Mais cet affaiblissement se tournera à profit. Car l’expérience de la privation, de l’épreuve, et de votre faiblesse, portera sa lumière avec elle, et vous empêchera de tenir trop à ce que l’état de paix et d’abondance a de doux et de lumineux. Courage donc. Soyez simple. Vous ne l’êtes pas assez, et c’est ce qui vous empêche souvent de tout dire, et de questionner.

Pour moi je suis dans une paix sèche, obscure et languissante, sans ennui, sans plaisir, sans pensée d’en avoir jamais aucun, sans aucune vue d’avenir en ce monde, avec un présent insipide, et souvent épineux, avec un je ne sais quoi qui me porte, qui m’adoucit chaque croix, qui me contente sans goût. C’est un entraînement journalier283; cela a l’air d’un amusement par légèreté d’esprit, et par indolence. Je vois tout ce que je porte. Mais le monde me paraît comme une mauvaise comédie, qui va disparaître dans quelques heures. Je me méprise encore plus que le monde. Je mets tout au pis aller, et c’est dans le fond de ce pis aller pour toutes les choses d’ici-bas, que je trouve la paix. Il me semble encore que D[ieu] me traite trop doucement et j’ai honte d’être tant épargné. Mais ces pensées ne me viennent pas souvent, et la manière la plus fréquente de recevoir mes croix, est de les laisser venir et passer, sans m’en occuper volontairement. C’est comme un domestique indifférent, qu’on voit entrer et sortir de sa chambre, sans lui rien dire. Du reste je ne veux vouloir que D[ieu] seul pour moi, et pour vous aussi, Madame. Qu’est-ce qui suffira à celui à qui le vrai amour ne suffit pas?284.

699. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Dimanche 26 déc[embre].

Vous ne vous trompez point, Madame, en disant que l’élévation que l’amour donne n’enfle point le cœur. C’est une marque qui rassure contre la crainte de l’illusion. L’amour, selon l’expérience intime, est bien plus Dieu que nous. C’est Dieu qui s’aime lui-même dans notre cœur285. On trouve que c’est quelque chose qui fait toute notre vie, et qui est néanmoins supérieur à nous. Nous n’en pouvons rien prendre pour nous en glorifier. Plus on aime Dieu, plus on sent que c’est D[ieu] qui est tout ensemble l’amour et le bien-aimé. O qu’on est éloigné de se savoir bon gré d’aimer, quand on aime véritablement. L’amour est emprunté. On sent qu’il fait tout, et que rien ne se ferait, s’il ne nous était donné pour tout faire. Hélas! qu’aimerais-je, si ce n’est moi-même, si je n’aimais que de mon propre fond? Dieu qui sait tout assaisonner, ne donne jamais le plus sublime amour sans son contrepoids. On éprouve tout ensemble au dedans de soi deux principes infiniment opposés. On sent une faiblesse et une imperfection étonnante dans tout ce qui est propre. Mais on sent par emprunt un transport d’amour, qui est si disproportionné à tout le reste, qu’on ne peut se l’attribuer. […]

Rien n’est si contraire à la simplicité que le scrupule. Il cache je ne sais quoi de double et de faux. On croit n’être en peine que par délicatesse d’amour pour Dieu. Mais dans le fond on est inquiet pour soi, et on est jaloux pour sa propre perfection par un attachement naturel à soi. On se trompe pour se tourmenter, et pour se distraire de Dieu sous prétexte de précaution.

701. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À Cambray 5 janvier 1701.

… Souvenez-vous de ce que dit le Chrétien intérieur 286. Ceux qui ne veulent point souffrir n’aiment point, car l’amour veut toujours souffrir pour le bien-aimé. Vous ne vous trompez point, en distinguant la bonne volonté du courage. Le courage est une certaine force et une certaine grandeur de sentiment287, avec laquelle on surmonte tout. Pour les âmes que D[ieu] veut tenir petites, et à qui il ne veut laisser que le sentiment de leur propre faiblesse, elles font tout ce qu’il faut sans trouver en elles de quoi le faire, et sans se promettre d’en venir à bout. Tout les surmonte selon leur sentiment, et elles surmontent tout par un je ne sais quoi, qui est en elles sans qu’elles le sachent, qui s’y trouve tout à propos au besoin288, comme d’emprunt, et qu’elles ne s’avisent pas même de regarder comme leur étant propre. Elles ne pensent point à bien souffrir. Mais insensiblement chaque croix se trouve portée jusqu’au bout dans une paix simple et amère, où elles n’ont voulu que ce que Dieu voulait. Il n’y a rien d’éclatant, rien de fort, rien de distinct aux yeux d’autrui, et encore moins aux yeux de la personne. Si vous lui disiez qu’elle a bien souffert, elle ne le comprendrait pas. Elle ne sait pas elle-même comment tout cela s’est passé. À peine trouve-t-elle son cœur, et elle ne le cherche pas. Si elle voulait le chercher, elle en perdrait la simplicité et sortirait de son attrait. C’est ce que vous appelez une bonne volonté, qui paraît moins, et qui est beaucoup plus que ce qu’on appelle d’ordinaire courage. La bonne eau ne sent rien. Plus elle est pure, moins elle a de goût. Elle n’est d’aucune couleur. Sa pureté la rend transparente, et fait que n’étant jamais colorée, elle paraît de toutes les couleurs des corps solides où vous la mettez. La bonne volonté qui n’est plus qu’amour de celle de Dieu, n’a plus ni éclat ni couleur par elle-même. Elle est seulement en chaque occasion ce qu’il faut qu’elle soit, pour ne vouloir que ce que Dieu veut. …289.

967. À LA COMTESSE DE MONTBERON. [1701?]290

…le moindre clin d’œil pourrait ramener les anciens orages. Dieu veuille que les vôtres ne reviennent point par les scrupules. Je crains beaucoup moins pour Mad. d’[Oisy] des peines qui lui viennent d’autrui, et qui contribuent à son salut, que celles dont vous vous troubleriez vous-même contre l’attrait de Dieu. Marchez en simplicité, et l’esprit de paix reposera sur vous. Votre paix serait abondante, comme les eaux d’un fleuve, et votre justice serait plus profonde que les abîmes de la mer. D[ieu] ne cherche qu’à vous donner. Ne vous ôtez rien à vous-même. Si l’épouse ne faisait que raisonner et se troubler, elle ne dirait jamais : mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui.291 Vos raisonnements sont des distractions volontaires. …

724. À LA COMTESSE DE MONTBERON A C[ambrai] 10 juin.

… La vie de pure foi a deux choses; la première est qu’elle fait voir Dieu seul sous toutes les enveloppes imparfaites, où il se cache. La seconde est de tenir une âme sans cesse en suspens. On est toujours comme en l’air, sans pouvoir toucher du pied à terre. La consolation d’un moment ne répond jamais de la consolation du moment qui suivra. Il faut laisser faire Dieu dans tout ce qui dépend de lui, et ne songer qu’à être fidèle dans tout ce qui dépend de nous. Cette dépendance de moment à autre, cette obscurité, et cette paix de l’âme dans l’incertitude de ce qui lui doit arriver chaque jour, est un vrai martyre intérieur, et sans bruit. C’est être brûlé à petit feu. Cette mort est si lente, et si interne, qu’elle est souvent presque aussi cachée à l’âme qui la souffre, qu’aux personnes qui ignorent son état. Quand Dieu vous ôtera ce qu’il vous donne, il saura bien le remplacer, ou par d’autres instruments, ou par lui-même. Les pierres mêmes deviennent dans sa main des enfants d’Abraham. Un corbeau portait tous les jours la moitié d’un pain à S. Paul ermite292 dans un désert inconnu aux hommes. Si le saint eût hésité dans la foi, et s’il eût voulu s’assurer un jour d’un autre demi-pain pour le jour suivant, le corbeau ne serait peut-être point revenu. Mangez donc en paix le demi-pain de chaque jour que le corbeau vous apporte. A Chaque jour suffit son mal. Le jour de demain aura soin de lui-même 293. Celui qui nourrit aujourd’hui est le même qui nourrira demain. On reverra la manne tomber du ciel dans le désert, plutôt que de laisser les enfants de Dieu sans nourriture. …294.

743. À LA COMTESSE DE MONTBERON A C[ambrai] 21 août.

Je ne voudrais, Madame, vous donner que de la consolation, et je ne puis éviter de vous contredire. Votre vivacité vous fait imputer aux hommes comme à Dieu ce qu’ils n’ont jamais pensé. Sur quel fondement pensez-vous que je veuille me décharger de votre conduite, et vous renvoyer au père[...]295 ? Je n’ai en vérité jamais eu cette pensée. Je crois bien qu’il peut vous être fort utile pour vous soutenir en mon absence contre vos scrupules, et contre vos impatiences de vous confesser. Mais je ne vais pas plus loin, et si vous vouliez me quitter pour vous mettre absolument dans ses mains, je crois que je vous dirais avec simplicité : ne le faites pas. Quoique j’estime fort sa grâce et son expérience, il me semble qu’il ne vous convient pas tout à fait, et que vous manqueriez à D[ieu] en quittant l’attrait qu’il vous a donné pour me croire. Demeurez donc en paix, n’écoutez point votre imagination trop vive et trop féconde en vues. Cette activité prodigieuse consume votre corps, et dessèche votre intérieur. Vous vous dévorez inutilement. Il n’y a que votre inquiétude qui suspende la paix et l’onction intérieure. Comment voulez-vous que D[ieu] parle de cette voix douce et intime, qui fait fondre l’âme, quand vous faites tant de bruit par tant de réflexions rapides’? Taisez-vous, et D[ieu] reparlera. N’ayez qu’un seul scrupule, qui est d’être scrupuleuse en désobéissant. Loin de vouloir quitter l’autorité, je voudrais la prendre, et c’est vous qui me la refusez, en ne voulant pas me croire sur vos confessions.

J’ai dit à M. le C[omte de Montberon] que j’apercevais combien vos scrupules nuisaient à votre santé, afin qu’il sentît combien vous avez besoin du séjour de Cambray. Il m’a paru croire que la lecture de sainte Thérèse et des autres livres spirituels avaient réveillé vos scrupules par des idées de perfection. Je n’ai pas insisté, de peur qu’il ne me crût prévenu. Vous voyez ce que fait votre activité, sur laquelle vous n’êtes point docile.

Vous demandez de la consolation. Sachez que vous êtes sur le bord de la fontaine, sans vouloir vous désaltérer. …296.

771. À LA COMTESSE DE MONTBERON (?). [Vers le 6 novembre].

Cette tristesse, qui vous fait languir, m’alarme et me serre le cœur. Je la crains plus pour vous que toutes les douleurs sensibles. Je sais par expérience ce que c’est d’avoir le cœur flétri et dégoûté de tout ce qui pourrait lui donner du soulagement. Je suis encore à certaines heures dans cette disposition d’amertume générale, et je sens bien que si elle était sans intervalle, je ne pourrais y résister longtemps.

Je viens de faire une mission à Tournay : tout cela s’est assez bien passé, et l’amour-propre même y pourrait avoir quelque petite douceur; mais dans le fond le bien que nous faisons est peu de chose. Si on n’était soutenu par l’esprit de foi, pour travailler sans voir le fruit de son travail, on se découragerait ; car on ne gagne presque rien ni sur les hommes pour les persuader ni sur soi-même pour se corriger. O qu’il y a loin depuis le mépris et la lassitude de soi-même jusqu’à la véritable correction! Je suis à moi-même tout un grand diocèse, plus accablant que celui du dehors et que je ne saurais réformer. Mais il faut se supporter sans se flatter, comme on doit le faire pour le prochain.

817. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À C[ambrai] 17 avril 1702.

… À mon retour, j’espère que nous aurons ici Mad. la d[uchesse] de Mortemart, qui viendra aux eaux. Je serai ravi que vous puissiez faire connaissance. Vous en serez bien contente, et bien édifiée297. En attendant je vous recommande à D[ieu] et à notre bonne pendule.298 Ne vous défiez jamais de l’ami fidèle qui ne nous manque point, quoique nous lui manquions si souvent. Je suppose toutes les infidélités imaginables en vous, et je mets tout au pis-aller. Hé bien! que s’ensuit-il de là? Si vous avez manqué à Dieu, en vous éloignant d’ici, il n’y a qu’à ne plus lui résister, et qu’à rentrer dans votre place. Dieu n’est pas comme les hommes dont la vaine délicatesse se tourne en dépit et en indignation sans retour. Quand vous auriez manqué à D[ieu] cent et cent fois, revenez sincèrement, cessez de lui résister. Aussitôt il vous tend les bras. […] Désirez la chose, cessez d’y résister intérieurement, tout est fait. Dieu n’a pas besoin de la présence sensible pour tirer les fruits des unions qu’il opère: la seule volonté suffit. On demeure uni, la mer entre-deux: on est intimement en société dans le sein de celui qui ne connaît aucune distance de lieux, et qui anéantit toutes les distances par son immensité. On se communique, on s’entend, on se console, on se nourrit, sans se voir, et sans s’entendre. Dieu prend plaisir à suppléer tout. Est-on ensemble, sans correspondre de cœur, et sans acquiescer à l’union que D[ieu] veut, on s’agite, on se dessèche, on s’épuise, on dépérit, et la paix fuit d’un cœur qui résiste à Dieu. Est-on à mille lieues les uns les autres, sans espérance de se voir ni de s’écrire, la seule correspondance de volonté détruit toutes les distances. Il n’y a point d’entre-deux entre des volontés dont D[ieu] est le centre commun. On s’y retrouve, et c’est une présence si intime, que celle qui est sensible n’est rien en comparaison. Ce commerce est tout autre que celui de la parole. Les âmes mêmes qui sont dans cette union sont souvent ensemble sans pouvoir se résoudre à se parler. Elles sont trop unies pour parler, et trop occupées de leur vie commune pour se donner des marques d’attention. Elles sont ensemble une même chose en D[ieu] comme sans distinction. D[ieu] est alors comme une même âme dans deux corps différents299.

Demeurez donc, Madame, en paix dans le lieu où D[ieu] vous retient. Mais que votre cœur soit tout entier où il vous appelle. La paix ne dépend que de la non-résistance de la volonté. Reprenez doucement vos anciennes lectures. Remettez-vous en commerce avec votre bon et ancien ami S[aint] Fr[ançois] de Sales. Faites comme une personne convalescente. Il la faut nourrir d’aliments délicats, et lui en donner peu et souvent. C’est une espèce d’enfance. La lecture ramènera peu à peu l’oraison. L’oraison élargira le cœur, et rappellera la familiarité avec l’Époux. Laissez faire Dieu. Unissez-vous, je vous en conjure, à mes intentions. Pour moi je vous porterai devant D[ieu] partout où j’irai, et vous me serez partout présente en foi. […]300.

867. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Mardi, 10 octobre 1702.

Vous avez, Madame, deux choses qui s’entre-soutiennent, et qui vous font des maux infinis. L’une est le scrupule enraciné dans votre cœur depuis votre enfance, et poussé jusqu’aux derniers excès pendant tant d’années.

L’autre est votre attachement à vouloir toujours goûter, et sentir le bien. Le scrupule vous ôte souvent le goût et le sentiment de l’amour, par le trouble, où il vous jette. D’un autre côté, la cessation du goût et du sentiment réveille et redouble tous vos scrupules; car vous croyez ne rien faire, avoir perdu Dieu, et être dans l’illusion, dès que vous cessez de goûter et de sentir la ferveur de l’amour. Ces deux choses devraient au moins servir à vous convaincre de la grandeur de votre amour-propre.

Vous avez passé votre vie à croire que vous étiez toujours toute aux autres et jamais à vous-même. Rien ne flatte tant l’amour-propre, que ce témoignage qu’on se rend intérieurement à soi-même de n’être jamais dominé par l’amour-propre, et d’être toujours occupé d’une certaine générosité pour le prochain. Mais toute cette délicatesse qui paraît pour les autres est dans le fond pour vous-même. Vous vous aimez jusqu’à vouloir sans cesse vous savoir bon gré de ne vous aimer pas; toute votre délicatesse ne va qu’à craindre de ne pouvoir pas être assez contente de vous-même. Voilà le fond de vos scrupules. Vous en pouvez découvrir le fond par votre tranquillité sur les fautes d’autrui. Si vous ne regardiez que Dieu seul et sa gloire, vous auriez autant de délicatesse et de vivacité sur les fautes d’autrui, que sur les vôtres. Mais c’est le moi qui vous rend si vive et si délicate. Vous voulez que Dieu aussi bien que les hommes soit content de vous, et que vous soyez toujours contente de vous-même dans tout ce que vous faites par rapport à Dieu.

D’ailleurs vous n’êtes point accoutumée à vous contenter d’une bonne volonté toute sèche et toute nue. Comme vous cherchez un ragoût d’amour-propre, vous voulez un sentiment vif, un plaisir qui vous réponde de votre amour, une espèce de charme et de transport. Vous êtes trop accoutumée à agir par imagination, et à supposer que votre esprit et votre volonté ne font point les choses, quand votre imagination ne vous les rend pas sensibles. Ainsi tout se réduit chez vous à un certain saisissement semblable à celui des passions grossières, ou à celui que causent les spectacles. À force de délicatesse on tombe dans l’extrémité opposée, qui est la grossièreté de l’imagination. Rien n’est si opposé non seulement à la vie de pure foi, mais encore à la vraie raison. Rien n’est si dangereux pour l’illusion, que l’imagination, à laquelle on s’attache pour éviter l’illusion même. Ce n’est que par l’imagination qu’on s’égare. Les certitudes qu’on cherche par imagination, par goût et par sentiment, sont les plus dangereuses sources du fanatisme.

Il faut prendre le goût sensible, quand Dieu le donne, comme un enfant prend la mamelle quand la mère la lui présente. Mais il faut se laisser sevrer, quand il plaît à Dieu. La mère n’abandonne et ne rejette point son enfant, quand elle lui ôte le lait, pour le nourrir d’un aliment moins doux et plus solide. Vous savez que tous les saints les plus expérimentés ont compté pour rien l’amour sensible, et même les extases, en comparaison d’un amour nu et souffrant dans l’obscurité de la pure foi. Autrement il ne se ferait jamais ni épreuve ni purification dans les âmes. Le dépouillement et la mort ne se feraient qu’en paroles, et on n’aimerait Dieu, qu’autant qu’on sentirait toujours un goût délicieux et une espèce d’ivresse en l’aimant. Est-ce donc là à quoi aboutit cette délicatesse, et ce désintéressement d’amour, dont on veut se flatter ?

Voilà, Madame, le fond vain et corrompu que Dieu veut vous montrer dans votre cœur. Il faut le voir avec cette paix et cette simplicité, qui font l’humilité véritable. Être inconsolable de se voir imparfait, c’est un dépit d’orgueil et d’amour-propre. Mais voir en paix toute son imperfection, sans la flatter ni tolérer; vouloir la corriger, mais ne s’en dépiter point contre soi-même, c’est vouloir le bien pour le bien même, et pour Dieu qui le demande, sans le vouloir pour s’en faire une parure, et pour contenter ses propres yeux.

Pour venir à la pratique, tournez vos scrupules contre cette vaine recherche de votre contentement dans les vertus. Ne vous écoutez point vous-même. Demeurez dans votre centre, où est votre paix. Prenez également le goût et le dégoût. Quand le goût vous est ôté, aimez sans goûter et sans sentir, comme il faut croire sans voir et sans raisonner.

Surtout, ne me cachez rien. Votre délicatesse qui paraît si régulière se tourne en irrégularité. Rien ne vous éloigne tant de la simplicité et même de la franchise. Elle vous donne des duplicités et des replis, que vous ne connaissez pas vous-même. Dès que vous vous sentez hors de votre simplicité et de votre paix, avertissez-moi. L’enfant dès qu’il a peur se jette sans raisonner au cou de sa mère’. Si vous ne pouvez me parler, au moins dites-moi que vous ne le pouvez pas, afin que je rompe malgré vous les glaces, et que j’exorcise le démon muet.

Vous n’avez jamais rien fait de si bien que ce que vous fîtes l’autre jour. Gardez-vous bien de vous en repentir. Il ne faut ni s’en repentir ni s’en savoir bon gré. Le prix de ces sortes d’actions consiste tout dans leur simplicité. Il faut qu’elles échappent sans aucun retour. On les gâte en les regardant. Le vrai moyen de faire souvent des choses à peu près semblables, c’est de ne se souvenir point d’avoir fait celle-là.

De plus, je dois vous dire en présence de N[otre]-S[eigneur] qui voit les derniers replis des consciences, ce que vous n’avez jamais voulu croire jusqu’ici, mais que je ne cesserai jamais de vous dire. C’est que je n’ai jamais senti jusqu’au moment présent, ni répugnance, ni dégoût, ni froideur, ni peine pour tout ce qui a rapport à vous. Si j’en sentais, je vous le dirais et je n’en ferais pas moins tout ce qu’il faudrait pour vous aider dans la voie de Dieu. J’espérerais même qu’en vous l’avouant, j’apaiserais votre trouble intérieur; car cette franchise devrait vous toucher. On n’est pas maître de ses goûts et de ses sentiments. Si on ne l’est pas à l’égard de D[ieu] faut-il s’étonner qu’on ne le soit pas à l’égard des hommes? Vous savez qu’on n’en aime et qu’on n’en sert pas moins Dieu, quoiqu’on soit souvent privé de tout goût dans son amour, et qu’on y éprouve des répugnances horribles. Dieu veut bien être aimé et servi de cette façon. Il y prend ses plus grandes complaisances: pourquoi n’en feriez-vous pas autant? Encore une fois, Madame, je vous l’avouerais, si Dieu permettait que je fusse dans cette peine à votre égard. Mais j’en suis infiniment éloigné, et je ne l’ai jamais éprouvée une seule fois. Mais tout ce que je vous dis ne peut vous persuader. Vous voulez croire vos réflexions, plus que mes propres sentiments sur moi-même. Comment pourriez-vous me croire avec quelque docilité sur d’autres choses, puisque vous refusez de me croire sur ce qui se passe en moi? Il ne s’agit point de certains motifs subtils, qui peuvent se déguiser dans le cœur. Il s’agit de goût, et de dégoût sensible, journalier, continuel. Vous voulez deviner sur autrui avec infaillibilité, et supposer que je sens à toute heure ce que je n’aperçois jamais. Ou bien vous voulez croire que je ne fais que vous mentir. Au reste, je vous déclare devant D[ieu] que je ne vous ai jamais crue fausse, et que je n’ai jamais eu aucune pensée qui approche de celle-là. Mais j’ai pensé et je pense encore que votre délicatesse pour prendre tout sur vous, et pour cacher vos peines à celui qui devrait les savoir, vous fait faire des réserves que d’autres font par fausseté. Si c’est là dire que vous êtes fausse, j’avoue, que je ne sais pas la valeur des termes. Pour moi, je crois avoir dit que vous n’êtes pas fausse, en parlant ainsi. Oserai-je aller plus loin? Supposé même (ce qui a toujours été infiniment contraire à ma pensée) que j’eusse dit que vous étiez fausse en certaines démonstrations par délicatesse et par politesse, devriez-vous être si sensible à cette opinion injuste que j’aurais de vous? Plusieurs saintes âmes se sont laissé condamner injustement par leurs directeurs prévenus. Elles leur ont laissé croire qu’elles étaient hypocrites, et elles sont demeurées humbles et dociles sous leur conduite. Pourquoi faut-il que vous soyez si vive sur une prévention infiniment moindre, et que je ne cesse de vous désavouer devant Dieu? En vérité, Madame, Dieu permet en cette occasion que tout le venin de votre amour-propre se montre au-dehors, afin qu’il sorte de votre fond, et que votre cœur en soit vidé. Vous ne l’auriez jamais pu bien connaître autrement. Pour moi loin d’être fatigué de vous, et du soin de vous conduire à Dieu, je ne le suis que de vos discrétions. Je ne crains que de n’avoir pas cette prétendue fatigue. Mais vous ne m’échapperez point. Je vous poursuivrai sans relâche, et j’espère que Dieu après que l’orage sera diminué, vous fera voir, combien je suis attaché à vous pour sa gloire. Du moins, acquiescez en général à ce que vous ne voyez pas encore pendant le trouble de votre cœur. Unissez-vous à moi devant Dieu, pour le laisser opérer en vous ce que la nature révoltée craint. Défiez-vous non seulement de votre imagination, mais encore de votre esprit, et des vues qui vous paraissent les plus claires. Pour moi je vais prier sans relâche pour vous. Mais je le fais avec une amertume et une souffrance intérieure, qui est pis que la fièvre. Je vous conjure, au nom de Dieu et de J[ésus]-C[hrist] notre vie, de ne sortir point de l’obéissance. Je vous attends et rien ne peut me consoler que votre retour.301

1968. À LA COMTESSE DE MONTBERON [milieu mai 1703]302

Oui, je consens avec joie que vous m’appeliez votre père ; je le suis, et le serai toujours. Il n’y manque qu’une pleine persuasion et confiance de votre part; mais il faut attendre que votre cœur soit élargi. C’est l’amour-propre qui le resserre. On est bien à l’étroit, quand on se renferme au dedans de soi : au contraire, on est bien au large, quand on sort de cette prison, pour entrer dans l’immensité de Dieu et dans la liberté de ses enfants.

Je suis ravi de vous voir dans les impuissances où Dieu vous réduit. Sans ces impuissances, l’amour-propre ne pouvait être ni convaincu ni renversé. Il avait toujours des ressources secrètes et des retranchements impénétrables dans votre courage et dans votre délicatesse. Il se cachait à vos propres yeux, et se nourrissait du poison subtil d’une générosité apparente, où vous vous sacrifiiez toujours pour autrui. Dieu a réduit votre amour-propre à crier les hauts cris, à se démasquer, à découvrir l’excès de sa jalousie. O que cette impuissance est douloureuse et salutaire tout ensemble ! Tant qu’il reste de l’amour-propre, on est au désespoir de le montrer; mais tant qu’il y a encore un amour-propre à poursuivre jusque dans les derniers replis du cœur, c’est un coup de miséricorde infinie que Dieu vous force à le laisser voir. Le poison devient un remède. L’amour-propre poussé à bout ne peut plus se cacher et se déguiser. Il se montre dans un transport de désespoir; en se montrant, il déshonore toutes les délicatesses, et dissipe les illusions flatteuses de toute la vie: il paraît dans toute sa difformité. C’est vous-même idole de vous-même, que Dieu met devant vos propres yeux. Vous vous voyez, et vous ne pouvez vous empêcher de vous voir. Heureusement vous ne vous possédez plus, et vous ne pouvez plus empêcher de vous laisser voir aux autres. Cette vue si honteuse d’un amour-propre démasqué fait le supplice de l’amour-propre même. Ce n’est plus cet amour-propre si sage, si discret, si poli, si maître de lui-même, si courageux pour prendre tout sur soi, et rien sur autrui. Ce n’est plus cet amour-propre qui vivait de cet aliment subtil de croire qu’il n’avait besoin de rien, et qui, à force d’être grand et généreux, ne se croyait pas même un amour-propre. C’est un amour-propre d’enfant jaloux d’une pomme, qui pleure pour l’avoir. Mais à cet amour-propre enfantin est joint un autre amour-propre bien plus tourmentant. C’est celui qui pleure d’avoir pleuré, qui ne peut se taire, et qui est inconsolable de ne pouvoir plus cacher son venin. Il se voit indiscret, grossier, importun, et il est forcené de se voir dans cette affreuse situation. Il dit comme Job: Ce que je craignais le plus est précisément ce qui m’est arrivé.303

926. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À Cambrai, lundi 30 juillet 1703.

Il y a longtemps, ma chère fille, que rien ne m’a fait un plus sensible plaisir que votre lettre d’hier. Elle vient d’un seul trait, comme vous le dites. C’est ainsi qu’il faut s’épancher sans réflexion. Il faut vous accoutumer à la privation. La grande peine qu’elle cause montre le grand besoin qu’on en a. Ce n’est qu’à cause qu’on s’approprie la lumière, la douceur et la jouissance, qu’il faut être dénué et désapproprié de toutes ces choses. Tandis qu’il reste à l’âme un attachement à la consolation, elle a besoin d’en être privée. Dieu goûté, senti, et bienfaisant, est Dieu. Mais c’est Dieu avec des dons qui flattent l’âme. Dieu en ténèbres, en privations, et en délaissements, est tellement Dieu, que c’est D[ieu] tout seul, et nu pour ainsi dire. Une mère qui veut attirer son petit enfant, se présente à lui les mains pleines de douceurs et de jouets. Mais le père se présente à son fils déjà raisonnable, sans lui donner aucun présent. Dieu fait encore plus; car il voile sa face, il cache sa présence, et ne se donne souvent aux âmes qu’il veut épurer, que dans la profonde nuit de la pure foi. Vous pleurez comme un petit enfant le bonbon perdu. Dieu vous en donne de temps en temps. Cette vicissitude console l’âme par intervalles, quand elle commence à perdre courage, et l’accoutume néanmoins peu à peu à la privation. Dieu ne veut ni vous décourager, ni vous gâter. Abandonnez-vous à cette vicissitude, qui donne tant de secousses à l’âme, et qui en l’accoutumant à n’avoir ni état fixe ni consistance, la rend souple, et comme liquide pour prendre toutes les formes qu’il plaît à Dieu. C’est une espèce de fonte du cœur. C’est à force de changer de forme qu’on n’en a plus aucune à soi. L’eau pure et claire n’est d’aucune couleur ni d’aucune figure: elle est toujours de la couleur et de la figure que lui donne le vase qui la contient. Soyez de même en Dieu.

Pour les réflexions pénibles et humiliantes, soit sur vos fautes, soit sur votre état temporel, regardez-les comme des délicatesses de votre amour-propre. La douleur sur toutes ces choses est plus humiliante que les choses mêmes. Mettez le tout ensemble, la chose qui afflige avec l’affliction de la chose, et portez cette croix sans songer, ni à la secouer, ni à l’entretenir. Dès que vous la porterez avec cette indifférence pour elle, et cette simple fidélité pour Dieu, vous aurez la paix, et la croix deviendra légère dans cette paix toute sèche, et toute simple. […]

933. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Jeudi 23 août 1703.

Vous voyez bien, ma chère fille, que toutes vos peines ne viennent jamais que de jalousie, ou de délicatesse d’amour-propre, ou d’un fonds de scrupule, qui est encore un amour-propre enveloppé. […] Il [Dieu] permet aussi que vous tombiez dans certaines choses très contraires à votre excessive délicatesse et discrétion, aux yeux d’autrui, pour vous faire mourir à cette délicatesse et à cette discrétion, dont vous étiez si jalouse. Il vous fait perdre terre, afin que vous ne trouviez plus aucun appui sensible ni dans votre propre cœur, ni dans l’approbation du prochain. Enfin il permet que vous croyez voir le prochain tout autre qu’il n’est à votre égard, afin que votre amour-propre perde toute ressource flatteuse de ce côté-là. Le remède est violent. Mais il n’en fallait pas moins, pour vous déposséder de vous-mêmes, et pour forcer tous les retranchements de votre orgueil. Vous voudriez mourir, mais mourir sans douleur en pleine santé. Vous voudriez être éprouvée, mais discerner l’épreuve, et lui être supérieure, en la discernant. Les jurisconsultes disent sur les donations: Donner et retenir ne vaut. Il faut même donner tout ou rien, quand D[ieu] veut tout. Si vous n’avez pas la force de le donner, laissez-le prendre. …

946. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Lundi soir, 3 novembre 1703.

Comment pouvez-vous vous imaginer que je puisse être tenté de vous abandonner? C’est moi qui ne veux pas que vous m’abandonniez. Aucun de vos défauts ne me lasse. Je voudrais que vous les pussiez voir comme je les vois, et que vous les supportassiez avec la même paix dont je les supporte. Ils se tourneraient tous à profit pour vous. Quand D[ieu] vous laisse un peu respirer, vous voyez sa bonté. Mais dès qu’il recommence en vous son ouvrage, vous défaites ce qu’il fait à mesure qu’il y travaille. Vous écoutez votre imagination jusqu’à n’écouter plus ni Dieu, ni l’homme qui doit vous parler en son nom. Vous êtes alors indocile, révoltée, et comme possédée d’un esprit de désespoir. Ce n’est point la peine qui cause l’infidélité. Mais c’est l’infidélité qui cause la peine. Une certaine douleur paisible dans l’obscurité et dans la sécheresse ne serait rien que de bon. Il faut bien souffrir pour mourir. Le dépouillement ne se fait pas sans douleur, mais le trouble du fond ne vient que de l’infidélité avec laquelle vous écoutez la tentation. …304

1033. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Lundi 26 janvier 1705.

Il n’est question, ma très chère fille, ni de moi, ni d’aucune autre personne. Il s’agit de Dieu seul. Si vous pouviez, sans lui manquer, faire la rupture que vous projetez305, je vous laisserais faire, et je serais ravi de vous voir dans la fidélité et dans la paix, par une autre voie. Mais c’est un désespoir d’amour-propre, qui veut rompre tous les liens de grâce, pour chercher un soulagement chimérique. Votre désespoir redoublerait, si vous aviez fait cette démarche contre Dieu. Mais si vous vous livrez à lui sans condition et sans bornes, le simple acquiescement en esprit d’abandon sans réserve vous remettra en paix. Je vous pardonne d’avoir contre moi les pensées les plus outrageantes. Je me compte, Dieu merci, pour rien. Mais malgré cet outrage que je n’ai jamais mérité de vous, vos véritables intérêts me sont si chers, que je donnerais de bon cœur ma vie pour vous empêcher de détruire en vous l’œuvre de Dieu. Vous ne pourriez le faire sans perdre la vie, et sans la finir dans une résistance horrible à la grâce. Jamais tentation de jalousie, et de fureur d’un amour-propre ombrageux, ne fut si manifeste. C’est pendant que vous êtes livrée à cette tentation affreuse, que vous voulez faire les pas les plus décisifs. Au moins, laissez un peu calmer cet orage. Attendez d’être tranquille, comme les gens sages l’attendent toujours, pour prendre une résolution de sang-froid. Ou, pour mieux dire, ne vous défiez que de vous-même, et nullement de Dieu. Mettez tout au pis-aller. Supposez comme vraies toutes les étranges chimères que votre imagination vous représente. Acceptez tout sans réserve. N’y mettez aucune borne pour la durée. Assujettissez-vous à moi par pure fidélité à Dieu, sans compter sur moi. Demeurez dans cette disposition du fond en silence, sans vous écouter, et n’écoutant que Dieu seul, je suis assuré que la paix, qui surpasse tout sentiment humain, renaîtra d’abord dans votre cœur, et que les écailles tomberont de vos yeux. Faites-en l’expérience, je vous conjure. Dieu permet qu’avec le meilleur esprit du monde, vous soyez dans l’illusion la plus grossière et la plus étrange sur un seul point. C’est une chimère qui fait le plus réel de tous les supplices. Il ne fallait rien moins pour démonter cet amour-propre si délicat et si déguisé. L’opération est crucifiante. Mais il faut mourir. Laissez-vous mourir, et vous vivrez.306

1076. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Mardi, [...] février 1706.

Jamais je ne ressentis, ma chère fille, une plus grande joie que celle que vous me donnez. Béni soit celui qui tient votre cœur ! O que vous serez en paix si vous vous livrez à lui sans condition et sans bornes ! Ne cherchez que lui seul en moi, et vous l’y trouverez toujours. Mais si vous vous y cherchez vous-même, l’amour-propre sera votre tourment. Souffrez toutes mes fautes, contentez-vous de ma bonne volonté; regardez Dieu qui vous éprouve par moi, quand vous ne pouvez plus voir Dieu qui vous aide par moi. Que notre union soit toute de foi. Il faut voir Dieu dans mon indigne personne, comme vous voyez J[ésus]-C[hrist] dans ce vil pain que le prêtre tient à la messe. J’espère que tous ces ébranlements si violents serviront à affermir l’édifice. Mille fois tout à vous en celui qui veut que tout soit un.307.

1138. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Jeudi au soir 21 avril 1707.

Je demeure devant Dieu, comme si j’allais mourir, ma chère fille, et je ne trouve dans mon cœur aucune des dispositions que vous y croyez voir. Au contraire malgré votre opposition, je suis toujours de plus en plus dans une pente à l’union fixe avec vous en N[otre] Seigneur] que je ne saurais expliquer, et que vous pouvez encore moins comprendre. Toutes vos infidélités se réduisent à ne pouvoir vous résoudre à voir dans votre cœur des impressions humiliantes, et des sentiments qui font honte à votre amour-propre. En quelque terre inconnue que vous allassiez avec cette délicatesse d’amour-propre chercher le repos, vous ne l’y trouveriez jamais. L’Écriture nous dit : qui est-ce qui a eu la paix en résistant à Dieu ?308 Vous porteriez partout cet amour délicat et inconsolable sur ses misères. Vous y ajouteriez le dessèchement, le vide, et le trouble d’un cœur égaré de sa voie, avec le reproche intime d’avoir manqué à Dieu pour donner du soulagement à votre orgueil. Dieu vous poursuivrait sans relâche. Dussiez-vous fuir devant sa face comme Jonas, vous seriez plutôt jetée dans la mer, et engloutie par un monstre. Il vous faudrait revenir au point où Dieu vous veut. Il n’y a qu’à consentir de se voir dans toute sa laideur. La laideur des misères est comme la beauté des dons de Dieu. L’une et l’autre disparaît dès qu’on la regarde. Le regard de complaisance fait disparaître le bien, et le regard d’humilité paisible fait disparaître le mal. Souffrez de vous voir, et tout sera guéri.

Ne me cherchez que comme le simple instrument de D[ieu], ne voyant que lui seul en moi. Regardez-moi comme la roche qui donnait de l’eau dans le désert au peuple d’Israël. Moins je contente la nature, plus je sers à la faire mourir, et à faire suivre la pure grâce. La tentation est évidente, mais vous avez les yeux fermés pour ne la pas voir, et vous vous roidissez contre Dieu. J’ai voulu aujourd’hui laisser couler le torrent. Si vous voulez demain vous confesser, je serai prêt à vous écouter et à aller chez vous. Mais votre principal et presque unique péché sera d’avoir écouté et suivi la tentation. Pour moi je ne vous laisserai point vous éloigner de moi. Je vous porterai sans cesse dans le fond de mon cœur. Je l’ai bien serré et bien abattu. Je vois bien que je fais votre peine, mais vous faites aussi la mienne, car je souffre de vous voir souffrir, et de trouver votre cœur retranché contre la grâce. O que ne donnerais-je point pour vous guérir !

1159. À LA COMTESSE DE MONTBERON. Mercredi 10 août 1707.

Souffrez, ma chère fille, que je vous représente ce qu’il me semble que D[ieu] veut que je vous mette devant les yeux. Le fonds que vous avez nourri dans votre cœur depuis l’enfance, en vous trompant vous-même, est un amour-propre effréné, et déguisé sous l’apparence d’une délicatesse et d’une générosité héroïque. C’est un goût de roman, dont personne ne vous a montré l’illusion. Vous l’aviez dans le monde et vous l’avez porté jusque dans les choses les plus pieuses. Je vous trouve toujours un goût pour l’esprit, pour les choses gracieuses, et pour la délicatesse profane, qui me font peur. Cette habitude vous a fait trouver des épines dans tous les états. Avec un esprit très droit et très solide, vous vous rendez inférieure aux gens qui en ont beaucoup moins que vous. Vous êtes d’un excellent conseil pour les autres. Mais pour vous-même les moindres bagatelles vous surmontent. Tout vous ronge le cœur. Vous n’êtes occupée que de la crainte de faire des fautes, ou du dépit d’en avoir fait. Vous vous les grossissez par un excès de vivacité d’imagination, et c’est toujours quelque rien qui vous réduit au désespoir. Pendant que vous vous voyez la plus imparfaite personne du monde, vous avez l’art d’imaginer dans les autres des perfections, dont elles n’ont pas l’ombre. D’un côté vos délicatesses et vos générosités, de l’autre vos jalousies et vos défiances sont outrées et sans mesure. Vous voudriez toujours vous oublier vous-même pour vous donner aux autres. Mais cet oubli tend à vous faire l’idole et de vous-même, et de tous ceux pour qui vous paraissez vous oublier. Voilà le fond d’idolâtrie raffinée de vous-même que Dieu veut arracher. L’opération est violente, mais nécessaire. Allassiez-vous au bout du monde pour soulager votre amour-propre, vous n’en seriez que plus malade. Il faut ou le laisser mourir sous la main de D[ieu], ou lui fournir quelque aliment. Si vous n’aviez plus les personnes qui vous occupent, vous en chercheriez bientôt d’autres sous de beaux prétextes, et vous descendriez jusqu’aux plus vils sujets, faute de meilleurs. Dieu vous humilierait même par quelque entêtement méprisable, où il vous laisserait tomber. L’amour-propre se nourrirait des plus indignes aliments, plutôt que de mourir de faim.

Il n’y a donc qu’un seul véritable remède, et c’est celui que vous fuyez. Les douleurs horribles que vous souffrez viennent de vous, et nullement de Dieu. Vous ne le laissez pas faire. Dès qu’il commence l’incision, vous repoussez sa main, et c’est toujours à recommencer. Vous écoutez votre amour-propre dès que D[ieu] l’attaque. Tous vos attachements, faits par goût naturel, et pour flatter la vaine délicatesse de votre amour, se tournent pour vous en supplice. C’est une espèce de nécessité où vous mettez Dieu de vous traiter ainsi. Allassiez-vous au bout du monde, vous trouveriez les mêmes peines, et vous n’échapperiez pas à la jalousie de D[ieu], qui veut confondre la vôtre en la démasquant. Vous porteriez partout la plaie envenimée de votre cœur. Vous fuiriez en vain comme Jonas. La tempête vous engloutirait.

Je veux bien prendre pour réel tout ce qui n’est que chimérique. Eh bien! cédez à Dieu, et accoutumez-vous à vous voir telle que vous êtes. Accoutumez-vous à vous voir vaine, ambitieuse pour l’amitié d’autrui, tendant sans cesse à devenir l’idole d’autrui pour l’être de vous-même, jalouse et défiante sans aucune borne. Vous ne trouverez à affermir vos pieds qu’au fond de l’abîme. Il faut vous familiariser avec tous ces monstres. Ce n’est que par là que vous vous désabuserez de la délicatesse de votre cœur. Il en faut voir sortir toute cette infection. Il en faut sentir toute la puanteur. Tout ce qui ne vous serait pas montré ne sortirait point, et tout ce qui ne sortirait point serait un venin rentré et mortel. Voulez-vous accourcir l’opération? ne l’interrompez pas. Laissez la main crucifiante agir en toute liberté. Ne vous dérobez point à ses incisions salutaires.

N’espérez pas de trouver la paix loin de l’oraison et de la communion. Il ne s’agit pas d’apaiser votre amour-propre en l’épargnant, et en résistant à l’esprit de grâce, mais au contraire il s’agit de vous livrer sans réserve à l’esprit de grâce, pour n’épargner plus votre amour-propre. Vous pouvez vous étourdir, vous enivrer pour un peu de temps, et vous donner des forces trompeuses, telles que la fièvre ardente en donne aux malades qui sont en délire. Mais la vraie paix n’est que dans la mort. On voit en vous depuis quelques jours un mouvement convulsif pour montrer du courage et de la gaîté avec un fond d’agonie. O si vous faisiez pour D[ieu] ce que vous vous faites contre, quelle paix n’auriez-vous pas! O si vous souffriez, pour laisser faire Dieu, le quart de ce que vous vous faites souffrir pour l’empêcher de déraciner votre amour-propre, quelle serait votre tranquillité! Je prie celui à qui vous résistez de vaincre vos résistances, d’avoir pitié de cette force contre lui, qui n’est que faiblesse, et de vous faire malgré vous autant de bien que vous vous faites de mal. Pour moi, comptez que je vous poursuivrai sans relâche, et que je ne vous quitterai point. J’espère beaucoup moins de mes paroles et de mes travaux pour vous, que de ma peine intérieure, et de mon union à Dieu dans le désir de vous rapprocher de lui. 309.

1183. À LA COMTESSE DE MONTBERON. [À Cambrai] 9 décembre 1707.

Vous voulez, ma chère fille, appliquer le remède à l’endroit où le mal n’est point. Votre mal n’est point dans vos sentiments. Il n’est que dans vos réflexions volontaires. Vos sentiments sont vifs, injustes et contraires à la charité. Mais la volonté n’y a aucune part, et par conséquent ils ne sont point des péchés. Ce qui montre qu’ils ne sont pas volontaires, c’est que la volonté ne s’attache que trop à les rejeter d’une façon positive et marquée. C’est que vous avez par délicatesse d’amour-propre trop horreur de ces sentiments; c’est que cette horreur va jusqu’à vous troubler. Ainsi vous vous en prenez à ce qui n’est que l’ombre du mal, et c’est le remède qui devient un mal véritable. Ce premier mal ne serait qu’une simple douleur, comme celle des dents ou de la colique. Elle n’aurait rien de raisonné; ce serait une amertume, une tristesse, une plaie douloureuse au travers du cœur. Mais ce qui la rend insupportable, c’est le désespoir de l’amour-propre que vous y ajoutez par vos réflexions. Vous ne faites que deviner, et deviner faux sur les autres, que subtiliser sur vous pour vous tourmenter pour des riens. Ensuite vous vous faites par réflexion un second tourment du premier tourment déjà passé. En laissant tout tomber, vous contenteriez Dieu tout d’un coup. C’est le plus grand sacrifice que vous lui puissiez faire, que celui de lui abandonner tout ce tourbillon de vaines pensées, et de revenir tout court à lui seul. Rien n’expiera tant vos prétendus péchés d’amour-propre, que le simple délaissement de vous-même. C’est le remède spécifique à l’idolâtrie de soi, que le délaissement de soi-même. Tout autre remède aigrit et envenime la plaie délicate du cœur, à force de la retoucher. C’est un dangereux remède contre l’amour-propre, que de faire souvent l’anatomie de son propre cœur. Enfin vous n’êtes point docile, et c’est de quoi vous devriez faire plus de scrupule, que de vos sentiments involontaires, dont je me charge devant Dieu. Je le prie de vous ramener sans détour à la simplicité. Vous résistez à D[ieu], vous refusez la communion que vous savez bien que D[ieu] demande de vous. Au nom de D[ieu] finissez cette résistance.

1220. À LA COMTESSE DE MONTBERON. [Juillet 1708].

… N’ajoutez rien par vos agitations volontaires à ce que D[ieu] vous fait souffrir. C’est le détachement du cœur qui fait que Dieu se contente de la bonne volonté, et nous dispense du sacrifice. Il ne rendit Isaac à Abraham qu’après que le père eût levé le bras pour immoler son fils. Je ne vous demande point que vous leviez le bras. Il suffit que vous demeuriez souffrante et immobile sous la main de D[ieu] en recourant à sa bonté. Que ne donnerais-je point, et que ne voudrais-je point souffrir, ma chère fille, pour votre soulagement, et pour la guérison de notre malade.

1308. À LA COMTESSE DE MONTBERON. À C[ambrai] 7 juin 1709.

… Votre grand mal n’est point dans le sentiment involontaire de jalousie qui ne ferait que vous humilier très utilement. Il est dans la révolte de votre cœur qui ne peut souffrir un mal si honteux, et qui, sous prétexte de délicatesse de conscience, veut secouer le joug de l’humiliation. Vous n’aurez ni fidélité ni repos que quand vous consentirez pleinement à éprouver toute votre vie tous les sentiments indignes et honteux qui vous occupent. Vos vains efforts ne feront qu’irriter le mal à l’infini. Mais ce mal sera un merveilleux remède à votre orgueil, dès que vous voudrez vous le laisser appliquer patiemment par la main de Dieu.

Accoutumez-vous donc à vous voir injuste, jalouse, envieuse, inégale, ombrageuse, et laissez votre amour-propre crever de dépit. La paix est là. Vous ne la trouverez jamais ailleurs. Quel fruit avez-vous eu jusqu’ici à désobéir? Il faut que D[ieu] fasse à chaque fois un miracle de grâce pour vous dompter. Vous usez tout, et votre amour-propre se déguise en dévotion bien empesée pour défaire l’ouvrage de D[ieu] qui est une opération détruisante. Laissez-vous détruire, et D[ieu] fera tout en vous. …310.

Approfondir cette longue relation est décevante du point de vue d’une approche mystique, mais cerne bien les problèmes posés par une dirigée scrupuleuse :

Relevé de correspondance

Lettres adressées à la COMTESSE DE MONTBERON (Marie GRUYN) :

1700 (19 lettres), 29 janvier, 22 février, 3 et 15 mars, 15 et 16 avril, 30 avril, 13, 17 et 23 juin, 26 et 28 juillet, 5 août, 2 septembre, 31 octobre, 2 et 7-8 novembre, 12 et 26 décembre,

1701 (39), 5 janvier, 28 et 29 janvier, 8 et 19 février, 3 et 22 mars, 2 et 4 avril, 26 et 27 avril, 6 et 7 mai, 15 mai, 10, 16 et 27 juin, 11 juillet, 26 et 30 juillet, ler août, 5 et 7 août, 14 et 21 août et 25 août, 7 et 9 septembre, 27 septembre, 8 et 16 octobre, 30 octobre, 6 novembre (?), 9 novembre, avant le 20 novembre, 20 et 21 novembre, entre 8 et 15 décembre, 15 décembre. Et L.1966, L.1967 en [CF 18]],

1702 (37), 5 et 6 janvier, 18 et 27 janvier, 4 et 15 février, 13 et 18 mars, 30 mars, 6 et 12 avril, 17 et 26 et 27 avril, 3 et 11 et 13 et 19 et 26 mai, 6 et 23 juin, 29 juin, ler juillet, entre 2 et 6 juillet, 8 et 12 et 29 juillet, 16 et 29 septembre, 10 et 13 octobre, 14-16 octobre (?),17 et 22 octobre, 4 novembre, 2 et 18 décembre.

1703 (16), 25 janvier, 8 février, 8 mai et 21 mai, 10 et 24 juin, 30 juillet, 8 et 20 et 23 août, 23 septembre, 4 et 9 octobre, 3 et 7 et 15 novembre. Et L.1968 de la mi-mai.

1704 (20), 1 janvier, 28 et 29 janvier, 10 février (1ere et 2e lettres), 1er et 4 et 12 mars, 16 mai, 17 et 31 juillet, 30 septembre, 11 et 21 octobre, 17 et 18 et 19 novembre (1ere et 2e lettres), 16 décembre. Et L.1969 à la mi-année.

1705 (8), 26 janvier, 19 mars, 11 août, 20 et 21 septembre, 7 novembre, 11 et 13 décembre,

1706 (11), 1er janvier, février, 20 avril, 30 avril, 28 juin, 8 et 13 septembre, 20 et 28 septembre, 2 octobre, 13 décembre,

1707 (28), 21 mars, 11 et 21 et 22 avril, 25 et 27 mai, 14 et 21 et 23 et 24 et 27 juin ( !), 18 juillet, 9 et 10 et 17 et 19 août, 1er et 3 septembre (1ere et 2e lettres), 23 septembre, 10 et 21 octobre, 9 et 27 et 30 novembre, 3 et 4 et 9 décembre. Et L.1970.

1708 (25), 2 janvier, 7 janvier, (lere et 2e lettres), 12 et 13 et 29 et 30 et 31 janvier ( !), 10 et 11 février (1ere et 2e lettres), 14 février, 16 mars, 15 et 16 avril, juillet, 13 et 14 et 16 et 25 juillet, ler et 11 septembre, 7 et 21 octobre, 16 novembre. Et L.1971.

1709 (15), 5 et 23 janvier, 5 et 13 février, 16 février (1ere et 2e lettres), 8 avril, 28 mai (1ere et 2e lettres), 7 juin, 8 août, 4 et 12 et 19 et 27 octobre,

1710 (11), 10 mai, 2 et 9 juin, juin, 8 et 21 juillet, 17 et 19 septembre, 6 novembre (1ere et 2e lettres), 14 novembre,

1711 (3), 6 juillet, 16 septembre, 10 décembre,

1712 (3), 24 mars, 31 mai, 12 juin,

1713 (4), 26 mai, 4 et 5 et 14 juin, 2 novembre,

1714 (1), 24 décembre.

Ajout [CF 18] signalés supra (6) : 1701 ?, 1703, mai, 1704, 1707 ?, Fragments.

Soit un total de 246 lettres en douze années : 2 à 3 lettres par mois (1700-1702, 1707-1708) comportant un creux (refroidissement ?) entre 1703 et 1706, sont suivies d’une décroissance (par lassitude ?) de 1707 à 1714.






Duc (1648-1714) et duchesse (-1733)de Beauvillier



« Les deux ducs » de Chevreuse et de Beauvillier épousèrent deux sœurs Colbert et furent fidèles du cercle quiétiste animé par Mme Guyon. Aussi nous accordons une place au couple ami de Chevreuse. Saint-Simon est l’ami des ducs311.

« Paul de Beauvillier, baptisé le 24 octobre 1648 à Saint-Aignan-sur-Cher, était le fils de François, duc de Saint-Aignan, et de sa première femme Antoinette Servien. Il fut d'abord destiné à l'Église, puis, après la mort de son frère aîné, pourvu de la charge de premier gentilhomme de la chambre que possédait son père (10 décembre 1666) et envoyé en Angleterre en octobre 1669. Il épousa le 21 janvier 1671 Henriette-Louise, seconde fille de Colbert. Maître de camp de cavalerie en 1671, brigadier le 25 février 1677, il devint le 2 mars 1679 duc et pair par la démission de Saint-Aignan. A « l'extrême étonnement » des courtisans, il venait le 6 décembre 1685 de remplacer le maréchal de Villeroy comme chef du Conseil des finances, place qui n'avait « jamais été occupée que par de vieux seigneurs ». Il succéda en 1687 à son père dans les gouvernements du Havre, de Loches et de Beaulieu. II deviendra chevalier des ordres le 31 décembre 1688, gouverneur du duc de Bourgogne le 16 août 1689 et ministre d'État le 24 juillet 1691 … Amis et adversaires s'accordaient pour juger que le trait le plus frappant du caractère de Beauvillier était sa dévotion … Il avait même reçu en 1681 des lettres de l'abbé de Rancé, pleines d'admiration pour « la vie qu'il menait au milieu de la Cour ». Saint-Simon note sa présence aux conférences données à l'abbaye de Montmartre par Bertot … Mais il faut attacher plus d'importance encore aux relations de Beauvillier avec M. Tronson qu'il connaissait au moins depuis 1677 et qu'il avait pris quelques mois plus tard pour directeur … En revanche, il ne passait pas pour très intelligent. D'après l'abbé Legendre, écho de l'archevêque Harlay, « Beauvillier était propre à cet emploi » de gouverneur des princes, « mais comme il n'était pas connu pour avoir plus d'esprit qu'un autre, ni d'expérience dans les affaires, on parut étonné de le voir ministre d'État » … Lors de sa promotion de décembre 1685, le Roi avait dit que cela ferait connaître combien il estimait les gens de bien et de probité » (CF 3 L.8, n.13) .

« Henriette-Louise Colbert, née en 1653 ou en 1655, épousa le 19 janvier 1671, Paul de Beauvillier. En avril 1679 elle avait eu droit au tabouret chez la Reine dont elle était devenue dame du Palais le 27 janvier 1680. Naturellement gaie et mondaine, elle avait vite subi l'influence de son mari qui écrivait le 10 juin 1677 : « Elle a plus d'envie que jamais de contenter Dieu et il me semble qu'elle ne recule pas ». Elle fut au nombre des auditrices de Bertot à Montmartre. Elle ne mourra, après un long veuvage, que le 19 septembre 1733 […] » (CF 3, L.8, n.1)

857. Au DUC DE BEAUVILLIER. À C[ambrai], 7 septembre 1702.

… Mais je voudrais seulement que vous laissassiez tomber toutes vos réflexions de sagesse, que vous n’eussiez aucun égard à tout ce que vous connaîtriez devant Dieu de votre timidité naturelle, et que vous fissiez et dissiez simplement, en chaque occasion de providence ce que l’esprit de grâce vous inspirerait alors. Je ne voudrais aucune démarche extraordinaire et démesurée par une espèce d’enthousiasme. C’est ce qui n’est point de votre grâce, et où vous courriez risque de prendre une chaleur d’imagination pour un mouvement de Dieu. Je ne voudrais que parler simplement, modérément, et selon les règles communes, quand Dieu vous en donnerait l’ouverture au-dehors, avec une certaine pente du dedans, contre laquelle vous n’auriez que des réflexions humaines et intéressées. On se flatte quelquefois, et on se ménage trop par politique timide, sous le beau prétexte de se réserver pour de grandes occasions, qui ne viendront peut-être jamais, et dans le fond on recherche sa sûreté et son repos. Mais on ne voit pas ce repli du fond de son cœur, et on croit n’agir que pour le bien général, dont on a en effet le zèle sincère. Moins vous vous écouterez, pour écouter Dieu paisiblement en chaque chose, plus vous sentirez votre cœur s’élargir, et votre force s’augmenter: mutaberis in alium virum. Faites-en l’essai, si vous osez. Ceux qui croiront, verront les fleuves d’eau vive couler de leurs entrailles. Mais vous ne recevrez que suivant la mesure de votre foi. C’est le peu de foi qui resserre le cœur. C’est l’abandon à Dieu qui le soulage, et qui en étend la capacité. Saint Paul dit, dilatamini 312 élargissez-vous. Dieu ne demande que de vous en épargner la peine. Laissez-le faire. Il vous élargira lui-même, pourvu que vous ne repoussiez pas son opération, en écoutant vos réflexions, ou celles d’autrui. …

865. Au DUC DE BEAUVILLIER. Au Casteau-Cambresis, ce 5 octobre [1702 ou 1703?].

… La bonne petite duchesse me paraît aller bien droit devant Dieu, selon sa grâce; elle est simple, elle est ferme. Comme elle est bien détachée du monde, elle voit par une sagesse de grâce ce qu’il y a à voir en chaque chose. Le pays où vous êtes court risque de les faire voir autrement. …313.

894.  Au DUC DE BEAUVILLIER. À Cambray, 27 janvier 1703.

Voulez-vous bien, mon bon Duc, que je vous souhaite une bonne année? Portez-vous bien. Point de remède, un peu de repos, de liberté et de gaîté d’esprit. Ce qui mettra votre cœur au large, soulagera aussi votre corps, et soutiendra votre santé314. La joie est un baume de vie, qui renouvelle le sang et les esprits. La tristesse, dit l’Écriture, dessèche les os. Ne faites que ce que vous pouvez: Dieu fera le reste bien mieux que vous. …

947. Au DUC DE BEAUVILLIER. À C[ambrai] 4 novembre 1703.

… Il faut que tout commence par le centre, que tout soit digéré d’abord dans l’estomac, qu’il devienne chyle, sang, et enfin vraie chair. C’est du dedans le plus intime que se distribue la nourriture de toutes les parties extérieures. L’oraison est comme l’estomac l’instrument de toute digestion. C’est l’amour qui digère tout315, qui fait tout sien, et qui incorpore à soi tout ce qu’il reçoit. C’est lui qui nourrit tout l’extérieur de l’homme dans la pratique des vertus. Comme l’estomac fait de la chair, du sang, des esprits pour les bras, pour les mains, pour les jambes, et pour les pieds, de même l’amour dans l’oraison renouvelle l’esprit de vie pour toute la conduite. Il fait de la patience, de la douceur, de l’humilité, de la chasteté, de la sobriété, du désintéressement, de la sincérité, et généralement de toutes les autres vertus autant qu’il en faut pour réparer les épuisements journaliers. Si vous voulez appliquer les vertus par le dehors, vous ne faites qu’une symétrie gênante, qu’un arrangement superstitieux, qu’un amas d’œuvres légales et judaïques, qu’un ouvrage inanimé. C’est un sépulcre blanchi. Le dehors est une décoration de marbre où toutes les vertus sont en bas-relief; mais au-dedans il n’y a que des ossements de morts. Le dedans est sans vie. Tout y est squelette. Tout y est desséché, faute de l’onction du S.Esprit. Il ne faut donc pas vouloir mettre l’amour au-dedans par la multitude des pratiques entassées au-dehors avec scrupule. Mais il faut au contraire que le principe intérieur d’amour cultivé par l’oraison à certaines heures, et entretenu par la présence familière de Dieu dans la journée, porte la nourriture du centre aux membres extérieurs, et fasse exercer avec simplicité en chaque occasion, chaque vertu convenable pour ce moment-là. …

1950. À LA DUCHESSE DE BEAUVILLIER. À Cambray, 28 décembre 1714.

Je vous supplie de me donner de vos nouvelles, Madame, par N... [l’abbé de Beaumont] que j’envoie chercher. Je suis en peine de votre santé, elle a été mise à de longues et rudes épreuves. D’ailleurs, quand le cœur est malade, tout le corps en souffre. Je crains pour vous les discussions d’affaires, et tous les objets qui réveillent votre douleur. Il faut entrer dans les desseins de Dieu, et s’aider soi-même pour se donner du soulagement. Nous retrouverons bientôt ce que nous n’aurons point perdu. Nous nous en approchons tous les jours à grands pas316. Encore un peu, et il n’y aura plus de quoi pleurer. C’est nous qui mourons: ce que nous aimons vit, et ne mourra plus. Voilà ce que nous croyons, mais nous le croyons mal. Si nous le croyions bien, nous serions pour les personnes les plus chères, comme J[ésus]-C[hrist] voulait que ses disciples fussent pour lui quand il montait au ciel : Si vous m’aimiez, disait-il, vous vous réjouiriez de ma gloire317. Mais on se pleure en pleurant les personnes qu’on regrette. On peut être en peine pour les personnes qui ont mené une vie mondaine; mais pour un véritable ami de Dieu, qui a été fidèle et petit, on ne peut voir que son bonheur et les grâces qu’il attire sur ce qui lui reste de cher ici-bas. Laissez donc apaiser votre douleur par la main de Dieu même qui vous a frappée. Je suis sûr que notre cher N… (Duc de Beauvillier] veut votre soulagement, qu’il le demande à Dieu, et que vous entrerez dans son esprit en modérant votre tristesse.

Relevé de correspondance

Lettres adressées à Paul de BEAUVILLIER et à Henriette-Louise COLBERT son épouse :

Duc Paul de BEAUVILLIER :

1690-1695, 1697, 16 avril, 12 et 14 et 26 août, 1er et 25 septembre,

1699, 29 mars, 5 octobre, 30 novembre, 30 novembre ( ? 2e lettre), décembre ( ?), (lettre de Paul de B.:) 27 mars,

1702, 22 juin, 9 et 24 juillet, 7-11 septembre, fin septembre. 5 octobre,

1703, 27 janvier, 9 - 7 février, 11 mars (?), 4 novembre,

1712, 25 décembre,

1713, 3 et 7 octobre.

Henriette-Louise COLBERT, duchesse de BEAUVILLIER :

1685, 28 décembre, 1686, 16 janvier,

1697, octobre,

1706, 4 août.







À Marie-Christine de Salm (1655- ?)

Nous livrons la longue notice d’Orcibal : elle évoque la position assez délicate d’un Fénelon directeur devant composer avec tous les personnages influents du Royaume et de l’Empire ; on le verra ailleurs conseiller l’électeur de Cologne 318.

Née le 22 décembre 1655 à Anholt, Marie-Christine de Salm, chanoinesse de Remiremont, appartenait à la famille des rhingraves, princes d'Anholt, dont une partie s'était mise sous la protection de la France (cf. Dangeau, 25 juillet 1690, t. III, p. 178). Elle était la fille de Léopold-Philippe-Charles qui prit séance au collège des princes à la diète de Ratisbonne de 1654 et mourut en 1663 à Anholt.

Son frère Charles-Théodore-Othon (27 juillet 1645 - 10 novembre 1710) était alors gouverneur de l'archiduc Joseph, le fils de l'empereur Léopold, auquel il devait faire épouser sa nièce (1699). Conseiller intime et maréchal de camp des armées de Léopold, il devint Premier ministre et grand-maître de la maison de l'empereur Joseph. En relation avec le janséniste Bernard Couet, il fut plus lié encore avec le vicaire apostolique Pierre Codde qu'il protégea à Rome, favorisant ainsi les origines du schisme d'Utrecht (réf.)

Charles-Théodore-Othon avait une autre soeur, Marie-Dorothée (1651 14 novembre 1702) élue en 1662 abbesse de Remiremont : elle se retira en 1670 lors de l'occupation française, mais revint en 1677. Aussitôt après elle voulut imposer la réforme commencée dès 1613 par l'abbesse Catherine de Lorraine; les dames firent des difficultés. En 1679, on convint d'arbitres : dom Henri Hennezon, abbé de Saint-Mihiel, et M. de Mageron, official de Toul, mais deux ans plus tard les chanoinesses retirèrent leur accord. L'abbesse consulta alors vingt-huit docteurs de Sorbonne qui l'assurèrent qu'elle était obligée en conscience de tout mettre en usage pour rendre effective l'obéissance aux règles (réf.). Le 26 décembre 1684, elle était à Paris pour « demander au Roi des commissaires pour établir la réforme parmi ses chanoinesses » (réf.) Elle soutenait que Remiremont était une fondation bénédictine, sécularisée après neuf siècles sans le consentement des supérieures, que d'ailleurs « le chapitre n'avait point de statuts, qu'il y fallait établir un ordre », mettant par là « dans ses intérêts toutes les personnes dévotes de profession ». D'abord instruit par le Parlement de Metz, le procès vint au Conseil au début de 1692 : le 27 janvier l'abbesse elle-même logeait au palais du Luxembourg chez Mme de Guise, mais, en octobre de la même année, elle avait, par-devant le notaire Le Vasseur, constitué pour procuratrice générale et spéciale la princesse Marie-Christine à qui elle donnait tout pouvoir (réf.)

Les mois suivants furent marqués par une lutte à coup de factums, pour lesquels les deux parties trouvèrent d'illustres collaborateurs. La doyenne et les chanoinesses, représentées à Paris par Geneviève Cocherel de Bourdonné, semblent avoir usé de la belle plume du jésuite Bouhours (réf.). Quant à l'abbesse, elle eut d'abord recours à dom Mabillon (réf.), mais nous verrons que Marie-Christine sollicita aussi les conseils de Fénelon. Lié aux Guise (cf. supra, lettre du 11 décembre 1692, n. 1), Gaignières les a-t-il mis en rapport ? Du fait que, par son second mariage avec une fille d'Anne de Gonzague, princesse palatine, son frère était devenu le beau-frère de la princesse de Condé, les Langeron pouvaient servir d'intermédiaires. On notera aussi que le maréchal de Noailles eut le 7 juillet 1694 une fille du nom de Marie-Christine (A. N., 111 AP 3, dossier 7). En tout cas, Fénelon adressa jusqu'à 1710 de nombreuses lettres à Marie-Christine (avec toutefois une interruption, au moins apparente, de 1695 à 1700), mais celle-ci ne fut nullement pour lui une disciple. C'est ainsi que, restée en correspondance avec dom Mabillon, elle lui écrivait le 16 mai 1695 : « Je vous prie... de me mander ce que deviendra Mme Quion. J'espère que M. de Meaux la remettra en bon chemin. Comment est-elle tombée entre ses mains, est-ce par ordre du Roi ou par sa propre volonté? Elle ne manquera pas aux lumières de ce grand prêtre : il la convertira ou il la contiendra, et l'un et l'autre est de grande conséquence pour la religion » (réf.). Bien plus, elle était alors en relations étroites avec des vannistes jansénistes tels qu'Hilarion Monnier et même Thierry de Viaixnes (ibid., cf. aussi TAVENEAUX, pp. 208 sqq.) et elle entretint à partir de 1698 une active correspondance avec Pierre Codde (ibid., pp. 209 sqq.). Elle appréciait en eux les adversaires de « la morale corrompue » (p. 211). Sans la contredire sur ce point, Fénelon s'emploiera plus tard à lui faire « connaître jusqu'où va l'autorité de l'Église » (p. 210).

A la date du 6 mai 1693, le Conseil d'État avait, « le Roi y étant », rendu cinq arrêts. Le 27 janvier 1692. Louis XIV confirma la commission qu'il avait donnée verbalement à l'archevêque de Paris et au P. de La Chaise et il leur adjoignit comme commissaire et rapporteur le substitut Barrin de La Galissonière, remplaçant feu l'official Chéron. Le 14 mai 1692, le Roi leur associait le chancelier. Le 11 février 1693, trois arrêts réglaient beaucoup de questions en litige au sujet des droits effectifs ou honorifiques de l'abbesse. Ils maintenaient en outre sa soeur dans la charge de grande censière. Mais il fallut ensuite attendre le 28 avril 1694 pour qu'un nouveau pas fût fait et nous verrons par les lettres de Fénelon, notamment par celle du 13 décembre 1693, que les princesses de Salm n'étaient pas sans raisons d'inquiétude. (CP 3, L.227 n.1)

1062. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. À Cambray, 31 octobre 1705.

Je suis sensiblement touché, Madame, de l’honneur de votre souvenir et de la continuation de vos bontés. Je prie souvent N.S. afin qu’il vous remplisse de son esprit et qu’il soit lui seul toutes choses en vous. Puisque vous êtes en paix dans votre solitude, il vaut mieux y demeurer qu’aller chercher bien loin ce qu’on ne trouve nulle part en ce monde. Le peu de jours qui nous restent ici-bas ne valent pas la peine de changer de place. La volonté de Dieu et la paix qu’elle donne se trouvent partout. Tout le reste n’est qu’illusion et inquiétude. Contentez-vous, Madame, du jour présent. Le jour de demain, comme J.C. nous l’assure, aura soin de lui-même. Passez-vous en esprit de foi de tous les secours extérieurs dont la Providence vous prive. Quand Dieu ne les donne pas, il supplée par lui-même, ou bien s’il nous ôte entièrement une certaine consolation sensible, ce n’est que pour nous éprouver et pour nous purifier par l’épreuve. Alors la privation, si elle est portée avec une entière fidélité et un vrai délaissement de l’âme à Dieu, devient bien plus utile que le secours extérieur auquel on serait attaché. Nous voudrions toujours des secours pour nous appuyer. Mais Dieu qui sait bien mieux que nous nos vrais besoins veut au contraire nous détacher de ces secours sur lesquels nous nous appuyons trop. O qu’on est bien, quand on est dans les mains de Dieu, content de ne pouvoir plus s’appuyer sur les hommes. Il faut être toujours prêt à dépendre d’eux par subordination, par docilité, par défiance de soi-même. Mais il faut être prêt aussi à perdre l’appui humain, quand Dieu l’ôte pour éprouver la foi. Contentez-vous, Madame, du peu de bien que vous pouvez faire sans trouble. On gagne peu sur les hommes. On ne vient guère à bout de les persuader, encore moins de les corriger, et de leur donner toute une conduite qui se soutienne’. Il faut se borner à tirer d’eux le plus qu’on peut, et attendre que Dieu fasse le reste; autrement on cause plus de révolte et de division qu’on ne fait du bien. Tout au plus on vient à bout de faire quelques changements extérieurs, mais ils sont forcés, ce n’est qu’une régularité judaïque et l’intérieur est pis qu’auparavant, car les cœurs sont aigris et aliénés. Faites-vous aimer pour faire aimer Dieu. Il faut prier qu’il abrège ces jours de tempête et qu’il nous donne bientôt une heureuse paix. Je vous plains dans la situation où cette guerre vous met, et j’en repasse avec amertume toutes les circonstances les plus tristes pour vous. Mais la croix est notre partage en ce monde. Nous n’y sommes que pour souffrir. Heureux qui aime sa croix. Je serais ravi si la Providence permettait que j’eusse encore l’honneur de vous voir une fois en ma vie. C’est avec le zèle et le respect le plus sincère que je serai jusqu’à la mort, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.

FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.

1133. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. A Cambray, ler avril 1707.

Je vous plains fort, Madame, mais Dieu qui ne veut pas nous laisser égarer a bordé notre chemin d’épines, afin que nous ne sentions que la douleur dès que nous cherchons à droite ou à gauche quelque satisfaction de l’amour-propre. Cette rigueur est une aimable miséricorde. Le seul moyen d’apaiser ou du moins de ralentir la critique des hommes est de se taire, de s’abstenir de se mêler des choses où ils ont quelque part, et de laisser les affaires aller si mal qu’on ne puisse pas vous accuser de les conduire à votre mode. Le pis-aller est que les esprits inquiets fassent des rapports sans aucun fondement ou donnent des ombrages contre vous. On ne saurait être à l’abri de l’orage, quand on est exposé aux soupçons de personnes puissantes, qui sont crédules, inappliquées et obsédées par des flatteurs. Il n’y a que la patience qui puisse remédier à ce mal. Tous les autres remèdes qu’on y chercherait seraient souvent pires que le mal même. La consolation qui doit nous soutenir dans ces embarras est que tout ce qui trouble notre repos sert à nous détacher de la vie et à nousdésabuser du monde. S’il nous flattait, sa flatterie serait un poison pour nos cœurs. Nous sommes trop heureux qu’il nous rebute, qu’il nous tracasse, et qu’il nous force à nous éloigner de ses vanités. Il nous sert bien plus utilement en nous donnant des croix qu’en nous trahissant par de fausses amitiés. O Madame, laissons les hommes et n’aimons que Dieu. Du moins ne ménageons les hommes que pour l’amour de lui. Quand nous aurons fait vers les hommes ce que Dieu demande, le meilleur pour nous est que nous n’en ayons aucune récompense en ce monde. Il n’y a qu’un seul ami sur qui on puisse compter. Si quelqu’un est ami fidèle et solide, il ne l’est qu’en Dieu. Il n’est point de ce monde. Le silence, la paix, la retraite, l’oraison, la joie de n’être rien, l’union humble et familière avec le bien-aimé dédommagent au centuple de ce que les prospérités du monde donneraient. Un jour dans la maison de Dieu vaut mieux que mille dans les tabernacles des pécheurs. Ménagez votre santé; accoutumez-vous à vous passer de tout ce qui dissipe. Comptez que le plus grand bien qu’on puisse faire est de mourir à la vivacité, à sa délicatesse et au goût de faire de belles choses, si Dieu veut nous tenir dans l’inutilité. Vous ne me feriez pas justice si vous doutiez des sentiments avec lesquels je vous suis de plus en plus dévoué en N.S. Je serai jusqu’à la mort plein de zèle et de respect pour vous, Madame. Que ne puis-je vous en donner les marques!

1218. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. À Cambray, 28 juin 1708.

On ne saurait, Madame, être plus touché que je le suis de la continuation de vos bontés. Je remercie Dieu des dispositions où il vous met. Plus on avance vers la fin de la vie, plus on doit être dégagé du monde qu’on quittera bientôt et redoubler son attention à Dieu auquel on arrive. Demeurez en paix dans votre place bonne ou mauvaise. Elle sera toujours très bonne, si vous y portez votre croix de bon cœur. Rien n’est meilleur que de souffrir et de se taire. Parler est un soulagement de l’amour-propre dans la souffrance. C’est ne souffrir qu’à demi, que de parler en souffrant. Mais faire taire l’amour-propre, et se livrer paisiblement à la croix, c’est mourir à tout. Faites chaque jour le bien grand ou petit qu’il vous est donné de faire, et faites-le sans retour sur vous, comptant qu’il est juste que vous soyez inutile à tout bien. Portez les défauts d’autrui sans impatience, sans critique, sans hauteur, et les vôtres sans flatterie ni découragement. Accoutumez-vous à voir vos fautes, vos faiblesses, vos infidélités et vos impuissances de vous corriger jamais par vos propres forces. Rabaissez-vous non seulement sous la puissante main de Dieu’, mais encore devant les créatures. Il n’y a que l’Esprit de Dieu qui puisse nous faire apercevoir nos hauteurs et nos délicatesses;. Il n’y a que cet esprit de vérité qui puisse nous rendre vrais, simples, petits et accommodants. Lui seul peut nous ôter tout art et toute fausseté; lui seul peut, en rompant la raideur de notre propre sens, et de notre propre volonté, nous rendre souples, pour nous faire tout à tous. Je suis fort aise, Madame, de ce que vous avez lu les ouvrages qui vous ont été envoyés. Il n’y a point d’autre ressource contre la présomption de l’esprit humain qu’une autorité absolue, qui ne lui laisse rien à décider. Tout est perdu si l’homme se permet encore de s’écouter. La vraie science est celle qui nous apprend à nous mépriser, à nous défier de nos vues et à être dociles. Nous avons un besoin infini de porter ce joug. Plus les hommes le supportent impatiemment, plus ils en prouvent la nécessité. Leur révolte contre cette autorité salutaire montre combien leur esprit est malade et incapable de s’en passer. Si les hommes priaient du cœur au lieu de raisonner sans fin, toutes les disputes tomberaient bientôt. On s’aimerait les uns les autres sans jalousie ni partialité, et la vérité uniquement aimée réunirait tous les cœurs. Fuyons toutes les préventions, n’écoutons que l’Église. Défions-nous du zèle amer. Voilà, Madame, ce que je vous souhaite. Pardon de tant de libertés. Je serai le reste de ma vie avec zèle et respect votre très humble, et très obéissant serviteur.

FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.

1247. À MARIE-CHRISTINE DE SALM. À Cambrai] 30 septembre 1708.

[…] On est bien savant, quand on sait qu’on n’est rien, et que Dieu est tout. Au contraire on ne sait rien, quand on sait toutes les sciences, et qu’on ignore sa propre ignorance, et la vanité de tout ce qu’on sait. On apprend bien plus de Dieu dans le recueillement et dans le silence, que dans les raisonnements des savants. Quelque peine et quelque traverse que vous puissiez avoir, je vous trouve bien, pourvu que vous soyez en silence dans un coin, ouvrant et délaissant votre cœur à Dieu pour porter toutes vos croix avec humilité, patience et amour. Encore un peu, et celui qui doit venir viendra. Il ne tardera guère. Cependant mon juste vit de la foi. Vivez-en donc, Madame, et non de la sagesse humaine. […]

FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.




A la Marquise de Risbourg ( ~~1670-1720)

Marie-Françoise, quatrième enfant de François, comte d'Ursel, grand veneur et haut forestier de Flandres, colonel et général de bataille au service de Charles II, […] avait épousé avant 1690 Guillaume de Melun, marquis de Risbourg, baron de Walincourt, né après 1665, chevalier de la Toison d'or depuis 1700, colonel d'un régiment de dragons de son nom, maréchal de camp de Philippe V en 1704. La faveur de Louis XIV lui obtint le 19 décembre 1704 le titre de grand d'Espagne de première classe. Il passa alors dans la péninsule où il exerça des commandements de plus en plus importants […] il mourut le 6 octobre 1734. / Après le départ de son mari pour l'Espagne, la marquise de Risbourg ne le suivit pas et se mit sous la direction de Fénelon qui « la recevait parfois à sa table et la visitait, soit en sa maison de ville de Cambrai, soit en son château de Walincourt ». […] (CF 11, L.846, n.4).

Note sur la correspondance avec la marquise de Risbourg 319 :

LSP 139.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Il y a une chose dans votre lettre qui ne me plaît point, c’est de croire qu’il ne faut point me dire les petites choses qui vous occupent, parce que vous supposez que je les méprise, et que j’en serais fatigué. Non, en vérité, je ne méprise rien, et je serais moi-même bien méprisable si j’étais méprisant. Il n’y a personne qui ne soit malgré soi occupé de beaucoup de petites choses. La vertu ne consiste point à n’avoir pas cette multitude de pensées inutiles ; mais la fidélité consiste à ne les suivre pas volontairement, et la simplicité demande qu’on les dise telles qu’elles sont. Ces choses, il est vrai, sont petites en elles-mêmes ; mais il n’y a rien de si grand devant Dieu, qu’une âme qui s’apetisse pour les dire sans écouter son amour-propre. D’ailleurs ces petites choses feront bien mieux connaître votre fond, que certaines choses plus grandes, qui sont accompagnées d’une plus grande préparation et de certains efforts où le naturel paraît moins. Un malade dit tout à son médecin, et il ne se contente pas de lui expliquer les grands accidents; c’est par quantité de petites circonstances, qu’il le met à portée de connaître à fond son tempérament, les causes de son mal, et les remèdes propres à le guérir. Dites donc tout, et comptez que vous ne ferez rien de bon, qu’autant que vous direz tout ce que la lumière de Dieu vous découvrira pour vous le faire dire.

Je trouve que vous avez raison de ne souhaiter pas de lire présentement sainte Thérèse : ce qui vous en empêche est très bon. Vous ne serez jamais tant selon le bon plaisir de Dieu, que quand vous renoncerez à ce qu’on appelle esprit, et que vous négligerez le vôtre, comme une femme bien détrompée du monde renonce à la parure de son corps. L’ornement de l’esprit est encore plus flatteur et plus dangereux. Lisez bien saint François de Sales. Il est au-dessus de l’esprit; il n’en donne point, il en ôte, il fait qu’on n’en veut plus avoir; c’est une maladie dont il guérit. Bienheureux les pauvres d’esprit ! Cette pauvreté est tout ensemble leur trésor et leur sagesse.

LSP 140.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Je ne suis nullement surpris de vos peines. Il est naturel que vous les ressentiez. Elles doivent seulement servir à vous faire sentir votre impuissance, et à vous faire recourir humblement à Dieu. Quand vous sentez votre cœur vaincu par la peine, soyez simple et ingénue pour le dire. N’ayez point de honte de montrer votre faiblesse, et de demander du secours dans ce pressant besoin. Cette pratique vous accoutumera à la simplicité, à l’humilité, à la dépendance’. Elle détruira beaucoup l’amour-propre, qui ne vit que de déguisements, pour faire bonne mine quand il est au désespoir. D’ailleurs, cherchez à vous amuser à toutes les choses qui peuvent adoucir votre solitude et vous garantir de l’ennui, sans vous passionner ni dissiper par le goût du monde. Si vous gardiez sur le cœur vos peines, elles se grossiraient toujours, et elles vous surmonteraient enfin. Le faux courage de l’amour-propre vous causerait des maux infinis. Le venin qui rentre est mortel; celui qui sort ne fait pas grand mal. Il ne faut point avoir de honte de voir sortir le pus qui sort de la plaie du cœur. Je ne m’arrête nullement à certains mots qui vous échappent, et que l’excès de la peine vous fait dire contre le fond de votre véritable volonté. Il suffit que ces saillies vous apprennent que vous êtes faible, et que vous consentiez à voir votre faiblesse et à la laisser voir à autrui.

LSP 141.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Rien n’est meilleur que de dire tout. On ouvre son cœur; on guérit ses peines en ne les gardant point : on s’accoutume à la simplicité et à la dépendance ; car on ne réserve que les choses sur lesquelles on craint de s’assujettir: enfin on s’humilie, car rien n’est plus humiliant que de développer les replis de son cœur pour découvrir toutes ses misères ; mais rien n’attire tant de bénédiction.

Ce n’est pas qu’il faille se faire une règle et une méthode de dire avec une exactitude scrupuleuse tout ce qu’on pense : on ne finirait jamais, et on serait toujours en inquiétude de peur d’oublier quelque chose. Il suffit de ne rien réserver par défaut de simplicité et par une mauvaise honte de l’amour-propre, qui ne voudrait jamais se laisser voir que par ses beaux endroits; il suffit de n’avoir nul dessein de ne dire pas tout selon les occasions : après cela, on dit plus ou moins sans scrupule, suivant que les occasions et les pensées se présentent. Quoique je sois fort occupé, et peut-être souvent fort sec, cette simplicité de grâce ne me fatiguera jamais ; au contraire, elle augmentera mon ouverture et mon zèle. Il ne s’agit point de sentir, mais de vouloir. Souvent le sentiment ne dépend pas de nous; Dieu nous l’ôte tout exprès pour nous faire sentir notre pauvreté, pour nous accoutumer à la croix par la sécheresse intérieure, et pour nous purifier, en nous tenant attachés à lui sans cette consolation sensible. Ensuite il nous rend ce soulagement de temps en temps, pour compatir à notre faiblesse.

Soyez avec Dieu, non en conversation guindée, comme avec les gens qu’on voit par cérémonie et avec qui on fait des compliments mesurés, mais comme avec une bonne amie qui ne vous gêne en rien, et que vous ne gênez point aussi. On se voit, on se parle, on s’écoute, on ne se dit rien, on est content d’être ensemble sans se rien dire ; les deux cœurs se reposent et se voient l’un dans l’autre, ils n’en font qu’un seul ; on ne mesure point ce qu’on dit, on n’a soin de rien insinuer ni de rien amener; tout se dit par simple sentiment et sans ordre ; on ne réserve, ni ne tourne, ni ne façonne rien ; on est aussi content le jour qu’on a peu parlé, que celui qu’on a eu beaucoup à dire. On n’est jamais de la sorte qu’imparfaitement avec les meilleurs amis ; mais c’est ainsi qu’on est parfaitement avec Dieu, quand on ne s’enveloppe point dans les subtilités de son amour-propre. Il ne faut point aller faire à Dieu des visites, pour lui rendre un devoir passager; il faut demeurer avec lui dans la privauté des domestiques, ou, pour mieux dire, des enfants. Soyez avez lui comme mad. votre fille est avec vous320; c’est le moyen de ne s’y point ennuyer. Essayez-le avec cette simplicité, et vous m’en direz des nouvelles.

LSP 142.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Il ne faut point délibérer pour savoir si vous devez tout dire. On ne peut rien faire de bon, que par une entière simplicité et par une ouverture de cœur sans réserve. Il n’y a point d’autre règle, que celle de ne rien réserver volontairement par la répugnance que l’amour-propre aurait à dire ce qui lui est désavantageux. D’ailleurs il serait hors de propos de s’appliquer, pendant l’oraison, aux choses qui se présentent, pour les dire ; car ce serait suivre la distraction. Il suffit de dire dans les occasions, avec épanchement de cœur, tout ce qu’on connaît de soi. Je comprends bien qu’un certain trouble de l’amour-propre fait que diverses choses, que l’on comptait de dire, échappent dans le moment où l’on en doit parler; mais, outre qu’elles reviennent un peu plus tard, et qu’on ne perd pas toujours les choses importantes que l’on connaît de soi-même, de plus Dieu bénit cette simplicité, et il ne permet pas qu’on ne fasse point connaître ce que sa lumière nous montre en nous de contraire à sa grâce. Le principal point est de ne pas trop subtiliser par les réflexions, et de dire tout sans façon, selon la lumière qu’on en a, quand l’occasion vient. Il n’y a que les enveloppes de l’amour-propre qui puissent cacher le fond de notre cœur. Ne vous écoutez point vous-même ; alors vous vous ouvrirez sans peine, et vous parlerez de vous avec facilité comme d’autrui.

Tout ce que vous m’avez mandé de votre oraison est très bon. J’en remercie Dieu, et je vous conjure de continuer. N’oubliez jamais cette bonne parole de votre première lettre: j’expérimente que la grâce ne me manque point quand je désespère bien de moi. Celle-ci est encore excellente : je sens que la croix m’attache à Dieu. Enfin en voici une troisième que je goûte fort: il me semble que Dieu ne veut pas que j’examine tant mes dispositions, qu’il demande que je m’abandonne à lui. Tenez-vous dans cet état, et revenez-y dès que vous apercevez que vous en êtes déchue.

La seconde lettre marque que cet état est altéré. Il faut le rétablir en laissant doucement et peu à peu tomber vos réflexions, qui ne vont qu’à vous distraire et à vous troubler. Les tentations de vaine complaisance ne doivent pas vous empêcher ni de me parler ni de m’écrire. Il ne faut point s’occuper curieusement de soi ; mais il faut dire simplement tout ce que la lumière de Dieu en fait voir.

Je ne m’étonne point de ce que Dieu permet que vous fassiez des fautes, dans le temps même des ferveurs et du recueillement, où vous voudriez le moins en faire. La Providence qui permet ces fautes est une des grâces que Dieu vous fait en ce temps-là ; car Dieu ne permet ces fautes, que pour vous faire sentir votre impuissance de vous corriger par vous-même. Qu’y a-t-il de plus convenable à la grâce, que de vous désabuser de vous-même, et de vous réduire à recourir sans cesse en toute humilité à Dieu ? Profitez de vos fautes, et elles serviront plus, en vous rabaissant à vos propres yeux, que vos bonnes œuvres en vous consolant. Les fautes sont toujours fautes ; mais elles nous mettent dans un état de confusion et de retour à Dieu qui nous fait un grand bien.

Je ne m’étonne point que vous ayez des saillies de chagrin; mais il faut se taire dès que l’esprit de grâce avertit et impose silence. Alors c’est résister à Dieu, contrister le Saint-Esprit, que de continuer à suivre son chagrin. La crainte de déplaire à Dieu devrait vous retenir plus que la crainte de déplaire aux créatures. Quand vous avez fait une faute par amour-propre, n’espérez pas que l’amour-propre la répare par ses dépits, par sa honte, et par ses impatiences contre soi-même. Il faut se supporter en se voyant sans se flatter dans toute son imperfection. Il faut vouloir se corriger par amour de Dieu, sans se soulever contre son imperfection par amour-propre. Il vaut bien mieux travailler paisiblement à se corriger, que de se dépiter à pure perte sur ses misères. Il faut retrancher partout les retours de sagesse pour soi, et surtout en confession. Mais Dieu permet qu’on trouve la boue au fond de son cœur jusque dans les plus saints exercices.

LSP 143.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Ce que je vous ai dit ne vous a fait une si grande peine, qu’à cause que j’ai touché l’endroit le plus vif et le plus sensible de votre cœur. C’est la plaie de votre amour-propre que j’ai fait saigner. Vous n’êtes point entrée avec simplicité dans ce que Dieu demande de vous. Si vous aviez acquiescé à tout sans vous écouter vous-même, et si vous eussiez communié pour trouver en Notre-Seigneur la force qui vous manque dans votre propre fond, vous auriez eu d’abord une véritable paix avec un grand fruit de votre acquiescement. Ce qui n’a pas été fait peut se faire, et je vous conjure de le faire au plus tôt321.

LSP 144.* A LA MARQUISE DE RISBOURG (?)

Il est vrai que vous vous observez trop, que vous vous’ voulez trop deviner par amour-propre délicat et ombrageux, et que vous vous piquez facilement; mais il faut porter cette croix intérieure comme les extérieures. Elle est bien plus rude que celles du dehors. On souffre bien plus volontiers de la déraison d’autrui, que de sa déraison propre. L’orgueil en est au désespoir, il se pique de s’être piqué; mais cette double piqûre est un double mal. Il n’y a qu’un seul remède, qui est de mettre à profit nos imperfections en les faisant servir à nous humilier, à nous confondre, à nous désabuser de nous-mêmes, et à nous mettre en défiance de notre cœur.

Vous devez remercier Dieu de ce qu’il vous fait sentir que le travail nécessaire pour gagner M […]. est un de vos premiers devoirs. Mourez à vos répugnances, pour vous mettre à portée de lui apprendre à mourir à tous ses défauts. Vous ne vous trompez nullement quand vous me regardez comme un ami sincère et à toute épreuve ; mais vous faites un obstacle à la grâce, de ce qui en doit être le pur instrument, si vous n’êtes pas fidèle à chercher Dieu seul en moi, et à n’y voir que sa lumière, comme les rayons du soleil au travers d’un verre vil et fragile.

Vous ne trouverez la paix ni dans la société ni dans la solitude, quand vous y voudrez trouver des ragoûts et des soulagements de votre amour-propre dépité. Alors la solitude d’un orgueil boudeur est encore pis qu’une société un peu dissipée. Quand vous serez simple et petite, les compagnies ne vous gêneront ni ne vous dépiteront pas ; alors vous ne chercherez la solitude que pour Dieu seul.

LSP 501. À LA MARQUISE DE RISBOURG

Je prends part à toutes vos souffrances, ma très chère fille; mais je suis consolé de voir votre bonne résolution. Il fut dit à saint Paul : Il vous est dur de regimber contre l’aiguillon. Si vous ne résistiez jamais à Dieu, vous n’auriez que paix dans les douleurs mêmes. Il me tarde de vous aller voir: un autre moi-même y va pour moi322.

LSP 502. À LA MARQUISE DE RISBOURG

Je crois que la bonne personne dont il s’agit doit faire deux choses. La première est de ne s’arrêter jamais à aucune de ses lumières extraordinaires. Si ces lumières sont véritablement de Dieu, il suffit, pour ne leur point résister et pour en recevoir tout le fruit, de demeurer dans un acquiescement général et sans aucune borne à toute volonté de Dieu, dans les ténèbres de la plus simple foi. Si, au contraire, ces lumières ne viennent pas de Dieu, cette simplicité paisible dans l’obscurité de la foi est le remède assuré contre toute illusion. On ne se trompe point quand on ne veut rien voir, et qu’on ne s’arrête à rien de distinct pour le croire, excepté les vérités de l’Évangile. Il arrive même souvent que les lumières sont mélangées : auprès de l’une qui est vraie et qui vient de Dieu, il s’en présente une autre qui vient de notre imagination, ou de notre amour-propre, ou du tentateur qui se transforme en ange de lumière. Les vraies lumières mêmes sont à craindre, car on s’y attache avec une complaisance subtile et secrète : elles font insensiblement un appui et une propriété ; elles se tournent par là en illusion malgré leur vérité ; elles empêchent la nudité et le dépouillement que Dieu demande des âmes avancées. De là vient que ces dons lumineux ne sont d’ordinaire que pour des âmes médiocrement mortes à elles-mêmes, au lieu que celles que Dieu mène plus loin outrepassent par simplicité tous ces dons sensibles. On voit les rayons du soleil distinctement à un demi-jour, près d’une fenêtre; mais dehors en plein air on ne les distingue plus.

Je conjure cette bonne personne de laisser tomber simplement tous ces’ dons, sans les rejeter positivement, et se bornant à n’y faire aucune attention par son propre choix. S’ils sont de Dieu, ils opèreront assez ce qu’il faudra; mais je crois qu’ils cesseront peu à peu, à mesure que la simplicité et le dénuement croîtront. Voilà le premier point, qui est d’une conséquence extrême, si je ne me trompe.

Le second point est que je crois qu’elle doit par simplicité suivre sans scrupule les pentes du fond de son cœur. Si elle suit toujours avec méthode et exactitude toutes les règles que des gens d’ailleurs très pieux lui donneront, elle se gênera beaucoup, et gênera en elle l’esprit de Dieu. Là où est cet esprit, là est la liberté, dit saint Paul. À Dieu ne plaise que cette liberté d’amour soit l’ombre du moindre libertinage ! C’est cette liberté qui élargira son cœur, et qui l’accoutumera à être familièrement avec Dieu. Il ne suffit pas de nourrir un enfant ; à un certain âge, il faut le démaillotter. Elle doit suivre simplement en esprit d’enfance l’attrait intérieur pour les temps d’oraison, pour les objets dont elle s’y occupe, pour parler, pour se taire, pour agir, pour souffrir. Cette dépendance de l’esprit de mort, qui est celui de la véritable vie, fera tout son état. Je ne parle point des pentes qui ne viennent que par contrecoup et par réflexion ; c’est en écoutant l’amour-propre et ses arrangements, que de telles pentes nous viennent.

Ce sont des pentes étrangères à notre vrai fond: on se les donne ; on les prépare; elles sont raisonnées : on ne les trouve point toutes formées en nous comme sans nous. Les bonnes sont celles qui se trouvent dans le fond le plus intime en paix et devant Dieu, quand on se prête à lui, et qu’on suspend tout le reste pour le laisser opérer.

Voilà ce que je souhaiterais que cette personne suivît sans retour, et par simple souplesse, comme la plume se laisse emporter sans hésitation au plus léger souffle de vent. Il ne faut point craindre de suivre cette impression si intime et si délicate, car elle ne mène qu’à la mort, qu’à l’obscurité de la foi, qu’au dénuement total, et qu’à un rien de foi qui est le tout de Dieu seul, sans manquer à aucun véritable devoir.

Pour les souffrances, il n’y a qu’à les recevoir sans attention, et qu’à les outrepasser comme les lumières, ne comptant point avec Dieu pour ce que l’on souffre, et ne les remarquant qu’autant que la remarque en vient sans la chercher ni entretenir.

Il faut recevoir tout le monde avec petitesse, surtout les prêtres en autorité; mais il ne faut pas se laisser brouiller et dérouter par toutes sortes de bonnes gens sans expérience suffisante. Dieu donnera tout ce qu’il faut sans lumière distincte, si on se contente des ténèbres de la foi, et si on ne veut point des sûretés à sa mode pour s’appuyer sensiblement. Je me recommande aux prières de cette bonne personne, et je ne l’oublierai pas dans les miennes.323

Relevé de correspondance. 



Nous ne reprenons pas en détail les LSP 492-500 adressées à la marquise de Risbourg, v.les tables [CF 14 & 16].



Madame de la Maisonfort (1663-après 1717)



Cousine de Mme Guyon, bras droit dans la fondation de Saint-Cyr, puis « exilée » en divers lieux religieux.

« Marie-Françoise-Silvine de la Maisonfort, née le 6 octobre 1663, fille d'Antoine-Paul Le Maistre de La Maisonfort, oncle de Mme Guyon. Bien faite et agréable, elle sut bientôt gagner l'esprit de son abbesse qui la mena à Nancy au passage de la Dauphine en mars 1680. Sa famille étant très pauvre et, son père remarié, elle vint à Paris. Mme de Brinon, directrice de Saint-Cyr, la retint comme « maîtresse séculière rétribuée. » Dès l'été 1684, elle suscitait l'enthousiasme de Mme de Maintenon qui la chargeait de remplacer la supérieure, ne tarissait pas d'éloges à son sujet et se plaignait de ne pas entendre assez parler d'elle. A Versailles elle était « connue même très particulièrement du Roi qui la voyait tous les jours chez Mme de Maintenon et lui faisait l'honneur de lui parler ». Elle prononça en 1694 ses vœux solennels. Bien qu'elle fût depuis le début de 1696 en relation avec Bossuet, elle fut chassée le 10 mai 1697 de Saint-Cyr comme quiétiste. […] Sur sa demande, elle passa chez les visitandines de Meaux, mais en raison de la même aversion pour « leurs petitesses », elle fut transférée le 23 octobre 1701 chez les ursulines de Meaux puis, en 1707, chez les bernardines d'Argenteuil. A la mort de Bossuet, Mme de La Maisonfort reprit sa correspondance avec Fénelon ( ?) et Mme Guyon. » [O] 324.

314. À Mme DE LA MAISONFORT. [Mars 1695].

Il n’y a de mauvaises réflexions que celles qu’on fait par amour-propre sur soi-même et sur les dons de Dieu pour se les approprier. Il est aussi bon en soi de réfléchir que de s’occuper autrement ; le mal est de se regarder avec complaisance ou avec inquiétude. Quand la grâce porte l’âme à faire des réflexions sur soi, elles sont aussi parfaites que la présence de Dieu la plus sublime. Si donc on parle souvent de laisser tomber les réflexions, et de s’oublier, cela ne se doit entendre que du retranchement des réflexions empressées de l’amour-propre, qui sont presque toujours celles qu’on remarque dans les âmes, ou de celles qui interrompraient la vue actuelle de Dieu dans les temps d’oraison simple.

Saint François de Sales n’a pas prétendu retrancher toute action de grâces, ni toute attention à nous-mêmes : autrement il ne faudrait plus de colloque amoureux avec Dieu, tel que les grands saints en ont dans l’oraison la plus passive. Il ne faudrait plus de directeur ; car on parle sans cesse au directeur de soi et de ses dispositions, ce qui est une réflexion sur soi-même. Tout se réduit donc à ne point faire des actes empressés, ni même méthodiques et arrangés, pour s’examiner, ou pour rendre grâces à Dieu, quand l’attrait d’oraison est actuel, et qu’il nous occupe du repos d’amour avec Dieu.

La neuvième proposition est la seule sur laquelle j’ai hésité; mais comme on trouve dans la XXXIIIe ce qui me paraît nécessaire pour l’éclaircir325, je n’ai pas cru devoir m’arrêter là-dessus. Quoique la récompense qui est le bonheur éternel, ne puisse jamais être réellement séparée de l’amour de Dieu, ces deux choses néanmoins peuvent être séparées dans nos motifs ; car on peut aimer Dieu purement pour lui-même, quand même cet amour ne devrait jamais nous rendre heureux.

Beaucoup de saints canonisés ont été dans ce sentiment ; il est même le plus autorisé dans les écoles. Ces âmes ne souhaitent point leur salut en tant qu’il est leur salut propre, leur avantage et leur bonheur. Si Dieu les devait anéantir à la mort, ou leur faire souffrir un supplice éternel, sans le haïr et sans perdre son amour, elles ne le serviraient pas moins, et elles ne le servent pas davantage pour la récompense qu’il promet. Ce qu’elles veulent à l’égard du salut, c’est la perpétuité de l’amour de Dieu, et la conformité à sa volonté, qui est que tous les hommes en général et chacun de nous en particulier soient sauvés. On ne veut donc point en cet état son salut, comme son propre salut, et à cet égard on y est indifférent ; mais on le veut comme une chose que Dieu veut, et en tant que le salut est la perpétuité même de l’amour divin. L’amour ne peut vouloir cesser d’aimer.

Saint François dit, il est vrai, que l’oraison de quiétude contient éminemment les actes d’une méditation discursive. Et en effet, toutes les fois qu’on se sent attiré à cette oraison avec une répugnance aux actes discursifs, il faut se laisser à cet attrait, pourvu qu’on soit dans un état assez avancé pour cette sorte d’oraison. Mais il ne s’ensuit pas que cette oraison exclue pour toujours tous les actes distincts. Ces actes, dans un grand nombre d’occasions de la vie, sont les fruits de cette oraison, et les fruits de cette oraison, qui sont les actes, étant faits dans les occasions sans empressement, servent à leur tour à cette oraison, pour la rendre plus pure et plus forte. Une personne qui ne ferait jamais de ces actes simples et paisibles en aucune des occasions principales où il est naturel d’en faire, et qui se contenterait d’une quiétude générale comme plus parfaite, me paraîtrait dans l’illusion, et dans l’inexécution de la loi de Dieu.

Les âmes les plus passives font aussi des actes distincts et en grand nombre, mais sans empressement ; c’est ce que les mystiques appellent coopérer avec Dieu sans activité propre. Je crois que ces actes distincts se font même dans l’oraison ; mais ils se font par une certaine pente et une certaine facilité spéciale qui est dans le fond de l’âme, par l’habitude de l’oraison passive, pour former, selon les besoins, les actes les plus éminents.

Toute la vie des âmes passives se réduit à l’unité et simplicité de la quiétude, quand Dieu les y met actuellement. Mais ce principe d’unité et de simplicité se multiplie d’une manière très distincte et très variée selon les besoins et les occasions, et même suivant les choses que Dieu veut opérer dans l’intérieur, sans aucune occasion extérieure. Cet amour simple de repos, pendant qu’il est actuel, est un tissu d’actes très simples et presque imperceptibles. Quand cet amour direct et de repos n’est pas actuel, ce principe d’unité, comme le tronc d’un arbre, se multiplie dans ses branches et dans ses fruits. Il devient pendant la journée une occupation indirecte de Dieu. C’est tantôt acquiescement aux croix, puis à l’abandon, aux délaissements ; une autre fois, support des contradictions ; dans la suite, renoncement à la sagesse propre, docilité pour le prochain, attachement à l’obéissance, etc. C’est l’esprit un et multiplié dont parle Salomon. Tantôt il n’est qu’une chose, tantôt il en est plusieurs. Il est simple par son principe dans la multitude des actes depuis le matin jusqu’au soir, quoiqu’ils ne soient pas toujours discursifs et réfléchis. La grâce y incline doucement l’âme en chaque moment, suivant l’occasion et le dessein de Dieu. …

190. LSP 25. À Mme DE LA MAISONFORT. 29 février [1692].

Je me réjouis de vous savoir à la veille d’un grand sacrifice où j’espère que vous trouverez la paix. Il la faut moins chercher par l’état extérieur, que par la disposition intérieure. Toutes les fois que vous voudrez prévoir l’avenir, et chercher des sûretés avec Dieu, il vous confondra dans vos mesures, et tout ce que vous voudrez retenir vous échappera. Abandonnez donc tout sans réserve. La paix de Dieu ne subsiste parfaitement que dans l’anéantissement de toute volonté et de tout intérêt propre. Quand vous ne vous intéresserez plus qu’à la gloire de Dieu et à l’accomplissement de son bon plaisir, votre paix sera plus profonde que les abîmes de la mer, et elle coulera comme un fleuve. Il n’y a que la réserve, le partage d’un cœur incertain, l’hésitation d’un cœur qui craint de trop donner, qui puisse troubler ou borner cette paix, immense dans son fond comme Dieu même. […]

Dieu vous veut sage, non de votre propre sagesse, mais de la sienne. Il vous rendra sage, non en vous faisant faire force réflexions, mais au contraire en détruisant toutes les réflexions inquiètes de votre fausse sagesse. Quand vous n’agirez plus par vivacité naturelle, vous serez sage sans sagesse propre. Les mouvements de la grâce sont simples, ingénus, enfantins. La nature impétueuse pense et parle beaucoup : la grâce parle et pense peu, parce qu’elle est simple, paisible et recueillie au-dedans. Elle s’accommode aux divers caractères; elle se fait tout à tous; elle n’a aucune forme ni consistance propre, car elle ne tient à rien, mais elle prend toutes celles des gens qu’elle doit édifier. Elle se proportionne, se rapetissse, se replie. Elle ne parle point aux autres selon sa propre plénitude, mais suivant leurs besoins présents. Elle se laisse reprendre et corriger. Surtout elle se tait, et ne dit au prochain que ce qu’il est capable de porter; au lieu que la nature s’évapore dans la chaleur d’un zèle inconsidéré. […]326.

LSP 145* A MADAME DE LA MAISONFORT

Dieu ne donne son esprit qu’à ceux qui le lui demandent avec douceur et petitesse. Rapetissez-vous donc, radoucissez votre cœur. Devenez un bon petit enfant, qui se laisse porter partout où l’on veut, et qui ne demande pas même où est-ce qu’on le porte. Pour moi, je ne puis plus avoir l’honneur de vous voir; mais vous n’avez aucun besoin de moi, si vous avez le courage de ne rien décider, et de vous livrer à la volonté de ceux qui gouvernent. Il y avait autrefois un solitaire qui s’était dépouillé du livre des Évangiles, et qui disait: «Je me suis dépouillé de tout, même du livre qui m’a enseigné le dépouillement.» À quoi sert l’abandon que vous avez tant aimé ? N’est-ce pas une illusion, si on ne le pratique quand les occasions s’en présentent ? Je ne suis point comparable au livre sacré des Évangiles, où est la parole de vie éternelle ; mais quand je serais un ange du ciel, au lieu que je ne suis qu’un indigne prêtre, il ne faudrait se souvenir de moi que pour se souvenir de ce que j’ai pu dire de bon.

Je ne vous ai jamais parlé que d’abandon sans réserve et de docilité enfantine. Je ne vous ai donc enseigné qu’à vous détacher de moi comme de tout le reste, et qu’à vous abandonner sans hésitation à la conduite de vos supérieurs327. Ce serait vous ôter de votre grâce et de l’ordre de Dieu, que de vouloir vous donner encore des secours auxquels vous devez mourir. Quand le temps de mourir à certains secours est venu, ces secours ne sont plus secours, ils se tournent en pièges. Au lieu d’être des moyens qui unissent à Dieu, ils deviennent un milieu humain entre Dieu et nous, qui nous arrête, et nous empêche de nous unir immédiatement à lui. Je le prie de tout mon cœur, Madame, de vous donner l’esprit de foi et de sacrifice dont vous avez besoin pour accomplir sa volonté. Personne ne vous honorera jamais plus parfaitement que moi328.

LSP 206.*A MADAME DE LA MAISONFORT

Je m’en tiens à ce que vous dites, qui est que vous résistez sans cesse à la volonté de Dieu. L’impression qu’il vous donne est d’être occupée de lui; mais les réflexions de votre amour-propre ne vous occupent que de vous-même. Puisque vous connaissez que vous seriez plus en repos, si vous ne vouliez pas sans cesse, par vos efforts, atteindre à une oraison élevée, et briller dans la dévotion, pourquoi ne cherchez-vous pas ce repos ? Contentez-vous de suivre Dieu et ne prétendez pas que Dieu suive vos goûts pour vous flatter. Faites l’oraison comme les commençants les plus grossiers et les plus imparfaits, s’il le faut: accommodez-vous à l’attrait de Dieu et à votre besoin. Il est vrai qu’il ne faut pas se troubler quand on sent en soi les goûts corrompus de l’amour-propre. Il ne dépend pas de nous de ne les sentir point ; mais il n’y faut donner aucun consentement de la volonté, et laisser tomber ces sentiments involontaires, en se tournant d’abord simplement vers Dieu. Moyennant cette conduite, il faut communier, et il faut même communier pour la pouvoir tenir. Si vous attendiez à communier que vous fussiez parfaite, vous n’auriez jamais ni la communion ni la perfection ; car on ne devient parfait qu’en communiant, et il faut manger le pain descendu du ciel pour parvenir peu à peu à une vie toute céleste.

Pour vos croix, il faut les prendre comme la pénitence de vos péchés, et comme l’exercice de mort à vous-même qui vous mènera à la perfection. O que les croix sont bonnes ! O que nous en avons besoin ! Eh ! que ferions-nous sans croix? Nous serions livrés à nous-mêmes, et enivrés d’amour-propre. Il faut des croix, et même des fautes, que Dieu permet pour nous humilier. Il faut mettre tout à profit, éviter les fautes dans l’occasion, et s’en servir pour se confondre dès qu’elles sont faites. Il faut porter les croix avec foi, et les regarder comme des remèdes très salutaires.

Craignez la hauteur ; défiez-vous de ce que le monde appelle la bonne gloire; elle est cent fois plus dangereuse que la plus sotte. Le plus subtil poison est le plus mortel. Soyez douce, patiente, compatissante aux faiblesses d’autrui, incapable de toute moquerie et de toute critique. La charité croit tout le bien qu’elle peut croire, et supporte tout le mal qu’elle ne peut s’empêcher de voir dans le prochain. Mais, pour être ainsi morte au monde, il faut vivre à Dieu ; et cette vie intérieure ne se puise que dans l’oraison. Le silence et la présence de Dieu sont la nourriture de l’âme.

LSP 207.* A MADAME DE LA MAISONFORT

J’ai reçu votre dernière lettre. Il m’y paraît que Dieu vous fait de grandes grâces, car il vous éclaire et poursuit beaucoup; c’est à vous à y correspondre. Plus il donne, plus il demande; et plus il demande, plus il est juste de lui donner.

Vous voyez qu’il retire ses consolations et l’attrait du recueillement, dès que vous vous laissez aller au goût des créatures qui vous dissipent. Jugez par là de la jalousie de Dieu et de celle que vous devez avoir contre vous-même, pour n’être plus à vous, et pour vous livrer toute à lui sans réserve.

Vous aviez bien raison de croire que le renoncement à soi-même, qui est demandé dans l’Évangile, consiste dans le sacrifice de toutes nos pensées et de tous les mouvements de notre cœur. Le moi, auquel il faut renoncer, n’est pas un je ne sais quoi ou un fantôme en l’air; c’est notre entendement qui pense, c’est notre volonté qui veut à sa mode par amour-propre. Pour rétablir le véritable ordre de Dieu, il faut renoncer à ce moi déréglé, en ne pensant et en ne voulant plus que selon l’impression de l’esprit de grâce.

Voilà l’état où Dieu se communique familièrement. Dès qu’on sort de cet état, on résiste à l’esprit de Dieu, on le contriste, et on se rend indigne de son commerce. C’est par miséricorde que Dieu vous rebute, et vous fait sentir sa privation dès que vous vous tournez vers les créatures : c’est qu’il veut vous reprocher votre faute, et vous en humilier, pour vous en corriger et pour vous rendre plus précautionnée. Alors il faut revenir humblement et patiemment à lui. Ne vous dépitez jamais, c’est votre écueil ; mais comptez que le silence, le recueillement, la simplicité, et l’éloignement du monde sont pour vous ce que la mamelle de la nourrice est pour l’enfant.

LSP 208* A MADAME DE LA MAISONFORT

Je suis véritablement attristé d’avoir vu hier votre cœur si malade. Il me semble que vous devez faire également deux choses : l’une est de ne suivre jamais volontairement les délicatesses de votre amour-propre; l’autre est de ne vous décourager jamais en éprouvant dans votre cœur ces dépits si déraisonnables. Voulez-vous bien faire? Demandez à Dieu qu’il vous rende patiente avec les autres et avec vous-même. Si vous n’aviez que les autres à supporter, et si vous ne trouviez de misères qu’en eux, vous seriez violemment tentée de vous croire au-dessus de votre prochain. Dieu veut vous réduire, par une expérience presque continuelle de vos défauts, à reconnaître combien il est juste de supporter doucement ceux d’autrui. Eh ! que serions-nous, si nous ne trouvions rien à supporter en nous puisque nous avons tant de peine à supporter les autres, lors même que nous avons besoin d’un continuel support?

Tournez à profit toutes vos faiblesses en les acceptant, en les disant avec une humble ingénuité, et en vous accoutumant à ne compter plus sur vous. Quand vous serez bien sans ressource, et bien dépossédée de vous-même par un absolu désespoir de vos propres forces, Dieu vous apprendra à travailler dans une entière dépendance de sa grâce pour votre correction. Ayez patience avec vous-même ; rabaissez-vous ; rapetissez-vous ; demeurez dans la boue de vos imperfections, non pour les aimer ni pour négliger leur correction, mais pour en tirer la défiance de votre cœur et l’humiliation profonde, comme on tire les plus grands remèdes des poisons mêmes. Dieu ne vous fait éprouver ces faiblesses, qu’afin que vous recouriez plus vivement à lui. Il vous délivrera peu à peu de vous-même. O l’heureuse délivrance !

LSP 209.*A MADAME DE LA MAISONFORT [Avant mai 1697]

Vous vous réjouissez par jalousie des défauts de M[...].329 que vous supportez le plus impatiemment : vous êtes plus choquée de ses bonnes qualités que de ses défauts. Tout cela est bien laid et bien honteux. Voilà ce qui sort de votre cœur, tant il en est plein ; voilà ce que Dieu vous fait sentir, pour vous apprendre à vous mépriser, et à ne compter jamais sur la bonté de votre cœur. Votre amour-propre est au désespoir quand, d’un côté, vous sentez au dedans de vous une jalousie si vive et si indigne, et quand, d’un autre côté, vous ne sentez que distraction, que sécheresse, qu’ennui, que dégoût pour Dieu. Mais l’œuvre de Dieu ne se fait en nous qu’en nous dépossédant de nous-mêmes, à force d’ôter toute ressource de confiance et de complaisance à l’amour-propret. Vous voudriez vous sentir bonne, droite, forte et incapable de tout mal. Si vous vous trouviez ainsi, vous seriez d’autant plus mal que vous vous croiriez assurée d’être bien. Il faut se voir pauvre, se sentir corrompue et injuste, ne trouver en soi que misère, en avoir horreur, désespérer de soi, n’espérer plus qu’en Dieu, et se supporter soi-même avec une humble patience sans se flatter. Au reste, comme ces choses ne sont que des sentiments involontaires, il suffit que la volonté n’y consente point. Par là vous en tirerez le profit de l’humiliation, sans avoir l’infidélité d’adhérer à des sentiments si corrompus.

[…] Vous pensiez vous posséder; mais l’expérience vous montrera que c’est un amour-propre ombrageux, dépiteux et bizarre qui vous possède. J’espère que, dans la suite, vous ne songerez plus à vous posséder vous-même, et que vous vous laisserez posséder de Dieu.

223. LSP 213. À MADAME DE LA MAISONFORT. 5 avril [1693].

Vous voudriez être parfaite, et vous voir telle, moyennant quoi vous seriez en paix. La véritable paix de cette vie doit être dans la vue de ses imperfections non flattées et tolérées, mais au contraire condamnées dans toute leur étendue. On porte en paix l’humiliation de ses misères, parce qu’on ne tient plus à soi par amour-propre. On est fâché de ses fautes plus que de celles d’un autre, non parce qu’elles sont siennes, et qu’on y prend un intérêt de propriété, mais parce que c’est à nous à nous corriger, à nous vaincre, à nous désapproprier, à nous anéantir, pour accomplir la volonté de Dieu à nos dépens. Le tempérament convenable à notre besoin, est de nous rendre attentifs et fidèles à toutes les vues intérieures de nos imperfections, qui nous viennent par le fond sans raisonner, et de n’écouter jamais volontairement les raisonnements inquiets et timides, qui vous rejetteraient dans le trouble de vos anciens scrupules. Ce qui se présente à l’âme d’une manière simple et paisible, est lumière de Dieu pour la corriger. Ce qui vous vient par raisonnement et par inquiétude, est un effet de votre naturel qu’il faut laisser tomber peu à peu en se tournant vers Dieu avec amour. Il ne faut non plus se troubler par la prévoyance de l’avenir, que par les réflexions sur le passé. Quand il vous vient un doute que vous pouvez consulter, faites-le : hors de là, n’y songez que quand l’occasion se présente. Alors donnez-vous à Dieu, et faites bonnement le mieux que vous pourrez, selon la lumière du moment présent.

Quand les occasions de sacrifice sont passées, n’y songez plus. Si elles reviennent, ne faites rien par le souvenir du moment passé : agissez par la pente actuelle du cœur.





Vidame d’Amiens 1676-1744

Il s’agit du fils survivant des Chevreuse 330.

LSP 174.*Au VIDAME D’AMIENS (?) [1706-1707]

On ne peut être plus touché que je le suis, Monsieur, de la très bonne lettre que vous avez pris la peine de m’écrire : j’y vois votre cœur, et je le goûte. Je souhaite que Dieu vous conserve au milieu de la contagion du siècle. Le principal pour vous, Monsieur, est de vous défier de votre facilité et de votre activité naturelle. Vous avez plus de penchant qu’un autre à vous dissiper; dès que vous êtes dissipé, vous êtes affaibli. Comme votre force ne peut être qu’en Dieu seul, il ne faut pas s’étonner si la force vous manque dès que vous manquez à Dieu. C’est bien assez que Dieu nous soutienne quand nous ne nous éloignons pas de lui ; mais il doit permettre en quelque sorte notre chute quand nous ne craignons pas de tomber, et quand nous nous éloignons témérairement de son secours. Nous ne pouvons espérer de ressource contre notre fragilité, que dans le recueillement et dans la prière.

Vous avez plus de besoin qu’un autre de ce secours : vous avez un naturel facile, qui s’engage et qui se passionne bientôt, votre vivacité et votre activité naturelle vous jetant sans cesse au-dehors. D’ailleurs vous avez un air ouvert qui fait plaisir, et qui prévient le monde en votre faveur: il n’y a rien de si dangereux que de plaire; l’amour-propre en est charmé, et ce charme empoisonne le cœur. D’abord on s’amuse et on se flatte, puis on se dissipe, et on sent ralentir toutes ses bonnes résolutions ; puis on s’enivre de soi-même et du monde, c’est-à-dire de plaisir et de vanité. Alors on se trouve dans une distance infinie de Dieu ; on n’a plus le courage d’y retourner; on n’ose même plus songer à se faire cette violence.

Vous n’avez, Monsieur, de ressource qu’à vous précautionner contre la dissipation. Je vous conjure de donner tous les matins un petit quart d’heure à une lecture méditée avec liberté, simplicité et affection ; encore un petit moment de même vers le soir331: de temps en temps dans la journée renouvelez la présence de Dieu et l’intention d’agir pour lui ; humiliez-vous de vos fautes ; travaillez de bonne foi à vous corriger, ayez patience avec vous-même, sans vous flatter, comme vous feriez avec un autre; fréquentez les sacrements dans des temps réglés. Je prierai de tout mon cœur pour vous332.

1148. Au VIDAME D’AMIENS. 31 mai 1707.

… Je crois que vous ne sauriez être avec Dieu dans une trop grande confiance. Dites-lui tout ce que vous avez sur le cœur, comme on se décharge le cœur avec un bon ami sur tout ce qui afflige ou qui fait plaisir. Racontez-lui vos peines, afin qu’il vous console. Dites-lui vos joies afin qu’il les modère. Exposez-lui vos désirs, afin qu’il les purifie. […] Dites-lui combien l’amour-propre vous porte à être injuste contre le prochain, combien la vanité vous tente d’être faux, pour éblouir les hommes dans le commerce, combien votre orgueil se déguise aux autres et à vous-même. […] Les gens qui n’ont rien de caché les uns pour les autres, ne manquent jamais de sujets de s’entretenir. Ils ne préparent, ils ne mesurent rien pour leurs conversations, parce qu’ils n’ont rien à réserver. Ainsi ne cherchent-ils rien. Ils ne parlent entre eux que de l’abondance du cœur. Ils parlent sans réflexion comme ils pensent. C’est le cœur de l’un qui parle à l’autre. Ce sont deux cœurs qui se versent pour ainsi dire l’un dans l’autre. Heureux ceux qui parviennent à cette société familière et sans réserve avec Dieu.

À mesure que vous lui parlerez, il vous parlera. […] Ce n’est point une inspiration extraordinaire qui vous expose à l’illusion. Elle se borne à vous inspirer les vertus de votre état, et les moyens de mourir à vous-même, pour vivre à Dieu. C’est une parole intérieure qui nous instruit selon nos besoins en chaque occasion. Dieu est le vrai ami qui nous donne toujours le conseil et la consolation nécessaire. Nous ne manquons qu’en lui résistant. Ainsi il est capital de s’accoutumer à écouter sa voix, à se faire taire intérieurement, à prêter l’oreille du cœur, et à ne perdre rien de ce que Dieu nous dit. On comprend bien ce que c’est que se taire au-dehors, et faire cesser le bruit des paroles, que notre bouche prononce. Mais on ne sait point ce que c’est que le silence intérieur. Il consiste à faire taire son imagination vaine, inquiète, et volage. Il consiste même à faire taire son esprit rempli d’une sagesse humaine, et à supprimer une multitude de vaines réflexions qui agitent et qui dissipent l’âme. Il faut se borner dans l’oraison à des affections simples, et à un petit nombre d’objets, dont on s’occupe plus par amour que par de grands raisonnements. La contention de tête fatigue, rebute, épuise. L’acquiescement de l’esprit et l’union du cœur ne lassent pas de même. L’esprit de foi et d’amour ne tarit jamais, quand on n’en quitte point la source.

Mais je ne suis pas, direz-vous, le maître de mon imagination, qui s’égare, qui s’échauffe, qui me trouble. […] Pendant ces distractions mon oraison s’évanouit, et je la passe toute entière à apercevoir que je ne la fais pas. Je vous réponds, Monsieur, que c’est par le cœur que nous faisons oraison, et qu’une volonté sincère et persévérante de la faire est une oraison véritable. […] À chaque fois qu’on aperçoit sa distraction, on la laisse tomber, et on revient à Dieu en reprenant son sujet. Ainsi, outre qu’il demeure dans les temps mêmes de distraction une oraison du fond, qui est comme un feu caché sous la cendre, et une occupation confuse de Dieu, on réveille encore en soi, dès qu’on remarque la distraction, des affections vives et distinctes, sur les vérités que l’on se rappelle dans ces moments-là. Ce n’est donc point un temps perdu. Si vous voulez en faire patiemment l’expérience, vous verrez que certains temps d’oraison passés dans la distraction et dans l’ennui avec une bonne volonté, nourriront votre cœur, et vous fortifieront contre toutes les tentations. Une oraison sèche, pourvu qu’elle soit soutenue avec une fidélité persévérante, accoutume une âme à la croix. Elle l’endurcit contre elle-même, elle l’humilie, elle l’exerce dans la voie obscure de la foi. Si nous avions toujours une oraison de lumière, d’onction, de sentiment, et de ferveur, nous passerions notre vie à nous nourrir de lait, au lieu de manger le pain sec et dur. Nous ne chercherions que le plaisir et la douceur sensible, au lieu de chercher l’abnégation et la mort [mystique]. […] Mais n’attaquez point de front les distractions; c’est se distraire, que de contester contre la distraction même. Le plus court est de la laisser tomber, et de se remettre doucement devant Dieu. Plus vous vous agiterez, plus vous exciterez votre imagination, qui vous importunera sans relâche. Au contraire plus vous demeurerez en paix en vous retournant par un simple regard vers le sujet de votre oraison, plus vous vous approcherez de l’occupation intérieure des choses de D[ieu]. Vous passeriez tout votre temps à combattre contre les mouches qui font du bruit autour de vous. Laissez-les bourdonner à vos oreilles, et accoutumez-vous à continuer votre ouvrage, comme si elles étaient loin de vous.

Pour le sujet de vos oraisons prenez les endroits de l’Évangile ou de l’Imitation de J[ésus] C[hrist] qui vous touchent le plus. Lisez lentement, et à mesure que quelque parole vous touche, faites-en ce qu’on fait d’une conserve, qu’on laisse longtemps dans sa bouche pour l’y laisser fondre. Laissez cette vérité couler peu à peu dans votre cœur. Ne passez à une autre que quand vous sentirez que celle-là a achevé toute son impression. Insensiblement vous passerez un gros quart d’heure en oraison. Si vous ménagez votre temps de sorte que vous puissiez la faire deux fois le jour, ce sera à deux reprises une demie heure d’oraison par jour. Vous la ferez avec facilité, pourvu que vous ne vouliez point y trop faire, ni trop voir votre ouvrage fait. Soyez-y simplement avec Dieu dans une confiance d’enfant qui lui dit tout ce qui lui vient au cœur. Il n’est question que d’élargir le cœur avec Dieu, que de l’accoutumer à lui, et que de nourrir l’amour. L’amour nourri éclaire, redresse, encourage, corrige.

Pour vos occupations extérieures, il faut les partager entre les devoirs et les amusements. Je compte parmi les devoirs toutes les bienséances pour le commerce des généraux de l’armée et des principaux officiers, avec lesquels il faut un air de société et des attentions. […] Une de vos principales occupations doit être, ce me semble, de voir tout ce qui se passe dans une armée, d’en faire parler tous ceux qui ont le plus de génie et d’expérience. Il faut les chercher, les ménager, leur déférer beaucoup, pour en tirer toutes les lumières utiles. […] Je ne cesse, Monsieur, aucun jour de le prier pour vous. Il sait à quel point je vous suis dévoué pour toute ma vie.

LSP 183*. AU VIDAME D’AMIENS. [1710 ou 1711 ?]

J’entre dans vos peines. Que ne puis-je faire quelque chose de plus ! Il faut imiter la foi d’Abraham, et aller toujours sans savoir où333. On ne s’égare que par se proposer un but de son propre choix. Quinconque ne veut rien que la seule volonté de Dieu, la trouve partout, de quelque côté que la Providence le tourne, et par conséquent il ne s’égare jamais. Le véritable abandon n’ayant aucun chemin propre, ni dessein de se contenter, va toujours droit comme il plaît à Dieu. La voie droite est de se renoncer, afin que Dieu seul soit tout, et que nous ne soyons rien.

J’espère que celui qui nourrit les petits oiseaux aura soin de vous. Heureux celui qui, comme Jésus-Christ, n’a pas de quoi reposer sa tête! Quand on s’est livré à la pauvreté intérieure même, doit-on craindre l’extérieure ? Soyez fidèle à Dieu, et Dieu le sera à ses promesses. Faites honneur à la Religion qui est si méprisée, et elle vous le rendra avec usure. Montrez au monde un courtisan qui vit de pure foi.

Craignez votre vivacité empressée, votre goût pour le monde, votre ambition secrète qui se glisse sans que vous l’aperceviez. Ne vous engouez point de certaines conversations de politique ou de joli badinage qui vous dissipent, qui vous indisposent au recueillement et à l’oraison. Parlez peu ; coupez court ; ménagez votre temps; travaillez avec ordre et de suite; mettez les œuvres en la place des beaux discours. Encore une fois, l’avenir n’est point encore à vous ; il n’y sera peut-être jamais334. Bornez-vous au présent ; mangez le pain quotidien. Demain aura soin de lui-même; à chaque jour suffit son mal335. C’est tenter Dieu que de faire provision de manne pour deux jours ; elle se corrompt. Vous n’avez point aujourd’hui la grâce de demain: elle ne viendra qu’avec demain lui-même. Moment présent, petite éternité pour nous.



Marquis de Fénelon (1688-1746)

Militaire blessé dès sa jeunesse en 1711 il est surnommé affectueusement « mon boiteux » par Mme Guyon. « Fanfan » est également chéri par son oncle Fénelon qui lui adresse de nombreuses lettres. Nous ne citons ici que trois exemples, ne voulant pas omettre l’éditeur des Œuvres spirituelles (1738) de son oncle. En ce qui concerne son éveil mystique nous suggérons de consulter la direction complète assurée dans les dernières années de « notre mère » 336.



« Né le 25 juillet 1688, petit-fils du frère aîné de Fénelon, Gabriel‑Jacques de Salignac (1688  – 1746) était le second d’une famille de quatorze enfants. Mousquetaire en 1704, colonel du régiment de Bigorre en 1709, il reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi à Hordain. Mal soigné, il subit une opération au début de février 1713, qui fut suivie de trois mois de maladie dont nous trouvons l’écho dans la correspondance. Il se rendit aux eaux de Barèges en 1714 avec « Panta », l’abbé Pantaleon de Beaumont. Ils s’attardèrent à Paris et à Blois. Commença alors une correspondance suivie avec Madame Guyon. Il fut inspecteur général de l’infanterie en 1718, brigadier en 1719. Il avait épousé, en décembre 1721, Louise‑Françoise Le Peletier, fille de Louis Le Peletier, premier président du Parlement de Paris. De ce mariage naquirent douze enfants. Son mariage avait fait de lui un parent du comte de Morville, secrétaire d’État aux Affaires étrangères ; celui-ci le désigna en 1724 pour l’ambassade de Hollande. Il y resta jusqu’en 1728, où il fut nommé plénipotentiaire au congrès de Soissons, puis retourna en Hollande de 1730 à 1744. Chevalier des Ordres du Roi en 1739, il servit comme lieutenant général dans l’armée du maréchal de Noailles, puis dans celle de Maurice de Saxe. Il était en passe d’obtenir le bâton de maréchal quand il fut blessé très grièvement à la bataille de Raucoux, près de Liège, et mourut quelques jours après, le 11 octobre 1746. Légataire universel de son grand-oncle et dépositaire de tous ses écrits originaux, qui lui avaient été remis par l’abbé de Beaumont, il les publia. » [O].

1662. Au MARQUIS GABRIEL-JACQUES DE FÉNELON. Samedi 1er avril 1713.

Tu souffres, mon très cher petit fanfan, et j’en ressens le contrecoup avec douleur. Mais il faut aimer les coups de la main de D[ieu]. Cette main est plus douce que celle des chirurgiens. Elle n’incise que pour guérir. Tous les maux qu’elle fait se tournent en biens, si nous la laissons faire. Je veux que tu sois patient sans patience et courageux sans courage. Demande à la bonne Duchesse ce que veut dire cet apparent galimatias. Un courage qu’on possède, qu’on tient comme propre, dont on jouit, dont on se sait bon gré, dont on se fait honneur, est un poison d’orgueil. Il faut au contraire se sentir faible, prêt à tomber, le voir en paix, être patient à la vue de son impatience, la laisser voir aux autres, n’être soutenu que de la seule main de Dieu d’un moment à l’autre, et vivre d’emprunt’. En cet état, on marche sans jambes, on mange sans pain, on est fort sans force. On n’a rien en soi, et tout se trouve dans le bien-aimé. On fait tout, et on n’est rien, parce que le bien-aimé fait lui seul tout en nous. Tout vient de lui, tout retourne à lui. La vertu qu’il nous prête n’est pas plus à nous, que l’air que nous respirons et qui nous fait vivre.

Il faut aller au fond pendant qu’on y est, pour ta jambe. Autrement ce serait à recommencer, et on pourrait bien en recommençant trouver le mal incurable. Il le deviendrait par le retardement. Ainsi il est capital de le déraciner avec les plus grandes précautions. Voilà des lettres que je te prie de faire rendre. Tu sais, mon cher petit fanfan, avec quelle tendresse je suis à jamais tout à toi sans réserve.

1690. Au MARQUIS DE FÉNELON. Dimanche 28 mai 1713.

Je remercie D[ieu] de ce qu’il a fait enfin découvrir le mal, qui était si profondément caché. Le péril eût été grand sans cette heureuse découverte. Le rétablissement du trajet me donne de bonnes espérances. Puisque ce trajet est libre, il faut, si je ne me trompe, faire un grand usage des injections pour purifier le fond des chairs. Après tant de mécomptes heureusement réparés, il faut cent précautions l’une sur l’autre, pour s’assurer de ne rien laisser dans ce fond. C’est là-dessus, mon c[her] f[anfan], qu’il faut une patience à toute épreuve, pour ne se mettre point en péril de recommencer, ou de périr sans ressource en se croyant guéri. M. Chirac, qui a tant d’amitié et de pénétration, examinera sans doute si le pus, qui a tant séjourné, n’a point rongé quelque vaisseau sanguin, jusqu’à en affaiblir les tuniques, si ce pus n’a point fait quelque fusée, s’il ne reste point des esquilles embarrassées dans les chairs ou dans les membranes. Je parle en ignorant’. Cela m’est permis ; je parle pour un homme qui excusera tout, et qui saura tourner à bien ce que je dis mal. Je ne doute pas qu’il n’exige de vous une rigoureuse sobriété. C’est sur quoi vous devez avoir une docilité sans bornes pour lui, et une dureté courageuse contre vous-même. …





Charlotte de Saint-Cyprien (~1670-1747)



Jeune intellectuelle convertie au point de rentrer chez les carmélites, elle bénéficiera de l’exigeante direction par Fénelon : ce dernier encourage puis – plusieurs années passent - coupe court à tout attachement. Voici ce qu’Orcibal nous apprend sur son milieu et sur elle-même :



« Bien que le marquis de Dangeau et son frère l'abbé fussent depuis longtemps convertis, leur famille opposa, lors de la Révocation de l'Edit de Nantes, une résistance opiniâtre. Ce fut en particulier le cas de leur soeur Catherine de Courcillon et de Jean Guichard, marquis du Péray, dont elle était la quatrième femme. Ils furent accusés de favoriser les évasions et leur fille Charlotte mise aux Nouvelles Catholiques le 5 mars 1686. Fénelon était alors dans l'Ouest, mais, à la demande des Dangeau, Bossuet entreprit cette conversion difficile et, en lui montrant certaines contradictions dans le Bouclier de la Foi de Du Moulin, obtint le 1er juin 1686 l'abjuration de la jeune intellectuelle. Celle-ci aida alors pendant quelques mois les officières des Nouvelles Catholiques. Elle entra ensuite au Premier Couvent où Fénelon qui « avait examiné » avec elle « ses doutes sur son ancienne religion » (cf. sa lettre inédite du 15 décembre 1713, à la soeur de la carmélite) prêcha le 23 novembre 1687 lors de sa prise d'habit. […] En janvier 1689 Mme de Péray « attendait W. sa mère pour faire sa profession » qui eut lieu le 13 mai 1689 et fut rehaussée par un sermon de Bossuet. Soeur Charlotte de Saint-Cyprien ne cessa jamais de correspondre avec l'archevêque de Cambrai dont, vingt ans après sa mort, elle faisait l'éloge au marquis de Fénelon. Passée en 1717 à Pont-Audemer pour des motifs inconnus, elle y mourut en 1747. » 337

Nous disposons de lettres couvrant l’entrée dans la vie religieuse et dans l’intériorité mystique de 1689 à 1696 puis à la maturité de 1711 à 1714. Un condensé en italiques précède les douze lettres qui nous sont parvenues338.



Choix de citations extrait de la série complète des lettres



Janvier 1689 : Charlotte craint son engagement et s’embarrasse de ses défauts : « Si vous abandonnez sans réserve toutes vos imperfections à l’esprit de Dieu, il les dévorera comme le feu dévore la paille; mais, avant que de vous en délivrer, il s’en servira pour vous délivrer de vous-même et de votre orgueil. […] Courage ! aimez, souffrez, soyez souple et constante dans la main de Dieu. »

Au mois de mai elle fait profession dans une cérémonie « rehaussée par un sermon de Bossuet ».

Août 1695 : Charlotte est encore une intellectuelle, mais « vous n’avez point d’expérience; vous n’avez que de la lecture, avec un esprit accoutumé au raisonnement dès votre enfance. On pourrait même vous croire bien plus avancée que vous ne l’êtes. Voilà ce qui me fait tant désirer que vous marchiez toujours dans la voie de la plus obscure foi et de la plus simple obéissance. » « Plus on a de talents et plus on a besoin d’en éprouver l’impuissance. Il faut être brisé et mis en poudre, pour être digne de devenir l’instrument des desseins de Dieu. »

Novembre : « N’obéissez point à un homme, parce qu’il raisonne plus fortement ou parle d’une manière plus touchante qu’un autre, mais parce qu’il est l’homme de Providence pour vous […] Le directeur ne nous sert guère à nous détacher de notre propre sens, quand ce n’est que par notre propre sens que nous tenons à lui. O ma chère sœur, que je voudrais vous appauvrir du côté de l’esprit ! »

Décembre : « Je voudrais vous voir pauvre d’esprit, et ne vous reposant plus que dans le commerce des simples et des petits. Les talents sont de Dieu, et ils sont bons quand on en use sans y tenir ; mais quand on les cherche, quand on les préfère à la simplicité, quand on dédaigne tout ce qui en est dépourvu, quand on veut toujours le plus sublime dans les dons de Dieu, on n’est point encore dans le goût de pure grâce. Au nom de Dieu, laissez là votre esprit, votre science, votre goût, votre discernement. »

Décembre toujours, où Fénelon enfonce le clou : « J’ai un désir infini que vous soyez simple, et que vous n’ayez plus d’esprit. Je voudrais que Dieu flétrît vos talents, comme la petite vérole efface la beauté des jeunes personnes. Quand vous n’aurez plus aucune parure spirituelle, vous commencerez à goûter ce qui est petit, grossier et disgracié selon la nature, mais droit selon la pure grâce : vous ne déciderez plus, vous ne mépriserez plus rien; vous ne serez plus amusée par vos idées de perfection. »

Mars 1696, la plus longue lettre, petit traité intérieur : « L’âme qui contemple de la manière la plus sublime doit être la plus détachée de sa contemplation, et la plus prompte à rentrer dans la méditation » « il n’est pas nécessaire d’avoir toujours une vue actuelle du Fils de Dieu ni une union aperçue avec lui. Il suffit de suivre l’attrait de la grâce, pourvu que l’âme ne perde point un certain attachement à Jésus-Christ dans son fond le plus intime, qui est essentiel à sa vie intérieure. » « L’acte d’adoration de l’Être spirituel, infini et incompréhensible, qui ne peut être ni vu, ni senti, ni goûté, ni imaginé, etc., est l’exercice tout ensemble du pur amour et de la pure foi. Persévérez dans cet acte sans scrupule : y persévérer, c’est le renouveler sans cesse d’une manière simple et paisible. Ne le quittez point pour d’autres choses, que vous chercheriez peut-être avec inquiétude et empressement, contre l’attrait de votre grâce. » «  L’activité que les mystiques blâment n’est pas l’action réelle et la coopération de l’âme à la grâce; c’est seulement une crainte inquiète, ou une ferveur empressée qui recherche les dons de Dieu pour sa propre consolation. / L’état passif, au contraire, est un état simple, paisible, désintéressé, où l’âme coopère à la grâce d’une manière d’autant plus libre, plus pure, plus forte et plus efficace, qu’elle est plus exempte des inquiétudes et des empressements de l’intérêt propre. / La propriété que les mystiques condamnent avec tant de rigueur, et qu’ils appellent souvent impureté, n’est qu’une recherche de sa propre consolation et de son propre intérêt dans la jouissance des dons de Dieu, au préjudice de la jalousie du pur amour, qui veut tout pour Dieu, et rien pour la créature. » « Ce qu’on appelle d’ordinaire un désir est une inquiétude et un élancement de l’âme pour tendre vers quelque objet qu’elle n’a pas; en ce sens, l’amour paisible ne peut être un désir : mais on entend par ce désir la pente habituelle du cœur, et son rapport intime à Dieu, l’amour est un désir; et en effet, quiconque aime Dieu, veut tout ce que Dieu veut. » « Ce n’est pas leur force [des désirs] qui m’est suspecte; ce que je crains, c’est l’âpreté, c’est l’inquiétude qui fait cesser le recueillement. Je demande donc que, sans combattre le désir, on n’y tienne point, et qu’on ne veuille pas même en juger. » Et conclus : « Voilà les principales choses de la doctrine de la vie intérieure, que je ne puis vous expliquer ici qu’en abrégé et à la hâte, mais qui sont capitales pour vous préserver de l’illusion. »

Août : « Vous avez une sorte de simplicité que j’aime fort; mais elle ne va qu’à retrancher tout artifice et toute affectation : elle ne va pas encore jusqu’à retrancher les goûts spirituels, et certains petits retours subtils sur vous-même. Vous avez besoin de ne vous arrêter à rien, et de ne compter pour rien tout ce que vous avez, même ce qui vous est donné » « Je le prie d’être toutes choses en vous, et de vous préserver de toute illusion; ce qui arrivera si vous allez, comme dit le bienheureux Jean de la Croix, toujours par le non-savoir dans les vérités inépuisables de l’abnégation de vous-même : n’en cherchez point d’autres. »

Décembre : « En vérité on ne peut être à vous plus que j’y suis en N. S. Il me semble que cela augmente tous les jours. »

Décembre encore ? : « Il faut s’oublier, pour retrancher les attentions de l’amour-propre, et non pour négliger la vigilance qui est essentielle au véritable amour de Dieu. »

Quinze ans passent des débuts à la maturité. Charlotte est devenue une confidente :

Janvier 1711 : « Je n’ai point, ma très honorée sœur, la force que vous m’attribuez. J’ai ressenti la perte irréparable que j’ai faite avec un abattement qui montre un cœur très faible. […] Je vous raconte tout ceci pour ne vous représenter point ma tristesse, sans vous faire part de cette joie de la foi dont parle S. Augustin, et que Dieu m’a fait sentir en cette occasion. »

Décembre de la même année à « ma très honorée sœur » : « A l’égard de vos lectures, je ne saurais les regretter, pendant qu’il plaît à Dieu de vous en ôter l’usage. » «Quand Dieu nourrit au-dedans, on n’a pas besoin de la nourriture extérieure. La parole du dehors n’est donnée que pour procurer celle du dedans. Quand Dieu, pour nous éprouver, nous ôte celle du dehors, il la remplace par celle du dedans pour ne nous abandonner pas à notre indigence. Demeurez donc en silence et en amour auprès de lui. » « Pleurez, sans vous contraindre, les choses que vous dites que Dieu vous ordonne de sentir, mais j’aime bien ce que vous appelez votre stupidité. Elle vaut cent fois mieux que la délicatesse et la vivacité de sentiments sublimes, qui vous donneraient un soutien flatteur. » « je serai jusqu’à la mort intimement uni à vous avec zèle » 

Mars 1714 : « Les dépouillements les plus rigoureux sont adoucis, dès que Dieu détache le cœur des choses dont il dépouille. Les incisions ne sont nullement douloureuses dans le mort; elles ne le sont que dans le vif. Quiconque mourrait en tout, porterait en paix toutes les croix. Mais nous sommes faibles, et nous tenons encore à de vaines consolations. Les soutiens de l’esprit sont plus subtils que les appuis mondains ; on y renonce plus tard et avec plus de peine. Si on se détachait des consolations les plus spirituelles dès que Dieu en prive, on mettrait sa consolation, comme dit l’Imitation de Jésus-Christ, à être sans consolation dans sa peine. Je serais ravi d’apprendre l’entière guérison de vos yeux; mais il ne faut pas plus tenir à ses yeux, qu’aux choses les plus extérieures. Je serai jusqu’au dernier soupir de ma vie intimement uni à vous. »

Reprise de la série complète des lettres :

LSP 26. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN (?) [début janvier 1689]

Il me tarde de savoir de vous comment vous vous trouvez dans votre retraite, en approchant du jour que vous craignez tant, et qui est si peu à craindre. Vous verrez que les fantômes qui épouvantent de loin ne sont rien de près. Quand sainte Thérèse fit son engagement, elle dit qu’il lui prit un tremblement comme des convulsions, et qu’elle crut que tous les os de son corps étaient déboîtés339. « Apprenez, dit-elle, par mon exemple, à ne rien craindre quand vous vous donnez à Dieu. » En effet, cette première horreur fut suivie d’une paix et d’une sainteté qui ont été la merveille de ces derniers temps.

J’aime mieux que vous dormiez huit heures la nuit, et que vous payiez Dieu pendant le jour d’une autre monnaie. Il n’a pas besoin de vos veilles au-delà de vos forces ; mais il demande un esprit simple, docile et recueilli, un cœur souple à toutes les volontés divines, grand pour ne mettre aucunes bornes à son sacrifice, prêt à tout faire et à tout souffrir, détaché sans réserve du monde et de soi-même. Voilà la vraie et pure immolation de l’homme tout entier, car tout le reste n’est pas l’homme ; ce n’est que le dehors et l’écorce grossière.

Humiliez-vous avec les Mages devant Jésus enfant340. En donnant votre volonté, qui n’est pas à vous, et que vous livreriez au mensonge si vous la refusiez à Dieu, vous ferez un don plus précieux qu’en donnant l’or et les parfums de l’Orient. Donnez donc, mais donnez sans partage et sans jamais reprendre. O qu’on reçoit en donnant ainsi, et qu’on perd quand on veut garder quelque chose ! Le vrai fidèle n’a plus rien : il n’est plus lui-même à lui-même.

Vous ne devez point vous embarrasser de vos défauts, pourvu que vous ne les aimiez pas, et qu’il n’y en ait aucun que vous ayez un certain désir secret d’épargner. Il n’y a que ces réserves qui arrêtent la grâce, et qui font languir une âme sans avancer jamais vers Dieu. Si vous abandonnez sans réserve toutes vos imperfections à l’esprit de Dieu, il les dévorera comme le feu dévore la paille; mais, avant que de vous en délivrer, il s’en servira pour vous délivrer de vous-même et de votre orgueil. Il les emploiera à vous humilier, à vous crucifier, à vous confondre, à vous arracher toute ressource et toute confiance en vous-même. Il brûlera les verges après vous en avoir frappé, pour vous faire mourir à l’amour-propre. Courage ! aimez, souffrez, soyez souple et constante dans la main de Dieu.341.

LSP 17. L.37 & L.329S 342. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray, 21 août [1695 ou 1696].

Si je vous ai écrit, ma chère sœur, sur les précautions dont vous avez besoin, ce n’est pas que je croie que vous vous trompiez; mais c’est que je voudrais que vous fussiez loin des pièges343. Celui de l’approbation de toutes les personnes de votre maison n’est pas médiocre. D’ailleurs vous n’avez point d’expérience; vous n’avez que de la lecture, avec un esprit accoutumé au raisonnement dès344 votre enfance. On pourrait même vous croire bien plus avancée que vous ne l’êtes. Voilà ce qui me fait tant désirer que vous marchiez toujours dans la voie de la plus obscure foi et de la plus simple obéissance. Vous ne sauriez trop abattre votre esprit, ni vous défier trop de vos lumières et de toutes les grâces sensibles. Il ne faut pas les rejeter, afin que Dieu en fasse en vous tout ce qu’il lui plaira, supposé qu’elles viennent de lui : mais il ne faut pas s’y arrêter un seul instant, et cela n’empêchera point leur effet, si c’est Dieu qui en est la source. Tout ce que vous m’avez écrit me semble bon, et je vous prie de n’aller pas plus loin. Communiquez-vous peu aux autres; ne le faites que par pure obéissance345, et d’une manière proportionnée au degré de chaque personne. Il faut que les âmes de grâce se communiquent comme la grâce même, qui prend toutes les formes. Ce n’est pas pour dissimuler, mais seulement pour ne dire à chacun que les vérités qu’il est capable de porter, réservant la nourriture solide aux forts, pendant qu’on donne le lait aux enfants. Le dépôt entier de la vérité est dans la tradition indivisible de l’Église; mais on ne le dispense que par morceaux, suivant que chacun est en état d’en recevoir plus ou moins. Je serai très aise de savoir de vos vues et de vos dispositions tout ce que Dieu vous mettra au cœur de m’en confier; mais je crois que le temps le plus convenable pour cette communication sera celui de mon retour346. Alors j’irai vous rendre une visite, où nous pourrons parler ensemble; après quoi vous me confierez par écrit ou de vive voix tout ce que vous voudrez, pourvu que vos supérieurs l’approuvent. En attendant, je prierai notre Seigneur de vous détacher de tous vos proches, pour ne les aimer plus qu’en lui seul, et pour vous faire porter la croix dans l’esprit de Jésus-Christ : tout le zèle empressé que vous avez347 pour le salut de vos parents leur sera peu utile348. On voudrait par principe de nature communiquer la grâce : elle ne se communique que par mort à soi-même et à son zèle trop naturel. Attendez en paix les moments de Dieu. Jésus-Christ dit souvent : mon heure n’est pas encore venue. On voudrait bien la faire venir; mais on la recule en voulant la hâter. L’œuvre de Dieu est une œuvre de mort, et non pas de vie; c’est une œuvre où il faut toujours sentir son inutilité et son impuissance. Telle est la patience et la longanimité des saints. Plus on a de talents et plus on a besoin d’en éprouver l’impuissance. Il faut être brisé et mis en poudre, pour être digne de devenir l’instrument des desseins de Dieu. Vous m’obligerez sensiblement si vous voulez bien témoigner à la mère prieure et aux autres de votre maison combien je les révère349.

LSP 14. L.339. À SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. 30 novembre.

Que direz-vous de moi, ma chère sœur ? je n’ai pas encore eu un moment libre pour lire votre Vie du Bienheureux Jean de la Croix350, mais je m’en vais la lire au plus tôt et bien exactement. Pour vos lettres où vous me parlez de ses maximes, je les approuve du fond de mon cœur : ces maximes sont de l’esprit de Dieu, et il ne peut jamais y en avoir de contraires qui ne soient pernicieuses. Il y a même dans ces maximes bien entendues, de grands principes de vie intérieure qui demandent beaucoup d’expérience et de grâce. Ce que je souhaite de vous, ma chère sœur, c’est que vous ne vous fassiez jamais un appui des talents humains dans votre obéissance. N’obéissez point à un homme, parce qu’il raisonne plus fortement ou parle d’une manière plus touchante qu’un autre, mais parce qu’il est l’homme de Providence pour vous, et qu’il est votre supérieur, ou que vos supérieurs agréent qu’il vous conduise, et que vous éprouvez, indépendamment du raisonnement et du goût humain, qu’il vous aide plus qu’un autre à vous laisser subjuguer par l’esprit de grâce et à mourir à vous-même. Le directeur ne nous sert guère à nous détacher de notre propre sens, quand ce n’est que par notre propre sens que nous tenons à lui. O ma chère sœur, que je voudrais vous appauvrir du côté de l’esprit ! Écoutez saint Paul : Vous êtes prudents en Jésus-Christ ; pour nous, nous sommes insensés pour lui. Ne craignez point d’être indiscrète ; à Dieu ne plaise que je veuille de vous aucune indiscrétion ! mais je ne voudrais laisser en vous qu’une sagesse de pure grâce, qui conduit simplement les âmes fidèles, quand elles ne se laissent aller ni à l’humeur, ni aux passions, ni à l’amour-propre, ni à aucun mouvement naturel. Alors ce qu’on appelle dans le monde esprit, raisonnement et goût, tombera. Il ne restera qu’une raison simple, docile à l’esprit de Dieu, et une obéissance d’enfant pour vos supérieurs, sans regarder en eux autre chose que Dieu. Je le prie d’être lui seul toutes choses en vous.

LSP 15. L.342. À SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Versailles, 10 décembre [1695].

Je vous envoie, ma chère sœur, une lettre pour M. Robert. Envoyez-la ou supprimez-la suivant que vous jugerez à propos. Voyez si elle est convenable à son état, et décidez simplement en bonne personne. J’ai beaucoup pensé à vous devant Dieu depuis deux ou trois jours. Je ne saurais souffrir votre esprit, ni le goût que vous avez pour celui des autres. Je voudrais vous voir pauvre d’esprit, et ne vous reposant plus que dans le commerce des simples et des petits. Les talents sont de Dieu, et ils sont bons quand on en use sans y tenir ; mais quand on les cherche, quand on les préfère à la simplicité, quand on dédaigne tout ce qui en est dépourvu, quand on veut toujours le plus sublime dans les dons de Dieu, on n’est point encore dans le goût de pure grâce. Au nom de Dieu, laissez là votre esprit, votre science, votre goût, votre discernement. Le bienheureux Jean de la Croix donnait bien moins à l’esprit que vous. Plus d’autre esprit que l’esprit de Dieu. La véritable grâce nous fait tout à tous indistinctement ; elle rabaisse tous les talents, elle aplanit tout, elle fait qu’on est ravi d’être avec les gens les plus grossiers et les plus idiots351, pourvu qu’on y soit pour faire la volonté de Dieu. Pardon, ma chère sœur, de mes indiscrétions. Mille et mille fois tout à vous en notre Seigneur Jésus-Christ.

LSP 19. L.344S. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray, 25 décembre [1695 ou 1696 ?]

Je vous envoie, ma chère sœur, une lettre pour M. Robert et je vous prie de la voir, afin que vous soyez dans la suite de notre commerce, et que vous lui aidiez à se soutenir dans ses bonnes intentions pendant que je ne saurais le voir. J’ai un désir infini que vous soyez simple, et que vous n’ayez plus d’esprit. Je voudrais que Dieu flétrît vos talents, comme la petite vérole efface la beauté des jeunes personnes. Quand vous n’aurez plus aucune parure spirituelle, vous commencerez à goûter ce qui est petit, grossier et disgracié selon la nature, mais droit selon la pure grâce : vous ne déciderez plus, vous ne mépriserez plus rien; vous ne serez plus amusée par vos idées de perfection; votre oraison ne nourrira plus votre esprit. La conversation du Seigneur est avec les simples; ils sont ses bien-aimés et les confidents de ses mystères. Les sages et les prudents n’y auront point de part. L’enfant Jésus se montre aux bergers plus tôt qu’aux Mages. Devenez bergère ignorante, grossière, imbécile; mais droite, détachée de vous-même, docile, naïve, et inférieure à tout le monde. O que cet état est meilleur que celui d’être sage en soi-même ! Pardon, ma chère sœur : je prie le saint enfant Jésus de vous mettre son enfance au cœur. Demeurez à la crèche en silence avec lui; demandez pour moi ce que je souhaite pour vous. Mille compliments très sincères pour la mère Prieure et pour la sœur de Charost352.

LSP 13. L.354. À la sœur CHARLOTTE DE ST-CYPRIEN. [À Versailles, 10 mars 1696] 353.

Vous pouvez facilement, ma chère sœur, consulter des personnes plus éclairées que moi sur les voies de Dieu, et je vous conjure même de ne suivre mes pensées qu’autant qu’elles seront conformes aux sentiments de ceux qui ont reçu de la Providence l’autorité sur vous 354.

La contemplation est un genre d’oraison autorisé par toute l’Église ; elle est marquée dans les Pères et dans les théologiens des derniers siècles : mais il ne faut jamais préférer la contemplation à la méditation. Il faut suivre son besoin et l’attrait de la grâce, par le conseil d’un bon directeur. Ce directeur, s’il est plein de l’esprit de Dieu, ne prévient jamais la grâce en rien, et il ne fait que la suivre patiemment et pas à pas, après l’avoir éprouvée avec beaucoup de précaution. L’âme qui contemple de la manière la plus sublime doit être la plus détachée de sa contemplation, et la plus prompte à rentrer dans la méditation, si son directeur le juge à propos. Balthasar Alvarez355, l’un des directeurs de sainte Thérèse, dit, suivant une règle marquée dans les meilleurs spirituels, que, quand la contemplation manque, il faut reprendre la méditation, comme un marinier se sert des rames quand le vent n’enfle plus les voiles. Cette règle regarde les âmes qui sont encore dans un état mêlé : mais en quelque état éminent et habituel qu’on puisse être, la contemplation ni acquise ni même infuse ne dispense jamais des actes distincts des vertus ; au contraire, les vertus doivent être les fruits de la contemplation. Il est vrai seulement qu’en cet état les âmes font les actes des vertus d’une manière plus simple et plus paisible, qui tient quelque chose de la simplicité et de la paix de la contemplation.

Pour Jésus-Christ, il n’est jamais permis d’aller au Père que par lui ; mais il n’est pas nécessaire d’avoir toujours une vue actuelle du Fils de Dieu ni une union aperçue avec lui. Il suffit de suivre l’attrait de la grâce, pourvu que l’âme ne perde point un certain attachement à Jésus-Christ dans son fond le plus intime, qui est essentiel à sa vie intérieure. Ces âmes mêmes qui ne sont pas d’ordinaire occupées de Jésus-Christ dans leur oraison, ne laissent pas d’avoir de temps en temps certaines pentes vers lui, et une union plus forte que tout ce que les âmes ferventes de l’état commun éprouvent d’ordinaire. Une voie où l’on n’aurait plus rien pour Jésus-Christ serait non seulement suspecte, mais encore évidemment fausse et pernicieuse. Il est vrai seulement qu’entre ces deux états, de goûter souvent Jésus-Christ ou de demeurer solidement unie à lui, sans avoir en ce genre beaucoup de sentiments et de goûts aperçus, on ne choisit point ; chacun doit suivre en paix le don de Dieu, pourvu que toute l’âme ne tienne à Dieu que par Jésus-Christ, unique voie et unique vérité.

Votre oraison, de la manière dont vous me la dépeignez, n’a rien que de bon : elle est même variée, et pleine d’actes très faciles à distinguer. Ces différents sentiments d’adoration, d’amour, de joie, d’espérance et d’anéantissement devant Dieu, sont autant d’actes très utiles. Pour les lumières, les goûts et les sentiments auxquels vous dites : Vous n’êtes pas mon Dieu, etc., cela est encore très bon ; il faut être prêt à être privé de ces sortes de dons qui consolent et qui soutiennent. Il n’y a que l’amour et la conformité à la volonté de Dieu qu’on ne doit jamais séparer de Dieu même, parce qu’on ne peut être uni même immédiatement à Dieu, pour parler le langage des mystiques, que par l’amour et par la conformité à sa volonté dans tout ce qu’elle fait, qu’elle commande et qu’elle défend.

L’acte d’adoration de l’Être spirituel, infini et incompréhensible, qui ne peut être ni vu, ni senti, ni goûté, ni imaginé, etc., est l’exercice tout ensemble du pur amour et de la pure foi. Persévérez dans cet acte sans scrupule : y persévérer, c’est le renouveler sans cesse d’une manière simple et paisible. Ne le quittez point pour d’autres choses, que vous chercheriez peut-être avec inquiétude et empressement, contre l’attrait de votre grâce. Il y aura assez d’occasions où ce même attrait vous occupera expressément de Jésus-Christ et des actes distincts des vertus qui sont nécessaires à votre état intérieur et extérieur.

Pour le silence dont le Roi-Prophète parle, c’est celui dont saint Augustin parle aussi, quand il dit : Que mon âme fasse taire tout ce qui est créé, pour passer au-dessus de tout ce qui n’est point Dieu lui-même; qu’elle se fasse taire aussi elle-même à l’égard d’elle-même : sileat anima mea ipsa sibi356 ; que dans ce silence universel, elle écoute le Verbe qui parle toujours, mais que le bruit des créatures nous empêche souvent d’entendre. Ce silence n’est pas une inaction et une oisiveté de l’âme; ce n’est qu’une cessation de toute pensée inquiète et empressée, qui serait hors de saison quand Dieu veut se faire écouter. Il s’agit de lui donner une attention simple et paisible, mais très réelle, très positive et très amoureuse pour la vérité qui parle au-dedans. Qui dit attention, dit une opération de l’âme et une opération intellectuelle accompagnée d’affection de la volonté. Qui dit imposer silence, dit une action de l’âme qui choisit librement et par un amour méritoire. En un mot, c’est une fidélité actuelle de l’âme, qui, dans sa paix la plus profonde, préfère d’écouter l’esprit intérieur de grâce à toute autre attention. Alors l’opération tranquille de l’âme est une pure intellection, quoique les mystiques, prévenus des opinions de la philosophie de l’Ecole, aient parlé autrement. L’âme y contemple Dieu comme incorporel, et par conséquent elle n’admet ni image ni sensation qui le représente; elle l’adore ainsi tel qu’il est. Je sais bien que l’imagination ne cesse point alors de représenter des objets, et les sens de produire des sensations; mais l’âme, uniquement soutenue par la foi et par l’amour, n’admet volontairement aucune de ces choses qui ne sont ni Dieu ni rien de ressemblant à sa nature, non plus qu’un mathématicien ne fait point entrer dans ses spéculations de mathématique la vue involontaire des mouches qui bourdonnent autour de lui.

Il faut seulement remarquer deux choses sur la contemplation : la première, que le Verbe, en tant qu’il est incarné, quand il parle dans cette oraison, ne doit pas être moins écouté que quand il parle sans nous représenter son incarnation; en un mot, Jésus-Christ peut être l’objet de la plus pure et de la plus sublime contemplation. Il est contemplé par les bienheureux dans le ciel; à plus forte raison peut-il être contemplé sur la terre par les âmes de la plus éminente oraison, lesquelles, étant encore dans le pélerinage, sont toujours jusques à la mort dans un état essentiellement différent de celui des saints arrivés au terme. Jésus-Christ n’est pas moins la vérité et la vie que la voie. Il n’y a aucun état où l’âme la plus parfaite puisse ni marcher, ni contempler, ni vivre qu’en lui et par lui seul. Il ne suffit pas de tenir à lui confusément; il faut être occupé distinctement de lui et de ses mystères. Il est vrai qu’il y a des âmes qui ne le voient point actuellement dans leur contemplation, et qui croient même pour un temps l’avoir perdu, lorsqu’elles sont dans les épreuves ; mais celles qui n’en sont pas occupées pendant la pure et actuelle contemplation, en sont occupées pendant certains intervalles, où elles trouvent que Jésus-Christ leur est toutes choses. Celles qui sont dans les épreuves ne perdent pas plus Jésus-Christ que Dieu; elles ne perdent ni l’un ni l’autre, que pour un temps et en apparence. L’Époux se cache, mais il est présent : la peine où est l’âme, en croyant l’avoir perdu, est une preuve qu’elle ne le perd jamais, et qu’elle n’est privée que d’une possession goûtée et réfléchie.

La seconde remarque à faire sur la contemplation, est que cette contemplation pure et directe, où nulle image ni sensation n’est admise volontairement, n’est jamais, en cette vie, continuelle et sans interruption : il y a toujours des intervalles où l’on peut et où l’on doit, suivant la grâce et suivant son besoin, pratiquer les actes distincts de toutes les vertus, comme de la patience, de l’humilité, de la docilité, de la vigilance et de la contrition etc. En un mot il faut remplir tous les devoirs intérieurs et extérieurs marqués dans l’Évangile, loin de les négliger dans cet état de perfection. On ne doit juger du degré de la perfection de chaque âme, que par la fidélité qu’elle a dans toutes ces choses. Si, dans ces intervalles, on ne trouvait jamais en soi ni l’union à Jésus-Christ, ni les actes distincts des vertus, on devrait beaucoup craindre de tomber dans l’illusion. Alors il faudrait, suivant le conseil le plus sage qu’on pourrait trouver, s’exciter avec les efforts les plus empressés pour retrouver Jésus-Christ et les vertus, si on était encore dans l’état où je vous ai dit que Balthasar Alvarez veut qu’on prenne la rame quand le vent n’enfle plus les voiles. Que si on était dans un état de contemplation plus habituelle, où la rame ne fût plus d’aucun usage, il faudrait, non pas s’exciter avec inquiétude et empressement, mais faire des actes simples et paisibles sans y rechercher sa propre consolation. Cette sorte d’excitation, ou plutôt de fidélité tranquille et très efficace, ne troublera jamais l’état des âmes les plus éminentes, quand elles les feront par obéissance. Peut-être croiront-elles ne faire point des actes, parce qu’elles ne les feront point par formules et par secousses empressées; mais ces actes n’en seront pas moins bons. Il y a une grande différence entre les actes empressés qu’on s’efforce de faire pour s’y appuyer avec une subtile complaisance, ou ceux qu’on fait de toute la force de la volonté, avec simplicité et paix, pour obéir à un directeur. Enfin le fondement, qui doit être immobile, est qu’il n’y a aucun degré de contemplation où l’âme ne se nourrisse, d’une manière plus ou moins aperçue, par la vue de Jésus-Christ, par celle de ses mystères, et par les actes distincts des vertus. Les actes aperçus ne viennent pas toujours également comme on le voudrait, pour se consoler et pour s’assurer357. Dans les temps de l’actuelle et directe contemplation, il ne faut pas même interrompre ce que Dieu fait, pour ce que nous voudrions faire; mais, hors de ces temps, il faut toujours un peu plus ou un peu moins d’union aperçue à Jésus-Christ, et d’actes distincts.

Au reste, voici, ce me semble, les véritables notions des termes dont les plus saints mystiques se sont servis si fréquemment et si utilement, mais dont j’entends dire tous les jours avec douleur qu’on a étrangement abusé358.

L’abandon n’est que le pur amour dans toute l’étendue des épreuves, où il ne peut jamais cesser de détester et de fuir tout ce que la loi écrite condamne, et où les permissions divines ne dispensent jamais de résister jusqu’au sang contre le péché pour ne le pas commettre, et de le déplorer, si par malheur on y était tombé : car le même Dieu qui permet le mal le condamne, et sa permission qui n’est pas notre règle, n’empêche pas qu’on ne doive, par le principe de l’amour, se conformer toujours à sa volonté écrite, qui commande le bien et qui condamne tout ce qui est mal. On ne doit jamais supposer la permission divine, que dans les fautes déjà commises; cette permission ne doit diminuer en rien alors notre haine du péché, ni la condamnation de nous-mêmes.

L’activité que les mystiques blâment, n’est pas l’action réelle et la coopération de l’âme à la grâce; c’est seulement une crainte inquiète, ou une ferveur empressée qui recherche les dons de Dieu pour sa propre consolation.

L’état passif, au contraire, est un état simple, paisible, désintéressé, où l’âme coopère à la grâce d’une manière d’autant plus libre, plus pure, plus forte et plus efficace, qu’elle est plus exempte des inquiétudes et des empressements de l’intérêt propre.

La propriété que les mystiques condamnent avec tant de rigueur, et qu’ils appellent souvent impureté, n’est qu’une recherche de sa propre consolation et de son propre intérêt dans la jouissance des dons de Dieu, au préjudice de la jalousie du pur amour, qui veut tout pour Dieu, et rien pour la créature. Le péché de l’ange fut un péché de propriété; stetit in se, comme parle saint Augustin. La propriété bien entendue n’est donc que l’amour-propre ou l’orgueil, qui est l’amour de sa propre excellence en tant que propre, et qui, au lieu de rapporter tout et uniquement à Dieu, rapporte encore un peu les dons de Dieu à soi, pour s’y complaire. Cet amour-propre fait, dans l’usage des dons extérieurs, la plupart des défauts sensibles. Dans l’usage des dons intérieurs, il fait une recherche très subtile et presque imperceptible de soi-même dans les plus grandes vertus, et c’est cette dernière purification de l’âme qui est la plus rare et la plus difficile.

Les mystiques appellent aussi souvent impureté, les empressements de l’amour intéressé, qui troublent la paix d’une âme attirée à la générosité du pur amour. L’amour intéressé n’est point un péché, et il ne peut être permis, dans ce langage, de l’appeler une impureté, qu’à cause qu’il est différent de l’amour désintéressé que l’on nomme pur. Du reste l’amour intéressé se trouve souvent dans de très grands saints, et il est capable de produire d’excellentes vertus.

La désappropriation bien entendue n’est donc que l’abnégation entière de soi-même selon l’Évangile, et la pratique de l’amour désintéressé dans toutes les vertus. La cupidité, qui est opposée à la charité, ne consiste pas seulement dans la concupiscence charnelle, et dans tous les vices grossiers; mais encore dans cet amour spirituel et déréglé de soi-même pour s’y complaire.

L’attrait intérieur, dont les mystiques ont tant parlé, n’est point une inspiration miraculeuse et prophétique, qui rend l’âme infaillible, ni impeccable, ni indépendante de la direction des pasteurs; ce n’est que la grâce, qui est sans cesse prévenante dans tous les justes, et qui est plus spéciale dans les âmes élevées par l’amour désintéressé, et par la contemplation habituelle, à un état plus parfait. Ces âmes peuvent se tromper, pécher, avoir besoin d’être redressées. Elles ne peuvent même marcher sûrement dans leur voie, que par l’obéissance.

Les désirs ne cessent point, non plus que les actes, dans cette voie; car l’amour, qui est le fond de la contemplation, est un désir continuel de l’Époux bien-aimé, et ce désir continuel est divisé en autant d’actes réels, qu’il y a de moments successifs où il continue. Un acte simple, indivisible, toujours subsistant par lui-même s’il n’est révoqué, est une chimère qui porte avec elle une évidente et ridicule contradiction. Chaque moment d’amour et d’oraison renferme son acte particulier : il n’y a que le renouvellement positif d’un acte qui puisse le faire continuer. Il est vrai seulement que, quand une personne qui ne connaît point ses opérations intérieures par les vrais principes de philosophie, se trouve dans une paix et une union habituelle avec Dieu, elle croit ou ne faire aucun acte, ou en faire un perpétuel; parce que les actes qu’elle fait sont si simples, si paisibles, et si exempts de tout empressement, que l’uniformité leur ôte une certaine distinction sensible.

J’ai dit que l’amour est un désir, et cela est vrai en un sens, quoique en un autre l’amour pur et paisible ne soit pas un désir empressé. Ce qu’on appelle d’ordinaire un désir est une inquiétude et un élancement de l’âme pour tendre vers quelque objet qu’elle n’a pas; en ce sens, l’amour paisible ne peut être un désir : mais on entend par ce désir la pente habituelle du cœur, et son rapport intime à Dieu, l’amour est un désir; et en effet, quiconque aime Dieu, veut tout ce que Dieu veut. Il veut son salut, non pour soi, mais pour Dieu, qui veut être glorifié par là, et qui nous commande de le vouloir avec lui. L’amour est insatiable d’amour; il cherche sans cesse son propre accroissement par la destruction de tout ce qui n’est pas lui en nous. Quoiqu’il ne dise pas formellement, Je veux croître; qu’il ne sente pas toujours une impatience pour son accroissement, et qu’il ne s’excite pas même par secousses et avec empressement pour faire de nouveaux progrès, il tend néanmoins toujours, par un mouvement paisible et uniforme, à détruire tous les obstacles des plus légères imperfections, et à s’unir de plus en plus à Dieu. Voilà le vrai désir qui fait toute la vie intérieure.

Pour les désirs particuliers sur les moyens qu’on croit les plus propres pour procurer la gloire de Dieu, ils peuvent être bons; mais aussi j’avoue qu’ils me sont suspects, lorsqu’ils sont accompagnés, comme vous le dites, de trouble et d’inquiétude, et qu’ils vous font sortir de votre recueillement ordinaire. Vouloir âprement la gloire de Dieu, et à notre mode, c’est moins vouloir sa gloire que notre propre satisfaction. Dieu peut donner par sa grâce, aux âmes, certains désirs particuliers, ou pour des choses qu’il veut accorder à leurs prières, ou pour les exercer elles-mêmes par ces désirs. Ils peuvent même être très forts et très puissants sur l’âme. Ce n’est pas leur force qui m’est suspecte; ce que je crains, c’est l’âpreté, c’est l’inquiétude qui fait cesser le recueillement. Je demande donc que, sans combattre le désir, on n’y tienne point, et qu’on ne veuille pas même en juger. Si ces désirs viennent de Dieu, il saura bien les faire fructifier pour vous et pour les autres. S’ils viennent de votre empressement, la plus sûre manière de les faire cesser est de ne vous y arrêter point volontairement. Bornez-vous donc, ma chère sœur, à bien vouloir de tout votre cœur toutes les volontés connues de Dieu par sa loi et par sa providence, et toutes les inconnues qui sont cachées dans ses conseils sur l’avenir.

Voilà les principales choses de la doctrine de la vie intérieure, que je ne puis vous expliquer ici qu’en abrégé et à la hâte, mais qui sont capitales pour vous préserver de l’illusion. Si ces choses ont besoin d’un éclaircissement plus exact et plus étendu, je vous en dirai volontiers ce que j’en connais, et qui est conforme aux propositions de messeigneurs de Paris et de Meaux.

Pour vous, ma chère sœur359, ce qui me paraît le plus utile à votre sanctification, c’est que vous fuyiez ce qu’on appelle le goût de l’esprit, et la curiosité : noli altum sapere360. Faites taire votre esprit, qui se laisse trop aller au raisonnement. Surtout n’entreprenez jamais de régler votre conduite intérieure, ni celle des sœurs à qui vous pouvez parler suivant l’ordre de vos supérieurs, par vos lectures. Les meilleures choses que vous lisez peuvent se tourner en poison, si vous les prenez selon votre propre sens. Lisez donc pour361 vous édifier, pour vous recueillir, pour vous nourrir intérieurement, pour vous remplir de la vérité, mais non pour juger par vous-même, ni pour trouver une direction dans vos lectures. Ne lisez rien par curiosité, ni par goût des choses extraordinaires : ne lisez rien que par conseil, et en esprit d’obéissance à vos supérieurs, auxquels il ne faut jamais rien cacher. Souvenez-vous que, si vous n’êtes comme les petits enfants, vous n’entrerez point au royaume du ciel. Désirez le lait comme les petits enfants nouveaux nés; désirez-le sans artifice. Souvenez-vous que Dieu cache ses conseils aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits; sa conversation familière est avec les simples. Il n’est pas question d’une simplicité badine, et qui se relâche sur les vertus : il s’agit d’une simplicité de candeur, d’ingénuité, de rapport unique à Dieu seul, et de défiance sincère de soi-même en tout. Vous avez besoin de devenir plus petite et plus pauvre d’esprit qu’une autre. Après avoir tant travaillé à croître et à orner votre esprit, dépouillez-le de toute parure; ce n’est pas en vain que Jésus-Christ dit : Bienheureux les pauvres d’esprit. Ne parlez jamais aux autres, qu’autant que vos supérieurs vous y obligeront; vous avez besoin de ne point épancher au dehors le don de Dieu qui se tarirait aisément en vous. On se dissipe quelquefois en parlant des meilleures choses; on s’en fait un langage qui amuse, et qui flatte l’imagination, pendant que le cœur se vide et se dessèche insensiblement. Ne vous croyez point avancée, car vous ne l’êtes guère : ne vous comparez jamais à personne; laissez-vous juger par les autres, quoiqu’ils n’aient pas une grande lumière. Ne comptez jamais sur vos expériences, qui peuvent être très défectueuses. Obéissez et aimez : l’amour qui obéit marche dans la voie droite, et Dieu supplée à tout ce qui pourrait lui manquer. Oubliez-vous vous-même, non au préjudice de la vigilance, qui est essentiellement inséparable du véritable amour de Dieu, mais pour les réflexions inquiètes de l’amour-propre.

Vous trouverez peut-être, ma chère sœur, que j’entre bien avant dans les questions de doctrine, en vous écrivant une lettre où je vous exhorte à vous détacher de tout ce qu’on appelle esprit et science : mais vous savez que c’est vous qui m’avez questionné. Il s’agit de vous mettre le cœur en paix, de vous montrer les vrais principes et les bornes au-delà desquelles vous ne pourriez aller sans tomber dans l’illusion, et de vous ôter aussi le scrupule sur les véritables voies de Dieu. On ne peut pas vous parler aussi sobrement qu’à une autre, parce que vous avez beaucoup lu et raisonné sur ces matières. Tout ce que je viens de vous dire ne vous apprendra rien de nouveau; il ne fera que vous montrer les bornes, et que vous préserver des pièges à craindre. Après vous avoir parlé, ma chère sœur, avec tant de confiance et d’ouverture, je n’ai garde de finir cette lettre par des compliments. Il me suffit de me recommander à vos prières, et de me souvenir de vous dans les miennes. Je vous supplie de souffrir que j’ajoute ici une assurance de ma vénération pour la mère prieure, et pour les autres dont je suis connu. Rien n’est plus fort et plus sincère que le zèle avec lequel je vous serai dévoué toute ma vie en notre Seigneur.

FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.

LSP 16. L.363S. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. Mardi au soir, 7 août [1696 ?].

J’ai pensé, ma chère sœur, à tout ce que vous m’avez dit en si peu de temps, et Dieu sait combien je m’intéresse à tout ce qui vous touche. Je ne saurais assez vous recommander de compter pour rien toutes les lumières de grâce, et les communications intérieures qu’il vous paraît que vous recevez. Vous êtes encore dans un état d’imperfection et de mélange, où de telles lumières sont tout au moins très douteuses et très suspectes d’illusion. Il n’y a que la conduite de foi qui soit assurée, comme le bienheureux Jean de la Croix le dit si souvent. Sainte Thérèse même paraît avoir presque perdu toute lumière miraculeuse dans sa septième demeure du Château de l’Âme. Vous avez un besoin infini de ne compter pour rien tout ce qui paraît le plus grand, et de demeurer dans la voie où l’on ne voit rien que les maximes de la pure foi et la pratique du parfait amour. Je me souviens de vous avoir écrit autrefois là-dessus une lettre. Si elle contient quelque chose de vrai, servez-vous-en comme de ce qui est à Dieu; et si j’y ai mis quelque chose qui soit mauvais, rejetez-le comme mien. J’avoue que je souhaiterais pour votre sûreté, que M. votre supérieur362, qui est plein de mérite, de science et de vertu vous tînt aussi bas que vous devez l’être. Il s’en faut beaucoup que vous ne soyez dans la véritable lumière qui vient de l’expérience de la perfection. Vous n’êtes que dans un commencement, où vous prendrez facilement le change avec bonne intention, et où l’approbation de vos supérieurs et de vos anciennes sont fort à craindre pour vous. Vous avez une sorte de simplicité que j’aime fort; mais elle ne va qu’à retrancher tout artifice et toute affectation : elle ne va pas encore jusqu’à retrancher les goûts spirituels, et certains petits retours subtils sur vous-même. Vous avez besoin de ne vous arrêter à rien, et de ne compter pour rien tout ce que vous avez, même ce qui vous est donné; car ce qui vous est donné, quoique bon du côté de Dieu, peut être mauvais par l’appui que vous en tirerez en vous même. Ne tenez qu’aux vérités de la foi, pour crucifier sans réserve encore plus le dedans que le dehors de l’homme. Gardez dans votre cœur l’opération de la grâce, et ne l’épanchez jamais sans nécessité. Il y aurait mille choses simples à vous dire sur cette conduite de foi; mais le détail n’en peut être marqué ici, car il serait trop long, et on ne saurait tout prévoir. J’espère que Dieu vous conduira lui-même, si vous êtes fidèle à contenter toute la jalousie de son amour, sans écouter votre amour-propre. Je le prie d’être toutes choses en vous, et de vous préserver de toute illusion; ce qui arrivera si vous allez, comme dit le bienheureux Jean de la Croix, toujours par le non-savoir dans les vérités inépuisables de l’abnégation de vous-même : n’en cherchez point d’autres. Tout à vous en Jésus-Christ notre Seigneur. À lui seul gloire à jamais.

376S. à la sœur CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. Samedi 15 décembre [1696].

363 Pour vous, ma chère sœur, je vous conjure de demeurer dans votre cellule loin de tout commerce non seulement au-dehors, mais encore au-dedans, excepté ceux que l’obéissance vous rend nécessaire. Faites taire votre esprit et écoutez Dieu. Vous verrez que ce silence intérieur n’est point une oisiveté, mais une cessation de nos pensées inquiètes, pour recevoir d’un esprit simple et tranquille, et d’une volonté pure et souple les impressions de la grâce. En vérité on ne peut être à vous plus que j’y suis en N. S. Il me semble que cela augmente tous les jours. Plus vous serez rapetissée sous la main de Dieu, plus il nous unira en lui. Ne jugez point, ne décidez point. Laissez-vous mener par vos supérieurs. Les enfants trouvent tout le monde plus grand qu’eux, ne méprisez rien que vous. Que tout vous paraisse géant en comparaison de vous. Parlez, écrivez, raisonnez le moins que vous pourrez. Je suis bien importun de répéter si souvent la même chose, mais il me semble voir combien elle vous importe. D’autres vous parleront autrement. Pour moi je crains toute occupation qui peut nourrir en vous le goût des talents et d’une piété trop lumineuse364.

LSP 18. 380S. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. [août 1695 - janvier 1697].

Pour vous365, ma chère sœur, je vous dirai que j’ai bien regret de n’avoir pas été libre de vous aller voir avant que de venir ici. Mais cela m’a été impossible, j’espère retrouver cette consolation à notre retour. Cependant je ne puis assez vous redire ce que j’ai pris la liberté de vous dire tant de fois. Craignez votre esprit, et celui de ceux qui en ont; ne jugez de personne par là. Dieu, seul bon juge, en juge bien autrement; il ne s’accommode que des enfants, des petits, des pauvres d’esprit. Ne lisez rien par curiosité, ni pour former aucune décision366 dans votre tête sur aucune de vos lectures : lisez pour vous nourrir intérieurement dans un esprit de docilité et de dépendance sans réserve. Communiquez-vous367 peu, et ne le faites jamais que pour obéir à vos supérieurs. Soyez ingénue comme un enfant à leur égard. Ne comptez pour rien ni vos lumières ni les grâces extraordinaires. Demeurez dans la pure foi, contente d’être fidèle dans cette obscurité, et d’y suivre sans relâche les commandements et les conseils de l’Evangile expliqués par votre règle. Sous prétexte de vous oublier vous-même, et d’agir simplement sans réflexion, ne vous relâchez jamais pour votre régularité, ni pour la correction de vos défauts : demandez à vos supérieurs qu’ils vous en avertissent. Soyez fidèle à tout ce que Dieu vous en fera connaître par autrui, et acquiescez avec candeur et docilité à tout ce qu’on vous en dira, et dont vous n’aurez point la lumière. Il faut s’oublier, pour retrancher les attentions de l’amour-propre, et non pour négliger la vigilance qui est essentielle au véritable amour de Dieu. Plus on l’aime, plus on est jalouse contre soi, pour n’admettre jamais rien qui ne soit des vertus les plus pures que l’amour inspire. Voilà, ma chère sœur, tout ce qui me vient au cœur pour vous : recevez-le du même cœur dont je vous le donne. Je prie notre Seigneur qu’il vous fasse entendre mieux que je ne dis, et qu’il soit lui seul toutes choses en vous. Il sait à quel point je suis en lui intimement uni à vous.

FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.

La correspondance dut cesser lors de l’exil de Fénelon à Cambrai. Quinze années plus tard :

LSP 20. L.1437. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray 17 janvier 1711.

Je n’ai point, ma très honorée sœur, la force que vous m’attribuez. J’ai ressenti la perte irréparable que j’ai faite avec un abattement qui montre un cœur très faible. Maintenant mon imagination est un peu apaisée, et il ne me reste qu’une amertume et une espèce de langueur intérieure. Mais l’adoucissement de ma peine ne m’humilie pas moins que ma douleur. Tout ce que j’ai éprouvé dans ces deux états n’est qu’imagination, et qu’amour-propre. J’avoue que je me suis pleuré en pleurant un ami qui faisait la douceur de ma vie, et dont la privation se fait sentir à tout moment. Je me console, comme je me suis affligé, par lassitude de la douleur, et par besoin de soulagement. L’imagination, qu’un coup si imprévu avait saisie et troublée, s’y accoutume et se calme. Hélas! tout est vain en nous, excepté la mort à nous-mêmes que la grâce y opère. Au reste, ce cher ami368 est mort avec une vue de sa fin qui était si simple et si paisible, que vous en auriez été charmée. Lors même que sa tête se brouillait un peu, ses pensées confuses étaient toutes de grâce, de foi, de docilité, de patience, et d’abandon à Dieu. Je n’ai jamais rien vu de plus édifiant et de plus aimable. Je vous raconte tout ceci pour ne vous représenter point ma tristesse, sans vous faire part de cette joie de la foi dont parle S. Augustin, et que Dieu m’a fait sentir en cette occasion. Dieu a fait sa volonté, il a préféré le bonheur de mon ami à ma consolation. Je manquerais à Dieu et à mon ami même, si je ne voulais pas ce que Dieu a voulu. Dans ma plus vive douleur, je lui ai offert celui que je craignais tant de perdre. On ne peut être plus touché que je le suis de la bonté avec laquelle vous prenez part à ma peine. Je prie celui pour l’amour de qui vous le faites, de vous en payer au centuple.

Je ne me souviens point de ce que vous me mandez que vous m’aviez écrit. Je ne sais si c’est que je ne l’ai pas reçu ou qu’il a échappé à ma mémoire dans la multitude des embarras extraordinaires que j’ai eus cette année. Mais enfin si vous vouliez me pardonner cette faute et daigner me mander simplement une seconde fois de quoi il s’agit, je vous ferais une réponse très ingénue avec tout le zèle d’un homme qui vous honore plus que jamais, et qui vous sera dévoué sans réserve en N[otre] S[eigneur] le reste de sa vie. FR. ARCH. DE CAMBRAY.

LSP 22. L.1514. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. 25 décembre 1711.

Je voudrais, ma très honorée sœur, être à portée de vous témoigner plus régulièrement par mes lettres, combien je vous suis dévoué. Ce que Dieu fait ne ressemble point à ce que les hommes font. Les sentiments des hommes changent, ceux que Dieu inspire vont toujours croissant, pourvu qu’on lui soit fidèle.

On ne peut être plus touché que je le suis de vos maux369: je leur pardonne de vous empêcher de faire des exercices de pénitence. Les maux qu’on souffre ne sont-ils pas eux-mêmes des pénitences continuelles que Dieu nous a choisies, et qu’il choisit infiniment mieux que nous ne les choisirions? que voulons-nous, sinon l’abattement de la chair, et la soumission de l’esprit à Dieu? À l’égard de vos lectures, je ne saurais les regretter, pendant qu’il plaît à Dieu de vous en ôter l’usage. Tous les livres les plus admirables mis ensemble nous instruisent moins que la croix. Il vaut mieux d’être crucifié avec Jésus-Christ, que de lire ses Souffrances370. L’un n’est souvent qu’une belle spéculation, ou tout au plus qu’une occupation affectueuse. L’autre est la pratique réelle et le fruit solide de toutes nos lectures et oraisons. Souffrez donc en paix et en silence, ma chère sœur, c’est une excellente oraison que d’être uni à Jésus sur la croix. On ne souffre point en paix pour l’amour de Dieu, sans faire une oraison très pure et très réelle. C’est pour cette oraison qu’il faut laisser les livres, et les livres ne servent qu’à préparer cette oraison de mort à soi-même. Vous connaissez l’endroit où S. Augustin, parlant du dernier moment de sa conversion, dit qu’après avoir lu quelques paroles de l’apôtre, il quitta le livre, «et ne voulut point continuer de lire, parce qu’il n’en avait plus besoin, et qu’une lumière de paix s’était répandue dans son cœur371 ». Quand Dieu nourrit au-dedans, on n’a pas besoin de la nourriture extérieure. La parole du dehors n’est donnée que pour procurer celle du dedans. Quand Dieu, pour nous éprouver, nous ôte celle du dehors, il la remplace par celle du dedans pour ne nous abandonner pas à notre indigence. Demeurez donc en silence et en amour auprès de lui. Occupez-vous de tout ce que l’attrait de la grâce vous présentera dans l’oraison, pour suppléer à ce qui vous manque du côté de la lecture. O que J[ésus]-C[hrist], parole substantielle du Père, est un divin livre pour nous instruire! Souvent nous chercherions dans les livres de quoi flatter notre curiosité, et entretenir en nous le goût de l’esprit. Dieu nous sèvre de ces douceurs par nos infirmités. Il nous accoutume à l’impuissance et à une langueur d’inutilité qui attriste et qui humilie l’amour-propre. O l’excellente leçon ! Quel livre pourrait nous instruire plus fortement? Ce que je vous demande très instamment, est de ménager vos forces avec simplicité, et de recevoir dans vos maux les soulagements qu’on vous offre, comme vous voudriez qu’une autre à qui vous les offririez les reçût dans son besoin. Cette simplicité vous mortifiera plus que les austérités que vous regrettez et qui vous sont impossibles. Au reste, Dieu se plaît davantage dans une personne accablée de maux, qui met sa consolation à n’en avoir aucune, pour le contenter, que dans les personnes les plus occupées aux œuvres les plus éclatantes. Sur qui jetterai-je mes regards de complaisance, dit le Seigneur, si ce n’est sur celui qui est pauvre, petit, et écrasé intérieurement372? Leurs lumières, leurs sentiments, leurs œuvres soutiennent les autres. Mais Dieu porte ceux-ci entre ses bras avec compassion. Pleurez, sans vous contraindre, les choses que vous dites que Dieu vous ordonne de sentir, mais j’aime bien ce que vous appelez votre stupidité. Elle vaut cent fois mieux que la délicatesse et la vivacité de sentiments sublimes, qui vous donneraient un soutien flatteur. Contentez-vous de ce que Dieu vous donne, et soyez également délaissée à son bon plaisir dans les plus grandes inégalités. Encore une fois ménagez votre corps et votre esprit. L’un et l’autre est abattu. Au reste je réponds à votre lettre le lendemain de sa réception, c’est-à-dire le 25 décembre, quoiqu’elle soit datée du 30 d’août. Je n’oublierai pas devant Dieu la personne que vous me recommandez373, et je serai jusqu’à la mort intimement uni à vous avec zèle en N [otre] S[eigneur].

LSP 21. L.1776. À LA SŒUR CHARLOTTE DE SAINT-CYPRIEN. À Cambray, ce 10 mars 1714.

J’ai reçu, ma très honorée sœur, une réponse de la personne qui vous est si chère374 : elle ne tend qu’à entrer en dispute, et qu’à vouloir m’y engager avec ses ministres375. Cette dispute avec eux n’aboutirait à rien de solide. Je me bornerai à lui répondre doucement sur les points qui peuvent toucher le cœur, en laissant tomber tout ce qui excite l’esprit à des contestations. La prière ôte l’enflure du cœur, que la science et la dispute donnent. Si les hommes voulaient prier avec amour et humilité, tous les cœurs seraient bientôt réunis, les nouveautés disparaîtraient, et l’Église serait en paix. Je souhaite de tout mon cœur, que Dieu vous détache à mesure qu’il vous éprouve. Les dépouillements les plus rigoureux sont adoucis, dès que Dieu détache le cœur des choses dont il dépouille. Les incisions ne sont nullement douloureuses dans le mort; elles ne le sont que dans le vif. Quiconque mourrait en tout, porterait en paix toutes les croix. Mais nous sommes faibles, et nous tenons encore à de vaines consolations. Les soutiens de l’esprit sont plus subtils que les appuis mondains ; on y renonce plus tard et avec plus de peine. Si on se détachait des consolations les plus spirituelles dès que Dieu en prive, on mettrait sa consolation, comme dit l’Imitation de Jésus-Christ376, à être sans consolation dans sa peine. Je serais ravi d’apprendre l’entière guérison de vos yeux; mais il ne faut pas plus tenir à ses yeux, qu’aux choses les plus extérieures. Je serai jusqu’au dernier soupir de ma vie intimement uni à vous, et dévoué à tout ce qui vous appartient, avec le zèle le plus sincère.


Le Relevé de correspondance s’avère inutile ici car nous avons repris tout l’ensemble de cette « petite » série de onze lettres, mais très grande par sa profondeur spirituelle.


Duchesse de Mortemart (1665-1750)

Une esquisse biographique

La « petite duchesse », proche 377 aimée de Madame Guyon 378, prit sa relève au sein du cercle des disciples lorsque cette dernière fut emprisonnée puis assignée à résidence à Blois. La cadette du ‘clan’ Colbert avait un fort tempérament 379 ce qui nous semble assez prévisible mais lui fut reproché. Après 1717, date du décès de la ‘dame directrice’, la duchesse corrigée de ses défauts de (relative) jeunesse atteindra quatre-vingt-cinq ans et le demi-siècle des Lumières.

Elle aura selon nous succédé à Madame Guyon. Aussi nous explorons sa biographie brièvement en texte courant tout en l’accompagnant d’amples notes. Celles très précieuses de l’éditeur I. Noye accompagnent et authentifie ce qui s’avère constituer la plus longue série de lettres rapportée en [CF 18] pour une même correspondante. De nature plus éditoriale que biographique elles ne sont pas reprises ici, mais leurs attributions et leurs datations assurent la séquence du regroupement.

Pour notre chance ! Car l’attribution à la duchesse de Mortemart de lettres nettoyées des renseignements sur leur provenance par les membres du cercle en vue de l’édition de 1718 n’a été établie qu’assez tardivement 380 tandis que l’édition critique de la série « LSP * » est récente 381  : la filiation mystique fut ainsi trop bien préservée.

Nous donnerons après cette esquisse biographique la série reconstituée complète des lettres dont seuls quelques passages seront omis en texte principal.

Mais qui était cette « petite duchesse » ? Nous alternons ici Orcibal avec le duc de Saint-Simon, sans oublier en notes Boislisle, regroupant ainsi l’admirable écrivain observateur avec les deux plus grands érudits qui précédèrent l’éditeur de lettres I. Noye :

« La ‘Petite Duchesse’ de Mortemart, fille du ministre Colbert et sœur cadette des dames de Chevreuse et de Beauvillier, épousa en 1679 Louis de Rochechouart382.

« Ce dernier, né en 1663, « donnait les plus grandes espérances (en 1686 il avait forcé les pirates de Tripoli à se soumettre), mais sa santé, minée par la phtisie, provoquait dès l'été 1687 de vives inquiétudes. » Il mourut jeune en 1688. En 1689 et en 1690, on voit souvent le nom de sa veuve dans les listes des invitées du Roi et du Dauphin 383. »

Cela peut avoir été facilité et facile pour une jeune veuve de vingt-trois ans dont Saint-Simon décrit un charme digne des Mortemart 384. Le duc de Saint-Simon use ensuite de son piquant propre en rapportant une dévotion peu jusfifiée à ses yeux :

« La duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui l'aimait fort aussi, et de tout à la Cour, la quitta subitement de dépit des romancines385 de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de dévotion de Mme Guyon l'éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle trouva dans l'exemple de ses deux sages beaux-frères [les ducs] à se confirmer dans son goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints amusements pour s'occuper…386

Nous relevons du même duc de Saint-Simon une note complémentaire du fil principal de ses Mémoires. Elle est bien informée sur l’origine et sur la permanence du « petit troupeau » après la mort de Louis XIV. Elle pose ensuite la duchesse comme « pilier femelle 387 » lorsque Mme Guyon, sortie de la Bastille, est en résidence surveillée à Blois. Nous indiquons les dates des figures car plusieurs établissent le réseau du « petit troupeau » mystique :

« Mme Guyon a trop fait de bruit, et par elle, et par ses trop illustres amis, et par le petit troupeau qu'elle s'est formé à part, qui dure encore, et qui, depuis la mort du Roi [en 1715], a repris vigueur, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Il suffira d'en dire un mot d’éclaircissement, qui ne se trouve ni dans sa vie ni dans celle de ses amis et ennemis, ni dans les ouvrages écrits pour et contre elle, où tout le reste se rencontre amplement.

« Elle ne fit que suivre les errements d'un prêtre nommé Bertaut [Jacques Bertot, 1620-1681], qui, bien des années avant elle [Jeanne Guyon, 1648-1717], faisoit des discours à l'abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples […] M. de Beauvillier [1648_1714] fut averti plus d'une fois que ces conventicules obscurs, qui se tenaient pour la plupart chez lui, étoient sus et déplaisaient ; mais sa droiture, qui ne cherchait que le bien pour le bien, et qui croyait le trouver là, ne s'en mit pas en peine. La duchesse de Béthune [1641 ?-1716], celle-là même qui allait à Montmartre avec M. de Noailles, y tenait la seconde place. Pour ce maréchal, il sentait trop d'où venait [415] le vent, et d'ailleurs il avait pris d'autres routes qui l'avaient affranchi de ce qui ne lui était pas utile. La duchesse de Mortemart [la ‘petite duchesse’], belle-soeur des deux ducs, qui, d'une vie très-répandue à la cour, s'était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses soeurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [‘la Colombe’, 1672-1748], fille de Noailles. Tels étaient les piliers mâles et femelles de cette école, quand la maîtresse [Guyon] fut éloignée d'eux et de Paris, avec une douleur, de leur part, qui ne fit que redoubler leur fascination pour elle…388. »

Par la suite,

« La duchesse vécut ensuite en liaison étroite avec ses beaux-frères, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse. « Plusieurs lettres du P. Lami, bénédictin, nous apprennent que la duchesse faisait de fréquentes retraites au couvent de la Visitation de Saint-Denis, où l’une de ses filles avait fait profession, et qu’elle y occupa même assez longtemps une cellule […] Elle y mourut le 13 février 1750 389».

« La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande Ame du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avait forcé la duchesse [la comtesse] de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre entièrement et tout d'un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardait aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle allait à Cambrai, et y avait passé souvent plusieurs mois de suite. C'était donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssoit guère moins que l'archevêque; ou ne le pouvait même ignorer390. »

Doit-on la considérer comme successeur dans la lignée mystique ? Déjà dans une lettre de septembre 1697, Madame Guyon lui écrivait :

« …Cependant, lorsqu'elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu'Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s'est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j'ai toujours cru qu'Il l'accordait à l'humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi… »

La petite duchesse pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux.

L’opinion de Fénelon et d’un proche

Nous avons quelques lettres à des tiers où Fénelon exprime son appréciation de la Petite Duchesse :

Au moment où le duc de Montfort leur fils des Chevreuse est grièvement blessé, Dieu « vous met sur la croix avec son Fils; je vous avoue que, malgré toute la tristesse que vous m'avez causée, j'ai senti une espèce de joie lorsque j'ai vu Mme la duchesse de Mortemart partir avec tant d'empressement et de bon naturel pour aller partager avec vous vos peines. » (L.168 à la duchesse du 7 avril 1691).

A la comtesse de Gramont : « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l'être de plus en plus. La vertu lui coûte autant qu'à un autre, et en cela elle est très propre à vous encourager. » (L.300 du 22 juin 1695)

A la comtesse de Montberon : « A mon retour, j'espère que nous aurons ici Mad. la d[uchesse] de Mortemart, qui viendra aux eaux. Je serai ravi que vous puissiez faire connaissance. Vous en serez bien contente, et bien édifiée. » (L. entre le 2 et le 6 juillet 1702)

Le duc de Chevreuse écrit à Fénelon : « Je suis plus content que jamais de la B.P.D. [de Mortemart]. J'y trouve le même esprit de conduite qu'elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son fond. » (L.913A du 16 mai 1703).

Nous tentons une mise en ordre chronologique 391. Un choix en italiques précède la séquence complète des lettres qui nous sont parvenues.

Choix de citations extrait de la série complète des lettres

Fénelon est directeur de la « petite duchesse ». Née en 1665, elle est de quatorze ans plus jeune :

En 1693 : 

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. … Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? … Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. … Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée. (LSP 126*, juin 1693 ?)

Nul couvent ne vous convient; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. (LSP 135.*)

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce … Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? … Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. … (LSP 136*)

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu … Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. (LSP 130*, 1693?)

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. (LSP 131*,1693 ?)

Lettres postérieures :

Vous ne garderez jamais si bien M... que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout: c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. (LSP 129*, 1695 ?)

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. (LSP 137*)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu (LSP 150*, attribution incertaine)

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. … Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide. (LSP 164*)

Ma vie est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. (LSP 165*)

Lettres tardives :

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir: on va contre le vent à force de rames. … Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. … Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif392: … Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. (LSP 166*, après juin 1708)

Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. (LSP 167*)

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix (LSP 189*)

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. … Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. … Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. (LSP 190*)

Tout contribue à vous éprouver; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. … Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous (LSP 192*, attribution incertaine)

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? … Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon? … J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. … Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? … Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. (LSP 193*) Pb : née en 1665 !

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. (LSP 198*, attribution incertaine)

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous. / Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. (LSP 203, 1711 ?)

Comment pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. (LSP 490*, attribution incertaine)

Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autres les écrits de N., que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. … excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. (L.1121, 9 janvier 1707)

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D[ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D[ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. … Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D[ieu]; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres393. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D[ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus. (L.1231, 22 août 1708)

Je vous avoue, ma bonne D[uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D[ieu], est précisément ce que D[ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. … Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. … En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. (L.1215, 8 juin 1708)

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D[ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. … Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D[ieu] commence à nous y préparer. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D[ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D[ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. … D[ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. … Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. … Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N…[Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. (L.1408)

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D[ieu] donne à ses enfants entre eux. … Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D[ieu] et de faire la place nette au petit M[aître]. (L.1442, 1er février 1711)

Il y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. … Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D[ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. … Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver: je me vois comme une image dans un songe. … Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. (L.1479, 27 juillet 1711)

La série complète394 des lettres 

LSP 126.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART juin 1693 ?

Vous êtes bonne395. Vous voudriez l’être encore davantage, et vous prenez beaucoup sur vous dans le détail de la vie : mais je crains que vous ne preniez un peu trop sur le dedans, pour accommoder le dehors aux bienséances, et que vous ne fassiez pas assez mourir le fond le plus intime. Quand on n’attaque point efficacement un certain fonds secret de sens et de volonté propre sur les choses qu’on aime le plus, et qu’on se réserve avec le plus de jalousie, voici ce qui arrive. D’un côté, la vivacité, l’âpreté et la roideur de la volonté propre sont grandes; de l’autre côté, on a une idée scrupuleuse d’une certaine symétrie des vertus extérieures, qui se tourne en pure régularité de bienséance. L’extérieur se trouve ainsi très gênant, et l’intérieur très vif pour y répugner. C’est un combat insupportable.

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. Je serais moins fâché de vous voir grondeuse, dépitée, brusque, ne vous possédant pas, et ensuite bien désabusée de vous-même par cette expérience, que de vous voir régulière de tout point et irrépréhensible de tous les côtés, mais délicate, haute, austère, roide, facile à scandaliser, et grande en vous-même.

Mettez votre véritable ressource dans l’oraison. Un certain travail de courage humain et de goût pour une régularité empesée ne vous corrigera jamais. Mais accoutumez-vous devant Dieu, par l’expérience de vos faiblesses incurables, à la condescendance, à la compassion et au support des imperfections d’autrui. L’oraison bien prise vous adoucira le cœur, et vous le rendra simple, souple, maniable, accessible, accommodant. Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? On est sévère pour les actions extérieures, et on est très relâché pour l’intérieur. Pendant qu’on est si jaloux de cet arrangement superficiel de vertus extérieures, on n’a aucun scrupule de se laisser languir au-dedans, et de résister secrètement à Dieu. On craint Dieu plus qu’on ne l’aime. On veut le payer d’actions, que l’on compte pour en avoir quittance, au lieu de lui donner tout par amour, sans compter avec lui. Qui donne tout sans réserve, n’a plus besoin de compter. On se permet certains attachements déguisés à sa grandeur, à sa réputation, à ses commodités. Si on cherchait bien entre Dieu et soi, on trouverait un certain retranchement où l’on met ce qu’on suppose qu’il ne faut pas lui sacrifier. On tourne tout autour de ces choses, et on ne veut pas même les voir, de peur de se reprocher qu’on y tient. On les épargne comme la prunelle de l’œil sous les plus beaux prétextes. Si quelqu’un forçait ce retranchement, il toucherait au vif, et la personne serait inépuisable en belles raisons pour justifier ses attachements : preuve convaincante qu’elle nourrit une vie secrète dans ces sortes d’affections. Plus on craint d’y renoncer, plus il faut conclure qu’on en a besoin. Si on n’y tenait pas, on ne ferait pas tant d’efforts pour se persuader qu’on n’y tient point.

Il faut bien qu’il y ait en nous de telles misères qui arrêtent l’ouvrage de Dieu. Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. La faute ne vient point de Dieu, elle vient donc de nous. Nous n’avons qu’à bien chercher, et nous trouverons les liens secrets qui nous arrêtent. L’endroit dont nous nous méfions le moins est précisément celui dont il faut se défier le plus.

Ne faisons point avec Dieu un marché afin que notre commerce ne nous coûte pas trop, et qu’il nous en revienne beaucoup de consolation396. N’y cherchons que la croix, la mort et la destruction. Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée ; et, comme on digère ses repas pendant tout le jour, digérons pendant toute la journée, dans le détail de nos occupations, le pain de vérité et d’amour que nous avons mangé à l’oraison. Que cette oraison ou vie d’amour, qui est la mort à nous-mêmes, s’étende de l’oraison, comme du centre, sur tout ce que nous avons à faire. Tout doit devenir oraison ou présence amoureuse de Dieu dans les affaires et dans les conversations. C’est là, Madame, ce qui vous donnera une paix profonde.

LSP 135.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Je ne manquerai à aucune des personnes que la Providence m’envoie, que quand je manquerai à Dieu même397 ; ainsi ne craignez pas que je vous abandonne. D’ailleurs Dieu saurait bien faire immédiatement par lui-même ce qu’il cesserait de faire par un vil instrument. Ne craignez rien, homme de peu de foi. Demeurez exactement dans vos bornes ordinaires ; réservez votre entière confiance pour N… qui vous connaît à fond, et qui peut seul398 vous soulager dans vos peines ; il lui sera donné de vous aider dans tous vos besoins. Nul couvent ne vous convient; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. Tous les jours sont des fêtes pour les personnes qui tâchent de vivre dans la cessation de toute autre volonté que de celle de Dieu. Ne lui marquez jamais aucune borne. Ne retardez jamais ses opérations. Pourquoi délibérer pour ouvrir, quand c’est l’Époux qui est à la porte du cœur? Écoutez et croyez N… Je veux au nom de Notre-Seigneur que vous soyez en paix. Ne vous écoutez point. Ne cherchez jamais la personne qui s’écarte : mais tenez-vous à portée de redresser et de consoler son cœur, s’il se rapproche...399.

LSP 136*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce400 ; mais vous pourriez facilement vous mécompter sur votre goût de retraite. Contentez-vous de ne voir que les personnes avec lesquelles vous avez des liaisons intérieures de grâce, ou des liaisons extérieures de providence : encore même ne faut-il point vous faire une pratique de ne voir que les personnes de ces deux sortes ; et, sans tant raisonner, il faut, en chaque occasion, suivre votre cœur, pour voir ou ne pas voir les personnes qu’il est permis communément de voir; surtout ne vous éloignez point de celles qui peuvent vous soutenir dans votre vocation.

Je voudrais que vous évitassiez toute activité par rapport à la personne sur laquelle vous me demandez mon avis401. Ne vous faites point une règle ni de vous éloigner, ni de vous rapprocher d’elle. Tenez-vous seulement à portée de lui être utile, et de lui dire la vérité toutes les fois qu’elle reviendra à vous. Ne la rebutez jamais : montrez-lui un cœur toujours ouvert et toujours uni. Quand elle paraîtra s’éloigner, écrivez-lui, selon les occasions, avec simplicité, pour la rappeler à la véritable vocation de Dieu. Avertissez-la des pièges à craindre ; mais ne vous inquiétez point, et n’espérez pas de corriger l’humain par une activité humaine.

Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? Voulez-vous faire naufrage au port, vous reprendre, et demander à Dieu qu’il s’assujettisse à vos règles, au lieu qu’il veut et que vous lui avez promis de marcher comme Abraham dans la profonde nuit de la foi’? Et quel mérite auriez-vous à faire ce que vous faites, si vous aviez des miracles et des révélations pour vous assurer de votre voie ? Les miracles mêmes et les révélations s’useraient bientôt, et vous retomberiez encore dans vos doutes. Vous vous livrez à la tentation. Ne vous écoutez plus vous-même. Votre fond, si vous le suivez simplement, dissipera tous ces vains fantômes.

Il y a une extrême différence entre ce que votre esprit rassemble dans sa peine, et ce que votre fond conserve dans la paix. Le dernier est de Dieu ; l’autre n’est que votre amour-propre. Pour qui êtes-vous en peine ? Pour Dieu, ou pour vous ? Si ce n’était que pour Dieu seul, ce serait une vue simple, paisible, forte, et qui nourrirait votre cœur, et vous dépouillerait de tout appui créé. Tout au contraire, c’est de vous que vous êtes en peine. C’est une inquiétude, un trouble, une dissipation, un dessèchement de cœur, une avidité naturelle de reprendre des appuis humains, et de ne vous laisser jamais mourir.

Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune. Vous cherchez à vivre, et il ne s’agit plus que d’achever de mourir et d’expirer dans le délaissement sensible. Vous me demandez des moyens ; il n’y a plus de moyens : c’est en les laissant tomber tous, que l’œuvre de mort se consomme. Que reste-t-il à faire à celui qui est sur la roue ? Faut-il lui donner des remèdes ou des aliments? lui faut-il donner les cordiaux qu’il demande ? Non ; ce serait prolonger son supplice par une cruelle complaisance, et éluder l’exécution de la sentence du juge. Que faut-il donc? Rien que ne rien faire, et le laisser au plus tôt mourir.

LSP 130.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693?]

Il m’a paru que vous aviez besoin de vous élargir le cœur sur les défauts d’autrui. Je conviens que vous ne pouvez ni vous empêcher de les voir quand ils sautent aux yeux, ni éviter les pensées qui vous viennent sur les principes qui vous paraissent faire agir certaines gens. Vous ne pouvez pas même vous ôter une certaine peine que ces choses vous donnent. Il suffit que vous vouliez supporter les défauts certains, ne juger point de ceux qui peuvent être douteux, et n’adhérer point à la peine qui vous éloignerait des personnes.

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu ; autrement on arracherait le bon grain avec le mauvais. Dieu laisse dans les âmes les plus avancées certaines faiblesses entièrement disproportionnées à leur état éminent, comme on laisse des morceaux de terre qu’on nomme des témoins, dans un terrain qu’on a rasé, pour faire voir, par ces restes, de quelle profondeur a été l’ouvrage de la main des hommes. Dieu laisse aussi dans les plus grandes âmes des témoins ou restes de ce qu’il en a ôté de misère.

Il faut que ces personnes travaillent, chacune selon leur degré, à leur correction, et que vous travailliez au support de leurs faiblesses. Vous devez comprendre, par votre propre expérience en cette occasion, que la correction est fort amère : puisque vous en sentez l’amertume, souvenez-vous combien il faut l’adoucir aux autres402. Vous n’avez point un zèle empressé pour corriger, mais une délicatesse qui vous serre aisément le cœur.

Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. Si vos avis me blessent, cette sensibilité me montrera que vous aurez trouvé le vif: ainsi vous m’aurez toujours fait un grand bien en m’exerçant à la petitesse, et en m’accoutumant à être repris. Je dois être plus rabaissé qu’un autre à proportion de ce que je suis plus élevé par mon caractère, et que Dieu demande de moi une plus grande mort à tout. J’ai besoin de cette simplicité, et j’espère qu’elle augmentera notre union, loin de l’altérer.

LSP 131*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [1693 ?]

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose. […] Souvent une certaine vivacité de correction, même pour soi, n’est qu’une activité qui n’est plus de saison pour ceux que Dieu mène d’une autre façon, et qu’il veut quelquefois laisser dans une impuissance de vaincre ces imperfections, pour leur ôter tout appui intérieur. La correction de quelques défauts involontaires serait pour eux une mort beaucoup moins profonde et moins avancée, que celle qui leur vient de se sentir surmontés par leurs misères, pourvu qu’ils soient véritablement et sans illusion désabusés et dépossédés d’eux-mêmes par cette expérience et par cet acquiescement. Chaque chose a son temps. La force intérieure sur ses propres défauts nourrit une vie secrète de propriété. Souffrez donc le prochain…403.

LSP 129.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART [?] [1695 ?]

Vous ne garderez jamais si bien M...404 que quand vous serez fidèle à faire oraison. Notre propre esprit, quelque solide qu’il paraisse, gâte tout: c’est celui de Dieu qui conduit insensiblement à leur fin les choses les plus difficiles. Les traverses de la vie nous surmontent, les croix nous abattent; nous manquons de patience et de douceur, ou d’une fermeté douce et égale; nous ne parvenons point à persuader autrui. Il n’y a que Dieu qui tient les cœurs dans ses mains : il soutient le nôtre, et ouvre celui du prochain. Priez donc, mais souvent et de tout votre cœur, si vous voulez bien conduire votre troupeau. Si le Seigneur ne garde pas la ville, celui qui veille la garde en vain. Nous ne pouvons attirer en nous le bon esprit que par l’oraison. Le temps qui y paraît perdu est le mieux employé. En vous rendant dépendante de l’esprit de grâce, vous travaillerez plus pour vos devoirs extérieurs, que par tous les travaux inquiets et empressés. Si votre nourriture est de faire la volonté de votre Père céleste, vous vous nourrirez souvent en puisant cette volonté dans sa source…405

LSP 137.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu’une même chose. O qu’il est vilain d’être deux, trois, quatre, etc.! Il ne faut être qu’un. Je ne veux connaître que l’unité. Tout ce que l’on compte au-delà vient de la division et de la propriété d’un chacun. Fi des amis ! Ils sont plusieurs, et par conséquent ils ne s’aiment guère, ou s’aiment fort mal. Le moi s’aime trop pour pouvoir aimer ce qu’on appelle lui ou elle. Comme ceux qui n’ont qu’un seul amour sans propriété ont dépouillé le moi, ils n’aiment rien qu’en Dieu et pour Dieu seul. Au contraire, chaque homme possédé de l’amour-propre n’aime son prochain qu’en soi et pour soi-même. Soyons donc unis, par n’être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu sans ombre de distinction. C’est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble. C’est dans ce point indivisible, que la Chine et le Canada se viennent joindre; c’est ce qui anéantit toutes les distances406.

Au nom de Dieu, que N…407 soit simple, petit, ouvert, sans réserve, défiant de soi et dépendant de vous. Il trouvera en vous non seulement tout ce qui lui manque, mais encore tout ce que vous n’avez point; car Dieu le fera passer par vous pour lui, sans vous le donner pour vous-même. Qu’il croie petitement, qu’il vive de pure foi, et il lui sera donné à proportion de ce qu’il aura cru.

LSP 150.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu, c’est le moyen de n’être jamais mécompté. Il faut prendre des hommes ce qu’ils donnent, comme des arbres les fruits qu’ils portent: il y a souvent des arbres où l’on ne trouve que des feuilles et des chenilles. Dieu supporte et attend les hommes imparfaits, et il ne se rebute pas même de leurs résistances. Nous devons imiter cette patience si aimable, et ce support si miséricordieux. Il n'y a que l'imperfection qui s'impatiente de ce qui est imparfait; plus on a de perfection, plus on supporte patiemment et paisiblement l'imperfection d'autrui sans la flatter. Laissez ceux qui s'érigent un tribunal dans leur prévention : si quelque chose les peut guérir, c'est de les laisser aller à leur mode, et de continuer à marcher de notre côté devant eux avec une simplicité et une petitesse d'enfant.

Ne pressez point N....408 Il ne faut demander qu’à mesure que Dieu donne. Quand il est serré, attendez-le, et ne lui parlez que pour l’élargir: quand il est élargi, une parole fera plus que trente à contretemps. Il ne faut ni semer ni labourer quand il gèle et que la terre est dure. En le pressant, vous le décourageriez. Il ne lui en resterait qu’une crainte de vous voir, et une persuasion que vous agissez par vivacité naturelle pour gouverner. Quand Dieu voudra donner une plus grande ouverture, vous vous tiendrez toujours toute prête pour suivre le signal, sans le prévenir jamais. C’est l’œuvre de la foi, c’est la patience des saints. Cette œuvre se fait au dedans de l’ouvrier, en même temps qu’au-dehors sur autrui ; car celui qui travaille meurt sans cesse à soi en travaillant à faire la volonté de Dieu dans les autres.

LSP 164.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. Encore un coup ; ne craignez rien, âme de peu de foi. Vous voyez, par l’expérience de votre faiblesse, combien vous devez être désabusée de vous-même et de vos meilleures résolutions. À voir les sentiments de zèle où l’on est quelquefois, on croirait que rien ne serait capable de nous arrêter; cependant, après avoir dit comme saint Pierre : Quand même il faudrait mourir avec vous cette nuit, je ne vous abandonnerai point, on finit comme lui par avoir peur d’une servante, et par renier lâchement le Sauveur. O qu’on est faible ! Mais autant que notre faiblesse est déplorable, autant l’expérience nous en est-elle utile pour nous ôter tout appui et toute ressource au-dedans de nous. Une misère que nous sentons, et qui nous humilie, nous vaut mieux qu’une vertu angélique que nous nous approprierions avec complaisance. Soyez donc faible et découragée si Dieu le permet, mais humble, ingénue et docile dans ce découragement. Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide.

LSP 165* A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ma vie409 est triste et sèche comme mon corps ; mais je suis dans je ne sais quelle paix languissante. Le fond est malade, et il ne peut se remuer sans une douleur sourde. Nulle sensibilité ne vient que d’amour-propre ; on ne souffre qu’à cause qu’on veut encore. Si on ne voulait plus rien, que la seule volonté de Dieu, on en serait sans cesse rassasié, et tout le reste serait comme du pain noir qu’on présente à un homme qui vient de faire un grand repas. Si la volonté présente de Dieu nous suffisait, nous n’étendrions point nos désirs et nos curiosités sur l’avenir. Dieu fera sa volonté, et il ne fera point la nôtre : il fera fort bien. Abandonnons-lui non seulement toutes nos vues humaines, mais encore tous nos souhaits pour sa gloire, attendue selon nos idées. Il faut le suivre en pure foi et à tâtons. Quiconque veut voir, désire, raisonne, craint et espère pour soi et pour les siens. Il faut avoir des yeux comme n’en ayant pas : aussi bien ne servent-ils qu’à nous tromper et qu’à nous troubler. Heureux le jour où nous ne voulons pas prévoir le lendemain !

LSP 166.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. Après juin 1708.

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir: on va contre le vent à force de rames. Pour l’état qui paraît tout naturel, je ne m’en étonne nullement. Dieu ne peut nous cacher sa grâce que sous la nature. Tout ce qui est sensible se trouve conforme aux saillies du tempérament, et le don de Dieu n’est que dans le fond le plus intime et le plus secret d’une volonté toute sèche et toute languissante. Souffrir, passer outre, et demeurer en paix dans cette douloureuse obscurité, est tout ce qu’il faut. Les défauts mêmes les plus réels se tourneront en mort et en désappropriation, pourvu que vous les regardiez avec simplicité, petitesse, détachement de votre lumière propre, et docilité pour la personne à qui vous vous ouvrez. Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. Vos peines serviront à rabaisser votre courage, et à vous déposséder de votre propre cœur; la vue de vos misères démontera votre sagesse. Il faut seulement vous soulager et vous épargner dans les tentations de découragement, comme une personne faible qu’on a besoin de consoler et de faire respirer.

Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif410: il faut y avoir égard, et ne laisser jamais trop attrister votre imagination; mais il lui faut des soulagements de simplicité et de petitesse, non de hauteur et de sagesse qui flattent l’amour-propre.

Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. Pour les choses choquantes, regardez-les comme venant de leurs défauts, et supportez les leurs comme vous supportez les vôtres. Vous n’aurez jamais aucun mécompte, si vous ne voulez jamais compter avec aucun de vos amis. L’amour de Dieu ne s’y méprend jamais; il n’y a que l’amour-propre qui puisse se mécompter. La grande marque d’un cœur désapproprié est de voir un cœur sans délicatesse pour soi, et indulgent pour autrui.

Je conviens que la simplicité serait d’un excellent usage avec nos bonnes gens411; mais la simplicité demande dans la pratique une profonde mort de la part de toutes les personnes qui composent une société. Les imparfaits sont imparfaitement simples ; ils se blessent mal à propos, ils critiquent, ils veulent deviner, ils censurent avec un zèle indiscret, ils gênent les autres : insensiblement les défauts naturels se glissent sous l’apparence de simplicité.

LSP 167.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Vous avez bien des croix à porter; mais vous en avez besoin, puisque Dieu vous les donne. Il les sait bien choisir: c’est ce choix qui déconcerte l’amour-propre et qui le fait mourir. Des croix choisies et portées avec propriété, loin d’être des croix et des moyens de mort, seraient des aliments et des ragoûts pour une vie d’amour-propre. Vous vous plaignez d’un état de pauvreté intérieure et d’obscurité; Bienheureux les pauvres d’esprits! Bienheureux ceux qui croient sans voir! Ne voyons-nous pas assez, pourvu que nous voyions notre misère sans l’excuser? Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. En cet état, on n’a aucune lumière qui flatte notre curiosité, mais on a toute celle qu’il faut pour se défier de soi, pour ne s’écouter plus, et pour être docile à autrui. Que serait-ce qu’une vertu qu’on verrait au dedans de soi, et dont on serait content? Que serait-ce qu’une lumière aperçue, et dont on jouirait pour se conduire? Je remercie Notre-Seigneur de ce qu’il vous ôte un si dangereux appui. Allez, comme Abraham, sans savoir où412; ne suivez que l’esprit de petitesse, de simplicité et de renon-cernent: il ne vous inspirera que paix, recueillement, douceur, détachement, support du prochain, et contentement dans vos peines.

LSP 189.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Portez en paix vos croix intérieures. Les extérieures sans celles de l’intérieur ne seraient point des croix ; elles ne seraient que des victoires continuelles, avec une flatteuse expérience de notre force invincible. De telles croix empoisonneraient le cœur, et charmeraient notre amour-propre. Pour bien souffrir, il faut souffrir faiblement et sentant sa faiblesse ; il faut se voir sans ressource au dedans de soi ; il faut être sur la croix avec Jésus-Christ, et dire comme lui, Mon Dieu, mon Dieu, combien m'avez-vous abandonné! O que la paix de la volonté, dans ce désespoir de l'amour-propre, est précieuse aux yeux de celui qui la fait en nous sans nous la montrer ! Nourrissez-vous de cette parole de saint Augustin, qui est d'autant plus vivifiante, qu'elle porte au coeur une mort totale de l'amour-propre: «Qu'il ne soit laissé en moi rien de moi-même, ni de quoi jeter encore un regard sur moi ; » nihil in me relinquatur mihi, nec quo respiciam ad me ipsum. N’écoutez point votre imagination ni les réflexions d’une sagesse humaine : laissez tomber tout, et soyez dans les mains du bien-aimé. C’est sa volonté et sa gloire qui doivent nous occuper.

LSP 190.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l’être. Souffrez en paix ; abandonnez-vous; allez, comme Abraham, sans savoir où. Recevez des hommes le soulagement que Dieu vous donnera par eux. Ce n’est pas d’eux, mais de lui par eux, qu’il faut le recevoir. Ne mêlez rien à l’abandon, non plus qu’au rien. Un tel vin doit être bu tout pur et sans mélange ; une goutte d’eau lui ôte toute sa vertu. On perd infiniment à vouloir retenir la moindre ressource propre. Nulle réserve, je vous conjure. […]413.

Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. Quand on est attaché sur la croix avec Jésus-Christ, on dit comme lui, O Dieu, ô mon Dieu, combien vous m’avez délaissé ! Mais ce délaissement sensible, qui est une espèce de désespoir dans la nature grossière, est la plus pure union de l’esprit, et la perfection de l’amour.

Qu’importe que Dieu nous dénue de goûts et de soutiens sensibles ou aperçus, pourvu qu’il ne nous laisse pas tomber? Le prophète Habacuc n'était-il pas bien soutenu quand l'ange le transportait avec tant d'impétuosité de la Judée à Babylone, en le tenant par un de ses cheveux414. Il allait sans savoir où, et sans savoir par quel soutien ; il allait nourrir Daniel au milieu des lions ; il était enlevé par l'esprit invisible et par la vertu de la foi. Heureux qui va ainsi par une route inconnue à la sagesse humaine, et sans toucher du pied à terre !

Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. Qu’y a-t-il à faire? Rien qu’à ne repousser jamais la main invisible qui détruit et qui refond tout. Plus on avance, plus il faut se délaisser à l’entière destruction. Il faut qu’un cœur vivant soit réduit en cendre. Il faut mourir et ne voir point sa mort; car une mort qu’on apercevrait serait la plus dangereuse de toutes les vies. Vous êtes morts, dit l’Apôtre, et votre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu. Il faut que la mort soit cachée, pour cacher la vie nouvelle que cette mort opère. On ne vit plus que de mort, comme parle saint Augustin415. Mais qu’il faut être simple et sans retour pour laisser achever cette destruction du vieil homme ! Je prie Dieu qu’il fasse de vous un holocauste que le feu de l’autel consume sans réserve.

LSP 191.* A LA DUCHESSE DE MORTEMART ( ?)

La peine que je ressens sur le malheur public ne m’empêche point d’être occupé de votre infirmité416. Vous savez qu’il faut porter la croix, et la porter en pleines ténèbres. Le parfait amour ne cherche ni à voir ni à sentir. Il est content de souffrir sans savoir s’il souffre bien, et d’aimer sans savoir s’il aime. O que l’abandon, sans aucun retour ni repli caché, est pur et digne de Dieu ! Il est lui seul plus détruisant que mille et mille vertus austères et soutenues d’une régularité aperçue. On jeûnerait comme saint Siméon Stylite, on demeurerait des siècles sur une colonne ; on passerait cent ans au désert, comme saint Paul ermite; que ne ferait-on point de merveilleux et digne d’être écrit, plutôt que de mener une vie unie, qui est une mort totale et continuelle dans ce simple délaissement au bon plaisir de Dieu ! Vivez donc de cette mort ; qu’elle soit votre unique pain quotidien. Je vous présente celui que je veux manger avec vous. […]417.

LSP 192.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Tout contribue à vous éprouver; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. Jésus-Christ ne dit pas: Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se possède, qu’il se revête d’ornements, qu’il s’enivre de consolations, comme Pierre sur le Thabor; qu’il jouisse de moi et de soi-même dans sa perfection, qu’il se voie : et que tout le rassure en se voyant parfait : mais au contraire il dit : Si quelqu’un veut venir après moi, voici le chemin par où il faut qu’il passe ; qu’il se renonce, qu’il porte sa croix et qu’il me suive dans le sentier bordé de précipices où il ne verra que sa mort. Saint Paul dit que nous voudrions être survêtus, et qu’il faut au contraire être dépouillés jusqu’à la plus extrême nudité pour être ensuite revêtus de Jésus-Christ. […]418

Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous : je porte avec vous votre croix et toutes vos langueurs. Mais si vous voulez que l’enfant Jésus les porte avec vous, laissez-le se cacher à vos yeux ; laissez-le aller et venir en toute liberté. Il sera tout-puissant en vous, si vous êtes bien petite en lui. On demande du secours pour vivre et pour se posséder : il n’en faut plus que pour expirer et pour être dépossédé de soi sans ressource. Le vrai secours est le coup mortel ; c’est le coup de grâce. Il est temps de mourir à soi, afin que la mort de Jésus-Christ opère une nouvelle vie. Je donnerais la mienne pour vous ôter la vôtre, et pour vous faire vivre de celle de Dieu.

LSP 193.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? Un tel abandon serait la plus grande propriété, et n’aurait que le nom trompeur d’abandon ; ce serait l’illusion la plus manifeste. Il faut manquer de tout aliment pour achever de mourir. C’est une cruauté et une trahison, que de vous laisser respirer et nourrir pour prolonger votre agonie dans le supplice. Mourez ; c’est la seule parole qui me reste pour vous.

Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon? Était-ce à condition de le faire en apparence, et de trouver une plus grande sûreté dans l’abandon même? Si cela était, vous auriez été bien fine avec Dieu : ce serait le comble de l’illusion. Si, au contraire, vous n’avez cherché (comme je n’en doute pas) que le sacrifice total de votre esprit et de votre volonté, pourquoi reculez-vous quand Dieu vous fait enfin trouver l’unique chose que vous avez cherchée ? Voulez-vous vous reprendre dès que Dieu veut vous posséder, et vous déposséder de vous-même ? Voulez-vous, par la crainte de la mer et de la tempête, vous jeter contre les rochers, et faire naufrage au port? Renoncez aux sûretés ; vous n’en sauriez jamais avoir que de fausses. C’est la recherche infidèle de la sûreté qui fait votre peine. Loin de vous conduire au repos, vous résistez à votre grâce ; comment trouveriez-vous la paix ?

J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. Cette certitude réfléchie, dont on se rendrait compte à soi-même, et sur laquelle on se reposerait, détruirait l’état de foi, rendrait toute mort impossible et imaginaire, changeant l’abandon et la nudité en possession et en propriété sans bornes ; enfin ce serait un fanatisme perpétuel, car on se croirait sans cesse certainement et immédiatement inspiré de Dieu pour tout ce qu’on ferait en chaque moment. Il n’y aurait plus ni direction ni docilité, qu’autant que le mouvement intérieur, indépendant de toute autorité extérieure, y porterait chacun. Ce serait renverser la voie de foi et de mort. Tout serait lumière, possession, vie et certitude dans toutes ces choses. Il faut donc observer qu’on doit suivre le mouvement, mais non pas vouloir s’en assurer par réflexion, et se dire à soi-même, pour jouir de sa certitude : oui, c’est par mouvement que j’agis.

Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? Les saints patriarches, prophètes, apôtres, etc. avaient, hors des choses miraculeuses, un attrait continuel qui les poussait à une mort continuelle ; mais ils ne se rendaient point juges de leur grâce, et ils la suivaient simplement : elle leur eût échappé pendant qu’ils auraient raisonné pour s’en faire les juges. Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. Marchez donc, comme Abraham, sans savoir où. Sortez de votre terre, qui est votre cœur ; suivez les mouvements de la grâce, mais n’en cherchez point la certitude par raisonnement. Si vous la cherchez avant que d’agir, vous vous rendez juge de votre grâce, au lieu de lui être docile, et de vous livrer à elle comme les apôtres le faisaient. Ils étaient livrés à la grâce de Dieu, dit saint Luc dans les Actes. Si, au contraire, vous cherchez cette certitude après avoir agi, c’est une vaine consolation que vous cherchez par un retour d’amour-propre, au lieu d’aller toujours en avant avec simplicité selon l’attrait, et sans regarder derrière vous. Ce regard en arrière interrompt la course, retarde les progrès, brouille et affaiblit l’opération intérieure : c’est un contretemps dans les mains de Dieu ; c’est une reprise fréquente de soi-même ; c’est défaire d’une main ce qu’on fait de l’autre. De là vient qu’on passe tant d’années languissant, hésitant, tournant tout autour de soi.

Je ne perds de vue ni vos longues peines, ni vos épreuves, ni le mécompte de ceux qui me parlent de votre état sans le bien connaître. Je conviens même qu’il m’est plus facile de parler, qu’à vous de faire, et que je tombe dans toutes les fautes où je vous propose de ne tomber pas. Mais enfin nous devons plus que les autres à Dieu, puisqu’il nous demande des choses plus avancées ; et peut-être sommes-nous à proportion les plus reculés. Ne nous décourageons point: Dieu ne veut que nous voir fidèles. Recommençons, et en recommençant nous finirons bientôt. Laissons tout tomber, ne ramassons rien ; nous irons bien vite et en grande paix.

LSP 198.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Je vois que la lumière de Dieu est en vous pour vous montrer vos défauts et ceux de N...419. C'est peu de voir; il faut faire, ou pour mieux dire il n'y aurait qu'à laisser faire Dieu, et qu'à ne lui point résister. Pour N..., il ne faut jamais lui faire quartier; nulle excuse; coupez court; il faut qu'il se taise, qu'il croie, et qu'il obéisse sans s'écouter.

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. La bonne foi avec Dieu consiste à n’avoir point un faux abandon, ni un demi-abandon, quand on le promet tout entier. Ananias et Saphira furent terriblement punis pour n’avoir pas donné sans réserve un bien qu’ils étaient libres de garder tout entier420. Allons à l’aventure. Abraham allait sans savoir où, hors de son pays. Je voudrais bien vous chasser du vôtre, et vous mettre, comme lui, loin des moindres vestiges de route. […]421.

LSP 203.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART. [1711 ?]

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire. Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous.

Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. Quand je suis à l’office de notre chœur, je vois la main d’un de nos chapelains qui promène un grand éteignoir qui éteint tous les cierges par derrière l’un après l’autre ; s’il ne les éteint pas entièrement, il reste un lumignon fumant qui dure longtemps et qui consume le cierge422. La grâce vient de même éteindre la vie de la nature; mais cette vie opiniâtre fume encore longtemps, et nous consume par un feu secret, à moins que l’éteignoir ne soit bien appuyé et qu’il n’étouffe absolument jusqu’aux moindres restes de ce feu caché.

Je veux que vous ayez le goût de ma destruction connue j’ai celui de la vôtre. Finissons, il est bien temps, une vieille vie languissante qui chicane toujours pour échapper à la main de Dieu. Nous vivons encore ayant reçu cent coups mortels423.

Assurez-vous que je ne flatterai en rien M[...]..5 et que je chercherai même à aller jusqu’au fond. Dieu fera le reste par vous. Votre patience, votre égalité, votre fidélité à n’agir avec lui que par grâce, sans prévenir, par activité ni par industrie, les moments de Dieu ; en un mot, la mort continuelle à vous-même vous mettra en état de faire peu à peu mourir ce cher fils à tout ce qui vous paraît l’arrêter dans la voie de la perfection. Si vous êtes bien petite et bien dénuée de toute sagesse propre, Dieu vous donnera la sienne pour vaincre tous les obstacles.

N’agissez point avec lui par sagesse précautionnée, mais par pure foi et par simple abandon. Gardez le silence, pour le ramener au recueillement et à la fidélité, quand vous verrez que les paroles ne seront pas de saison. Souffrez ce que vous ne pourrez pas empêcher. Espérez, comme Abraham, contre l’espérance, c’est-à-dire attendez en paix que Dieu fasse ce qu’il lui plaira, lors même que vous ne pourrez plus espérer. Une telle espérance est un abandon; un tel état sera votre épreuve très douloureuse et l’œuvre de Dieu en lui. Ne lui parlez que quand vous aurez au cœur de le faire, sans écouter la prudence humaine. Ne lui dites que deux mots de grâce, sans y mêler rien de la nature.

LSP 205 Au DUC DE MORTEMART (?)

Vos dispositions sont bonnes ; mais il faut réduire à une pratique constante et uniforme tout ce qu’on a en spéculation et en désir. Il est vrai qu’il faut avoir patience avec soi-même comme avec autrui, et qu’on ne doit ni se décourager ni s’impatienter à la vue de ses fautes: mais enfin il faut se corriger ; et nous en viendrons à bout, pourvu que nous soyons simples et petits dans la main toute-puissante qui veut nous façonner à sa mode, qui n’est pas la nôtre. Le vrai moyen de couper jusques à la racine du mal en vous, est d’amortir sans cesse votre excessive activité par le recueillement, et de laisser tout tomber pour n’agir qu’en paix et par pure dépendance de la grâce.

Soyez toujours petit à l’égard de N… , et ne laissez jamais fermer votre cœur. C’est quand on sent qu’il se resserre qu’il faut l’ouvrir. La tentation de rejeter le remède en augmente la nécessité. N… a de l’expérience : elle vous aime; elle vous soutiendra dans vos peines. Chacun a son ange gardien ; elle sera le vôtre au besoin : mais il faut une simplicité entière. La simplicité ne rend pas seulement droit et sincère, elle rend encore ouvert et ingénu jusqu’à la naïveté ; elle ne rend pas seulement naïf et ingénu, elle rend encore confiant et docile.

LSP 218.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Un cavalier qui gourmande la bouche de son cheval en fait bientôt une rosse. Au contraire, on élève l’esprit et le cœur de ses gens, en ne leur montrant jamais que de la politesse et de la dignité, avec des inclinations bienfaisantes. Si on n’est pas en état de donner, il faut au moins faire sentir qu’on en a du regret. De plus, il faut donner à chacun dans sa fonction l’autorité qui lui est nécessaire sur ses inférieurs; car rien ne va d’un train réglé, que par la subordination à laquelle il faut sacrifier bien des choses. Quoique vous aperceviez les défauts d’un domestique, gardez-vous bien de vous en rebuter d’abord. Faites compensation du bien et du mal : croyez qu’on est fort heureux, si on trouve les qualités essentielles. Jugez de ce domestique par comparaison à tant d’autres plus imparfaits ; songez aux moyens de le corriger de certains défauts, qui ne viennent peut-être que de mauvaise éducation. Pour les défauts du fond du naturel, n’espérez pas de les guérir; bornez-vous à les adoucir, et à les supporter patiemment. Quand vous voudrez, malgré l’expérience, corriger un domestique de certains défauts qui sont jusque dans la moelle de ses os, ce ne sera pas lui qui aura tort de ne s’être point corrigé, ce sera vous qui aurez tort d’entreprendre encore sa correction. Ne leur dites jamais plusieurs de leurs défauts à la fois ; vous les instruiriez peu, et les décourageriez beaucoup: il ne faut les leur montrer que peu à peu, et à mesure qu’ils vous montrent assez de courage pour en supporter utilement la vue.

Parlez-leur, non seulement pour leur donner vos ordres, mais encore pour trois autres choses, 1° pour entrer avec affection dans leurs affaires ; 2° pour les avertir de leurs défauts tranquillement; 3° pour leur dire ce qu’ils ont bien fait; car il ne faut pas qu’ils puissent s’imaginer qu’on n’est sensible qu’à ce qu’ils font mal, et qu’on ne leur tient aucun compte de ce qu’ils ont bien fait. Il faut les encourager par une modeste, mais cordiale louange. Quelques défauts qu’ait un domestique, tant que vous le gardez à votre service, il faut le bien traiter. S’il est même d’un certain rang entre les autres, il faut que les autres voient que vous lui parlez avec considération ; autrement vous le dégraderiez parmi les autres ; vous le rendriez inutile dans sa fonction ; vous lui donneriez des chagrins horribles, et il sortirait peut-être enfin de chez vous, semant partout ses plaintes. Pour les domestiques en qui vous connaissez du sens, de la discrétion, de la probité, et de l’affection pour vous, écoutez-les; montrez-leur toute la confiance dont vous pouvez les croire dignes, car c’est ce qui gagne le cœur des gens désintéressés. Les manières honnêtes et généreuses font beaucoup plus sur eux, que les bienfaits mêmes. L’art d’assaisonner ce qu’on donne est au-dessus de tout.

Ne devez jamais rien à vos domestiques : autrement vous êtes en captivité. Il vaudrait mieux devoir à d’autres gros créanciers mieux en état d’attendre, et moins en occasion de vous décrier, ou de se prévaloir de votre retardement à les payer. Il faut que les gages ou récompenses des domestiques soient sur un pied raisonnable, car si vous donnez moins que les autres gens modérés de votre condition, ils sont mécontents, vous croient avare, cherchent à vous quitter, et vous servent sans affection.

Pour pratiquer toutes ces règles, il faut commencer par une entière conviction de la nécessité de les suivre et y faire une sérieuse attention devant Dieu ; ensuite prévoir les occasions où l’on est en danger d’y manquer; s’humilier en présence de Dieu, mais tranquillement et sans chagrin, toutes les fois qu’on s’aperçoit qu’on y a manqué; et enfin laisser faire à Dieu dans le recueillement ce que nous ne saurions faire par nos propres forces.

LSP 219.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

[…passagères424.

Je ne veux jamais flatter qui que ce soit, et même dès le moment que j’aperçois, dans ce que je dis ou dans ce que je fais, quelque recherche de moi-même, je cesse d’agir ou de parler ainsi. Mais je suis tout pétri de boue, et j’éprouve que je fais à tout moment des fautes, pour n’agir point par grâce. Je me retranche à m’apetisser à la vue de ma hauteur. Je tiens à tout d’une certaine façon, et cela est incroyable, mais d’une autre façon, j’y tiens peu, car je me laisse assez facilement détacher de la plupart des choses qui peuvent me flatter. Je n’en sens pas moins l’attachement foncier à moi-même. Au reste, je ne puis expliquer mon fond. Il m’échappe, il me paraît changer à toute heure. Je ne saurais guère rien dire qui ne me paraisse faux un moment après. Le défaut subsistant et facile à dire, c’est que je tiens à moi, et que l’amour-propre me décide souvent. J’agis même beaucoup par prudence naturelle, et par un arrangement humain. Mon naturel est précisément opposé au vôtre. Vous n’avez point l’esprit complaisant et flatteur, comme je l’ai, quand rien ne me fatigue ni ne m’impatiente dans le commerce. Alors vous êtes bien plus sèche que moi; vous trouvez que je vais alors jusqu’à gâter les gens, et cela est vrai. Mais quand on veut de moi certaines attentions suivies qui me dérangent, je suis sec et tranchant, non par indifférence ou dureté, mais par impatience et par vivacité de tempérament. Au surplus, je crois presque tout ce que vous me dites; et pour le peu que je ne trouve pas en moi conforme à vos remarques, outre que j’y acquiesce de tout mon cœur, sans le connaître, en attendant que Dieu me le montre ; d’ailleurs je crois voir en moi infiniment pis, par une conduite de naturel, et de naturel très mauvais. Ce que je serais tenté de ne croire pas sur vos remarques, c’est que j’aie eu autrefois une petitesse que je n’ai plus. Je manque beaucoup de petitesse, il est vrai ; mais je doute que j’en aie moins manqué autrefois. Cependant je puis facilement m’y tromper. Vous ne me mandez point si vous avez reçu des nouvelles de N… Si vous en avez, pourquoi ne m’en faites-vous point quelque petite part ? Je suis dans…425.

LSP 490.*A LA DUCHESSE DE MORTEMART (?)

Comment426 pouvez-vous douter, ma chère fille, du zèle avec lequel je suis inviolablement attaché à tout ce qui vous regarde ? Je croirais manquer à Dieu, si je vous manquais. Je vous proteste que je n’ai rien à me reprocher là-dessus; mon union avec vous ne fut jamais si grande qu’elle l’est. Je prie souvent le vrai consolateur de vous consoler. On n’est en paix que quand on est bien loin de soi; c’est l’amour-propre qui trouble, c’est l’amour de Dieu qui calme. L’amour-propre est un amour jaloux, délicat, ombrageux, plein d’épines, douloureux, dépité. Il veut tout sans mesure, et sent que tout lui échappe, parce qu’il n’ignore pas sa faiblesse. Au contraire, l’amour de Dieu est simple, paisible, pauvre et content de sa pauvreté, aimant l’oubli, abandonné à tout, endurci à la fatigue des croix, et ne s’écoutant jamais dans ses peines. Heureux qui trouve tout dans ce trésor du dépouillement ! Jésus-Christ, dit l’apôtre, nous a enrichis de sa pauvreté’, et nous nous appauvrissons par nos propres richesses. N’ayez rien, et vous aurez tout. Ne craignez point de perdre les appuis et les consolations ; vous trouverez un gain infini dans la perte.

Vous êtes en société de croix avec M… il faut le soutenir dans ses infirmités.

Dieu vous rendra, selon le besoin, tout ce que vous lui aurez donné. C’est à vous à être sa ressource, vous qui avez reçu une nourriture plus forte pour la piété, et qui avez été moins accoutumée à la dissipation flatteuse du monde. Ne prenez pourtant pas trop sur vous. Donnez-vous simplement et avec petitesse pour faible. Demandez au besoin qu’on vous soulage et qu’on vous épargne.

Je ne suis point surpris de ce que le torrent du monde entraîne un peu N... Il est facile, vif, et dans l’occasion ; mais il est bon. Il sent la vivacité de ses goûts, et j’espère qu’il s’en défiera: se défier de soi et se confier à Dieu seul, c’est tout. G… a le cœur excellent ; mais il ne commencera à se tourner solidement vers le bien, que quand le recueillement fera tomber peu à peu ses saillies et ses amusements. Il faut prier beaucoup pour lui, et lui parler peu ; l’attendre, et le gagner en lui ouvrant le cœur.

1121. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A Cambray, 9 janvier 1707.

[…]427 Je crois vous devoir dire en secret ce qui m’est revenu par une voie digne d’attention. On prétend que Leschelle428 entre dans la direction de sa nièce et de quelques autres personnes, indépendamment de son frère l’abbé429, qui était d’abord leur directeur; qu’il leur donne des lectures trop avancées et au-dessus de leur portée; qu’il leur fait lire entr’autres les écrits de N.430, que ces personnes ne sont nullement capables d’entendre ni de lire avec fruit. Je vous dirai là-dessus que, pour me défier de ma sagesse, je crois devoir me borner à vous proposer d’écrire à l’auteur, afin qu’il examine l’usage qu’on doit faire des écrits qu’il a laissés. N’y en a-t-il point trop de copies? ne les communique-t-on point trop facilement? chacun ne se mêle-t-il point de décider pour les communiquer comme il le juge à propos, quoiqu’il ne soit peut-être pas assez avancé pour faire cette décision? Je ne sais point ce qui se passe; ainsi je ne blâme aucun de nos amis431. Mais en général je voudrais qu’ils eussent là-dessus une règle de l’auteur lui-même qui les retînt.

Il y a dans ces écrits un grand nombre de choses excellentes pour la plupart des âmes qui ont quelque intérieur; mais il y en a beaucoup, qui étant les meilleures de toutes pour les personnes d’un certain attrait et d’un certain degré, sont capables de causer de l’illusion ou du scandale en beaucoup d’autres, qui en feront une lecture prématurée. Je voudrais que la personne en question vous écrivît deux mots de ses intentions là-dessus, afin qu’ensuite nous pussions, sans la citer, faire suivre la règle qu’elle aura marquée. Je n’avais point encore reçu l’avis qui regarde Leschelle, quand il est parti d’ici. Vous saurez qu’il est capable d’agir par enthousiasme, et que naturellement il est indocile. Vous pouvez facilement découvrir le fond de tout cela, et le redresser s’il en a besoin. Il importe aussi de bien prendre garde à son frère, qui a été trompé plusieurs fois. Il veut trop trouver de l’extraordinaire. Il a mis ses lectures en la place de l’expérience; son imagination n’est ni moins vive, ni moins raide que celle de Leschelle. […]432.

1231. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C[ambrai] 22 août 1708.

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D[ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D[ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. Il faut nous accoutumer à supporter au-dehors la contradiction d’autrui et au-dedans notre propre faiblesse. Nous sommes véritablement petits, quand nous ne sommes plus surpris de nous voir corrigés au-dehors, et incorrigibles au-dedans. Alors tout nous surmonte comme de petits enfants, et nous voulons être surmontés. Nous sentons que les autres ont raison, mais que nous sommes dans l’impuissance de nous vaincre pour nous redresser. Alors nous désespérons de nous-mêmes, et nous n’attendons plus rien que de D[ieu]. Alors la correction d’autrui, quelque sèche et dure qu’elle soit, nous paraît moindre que celle qui nous est due. Si nous ne pouvons pas la supporter, nous condamnons notre délicatesse encore plus que nos autres imperfections. La correction ne peut plus alors nous rapetisser, tant elle nous trouve petits. La révolte intérieure, loin d’empêcher le fruit de la correction, est au contraire ce qui nous en fait sentir le pressant besoin. En effet la correction ne peut se faire sentir, qu’autant qu’elle coupe dans le vif. Si elle ne coupait que dans le mort, nous ne la sentirions pas. Ainsi plus nous la sentons vivement, plus il faut conclure qu’elle nous est nécessaire.

Pardonnez-moi donc, ma bonne Duchesse, toutes mes indiscrétions. Dieu sait combien je vous aime, et à quel point je suis sensible à toutes vos peines. Je vous demande pardon de tout ce que j’ai pu vous écrire de trop dur. Mais ne doutez pas de mon cœur, et comptez pour rien ce qui vient de moi. Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servi de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D[ieu]; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres433. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. O quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D[ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus.

1215. À LA DUCHESSE DE MORTEMART A C[ambrai] 8 juin 1708.

Je vous avoue, ma bonne D[uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D[ieu], est précisément ce que D[ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. Il est vrai que vous avez un naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie, qui est trop sensible à tous les défauts d’autrui, et qui rend les impressions difficiles à effacer. Mais ce ne sera jamais votre tempérament que D[ieu] vous reprochera, puisque vous ne l’avez pas choisi, et que vous n’êtes pas libre de vous l’ôter. Il vous servira même pour votre sanctification, si vous le portez comme une croix. Mais ce que D[ieu] demande de vous, c’est que vous fassiez réellement dans la pratique ce que sa grâce met dans vos mains. Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. Il s’agit de réparer par petitesse ce que vous aurez gâté par une saillie de hauteur. Il s’agit d’une petitesse pratiquée réellement et de suite dans les occasions. Il s’agit d’une sincère désappropriation de vos jugements. Il n’est pas étonnant que la haute opinion que tous nos bonnes gens ont eue de toutes vos pensées depuis douze ans434, vous ait insensiblement accoutumée à une confiance secrète en vous-même, et à une hauteur que vous n’aperceviez pas. Voilà ce que je crains pour vous cent fois plus que les saillies de votre humeur. Votre humeur ne vous fera faire que des sorties brusques. Elle servira à vous montrer votre hauteur que vous ne verriez peut-être jamais sans ces vivacités qui vous échappent : mais la source du mal n’est que dans la hauteur secrète qui a été nourrie si longtemps par les plus beaux prétextes. Laissez-vous donc apetisser [diminuer] par vos propres défauts, autant que l’occupation des défauts d’autrui vous avait agrandie. Accoutumez-vous à voir les autres se passer de vos avis, et passez-vous vous-même de les juger. Du moins si vous leur dites quelque mot, que ce soit par pure simplicité, non pour décider et pour corriger, mais seulement pour proposer par simple doute, et désirant qu’on vous avertisse, comme vous aurez averti. En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. Si vous avez reçu quelque chose pour eux, il faut le leur donner moins par correction que par consolation et nourriture.

À l’égard de M. de Ch[amillart]435, vous ne ferez jamais si bien ce que D[ieu] demandera de vous, que quand vous n’y aurez ni empressement ni activité. Ne vous mêlez de rien, quand on ne vous cherchera pas. Vous n’aurez la confiance des gens pour leur bien, et vous ne serez à portée de leur être utile, qu’autant que vous les laisserez venir. Rien n’acquiert la confiance que de ne l’avoir jamais cherchée. Je dis tout ceci parce qu’il est naturel qu’on soit tenté de vouloir redresser ce qui paraît en avoir un pressant besoin, et à quoi on s’intéresse. Pour garder un juste tempérament là-dessus, vous pouvez consulter un quelqu’un qui en sait plus que moi436. D[ieu] sait, ma bonne D[uchesse], à quel point je suis uni à vous, et combien je souhaite que les autres le soient.

1408. À LA DUCHESSE DE MORTEMART

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que ous m’avez écrite. Je remercie D[ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuade et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. Le même amour-propre qui fait nos défauts, nous les cache très subtilement et aux yeux d’autrui et aux nôtres. L’amour-propre ne peut supporter la vue de lui-même. Il en mourrait de honte et de dépit. S’il se voit par quelque coin, il se met dans quelque faux jour pour adoucir sa laideur, et pour avoir de quoi s’en consoler.

Ainsi il y a toujours quelque reste d’illusion en nous, pendant qu’Il y reste quelque imperfection et quelque fonds d’amour-propre. Il faudrait que l’amour-propre fût déraciné, et que l’amour de D[ieu] agit seul en nous pour nous montrer parfaitement à nous-mêmes. Alors le même principe qui nous ferait voir nos imperfections nous les ôterait. Jusque-là on ne connaît qu’à demi, parce qu’on n’est qu’à demi à Dieu, étant encore à soi beaucoup plus qu’on ne croit, et qu’on n’ose se le laisser voir. Quand la vérité sera pleinement en nous, nous l’y verrons toute pleine. Ne nous aimant plus que par pure charité, nous nous verrons sans intérêt, et sans flatterie, comme nous verrons le prochain. En attendant, D[ieu] épargne notre faiblesse en ne nous découvrant notre laideur qu’à proportion du courage qu’il nous donne pour en supporter la vue. Il ne nous montre à nous-mêmes que par morceaux, tantôt l’un, tantôt l’autre, à mesure qu’il veut entreprendre en nous quelque correction. Sans cette préparation miséricordieuse qui proportionne la force à la lumière, l’étude de nos misères ne produirait que le désespoir. Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D[ieu] commence à nous y prépare. Il faut voir un défaut avec patience. et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D[ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D[ieu] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. Toute autre conduite où l’on reprend avec impatience, parce qu’on est choqué de ce qui est défectueux, est une critique humaine, et non une correction de grâce. C’est par imperfection qu’on reprend les imparfaits. C’est un amour-propre subtil et pénétrant, qui ne pardonne rien à l’amour-propre d’autrui. Plus il est amour-propre, plus il est sévère censeur. Il n’y a rien de si choquant que les travers d’un amour-propre, à un autre amour-propre délicat et hautain. Les passions d’autrui paraissent infiniment ridicules et insupportables à quiconque est livré aux siennes. Au contraire l’amour de Dieu est plein d’égards, de supports437, de ménagements, et de condescendances. Il se proportionne, il attend. Il ne fait jamais deux pas à la fois. Moins on s’aime plus on s’accommode aux imperfections de l’amour-propre d’autrui, pour les guérir patiemment. On ne fait jamais aucune incision, sans mettre beaucoup d’onction sur la plaie. On ne purge le malade, qu’eu le nourrissant. On ne hasarde aucune opération, que quand la nature indique elle-même qu’elle y prépare. On attendra des années pour placer un avis salutaire. On attend que la Providence en donne l’occasion au-dehors, et que la grâce en donne l’ouverture au dedans du cœur. Si vous voulez cueillir le fruit avant qu’il soit mûr, vous l’arrachez à pure pertes.

De plus vous avez raison de dire que vos dispositions changeantes vous échappent, et que vous ne savez que dire de vous. Comme la plupart des dispositions sont passagères et mélangées celles qu’on tâche d’expliquer deviennent fausses, avant que l’explication en soit achevée. Il en survient une autre toute différente, qui tombe aussi à son tour dans une apparence de fausseté. Mais il faut se borner à dire de soi ce qui en paraît vrai dans le moment où l’on ouvre son cœur. Il n’est pas nécessaire de dire tout en s’attachant à un examen méthodique. Il suffit de ne rien retenir par défaut de simplicité, et de ne rien adoucir par les couleurs flatteuses de l’amour-propre. Dieu supplée le reste selon le besoin en faveur d’un cœur droit, et les amis édairés par la grège remarquent sans peine ce qu’on ne sait pas leur dire, quand on est devant eux naïf, ingénu, et sans réserve.

Pour nos amis imparfaits ils ne peuvent nous connaître qu’imparfaitement. Souvent ils ne jugent de nous que par les défauts extérieurs qui se font dans la société, et qui incommodent leur amour-propre. L’amour‑propre est censeur âpre, rigoureux, soupçonneux, et implacable. Le même amour qui leur adoucit leurs propres défauts leur grossit les nôtres. Comme ils sont dans un point de vue très différent du nôtre, ils voient en nous ce que nous n’y voyons pas, et ils n’y voient pas ce que nous y voyons. Ils y voient avec subtilité et pénétration beaucoup de choses qui blessent la délicatesse et la jalousie de leur amour-propre, et que le nôtre nous déguise. Mais ils ne voient point dans notre fond intime ce qui salit nos vertus, et qui ne déplaît qu’à Dieu seul. Ainsi leur jugement le plus approfondi est bien superficiel.

Ma conclusion est qu’il suffit d’écouter Dieu dans un profond silence intérieur, et de dire en simplicité pour et contre soi tout ce qu’on croit voir à la pure lumière de Dieu dans le moment où l’on tâche de se faire connaître.

Vous me direz peut-être, ma bonne D[uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D[ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir.

Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. C’est se recueillir passivement, que de ne se dissiper pas, et que de laisser tomber l’activité naturelle qui dissipe. Il faut encore plus éviter l’activité pour la dissipation que pour le recueillement. II suffit de laisser faire D[ieu], et de ne l’interrompre pas par des occupations superflues qui flattent le goût, ou la vanité. Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce438. 11 faut s’occuper peu du prochain, lui demander peu, en attendre peu, et ne croire pas qu’il nous manque quand notre amour est tenté de croire qu’il y trouve quelque mécompte. Il faut laisser tout effacer, et porter petitement toute peine qui ne s’efface pas. Ce recueillement passif est très différent de l’actif qu’on se procure par travail et par industrie, en se proposant certains objets distincts et arrangés. Celui-ci n’est qu’un repos du fond, qui est dégagé des objets extérieurs de ce monde. Dieu est moins alors l’objet distinct de nos pensées au-dehors, qu’il n’est le principe de vie qui règle nos occupations. En cet état on fait en paix et sans empressement ni inquiétude tout ce qu’on a à faire. L’esprit de grâce le suggère doucement. Mais cet esprit jaloux arrête et suspend notre action, dès que l’activité de l’amour-propre commence à s’y mêler. Alors la simple non-action fait tomber ce qui est naturel et remet l’âme avec D[ieu] pour recommencer au-dehors sans activité le simple accomplissement de ses devoirs. En cet état l’âme est libre dans toutes les sujétions extérieures, parce qu’elle ne prend rien pour elle de tout ce qu’elle fait. Elle ne le fait que pour le besoin. Elle ne prévoit rien par curiosité, elle se borne au moment présent, elle abandonne le passé à D[ieu]. Elle n’agit jamais que par dépendance. Elle s’amuse pour le besoin de se délasser, et par petitesse. Mais elle est sobre en tout, parce que l’esprit de mort est sa vie. Elle est contente ne voulant rien.

Pour demeurer dans ce repos, il faut laisser sans cesse tomber tout ce qui en fait sortir. Il faut se faire taire très souvent, pour être en état d’écouter le maître intérieur qui enseigne toute vérité, et si nous sommes fidèles à l’écouter, il ne manquera pas de nous faire taire souvent. Quand nous n’entendons pas cette voix intime et délicate de l’esprit qui est l’âme de notre âme, c’est une marque que nous ne nous taisons point pour l’écouter. Sa voix n’est point quelque chose d’étranger. D[ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. Il ne faut qu’une volonté souple, docile, dégagée de tout pour s’accommoder à cette impression. L’esprit de grâce nous apprend lui-même à dépendre de lui en toute occasion. Ce n’est point une inspiration miraculeuse qui expose à l’illusion et au fanatisme. Ce n’est qu’une paix du fond pour se prêter sans cesse à l’esprit de D[ieu] dans les ténèbres de la foi, sans rien croire que les vérités révélées, et sans rien pratiquer que les commandements évangéliques.

Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. Cela peut être et il est même naturel qu’ils aient un peu excédé en réserve dans les premiers temps, où ils ont voulu changer ce qui leur paraissait trop fort, et où ils étaient embarrassés de ce changement qui vous choquait. Mais je ne crois pas que leur intention ait été de vous manquer en rien. Ainsi je croirais qu’ils n’ont pu manquer que par embarras pour les manières. Votre peine, que vous avouez avoir été grande et que je m’imagine qu’ils apercevaient, ne pouvait pas manquer d’augmenter, malgré eux, leur embarras, leur gêne, et leur réserve. Je ne sais rien de ce qu’ils ont fait, et ils ne me l’ont jamais expliqué. Je ne veux les excuser en rien. Mais en gros je comprends que vous devez vous défier de l’état de peine extrême dans lequel vous avez senti leur changement. Un changement soudain et imprévu choque. On ne peut s’y accoutumer; on ne croit point en avoir besoin. On croit voir dans ceux qui se retirent ainsi un manquement aux règles de la bienséance et de l’amitié. On prétend y trouver de l’inconstance, du défaut de simplicité, et même de la fausseté. Il est naturel qu’un amour-propre vivement blessé exagère ce qui le blesse, et il me semble que vous devez vous défier des jugements qu’il vous a fait faire dans ces temps-là. Je crois même que vous devez aller encore plus loin, et juger que la grandeur du mal demandait un tel remède, ce renversement de tout vous-même, et cet accablement dont vous me parlez avec tant de franchise montre que votre cœur était bien malade. L’incision a été très douloureuse, mais elle devait être prompte et profonde. Jugez-en par la douleur qu’elle a causée à votre amour-propre, et ne décidez point sur des choses, où vous avez tant de raisons de vous récuser vous-même. Il est difficile que les meilleurs hommes qui ne sont pourtant pas parfaits, n’aient fait aucune faute dans un changement si embarrassant. Mais supposé qu’ils en aient fait beaucoup, vous n’en devez point être surprise. Il faut d’ailleurs faire moins d’attention à leur irrégularité, qu’à votre pressant besoin. Vous êtes trop heureuse de ce que D[ieu] a fait servir leur tort à redresser le vôtre. Ce qui est peut-être une faute en eux, est une grande miséricorde en D[ieu] pour votre correction. Aimez l’amertume du remède, si vous voulez être bien guérie du mal.

Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N…[Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. Pour moi je veux être repris par tous ceux qui voudront me dire ce qu’ils ont remarqué en moi, et je ne veux m’élever au-dessus d’aucun des plus petits frères439. Il n’y en a aucun que je ne blâmasse, s’il n’était pas intimement uni à vous. Je le suis en vérité, ma bonne D., au-delà de toute expression.

Madame de Chevry me paraît vivement touchée de l’excès de vos bontés, et j’ai de la joie d’apprendre à quel point elle les ressent. J’espère que cette reconnaissance la mènera jusqu’à rentrer dans une pleine confiance440, dont elle a grand besoin. Personne ne peut être plus sensible que je le suis à toutes vos différentes peines.

1442. À LA DUCHESSE DE MORTEMART.  À C[ambrai] 1 février 1711.

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D[ieu] donne à ses enfants entre eux. Je puis vous protester que je n’ai nullement douté de tout ce que vous m’aviez mandé auparavant. Je n’avais songé qu’à vous dire des choses générales, sans savoir ce que vous auriez à en prendre pour vous, et comptant seulement que chacun de nous ne voit jamais tout son fond de propriété, parce que ce qui nous reste de propriété est précisément ce qui obscurcit nos yeux, pour nous dérober la vue de ces restes subtils et déguisés de la propriété même. Mais c’était plutôt un discours général pour nous tous, et surtout pour moi, qu’un avis particulier qui tombât sur vous. Il est vrai seulement que je souhaitais que vous fissiez attention à ce qu’il ne faut presser le prochain de corriger en lui certains défauts, même choquants, que quand nous voyons que D[ieu] commence à éclairer l’âme de ce prochain, et à l’inviter à cette correction. Jusque-là il faut attendre comme D[ieuj attend avec bonté et support. Il ne faut point prévenir le signal de la grâce. Il faut se borner à la suivre pas à pas. On meurt beaucoup à soi par ce travail de pure foi et de continuelle dépendance, pour apprendre aux autres à mourir à eux. Un zèle critique et impatient se soulage davantage, et corrige moins soi et autrui. Le médecin de l’âme fait comme ceux des corps qui n’osent purger qu’après que les humeurs qui causent la maladie, sont parvenues à ce qu’ils nomment une coction 3. J’avoue, ma bonne Duchesse, que j’avais en vue que vous eussiez attention à supporter les défauts les plus choquants des frères, jusqu’à ce que l’esprit de grâce leur donnât la lumière et l’attrait pour commencer à s’en corriger. Je ne cherchais en tout cela que les moyens de vous attirer leur confiance. Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D[ieu] et de faire la place nette au petit M[aître]. Abandonnez-vous dans vos obscurités intérieures et dans toutes vos peines. O que la nuit la plus profonde est bonne, pourvu qu’on croie réellement ne rien voir, et qu’on ne se flatte en rien!

1479. À LA DUCHESSE DE MORTEMART. À Cambray, 27 juillet 1711.

II y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. Mais je n’aime point à vous écrire par la poste, et je n’ai point trouvé d’autre voie depuis longtemps. Vous faites bien de laisser aller et venir la confiance de nos amis. En laissant tomber toutes les réflexions de l’amour-propre, on se fait à la fatigue, et la délicatesse s’émousse. Moins nous attendons du prochain, plus ce délaissement nous rend aimables et propres à édifier tout le monde. Cherchez la confiance, elle vous fuit. Abandonnez-là, elle revient à vous441. Mais ce n’est pas pour la faire revenir qu’il faut l’abandonner.

Plus vos croix sont douloureuses, plus il faut être fidèle à ne les augmenter en rien. On les augmente ou en les voulant repousser par de vains efforts contre la Providence au-dehors, ou par d’autres efforts, qui ne sont pas moins vains, au-dedans contre sa propre sensibilité. Il faut être immobile sous la croix, la garder autant de temps que Dieu la donne sans impatience pour la secouer, et la porter avec petitesse, joignant à la pesanteur de la croix la honte de la porter mal. La croix ne serait plus croix, si l’amour-propre avait le soutien flatteur de la porter avec courage.

Rien n’est meilleur que de demeurer sans mouvement propre, pour se délaisser avec une entière souplesse au mouvement imprimé par la seule main de D[ieu]. Alors, comme vous le dites, on laisse tomber tout ; mais rien ne se perd dans cette chute universelle. Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D[ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. Le silence de l’âme lui fait écouter D[ieu]. Son vide est une plénitude, et son rien est le vrai tout. Mais il faut que ce rien soit bien vrai. Quand il est vrai, on est prêt à croire qu’il ne l’est pas; celui qui ne veut rien avoir, ne crains point qu’on le dépouille.

Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver: je me vois comme une image dans un songe. Mais je ne veux point croire que cet état a son mérite. Je n’en veux juger ni en bien ni en mal. Je l’abandonne à celui qui ne se trompe point, et je suppose que je puis être dans l’illusion. Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. Mais il faut se contenter de ce que D[ieu] fait. Il me semble que je n’ai nulle envie de tâter du monde. Je sens comme une barrière entre lui et moi qui m’éloigne de le désirer, et qui ferait, ce me semble, que j’en serais embarrassé, s’il fallait un jour le revoir. Le souvenir triste et amer de notre cher petit abbé [de Langeron] me revient assez souvent, quoique je n’aie plus de sentiment vif sur sa perte. Je trouve souvent qu’il me manque, et je le suppose néanmoins assez près de moi.

Je vous envoie ma réponse pour Mad. votre fille, dont la confiance est touchante. Je vous envoie aussi une réponse pour Mad. de la Maisonfort442. Bonsoir, ma bonne D[uchesse] ; je suis à vous sans mesure plus que je n’y ai jamais été en ma vie443.

§

Analyse de la correspondance.

Les lettres adressées à la petite duchesse de Mortemart fuent longtemps négligées comme l’explique I. Noye qui en rétablit le plus grand nombre dans le volume CF 18 publié en 2007 : voir supra notre présentation de Mme de Mortemart et la note associée.

Le choix opéré par les membres du cercle quiétiste, qui ôtent nécessairement dates et destinataires dans l’édition Anversoise de 1718, a occulté les rôles et de la « petite duchesse » et de Fénelon comme les deux directeurs mystiques des cercles spirituels durant la mise à l’ombre puis en résidence surveillée de la « dame directrice ».

Le successeur dans la filiation ?

Nous pensons que la « suppléante de Mme Guyon » lui a très probablement succédé : Fénelon meurt trop tôt. Elle intègre alors la « lignée » qui passe de sources franciscaines au sieur de la Forest ( ?) et au Père Chrysostome de Saint-Lô, à Jean de Bernières, à Jacques Bertot, à Jeanne Guyon.

Mme de Mortemart (†1750) fut probablement secondée par les deux duchesses de Chevreuse (†1732) et de Beauvillier (†1733), par Du Puy († après 1737), par le marquis de Fénelon (†1745), par ‘la colombe’ duchesse de Gramont (†1748).

Ensuite le fil se perd : en Écosse, 16th Forbes (†1761) & Deskford (†1764) ? en Suisse, Dutoit (†1793) ? en Hollande et dans l’Empire ?




À une Dame (Y)



Série de dix lettres « écrites à la même personne et dans le même ordre » 444 :

LSP 89.*A UNE DAME (Y)

Vous vous laissez trop aller à votre goût et à votre imagination. Remettez-vous à écouter Dieu dans l’oraison, et à vous écouter moins vous-même. L’amour-propre est moins parleur quand il voit qu’on ne l’écoute pas. Les paroles de Dieu au cœur sont simples, paisibles, et nourrissent l’âme, lors même qu’elles la portent à mourir: au contraire, les paroles de l’amour-propre sont pleines d’inégalités, de trouble et d’émotion, lors même qu’elles flattent. Écouter Dieu sans faire aucun projet, c’est mourir à son sens et à sa volonté.

LSP 90.*A LA MÊME (Y)

Ne vous inquiétez point sur votre mal ; vous êtes dans les mains de Dieu. Il faut vivre comme si on devait mourir chaque jour. Alors on est tout prêt, car la préparation ne consiste que dans le détachement du monde pour s’attacher à Dieu.

Pendant que vous êtes si languissante, ne vous gênez point pour faire votre oraison si régulièrement. Cette exactitude et cette contention de tête pourraient nuire à votre faible santé. C’est bien assez pour votre état de langueur, que vous vous remettiez doucement en la présence de Dieu toutes les fois que vous apercevez que vous n’y êtes plus. Une société simple et familière avec Dieu, où vous lui direz vos peines avec confiance, et où vous le prierez de vous consoler, ne vous épuisera point, et nourrira votre cœur. Ne craignez point de me dire tout ce que vous aurez pensé contre moi. Cette franchise ne me peinera point, et servira à vous humilier.

LSP 91.*A LA MÊME (Y)

Je crois que vous devez vous abstenir entièrement de vos dialogues d’imagination. Quoique vous en fassiez plusieurs qui vous excitent à des sentiments pieux, je crois que l’usage en est trop dangereux pour vous. Des uns vous passeriez toujours insensiblement aux autres, qui nourriraient vos peines, ou qui flatteraient le goût du siècle. Il vaut mieux les supprimer tous. Il ne faut pas les vouloir retrancher par violence; ce serait vouloir suspendre un torrent: il suffit de ne vous en occuper point volontairement. Quand vous apercevrez que votre imagination commence, contentez-vous de vous tourner vers Dieu, sans entreprendre de vous opposer directement à ces chimères. Laissez-les tomber, en vous donnant quelque occupation utile. Si c’est l’heure de l’oraison, regardez toutes ces vaines pensées comme des distractions, et retournez doucement à Dieu dès que vous les apercevez ; mais faites-le sans trouble, sans scrupule, sans interrompre votre paix. Si, au contraire, cela vous vient pendant que vous êtes occupée de quelque travail extérieur, votre travail servira à vous tirer de ces rêveries. II vaudrait même mieux, pour les commencements, aller trouver quelqu’un, ou vous appliquer alors à quelque chose de difficile, pour rompre le cours de ces pensées, et pour en prendre l’habitude.

LSP 92.*A LA MÊME (Y)

Il faut absolument supprimer cette conversation d’imagination : c’est une pure perte de temps; c’est une occupation très dangereuse; c’est une tentation que vous vous procurez. Vous êtes obligée à n’y adhérer jamais volontairement. Peut-être que l’habitude sera cause que votre imagination vous occupera encore malgré vous de toutes ces chimères ; mais il faut au moins n’y consentir pas, et tâcher doucement de les laisser tomber quand vous les apercevez. Le vrai moyen de vous en défaire est de vous occuper alors de l’oraison, ou de quelque travail extérieur, si l’oraison ne peut pas arrêter votre imagination excitée.

LSP 93*A LA MÊME (Y)

Je ne vois rien que de bon et de solide dans tout ce que vous me dites de votre oraison. L’attrait de Dieu que vous éprouvez est une grande grâce, et vous seriez très coupable si vous manquiez à y correspondre pleinement. Ne craignez point de suivre cet attrait ; mais craignez de ne le suivre pas. Vous avouez que vous n’en êtes jamais détournée que par votre imagination légère, ou par de vains dialogues au-dedans de vous-même, ou par des dépits d’orgueil. Si vous étiez toujours fidèle à n’admettre volontairement aucune de ces dangereuses distractions, vous seriez toujours en paix et en union avec Dieu. Voici mes réflexions:

I. Vous dites qu’après même que vous avez manqué à votre recueillement, et que vous sentez le trouble de votre faute, quelquefois la pensée vous vient de vous tenir tranquille dans votre douleur, et de vous unir à Jésus crucifié. Vous ajoutez : voilà le meilleur moyen que je trouve pour apaiser ma peine. Puisque c’est le meilleur, pourquoi en cherchez-vous d’autres qui vous nuisent?

II. Vous parlez des chimères qui vous occupent l’esprit, et de l’acquiescement à la pensée de me les dire, qui vous rend la tranquillité; et vous dites : je voudrais bien savoir s’il suffit de m’humilier devant Dieu avec ce même acquiescement, sans vous le dire. Non, cela ne suffit pas. Vous n’êtes point véritablement humiliée devant Dieu, quand vous ne voulez point vous humilier devant l’homme que vous consultez comme son ministre. C’est l’orgueil qui vous donne tant de répugnance à parler. Il faut, quoi qu’il en coûte, dire tout avec simplicité. Vous n’aurez point de véritable paix jusqu’à ce que vous vous y soyez accoutumée ; mais il faut le faire d’abord, sans hésitation, et sans vous écouter. Plus vous hésiterez, plus vous aurez de peine à en venir à bout.

III. Ne vous étonnez point de faire certaines communions sans consolation ; cette sécheresse ne dépend pas de vous. On mérite souvent plus à être fidèle dans une sécheresse pénible et douloureuse à l’amour-propre, que dans une consolation sensible qui flatte et qui élève le cœur. La lumière que vous dites qui vous fait passer outre pour communier, malgré vos scrupules, est très bonne.

IV. Vous dites très vrai en disant: la crainte que j’ai de mes peines me les fait sentir doublement; j’en suis même souvent quitte pour la crainte. Ces peines, qu’on veut voir de loin, accablent bien plus que celles qu’on voit de près. Pourquoi vouloir les voir avant qu’elles viennent ? C’est se tourmenter par avance, et se mettre soi-même à pure perte en tentation de succomber.

V. Il y a trois manières d’être avec les créatures. 1° Il faut être avec tout le monde en esprit de fidélité à son devoir quand on a quelque affaire avec le prochain. 2° Il faut chercher quelque relâchement innocent d’esprit avec les personnes honnêtes avec qui la Providence nous met en société. Ce délassement d’esprit ne doit être cherché qu’aux heures qui succèdent au travail, et il ne faut pas espérer de trouver avec ces personnes la confiance et l’union de sentiments; il suffit d’y trouver un repos d’esprit pour se délasser. 3° Enfin il faut être en simplicité et à cœur ouvert avec les personnes à qui on est uni par la grâce, et ces personnes se trouvent très rarement. Il ne faut pas espérer d’en trouver beaucoup.

VI. Souvenez-vous que c’est le goût de votre esprit, que vous avouez que vous avez le plus de peine à sacrifier pour le soumettre à la grâce. C’est le point essentiel pour vous. Communiez, obéissez, renoncez à l’esprit. Je suis, en Notre-Seigneur, tout à vous.

LSP 94.*A LA MÊME (Y)

Pour ce qui regarde votre oraison, proposez-vous-y toujours quelque sujet simple, solide, et de pratique pour les vertus évangéliques. Si vous ne trouvez point de nourriture dans ce sujet, et si vous vous sentez de l’attrait et de la facilité pour demeurer en union générale avec Dieu, demeurez-y dans les temps où vous vous y trouverez attirée; mais n’en faites jamais une règle, et soyez toujours fidèle à vous proposer un sujet, pour voir s’il pourra vous occuper et vous nourrir. Recevez sans résistance les lumières et les sentiments qui vous viendront dans l’oraison; mais ne vous fiez point à toutes ces choses qui peuvent flatter votre orgueil et vous donner une vaine complaisance.

Il est meilleur d’être bien humble et bien confondu après les fautes qu’on a commises, que d’être contents de son oraison, et de se croire bien avancé après qu’on a eu beaucoup de beaux sentiments et de hautes pensées en priant Dieu. Laissez passer toutes ces choses qui peuvent être des secours de Dieu ; mais comptez qu’elles se tourneront en illusion très dangereuse, si peu que vous vous y arrêtiez pour vous y complaire.

Le grand point est de se mortifier, d’obéir, de se défier de soi, de porter la croix, Au reste, je suis fort aise de ce que vous ne faites plus votre oraison avec cet empressement forcé qui vous gênait tant. L’oraison en est plus paisible, et vous en êtes plus commode au prochain dans la société ; mais il ne faut pas que cette sainte liberté se tourne jamais en relâchement ni dissipation.

LSP 95.*A LA MÊME (Y)

Je suis sincèrement fâché des contretemps qui m’ont empêché de vous voir. En attendant, suivez avec fidélité les lumières que Dieu vous donne pour mourir aux délicatesses et aux sensibilités de votre amour-propre. Quand on se délaisse entièrement aux desseins de Dieu, on est aussi content d’être privé des consolations, que de les goûter. Souvent même une privation qui dérange et qui humilie est plus utile qu’une abondance de secours sensibles.

Pourquoi ne vous serait-il pas utile d’être privée de ma présence et de mes faibles avis, puisqu’il est quelquefois très salutaire d’être privé de la présence sensible et des dons consolants de Dieu même? Dieu est bien près de nous lorsqu’il nous en paraît éloigné, et que nous souffrons cette absence apparente dans un esprit d’amour pour lui et de mort à nous-mêmes. Accoutumez-vous donc un peu à la fatigue. Les enfants, à mesure qu’ils croissent, passent, du lait d’une mère qui les porte dans son sein, à marcher seuls et à manger du pain sec.

LSP 96.*A LA MÊME (Y)

Ne faites aucune attention volontaire à ce que vous me mandez avoir éprouvé445. De telles choses peuvent n’être que dans l’imagination: elles peuvent venir aussi d’une illusion du tentateur, qui voudrait vous tendre un piège, tantôt de vaine complaisance, tantôt de découragement. Il est vrai qu’il n’est pas impossible que ces choses viennent de Dieu. Aussi ne faut-il faire aucun effort ni acte pour les rejeter. Il n’y a qu’à les laisser passer sans les rejeter ni accepter, se contentant en général d’acquiescer à ce qu’il plaît à Dieu. Par cette disposition simple et générale, vous tirerez tout le fruit de ces choses, supposé qu’elles viennent de Dieu, sans vous exposer à aucun retour de complaisance; et supposé qu’elles ne viennent pas de Dieu, vous serez à l’abri de toute illusion en ne vous arrêtant à rien qu’à Dieu seul.

LSP 97.*A LA MÊME (Y)

Je suis très content de vos dispositions, et vous faites très bien de me mander avec simplicité ce qui se passe en vous. N’hésitez point à m’écrire les choses que vous croirez que Dieu demande de vous.

Il n’est pas étonnant que vous ayez une espèce de jalousie et d’ambition pour vous avancer dans la spiritualité, et d’être dans la confiance des personnes considérables qui servent Dieu. L’amour-propre recherche naturellement ces sortes de succès qui peuvent le flatter. Mais il s’agit non de contenter une espèce d’ambition en faisant un certain progrès éclatant dans la vertu, non d’être dans la confiance des personnes distinguées, mais de mourir aux goûts flatteurs de l’amour-propre, de s’humilier, d’aimer l’obscurité et le mépris, et de ne tendre qu’à Dieu seul.

Ce n’est point à force d’écouter et de lire un langage de perfection, qu’on devient parfait. Le grand point est de ne s’écouter point soi-même, d’écouter Dieu en silence, de renoncer à toute vanité, et de s’appliquer aux vertus réelles. Peu parler, et faire beaucoup, sans se soucier d’être vu.

Dieu vous apprendra bien plus que toutes les personnes les plus expérimentées et que tous les livres les plus spirituels. Eh ! que voulez-vous tant savoir ? Qu’avez-vous besoin d’apprendre, sinon à être pauvre d’esprit et à trouver toute votre science en Jésus crucifié? La science enfle: il n’y a que la charité qui édifie. Ne cherchez donc que la charité. Eh ! faut-il être si savant pour savoir aimer Dieu et pour se renoncer pour l’amour de lui ? Vous savez beaucoup plus de bien que vous n’en faites. Vous avez beaucoup moins besoin d’acquérir de nouvelles lumières, que de mettre en pratique celles que vous avez déjà reçues. O qu’on se trompe, quand on croit s’avancer en raisonnant avec curiosité ! Soyez petite, et n’attendez point des hommes les dons de Dieu.

LSP 98.*A LA MÊME (Y)

Je vous prie de ne vous point inquiéter. Votre oraison est bonne, et vous ne devez point la quitter. Ce que vous m’en avez écrit fait fort bien comprendre en quoi elle consiste, et le fruit que vous en pouvez tirer. Continuez-la avec docilité, et laissez tomber toutes les réflexions qui vous troublent à pure perte. Regardez-les comme de véritables tentations qui vous éloignent de la paix et de la confiance en Dieu. Voulez-vous éviter l’illusion? Soyez docile ; ne cherchez point ce qui flatte votre amour-propre ; renoncez à ce que Dieu ne vous donne pas ; n’écoutez ni vos dépits, ni vos tentations de reprendre les vanités et les amusements du monde. Portez humblement les croix de votre état; défiez-vous du goût de l’esprit qui n’est que vanité’; cherchez ce qui est simple et uni ; rejetez toute pensée qui ne vous vient que des dépits de votre amour-propre. Je suis en vérité tout à vous en Notre-Seigneur comme j’y dois être, mais avec les précautions nécessaires pour ne flatter point la délicatesse de cet amour-propre qui veut qu’on le flatte.


À une demoiselle (Z)



« Les vingt-sept lettres qu’on va lire sont annoncées comme écrites à une même correspondante. 446 »

LSP 99.*A UNE DEMOISELLE (Z)

Vivez en paix, Mademoiselle, sans penser qu’il y ait un avenir. Peut-être n’y en aura-t-il point pour vous. Le présent même n’est pas à vous, et il ne faut que s’en servir suivant les intentions de Dieu à qui seul il appartient. Faites les biens extérieurs que vous êtes en train de faire, puisque vous en avez l’attrait et la facilité. Conservez votre règlement, pour éviter la dissipation et les suites de votre excessive vivacité. Surtout soyez fidèle au moment présent, qui vous attirera toutes les grâces nécessaires.

Ce n’est pas assez de se détacher; il faut s’apetisser. En se détachant, on ne renonce qu’aux choses extérieures ; en s’apetissant, on renonce à soi. S’apetisser, c’est renoncer à toute hauteur aperçue. Il y a la hauteur de la sagesse et de la vertu, qui est encore plus dangereuse que la hauteur des fortunes mondaines, parce qu’elle est moins grossière. Il faut être petit en tout, et compter qu’on n’a rien à soi, sa vertu et son courage moins que tout le reste. Vous vous appuyez trop sur votre courage, sur votre désintéressement et sur votre droiture. L’enfant n’a rien à lui ; il traite un diamant comme une pomme. Soyez enfant. Rien de propre. Oubliez-vous. Cédez à tout. Que les moindres choses soient plus grandes que vous.

Priez du cœur simplement, par pure affection, point par la tête et en personne qui raisonne.

La vraie instruction447 pour vous est le dépouillement, le recueillement profond, le silence de toute l’âme devant Dieu, le renoncement à l’esprit, le goût de la petitesse, de l’obscurité, de l’impuissance et de l’anéantissement. Voilà l’ignorance qui seule enseigne toutes les vérités que les sciences ne découvrent point, ou ne montrent que superficiellement.

LSP 101.*A LA MÊME (Z)

La bonne santé de M[...].. et votre calme présent me donnent de la joie. Je crains néanmoins pour vous, que l’amour-propre ne goûte un peu trop cette douceur si différente de l’amertume où vous étiez. La contradiction et toutes les autres peines humiliantes sont bien plus utiles que le succès. Vous savez que cet état vous a fait découvrir ici en vous ce que vous n’y aviez jamais vu; et je crains que l’autorité, le succès et l’admiration qu’on s’attire à peu de frais parmi les gens grossiers de la province, ne nourrissent votre humeur impérieuse, et ne vous rendent contente de vous-même comme vous l’étiez auparavant448. Ce contentement de soi-même gâte la conduite la plus régulière, parce qu’il est incompatible avec l’humilité.

On n’est humble qu’autant qu’on est attentif à toutes ses misères. Il faut que cette vue fasse la principale occupation de l’âme, qu’elle soit à charge à elle-même, qu’elle gémisse, que ce gémissement soit une prière continuelle, qu’il lui tarde d’être délivrée de la servitude de la corruption, pour entrer dans la gloire et dans la liberté des enfants de Dieu; et que, se sentant surmontée par ses défauts, elle n’attende sa délivrance que de la pure miséricorde de Jésus-Christ. Malheur à l’âme qui se complaît en elle-même, qui s’approprie les dons de Dieu, et qui oublie ce qui lui manque!

Pour remédier à la dissipation et à la sécheresse, c’est de vous réserver des heures pour vos prières et pour vos lectures, qui doivent être régulières ; c’est de n’entrer dans les affaires que par pure nécessité; c’est d’y songer encore plus à rompre la roideur de vos sentiments, à réprimer votre humeur, et à humilier votre esprit, qu’à faire prévaloir la raison même dans les partis à prendre ; enfin c’est de vous humilier quand vous remarquerez qu’une chaleur indiscrète sur les affaires d’autrui vous fait oublier votre unique affaire, qui est celle de l’éternité. Apprenez de moi, vous dit Jésus-Christ, que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. En effet, la grâce, la paix intérieure, l’onction du Saint-Esprit viendront sur vous, si vous conservez dans vos embarras extérieurs la douceur et l’humilité.

LSP 102*.À LA MÊME (Z)

Je suis touché, comme je dois l’être, de toutes vos peines; mais je ne puis que vous plaindre, et prier Dieu qu’il vous console. Vous avez grand besoin qu’il vous donne son esprit pour vous soutenir dans vos embarras, et pour tempérer votre vivacité naturelle dans des occasions si capables de l’exciter. Pour la lettre qui regarde votre naissance, je crois que vous n’en devez parler qu’à Dieu seul, pour le prier en faveur de celui qui a voulu vous outrager. J’ai toujours entrevu ou cru entrevoir que vous étiez sensible de ce côté-là. Dieu nous attaque toujours par notre faible. On ne tue personne en le frappant sur les endroits morts, comme sur les ongles ou sur les cheveux ; mais en attaquant les parties les plus vivantes, qu’on nomme nobles. Quand Dieu veut nous faire mourir à nous-mêmes, il nous prend toujours par ce qui est en nous le plus vif, et comme le centre de la vie. Il proportionne ainsi les croix. Laissez-vous humilier: le silence et la paix dans l’humiliation sont le vrai bien de l’âme. On serait tenté de parler humblement, et on en aurait mille beaux prétextes; mais il est encore meilleur de se taire humblement. L’humilité, qui parle encore, est encore suspecte : en parlant, l’amour-propre se soulage un peu.

Ne vous échauffez plus le sang sur les discours des hommes : laissez-les parler, et tâchez de faire la volonté de Dieu. Pour celle des hommes, vous ne viendriez jamais à bout de la faire; elle n’en vaut pas même la peine. Un peu de silence, de paix et d’union à Dieu doit bien consoler de tout ce que les hommes disent injustement. Il faut les aimer sans compter sur leur amitié. Ils s’en vont; ils reviennent ; ils s’en retournent: laissez-les aller; c’est de la plume que le vent emporte. Ne regardez que Dieu seul en eux; c’est lui seul qui nous console ou qui nous afflige par eux selon nos besoins.

Vous avez besoin de votre fermeté dans la situation où vous êtes ; mais aussi votre vivacité a besoin de mécomptes et d’obstacles. Possédez votre âme en patience. Renouvelez-vous souvent en la présence de Dieu, pour vous modérer, pour vous rapetisser, et pour vous proportionner aux petits. Il n’y a rien de grand que la petitesse, la charité, la défiance de soi-même, le détachement de son sens et de sa volonté. Toute vertu haute et roide est opposée à Jésus-Christ. Dieu sait combien je suis à vous en lui.

LSP 103*A LA MÊME (Z)

Je ne sais pour vous que ce que je vous ai toujours dit: obéissez simplement à votre directeur, sans écouter ni votre raison ni votre goût. Vous avez les conseils d’un homme très éclairé et très pieux. Pour moi, voici ce que je puis vous dire en général. Vous devez, ce me semble, être ferme pour réserver des heures de recueillement ; autrement vous serez la croix de celle qui veut que vous soyez son soutien. Vous avez un penchant terrible à la dissipation et à la vaine complaisance ; vous aimez à être applaudie et à vous applaudir vous-même ; vous sentez dans votre raison et dans votre courage naturel une force qui nourrit votre orgueil. Il n’y a que le recueillement qui puisse amortir cette vie superbe, et tempérer votre insupportable vivacité.

Remarquez seulement deux choses pour vos heures de recueillement : l’une, que vous ne devez point les réserver par esprit de contradiction et d’impatience contre N..... qui voudrait toujours vous avoir. Quand vous sentirez que vous agissez par ce mauvais esprit, il faut vous en punir, en cédant pour ce jour-là à ses empressements les plus importuns. L’autre règle est de ne vous réserver que les temps nécessaires pour vous recueillir et pour nourrir votre âme. Rien pour l’amusement en votre particulier; rien pour la curiosité, qui est un grand piège pour vous. Pour la manière de réserver du temps, elle doit être ferme, mais douce et tranquille.

Que vos lectures et vos oraisons soient simples ; que l’esprit cherche moins, et que le cœur se livre davantage. Tout ce qui paraît remplir votre esprit ne fait que l’enfler; vous croyez nourrir votre zèle, et vous nourrissez votre hauteur. Il n’est pas question de savoir beaucoup, mais de savoir s’apetisser et devenir enfant sous la main de Dieu. Je le prie non seulement de vous faire petite, mais encore de vous anéantir sans réserve.

Pour les sujets de crainte, je ne crois pas que vous deviez vous forcer pour y entrer. Vous trouverez souvent de bonnes âmes qui vous presseront de le faire, et qui trembleront pour vous quand elles ne vous verront pas trembler : mais ne vous gênez point ; suivez simplement votre attrait, et, pourvu que vous soyez fidèle au recueillement et à l’humilité, demeurez en paix. C’est assez craindre que de craindre de déplaire à Dieu.

Pour votre curiosité sur les meilleurs livres, il faut la réprimer. Vous avez éprouvé qu’elle vous est dangereuse, et c’est une lumière sur laquelle vous devez à Dieu une singulière reconnaissance. Sous prétexte de chercher une solide instruction, on conserve un goût qui flatte l’amour-propre, et qui entretient une certaine hauteur d’esprit qui s’oppose à l’esprit de Dieu. Il faut s’abaisser, se rendre simple, devenir enfant. C’est là que se trouve la vraie instruction, qui est l’intérieure, et non dans les choses qui ont de l’éclat au-dehors.

LSP 104.*A LA MÊME (Z)

La chaleur d’imagination, la vivacité des sentiments, la foule des raisons, l’abondance des paroles, ne font presque rien. L’effectif, c’est d’agir devant Dieu en parfait détachement, faisant par sa lumière tout ce qu’on peut, et se contentant du succès qu’il donne. Cette continuelle mort est une bienheureuse vie que peu de gens connaissent. Un mot, dit simplement dans cette paix, opère plus, même pour les affaires extérieures, que tous les soins ardents et empressés. Comme c’est l’esprit de Dieu qui parle alors, il ne perd rien de sa force et de son autorité. Il éclaire, il persuade, il touche, il édifie. On n’a presque rien dit, et on a tout fait. Au contraire, quand on se laisse aller à la vivacité de son naturel, on parle sans fin ; on fait mille réflexions subtiles et superflues; on craint toujours de ne parler et de n’agir pas assez ; on s’échauffe, on s’épuise, on se passionne, on se dissipe, et rien n’avance. Votre tempérament a un besoin infini de ces maximes. Elles ne sont guère moins nécessaires à votre corps qu’à votre âme: votre médecin doit être là-dessus d’accord avec votre directeur.

Laissez couler l’eau sous les ponts ; laissez les hommes être hommes, c’est-à-dire faibles, vains, inconstants, injustes, faux et présomptueux. Laissez le monde être toujours monde ; c’est tout dire: aussi bien ne l’empêcheriez-vous pas. Laissez chacun suivre son naturel et ses habitudes: vous ne sauriez les refondre; le plus court est de les laisser et de les souffrir. Accoutumez-vous à la déraison et à l’injustice. Demeurez en paix dans le sein de Dieu, qui voit mieux que vous tous ces maux, et qui les permet. Contentez-vous de faire sans ardeur449 le peu qui dépend de vous ; que tout le reste soit pour vous comme s’il n’était pas. Je suis ravi de ce que vous avez des heures de réserve: n’en soyez ni avare ni prodigue.

LSP 105.*A LA MÊME (Z)

Il faut s’accommoder sans choix de ce que Dieu donne. Il est juste que sa volonté se fasse, et non pas la nôtre, et que la sienne devienne la nôtre même sans réserve, afin qu’elle se fasse sur la terre comme dans le ciel. Voilà ce qui vaut cent fois mieux que de se voir, que de s’entretenir, que de se consoler. O qu’on est près les uns des autres, quand on est intimement réuni dans le sein de Dieu ! O qu’on se parle bien, quand on n’a plus qu’une seule volonté et qu’une seule pensée en celui qui est toutes choses en tous! Voulez-vous donc trouver vos vrais amis ? Ne les cherchez qu’en celui qui fait les pures et éternelles amitiés. Voulez-vous leur parler et les écouter? Demeurez en silence dans le sein de celui qui est la parole, la vie et l’âme de tous ceux qui disent la vérité et qui vivent véritablement. Vous trouverez en lui, non seulement tout ce qui vous manque, mais encore tout ce qui n’est que très imparfaitement dans les créatures en qui vous vous confiez.

Vous ne sauriez trop amortir votre vivacité naturelle et votre grande habitude de suivre votre activité, pour vous taire, pour souffrir, pour ne juger jamais sans nécessité, pour écouter Dieu au dedans de vous. C’est tout ensemble une oraison et une mort continuelle dans le cours de la journée.

LSP 106.*A LA MÊME (Z)

Il est bon d’aller aux portes de la mort; on y voit Dieu de plus près ; on s’accoutume à faire ce qu’il faudra faire bientôt. On doit mieux se connaître, quand on a été si près du jugement de Dieu et des rayons de la vérité éternelle. O que Dieu est grand, qu’il est tout, que nous ne sommes rien, quand nous sommes si près de lui, et que le voile qui nous le cache va se lever ! Profitez de cette grâce pour vous détacher du monde, et encore plus de vous-même; car on ne tient aux autres choses que pour soi, et tous les autres attachements se réduisent à celui-là.

Aimez donc Dieu, et renoncez-vous vous-même pour l’amour de lui. N’aimez ni votre esprit ni votre courage. N’ayez aucune complaisance dans les dons de Dieu, tels que le désintéressement, l’équité, la sincérité, la générosité pour le prochain. Tout cela est de Dieu ; mais tout cela se tourne en poison, tout cela nous remplit et nous enfle dès que nous y prenons un appui secret. Il faut être anéantie à ses propres yeux, et agir dans cet esprit en toute occasion. Il faut que nous soyons, dans toute notre vie, cachés et comme anéantis, de même que Jésus-Christ dans le sacrement de son amour.

LSP 107.*A LA MÊME (Z)

Quand quelqu’un croirait voir en vous des petitesses, vous ne devriez point écouter la peine que vous en ressentiriez. Il y a une hauteur secrète, et une délicatesse d’amour-propre, à souffrir impatiemment qu’on nous croie capables de petitesse et de faiblesse dans nos sentiments. Vous l’avez bien senti vous-même, quand vous avez dit : mon orgueil s’en serait défendu ; peut-être y en a-t-il à cette justification, etc. Pour moi, non seulement je veux bien que les hommes me croient capable de petitesse, mais encore je veux le croire, et je ne trouve de paix au dedans de moi, qu’autant que je n’y trouve aucune grandeur, aucune force, aucune ressource, et que je me vois capable de tout ce qui est le plus méprisable, pour ne trouver mon secours qu’en Dieu seul.

Au reste, vous avez très bien fait de dire simplement ce que vous éprouviez dans votre cœur. Quand on ne suit point volontairement ces délicatesses, et qu’on les déclare avec simplicité, malgré la répugnance qu’on a à les dire, on a fait ce qui convient, et il faut demeurer en paix. Il est vrai que je vous ai dit que vous n’aviez pas avancé vers la perfection comme il aurait été à désirer; mais vous devez vous en étonner moins que personne, vous qui m’avez dit l’état de gêne, de dissipation et de trouble sans relâche, où vous avez été pendant tant d’années, sans pouvoir pratiquer le recueillement. Ce que je trouve de bon, malgré ces causes de retardement, consiste dans les choses suivantes. Vous revenez au recueillement et à l’oraison; vous avez la lumière et l’attrait de travailler à éteindre votre vivacité ; vous voulez être simple et docile pour renoncer à votre propre sens. Voilà des fondements solides ; le reste se fera peu à peu. Il s’agit de mourir ; mais Dieu travaille avec nous. Il agit par persuasion et par amour. Il faut croire et vouloir tout ce qu’il demande, et il ne demande que de mettre son saint amour en la place de notre amour-propre trompeur et injuste.

LSP 108.*A LA MÊME (Z)

Je prends part à toutes vos peines ; mais il faut bien porter la croix avec Jésus-Christ dans cette courte vie. Bientôt nous n’aurons plus le temps de souffrir; ce sera celui de régner avec un Dieu consolateur, qui aura essuyé nos larmes de sa propre main et devant qui les douleurs et les gémissements s’enfuiront à jamais. Pendant qu’il nous reste encore ce moment si court et si léger des épreuves, ne perdons rien du prix de la croix. Souffrons humblement et en paix. L’amour-propre nous exagère nos peines, et les grossit dans notre imagination. Une croix portée simplement, sans ces retours d’un amour-propre ingénieux à les augmenter, n’est qu’une demi-croix. Quand on souffre dans cette simplicité d’amour, non seulement on est heureux malgré la croix, mais encore on est heureux par elle ; car l’amour se plaît à souffrir pour le bien-aimé, et la croix qui rend conforme au bien-aimé est un lien d’amour qui console.

Portez le pesant fardeau d’une personne fort âgée qui ne peut plus se porter elle-même. La raison s’affaiblit à cet âge ; la vertu même, si elle n’a été bien profonde, semble se relâcher; l’humeur et l’inquiétude ont alors toute la force que l’esprit perd, et c’est la seule vivacité qui reste. O que voilà une bonne et précieuse croix ! Il la faut embrasser, la porter tous les jours, et peut-être jusqu’à la mort. Il y a là de quoi faire mourir l’esprit et le corps.

Mais encore est-ce un bonheur et un soulagement, que vous ayez des heures libres pour respirer en paix dans le sein de Notre-Seigneur. C’est là qu’il faut se délasser et se renouveler pour recommencer le travail. Ménagez votre santé. Soulagez même votre esprit par quelques intervalles de repos, de joie et de liberté innocente. Plus l’âge avance, moins il faut espérer d’une personne qui n’a point de ressources. Il ne faut presque rien prendre sur elle; mais aussi ne prenez pas trop sur vous.

LSP 109.*A LA MÊME (Z)

Je crains que votre vivacité naturelle ne vous consume au milieu des choses pénibles qui vous environnent. Vous ne sauriez trop laisser amortir votre naturel par l’oraison et par un fréquent renouvellement de la présence de Dieu dans la journée. Une personne chrétienne qui s’échauffe pour les bagatelles de ce monde, et que la présence de Dieu vient surprendre dans cette vivacité, est comme un petit enfant qui se voit surpris par sa mère quand il se fâche dans quelqu’un de ses jeux : il est tout honteux d’être découvert. Demeurons donc en paix, faisant le mieux ou le moins mal que nous pouvons pour tous nos devoirs extérieurs, et occupons-nous intérieurement de celui qui doit être tout notre amour.

N’apercevez jamais vos mouvements naturels sans les laisser tomber, afin que la grâce seule vous possède librement. Il faut suspendre l’action dès qu’on sent que la nature y domine. Cette fidélité fait presque autant au corps qu’à l’âme. On ne néglige rien, et on ne se trouble point, comme Marthe.

LSP 110*

Je vous plains ; mais il faut souffrir. Nous ne sommes en ce monde que pour nous purifier, en mourant à nos inclinations et à toute volonté propre. Mourez donc ; vous en avez de bonnes occasions ; quel dommage de les laisser perdre ! Je suis convaincu comme vous qu’il ne faut rien relâcher sur le règlement journalier; mais pour le jour entier et la retraite de huit jours, il faut compatir à l’infirmité du prochain. Vous pourrez reprendre en menu détail ce que vous perdrez en gros. Il faut un peu d’art avec les gens pressés de vapeurs. Si on leur montre sans adoucissement tout ce qu’on veut faire, on les met au désespoir; d’un autre côté, si vous leur laissez la moindre espérance de vous envahir, ils ne lâchent jamais prise jusqu’à ce qu’ils vous aient mis à leur point. Il faut donc couler adroitement, selon les occasions, sur certaines petites choses, et pour celles qu’on croit essentielles, il faut toute la fermeté dont vous avez usé sur le règlement.

Mais souvenez-vous que la vraie fermeté est douce, humble et tranquille. Toute fermeté âpre, hautaine et inquiète est indigne de soutenir les œuvres de Dieu. Dieu, dit l’Écriture, agit avec force et douceur; agissez donc de même, et quand il vous échappera d’agir rudement, humiliez-vous aussitôt, sans vous amollir. Avouez que vous avez tort pour les manières, et pour le fond gardez votre règlement. D’ailleurs vous ne sauriez avoir trop de complaisance, d’attachement et d’assiduité. Il n’y a ni lecture ni oraison qui vous fasse autant mourir à vous-même, que cette sujétion, pourvu que vous trouviez dans vos heures de réserve le recueillement nécessaire pour apprendre à faire un bon usage de cette espèce de servitude, et que la dissipation des affaires ne vous dessèche point le cœur. En un mot, recueillez-vous autant que vous le pouvez, selon votre règlement, et donnez ensuite le reste de votre temps à la charité, qui ne s’ennuie jamais, qui souffre, qui s’oublie, qui se fait petit enfant pour l’amour d’autrui.

LSP 111.*A LA MÊME (Z)

Je prie Dieu que cette nouvelle année soit pour vous un renouvellement de grâce et de bénédiction. Je ne m’étonne point de ce que vous ne goûtez pas le recueillement comme vous le goûtiez en sortant d’une longue et pénible agitation. Tout s’use. Un naturel vif, qui est accoutumé à l’action, languit dès qu’il se trouve dans la solitude et dans une espèce d’oisiveté. Vous avez été, pendant un grand nombre d’années, dans une nécessité de dissipation et d’activité au-dehors. C’est ce qui m’a fait craindre pour vous, à la longue, la vie morte d’ici’. Vous étiez d’abord dans la ferveur du noviciat, où l’on ne trouve rien de difficile. Vous disiez comme saint Pierre : Il est bon que nous soyons ici450. Mais il est dit que saint Pierre ne savait pas ce qu’il disait; et nous sommes souvent de même. Dans les moments de ferveur, nous croyons pouvoir tout. Dans les moments de tentation et de découragement, nous croyons ne pouvoir plus rien, et que tout est perdu. Mais nous nous trompons dans ces deux cas.

La dissipation que vous éprouvez ne doit pas vous étonner: vous en portiez le fond ici lors même que vous sentiez tant d’ardeur pour vous recueillir. Le naturel, l’habitude, tout vous porte à l’activité et à l’empressement. Il n’y avait que la lassitude et l’accablement qui vous faisaient goûter une vie tout opposée. Mais vous vous mettrez peu à peu, par fidélité à la grâce, dans cette vie toute concentrée, dont vous n’avez eu qu’un goût passager. Dieu le donne d’abord pour montrer où il mène ; puis il l’ôte pour faire sentir que ce bien n’est pas à nous, que nous ne sommes maîtres ni de l’avoir, ni de le conserver, et que c’est un don de grâce qu’il faut demander en toute humilité.

Ne soyez point alarmée de vous trouver vive, impatiente, hautaine, décisive: c’est votre fond naturel ; il faut le sentir. Il faut porter, comme dit saint Augustin, le joug de la confusion quotidienne de nos péchés. Il faut sentir notre faiblesse, notre misère, notre impuissance de nous corriger. Il faut désespérer de notre cœur, et n’espérer qu’en Dieu. Il faut se supporter sans se flatter, et sans négliger le travail pour notre correction. En attendant que Dieu nous délivre de nous-mêmes, nous devons en être désabusés. Laissons-nous rapetisser sous sa puissante main451: rendons-nous souples et maniables, en cédant dès que nous sentons quelque résistance de la volonté propre. Demeurez en silence le plus que vous pouvez. Évitez de décider ; suspendez vos jugements, vos goûts et vos aversions. Arrêtez-vous, et interrompez votre action dès que vous apercevez qu’elle est trop vive. Ne vous laissez point aller à vos goûts trop vifs, même pour le bien.

LSP 112.*A LA MÊME (Z)

Ce que je vous souhaite le plus est un certain calme que le recueillement, le détachement et l’amour de Dieu donnent. Quand on aime quelque chose hors de Dieu, dit saint Augustin, on en aime moins Dieu. C’est un ruisseau dont on détourne un peu d’eau. Ce partage diminue ce qui va à Dieu, et c’est dans ce partage que se ressentent toutes les inquiétudes du cœur. Dieu veut tout, et sa jalousie ne laisse point en paix un cœur partagé. La moindre affection hors de lui fait un entre-deux, et cause un mésaise. Ce n’est que dans un amour sans réserve que l’âme mérite de trouver la paix.

La dissipation, qui est opposée au recueillement, réveille toutes les affections des créatures ; par là elle tiraille l’âme, et la fait sortir de son vrai repos. De plus, elle excite les sens et l’ imagination ; c’est un travail pénible que de les apaiser, et cette occupation est encore une espèce de distraction inévitable.

Occupez-vous donc le moins que vous pourrez de tout ce qui est extérieur. Donnez aux affaires dont la Providence vous charge une certaine attention paisible et modérée, aux heures convenables : laissez le reste. On fait beaucoup plus par une application douce et tranquille en la présence de Dieu, que par les plus grands empressements et par les industries d’une nature inquiète.

LSP 113* A LA MÊME (Z)

Il ne vous reste qu’à tourner vos soins vers vous-même. Ne vous découragez point pour vos fautes : supportez-vous en vous corrigeant, comme on supporte et on corrige tout ensemble le prochain dont on est chargé. Laissez tomber une certaine activité d’esprit qui use votre corps, et qui vous fait commettre des fautes. Accoutumez-vous à étendre peu à peu l’oraison jusque sur les occupations extérieures de la journée. Parlez, agissez, travaillez en paix, comme si vous étiez en oraison ; car en effet il faut y être.

Faites chaque chose sans empressement, par l’esprit de grâce. Dès que vous apercevrez l’activité naturelle qui se glisse, rentrez doucement dans l’intérieur, où est le règne de Dieu. Écoutez ce que l’attrait de grâce demande: alors ne dites et ne faites que ce qu’il vous mettra au cœur. Vous verrez que vous en serez plus tranquille; que vos paroles en seront plus courtes et plus efficaces, et qu’en travaillant moins vous ferez plus de choses utiles. Il ne s’agit point d’une contention perpétuelle de tête, qui serait impraticable; il ne s’agit que de vous accoutumer à une certaine paix où vous consulterez facilement le bien-aimé sur ce que vous aurez à faire. Cette consultation, très simple et très courte, se fera bien plus aisément avec lui, que la délibération empressée et tumultueuse qu’on fait d’ordinaire avec soi quand on se livre à sa vivacité naturelle.

Quand le cœur a déjà sa pente vers Dieu, on peut facilement s’accoutumer à suspendre les mouvements précipités de la nature, et à attendre le second moment où l’on peut agir par grâce en écoutant Dieu. C’est la mort continuelle à soi-même qui fait la vie de la foi. Cette mort est une vie douce, parce que la grâce qui donne la paix succède à la nature qui cause le trouble. Essayez, je vous conjure, de vous accoutumer à cette dépendance de l’esprit intérieur: alors tout deviendra peu à peu oraison. Vous souffrirez ; mais une souffrance paisible n’est qu’une demi-souffrance.

LSP 114.*A LA MÊME (Z)

Vous ne devez point écouter vos scrupules sur les soulagements que votre communauté vous donne. Votre complexion est très délicate, et votre âge avancé; le moindre accident vous accablerait. N’attendez pas une maladie pour ménager vos forces. Il faut prévenir les maux, et non pas attendre qu’ils soient venus. En l’état où vous êtes, il n’est plus permis de rien hasarder. Malgré ce petit ménagement, votre vie ne sera pas fort voluptueuse.

Pour l’esprit, la mortification doit être d’un plus fréquent usage. Il faut amortir votre vivacité, renoncer à votre propre sens, retrancher les petites curiosités, les désirs de réussir, et les empressements pour s’attirer ce qui flatte l’amour-propre. Le silence, pour se familiariser avec la présence de Dieu, est le grand remède à nos maux ; c’est le moyen de mourir à toute heure dans la vie la plus commune.

Profitez de votre repos pour vous tranquilliser, pour adoucir votre humeur, pour nourrir la charité, pour abaisser la présomption, pour amortir les saillies, pour conserver le recueillement et la présence de Dieu avec la douceur et condescendance nécessaire pour le prochain : faites cela, et vous vivrez. Dieu a mis dans votre tempérament un grand trésor, en y mettant de quoi brûler à petit feu et mourir à toutes les heures du jour. Ce qui échaufferait à peine les autres vous enflamme jusque dans la moelle des os. Rien ne vous choque et ne vous plaît à demi. C’est ce qu’il est bon que vous connaissiez, afin que vous puissiez vous défier de vos goûts et de vos répugnances.

LSP 115.*A LA MÊME (Z)

Ne vous laissez point aller à la vivacité de vos goûts et de vos dégoûts. Défiez-vous même d’un certain zèle de ferveur, qui vous exposerait à des mécomptes dangereux. Ne vous pressez jamais sur rien, et principalement sur les changements de demeure452. Évitez la dissipation, sans vous exposer trop à la langueur et à l’ennui. Ne craignez point de soulager un peu votre esprit par une société pieuse et réglée. Contentez-vous de la ferveur intérieure que Dieu vous donne; sans la vouloir forcer pour la rendre plus sensible et plus consolante. Le grand point est de faire fidèlement la volonté de Dieu pour mourir à soi, malgré les sécheresses et les répugnances qu’on y ressent. Je prie Notre-Seigneur de vous donner une paix, non de vie et de nourriture pour l’amour-propre, mais de mort et de renoncement par amour pour lui. C’est en lui que je vous suis entièrement dévoué.

LSP 116.*A LA MÊME (Z)

Je ne saurais recevoir de vos nouvelles sans en ressentir une véritable joie. J’en ai une autre qui vous surprendra et qu’il faut que vous me pardonniez : c’est celle de vous voir un peu moins dans une ferveur sensible sur laquelle vous comptiez trop. Il est bon d’éprouver sa faiblesse, et d’apprendre par expérience que cette ferveur est passagère. Quand nous l’avons, c’est Dieu qui nous la donne par condescendance pour soutenir notre faiblesse. C’est le lait des petits enfants : ensuite il faut être sevré, et manger le pain sec des personnes d’un âge mûr.

Si on avait, sans aucune interruption, ce goût et cette facilité pour le recueillement, on serait fort tenté de le compter pour un bien propre et assuré. On ne sentirait plus ni sa faiblesse ni sa pente au mal ; on n’aurait point assez de défiance de soi, et on ne recourrait point assez humblement à la prière.

Mais quand cette ferveur sensible souffre des interruptions, on sent ce qu’on a perdu ; on reconnaît d’où il venait ; on est réduit à s’humilier pour le retrouver en Dieu ; on le sert avec d’autant plus de fidélité, qu’on goûte moins de plaisir en le servant ; on se contraint, on sacrifie son goût; on ne va point à la faveur des vents et des voiles, c’est à force de rames et contre le torrent; on prend tout sur soi ; on est dans l’obscurité, et on se contente de la pure foi ; on est dans la peine et dans l’amertume, mais on veut y être, et ce n’est point par le plaisir qu’on tient à Dieu ; on est prêt à recevoir ce goût, dès que Dieu le rendra ; on se reconnaît faible, et on comprend que, quand Dieu nous rend ce goût, c’est pour ménager notre faiblesse : mais quand il prive de ce goût, on en porte humblement en paix la privation, et on compte que Dieu sait beaucoup mieux que nous ce qu’il nous faut.

Ce qui dépend de nous, et qui doit être toujours uniforme, est la bonne volonté. Cette volonté n’en est que plus pure, lorsqu’elle est toute sèche et toute nue, sans se relâcher jamais.

Soyez ferme à observer vos heures d’oraison, comme si vous y aviez encore la plus grande facilité. Profitez même du temps de la journée où vous n’avez qu’une demi-occupation des choses extérieures, pour vous occuper de Dieu intérieurement ; par exemple, travaillez à votre ouvrage dans une présence simple et familière de Dieu. Il n’y a que les conversations où cette présence est moins facile : on peut néanmoins se rappeler souvent une vue générale de Dieu, qui règle toutes les paroles, et qui réprime, en parlant aux créatures, toutes les saillies trop vives, tous les traits de hauteur ou de mépris, toutes les délicatesses de l’amour-propre. Supportez-vous vous-même, mais ne vous flattez point. Travaillez efficacement et de suite, mais en paix et sans impatience d’amour-propre, à corriger vos défauts.

LSP 117.*A LA MÊME (Z)

J’apprends que votre santé a été fort dérangée, et j’en suis véritablement alarmé. Vous savez que l’infirmité est une précieuse grâce que Dieu nous donne, pour nous faire sentir la faiblesse de notre âme par celle de notre corps. Nous nous flattons de mépriser la vie, et de soupirer après la patrie céleste: mais quand l’âge et la maladie nous font envisager de plus près notre fin, l’amour-propre se réveille, il s’attendrit sur lui-même, il s’alarme ; on ne trouve au fond de son cœur aucun désir du royaume de Dieu ; on ne trouve au dedans de soi que mollesse, lâcheté, tiédeur, dissipation, attachement à toutes les choses dont on se croyait détaché. Une expérience si humiliante nous est souvent plus utile que toutes les ferveurs sensibles sur lesquelles nous comptions peut-être un peu trop. Le grand point est de nous livrer à l’esprit de grâce pour nous laisser détacher de tout ce qui est ici-bas.

Ménagez votre extrême délicatesse; recevez avec simplicité les soulagements qu’une très bonne et très prudente supérieure vous donnera; ne hasardez rien pour une santé si ébranlée. Le recueillement, la paix, l’obéissance, le sacrifice de la vie, la patience dans vos infirmités, seront d’assez grandes mortifications.

Je suis très sensible à votre juste douleur. Vous avez perdu une sœur très estimable, et qui méritait parfaitement toute votre amitié; c’est une grande consolation que Dieu vous ôte. C’est que Dieu l’a voulu retrancher par la jalousie de son amour. Il trouve, jusque dans les amitiés les plus légitimes et les plus pures, certains retours secrets d’amour-propre qu’il veut couper dans leurs plus profondes racines. Laissez-le faire. Adorez cette sévérité qui n’est qu’amour; entrez dans ses desseins. Pourquoi pleurerions-nous ceux qui ne pleurent plus, et dont Dieu a essuyé à jamais les larmes ? C’est nous-mêmes que nous pleurons, et il faut passer à l’humanité cet attendrissement sur soi. Mais la foi nous assure que nous serons bientôt réunis aux personnes que les sens nous représentent comme perdues. Vivez de foi, sans écouter la chair et le sang. Vous retrouverez dans notre centre commun, qui est le sein de Dieu, la personne qui a disparu à vos yeux. Encore une fois, ménagez votre faible santé dans cette rude épreuve ; calmez votre esprit devant Dieu ; ne craignez point de vous soulager même l’imagination par le secours de quelque société douce et pieuse. Il ne faut point avoir honte de se traiter en enfant, quand on en ressent le besoin.

LSP 118.*A LA MÊME (Z)

Je ne suis nullement surpris de ce que vous ne retrouvez plus le même recueillement qui vous était si facile et si ordinaire l’année passée. Dieu veut vous accoutumer à une fidélité moins douce, et plus pénible à la nature. Si cette facilité à vous recueillir était toujours égale, elle vous donnerait un appui trop sensible, et comme naturel : vous n’éprouveriez en cet état ni croix intérieures ni faiblesse. Vous avez besoin de sentir votre misère, et l’humiliation qui vous en reviendra vous sera plus utile, si vous la portez patiemment sans vous décourager, que la ferveur la plus consolante.

Il est vrai qu’il ne faut jamais abandonner l’oraison. Il faut supporter la perte de ce qu’il plaît à Dieu de vous ôter; mais il ne vous est pas permis de vous rien ôter à vous-même, ni même de laisser rien perdre par négligence volontaire. Continuez donc à faire votre oraison ; mais faites-la en la manière la plus simple et la plus libre, pour ne vous point casser la tête. Servez-vous-y de tout ce qui peut vous renouveler la présence de Dieu sans effort inquiet. Dans la journée, évitez tout ce qui vous dissipe, qui vous attache et qui excite votre vivacité. Calmez-vous autant que vous le pourrez sur chaque chose, et laissez tomber tout ce qui n’est point l’affaire présente. Chaque jour suffit son mal’. Portez votre sécheresse et votre dissipation involontaire comme votre principale croix. Vous pouvez essayer une petite retraite ; mais ne la poussez pas trop loin, et soulagez-vous l’imagination, selon votre besoin, par des choses innocentes qui s’accordent avec la présence de Dieu.

LSP 119.* A LA MÊME (Z)

O qu’il fait bon ne voir que les amis que Dieu nous donne, et d’être à l’abri de tout le reste ! Pour moi, je soupirerais souvent au milieu de mes embarras après cette liberté que la solitude procure ; mais il faut demeurer dans sa route, et aller son chemin, sans écouter son propre goût. Évitez l’ennui, et donnez quelque soulagement à votre activité naturelle. Voyez un certain nombre de personnes dont la société ne soit pas épineuse, et qui vous délassent au besoin. On n’a pas besoin d’un grand nombre de compagnies, et il faut s’accoutumer à n’y être pas trop délicat. Il suffit de trouver de bonnes gens paisibles et un peu raisonnables. Vous pouvez lire, faire quelque ouvrage, vous promener quand il fait beau, et varier vos occupations pour ne vous fatiguer d’aucune.

À l’égard de votre tiédeur et du défaut de sentiment pour la vie intérieure, je ne suis nullement surpris que cette épreuve vous abatte. Rien n’est plus désolant. Vous n’avez que deux choses à faire, ce me semble : l’une est d’éviter tout ce qui vous dissipe et qui vous passionne ; par là vous retrancherez la source de tout ce qui distrait dangereusement et qui dessèche l’oraison. Il ne faut pas espérer la nourriture du dedans, quand on est sans cesse au-dehors. La fidélité à renoncer aux choses qui vous rendent trop vive et trop épanchée dans les conversations, est absolument nécessaire pour attirer l’esprit de recueillement et d’oraison. On ne saurait goûter ensemble Dieu et le monde ; on porte à l’oraison pendant deux heures le même cœur qu’on a pendant toute la journée.

Après avoir retranché les choses superflues qui vous dissipent, il faut tâcher de vous renouveler souvent dans la présence de Dieu, au milieu même de celles qui sont de devoir et de nécessité, afin que vous n’y mettiez point trop de votre action naturelle. Il faut tâcher d’agir sans cesse par grâce et par mort à soi. On y parvient doucement, en suspendant souvent la rapidité d’un tempérament vif, pour écouter Dieu intérieurement, et pour le laisser prendre possession de soi.

LSP 120.*A LA MÊME (Z)

Il y a bien longtemps que je ne vous ai renouvelé les assurances de mon attachement en Notre-Seigneur : il est néanmoins plus grand que jamais. Je souhaite de tout mon cœur que vous trouviez toujours dans votre communauté la paix et la consolation que vous y avez goûtées dans les commencements. Pour être content des meilleures personnes, il faut se contenter de peu, et supporter beaucoup. Les personnes les plus parfaites ont bien des imperfections ; nous en avons aussi de grandes. Nos défauts, joints aux leurs, nous rendent le support mutuel très difficile: mais on accomplit la loi de Jésus-Christ en portant les fardeaux réciproques. Il en faut faire une charitable compensation. Le fréquent silence, le recueillement habituel, l’oraison, le détachement de soi-même, le renoncement à toutes les curiosités de critique, la fidélité à laisser tomber toutes les vaines réflexions d’un amour-propre jaloux et délicat servent beaucoup à conserver la paix et l’union. O qu’on s’épargne de peines par cette simplicité ! Heureux qui ne s’écoute point, et qui n’écoute point aussi les discours des autres !

Contentez-vous de mener une vie simple selon votre état. D’ailleurs, obéissez, portez vos petites croix journalières: vous en avez besoin, et Dieu ne vous les donne que par pure miséricorde. Le grand point est de vous mépriser sincèrement, et de consentir à être méprisée, si Dieu le permet. Ne vous nourrissez que de lui. Saint Augustin dit que sa mère ne vivait que d’oraison : vivez-en, et mourez à tout le reste. On ne vit à Dieu que par mort continuelle à soi-même.

LSP 121.*A LA MÊME (Z)

Je ne suis nullement surpris d’apprendre que l’impression de la mort est plus vive en vous à mesure que l’âge et l’infirmité vous la font voir de plus près. Je la ressens aussi. Il y a un âge où la mort se fait considérer plus souvent et par des réflexions plus fortes. D’ailleurs il y a un temps de retraite, où l’on a moins de distractions par rapport à ce grand objet. Dieu se sert même de cette rude épreuve pour nous désabuser de notre courage, pour nous faire sentir notre faiblesse, et pour nous tenir bien petits dans sa main.

Rien n’est plus humiliant qu’une imagination troublée, où l’on ne peut plus retrouver son ancienne confiance en Dieu. C’est le creuset de l’humiliation, où le cœur se purifie par le sentiment de sa faiblesse et de son indignité. Aucun vivant, dit le Saint-Esprit, ne sera justifié devant vous. Il est encore écrit que les astres mêmes ne sont pas assez purs aux yeux de notre juge. Il est certain que nous l’offensons tous en beaucoup de choses453. Nous voyons nos fautes, et nous ne voyons pas nos vertus. Il nous serait même très dangereux de les voir, si elles sont réelles.

Ce qu’il y a à faire est de marcher toujours tout droit et sans relâche avec cette peine, comme nous tâchions de marcher dans la voie de Dieu avant que de sentir ce trouble. Si cette peine nous faisait voir en nous quelque chose à corriger, il faudrait être d’abord fidèle à cette lumière, mais le faire avec dépendance d’un bon conseil, pour ne point tomber dans le scrupule. Ensuite il faut demeurer en paix, n’écouter point l’amour-propre qui s’attendrit sur soi à la vue de notre mort; se détacher de la vie, la sacrifier à Dieu, et s’abandonner à lui avec confiance. On demandait à saint Ambroise mourant, s’il n’était pas peiné par la crainte des jugements de Dieu. Il répondit: nous avons un bon maître. C’est ce qu’il faut nous répondre à nous-mêmes. Nous avons besoin de mourir dans une incertitude impénétrable, non seulement des jugements de Dieu sur nous, mais encore de nos propres dispositions. Il faut, comme saint Augustin le dit, que nous soyons réduits à ne pouvoir présenter à Dieu que notre misère et sa miséricorde. Notre misère est l’objet propre de la miséricorde, et cette miséricorde est notre unique titre. Lisez, dans vos états de tristesse, tout ce qui peut nourrir la confiance et soulager votre cœur. O Israël, que Dieu est bon à ceux qui ont le cœur droit! Demandez-lui cette droiture de cœur qui lui plaît tant, et qui le rend si compatissant à nos faiblesses.

LSP 122.*A LA MÊME (Z) [fin de 1713 ou de 1714 ?].

Il faut se détacher de la vie. C’est par la douleur et par les maladies qu’on fait son apprentissage pour la mort. Sacrifions de bon cœur à Dieu une vie courte, fragile et pleine de misères ; c’est se procurer un mérite devant Dieu, en renonçant à ce qui n’est digne que de mépris.

Laissez faire votre supérieure et votre communauté qui prennent soin de vous conserver. La simplicité consiste à se laisser juger par ses supérieurs, à leur obéir après leur avoir représenté sa pensée, à faire dans cette obéissance ce qu’on voudrait que les autres fissent, et à ne se plus écouter soi-même après qu’on a dit ce qu’on croit convenable.

Demeurez en paix dans votre solitude, sans prêter l’oreille aux disputes présentes454. Bornez-vous à écouter l’Église sans raisonner. On est heureux quand on veut bien être pauvre d’esprit; cette pauvreté intérieure doit être notre unique trésor. Les savants mêmes ne savent plus rien dès qu’ils ne sont plus de petits enfants entre les bras de leur mère. Parlez à Dieu pour la paix de l’Église, et ne parlez point aux hommes. Le silence humble et docile sera votre force. Portez patiemment votre croix, qui est l’infirmité. Voilà votre vocation présente; se taire, obéir, souffrir, s’abandonner à Dieu pour la vie et pour la mort, c’est votre pain quotidien. Ce pain est dur et sec ; mais il est au-dessus de toute substance455, et très nourrissant dans la vie de la foi, qui est une mort continuelle de l’amour-propre.

LSP 123.*A LA MÊME (Z)

J’ai remarqué que vous comptiez un peu trop sur votre recueillement et sur votre ferveur. Dieu a retiré ces dons sensibles pour vous en détacher, pour vous apprendre combien vous êtes faible par votre propre fonds, et pour vous accoutumer à servir Dieu sans ce goût qui facilite les vertus. On fait beaucoup plus pour lui en faisant les mêmes choses sans plaisir et avec répugnance. Je fais peu pour mon ami quand je le vais voir à pied en me promenant, parce que j’aime la promenade, et que j’ai d’excellentes jambes avec lesquelles je me fais un très grand plaisir de marcher: mais si je deviens goutteux, tous les pas que je fais me coûtent beaucoup ; je ne marche plus qu’avec douleur et répugnance : alors les mêmes visites que je rendais autrefois à mon ami, et dont il ne me devait pas tenir un grand compte, commencent à être d’un nouveau prix ; elles sont la marque d’une très vive et très forte amitié; plus j’ai de peine à les lui rendre, plus il doit m’en savoir gré ; un pas a plus de mérite que cent n’en avaient autrefois. Je ne dis pas ceci pour vous flatter, et pour vous remplir d’une vaine confiance. A Dieu ne plaise ! C’est seulement pour vous empêcher de tomber dans une très dangereuse tentation, qui est celle du découragement et du trouble. Quand vous êtes dans l’abondance et dans la ferveur intérieure, comptez alors pour rien vos bonnes œuvres, qui coulent, pour ainsi dire, de source. Quand, au contraire, vous vous sentez dans la sécheresse, l’obscurité, la pauvreté, et presque l’impuissance intérieure, demeurez petite sous la main de Dieu en état de foi nue ; reconnaissez votre misère ; tournez-vous vers l’amour tout-puissant, et ne vous défiez jamais de son secours. O qu’il est bon de se voir dépouillé des appuis sensibles qui flattent l’amour-propre, et réduit à reconnaître cette parole du Saint-Esprit: Nul vivant ne sera justifié devant vous!

Marchez toujours, au nom de Dieu, quoiqu’il vous semble que vous n’ayez pas la force ni le courage de mettre un pied devant l’autre. Tant mieux que le courage humain vous manque. L’abandon à Dieu ne vous manquera pas dans votre impuissance. Saint Paul s’écrie: c’est quand je suis faible que je suis forte. Et quand il demande à être délivré de sa faiblesse, Dieu lui répond : c’est dans l’infirmité que la vertu se perfectionne. Laissez-vous donc perfectionner par l’expérience de votre imperfection, et par un humble recours à celui qui est la force des faibles. Occupez-vous, avec une liberté simple, dans l’oraison, de tout ce qui vous aidera à être en oraison, et qui nourrira en vous le recueillement. Ne vous gênez point. Soulagez votre imagination, tantôt impatiente et tantôt épuisée : servez-vous de tout ce qui pourra la calmer, et vous faciliter un commerce familier d’amour avec Dieu. Tout ce qui sera de votre goût et de votre besoin, dans ce commerce d’amour, sera bon. Là où est l’esprit de Dieu, là est la liberté. Cette liberté simple et pure consiste à chercher naïvement dans l’oraison la nourriture de l’amour qui nous occupe le plus facilement du bien-aimé. Votre pauvreté intérieure vous ramènera souvent au sentiment de votre misère. Dieu, si bon, ne vous laissera pas perdre de vue combien vous êtes indigne de lui, et votre indignité vous ramènera aussitôt à sa bonté infinie. Courage ! l’œuvre de Dieu ne se fait que par la destruction de nous-mêmes. Je le prie de vous soutenir, de vous consoler, de vous appauvrir, et de vous faire sentir cette aimable parole : Bienheureux les pauvres d’esprit456.

LSP 124.*A LA MÊME (Z)

Je suis ravi de ce que vous êtes si contente de votre retraite, et de ce que Dieu vous donne autant de paix au dedans qu’au dehors. Je prie celui qui a commencé en vous cette bonne œuvre, qu’il l’achève jusques au jour de Jésus-Christ. Il ne vous reste qu’à profiter de ces temps qui coulent avec tant de paix, pour vous recueillir. Il faut chanter dans votre cœur cet amen et cet alléluia dont retentit la céleste Jérusalem457. C’est un acquiescement continuel à la volonté de Dieu, et un sacrifice sans réserve de la nôtre pour faire la sienne.

Il faut en même temps écouter Dieu intérieurement, avec un cœur dégagé de tous les préjugés flatteurs de l’amour-propre, pour recevoir fidèlement sa lumière sur les moindres choses à corriger en nous. Quand Dieu nous montre ce qu’il faut corriger, il faut céder aussitôt sans raisonner ni s’excuser, et abandonner, quoi qu’il en coûte, tout ce qui blesse la sainte jalousie de l’Époux. Quand on se livre ainsi à l’esprit de grâce pour mourir à soi, on découvre des imperfections jusque dans les meilleures œuvres, et on trouve en soi un fonds inépuisable de défauts raffinés.

Alors on dit, avec horreur de soi, que Dieu seul est bon. On travaille à se corriger d’une façon simple et paisible, mais continuelle, égale, efficace, et d’autant plus forte que tout le cœur y est réuni sans trouble et sans partage. On ne compte en rien sur soi, et on n’espère qu’en Dieu : mais on ne se flatte ni ne se relâche point. On connaît que Dieu ne nous manque jamais, et que c’est nous qui lui manquons sans cesse. On n’attend point la grâce ; on reconnaît que c’est elle qui nous prévient et qui nous attend : on la suit, on s’y abandonne ; on ne craint que de lui résister dans la voie simple des vertus évangéliques. On se condamne sans se décourager; on se supporte en se corrigeant.

Pour votre santé, il faut la ménager avec précaution : elle a toujours été très faible ; elle doit l’être plus que jamais. À un certain âge, il ne faut plus rien prendre sur le corps ; il ne faut abattre que l’esprit.

LSP 125.*A LA MÊME (Z)

Je comprends sans peine que l’âge et les infirmités vous font regarder la mort de près bien plus sérieusement que vous ne la regardiez autrefois de loin. Une vue éloignée et confuse, qu’on n’a dans le monde que dans certains moments, qu’avec de fréquentes distractions, n’est que comme un songe: mais cette même vue rapproche et réalise tristement l’objet, quand on le voit souvent dans la solitude et dans l’actuel affaiblissement de l’âge. Il ne coûte presque rien de s’abandonner de loin et en passant ; mais s’abandonner de près, et avec un regard fixe de la mort, est un grand sacrifice.

Il faut vouloir sa destruction, malgré le soulèvement de la nature et l’horreur qu’elle fait sentir. Feu M. Olier prenait sa main dans les derniers jours de sa vie, et lui disait: « Corps de péché, tu pourriras bientôt. O éternité, que vous êtes près de moi ! » Il n’est nullement question de sentir de la joie de mourir; cette joie sensible ne dépend point de nous. Combien de grands Saints ont été privés de cette joie ! Contentons-nous de ce qui dépend de notre volonté libre et prévenue par la grâce. C’est de ne point écouter la nature, et de vouloir pleinement ce qu’il ne nous est pas donné de goûter. Que la nature rejette ce calice si amer; mais que l’homme intérieur dise avec Jésus-Christ: cependant, qu’il arrive non ce que je voudrais, mais ce que vous voudrez. Saint François de Sales distingue le consentement d’avec le sentiment. On n’est pas maître de sentir; mais on l’est de consentir, moyennant la grâce de Dieu.

Attendez la mort, sans vous en occuper tristement d’une façon qui abat le corps et qui affaiblit la santé. On attend assez la mort quand on tâche de se détacher de tout; quand on s’humilie paisiblement sur ses moindres fautes avec le désir de les corriger; quand on marche en la présence de Dieu ; quand on est simple, docile, patient dans l’infirmité; quand on se livre à l’esprit de grâce pour agir dans sa dépendance ; enfin quand on cherche à mourir à soi en toute occasion, avant que la mort corporelle arrive. Mettez vos fautes à profit pour vous confondre ; supportez le prochain : oubliez l’oubli des hommes ; l’ami fidèle, l’époux du cœur ne vous oubliera jamais.



Au duc de Bourgogne



Le duc de Bourgogne fut porteur de l’espoir de réformer le royaume très chrétien. Initialement bloqué psychologiquement par « Monseigneur » le dauphin son père et par les critiques - voire des oppositions durant une des campagnes militaires difficiles de la fin de règne - de membres d’une cabale majoritaire qui courtisait Monseigneur en l’attente du décès de Louis XIV, le duc se révèle ferme lorsqu’il devient à son tour le dauphin. Mais sa disparition soudaine dissipe les illusions de membres des cercles mystiques guyonniens, en premier lieu de Fénelon et des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse qui s’étaient soudainement sentis tout proches du pouvoir 458.



1239. AU DUC DE BOURGOGNE A Cambray le 16 septembre [1708].

Monseigneur,

Je ne suis consolé des mécomptes que vous éprouvez, que par l’espérance du fruit que D[ieu] vous fera tirer de cette épreuve. […] La prospérité est un torrent qui vous porte; en cet état, tous les hommes vous encensent et vous vous enivrez de cet encens. Mais l’adversité est un torrent qui vous entraîne, et contre lequel il faut se roidir sans relâche. Les grands princes ont plus de besoin que tout le reste des hommes des leçons de l’adversité. C’est d’ordinaire ce qui leur manque le plus. Ils ont besoin de contradiction pour apprendre à se modérer, comme les gens d’une médiocre condition ont besoin d’appui. Sans la contradiction les princes ne sont point dans les travaux des hommes, et ils oublient l’humanité. Il faut qu’ils sentent que tout peut leur échapper, que leur grandeur même est fragile, et que les hommes qui sont à leurs pieds leur manqueraient, si cette grandeur venait à leur manquer. […].



1972. Au DUC DE BOURGOGNE [vers 1702]

… Il est temps 459 que vous montriez au monde une maturité et une vigueur d’esprit proportionnées au besoin présent460. Saint Louis, à votre âge, était déjà les délices des bons et la teneur des méchants. Laissez donc tous les amusements de l’âge passé: faites voir que vous pensez et que vous sentez tout ce que vous devez penser et sentir. Il faut que les bons vous aiment, que les méchants vous craignent, et que tous vous estiment. Hâtez-vous de vous corriger, pour travailler utilement à corriger les autres.

La piété n’a rien de faible, ni de triste, ni de gêné : elle élargit le cœur; elle est simple et aimable ; elle se fait toute à tous pour les gagner tous461. Le royaume de Dieu ne consiste point dans une scrupuleuse observation de petites formalités : il consiste pour chacun dans les vertus propres à son état. Un grand prince ne doit point servir Dieu de la même façon qu’un solitaire ou qu’un simple particulier. …




À des correspondants connus



60. AU CHEVALIER COLBERT. Paris, lundi 6 juin [1689].

Je crois, Monsieur, que la dernière lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire a répondu à toutes les demandes que vous me faites. Il n’est question maintenant pour vous, que de vous occuper doucement des sujets que vous avez pris; il est vrai seulement que vous devez rendre cette occupation la plus simple que vous pourrez, et voici comment :

Ne vous chargez point d’un grand nombre de pensées différentes sur chaque sujet; mais arrêtez-vous aussi longtemps à chacune qu’elle pourra donner quelque nourriture à votre cœur. Peu à peu vous vous accoutumerez à envisager les vérités fixement, et sans sauter de l’une à l’autre. Ce regard fixe et constant de chaque vérité servira à les approfondir davantage dans votre cœur. Vous acquerrez l’habitude de vous arrêter dans vos sujets par goût et par acquiescement paisible; au lieu que la plupart des gens ne font que les considérer par un raisonnement passager. Ce sera le vrai fondement de tout ce que Dieu voudra peut-être faire dans la suite en vous : il amortira même par là l’activité naturelle de l’esprit, qui voudrait toujours découvrir des choses nouvelles, au lieu de s’enfoncer davantage dans celles qu’il connaît déjà. Il ne faut pourtant pas se forcer d’abord pour continuer à méditer une vérité, lorsqu’on n’y trouve plus aucun suc : je propose seulement de ne la quitter que quand vous sentez qu’elle n’a plus rien à vous fournir pour votre nourriture.462

153. À LA DUCHESSE DE NOAILLES. [Vers 1690].

Vous êtes plus solide que le monde ne croit463, mais vous l’êtes moins que vous ne pensez. Vous êtes bonne amie, fidèle, secrète [discrète], généreuse, pleine de goût et de discernement pour le vrai mérite, sensible à l’amitié des gens estimables, pleine d’insinuation [séduction], et d’un certain tour noble pour servir, sachant dire à propos ce qui est utile. Vous avez de la pénétration, de la prévoyance, des expédients [moyens] faciles, avec une droiture et une probité très délicate. Vous avez même une sincère religion, à laquelle je me fierais plus qu’à celle d’un grand nombre de demi-dévots. Mais, avec tant de qualités, un seul défaut vous rend frivole. C’est que vous ne pouvez vous contraindre464. Vous donnez de beaux noms à cette faiblesse. Vous l’appelez sincérité, liberté; vous vous savez bon gré de n’être ni rampante, ni hypocrite, ni empressée pour la faveur; mais vous vous trompez vous-même, pour n’avoir rien à vous reprocher. Il faudrait penser sérieusement et de suite à devenir meilleure que vous n’êtes, et à vous corriger courageusement de vos défauts. La crainte de passer pour hypocrite ou pour faible dévote, ne doit point vous empêcher d’être une bonne chrétienne. Il y a de la lâcheté à n’oser s’approcher de Dieu, par une mauvaise honte pour le monde. Non seulement il faudrait se vaincre pour Dieu, mais il faudrait encore se vaincre pour ses intérêts à l’égard des hommes. C’est se piquer d’honneur hors de propos, que de ne vouloir pas se contraindre dans des choses indifférentes, pour plaire aux hommes dont on a besoin.

Votre famille ne vous est pas indifférente; elle ne peut se passer de la Cour. Tous les projets de s’en passer ne peuvent être que chimériques465. Vous devez donc vous accommoder à ses goûts, dans toutes les choses où vous le pourrez sans blesser la véritable bienséance. Ce qui pourrait vous mettre au goût de la cour, bien loin d’être contraire à la véritable bienséance, vous corrigerait de ce qui y est contraire. Vous avez un air de légèreté et de vivacité que rien n’arrête. Il faut connaître à fond votre bon esprit et vos sentiments, pour se rassurer sur cette vivacité pleine de saillies. Riez tant qu’il vous plaira avec des gens sûrs et choisis qui n’aient pas l’air de rire trop, et qui sachent ne rire qu’à propos. Mais faites un personnage sérieux et mesuré. Promettez dans vos manières toute la solidité qu’on trouve quand on vous pénètre. De plus, ne mêlez point le jeu d’esprit dans les matières les plus sérieuses. Vous éludez l’avis le plus important par une plaisanterie, et vous défendez en riant des maximes fausses dont vous n’avez jamais été détrompée, parce que vous n’avez jamais écouté assez sérieusement, ni approfondi la vérité. Vous croyez en être quitte en disant que vous ne sauriez vous changer; et en effet, c’est la crainte de vous contraindre, qui fait que vous craignez de voir clair, et de prendre les choses plus sérieusement. Vous ne croyez personne; encore si vous vouliez bien vous croire vous-même, votre raison vous mènerait loin vers le bien. Mais ce n’est pas votre raison, c’est votre goût que vous suivez; et vous n’employez votre esprit qu’à autoriser ce qui vous plaît, ou à tourner en ridicule les vérités qui vous pressent trop. Voilà ce qui mêle je ne sais quoi de frivole avec toutes les qualités solides dont vous êtes remplie. Dieu et le monde seraient d’accord à cet égard; car, si vous pouviez prendre sur vous de vous assujettir à une règle, en un moment tout ce qui fait la solidité se trouverait rassemblé en vous. Il ne vous manque qu’un peu plus de réflexion sérieuse sur les grandes vérités, et un peu plus de courage contre votre goût466.

588. LSP 215. À LA MARQUISE D’ALÈGRE [Février 1699 ?]

J’apprends, Madame, que Dieu vous donne des croix, et j’y prends part de tout mon cœur. En tout temps, j’ai été sensible à tout ce qui pouvait vous toucher467 ; mais l’expérience ajoute encore un nouveau degré de sensibilité en moi pour les souffrances d’autrui. Heureux qui souffre ! Je le dis au milieu de l’occasion même, et pour vous et pour moi, heureux qui souffre d’un cœur doux et humble ! Ce qui est le bon plaisir de Dieu ne va jamais trop loin. Si nous étions maîtres de nos souffrances, nous ne souffririons jamais assez pour mourir à nous-mêmes. Dieu, qui nous connaît mieux que nous ne pouvons nous connaître, et qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons nous aimer, en sait la juste mesure, et ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. L’amour adoucit toutes les souffrances, et l’on ne souffre tant que parce qu’on n’aime point, ou qu’on aime peu. Dieu vous veut toute à lui, et ce n’est que sur la croix qu’il prend sa pleine possession. Je garde maintenant le silence à l’égard de tous mes anciens amis, et je ne le romps pour vous, Madame, qu’à cause que vous êtes dans l’amertume, et que cette bienheureuse société de croix demande un épanchement de cœur pour se soutenir dans l’affliction. Je suis avec zèle et respect, etc.

667. À L’ABBÉ DE LANGERON468

… Je ne crois pas avoir exhorté M. de Bl[ainville] à voir fort souvent la bonne P.D.469, mais enfin il croit suivre mon conseil, et lui est un surcroît de peine. C’est de quoi je suis sensiblement affligé. Mais il n’y a que quinze jours que je l’ai prié bien sérieusement dans une lettre de ne venir point cet été à Cambray. Tort ou non, je l’ai fait. Quelle apparence de lui mander si tôt après tout le contraire? que pourrait-il penser? Après tout le Roi est certainement indigné contre moi, et le fait assez voir ". M. de Bl[ainville] n’est pas comme vous et comme Leschelle 19. Il est actuellement domestique du Roi, et un de ses grands officiers". Doit-il aller voir un homme contre lequel le Roi paraît si indigné? Je vous le demande. Mais supposons que je me sois trompé, en décidant qu’il ne doit pas venir. Sur quoi paraîtrai-je tout à coup changer? Peut-être pourriez-vous, la bonne P.D. et vous, lui conseiller tous deux de venir de Laon au Casteau me surprendre un jour, malgré les avis de discrétion pour lui que je lui ai donnés. Vous lui recommanderiez de ne rester ici qu’un jour, afin que cela parût moins. Mais vous voyez bien que cette visite, si courte qu’elle fût, serait sue à Cambray, et mandée à Versailles. …

668 A. De SŒUR A.-M. DES FONTAINES A FÉNELON [20 juillet 1700].

Monseigneur,

Ce n’est tout au plus que d’une année à l’autre que je suis importune à Votre Grandeur, mais je suis toujours excusable puisque c’est la confiance jointe au profond respect que j’ai en vous qui me fait prendre la liberté de vous supplier très humblement de prier Dieu pour moi. Si vous saviez, Monseigneur, le besoin que j’en ai, vous auriez, j’en suis sûre, compassion de moi. Quoique je n’aie point de directeur pour éviter bien des inconvénients, l’on ne laisse pas de me gêner beaucoup et de vouloir que ma prière soit oisive et suspecte dès que je cesse de m’agiter par des mouvements empressés et inquiets qui me sont insupportables, plus je veux quelquefois m’y assujettir crainte de suivre ma propre volonté et moins je puis prier. Il n’y a que Dieu seul qui connaisse ma situation et ce que je souffre. […]470.

761. Au MARQUIS DE LOUVILLE. À Cambray, 10 octobre 1701.

[longue lettre qui évoque la célèbre « lettre à Louius XIV » et fournit un aperçu sur une « morale de mystique »]471.


Je vous dirai, sans rien savoir, par aucun canal, de ce qui peut se passer dans votre cour, que vous ne sauriez trop vous borner à vos fonctions précises, ni trop vous défier des hommes. C’est par excès d’amitié, que je me mêle de vous parler ainsi. Rendez votre esprit patient; défiez-vous de vos premières et même de vos secondes vues; suspendez votre jugement; approfondissez peu à peu. Ne faites de mal à personne, mais fiez-vous à très peu de gens. Point de plaisanterie sur aucun ridicule; nulle impatience sur aucun travers; nulle vivacité pour vos préjugés contre ceux d’autrui. Embrassez les choses avec étendue pour les voir dans leur total, qui est leur seul point de vue véritable. Ne dites jamais que la vérité; mais supprimez-la toutes les fois que vous la diriez inutilement par humeur ou par excès de confiance. Evitez, autant que vous le pourrez, les ombrages et les jalousies. Si modeste que vous puissiez être, vous n’apaiserez jamais les esprits jaloux. La nation au milieu de laquelle vous vivez est ombrageuse à l’infini, et l’est avec une profondeur impénétrable. Leur esprit naturel, faute de culture, ne peut atteindre aux choses solides, et se tourne tout entier à la finesse: prenez-y garde. […]J’avoue que c’est un grand point à un roi, que d’être intrépide à la guerre. Mais le courage de la guerre est bien moins d’usage à un si grand prince, que le courage des affaires. Quand se trouvera-t-il au milieu d’un combat? Peut-être jamais. Il sera au contraire tous les jours aux prises avec les autres et avec lui-même au milieu de sa cour. Il lui faut un courage à toute épreuve contre un ministre artificieux, contre un favori indiscret, contre une femme qui voudra être sa maîtresse. Il lui faut du courage contre les flatteurs, contre les plaisirs, contre les amusements qui le jetteraient dans l’inapplication. Il faut qu’il soit courageux dans le travail, dans les mécomptes, dans le mauvais succès. Il faut du courage contre l’importunité, pour savoir refuser sans rudesse et sans impatience. […]

1027. LSP 1. À JOSEPH-CLÉMENT DE BAVIÈRE, ÉLECTEUR DE COLOGNE. À Cambray, 30 décembre 1704.

Monseigneur472,

… Si vous voulez enfin être évêque473, Monseigneur, au nom de Dieu gardez-vous bien de l’être à demi. […] Il faut désespérer de soi, pour pouvoir bien espérer en lui. Vous êtes naturellement bon, juste, sincère, compatissant, et généreux. Vous êtes même sensible à la religion et elle a jeté de profondes racines dans votre cœur. Mais votre naissance vous a accoutumé à la grandeur mondaine, et vous êtes environné d’obstacles pour la simplicité apostolique. La plupart des grands princes ne se rabaissent jamais assez, pour devenir les serviteurs en J[ésus]C[hrist] des peuples sur lesquels ils ont l’autorité. Il faut pourtant qu’ils se dévouent à les servir, s’ils veulent être leurs pasteurs : nos autem servos vestros per Jesum474.

Il n’y a que la seule oraison qui puisse former un véritable évêque parmi tant de difficultés. Accoutumez-vous, Monseigneur, à chercher Dieu au dedans de vous. C’est là que vous trouverez son royaume: regnum Dei intra vos est 475. On le cherche bien loin de soi par beaucoup de raisonnements. On veut trop goûter le plaisir de la vertu, et flatter son imagination, sans songer à soumettre sa raison aux vues de la foi, et sa volonté à celle de Dieu. Il faut lui parler avec confiance de vos faiblesses et de vos besoins. Vous ne sauriez jamais le faire avec trop de simplicité. L’oraison n’est qu’amour. L’amour dit tout à Dieu, car on n’a à parler au bien-aimé que pour lui dire qu’on l’aime, et qu’on veut l’aimer : non nisi amando colitur, dit S. Augustin476. Il faut non seulement lui parler, mais encore l’écouter. Que ne dira-t-il point, si on l’écoute? Il suggérera toute vérité. Mais on s’écoute trop soi-même pour pouvoir l’écouter. Il faudrait se faire taire, pour écouter Dieu : audiam quid loquatur in me Dominus 477. On connaît assez le silence de la bouche, mais on ne comprend point celui du cœur. L’oraison bien faite, quoique courte, se répandrait peu à peu sur toutes les actions de la journée. Elle donnerait une présence intime de Dieu, qui renouvellerait les forces en chaque occasion. Elle réglerait le dehors et le dedans. On n’agirait que par l’esprit de grâce. On ne suivrait ni les promptitudes du tempérament, ni les empressements, ni les dépits de l’amour-propre. On ne serait ni hautain ni dur dans sa fermeté, ni mou ni faible dans ses complaisances. On éviterait tout excès, toute indiscrétion, toute affectation, toute singularité. On ferait à peu près les mêmes choses qu’on fait. Mais on les ferait beaucoup mieux, avec la consolation de les faire pour Dieu, et sans recherche de son propre goût. …

1261. À MICHEL CHAMILLART [20 novembre 1708].

Monsieur,

[longue lettre « sociale » adressée au contrôleur général des finances]478

[…] 3° J’ai proposé à plusieurs personnes de vendre leur blé avec le mien. Aucun ne veut rien vendre au Roi, tant ils craignent des retardements et des mécomptes. Je ne vois rien à espérer de ce côté-là. Ainsi je ne puis vous offrir que mon seul blé, et même que celui d’une seule année, parce que j’avais tout vendu à vil prix pour bâtir dès le printemps dernier.

4° Vous agréerez, s’il vous plaît, Monsieur, que je réserve du blé tant pour ma subsistance, dans un lieu de passage continuel, où je suis seul à faire les honneurs à tous les passants, que pour les pauvres qui sont innombrables en ce pays, depuis que notre voisinage est ruiné, et que la cherté augmente. On vous a très mal informé, si on vous a fait entendre que j’avais vingt mille sacs de blé. Je ne puis avoir dans tout le cours de l’année qu’environ onze mille mesures de blé, chaque mesure pesant environ quatre-vingt-quatre livres. Cette mesure vaut actuellement au marché plus de deux écus, et le prix augmentera tous les jours. Ainsi le total de ce blé montera au moins à soixante et dix mille francs. Vous prendrez, Monsieur, sur ce total la quantité qu’il vous plaira, et au prix que vous voudrez. Je n’ai aucune condition à vous proposer, et c’est à vous à les régler toutes. Je ne réserverai pour mes besoins, pour ceux des pauvres qu’il ne m’est pas permis d’abandonner, et pour les gens qui sont accoutumés à aborder chez moi en passant, que ce que vous voudrez bien me laisser. Je serai content pourvu que je fasse mon devoir vers le Roi, et que vous soyez persuadé du zèle avec lequel je serai le reste de ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. À Cambray le 20 novembre 1708. FR. A. D. DE CAMBRAY.479

199. LSP 3. À J. N. COLBERT, ARCHEVÊQUE DE ROUEN. À Versailles, 8 avril [1692].

J’apprends, Monseigneur, que M. Mansard vous a donné de grands desseins de bâtiments pour Rouen et pour Gaillon. Souffrez que je vous dise étourdiment ce que je crains là-dessus. La sagesse voudrait que je fusse plus sobre à parler; mais vous m’avez défendu d’être sage, et je ne puis retenir ce que j’ai sur le cœur. Vous n’avez vu que trop d’exemples domestiques (des engagements insensibles dans ces sortes d’entreprises. La tentation se glisse d’abord doucement; elle fait la modeste de peur d’effrayer, mais ensuite elle devient tyrannique. On se fixe d’abord à une somme fort médiocre; on trouverait même fort mauvais que quelqu’un crût qu’on veut aller plus loin; mais un dessein en attire un autre; on s’aperçoit qu’un endroit de l’ouvrage est déshonoré par un autre, si on n’y ajoute un autre embellissement. Chaque chose qu’on fait paraît médiocre et nécessaire : le tout devient superflu et excessif. Cependant les architectes ne cherchent qu’à engager; les flatteurs applaudissent; les gens de bien se taisent, et n’osent contredire. On se passionne au bâtiment comme au jeu; une maison devient comme une maîtresse. En vérité, les pasteurs, chargés du salut de tant d’âmes, ne doivent pas avoir le temps d’embellir des maisons. Qui corrigera la fureur de bâtir, si prodigieuse en notre siècle, si les bons évêques mêmes autorisent ce scandale ? Ces deux maisons, qui ont paru belles à tant de cardinaux et de princes, même du sang, ne vous peuvent-elles pas suffire ? N’avez-vous point d’emploi de votre argent plus pressé à faire ? Souvenez-vous, Monseigneur, que vos revenus ecclésiastiques sont le patrimoine des pauvres ; que ces pauvres sont vos enfants, et qu’ils meurent de tous côtés de faim. Je vous dirai, comme dom Barthélemi des Martyrs disait à Pie IV, qui lui montrait ses bâtiments : Die ut lapides isti panes fiant.

Espérez-vous que Dieu bénisse vos travaux, si vous commencez par un faste de bâtiments qui surpasse celui des princes et des ministres d’État qui ont logé où vous êtes ? Espérez-vous trouver dans ces pierres entassées la paix de votre cœur ? Que deviendra la pauvreté de J.C., si ceux qui doivent le représenter cherchent la magnificence ? Voilà ce qui avilit le ministère, loin de le soutenir; voilà ce qui ôte l’autorité aux pasteurs. L’Évangile est dans leur bouche, et la gloire mondaine est dans leurs ouvrages. J. C. n’avait pas où reposer sa tête ; nous sommes ses disciples et ses ministres, et les plus grands palais ne sont pas assez beaux pour nous !

J’oubliais de vous dire qu’il ne faut point se flatter sur son patrimoine. Pour le patrimoine comme pour le reste, le superflu appartient aux pauvres : c’est de quoi jamais casuiste, sans exception, n’a osé douter. Il ne reste qu’à examiner de bonne foi ce qu’on doit appeler superflu. Est-ce un nom qui ne signifie jamais rien de réel dans la pratique ? Sera-ce une comédie que de parler du superflu ? Qu’est-ce qui sera superflu, sinon des embellissements, dont aucun de vos prédécesseurs, même vains et profanes, n’a cru avoir besoin ? Jugez-vous vous-même, Monseigneur, comme vous croyez que Dieu vous jugera. Ne vous exposez point à ce sujet de trouble et de remords pour le dernier moment, qui viendra peut-être plus tôt que nous ne croyons. Dieu vous aime; vous voulez l’aimer, et vous donner sans réserve à son Église ; elle a besoin de grands exemples, pour relever le ministère foulé aux pieds. Soyez sa consolation et sa gloire; montrez un cœur d’évêque qui ne tient plus au monde, et qui fait régner J. C. Pardon, Monseigneur, de mes libertés; je les condamne, si elles vous déplaisent. Vous connaissez le zèle et le respect avec lequel je vous suis dévoué. FÉNELON

1124. À G. DE SÈVE DE ROCHECHOUART [Février 1707?].

… Les hommes qui portent le nom de chrétiens n’ont plus la même simplicité, la même docilité, la même préparation d’esprit et de cœur.480. Il faut regarder la plupart de nos fidèles comme des gens qui ne sont chrétiens que par leur baptême reçu dans leur enfance sans connaissance ni engagement volontaire. Ils n’osent en rétracter les promesses, de peur que leur impiété ne leur attire l’horreur du public. Ils sont même trop inappliqués et trop indifférents sur la religion, pour vouloir se donner la peine de la contredire. Ils seraient néanmoins fort aises de trouver sans peine sous leur main, dans les livres qu’on nomme divins, de quoi secouer le joug, et flatter leurs passions. À peine peut-on regarder de tels hommes comme des catéchumènes. Les catéchumènes qui se préparaient autrefois au martyre en même temps qu’au baptême, étaient infiniment supérieurs à ces chrétiens qui n’en portent le nom que pour le profaner. D’un autre côté les pasteurs ont perdu cette grande autorité que les anciens pasteurs savaient employer avec tant de douceur et de force. Maintenant les laïques sont toujours prêts à plaider contre leurs pasteurs devant les juges séculiers, même sur la discipline ecclésiastique. Il ne faut pas que les évêques se flattent sur cette autorité. Elle est si affaiblie, qu’à peine en reste-t-il des traces dans l’esprit des peuples. On est accoutumé à nous regarder comme des hommes riches et d’un rang distingué, qui donnent des bénédictions, des dispenses et des indulgences. Mais l’autorité qui vient de la confiance, de la vénération, de la docilité et de la persuasion des peuples, est presque effacée. On nous regarde comme des seigneurs qui dominent, et qui établissent au-dehors une police rigoureuse. Mais on ne nous aime point comme des pères tendres et compatissants qui se font tout à tous. Ce n’est point à nous qu’on va demander conseil, consolation, direction de conscience. …

1954. Au P. LE TELLIER [6 janvier 1715].

Je viens de recevoir l’extrême-onction. C’est dans cet état, mon Révérend Père, où je me prépare à aller paraître devant Dieu, que je vous prie instamment de représenter au Roi mes véritables sentiments…




À des religieuses



355. LSP 23. À UNE RELIGIEUSE. [À Versailles, avant le 13 mars 1696 ?].

… Pour tous les dons extraordinaires, il me semble qu’il y a deux règles importantes à observer, faute desquelles les plus grands dons de Dieu même se tournent en illusion. La première de ces règles est de croire qu’un état de pure et nue foi est plus parfait que l’attachement à ces lumières et à ces dons. Quand on s’attache à ces dons, on s’attache à ce qui n’est que moyen, et peut-être même moyen trompeur. De plus, ces moyens remplissent l’âme d’elle-même, et augmentent sa vie propre, au lieu de la désapproprier et de la faire mourir. Au contraire, l’état de pure et nue foi dépouille l’âme, lui ôte toute ressource en elle-même et toute propriété, la tient dans des ténèbres exemptes de toute illusion, car on ne se trompe qu’en croyant voir ; enfin ne lui laisse aucune vie, et l’unit immédiatement à sa fin, qui est Dieu même.

La seconde règle, qui n’est qu’une suite de la première, est de n’avoir jamais aucun égard aux lumières et aux dons qu’on croit recevoir, et d’aller toujours par le non-voir, comme parle le bienheureux Jean de la Croix. Si le don est véritablement de Dieu, il opérera par lui-même dans l’âme, quoiqu’elle n’y adhère pas. Une disposition aussi parfaite que la simplicité de la pure foi, ne peut jamais être un obstacle à l’opération de la grâce. Au contraire, cet état étant celui où l’âme est plus désappropriée de tous ses mouvements naturels, elle est par conséquent plus susceptible de toutes les impressions de l’esprit de Dieu. Alors si Dieu lui imprimait quelque chose, cette chose passerait comme au travers d’elle, sans qu’elle y eût aucune part. Elle verrait ce que Dieu lui ferait voir, sans aucune lumière distincte, et sans sortir de cette simplicité de la pure foi dont nous avons parlé. Si, au contraire, ces lumières et ces dons ne sont pas véritablement de Dieu, on évite une illusion très dangereuse en n’y adhérant pas : d’où il s’ensuit qu’il faut toujours également, dans tous les cas, non seulement pour la sûreté, mais encore pour la perfection de l’âme, outrepasser les plus grands dons, et marcher dans la pure foi, comme si on ne les avait pas reçus. Plus on a de peine à s’en déprendre, plus ils sont suspects de plénitude et de propriété ; au lieu que l’âme doit être entièrement nue et vide pour la vraie opération de Dieu en elle. Tout ce qui est goût et ferveur sensible, image créée, lumière distincte et aperçue, donne une fausse confiance, et fait une impression trop vive; on les reçoit avec joie, et on les quitte avec peine. Au contraire, dans la nudité de la pure foi, on ne voit rien et on ne veut rien voir, on n’a plus en soi ni pensée ni volonté; on trouve tout dans cette simplicité générale, sans s’arrêter à rien de distinct; on ne possède rien, mais on est possédé. Je conclus que le plus grand bien qu’on puisse faire à une âme, c’est de la déprendre de ces lumières et de ces dons, qui peuvent être un piège, et qui tout au moins sont certainement un milieu entre Dieu et elle.

Pour les austérités, elles ne sont pas exemptes d’illusions non plus que le reste ; l’esprit se remplit souvent de lui-même à mesure qu’il abat la chair. Une marque certaine que l’âme nourrit une vie secrète dans les mortifications du corps, c’est de voir qu’elle tient à ces mortifications, et qu’elle a regret à les quitter. La mortification de la chair ne produit pas la mort de la volonté. Si la volonté était morte, elle serait indifférente dans la main du supérieur, et également souple en tout sens. Ainsi plus on a d’attachement à ses mortifications extérieures, moins le fond de l’âme est réellement mortifié. Si Dieu avait des desseins d’attirer une âme à des austérités extraordinaires, ce serait toujours par la voie du renoncement total à sa pensée et à sa volonté propre. Mais tel qui est insatiable de mortification des sens, manque de courage pour supporter la profonde mort qui est dans le renoncement à toute propre volonté. …

1953. À UNE RELIGIEUSE. À Cambray, 30 décembre 1714.

Je reçois, Madame, diverses lettres où l’on me presse de plus en plus de vous voir au plus tôt, de m’ouvrir à vous sans réserve, et de vous engager à la même ouverture. Je ne sais d’où me viennent ces lettres. Je suppose que ces personnes, inconnues pour moi, sont instruites à fond des grâces que Dieu vous fait. Je serais ravi d’en profiter, quoique je n’aie jamais eu aucune occasion de vous voir. Je me recommande même de tout mon cœur à vos prières. Enfin je vous conjure de me faire savoir en toute simplicité tout ce que vous auriez peut-être au cœur de me dire. Il me semble que je le recevrais avec reconnaissance et vénération. Vous pouvez compter sur un secret inviolable. Pour ce qui est de vous aller voir, je ne manquerais pas de le faire, si vous étiez dans mon diocèse ; mais vous savez mieux qu’une autre les réserves qui sont nécessaires dans toutes les communautés. Un tel voyage surprendrait tout le pays, et pourrait même vous causer de l’embarras. Les lettres sont sans éclat. Je recevrai avec ingénuité, et même, je l’ose dire, avec petitesse, tout ce que vous croirez être selon Dieu et venir de son esprit. Quoique je sois en autorité pastorale, je veux être, pour ma personne, le dernier et le plus petit des enfants de Dieu. Je suis prêt, ce me semble, à recevoir des avis, et même des corrections, de toutes les bonnes âmes. Je ne cherche qu’à être sans jugement et sans volonté propre dans les mains de l’Église notre sainte mère. Parlez donc en pleine liberté, si Dieu vous donne quelque chose pour mon édification personnelle. Je voudrais être soumis, comme parle l’apôtre, à toute créature humaine 3, pour mourir à mon amour-propre et à mon orgueil. C’est sur les lettres de gens inconnus que je vous parle avec tant de franchise. Vous ne me connaissez point. Je ne devrais pas, selon la sagesse humaine, faire ces avances : mais j’ai ouï dire que vous cherchez Dieu. En voilà assez pour un homme qui ne veut chercher que lui. C’est avec la plus grande sincérité que je vous honore, Madame, et que je vous suis dévoué en notre Seigneur Jésus-Christ.

355. LSP 23 A UNE RELIGIEUSE.

[À Versailles, avant le 13 mars 1696 ?].

Vous pouvez avoir lu, dans sainte Thérèse, que tous les dons les plus éminents sont soumis à l’obéissance, et que la docilité est la marque qu’ils viennent de Dieu, faute de quoi ils seraient suspects. Supposé même qu’on se trouvât dans l’impuissance d’obéir, il faudrait avec esprit de soumission et de simplicité, exposer son impuissance, afin que les supérieurs y eussent l’égard qu’ils jugeraient à propos. On doit en même temps être tout prêt à essayer d’obéir aussi souvent que les supérieurs le demanderont, parce que ces impuissances ne sont souvent qu’imaginaires, et qu’on ne doit les croire véritables, qu’après avoir essayé souvent de les vaincre avec petitesse, souplesse et docilité.

Pour tous les dons extraordinaires, il me semble qu’il y a deux règles importantes à observer, faute desquelles les plus grands dons de Dieu même se tournent en illusion. La première de ces règles est de croire qu’un état de pure et nue foi est plus parfait que l’attachement à ces lumières et à ces dons. Quand on s’attache à ces dons, on s’attache à ce qui n’est que moyen, et peut-être même moyen trompeur. De plus, ces moyens remplissent l’âme d’elle-même, et augmentent sa vie propre, au lieu de la désapproprier et de la faire mourir. Au contraire, l’état de pure et nue foi dépouille l’âme, lui ôte toute ressource en elle-même et toute propriété, la tient dans des ténèbres exemptes de toute illusion, car on ne se trompe qu’en croyant voir ; enfin ne lui laisse aucune vie, et l’unit immédiatement à sa fin, qui est Dieu même.

La seconde règle, qui n’est qu’une suite de la première, est de n’avoir jamais aucun égard aux lumières et aux dons qu’on croit recevoir, et d’aller toujours par le non-voir, comme parle le bienheureux Jean de la Croix. Si le don est véritablement de Dieu, il opérera par lui-même dans l’âme, quoiqu’elle n’y adhère pas. Une disposition aussi parfaite que la simplicité de la pure foi, ne peut jamais être un obstacle à l’opération de la grâce. Au contraire, cet état étant celui où l’âme est plus désappropriée de tous ses mouvements naturels, elle est par conséquent plus susceptible de toutes les impressions de l’esprit de Dieu. Alors si Dieu lui imprimait quelque chose, cette chose passerait comme au travers d’elle, sans qu’elle y eût aucune part. Elle verrait ce que Dieu lui ferait voir, sans aucune lumière distincte, et sans sortir de cette simplicité de la pure foi dont nous avons parlé. Si, au contraire, ces lumières et ces dons ne sont pas véritablement de Dieu, on évite une illusion très dangereuse en n’y adhérant pas : d’où il s’ensuit qu’il faut toujours également, dans tous les cas, non seulement pour la sûreté, mais encore pour la perfection de l’âme, outrepasser les plus grands dons, et marcher dans la pure foi, comme si on ne les avait pas reçus. Plus on a de peine à s’en déprendre, plus ils sont. suspects de plénitude et de propriété ; au lieu que l’âme doit être entièrement nue et vide pour la vraie opération de Dieu en elle. Tout ce qui est goût et ferveur sensible, image créée, lumière distincte et aperçue, dorme une fausse confiance, et fait une impression trop vive; on les reçoit avec joie, et on les quitte avec peine. Au contraire, dans la nudité de la pure foi, on ne voit rien et on ne veut rien voir, on n’a plus en soi ni pensée ni volonté; on trouve tout dans cette simplicité générale, sans s’arrêter à rien de distinct; on ne possède rien, mais on est possédé. Je conclus que le plus grand bien qu’on puisse faire à une âme, c’est de la déprendre de ces lumières et de ces dons, qui peuvent être un piège, et qui tout au moins sont certainement un milieu entre Dieu et elle.

Pour les austérités, elles ne sont pas exemptes d’illusions non plus que le reste ; l’esprit se remplit souvent de lui-même à mesure qu’il abat la chair. Une marque certaine que l’âme nourrit une vie secrète dans les mortifications du corps, c’est de voir qu’elle tient à ces mortifications, et qu’elle a regret à les quitter. La mortification de la chair ne produit pas la mort de la volonté. Si la volonté était morte, elle serait indifférente dans la main du supérieur, et également souple en tout sens. Ainsi plus on a d’attachement à ses mortifications extérieures, moins le fond de l’âme est réellement mortifié. Si Dieu avait des desseins d’attirer une âme à des austérités extraordinaires, ce serait toujours par la voie du renoncement total à sa pensée et à sa volonté propre. Mais tel qui est insatiable de mortification des sens, manque de courage pour supporter la profonde mort qui est dans le renoncement à toute propre volonté.

La conclusion de tout ce grand discours, ma très honorée sœur, est qu’il me semble que vous devez laisser décider la mère prieure sur vos austérités, ne lui demandant ni d’en faire peu ni d’en faire beaucoup. Quand on marque un désir ardent, et qu’on demande des permissions, on les arrache. Ce n’est plus la simple volonté de la supérieure qu’on fait, c’est la sienne propre, à laquelle on plie celle de la supérieure. Votre maison a déjà beaucoup d’austérités ; n’y ajoutez que celles qu’on vous conseillera. Dieu saura les tourner à profit. Je vous suis toujours dévoué en lui.

LSP 27.*A UNE RELIGIEUSE

Je ne saurais vous exprimer, ma chère sœur, à quel point je ressens vos peines ; mais ma douleur n’est pas sans consolation. Dieu vous aime, puisqu’il ne vous épargne pas, et qu’il appesantit la croix de Jésus-Christ sur vous. Toutes les lumières et tous les sentiments de ferveur se tournent en illusion, si on n’en vient pas à la pratique réelle et continuelle de la mort à soi-même. On ne saurait mourir sans douleur, on ne saurait mourir qu’autant que la mort attaque tout ce qu’il y a de vif en nous. La mort que Dieu opère va chercher jusque dans les moelles et dans les jointures, pour diviser l’âme avec l’esprit. Dieu, qui voit en nous ce que nous n’y voyons pas, sait précisément où il faut appliquer l’opération de mort: il prend ce que nous craignons le plus de lui donner. La douleur montre la vie, et c’est la vie qui fait le besoin de la mort. Dieu ne s’arrêtera point à faire des incisions dans le mort ; il le ferait s’il voulait laisser vivre : mais il veut tuer, il coupe dans le vif. Il ne vous attaquera point dans des attachements profanes et grossiers, auxquels vous avez renoncé dès que vous vous êtes donnée à lui. Que peut-il donc faire ? Il vous éprouvera par le sacrifice de votre avidité pour les consolations, les plus spirituelles.

Il faut tout souffrir. La mort qu’il veut opérer en vous doit être volontaire. Vous ne mourrez à vous-même qu’autant que vous voudrez bien y mourir. Ce n’est pas mourir que de résister à la mort, et de la repousser. Il faut donc se délaisser volontairement au bon plaisir de Dieu, pour être privée de tous les secours, même spirituels, qu’il vous ôte. Que craignez-vous, personne de peu de foi ? Craignez-vous qu’il ne puisse pas suppléer par lui-même ce qu’il vous soustrait du côté des hommes ? Eh ! pourquoi vous le soustrait-il, sinon pour le suppléer, et pour purifier votre foi par cette douloureuse épreuve ? Je vois que tous les chemins sont fermés, et que Dieu veut faire son œuvre en vous par le retranchement de toute main d’homme pour l’accomplir. Il est jaloux ; il ne veut devoir qu’à lui seul ce qu’il veut faire en vous.

Entrez dans ses desseins, et laissez-vous y porter par sa providence. Gardez-vous bien de chercher des ressources dans les hommes, puisque Dieu vous les ôte ; ils n’ont que ce qui vient de lui. Pourquoi vous troubler quand la source vous ôte tout canal, et qu’elle se communique immédiatement à vous ? D’un côté, vous n’avez aucun sentiment qui ne soit pur, et entièrement soumis à l’Église: ainsi, quand vos supérieurs vous interrogent, vous n’avez qu’à leur dire avec ingénuité ce que vous pensez, et avec quelle docilité vous êtes prête à vous laisser redresser. D’un autre côté, vous n’avez qu’à vous taire, qu’à obéir, qu’à porter la croix. Tout est décidé pour vous par la règle de votre maison. Laissez les autres faire et dire, votre silence sera votre sagesse, et votre faiblesse sera votre force. À l’égard de vos communions, évitez tout ce qui pourrait engager un confesseur prévenu à faire des retranchements ; mais si l’on en faisait, il faudrait les porter en paix, et croire qu’on n’est jamais plus uni à Jésus-Christ, que quand on est souvent privé de lui par pure obéissance, sans s’attirer cette privation. Il sait combien je suis touché de vos peines, et avec quel zèle je suis, etc.

LSP 28.*A UNE RELIGIEUSE

Pour la discrétion481, je ne voudrais point que vous travaillassiez à l’acquérir par des efforts continuels de réflexion sur vous-même: il y aurait en cela trop de gêne. Il vaut mieux se taire, et trouver la discrétion dans la simplicité du silence. Il ne faut pourtant pas tellement se taire, que vous manquiez d’ouverture et de complaisance dans les récréations ; mais alors il ne faut parler que de choses à peu près indifférentes, et supprimer tout ce qui peut avoir quelque conséquence. Il faut dans ces récréations ce que saint François de Sales appelle joyeuseté, c’est-à-dire, se réjouir et réjouir les autres en disant des riens. C’est une science que Dieu vous donnera suivant le besoin. Vous deviendrez prudente quand vous ne tiendrez plus à votre propre esprit482. C’est celui de Dieu qui donne la véritable sagesse : le nôtre ne nous donne qu’une vaine composition, qu’un arrangement, qu’une apparence qui éblouit, qu’une fausse capacité. Quand on est bien simple et bien petit, à force de s’être dépouillé de sa propre sagesse, on est revêtu de celle de Dieu, qui ne fait point de fautes, et qui ne nous en laisse faire qu’autant que nous avons besoin d’être humiliés. […]

1567. LSP 24. À LA MÈRE MARIE DE L’ASCENSION [M.-M. DE CHANTÉRAC]. 19 juillet 1712.

J’espère, ma chère nièce483, que Dieu, qui vous a appelée à conduire vos sœurs, vous ôtera votre propre esprit, et vous donnera le sien pour faire son œuvre. L’œuvre de Dieu est de le faire aimer, et de nous détruire, afin qu’il vive seul en nous. Votre fonction est donc de faire mourir l’homme et aimer Dieu. Ne devez-vous pas mourir, pour faire mourir les autres ? ne devez-vous pas aimer, pour leur inspirer l’amour? Nulle instruction n’est efficace que par l’exemple. Nulle autorité n’est supportable qu’autant que l’exemple l’adoucit. Commencez donc par faire, et puis vous parlerez. L’action parle et persuade. La parole seule n’est que vanité. Soyez la plus petite, la plus pauvre, la plus obéissante, la plus recueillie, la plus détachée, la plus régulière de toute la maison. Obéissez à la règle, si vous voulez qu’on vous obéisse, ou, pour mieux dire, faites obéir, non à vous, mais à la règle, après que vous lui aurez obéi la première. Ne flattez aucune imperfection, mais supportez toutes les infirmités. Attendez les âmes qui vont lentement. Vous courriez risque de les décourager par votre impatience. Plus vous aurez besoin de force, plus il faudra y joindre de douceur et de consolation. Puisque le joug du Seigneur est doux et léger, pourquoi faut-il que celui des supérieurs soit rude et pesant ? Ou soyez mère par la tendresse et la compassion, ou ne la soyez point par la place. Il faut vous mettre par la condescendance aux pieds de toutes celles qui vous ont mise au-dessus de leur tête par leur élection. Souffrez. Ce n’est que par la croix qu’on reçoit l’esprit de Jésus-Christ et sa vertu pour gagner les âmes. Les supérieurs sans croix sont stériles pour former des enfants de grâce. Une croix bien soufferte nous acquiert une autorité infinie, et donne bénédiction à tout ce qu’on fait. Il ne fut montré à saint Paul les biens qu’il devait faire, qu’avec les maux qu’il devait souffrir. Ce n’est que par la souffrance qu’on apprend à compatir et à consoler. Prenez conseil des personnes expérimentées. Parlez peu. Écoutez beaucoup. Songez bien plus à connaître les esprits, et à vous proportionner à leurs besoins, qu’à leur dire de belles choses. Montrez un cœur ouvert, et faites que chacun voie par expérience, qu’il y a sûreté et consolation à vous ouvrir le sien. Fuyez toute rigueur. Corrigez même avec bonté et avec ménagement. Ne dites que ce qu’il faut dire; mais ne dites rien qu’avec une entière franchise. Que personne ne craigne de se tromper en vous croyant. Décidez un peu tard, mais avec fermeté. Suivez chaque personne sans la perdre de vue, et courez après, si elle vous échappe pour s’écarter. Il faut vous faire toute à tous les enfants de Dieu, pour les gagner tous. Corrigez-vous pour corriger les autres. Faites-vous dire vos défauts, et croyez ce qu’on vous dira de ceux que l’amour-propre vous cache. Je suis, ma chère nièce, plein de zèle pour vous, et dévoué à tous vos intérêts en notre Seigneur.

FRANÇOIS Duc DE CAMBRAY Prince du St Empire.



À des dames 

LSP 128.*A UNE DAME

Il me paraît nécessaire que vous joigniez ensemble une grande exactitude et une grande liberté. L’exactitude vous rendra fidèle, et la liberté vous rendra courageuse. Si vous vouliez être exacte sans être libre, vous tomberiez dans la servitude et dans le scrupule ; et si vous vouliez être libre sans être exacte, vous iriez bientôt à la négligence et au relâchement. L’exactitude seule nous rétrécit l’esprit et le cœur, et la liberté seule les étend trop. Ceux qui n’ont nulle expérience des voies de Dieu ne croient pas qu’on puisse accorder ensemble ces deux vertus. Ils comprennent par être exact, vivre toujours dans la gêne, dans l’angoisse, dans une timidité inquiète et scrupuleuse qui fait perdre à l’âme tout son repos, qui lui fait trouver des péchés partout, et qui la met si fort à l’étroit, qu’elle se dispute à elle-même jusqu’aux moindres choses, et qu’elle n’ose presque respirer. Ils appellent être libre, avoir une conscience large, n’y prendre pas garde de si près, se contenter d’éviter les fautes considérables, et ne compter pour fautes considérables que les gros crimes ; se permettre hors de là tout ce qui flatte subtilement l’amour-propre ; et, quelque licence qu’on se donne du côté des passions, se calmer et se consoler aisément, par la seule pensée qu’on n’y croyait pas un grand mal. Ce n’était pas ainsi que saint Paul concevait les choses, quand il disait à ceux à qui il avait donné la vie de la grâce, et dont il tâchait de faire des chrétiens parfaits : Soyez libres, mais de la liberté que Jésus-Christ vous a acquise; soyez libres, puisque le Sauveur vous a appelés à la liberté : mais que cette liberté ne vous soit pas une occasion ni un prétexte de faire le mal484.

Il me paraît donc que la véritable exactitude consiste à obéir à Dieu en toutes choses, et à suivre la lumière qui nous montre notre devoir, et la grâce qui nous y pousse; ayant pour principe de conduite de contenter Dieu en tout, et de faire toujours ce qui lui est non seulement agréable, mais, s’il se peut, le plus agréable, sans s’amuser à chicaner sur la différence des grands péchés et des péchés légers, des imperfections et des infidélités : car, quoiqu’il soit vrai que tout cela est distingué, il ne le doit pourtant plus être pour une âme qui s’est déterminée à ne rien refuser à Dieu de tout ce qu’elle peut lui donner. Et c’est en ce sens que l’Apôtre dit, que la loi n’est point établie pour le juste485. Loi gênante, loi dure, loi menaçante ; loi, si on l’ose dire, tyrannique et captivante : mais il a une loi supérieure qui l’élève au-dessus de tout cela, et qui le fait entrer dans la vraie liberté des enfants ; c’est de vouloir toujours faire ce qui plaît le plus au Père céleste, selon cette excellente parole de saint Augustin : «Aimez, et faites après cela tout ce que vous voudrez.486 »

Car si à cette volonté sincère de faire toujours ce qui nous paraît le meilleur aux yeux de Dieu, vous ajoutez de le faire avec joie, de ne se point abattre quand on ne l’a pas fait, de recommencer cent et cent fois à le mieux faire, d’espérer toujours qu’à la fin on le fera, de se supporter soi-même dans ses faiblesses involontaires comme Dieu nous y supporte, d’attendre en patience les moments qu’il a marqués pour notre parfaite délivrance, de songer cependant à marcher avec simplicité et selon nos forces dans la voie qui nous est ouverte, de ne point perdre le temps à regarder derrière soi ; de nous étendre et de nous porter toujours, comme dit l’Apôtre487, à ce qui est devant nous; de ne point faire sur nos chutes une multitude inutile de retours qui nous arrêtent, qui nous embarrassent l’esprit, et qui nous abattent le cœur; de nous en humilier et d’en gémir à la première vue qui nous en vient, mais de les laisser là aussitôt après pour continuer notre route; de ne point interpréter tout contre nous avec une rigueur littérale et judaïque ; de ne pas regarder Dieu comme un espion qui nous observe pour nous surprendre, et comme un ennemi qui nous tend des pièges, mais comme un père qui nous aime et nous veut sauver ; pleins de confiance en sa bonté, attentifs à invoquer sa miséricorde, et parfaitement détrompés de tout vain appui sur les créatures et sur nous-mêmes : voilà le chemin et peut-être le séjour de la véritable liberté.

Je vous conseille, autant que je puis, d’y aspirer. L’exactitude et la liberté doivent marcher d’un pas égal ; et en vous, s’il y en a une des deux qui demeure derrière l’autre, c’est, à ce qu’il me paraît, la liberté, quoique j’avoue que l’exactitude ne soit pas encore au point que je la désire : mais enfin je crois que vous avez plus besoin de pencher du côté de la confiance en Dieu et d’une grande étendue de cœur. C’est pour cela que je ne balance point à vous dire que vous devez vous livrer tout entière à la grâce que Dieu vous fait quelquefois de vous appliquer assez intimement à lui. Ne craignez point alors de vous perdre de vue, de le regarder uniquement et d’aussi près qu’il voudra bien vous le permettre, et de vous plonger tout entière dans l’océan de son amour: trop heureuse si vous pouviez le faire si bien, que vous ne vous retrouvassiez jamais. Il est bon néanmoins, lorsque Dieu vous donnera cette disposition, de finir toujours, quand la pensée vous en viendra, par un acte d’humilité et de crainte respectueuse et filiale, qui préparera votre âme à de nouveaux dons. C’est le conseil que donne sainte Thérèse488, et que je crois pouvoir vous donner.

LSP 199.*A UNE DAME

Vous n’avez, ma chère fille, qu’à porter vos infirmités, tant de corps que d’esprit. C’est quand je suis faible, dit l’Apôtre, que je me trouve fort489: la vertu se perfectionne dans l’infirmité. Nous ne sommes forts en Dieu, qu’à proportion que nous sommes faibles en nous-mêmes. Votre faiblesse fera donc votre force, si vous y consentez par petitesse.

On serait tenté de croire que la faiblesse et la petitesse sont incompatibles avec l’abandon, parce qu’on se représente l’abandon comme une force de l’âme, qui fait, par générosité d’amour et par grandeur de sentiments, les plus héroïques sacrifices. Mais l’abandon véritable ne ressemble point à cet abandon flatteur. L’abandon490 est un simple délaissement dans les bras de Dieu, comme celui d’un petit enfant dans les bras de sa mère. L’abandon parfait va jusqu’à abandonner l’abandon même. On s’abandonne sans savoir qu’on est abandonné: si on le savait, on ne le serait plus ; car y a-t-il un plus puissant soutien qu’un abandon connu et possédé ? L’abandon se réduit, non à faire de grandes choses qu’on puisse se dire à soi-même, mais à souffrir sa faiblesse et son impuissance, mais à laisser faire Dieu, sans pouvoir se rendre témoignage qu’on le laisse faire. Il est paisible, car il n’y aurait point de sincère abandon, si on était encore inquiet pour ne laisser pas échapper et pour reprendre les choses abandonnées. Ainsi l’abandon est la source de la vraie paix, et sans la paix l’abandon est très imparfait.

Si vous demandez une ressource dans l’abandon, vous demandez de mourir sans perdre la vie. Tout est à recommencer. Rien ne prépare à s’abandonner jusqu’au bout, que l’abandon actuel en chaque moment. Préparer et abandonner sont deux choses qui s’entredétruisent. L’abandon n’est abandon qu’en ne préparant rien. Il faut tout abandonner à Dieu, jusqu’à l’abandon même. Quand les Juifs furent scandalisés de la promesse que Jésus-Christ faisait de donner sa chair à manger, il dit à ses disciples : ne voulez-vous pas aussi vous en aller? 491 Il met le marché à la main de ceux qui tâtonnent. Dites-lui donc comme saint Pierre : Seigneur, à qui irions-nous? vous avez les paroles de vie éternelle.

LSP 160.*A UNE DAME

Dieu vous aime, puisqu’il a tant de jalousie à votre égard, et qu’il a soin de vous faire sentir jusqu’aux moindres fautes que vous commettez. Quand vous apercevrez quelque faute qui vous indispose pour l’oraison, contentez-vous de vous humilier sous la main de Dieu, et de recevoir cette interruption des grâces sensibles, comme la pénitence que vous avez méritée. Ensuite demeurez en paix; ne recherchez point par amour-propre ce plaisir qui peut vous venir de la société des bonnes gens qui vous honorent ; mais aussi ne vous faites point un scrupule de recevoir cette consolation quand la Providence vous l’envoie. Laissez tomber l’excès de sensibilité que vous éprouvez dans de telles consolations. Il suffit que votre volonté ne s’y livre pas, et que vous soyez sincèrement déterminée à vous en passer toutes les fois qu’elles cesseront.

Vous voulez savoir ce que Dieu demande de vous là-dessus ; et je vous réponds que Dieu veut que vous preniez ce qui vient, et que vous ne couriez point au-devant de ce qui ne se présente point. Recevez avec simplicité ce qui vous est donné, n’y regardant que Dieu seul qui vous le donne pour soutenir votre faiblesse, et portez avec foi la privation de toutes les choses dont Dieu vous prive pour vous détacher. Quand vous prendrez ainsi également les inégalités des hommes à votre égard, que Dieu permet tout exprès pour vous éprouver par ces espèce de secousses, vous verrez que les consolations ne vous saisiront plus jusqu’à vous dissiper et à troubler votre oraison, et que les privations ne se tourneront plus en découragement et en dépit.

Ne quittez point vos deux temps réglés d’oraison pour le matin et pour le soir. Ils sont courts : vous les passerez facilement, moitié ennui et distraction involontaires, moitié retour à votre occupation de Dieu. Pour le reste de la journée, laissez-vous aller au recueillement, à mesure que vous vous y trouverez disposée. Il faut seulement y mettre deux bornes l’une, qu’il ne vous détournera d’aucun de vos devoirs extérieurs; l’autre, que vous prendrez garde que ce recueillement n’épuise peu à peu votre tête et ne mine insensiblement votre très délicate santé.

Marchez avec confiance et sans crainte. La crainte resserre le cœur; la confiance l’élargit: la crainte est le sentiment des esclaves ; l’amour de confiance est le sentiment des enfants.

Pour vos misères, il faut vous accoutumer à les voir avec une sincère condamnation, sans vous impatienter ni décourager. Pour un travail paisible, par rapport à la correction, ramenez votre cœur, autant que vous le pourrez, au calme de l’oraison et à la présence familière de Dieu pendant la journée.

LSP 161.*A UNE DAME

Je comprends que toutes vos peines viennent de ce que vous voulez trop juger de vous-même, et de ce que vous en jugez par une fausse apparence, qui est votre sentiment. Dès que vous ne trouvez point un certain goût et un attrait sensible dans l’oraison, vous êtes tentée de vous décourager. Comme vous êtes dans une solitude sèche, triste et languissante, vous n’y avez guère d’autre soutien que le plaisir de goûter la piété : ainsi il n’est pas étonnant que vous vous trouviez abattue dès que cet appui vient à vous manquer. Voulez-vous être en paix ? occupez-vous moins de vous-même, et un peu plus de Dieu. Ne vous jugez point, mais laissez-vous juger avec une entière démission d’esprit par celui que vous avez choisi pour vous conduire. Il est vrai qu’on est souvent occupé de soi sans le vouloir, et que l’imagination nous fait souvent retomber dans cette occupation pénible : mais je ne vous demande point l’impossible ; je me borne à vouloir que vous ne soyez point occupée de vous-même par choix, et que vous n’entrepreniez point volontairement de juger de votre état par vos propres lumières. Dès que vous apercevez en vous cette occupation et ce jugement, détournez-en votre vue comme d’une tentation, et ne rendez pas volontaire, par une continuation de propos délibéré, ce qui commence par pure surprise d’imagination.

Au reste, ne croyez point que cette conduite que je vous conseille vous empêche de pratiquer la vigilance sur vous-même, que Jésus-Christ recommande dans l’Évangile. La plus parfaite manière de veiller sur soi est de veiller devant Dieu contre les illusions de l’amour-propre. Or une des plus dangereuses illusions de l’amour-propre est de s’attendrir sur soi, d’être sans cesse autour de soi-même, d’être occupé de soi d’une occupation empressée et inquiète, qui trouble, qui dessèche, qui resserre le cœur, qui ôte la présence de Dieu, enfin qui nous fait juger de nous-mêmes jusqu’à nous jeter dans le découragement. Dites comme saint Paul: Et même je ne me juge point ; vous n’en veillerez que mieux sur vos défauts pour les corriger, et sur vos devoirs pour les remplir, quoique vous ne soyez point volontairement dans ces occupations inquiètes d’amour-propre. Ce sera par amour pour Dieu que vous retrancherez d’une manière simple et paisible tout ce que cet amour vigilant et jaloux vous fera apercevoir d’imparfait et d’indigne du bien-aimé. Vous travaillerez à vous corriger sans impatience et sans dépit d’amour-propre contre vos faiblesses. Vous vous supporterez humblement sans vous flatter. Vous vous laisserez juger, et vous ne ferez qu’obéir.

Cette conduite va bien plus à mourir à soi-même que celle de suivre les délicatesses, les dépits, les impatiences de l’amour-propre sur la perfection. De plus, c’est prendre une fausse règle pour juger de soi, que d’en juger par les sentiments que l’on trouve au dedans de soi-même. Dieu ne nous demande que ce qui dépend de nous ; c’est précisément notre volonté qui dépend d’elle-même. Le sentiment n’est point en notre pouvoir; nous ne pouvons ni nous le donner ni nous l’ôter comme il nous plaît. Les plus endurcis pécheurs ont quelquefois, malgré eux, de bons mouvements. Les plus grands saints ont été violemment tentés par des sentiments corrompus dont ils avaient horreur. Ces sentiments ont même servi à les humilier, à les mortifier, à les purifier. La vertu, dit saint Paul, se perfectionne dans l’infirmité. Ce n’est donc pas le sentir, mais le consentir qui nous rend coupables.

Pourquoi donc croyez-vous être loin de Dieu quand vous ne pouvez pas le goûter? Sachez qu’il est tout auprès de ceux qui ont le cœur en tribulation et en sécheresse. Vous ne pouvez point vous donner par industrie ce goût sensible. Qu’est-ce que vous voulez aimer? Est-ce le plaisir de l’amour ou le bien-aimé? Si ce n’est que le plaisir de l’amour que vous cherchez, c’est votre propre plaisir, et non celui de Dieu, qui est l’objet de vos prétentions. On impose souvent à soi-même dans la vie intérieure. On se flatte de chercher Dieu, et on ne cherche que soi dans le culte divin. On ne quitte les plaisirs du monde, que pour se faire un plaisir raffiné dans la dévotion; et comme on ne tient à Dieu que par le plaisir, on ne tient plus à lui quand la source du plaisir tarit. Il ne faut jamais se priver de ce plaisir par une recherche volontaire des autres plaisirs qui rendent indigne de celui-là: mais enfin, quand ce plaisir manque, il faut continuer à aimer sans plaisir, et mettre la consolation à servir Dieu à ses dépens, malgré les dégoûts qu’on éprouve. O que l’amour est pur quand il se soutient sans aucun goût sensible ! O que tout s’avance quand on est tenté de croire tout perdu ! O que l’amour souffrant sur le Calvaire est au-dessus de l’amour enivré sur le Thabor ! On ne peut guère compter sur une âme qui n’a point encore été sevrée du lait des consolations spirituelles.

Je ne veux plus que vous soyez une dame sage, forte et vertueuse en grand ; je veux tout en petit. Soyez une bonne petite enfant.

LSP 162.*A UNE DAME

Il faut supposer qu’il se mêle beaucoup d’imagination, de sentiments, et même de sensibilité d’amour-propre dans notre oraison. De là vient que nous sommes dans une espèce d’ivresse quand notre imagination nous donne de belles images avec des sentiments de plaisir, et que nous sommes découragés dès que ces images et ces sentiments flatteurs nous manquent ; mais cette confiance dans le bon temps et ce découragement dans le mauvais ne sont que pure illusion. Il ne faudrait ni s’élever quand l’oraison est douce, ni s’abattre quand elle devient sèche et obscure. Le fond de l’oraison demeure toujours le même, pourvu qu’on ait toujours la même volonté d’être uni à Dieu, sans s’élever des dons sensibles, et sans s’abattre de leur privation. Dieu, par ces dons sensibles, soulage quelquefois notre imagination, il aide notre esprit, il soutient notre volonté faible et prête à succomber. Il retire aussi assez souvent ses secours pour nous empêcher de nous les approprier avec une vaine confiance, et pour nous accoutumer à sa présence malgré les distractions et les sécheresses. L’oraison n’est jamais si pure, que quand on la continue par fidélité, sans plaisir ni goût.

Il est vrai que, si cette présence vous est facilitée par la considération méthodique de quelques vérités particulières, il faut vous appliquer à ces vérités pour en nourrir votre cœur; mais si ces vérités ne servent point à faciliter la présence de Dieu, et si ce n’est qu’une inquiétude scrupuleuse, vous ne ferez que vous embrouiller en vous écoutant.

Il ne dépend point de vous de dissiper les distractions involontaires, l’ennui, le dégoût et l’obscurité. Ce qui dépend de vous, moyennant la grâce de Dieu, est la patience dans cet ennui, le retour paisible à la présence de Dieu quand vous apercevez la surprise des distractions, et la fidélité pour demeurer attachée à Dieu sans plaisir par une volonté sèche et nue.

Laissez tomber les pensées de vaine complaisance comme celles de découragement, et allez toujours votre train. Le tentateur ne cherche qu’ à vous arrêter ; en ne vous arrêtant point, vous vaincrez la tentation d’une façon simple et paisible.

1975. LSP 127. À UNE DAME. 1714.

… Pour moi492, je ne suis plus qu’un squelette qui marche et qui parle, mais qui dort et qui mange peu : mes occupations me surmontent, et je ne me couche jamais sans laisser plusieurs de mes devoirs en arrière. Un vaste diocèse est un accablant fardeau à soixante-trois ans. J’ai beaucoup trop d’affaires, et vous n’en avez peut-être pas assez pour éviter l’ennui ; mais la sagesse consiste à savoir s’amuser. Trompez-vous vous-même, Madame ; inventez des occupations qui vous raniment. Les jours sont longs, quoique les années soient courtes ; il faut accourcir les jours en se traitant comme un enfant ; cette enfance est une sagesse profonde. Souvenez-vous que vous ne feriez dans le plus beau monde, rien de plus solide que ce que vous faites dans la langueur et dans l’obscurité de votre solitude; vous entendriez beaucoup de mauvais discours ; vous verriez beaucoup de personnes importunes et méprisables avec des noms distingués ; vous seriez environnée de pièges et d’exemples contagieux; vous sentiriez les traits de l’envie la plus maligne; vous éprouveriez votre propre fragilité; vous auriez bien des fautes à vous reprocher. Il est vrai que vous paraîtriez être plus dans l’abondance; mais vous n’auriez qu’un superflu très dangereux : la vanité le dépenserait, et vous rendrait peut-être encore plus dérangée, et plus embarrassée que vous ne l’êtes; vous ne songeriez sérieusement, ni à Dieu, ni à vous, ni à la mort, ni à votre salut; vous seriez, comme les autres, enivrée, ensorcelée, endurcie. …




À des Inconnus



Il s’agit essentiellement de « morceaux choisis » par les disciples pour l’édition de 1718.

LSP 163*. À UN JEUNE HOMME

Vous ne devez point douter que votre santé ne me soit fort chère. Ce qui m’est encore plus cher, est votre fidélité à Dieu. Il ne s’agit point des douceurs et des consolations qu’on voudrait goûter en le servant. Il ne dépend pas même de notre travail de nous procurer toujours une ferveur sensible. Quoiqu’il ne faille jamais s’attirer cette privation par la moindre dissipation ou négligence volontaire, il faut néanmoins se passer de ces soutiens si consolants, et continuer avec une humble patience au milieu des ténèbres et des sécheresses quand Dieu nous y met. C’est même un grand profit pour une âme constante dans le bien, que de voir toute sa pauvreté et toute son impuissance. Il importe bien plus de sentir sa misère pour recourir à Dieu, que de goûter une consolation qui tente de vaine complaisance.

O mon cher enfant, toute la vie chrétienne consiste à mourir à soi pour vivre à Dieu. Il faut donc mourir sans cesse à toutes les vies secrètes et flatteuses de l’amour-propre. Il faut être jaloux contre l’amour-propre pour l’amour de Dieu. Il faut s’exécuter à tout moment pour préférer la volonté de Dieu aux goûts naturels. Voilà le vrai contrepoison de l’illusion dans la vie spirituelle. On ne s’égare sous de beaux prétextes de perfection, qu’en recherchant ce qui nous flatte au lieu de contenter Dieu, et qu’en voulant accommoder la piété à nos arrangements, au lieu d’ assujettir tous nos goûts à la croix de Jésus-Christ. La vie qui résiste à Dieu est une vie fausse et douloureuse ; au contraire, la mort qui cède à Dieu est une mort de paix et d’union avec la véritable vie. Cette bienheureuse mort est une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu’, et la vie des consolations mondaines est une vie trompeuse. O mon cher enfant, laissons-nous mourir à tout, afin que Jésus-Christ seul vive en nous.

LSP 176.*A UNE MALADE

J’apprends, ma chère fille, que votre santé n’est pas bonne, et mon cœur en souffre une sensible douleur, quoique je veuille pour vous tout ce que Dieu veut, comme je le veux pour moi-même. Je suis persuadé que vous acquiescez à tout, et qu’au lieu de lui donner vous lui laissez prendre tout ce qu’il lui plaît. On ne donne que du sien, et c’est ce que vous ne voulez pas avoir en ce monde ; mais un domestique laisse prendre par son maître le tout ou partie de ce que le maître lui a confié. Faites ainsi de votre vie corporelle. Mon âme est toujours dans mes mains; laissez-la passer dans celles de Dieu à son gré. O qu’on est vivant dans la vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu, quand on est mort à la fausse vie de la terre !

La véritable vie est inconnue et incompréhensible au monde insensé. Il y a même une infinité de sages et demi-dévots qui bornent leur dévotion à regarder de loin la mort avec une certaine soumission à la Providence, sans laisser Dieu opérer en eux le détachement foncier de la vie. Il n’y a que la mort de l’esprit qui prépare bien à celle du corps. Certaines gens pensent souvent à la mort du corps sans laisser mourir leur esprit: au contraire, la mort de l’esprit rend indifférent à la mort du corps, lors même qu’on n’en est pas directement occupé. Sainte Monique disait à son fils Augustin’: «Mon fils, il n’y a plus rien qui me plaise en cette vie; je ne sais plus ce que je fais ici-bas, ni pourquoi j’y suis, toute espérance y étant éteinte pour moi.» Voilà la mort après laquelle il ne coûte plus rien de mourir. Il n’y a de fausse vie que l’amour-propre ; il n’y a de véritable vie que l’amour de Dieu. Dès que l’amour de Dieu a pris toute la place de l’amour-propre, on est mort à toute fausse vie, et vivant de la véritable. Il n’y a de vie que dans cette heureuse mort.

Voilà le nouvel homme qui se renouvelle de jour en jour pendant que le vieux se corrompt. Faites cela et vous vivrez, dit Jésus-Chrise. Laissez Dieu être l’unique Dieu de votre cœur; qu’il y brise l’idole du moi; que vous ne pensiez plus à vous par amour propre ; que vous soyez uniquement occupée de Dieu, comme vous l’avez été du moi sous de beaux prétextes. Sacrifiez-le-moi à Dieu ; alors paix, liberté et vie, malgré la douleur, la faiblesse et la mort même.

Ménagez vos forces d’esprit et de corps. Supportez-vous avec petitesse. M[...].. est votre bâton : on porte le bâton dont on est soutenu. Que ne puis-je vous aller voir ! Mais que dis-je ? Dieu nous rapproche et nous unit ; je suis en esprit au milieu de vous tous493. Je prie Jésus enfant de vous apetisser de plus en plus. La force cachée de Jésus n’est que dans son enfance toute nue, toute pauvre d’esprit, tout abandonnée.

LSP 4*À UN SUPÉRIEUR DE COMMUNAUTÉ

Vous vous laissez trop aller, Monsieur, à la vivacité de vos sentiments. Vous ne vous êtes point mis dans la place où vous êtes ; c’est la Providence qui vous y a engagé. […] Accoutumez ceux que vous gouvernez à vous montrer leurs imperfections avec confiance : montrez-leur un cœur de père, et une condescendance qui aille aussi loin que les règles essentielles le permettront; attendez un chacun selon son besoin. Conduisez-les, non par des décisions générales, mais en vous proportionnant au besoin d’un chacun. Il faut se faire tout à tous par un discernement de grâce, et supporter les faibles pendant qu’on perfectionne les forts. On voit même souvent le bout de son autorité ; si on la voulait pousser trop loin, on révolterait la multitude.

Il faut avoir égard à l’état où l’on a pris les inférieurs, et se souvenir des indispositions où l’on les a trouvés, pour se contenter de peu. […] Après avoir tâché de dire la vérité et de la développer, il faut attendre qu’elle fasse elle-même ce que nous ne pouvons pas exécuter, qui est de persuader les hommes et de se faire aimer d’eux.

Faites donc ce que vous pourrez au jour la journée, et ne prétendez pas procurer la gloire de Dieu plus qu’il ne la veut. Contentez-vous du pain quotidien de sa volonté: que voulez-vous de plus ? Lisez, mais préférez l’oraison à la lecture des livres de science. O que je souhaite que vous comptiez pour peu la science qui enfle, et que vous ne viviez que de la charité qui édifie! Amortissez la curiosité et l’esprit naturel par le recueillement et par l’occupation familière de la présence de Dieu ; apaisez doucement votre imagination trop vive, pour écouter Dieu. C’est dans la prière seule que vous trouverez le conseil, le courage, la patience, la douceur, la fermeté, le ménagement des esprits. C’est là que vous apprendrez à gouverner sans trouble. C’est dans le silence, que Dieu vous ôtera votre esprit pour vous donner le sien. Il faut qu’il soit lui seul tout en toutes choses. Quand Dieu sera tout en vous, il atteindra d’un bout à l’autre avec force et douceur. Priez donc pour toutes choses. Vous ne sauriez trop prier. Si vous décidez et si vous agissez sans prière, votre propre esprit vous agitera beaucoup, vous attirera bien des contradictions, vous causera des doutes et des incertitudes très pénibles, et vous vous épuiserez à pure perte : mais, si vous êtes fidèle à la prière, votre purgatoire se changera en un paradis terrestre, et vous ferez plus de bien en un jour dans la paix, que vous n’en faites en un mois dans le trouble. Ne songez point à la distance des lieux. Ceux qui sont intimement unis en Dieu se trouvent sans cesse ensemble, au lieu que ceux qui habitent la même maison sans habiter le cœur de Dieu, sont dans un éloignement infini sous un même toit. Je suis, etc.

1238. LSP 5. À M.***. À C[ambrai] 11 septembre 1708.

Je suis fort aise, Monsieur, d’apprendre par vous-même, avec quelle application vous avez cherché la vérité, malgré vos anciennes préventions. Cette droiture vous attirera de grandes bénédictions pour votre conduite personnelle, pour votre ministère en faveur de votre troupeau. Rien n’est si important que la simplicité et la sincère défiance de son propre esprit. Si chacun était occupé de la prière, du recueillement, de la charité, du mépris de soi-même, et du renoncement à une vaine réputation d’esprit et de science, toutes les disputes seraient bientôt apaisées. […] Quels hommes font les schismes et les hérésies? Ce sont des hommes savants, curieux, critiques, pleins de leurs talents, animés par un zèle âpre et pharisaïque pour la réforme, dédaigneux, indociles, et impérieux. Ils peuvent avoir une régularité de mœurs, un courage roide et hautain, un zèle amer contre les abus, une application sans relâche à l’étude et à la discipline. Mais vous n’y trouverez ni douceur, ni support du prochain, ni patience, ni humilité, ni vraie oraison. […]. Je suis, Monsieur, très sincèrement tout à vous494. FR. AR. D. DE C.

LSP 37.*A UNE CONVERTIE

La lettre que vous m’avez écrite ne me laisse rien à désirer; elle dit tout pour le passé; elle promet tout pour l’avenir. A l’égard du passé, il ne reste qu’à l’abandonner à Dieu avec une humble confiance, et qu’à le réparer par une fidélité sans relâche. On demande des pénitences pour le passé : en faut-il de plus grandes et de plus salutaires, que de porter les croix présentes ? C’est bien réparer les vanités passées, que de devenir humble, et de consentir que Dieu nous rabaisse. La plus rigoureuse de toutes les pénitences est de faire en chaque jour et en chaque heure la volonté de Dieu plutôt que la sienne, malgré ses répugnances, ses dégoûts, ses lassitudes’. Ne songeons donc qu’au présent, et ne nous permettons pas même d’étendre nos vues avec curiosité sur l’avenir. Cet avenir n’est pas encore à nous; il n’y sera peut-être jamais. C’est se donner une tentation, que de vouloir prévenir Dieu, et de se préparer à des choses qu’il ne nous destine point. Quand ces choses arriveront, Dieu nous donnera les lumières et les forces convenables à cette épreuve. Pourquoi vouloir en juger prématurément, lorsque nous n’en avons encore ni la force ni la lumière? Songeons au présent qui presse : c’est la fidélité au présent qui prépare notre fidélité pour l’avenir.

À l’égard du présent, il me semble que vous n’avez pas un grand nombre de choses à faire. Voici celles qui me paraissent les principales :

1° Je crois que vous devez retrancher toute société qui pourrait non seulement vous porter à quelque mal grossier, mais encore réveiller en vous le goût de la vanité mondaine, vous dissiper, vous amollir, vous attiédir pour Dieu, vous dessécher le cœur pour vos exercices, et altérer votre docilité pour les conseils dont vous avez besoin. Heureusement vous vous trouvez dans un lieu éloigné du monde, où vous pouvez facilement rompre vos liens, et vous mettre dans la liberté des enfants de Dieu.

2° Il ne convient néanmoins ni à la bienséance de votre état, ni à votre besoin intérieur, que vous vous jetiez dans une profonde solitude. Il faut voir les gens qui ne donnent qu’un amusement modéré, aux heures où l’on a besoin de se délasser l’esprit. Il ne faut fuir que ceux qui dissipent, qui relâchent, qui vous embarquent malgré vous, et qui rouvrent les plaies du cœur: pour ces faux amis-là, il faut les craindre, les éviter doucement, et mettre une barrière qui leur bouche le chemin.

3° Il faut nourrir votre cœur par les paroles de la foi ; il faut faire chaque jour une lecture courte et longue, courte par le nombre de paroles qu’elle contient, mais longue par la lenteur avec laquelle vous la ferez. En la faisant, raisonnez peu, mais aimez beaucoup; c’est le cœur et non la tête qui doit agir. Ne lisez rien que pour l’appliquer d’abord à vos devoirs qu’il faut remplir, et à vos défauts qu’il faut corriger pour plaire à Dieu. Ne craignez point de laisser tomber votre livre dès qu’il vous mettra en recueillement. Vous ne sauriez lire rien de plus utile que les livres de saint François de Sales. Tout y est consolant et aimable, quoiqu’il ne dise aucun mot que pour faire mourir. Tout y est expérience, pratique simple, sentiment, et lumière de grâce. C’est être déjà avancé, que de s’être accoutumé à cette nourriture.

4° Pour l’oraison, vous ne sauriez la faire mal dans les bonnes dispositions où Dieu vous met, à moins que vous n’ayez trop l’ambition de la bien faire. Accoutumez-vous à entretenir Dieu, non des pensées que vous formerez tout exprès avec art pour lui parler pendant un certain temps, mais des sentiments dont votre cœur sera rempli. Si vous goûtez sa présence, et si vous sentez l’attrait de l’amour, dites-lui que vous le goûtez, que vous êtes ravie de l’aimer, qu’il est bien bon de se faire tant aimer par un cœur si indigne de son amour. Dans cette ferveur sensible, le temps ne vous durera guère, et votre cœur ne tarira point; il n’aura qu’à épancher de son abondance, et qu’à dire ce qu’il sentira. Mais que direz-vous dans la sécheresse, dans le dégoût, dans le refroidissement? Vous direz toujours ce que vous aurez dans le cœur. Vous direz à Dieu que vous ne trouvez plus son amour en vous, que vous ne sentez qu’un vide affreux, qu’il vous ennuie, que sa présence ne vous touche point, qu’il vous tarde de le quitter pour les plus vils amusements, que vous ne serez à votre aise que lorsque vous serez loin de lui et pleine de vous-même. Vous n’aurez qu’à lui dire tout le mal que vous connaîtrez de vous-même. Vous demandez de quoi l’entretenir. Eh ! n’y a-t-il pas là beaucoup trop de matière d’entretien ? En lui disant toutes vos misères, vous le prierez de les guérir. Vous lui direz : O mon Dieu, voilà mon ingratitude, mon inconstance, mon infidélité ! Prenez mon cœur; je ne sais pas vous le donner. Retenez-le après l’avoir pris ; je ne sais pas vous le garder. Donnez-moi au-dehors les dégoûts et les croix nécessaires pour me rappeler sous votre joug. Ayez pitié de moi malgré moi-même. Ainsi vous aurez toujours amplement à parler à Dieu, ou de ses miséricordes, ou de vos misères: c’est ce que vous n’épuiserez jamais. Dans ces deux états, dites-lui sans réflexion tout ce qui vous viendra au cœur, avec une simplicité et une familiarité d’enfant dans le sein de sa mère.

5° Occupez-vous pendant la journée de vos devoirs, comme de régler votre dépense selon votre revenu, veiller sur votre domestique pour ne permettre aucun scandale, travailler avec une douce autorité à achever l’éducation de vos enfants, satisfaire aux bienséances, enfin édifier tous ceux qui vous voient, sans parler jamais de dévotion.

Tout cela est simple, uni, modéré; tout cela rentre dans la vie la plus commune, mais tout cela ramène sans cesse à Dieu. O que vous aurez de consolation, si vous le faites ! Un jour dans la maison de Dieu, vaut mieux que mille dans les tabernacles des pécheurs.

LSP 86. [Réponses] À UN SEIGNEUR DE LA COUR

I. Comment offrirai-je à Dieu mes actions purement indifférentes : promenades ; cour au Roi ; visites à faire et à recevoir; habillement; propretés, comme laver ses mains, etc. ; lectures de livres d’histoire ; affaires de mes amis ou parents dont je suis chargé; autres amusements, chez des marchands, faire faire habits, équipages ? Je voudrais, pour chacune de ces choses, savoir une espèce de prière, ou de manière de les offrir à Dieu.

RÉPONSE. Les actions les plus indifférentes cessent de l’être, et elles deviennent bonnes, dès qu’on les fait avec l’intention de s’y conformer à l’œuvre de Dieu. Souvent même, elles sont meilleures et plus pures que certaines actions qui paraîtraient beaucoup plus vertueuses : 1° parce qu’elles sont moins de notre choix et plus dans l’ordre de la Providence, lorsqu’on a besoin de les faire; 2° parce qu’elles sont plus simples, et moins exposées à la vaine complaisance; 3° parce que, si on les prend avec modération et pureté de cœur, on y trouve plus à mourir à ses inclinations, que dans certaines actions de ferveur, où l’amour-propre se mêle; enfin, parce que ces petites occasions reviennent plus souvent, et fournissent une occasion secrète de mettre continuellement tous les moments à profit.

Il ne faut point de grands efforts ni des actes bien réfléchis, pour offrir ces actions qu’on nomme indifférentes. Il suffit d’élever un instant son cœur à Dieu, pour en faire une offre très simple. Tout ce que Dieu veut que nous fassions, et qui entre dans le cours des occupations convenables à notre état, peut et doit être offert à Dieu : rien n’est indigne de lui, que le péché. Quand vous sentez qu’une action ne peut être offerte à Dieu, concluez qu’elle n’est pas convenable à un chrétien ; du moins il faut le soupçonner, et s’en éclaircir. Je ne voudrais pas faire toujours une prière particulière pour chacune de ces choses : l’élévation de cœur dans le moment suffit. Cet usage doit être simple et aisé pour le rendre fréquent.

Pour les visites, emplettes, etc. comme il peut y avoir un danger de suivre trop son goût, j’ajouterais à l’élévation de cœur une demande de la grâce pour me modérer et pour me précautionner.

II. Dans la prière, et principalement en disant le bréviaire, j’ai fort peu d’attention, ou je suis des espaces de temps considérables que mon esprit est ailleurs, et il y a quelquefois longtemps qu’il est distrait lorsque je m’en aperçois. Je voudrais trouver un moyen ou pratique d’en être plus le maître.

RÉPONSE.

La fidélité à suivre les règles qui vous seront marquées, et à rappeler votre esprit toutes les fois que vous apercevrez sa distraction, vous attirera peu à peu la grâce d’être dans la suite moins distrait et plus recueilli. Cependant portez avec patience et humilité vos distractions involontaires : vous ne méritez rien de mieux. Faut-il s’étonner que le recueillement soit difficile à un homme si longtemps dissipé et éloigné de Dieu ?

III. À l’armée, comment offrir à Dieu les choses qui sont par-dessus mon devoir, tant pour la fatigue que pour le péril : comme aller à la tranchée, n’y étant pas commandé, par curiosité voir ce qui se fait, ou à une occasion, sans y être commandé de même, si le cas en arrive.

Dans les occasions périlleuses de la guerre, il est naturel de considérer l’aveuglement et la fureur des hommes, qui s’entretuent comme s’ils n’étaient pas déjà assez mortels. La guerre est une fureur que le démon a inspirée. Dieu ne laisse pas d’y présider, et d’en faire une action sainte, quand on y va sans ambition pour défendre sa patrie. Ainsi Dieu tire le bien même des plus grands maux. Ajoutez le néant et la fragilité de tout ce que le monde admire. Un petit morceau de plomb renverse en un moment la plus haute fortune. Dieu y conduit tout. Il a compté les cheveux de nos têtes; aucun ne tombera sans son ordre exprès. Non seulement il décide de la vie; mais la mort même, quand il la donne aux siens, n’a rien de terrible. C’est pour eux une miséricorde, afin de les enlever à la hâte du milieu des iniquités. Il brise le corps pour sauver l’âme, et pour lui donner un royaume éternel.

Comme il faut faire son devoir dans son poste avec toute l’intrépidité que la foi inspire, je crois qu’il faut aussi s’acquérir par là le droit de n’aller point chercher des dangers inutiles hors des fonctions de providence. S’il y a une bienséance générale pour toutes les personnes du même rang que vous, qui vous engage à aller à la tranchée ou ailleurs au péril, sans y être commandé, du moins ne faites là-dessus que ce que feront les gens sages et modérés. N’imitez point les gens qui se piquent de faire plus que tous les autres. C’est un grand soutien dans le péril, que de pouvoir penser que Dieu y mène ou par le devoir d’une charge, ou par une bienséance manifeste, fondée sur l’exemple des gens sages et modérés. Malheur à celui que la vanité y pousse ! il court risque d’être martyr de la vanité. Ne faites donc ni plus ni moins que les gens d’une valeur parfaite et modeste.

IV. Savoir s’il est à propos que je continue à écrire sur mes tablettes les fautes que je fais, et mes péchés, afin de ne pas courir le risque de les oublier, si j’en faisais l’examen seulement quand je vais à confesse ; et si on n’y trouve point d’inconvénient. J’excite en moi le plus que je puis le repentir de mes fautes ; mais avec cela, je n’ai pas encore senti aucune douleur véritable. Quand je fais l’examen les soirs, je vois des gens plus bien parfaits qui se plaignent de trop trouver; moi, je cherche, je ne trouve rien, et cependant il est impossible qu’il n’y ait dans ma conduite d’un jour bien des sujets de demander pardon à Dieu.

RÉPONSE. Pour l’examen, vous devez le faire chaque soir, mais simplement et courtement. Dans la bonne disposition où Dieu vous met, vous ne commettrez volontairement aucune faute considérable, sans vous la reprocher et vous en souvenir. Pour les petites fautes peu aperçues, quand même vous en oublieriez beaucoup, cet oubli ne doit pas vous inquiéter. Le soin d’écrire sur vos tablettes peut être trop scrupuleux : je le retrancherais pendant un mois, pour essayer.

Quant à la douleur vive et sensible de vos péchés, elle n’est pas nécessaire: Dieu la donne quand il lui plaît. La vraie et essentielle conversion du cœur consiste dans une volonté pleine de sacrifier tout à Dieu. Ce que j’appelle volonté pleine, c’est une disposition fixe et inébranlable de la volonté à ne réserver avec l’amour de Dieu aucune des affections volontaires qui peuvent en altérer la pureté, et à s’abandonner à toutes les croix qu’il faudra peut-être porter pour accomplir toujours, et en toutes choses, la volonté de Dieu. Ce renoncement sans réserve et cet abandon sans réserve sont la plus solide conversion. Pour la douleur sensible, quand on l’a, il en faut rendre grâces; quand on aperçoit qu’on ne l’a pas, il faut s’en humilier paisiblement devant Dieu, et, sans s’exciter à la produire par de vains efforts, se borner à être fidèle dans les occasions, et à regarder Dieu en tout.

Vous trouvez dans votre examen moins de fautes que les gens plus avancés et plus parfaits n’en trouvent : c’est que la lumière intérieure est encore médiocre. Elle croîtra, et la vue de vos infidélités croîtra à proportion. Il suffit, sans s’inquiéter, de tâcher d’être fidèle au degré de lumière présente, et de vous instruire par la lecture et par la méditation. Il ne faut pas vouloir entreprendre de prévenir les temps d’une grâce plus avancée, qui vous découvrira sans peine ce qu’une recherche inquiète ne vous montrerait pas, ou qu’elle vous montrerait sans fruit pour votre correction. Cela ne servirait qu’à vous troubler, qu’à vous décourager, qu’à vous épuiser, et même qu’à vous dessécher par une distraction continuelle. Le temps dû à l’amour de Dieu serait donné à des retours forcés sur vous-même, qui nourriraient secrètement l’amour-propre.

V. Dans mon oraison ou mes lectures méditées, mon esprit a peine à trouver quelque chose à dire à Dieu. Le cœur n’y est pas, ou bien il est inaccessible aux choses que l’esprit imagine.

RÉPONSE. Il n’est pas question de dire beaucoup à Dieu. Souvent on ne parle pas beaucoup à un ami qu’on est ravi de voir : on le regarde avec complaisance ; on lui dit souvent certaines paroles courtes qui ne sont que de sentiment. L’esprit n’y a point ou peu de par: on répète souvent ces mêmes paroles. C’est moins la diversité de pensées, que le repos et la correspondance du cœur, qu’on cherche dans le commerce de son ami. C’est ainsi qu’on est avec Dieu, qui ne dédaigne point d’être notre ami le plus tendre, le plus cordial, le plus familier et le plus intime. Dans les méditations, on se fait à soi-même des raisonnements courts et sensibles pour se convaincre, et pour prendre de bonnes mesures par rapport à la pratique, et cela est bon. Mais à l’égard de Dieu, un mot, un soupir, une pensée, un sentiment dit tout: encore même n’est-il pas question d’avoir toujours des transports et des tendresses sensibles; une bonne volonté toute nue et toute sèche, sans goût, sans vivacité, sans plaisir, est souvent ce qu’il y a de plus pur aux yeux de Dieu. Enfin, il faut se contenter de lui offrir ce qu’il donne lui-même, un cœur enflammé quand il l’enflamme, un cœur ferme et fidèle dans la sécheresse, quand il lui ôte le goût et la ferveur sensible. Il ne dépend pas toujours de vous de sentir; mais il dépend toujours de vous de vouloir. Ne songez donc qu’à bien vouloir également dans tous les temps; et laissez à Dieu le choix tantôt de vous faire sentir, pour soutenir votre faiblesse et votre enfance dans la vie de la grâce ; tantôt de vous sevrer de ce sentiment si doux et si consolant, qui est le lait des petits, pour vous humilier, pour vous faire croître, et pour vous rendre robuste dans les exercices violents de la foi, en vous faisant manger à la sueur de votre visage le pain des forts. Ne voudriez-vous aimer Dieu qu’autant qu’il vous fera goûter du plaisir en l’aimant? Ce serait cet attendrissement et ce plaisir que vous aimeriez, croyant aimer Dieu. Ce qu’on fait sans goût par pure fidélité est bien plus pur et plus méritoire, quoiqu’il paraisse d’abord moins fervent et moins zélé. Lors même que vous recevez avec reconnaissance les dons sensibles, préparez-vous par la pure foi aux temps où vous pourrez en être privé, et où vous succomberiez tout à coup, si vous n’aviez compté que sur cet appui. Pendant l’abondance de l’été, il faut faire provision pour les besoins de l’hiver.

J’oubliais de parler des pratiques qui peuvent, dans les commencements, faciliter le souvenir de cette offrande qu’on doit faire à Dieu de ces actions communes de la journée :

1° En former la résolution tous les matins, et s’en rendre compte à soi-même dans l’examen du soir.

2° N’en faire aucune que pour de bonnes raisons, ou de bienséance, ou de nécessité de se délasser l’esprit, etc. Ainsi, en s’accoutumant peu à peu à retrancher l’inutile, on s’accoutumera aussi à offrir ce qu’il est à propos de ne retrancher pas.

3° Le faire chaque fois qu’on entend sonner l’heure.

4° Se renouveler dans cette disposition toutes les fois qu’on est seul, afin qu’on se prépare mieux par là à s’en souvenir quand on sera en compagnie.

5° Toutes les fois qu’on se surprend soi-même dans une trop grande dissipation, qui va jusqu’à l’immodestie, ou à parler trop librement sur le prochain, se recueillir pour offrir à Dieu tout ce qu’on fera dans la suite de cette même conversation.

6° De recourir à Dieu avec confiance, pour agir selon son esprit, lorsqu’on entre dans quelque compagnie, ou dans quelque occupation qui peut faire tomber dans des fautes. La vue du danger doit avertir du besoin d’élever son cœur vers celui par qui on peut en être préservé.

LSP 88*. À UN MILITAIRE.

Gardez-vous bien, Monsieur, de prendre au hasard des passages de l’Écriture pour vous occuper devant Dieu; c’est le tenter: car, encore que toute l’Écriture soit inspirée pour instruire les hommes, tous les endroits ne sont ni également destinés à nous donner des instructions directes et immédiates, ni proportionnés à l’intelligence de chaque particulier, ni propres aux besoins de chaque fidèle. Choisissez donc les endroits qui conviennent davantage à votre état et à la correction de vos défauts. Cherchez ce qui inspire la vigilance, la confiance en Dieu, le courage contre soi-même, et la fidélité aux devoirs de sa condition. Joignez à cette lecture méditée une autre lecture dans la suite de la journée. Vous pouvez la prendre des Entretiens de saint François de Sales, qui vous instruiront du détail, vous en faciliteront les pratiques, vous encourageront, et vous montreront l’esprit d’amour libre et simple avec lequel il faut servir Dieu gaîment.

La considération de la grandeur et de la bonté de Dieu peut être souvent le sujet de vos réflexions; mais vous ne devez point vous mettre à méditer, sans avoir des paroles particulières qui arrêtent votre esprit peu accoutumé à demeurer tranquille devant Dieu. Vous perdriez votre temps, et votre cœur ne serait pas nourri. Il vous faut toujours un sujet certain, mais un sujet clair, simple, sur lequel vous ne fassiez aucune réflexion subtile. Demandez plutôt à Dieu des affections qui vous attachent à lui : car ce n’est point par l’esprit ni par le raisonnement qu’il attire les âmes, c’est par le mouvement du cœur et par l’abaissement de notre esprit. N’espérez pas parvenir dans la méditation à n’être plus distrait, cela est impossible ; tâchez seulement de profiter de vos distractions, en les portant avec une humble patience, sans vous décourager jamais. Chaque fois que vous les apercevez, retournez-vous tranquillement vers Dieu. L’inquiétude sur les distractions est une distraction plus dangereuse que toutes les autres.

Une petite demi-heure de lecture méditée de l’Évangile le matin, et le soir une lecture réglée des Entretiens de saint François de Sales, vous suffiront, puisque vous avez peu de temps à vous. Employez le reste du temps libre à lire des livres d’histoire, de fortifications, et de tout le reste qui est utile à un homme de votre rang. Jamais un moment de vide. Le moment où vous ne faites rien de réglé et de bon, est le moment où vous faites un très grand mal. Gourmandez-vous vous-même sans pitié sur la vie molle, oisive et amusée.

Pour vos actions, quand elles sont bonnes en elles-mêmes, repoussez toutes les réflexions sur les motifs qui vous les font faire. Vous ne finiriez jamais avec vous-même, vous vous troubleriez, vous tomberiez dans le découragement, et, par de vains raisonnements sur vos actions, vous perdriez tout le temps d’agir.

Il faut vous résoudre à mener une vie plus active que la vôtre. Vous devez voir les gens de votre condition ; mais il faut être gai, libre, affable ; rien de timide ni de sauvage. Demandez à Dieu qu’il vous ôte votre air timide et trop composé ; donnez-vous à Dieu quand vous allez voir les gens ; mais, pendant la conversation, ne soyez point distrait et rêveur, pour courir après la présence de Dieu qui vous échappe. Alors faites ce qu’il veut que vous fassiez, qui est d’être honnête et complaisant. Dans la suite, la présence de Dieu vous deviendra plus facile.

Ne prenez point la piété par un certain sérieux triste, austère et contraignant. Là où est l’esprit de Dieu, là est la vraie liberté. Si une fois vous l’aimez de tout votre cœur, vous serez presque toujours en joie avec le cœur au large. Si vous n’allez à lui qu’en juif, par la crainte, vous ne le trouverez point, et vous ne trouverez, au lieu de lui, que gêne et trouble de cœur.

Ne manquez jamais d’aller à toutes les choses où les autres vont, non seulement pour les occasions de danger, mais encore pour tout ce qui peut montrer votre assiduité à votre Prince.

Soyez bon ami, obligeant, officieux, ouvert ; cela vous fera aimer, et apaisera la persécution. Qu’on voie que ce n’est point par grimace ni par noirceur, mais par vraie religion et avec courage, que vous renoncez aux débauches des jeunes gens. D’ailleurs gaîté, discrétion, complaisance, sûreté de commerce, et nulle façon ; peu d’amis, beaucoup de connaissances passagères ; soin de plaire à ceux qui passent pour les plus honnêtes gens et dont l’estime décide, ou à ceux qui excellent dans le métier dont vous souhaitez vous instruire. Ne craignez point de les interroger quand vous serez parvenu à quelque commerce un peu libre avec eux.

LSP 202.*A UN MILITAIRE

N...495 n’aura jamais de repos, qu’autant qu’elle renoncera à s’en procurer. La paix de cette vie ne peut se trouver que dans l’incertitude. L’amour pur ne s’exerce que dans cette privation de toute assurance. Le moindre regard inquiet est une reprise de soi, et une infidélité contre la grâce de l’abandon. Laissons faire de nous à Dieu ce qu’il lui plaira: après que nous l’aurons laissé faire, point de soutien. Quand on ne veut point se voir soutenu, il faut être fidèle à l’attrait de la grâce, et puis s’abandonner.

Il faut qu’elle se délaisse dans les mains de Dieu. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes à lui496, dit saint Paul. L’abandon n’est réel que dans les occasions de s’abandonner.

Dieu est le même pour l’autre vie que pour celle-ci, également digne qu’on le serve pour sa gloire et pour son bon plaisir. Dans les deux cas, il veut également tout pour lui, et sa jalousie crible partout les âmes qui veulent le suivre. Le paradis, l’enfer et le purgatoire ont une espèce de commencement dès cette vie.

Je demande pour cette chère sœur une paix de pure foi et d’abnégation. On ne perd point cette paix, qui n’est exposée à aucun mécompte, parce qu’elle n’est fondée sur aucune propriété, sûreté, ni consolation. Je souhaite qu’elle ait le cœur en paix et en simplicité. J’ajoute en simplicité, parce que la simplicité est la vraie source de la paix. Quand on n’est pas simple, on n’est pas encore véritable enfant de la paix : aussi n’en goûte-t-on point les fruits. On mérite l’inquiétude qu’on se donne par les retours inutiles sur soi contre l’attrait intérieur. L’esprit de paix repose sur celui qui ne trouble point ce repos en s’écoutant soi-même au lieu d’écouter Dieu. Le repos, qui est un essai et un avant-goût du sabbat éternel, est bien doux ; mais le chemin qui y mène est un rude martyre. Il est temps (je dis ceci pour N…) de laisser achever Dieu après tant d’années : Dieu lui demande bien plus qu’aux commençants.

Je prie de tout mon cœur pour votre malade, dont les croix sont précieuses à Dieu. Plus elle souffre, plus je la révère en celui qui la crucifie pour la rendre digne de lui. Les grandes souffrances montrent tout ensemble et la profondeur des plaies qu’il faut guérir en nous, et la sublimité des dons auxquels Dieu nous prépare.

Pour vous, Monsieur, évitez la dissipation; craignez votre vivacité. Cette activité naturelle, que vous entretenez au lieu de l’amortir, fait tarir insensiblement la grâce de la vie intérieure. On ne conserve plus que des règles et des motifs sensibles ; mais la vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu497 s’altère, se mélange, et s’éteint faute de l’aliment nécessaire, qui est le silence du fond de l’âme. J’ai été affligé de ce que vous ne serviez pas ; mais c’est un dessein de pure miséricorde pour vous détacher du monde, et pour vous ramener à une vie de pure foi qui est une mort sans relâche. Ne donnez donc au monde que le temps de nécessité et de bienséance. Ne vous amusez point à des vétilles. Ne parlez que pour le besoin. Calmez en toute occasion votre imagination. Laissez tout tomber. Ce n’est point par l’empressement que vous cesserez d’être empressé. Je ne vous demande point un recueillement de travail et d’industrie ; je vous demande un recueillement qui ne consiste qu’à laisser tomber tout ce qui vous dissipe et qui excite votre activité. Je me réjouis de tout ce que vous trouvez de bon dans***. J’espère que vous la rendrez encore meilleure, en lui faisant connaître, par une pratique simple et uniforme, combien la vraie piété est aimable et différente de ce que le monde s’en imagine ; mais il ne faut pas que M. son mari la gâte par une passion aveugle : en la gâtant, il se gâterait aussi ; cet excès d’union causerait même, dans la suite, une lassitude dangereuse, et peut-être une désunion. Laissez un peu le torrent s’écouler; mais profitez des occasions de providence, pour lui insinuer la modération, le recueillement, et le désir de préférer l’attrait de la grâce au goût de la nature. Attendez les moments de Dieu, et ne les perdez pas ; N..... vous aidera à faire ni trop ni trop peu.

Dieu veut que, dans les œuvres dont il nous charge, nous accordions ensemble deux choses très propres à nous faire mourir à nous-mêmes : l’une est d’agir comme si tout dépendait de l’assiduité de notre travail ; l’autre est de nous désabuser de notre travail, et de compter qu’après qu’il est fait, il n’y a encore rien de commencé. Après que nous avons bien travaillé, Dieu se plaît à emporter tout notre travail sous nos yeux, comme un coup de balai emporte une toile d’araignée ; après quoi il fait, s’il lui plaît, sans que nous puissions dire comment, l’ouvrage pour lequel il nous avait fait prendre tant de peine, ce semble, inutile. Faites donc des toiles d’araignée ; Dieu les enlèvera, et après vous avoir confondu, il travaillera tout seul à sa mode.

Je ne suis point surpris de vos misères ; vous les mériterez tandis que vous en serez encore surprise. C’est attendre arrogamment quelque chose de soi, que d’être surpris de se trouver en faute. La surprise ne vient que d’un reste de confiance.

LSP 152*. À UNE FEMME (U)

Soyez en paix, M… La ferveur sensible ne dépend nullement de vous : l’unique chose qui en dépend est votre volonté. Donnez-là à Dieu sans réserve. Il ne s’agit point de sentir un goût de piété ; il s’ agit de vouloir tout ce que Dieu veut. Reconnaissez humblement vos fautes ; détachez-vous, abandonnez-vous ; aimez Dieu plus que vous-même, et sa gloire plus que votre vie ; du moins désirez d’aimer ainsi, et demandez ce véritable amour. Dieu vous aimera et mettra sa paix au fond de votre cœur. Je la lui demande pour vous, et je voudrais souffrir pour l’obtenir.

LSP 177.*A UNE FEMME (U)498

On change tous les maux en biens quand on les souffre en patience par amour pour Dieu. Au contraire, on change tous les biens en maux quand on s’y attache pour flatter son amour-propre. Le vrai bien n’est que dans le détachement et l’abandon à Dieu. Voici le temps de l’épreuve. C’est dans cette occasion qu’il faut se tenir dans les mains de Dieu avec confiance et union sans réserve. Que ne voudrais-je point donner pour vous voir au plus tôt parfaitement guérie de votre maladie, et plus encore de l’amour de ce monde ? L’attachement à soi a cent fois plus de venin que la petite vérole. Le venin de l’amour-propre demeure au-dedans. Je prie de tout mon cœur pour vous.

LSP 153.*A UN HOMME

Je comprends, ce me semble, assez ce qui fait votre peine. Votre état est si simple, si sec et si nu, que vous ne trouvez rien pour vous soutenir, et que toute sûreté sensible vous manque au besoin. Mais votre conduite est droite, et éloignée de tout ce qui peut causer l’illusion. Il m’a même paru que vous êtes plus régulier qu’autrefois, sans être moins libre et moins simple. Je vous trouve plus modéré, moins décisif, plus accommodant, moins attentif aux défauts d’autrui, plus patient dans les occasions, plus appliqué à vos devoirs. Quoiqu’il vous paraisse que tout se fait chez vous par naturel, il est pourtant vrai que votre naturel ne fait point tout cela, et qu’il faisait tout le contraire.

Il n’est pas étonnant que l’opération de la grâce, pour se cacher, se confonde insensiblement avec la nature. De plus, on fait toujours bien des fautes par les saillies du naturel, surtout quand on est fort vif ; et le sentiment intérieur qu’on a, tente de croire que la vie est toute pleine de ces mouvements naturels auxquels on se laisse aller : mais dans le fond on travaille, malgré ses fautes, à réprimer ses saillies ; et quoique ce travail soit simple et peu sensible, il ne laisse pas d’être très réel. D’un autre côté, les fautes qu’on voit tiennent l’âme dans la défiance d’elle-même, et dans une entière pauvreté d’esprit.

Ne vous attristez donc point ; et quoique Dieu ne vous console guère, ne vous rebutez point de demeurer dans son sein. Le monde ne vous convient point dans votre état. La plupart des compagnies ne vous seraient pas propres, quand même elles ne seraient pas dangereuses ; mais je vous souhaiterais quelque petite société innocente qui vous pût amuser et délasser l’esprit. Pour moi, mon cœur est sec et languissant : la vie ne me fait aucun plaisir; mais il faut toujours aller en avant, et être chaque jour ce qu’il plaît à Dieu. Si j’osais, je dirais que je le veux lui seul et sans mesure.

LSP 212.*A UN DÉBUTANT

Je ne m’étonne pas que Dieu vous épargne: vous êtes trop faible pour être moins ménagé. Je vous avais bien dit qu’il ne vous ferait pas l’honneur de vous traiter si rudement que vous le craignez’. Ce ne sera pas un grand malheur quand vous direz quelque mot un peu vieux, et que deux ou trois personnes croiront que vous n’êtes pas un parfait modèle pour la pureté du langage. Ce qui irait à des imprudences contre le secret, contre la charité, contre l’édification, ne doit jamais être permis : ce qui irait contre le sens commun serait trop fort. Si vous vous sentiez vivement pressé de ce côté-là, il faudrait m’avertir, et cependant suspendre ; mais, pour les choses qui ne vont qu’à la politesse, ou qu’à certaines délicatesses de bienséance, je crois que vous devez vous livrer à l’esprit de simplicité et d’humiliation. Rien ne vous est si nécessaire que de mourir à vos réflexions, à vos goûts, à vos vaines sensibilités sur ces bagatelles. Plus vous craignez de les sacrifier, plus le sacrifice en est nécessaire. Cette sensibilité est une marque d’une vie très forte, qu’il faut arracher; mais n’hésitez point avec Dieu : vous voyez qu’il ne demande que ce que vous êtes convaincu vous-même qu’il doit demander pour détruire votre orgueil.

N’envisagez point l’avenir, car on s’y égare et on s’y perd quand on le regarde. Ne cherchez point à deviner jusqu’où Dieu vous poussera si vous lui cédez toujours sans résistance. Ce n’est point par des endroits prévus qu’il nous prend, la prévoyance adoucirait le coup ; c’est par des choses que nous n’aurions jamais crues, et que nous aurions comptées pour rien : souvent celles dont nous nous faisons des fantômes s’évanouissent; ainsi nos prévoyances ne servent qu’à nous inquiéter. Obéissez chaque jour; l’obéissance de chaque jour est le véritable pain quotidien. Nous sommes nourris comme Jésus-Christ de la volonté de son Père, que la Providence nous apporte dans le moment présent. Ce pain céleste est encore la manne ; on ne pouvait en faire provision ; l’homme inquiet et défiant qui en prenait pour le lendemain la voyait aussitôt se corrompre.

Ployez-vous à tout ce que l’on veut. Soyez souple et petit, sans raisonner, sans vous écouter vous-même, prêt à tout et ne tenant à rien ; haut, bas ; aimé, haï; loué, contredit; employé, inutile ; ayant la confiance, ou l’envie et le soupçon des gens avec qui vous vivez. Pourvu que vous n’ayez ni hauteur, ni sagesse propre, ni volonté propre sur aucune chose, tout ira bien. En voilà beaucoup, mais ce n’est pas trop. Soyez en silence le plus que vous pourrez. Nourrissez votre cœur, et faites jeûner votre esprit. [ …]

Paix, silence, simplicité, joie en Dieu, et non dans les créatures, souplesse à tout dans les mains de Dieu.

LSP 154.*A UN COMMENÇANT

J’ai souvent pensé, Monsieur, depuis hier aux choses que vous me fîtes l’honneur de me dire, et j’espère de plus en plus que Dieu vous soutiendra. Quoique vous ne sentiez pas un grand goût pour les exercices de piété, il ne faut pas laisser d’y être aussi fidèle que votre santé le permettra. Un malade convalescent est encore dégoûté; mais malgré son dégoût, il faut qu’il mange pour se nourrir.

Il serait même très utile que vous pussiez avoir quelquefois un peu de conversation chrétienne avec les personnes de votre famille à qui vous pourrez vous ouvrir; mais pour le choix, agissez en toute liberté selon votre goût présent. Dieu ne vous attire point par une touche vive et sensible, et je m’en réjouis, pourvu que vous demeuriez ferme dans le bien : car la fidélité soutenue, sans goût, est bien plus pure et plus à l’épreuve de tous les dangers, que les grands attendrissements qui sont trop dans l’imagination. Un peu de lecture et de recueillement chaque jour vous donnera insensiblement la lumière et la force de tous les sacrifices que vous devez à Dieu. Aimez-le ; je vous quitte de tout le reste ; tout le reste viendra par l’amour: encore même ne veux-je point vous demander un amour tendre et empressé ; il suffit que la volonté tende à l’amour, et que, malgré les goûts corrompus qui restent dans le cœur, elle préfère Dieu au monde entier et à soi-même. Vous serez le plus ingrat de tous les hommes, si vous n’aimez pas Dieu qui vous aime tant, et qui ne se rebute point de frapper à la porte de votre cœur pour y répandre son amour. Quand vous ne trouvez point cet amour en vous, du moins demandez-le, désirez de l’avoir, et attendez-le avec une ferme confiance. Voilà ce que je ne puis m’empêcher de vous dire, tant je suis plein de ce qui vous touche.

LSP 158.*A UNE MÈRE DE FAMILLE

Il faut songer à réparer le dérangement dont vous vous plaignez dans votre intérieur. Les manières trop naturelles d’autrui réveillent tout ce qu’il y a en nous de trop naturel ; elles nous font sortir d’un certain centre de la vie de grâce ; mais il faut y rentrer avec simplicité et défiance de soi. La dureté, l’injustice, la fausseté, se trouvent dans notre cœur, quant aux sentiments, lorsque nous nous trouvons avec des personnes qui piquent notre amour-propre ; mais il suffit que notre volonté ne suive pas ce penchant. Il faut mettre ses défauts à profit par une entière défiance de notre cœur.

Je suis fort aise de ce que vous ne trouvez en vous aucune ressource pour soutenir le genre de vie que vous avez embrassé. Je craindrais tout pour vous, si vous vous sentiez affermie dans le bien, et si vous vous promettiez d’y persévérer: mais j’espère tout quand je vois que vous désespérez sincèrement de vous-même. O qu’on est faible quand on se croit fort ! O qu’on est fort en Dieu quand on se sent faible en soi!

Le sentiment ne dépend pas de vous : aussi l’amour n’est-il pas dans le sentiment. C’est le vouloir qui dépend de vous, et que Dieu demande. Il faut que la volonté soit suivie de l’action ; mais souvent Dieu ne demande pas de grandes œuvres de nous. Régler son domestique, mettre ordre à ses affaires, élever ses enfants, porter ses croix, se passer des vaines joies du siècle, ne flatter en rien son orgueil, réprimer sa hauteur naturelle ; travailler à devenir simple, naïve, petite; se taire, se recueillir, s’accoutumer à une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu: voilà les œuvres dont Dieu se contente.

Vous voudriez, dites-vous, des croix pour expier vos péchés et pour témoigner votre amour à Dieu. Contentez-vous des croix présentes; avant que d’en chercher d’autres, portez bien celles-là ; n’écoutez ni vos goûts ni vos répugnances ; tenez‑vous dans cette disposition générale de dépendance sans réserve de l’esprit de grâce en toute occasion. C’est la mort continuelle à soi-même. Ne refusez rien à Dieu, et ne le prévenez sur rien pour les choses où vous ne voyez point encore sa volonté. Chaque jour apportera ses croix et ses sacrifices. Quand Dieu voudra vous faire passer dans un autre état, il vous y préparera insensiblement. Je serai volontiers votre instrument de mort par cette dépendance de la grâce. Je souhaite que Dieu poursuive sans relâche en vous toute vie de l’amour-propre.

LSP 194.*A UN DISCIPLE

Je vous désire une simplicité totale d’abandon, sans laquelle on n’est abandonné qu’à condition de mesurer soi-même son abandon, et de ne l’être jamais dans aucune des choses de la vie présente qui touchent le plus notre amour-propre. Ce n’est pas l’abandon réel et total à Dieu seul, mais la fausseté de l’abandon et la réserve secrète, qui fait l’illusion.

Soyez petit et simple au milieu du monde le plus critique, comme dans votre cabinet. Ne faites rien, ni par sagesse raisonnée, ni par goût naturel, mais simplement par souplesse à l’esprit de mort et de vie; de mort à vous, de vie à Dieu. Point d’enthousiasme499, point de certitude recherchée au dedans de vous, point de ragoût de prédictions, comme si le présent, tout amer qu’il est, ne suffisait pas à ceux qui n’ont plus d’autre trésor que la seule volonté de Dieu, et comme si on voulait dédommager l’amour-propre de la tristesse du présent par les prospérités de l’avenir. On mérite d’être trompé quand on cherche cette vaine consolation. Recevons tout par petitesse ; ne cherchons rien par curiosité; ne tenons à rien par un intérêt déguisé. Laissons faire Dieu, et ne songeons qu’à mourir sans réserve au moment présent, comme si c’était l’éternité tout entière. Ne faites point de tours de sagesse.

LSP 214.*A UN DISCIPLE

Vous voulez bien, Monsieur, que je vous demande de vos nouvelles et de celles de tout ce qui vous touche le plus. Êtes-vous simple et uni en tout ? L’extérieur est-il aussi abandonné à Dieu que l’intérieur? Êtes-vous dans un recueillement sans activité, qui consiste dans la fidélité à la grâce, pour laisser tomber ce qui vient de la nature et qui trouble le silence du fond, faute de quoi on ne peut point écouter Dieu ?

N... est véritablement bon, quoiqu’il ait ses défauts ; mais qui est-ce qui n’en a pas ? Et que serait-ce, si nous n’en avions pas, puisque, étant accablés des nôtres, que nous ne corrigeons point, nous sommes néanmoins si délicats et si impatients contre ceux du prochain ? Rien ne peut nous rendre indulgents, puisque notre propre misère incorrigible ne modère point la sévérité de notre critique contre les autres. Nous faisons plus pour les autres en nous corrigeant, qu’en voulant les corriger. Demeurez en paix, Monsieur; laissez tout écouler, comme l’eau sous les ponts. Demeurez dans le secret de Dieu, qui ne s’écoule jamais.

LSP 184.* A UN DISCIPLE

On ne peut être plus vivement touché que je le suis de tout ce qui vous est arrivé. Il faut porter la croix comme un trésor ; c’est par elle que nous sommes rendus dignes de Dieu, et conformes à son Fils. Les croix font partie du pain quotidien. Dieu en règle la mesure selon nos vrais besoins, qu’il connaît, et que nous ignorons. Laissons-le faire, et abandonnons-nous à sa main. Soyez enfant de la Providence. Laissez raisonner vos parents et amis. Ne pensez point de loin à l’avenir. La manne se corrompait quand on voulait par précaution en faire provision pour plus d’un jour. Ne dites point: qu’est-ce que nous ferons demain ? Le jour de demain aura soin de lui-même’. Bornez-vous aujourd’hui au besoin présent ; Dieu vous donnera en chaque jour les secours proportionnés à ce besoin-là. Inquirentes autem Dominum non minuentur omni bono500 . La Providence ferait des miracles pour nous ; mais nous empêchons ces miracles à force de les prévenir. Nous nous faisons nous-mêmes, par une industrie inquiète, une providence aussi fautive que celle de Dieu serait assurée.

Quant à N… il aime la Religion et a des principes de vertu ; mais il a besoin d’être nourri et soutenu. Il faut le secourir sans le gêner. Vous connaissez son esprit vif et ses longues habitudes ; il faut lui passer bien des choses que je ne vous passerais pas. Dieu sait mieux que nous ce qu’il a mis dans chaque homme, et ce qu’il doit exiger de lui. Ménagez, supportez, respectez, espérez, fiez-vous au maître des cœurs, qui est fidèle à ses promesses. Soyez fidèle et docile vous-même. Mettez à profit vos faiblesses par une défiance infinie de vous-même, et par une souplesse enfantine pour vous laisser corriger. La petitesse sera votre force dans la faiblesse même.

LSP 138*. À M. X*

Je suis véritablement affligé, Monsieur, des peines que vous m’apprenez que madame votre sœur souffre. J’ai vu souvent, et je vois encore tous les jours des personnes que le scrupule ronge. C’est une espèce de martyre intérieur: il va jusqu’à une espèce de déraison et de désespoir, quoique le fond soit plein de raison et de vertu. L’unique remède contre ces peines est la docilité. Il faut examiner à qui est-ce qu’on donne sa confiance; mais il faut la donner à quelqu’un, et obéir sans se permettre de raisonner. Qu’est-ce que pourrait faire le directeur le plus saint et le plus éclairé, pour vous guérir, si vous ne lui dites pas tout, et si vous ne voulez pas faire ce qu’il dit? Il est vrai que, quand on est dans l’excès de trouble que le scrupule cause, on est tenté de croire qu’on ne peut être entendu de personne, et que les plus expérimentés directeurs, faute d’entendre cet état, donnent des conseils disproportionnés ; mais c’est une erreur d’une imagination dominante, qui n’aboutit qu’à une indocilité incurable, si on la suit. Doit-on se rendre juge de sa propre conduite, dans un état de tentation et de trouble où l’on n’a qu’à demi l’usage de sa raison ? N’est-ce pas alors, plus que jamais, qu’on a besoin de redoubler sa docilité pour un directeur, et sa défiance de soi? Ne doit-on pas croire que Dieu ne nous manque point dans ces rudes épreuves, et qu’alors il éclaire un directeur dans lequel on ne cherche que lui, afin qu’il nous donne des conseils proportionnés à ce pressant besoin? Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, comme saint Paul nous l’assure. Mais c’est aux âmes simples et dociles qu’il promet de leur tendre toujours la main dans ces violentes tentations. C’est manquer à Dieu, c’est lui faire injure, c’est mal juger de sa bonté, que de douter qu’il ne donne à un bon directeur tout ce qu’il faut pour nous préserver du naufrage dans cette tempête. Je conviens qu’il faut tolérer dans une personne, pendant l’excès de sa peine, certaines impatiences, certaines inégalités, certaines saillies irrégulières, et même certaines contradictions de paroles ou de conduite passagère ; mais il faut qu’après ces coups de surprise le fond revienne toujours, et qu’on y trouve une détermination sincère à une docilité constante.

Pour tout le reste, il dépend du détail que j’ignore. Mais enfin quelque remède que madame votre sœur cherche, quelque changement qu’elle veuille essayer, à quelque pratique qu’elle recoure, il lui faut un directeur qu’elle ne quitte point. Changer de directeur, c’est se rendre maître de la direction, à laquelle on devrait être soumis. Une direction ainsi variée n’est plus une direction ; c’est une indocilité qui cherche partout à se flatter elle-même. La plus sévère de toutes les pénitences est l’humiliation intime de l’esprit ; c’est le renoncement à se croire et à s’écouter; c’est l’humble dépendance de l’homme de Dieu; c’est la pauvreté d’esprit, qui, selon l’oracle de Jésus-Christ, rend l’homme bienheureux : autrement on tourne la mortification en aliment secret de l’amour-propre. Tâchez de faire en sorte qu’elle se fixe, et qu’elle captive son esprit avec foi en la bonté de Dieu, et qu’elle obéisse simplement. C’est la source de la paix.

LSP 491.*« SOYEZ SIMPLE[...] »

Soyez simple, petite et livrée à l’esprit de grâce, comme il est dit des Apôtres : la paix en sera le fruit. Il n’y a que vous seule qui puissiez troubler votre paix : les croix extérieures ne la troubleront jamais. Vos seules réflexions d’amour-propre peuvent interrompre ce grand don de Dieu. Ne vous prenez donc jamais qu’à vous-même du mal que vous souffrirez au-dedans. Vous n’avez aucun autre mal que celui du faux remède. Je souhaite fort que votre cœur soit dans la paix de pur abandon, qui est une paix sans bornes et inaltérable; mais non pas dans la paix qui dépend des appuis recherchés et aperçus.

Ce que je vous désire plus que tout le reste est un profond oubli de vous-même. On veut voir Dieu en soi ; et il faut ne se voir qu’en Dieu. Il faudrait ne s’aimer que pour Dieu, au lieu qu’on tend toujours sans y prendre garde à n’aimer Dieu que pour soi. Les inquiétudes n’ont jamais d’autre source que l’amour-propre : au contraire, l’amour de Dieu est la source de toute paix. Quand on ne se voit plus qu’en Dieu, on ne s’y voit plus que dans la foule, et que des yeux de la charité, qui ne trouble point le cœur.

Il n’y a jamais que l’amour-propre qui s’inquiète et qui se trouble. L’amour de Dieu fait tout ce qu’il faut d’une manière simple et efficace, sans hésiter: mais il n’est ni empressé, ni inquiet, ni troublé. L’Esprit de Dieu est toujours dans une action paisible. Retranchez donc tout ce qui irait plus loin, et qui vous donnerait quelque agitation. « Le parfait amour chasse la crainte ». Calmez votre esprit en Dieu, et que l’esprit calmé prenne soin de rétablir le corps. Retirez-vous en celui qui tranquillise tout, et qui est la paix même. Enfoncez-vous en lui jusqu’à vous y perdre, et à ne vous plus trouver.

C’est dans l’oubli du moi qu’habite la paix. Partout où le moi rentre, il met le cœur en convulsion, et il n’y a point de bon antidote contre ce venin subtil. Heureux qui se livre à Dieu sans réserve, sans retour, sans songer qu’il se livre.

Je prie Dieu qu’il parle lui-même à votre cœur, et que vous suiviez fidèlement ce qu’il vous dira. Écouter et suivre sa parole intérieure de grâce, c’est tout. Mais pour écouter, il faut se taire; et pour suivre, il faut céder.

§501 Je vous souhaite la paix du cœur et la joie du Saint Esprit. Toute pratique de vertu, et toute recherche de sûreté, qui ne s’accorde point avec cette paix humble et recueillie, ne vient point de Notre Seigneur.

§ Que faire dans tous les fâcheux événements qui nous arrivent? Se consoler, perdre en paix ce que la providence nous ôte, et ne tenir qu’à celui qui est jaloux de tout. En perdant tout de la sorte, on ne perd jamais rien. La jalousie, qui est si tyrannique, et si déplacée dans les hommes, est en sa place en Dieu. Là elle est juste, nécessaire, miséricordieuse. En ne nous laissant rien, elle nous donne tout.

§ N. a de grandes croix ; mais il les lui faut aussi grandes qu’il les a. Il n’y a que Dieu qui sache bien prendre la mesure à chacun de nous. Vous en prendriez trop en un sens, et trop peu en un autre; trop sur votre santé et sur votre courage naturel ; mais trop peu sur votre délicatesse. Toutes ces mesures sont fausses. Il n’y a qu’à laisser faire Dieu: c’est profondément couper dans le vif que de ne retenir rien de ce qu’il ôte, sans vouloir retrancher ce qu’il ne retranche pas. Ce qu’on ajoute n’est pas un retranchement véritable: c’est au contraire une recherche déguisée ; car c’est pour se donner une vie fine et cachée, qu’on pratique une mort extérieure et consolante.

§ La simplicité de l’amour porte avec soi quelque chose qui se suffit à soi-même, et qui est un commencement de béatitude. Malheur à qui trouble cette simplicité par des réflexions d’amour-propre !

§ Dieu prend plaisir à déranger tout; et ce dérangement vaut mieux que tous les plans de notre sagesse. Il sait bien où il attend chaque homme, et il l’y mène lors même que cet homme semble lui échapper.

LSP 146.* « VOUS ME FAITES UN VRAI PLAISIR…»

Vous me faites un vrai plaisir, Monsieur, en me témoignant l’ouverture de cœur que vous auriez pour moi ; je vous parlerai dans l’occasion avec la même franchise. Mais il ne faut point parler par une secrète recherche de quelque assurance ; car il ne vous convient point d’en chercher. Dieu est jaloux de tout ce qui se tourne en appui, et encore plus de tout ce qui est une recherche indirecte de ce que nous ne voudrions pas rechercher directement. Comptez que je sais le fond qu’il faut faire sur ceux que Dieu a fait passer par beaucoup d’épreuves: je ne puis être de même avec les autres, quoiqu’ils soient fidèles selon leur degré. Mais il ne faut tenir à rien, pas même à ses dépouillements, dont on peut se revêtir insensiblement. Oubliez-vous vous-même, et toutes vos peines se dissiperont. On croit que l’amour de Dieu est un martyre ; non, toutes les peines ne viennent que de l’amour-propre. C’est l’amour-propre qui doute, qui hésite, qui résiste, qui souffre, qui compte ses souffrances, qui varie dans les occasions, et qui empêche la paix profonde des âmes délivrées d’elles-mêmes. Eu voilà trop; mais je suis sûr que vous voulez que je parle selon mon cœur et sans mesure.

LSP 147.* « J’AI VU N... »

J’ai vu N502 ; je l’ai beaucoup écouté; je lui ai peu parlé. J’ai suivi en ce point la pente de mon cœur : peut-être que Dieu a voulu lui montrer par là comment il doit retrancher les discours superflus. Je lui ai dit en peu de paroles ce qui m’a paru convenir à ses besoins. Tout se réduit au silence intérieur, qui règle toute la conduite extérieure. S’il n’amortit sans cesse la vivacité de son imagination par le recueillement de son degré, il ne sera jamais en état d’écouter Dieu, et d’agir paisiblement par l’esprit de grâce. La nature empressée préviendra toujours par ses saillies tous les mouvements de Dieu qui doivent être attendus. S’il ne parlait que quand Dieu le fait parler, il parlerait peu et très bien, mais comme son imagination l’entraîne à toute heure, la règle qui fera la sûreté de toutes les autres est qu’il vous écoute, qu’il vous croie, qu’il vous obéisse, qu’il s’apetisse sous votre main, et qu’il s’arrête tout court dès que vous parlez. Il faut qu’il vous aide, mais il faut que vous le décidiez.

Je le charge donc de vous écouter sans écouter soi-même, et je vous recommande de lui décider avec pleine autorité, de faire ce que vous lui direz. De votre côté, vous devez recevoir avec simplicité et petitesse ce qu’il vous dira par grâce sur vos faiblesses. Ne les craignez point par anticipation : à chaque jour suffit son mal. Ne craignez point pour le jour de demain ; le jour de demain aura soin de lui-même. Celui qui fait la paix du cœur aujourd’hui est tout-puissant et tout bon pour la faire encore demain.

Ne vous tentez pas vous-même en voulant prévenir des épreuves dont vous n’avez pas encore la grâce. Dès que vous apercevrez naître ces pensées, arrêtez-les dans leur commencement. On mérite la tentation quand on l’écoute. Coupez court, non par des efforts et par des méthodes, mais en laissant ces pensées sans leur dire ni oui ni non. Les gens auxquels on ne répond rien se taisent bientôt. Livrez-vous à Dieu sans vous reprendre sous aucun prétexte, et il aura soin de tout.

LSP 149*. POUR LA PERSONNE…

Pour la personne dont vous me parlez, vous n’avez qu’à faire ce que je m’imagine que vous faites, qui est de l’attendre, de ne la pousser jamais, de la laisser presser intérieurement à Dieu seul, de lui dire ce que Dieu vous donne quand elle vient à vous ; de le lui dire doucement, avec amitié, support, patience et consolation. Elle aura des inégalités, des irrésolutions, des défiances, des tentations contre vous : mais Dieu ne la laissera point sans achever son ouvrage, et c’est à vous à la soutenir. Les opérations de la grâce sont douloureuses. On vient jusques au bord du sacrifice de toutes les choses du monde, et on recule souvent d’horreur avant que de s’y précipiter. Ces hésitations si pénibles sont les fondements de ce que Dieu prépare. Plus on a été faible, plus Dieu donne sa force. Voyez l’agonie du jardin, où Jésus-Christ est triste jusqu’à la mort, et demande que le calice d’amertume soit détourné de lui : cette faiblesse est suivie du grand sacrifice de la Croix.

Pourvu que vous ne poussiez jamais trop cette personne, elle reviendra toujours à vous, et ces retours vous donneront une force infinie. Il ne faut souvent qu’une demi-parole, qu’un regard, qu’un silence, pour achever la détermination d’une âme que Dieu presse. Quand vous ne pourrez lui parler, donnez-lui quelque bonne et courte lecture à faire, ou un moment d’oraison à pratiquer. Si son esprit est trop peiné pour les exercices, demeurez en silence avec elle ; de temps en temps dites deux mots pour la calmer; souffrez d’elle tout ce que l’humeur et l’esprit de tentation lui feront faire, et qu’elle vous retrouve ensuite bonne et ouverte comme auparavant. Il n’y a que l’infidélité qu’il ne faut jamais lui passer; mais pour les saillies qui échappent, il faut les supporter. Si vous pouviez lui faire voir quelque personne d’expérience et de grâce qui vous aidât, ce serait un soulagement pour elle et pour vous ; mais si vous n’avez personne qui convienne, ou bien si elle ne peut s’ouvrir qu’à vous seule, il faut que vous portiez seule tout le fardeau.

LSP 204.*« JE PRENDS TOUJOURS GRANDE PART[...] »

Je prends toujours grande part aux souffrances de votre chère malade, et aux peines de ceux que Dieu a mis si près d’elle pour lui aider à porter sa croix. Qu’elle ne se défie point de Dieu, et il saura mesurer ses douleurs avec la patience qu’il lui donnera. Il n’y a que celui qui a fait les cœurs, et qui les refait par sa grâce, qui sache ces justes proportions. L’homme en qui il les observe les ignore; et ne connaissant ni l’étendue de l’épreuve future, ni celle du don de Dieu préparé pour la soutenir, il est dans une tentation de découragement et de désespoir. C’est comme un homme qui n’aurait jamais vu la mer, et qui, étant sur un rivage sans pouvoir fuir à cause d’un rocher escarpé, s’imaginerait que la mer, qui, remontant, pousserait ses vagues vers lui, l’engloutirait bientôt. Il ne verrait pas qu’elle doit s’arrêter à une certaine borne précise que le doigt de Dieu lui a marquée, et il aurait plus de peur que de mal.

Dieu fait de l’épreuve du juste comme de la mer: il l’enfle, il la grossit, il nous en menace, mais il borne la tentation. Fidelis Deus, qui non patietur vos tentari supra id quod potestis.503 Il daigne s’appeler lui-même fidèle. O qu’elle est aimable cette fidélité ! Dites-en un mot à votre malade, et dites-lui que, sans regarder plus loin que le jour présent, elle laisse faire Dieu. Souvent ce qui paraît le plus lassant et le plus terrible, se trouve adouci. L’excès vient, non de Dieu, qui ne donne rien de trop, mais de notre imagination, qui veut percer l’avenir, et de notre amour-propre, qui s’exagère ce qu’il souffre.

Ceci ne sera pas inutile à N...., qui se trouble quelquefois par la crainte de se troubler un jour. Tous les moments sont également dans la main de Dieu, celui de la mort comme celui de la vie. D’une parole il commande aux vents et à la mer; ils lui obéissent et se calment’. Que craignez-vous, ô homme de peu de foi ? Dieu n’est-il pas encore plus puissant que vous n’êtes faible?

LSP 155*. « VOUS NE SAURIEZ ME DIRE… »

Vous ne sauriez me dire les choses trop simplement. Ne vous mettez point en peine des pensées de vanité qui vous importunent par rapport aux dispositions de votre cœur que vous m’expliquez. Dieu ne permettra pas que le venin de l’orgueil corrompe ce que vous faites par nécessité pour aller droit à lui. De plus, il y a toujours plus à s’humilier et à se confondre, qu’à se plaire et à se glorifier dans les choses qu’on est obligé de dire de soi. Il en faut dire avec simplicité le bien comme le mal, afin que la personne à qui on se confie sache tout, comme un médecin, et puisse donner des remèdes proportionnés aux besoins.

Il ne s’agit point de ce que vous sentez malgré vous, ni des pensées qui se présentent à votre esprit, ni des distractions involontaires qui vous fatiguent dans votre oraison: il suffit que votre volonté ne veuille jamais être distraite, c’est-à-dire, que vous ayez toujours l’intention droite et sincère de faire oraison, et de laisser tomber les distractions dès que vous les apercevez. En cet état, les distractions ne vous feront que du bien : elles vous fatigueront, vous humilieront, vous accoutumeront à vivre de pain sec et noir dans la maison de Dieu : vous demeurerez fidèle à servir Dieu, à l’aimer, et à vous unir à lui dans la prière sans y goûter les consolations sensibles qu’on y cherche souvent plus que lui-même. L’illusion est à craindre quand on ne cherche Dieu qu’avec un plaisir goûté. Ce plaisir peut flatter l’amour-propre ; mais quand on demeure uni à Dieu dans les ténèbres de la foi et dans les sécheresses des distractions, on la suit en portant la croix pour l’amour de lui. Quand les douceurs viendront, vous les recevrez pour ménager votre faiblesse. Quand Dieu vous en sèvrera comme on sèvre un enfant du lait pour le nourrir de pain, vous vous passerez de cette douceur sensible, pour aimer Dieu dans un état humble et mortifié. Gardez-vous bien, en cet état, de reculer sur vos communions. L’oraison et la communion marcheront d’un pas égal, sans plaisir, mais avec une pure fidélité. Dieu n’est jamais si bien servi que quand nous le servons, pour ainsi dire, à nos dépens, sans en avoir sur-le-champ un profit sensible.

LSP 156.*« JE NE SUIS POINT ÉTONNÉ[...] »

Je ne suis point étonné de votre tiédeur. On n’est point toujours en ferveur; Dieu ne permet pas qu’elle soit continuelle: il est bon de sentir, par des inégalités, que c’est un don de Dieu, qu’il donne et qu’il retire comme il lui plaît. Si nous étions sans cesse en ferveur, nous ne sentirions ni les croix, ni notre faiblesse; les tentations ne seraient plus des tentations réelles. Il faut que nous soyons éprouvés par la révolte intérieure de notre nature corrompue, et que notre amour se purifie par nos dégoûts. Nous ne tenons jamais tant à Dieu, que quand nous n’y tenons plus par le plaisir sensible, et que nous demeurons fidèles par une volonté toute nue, étant attaché sur la croix. Les peines du dehors ne seraient point de vraies peines, si nous étions exempts de celles du dedans. Souffrez donc en patience vos dégoûts, et ils vous seront plus utiles qu’un goût accompagné de confiance en votre état. Le dégoût souffert par une volonté fidèle est une bonne pénitence. Il humilie, il met en défiance de soi, il fait sentir combien on est fragile, il fait recourir plus souvent à Dieu. Voilà de grands profits. Cette tiédeur involontaire, et cette pente à chercher tout ce qui peut flatter l’amour-propre, ne doivent pas vous empêcher de communier.

Vous voulez courir après un goût sensible de Dieu, qui n’est ni son amour, ni l’oraison. Prenez ce goût quand Dieu vous le donne, et quand il ne vous le donne pas, aimez, et tâchez de faire oraison comme si ce goût ne vous manquait pas. C’est avoir Dieu que de l’attendre. D’ailleurs vous faites très bien de ne demander à Dieu les goûts et les consolations qu’autant qu’il lui plaira de vous les donner. Si Dieu veut vous sanctifier par la privation de ces goûts sensibles, vous devez vous conformer à ces desseins de miséricorde et porter les sécheresses: elles serviront encore plus à vous rendre humble, et à vous faire mourir à vous-même ; ce qui est l’ œuvre de Dieu.

Vos peines ne viennent que de vous-même: vous vous les faites en vous écoutant. C’est une délicatesse et une sensibilité d’amour-propre que vous nourrissez dans votre cœur en vous attendrissant sur vous-même. Au lieu de porter fidèlement la croix, et de remplir vos devoirs en portant le fardeau d’autrui pour lui aider à le porter, et pour redresser les personnes que Dieu vous confie, vous vous resserrez en vous-même, et vous ne vous occupez que de votre découragement. Espérez en Dieu ; il vous soutiendra et vous rendra utile au prochain, pourvu que vous ne doutiez point de son secours, et que vous ne vous épargniez point dans ce travail.

Gardez-vous bien d’interrompre votre oraison; vous vous feriez un mal infini. Le silence dont vous me parlez vous est excellent toutes les fois que vous y sentez de l’attrait’. Sortez-en pour vous occuper des vérités plus distinctes, quand vous en avez la facilité et le goût; mais ne craignez point ce silence quand il opère en vous pour la suite une attention plus fidèle à Dieu dans le reste de la journée. Demeurez libre avec Dieu de la manière que vous pourrez, pourvu que votre volonté soit unie à lui, et que vous cherchiez ensuite à faire sa volonté aux dépens de la vôtre.

LSP 157.*« JE CROIS QUE VOUS DEVEZ ÊTRE[...] »

Je crois que vous devez être en repos pour votre oraison ; elle me paraît bonne, et vous n’avez qu’à la continuer avec confiance en celui d’où elle vient et avec qui vous y êtes. Pour ce que vous nommez instinct, c’est un germe secret d’amour et de présence de Dieu, qu’il faut avoir soin de nourrir, parce que c’est lui qui nourrit tout le reste dans votre cœur. La manière de cultiver cet instinct est toute simple: il faut, 1° éviter la dissipation qui l’affaiblirait; 2° le suivre par le retour au silence et au recueillement toutes les fois que ce fond se réveille et vous fait apercevoir votre distraction ; 3° céder à cet instinct, en lui faisant les sacrifices qu’il demande en chaque occasion pour vous faire mourir à vous-même.

Il ne faut pas croire que la présence de Dieu soit imaginaire, à moins qu’elle ne nous donne de grandes lumières pour dire de belles choses. Cette présence n’est jamais plus réelle et plus miséricordieuse, que quand elle nous enseigne à nous taire, à nous humilier, à n’écouter point notre amour-propre, et à demeurer avec petitesse et fidélité dans les ténèbres de la foi. Ce goût intime de renoncement à soi et de petitesse est bien plus utile que des lumières éclatantes et des sentiments vifs.

Pour cette présence sensible de Dieu que vous avez moins qu’autrefois, elle ne dépend pas de vous. Dieu la donne et l’ôte comme il lui plaît; il suffit que vous ne tombiez point dans une dissipation volontaire. Il y a des amusements de passion ou de vanité, qui dissipent et qui mettent quelque entre-deux entre Dieu et nous. Il y a d’autres amusements, qu’on ne prend que par simplicité et dans l’ordre de Dieu, pour se délasser, pour occuper l’activité de son imagination, pendant que le cœur a une autre occupation plus intime. On peut s’amuser de cette façon dans les temps de la journée où l’on ne pourrait pas continuer l’oraison sans se fatiguer: alors c’est une demi-oraison, qui vaut quelquefois autant que l’oraison même qu’on fait exprès.

LSP 159.*« VOUS NE DEVEZ POINT[...] »

Vous ne devez point être en peine sur la tranquillité que Dieu vous donne dans l’oraison. Quand elle vient, il la faut prendre sans aucun scrupule : ce serait résister à Dieu, que de vouloir, sous prétexte d’humilité et de pénitence, rejeter cet attrait de grâce pour vous occuper de vos misères. La vue de vos misères reviendra assez à son tour. Mais quand vous trouvez un penchant et une facilité à être dans une douce présence de Dieu, rien n’est si bon que d’y demeurer. Vous avouez que, hors de cette tranquillité en la présence de Dieu, vous ne savez ce que c’est qu’oraison. Gardez-vous bien donc de sortir, par votre propre choix, d’une disposition hors de laquelle vous dites que votre oraison se perd.

D’un autre côté, quand une certaine douceur vous manque en cet état-là, ne croyez point que tout soit perdu. Dieu ne vous ôte ce plaisir, que pour vous sevrer peu à peu comme un enfant, et pour vous accoutumer à du pain sec en la place du lait. Il faut sevrer l’enfant, et l’enfant crie : mais il vaut mieux le laisser crier, et le sevrer pour le mieux nourrir et le faire croître. La privation de cette douceur sensible ne détruit pas l’oraison ; au contraire, elle la purifie. C’est avoir Dieu sans Dieu, comme vous le disiez hier, c’est-à-dire, Dieu seul sans ses dons, qui rendent sa présence douce, sensible et consolante : c’est Dieu même dans un état de plus pure foi; c’est Dieu caché, mais Dieu pourtant; c’est Dieu qui éprouve notre amour; ce n’est plus Dieu qui charme notre goût et qui épargne notre faiblesse. Il faut éprouver la vicissitude de ces deux états, pour ne tenir point à l’un et pour n’être pas découragé de l’autre. Il faut être détaché de l’un, et ferme dans l’autre. Il faut être indifférent pour tous les deux, et ne changer point dans ces changements. Il faut croire que nous ne pourrons nous donner le goût consolant: c’est Dieu seul qui le donne, comme et quand il lui plaît. Il faut s’en laisser priver, et sacrifier à Dieu ses dons quand il les retire, comme une fidèle épouse se laisserait patiemment priver des joyaux et des caresses de son époux pour se conformer à sa volonté. Il est encore plus parfait de tenir à Dieu qui nous rabaisse, qui nous dépouille, qui nous éprouve, que de tenir à Dieu qui nous enrichit, qui nous charme et qui nous caresse.

Laissez vos fautes : il suffit de les voir quand la lumière s’en présente, et de ne vous épargner point sur leur correction. Vos tentations se tourneront à profit. La véritable union à Dieu, qui est un amour simple et humble, diminue les imperfections. Demeurez donc unie à Dieu, et souffrez tout ce qu’il donne de croix et d’épreuves.

LSP 178.*« JE SUIS DANS UNE HONTEUSE LASSITUDE[...] »

Je suis dans une honteuse lassitude des croix. Il me semble qu’il ne me reste plus ni force ni haleine pour respirer dans la souffrance. La croix me fait horreur, et ma lâcheté m’en fait aussi. Je suis, entre ces deux horreurs, à charge à moi-même. Je frémis toujours par la crainte de quelque nouvelle occasion de souffrance. Ce n’est pas vivre que de vivre ainsi: mais qu’importe? Notre vie ne doit être qu’une mort lente. Il n’y a qu’à se délaisser à la volonté toute-puissante qui nous crucifie peu à peu.

Mon cœur souffre dans ce moment sur ce que vous m’avez mandé, et votre souffrance augmente la mienne : mais il y a en moi, ce me semble, un fond d’intérêt propre et une légèreté dont je suis honteux. La moindre chose triste pour moi m’accable ; la moindre qui me flatte un peu me relève sans mesure. Rien n’est si humiliant que de se trouver si tendre pour soi, si dur pour autrui, si poltron à la vue de l’ombre d’une croix, et si léger pour secouer tout à la première lueur flatteuse. Mais tout est bon. Dieu nous ouvre un étrange livre pour nous instruire, quand il nous fait lire dans notre propre cœur.

LSP 181*. « C’EST À N... À SE LAISSER… »

C’est à N... à se laisser juger par les personnes qui le connaissent, et qui sont unies avec lui dans la même voie. Ce n’est pas assez de croire ce dont nous avons l’expérience ; il faut croire tout, quoiqu’on ne le voie pas, et le supposer vrai. Je compte que c’est faute d’attention que N.... ne l’a pas vu. II reste le point principal, qui est de se corriger; c’est à quoi il faut travailler en la manière qui convient: il faut le faire avec paix, simplicité et petitesse. Dieu veuille qu’il le fasse comme je le dis !

Je crois qu’il ne doit point avoir d’activité pour sa correction, et qu’elle doit venir par une simple fidélité à l’attrait de chaque moment, sans former des projets ni employer certains moyens. Il suffit de demeurer dans une certaine paix où l’esprit de grâce fait sentir ce qui serait d’un mouvement propre et d’une recherche secrète de sa satisfaction.

LSP 182.*« N... VOUS DIRA COMBIEN [...] »

N... vous dira combien je suis occupé de vous, et avec quel plaisir j’apprends que vous êtes en paix. O le grand sacrifice que la simplicité ! C’est le martyre de l’amour-propre. Ne se plus écouter, c’est la véritable abnégation. On aimerait mieux souffrir les plus cruels tourments. Dix ans d’austérités corporelles ne seraient rien en comparaison de ce retranchement des jalousies et des délicatesses de l’amour-propre, toujours curieux sur soi.

Cet abandon serait le plus grand de tous les soutiens, s’il était aperçu avec certitude : mais il ne serait plus abandon, si on le possédait; il serait la plus riche et la plus flatteuse possession de nous-mêmes. Il faut donc que l’abandon qui nous donne tout nous cache tout, et qu’il soit lui-même caché. Alors ce dépouillement total nous donne en réalité toutes les choses qu’il dérobe à notre amour-propre. C’est que l’unique trésor du cœur est le détachement. Quiconque est détaché de tout et de soi, retrouve tout et soi-même en Dieu. L’amour de Dieu s’enrichit de tout ce que l’amour-propre avare a perdu. […]

LSP 185.*« JE NE DOUTE POINT[...] »

Je ne doute point que Notre-Seigneur ne vous traite toujours comme l’un de ses amis, c’est-à-dire avec des croix, des souffrances et des humiliations. Ces voies et ces moyens, dont Dieu se sert pour attirer à soi les âmes, font bien mieux et plus vite cette affaire, que non pas les propres efforts de la créature; car cela détruit de soi-même et arrache les racines de l’amour-propre, que nous ne pourrions pas même découvrir qu’à grande peine ; mais Dieu, qui connaît ses tanières, le va attaquer dans son fort et sur son fond.

Si nous étions assez forts et fidèles pour nous confier tout à fait à Dieu, et le suivre simplement par où il voudrait nous mener, nous n’aurions pas besoin de grandes applications d’esprit pour travailler à la perfection ; mais parce que nous sommes si faibles dans la foi, que nous voulons savoir partout où nous allons, sans nous en fier à Dieu, c’est ce qui allonge notre chemin, et qui gâte nos affaires spirituelles, Abandonnez-vous tant que vous pourrez à Dieu, et jusques au dernier respir ; et il ne vous délaissera pas.

LSP 186*« SUIVEZ LA VOIE… »

Suivez la voie de mort dans laquelle Notre-Seigneur vous a mis, et travaillez à amortir cette vivacité de votre naturel qui vous entraîne dans ce que vous faites. Soyez persuadé que tout ce que nous faisons par ce que nous sommes, je veux dire selon notre humeur et tempérament, n’ayant rien de surnaturel, nous rend ce que nous faisons inutile pour nous avancer en Dieu ; et parce que sa divine Majesté demande des âmes qu’elle attire à soi un retour ou recoulement [reflux] perpétuel dans notre fin dernière, et dans la plénitude du vrai bien ; lorsque nous agissons par nous-mêmes et selon notre humeur, tout ce que nous faisons se réfléchit sur nous-mêmes et en demeure là, et Dieu n’y a point de part.

Vous voyez donc de quelle importance il vous est de réprimer la vivacité de vos humeurs et passions, et que c’est très peu de chose de voir et pénétrer les secrets de la vie spirituelle, si on ne met point en exécution les moyens qui sont nécessaires pour parvenir à sa fin, qui est l’union réelle et véritable avec Dieu. Ceci ne demande point d’occupation de tête ni d’esprit, mais bonne volonté dans les occasions qui se présentent.

LSP 188.*« JE VOUS SOUHAITE[...] »

Je vous souhaite la paix du cœur et la joie du Saint-Esprit, qui se trouve au milieu de toutes les croix et de toutes les tentations de la vie. C’est la différence essentielle entre la Babylone et la cité de Dieu. Un habitant de Babylone, quelque prospérité mondaine qui l’enivre, a un je ne sais quoi qui dit au fond du cœur : ce n’est pas assez; je n’ai pas tout ce que je voudrais, et j’ai encore ce que je ne voudrais pas. Au contraire, l’habitant de la cité sainte porte au fond de son cœur un fiat et un amen continuel. Il veut toutes ses peines, et il ne veut aucune des consolations dont Dieu le prive. Demandez-lui ce qu’il veut, il vous répondra que c’est précisément ce qu’il a. La volonté de Dieu, dans le moment présent, est le pain quotidien qui est au-dessus de toute substance. Il veut tout ce que Dieu veut en lui et pour lui. Cette volonté fait le rassasiement de son cœur; c’est la manne de tous les goûts. […] Quelle est donc sa volonté sur vous ? c’est que vous n’en ayez plus aucune, que vous ne trouviez plus en vous de quoi vouloir, que vous laissiez Dieu vouloir en vous tout ce qui est selon son esprit. […] On veut que Dieu veuille ce que nous voulons, afin que nous voulions notre propre volonté dans la sienne. Il faut que la volonté de Dieu démonte la nôtre, et qu’il soit lui seul toutes choses en nous.

LSP 220.*CONSOLATION 1

C’est, Madame504, une triste consolation, que de vous dire qu’on ressent votre douleur. C’est pourtant tout ce que peut l’impuissance humaine ; et pour faire quelque chose de plus, il faut qu’elle ait recours à Dieu. C’est donc à lui, Madame, que je m’adresse, à ce consolateur des affligés, à ce protecteur des infirmes. Je le prie, non de vous ôter votre douleur, mais qu’il fasse qu’elle vous profite, qu’il vous donne des forces pour la soutenir, qu’il ne permette pas qu’elle vous accable. Le souverain remède aux maux extrêmes de notre nature, ce sont les grandes et vives douleurs. C’est parmi les douleurs que s’accomplit le grand mystère du Christianisme, c’est-à-dire le crucifiement intérieur de l’homme. C’est là que se développe toute la vertu de la grâce, et que se fait son opération la plus intime, qui est celle qui nous apprend à nous arracher à nous-mêmes: sans cela, l’amour de Dieu n’est point en nous. Il faut sortir de nous-mêmes pour être capables de nous donner à Dieu. Afin que nous soyons contraints de sortir de nous-mêmes, il faut qu’une plaie profonde de notre cœur fasse que tout le créé se tourne pour nous en amertume. Ainsi notre cœur, blessé dans la partie la plus intime, troublé dans ses attaches les plus douces, les plus honnêtes, les plus innocentes, sent bien qu’il ne peut plus se tenir en soi-même505, et s’échappe de soi-même pour aller à Dieu.

Voilà, Madame, le grand remède aux grands maux dont le péché nous accable. Le remède est violent, mais aussi le mal est bien profond. C’est là le véritable soutien des chrétiens dans les afflictions. Dieu frappe sur deux personnes saintement unies ; il leur fait un grand bien à toutes deux : il en met l’une dans la gloire, et de sa perte il fait un remède à celle qui reste au monde. C’est, Madame, ce que Dieu a fait pour vous. Puisse-t-il par son Saint-Esprit réveiller toute votre foi pour vous pénétrer de ces vérités ! Je l’en prierai sans cesse, Madame, et comme j’ai beaucoup de confiance aux prières des gens de bien affligés, je vous conjure de prier pour moi au milieu de vos douleurs. Votre charité saura bien vous dire de quoi j’ai besoin, et vous le faire demander avec instance.

LSP 221.*CONSOLATION 2

Dieu a pris ce qui était à lui : n’a-t-il pas bien fait? Il était bien temps que F[...]. se reposât de toutes ses peines ; il en a eu de grandes, et ne s’y est point regardé: il n’était pas question de lui, mais de la volonté de celui qui le menait. Les croix ne sont bonnes qu’autant qu’on se livre sans réserve, et qu’on s’y oublie. Oubliez-vous donc, Monsieur, autrement toute souffrance est inutile. Dieu ne nous fait point souffrir pour souffrir, mais pour mourir à force de nous oublier nous-mêmes dans l’état où cet oubli est le plus difficile, qui est celui de la douleur. […]

LSP 223.*CONSOLATION 4

Dieu a fait sa volonté: il a pris ce qui était à lui, et il vous a ôté ce qui n’était pas à vous. Vous êtes vous-même tout entier à lui. Je sais combien vous voulez y être : il n’y a qu’à lui sacrifier tout dans les occasions. Il a pris soin de tout, lors même qu’il a retiré notre cher A[...].. […]

Je suis dans une paix très amère, et je vous souhaite cette paix sans vous en souhaiter l’amertume. Il me serait impossible de vous dire plus en détail de mes nouvelles : je ne comprends point mon état, tout ce que j’en veux dire me semble faux, et le devient dans le moment. Souvent la mort me consolerait: souvent je suis gai, et tout m’amuse. De vous dire pourquoi l’un et pourquoi l’autre, c’est ce que je ne puis; car je n’en ai point de vraies raisons. À tout prendre, je trouve que je suis dans ma place, et je ne songe point qu’il y ait au monde d’autres lieux que ceux où mes devoirs m’attachent. Si je pouvais vous voir, j’en serais bien aise ; mais ne le pouvant, il me suffit de me trouver tout auprès de vous en esprit, malgré la distance des lieux. Demeurons unis de cette façon, pendant que la Providence nous tient si séparés.

LSP 491.*« SOYEZ SIMPLE[...] »

… Ce que je vous désire plus que tout le reste est un profond oubli de vous-même. On veut voir Dieu en soi ; et il faut ne se voir qu’en Dieu. Il faudrait ne s’aimer que pour Dieu, au lieu qu’on tend toujours sans y prendre garde à n’aimer Dieu que pour soi. Les inquiétudes n’ont jamais d’autre source que l’amour-propre : au contraire, l’amour de Dieu est la source de toute paix. Quand on ne se voit plus qu’en Dieu, on ne s’y voit plus que dans la foule, et que des yeux de la charité, qui ne trouble point le cœur.

Il n’y a jamais que l’amour-propre qui s’inquiète et qui se trouble. L’amour de Dieu fait tout ce qu’il faut d’une manière simple et efficace, sans hésiter: mais il n’est ni empressé, ni inquiet, ni troublé. L’Esprit de Dieu est toujours dans une action paisible. …

1889. LSP 216. A***. 18 août 1714.

Il n’y a point d’âme qui ne dût être convaincue qu’elle a reçu des grâces pour la convertir et pour la sanctifier, si elle repassait dans son cœur toutes les miséricordes qu’elle a reçues. Il n’y a qu’à admirer et à louer Dieu, en se méprisant et se confondant soi-même. Il faut conclure de ces grandes grâces reçues, que Dieu est infiniment libéral, et que nous lui sommes horriblement infidèles.

Il faut éviter la dissipation, non par une continuelle contention d’esprit, qui casserait la tête et qui en userait les ressorts, mais par deux moyens simples et paisibles. L’un est de retrancher dans les amusements journaliers toutes les sources de dissipation qui ne sont pas nécessaires pour relâcher l’esprit à proportion du vrai besoin ; l’autre est de revenir doucement et avec patience à la présence de Dieu toutes les fois qu’on s’aperçoit de l’avoir perdue.

Il n’est point nécessaire de mettre toujours en acte formel et réfléchi tous les exercices de piété. Il suffit d’y avoir attention habituelle et générale, avec l’intention droite et sincère de suivre la fin qu’on doit s’y proposer. Les distractions véritablement involontaires ne nuisent point à la volonté qui ne veut y avoir aucune part. C’est la tendance réelle de la volonté qui fait l’essentiel.

Conservez sans scrupule la paix simple que vous trouvez dans votre droiture en cherchant Dieu seul. L’amour de Dieu donne une paix sans présomption : l’amour-propre donne un trouble sans fruit. Faites chaque chose le moins mal que vous pourrez pour le bien-aimé. Voyez ce qui vous manque, sans vous flatter ni décourager; puis abandonnez-vous à Dieu, travaillant de bonne foi sans trouble à vous corriger.

Plus vous serez vide de vos propres biens et de vos ressources humaines plus vous trouverez une lumière et une force intime qui vous soutiendront au besoin, en vous laissant toujours sentir votre faiblesse, comme si vous alliez tomber à chaque pas. Mais n’attendez point ce secours comme un bien qui vous soit dû. Vous mériteriez de le perdre si vous présumiez de l’avoir mérité. Il faut se croire indigne de tout, et se jeter humblement entre les bras de Dieu.

Quand c’est l’amour qui vous attire, laissez-vous à l’amour, mais ne comptez point sur ce qu’il peut y avoir de sensible dans cet attrait, pour vous en faire un appui flatteur. Ce serait tourner le don de Dieu en illusion. Le vrai amour n’est pas toujours celui qu’on sent et qui charme ; c’est celui qui humilie, qui détache, qui apetisse l’âme, qui la rend simple, docile, patiente sous les croix, et prête à se laisser corriger506.

Je vous suis très sincèrement dévoué en notre Seigneur.

1903. LSP 217. A***. 16 octobre 1714.

Je reviens d’un assez long voyage pour des visites. J’ai trouvé votre lettre du 30 août, à laquelle je réponds507.

1° Marchez dans les ténèbres de la foi et dans la simplicité évangélique, sans vous arrêter, ni au goût, ni au sentiment, ni aux lumières de la raison, ni aux dons extraordinaires. Contentez-vous de croire, d’obéir, de mourir à vous-même, selon l’état de vie où Dieu vous a mis.

2° Vous ne devez point vous décourager pour vos distractions involontaires qui ne viennent que de vivacité d’imagination, et d’habitude de penser à vos affaires. Il suffit que vous ne donniez point lieu à ces distractions qui arrivent pendant l’oraison, en vous donnant une dissipation volontaire pendant la journée. On s’épanche trop quelquefois ; on fait même des bonnes œuvres avec trop d’empressement et d’activité; on suit trop ses goûts et ses consolations: Dieu en punit dans l’oraison. Il faut s’accoutumer à agir en paix, et avec une continuelle dépendance de l’esprit de grâce, qui est un esprit de mort à toutes les œuvres les plus secrètes de l’amour-propre.

3° L’intention habituelle, qui est la tendance du fond vers Dieu, suffit. C’est marcher en la présence de Dieu. Les événements ne vous trouveraient pas dans cette situation, si vous n’y étiez point. Demeurez-y en paix, et ne perdez point ce que vous avez chez vous, pour courir au loin après ce que vous ne trouveriez point. J’ajoute qu’il ne faut jamais négliger, par dissipation, d’avoir une intention plus distincte; mais l’intention qui n’est pas distincte et développée est bonne.

4° La paix du cœur est un bon signe, quand on veut d’ailleurs de bonne foi obéir à Dieu par amour, avec jalousie contre l’amour-propre.

5° Profitez de vos imperfections pour vous détacher de vous-même, et pour vous attacher à Dieu seul. Travaillez à acquérir des vertus, non pour y chercher une dangereuse complaisance, mais pour faire la volonté du bien-aimé.

6° Demeurez dans votre simplicité, retranchant les recours inquiets sur vous-même, que l’amour-propre fournit sans cesse sous de beaux prétextes. Ils ne feraient que troubler votre paix, et que vous tendre des pièges. Quand on mène une vie recueillie, mortifiée, et de dépendance, par le vrai désir d’aimer Dieu, la délicatesse de cet amour reproche intérieurement tout ce qui le blesse ; il faut s’arrêter tout court dès qu’on sent cette blessure et ce reproche au cœur. Encore une fois, demeurez en paix. Je prie Dieu tous les jours à l’autel, qu’il vous maintienne en union avec lui, et dans la joie de son Saint-Esprit. / Je vous suis dévoué avec un vrai zèle.




« Conclusion »



Achevons ce Florilège par de beaux passages glanés lors de notre découverte en lecture du premier ouvrage édité par les disciples en 1717 :

L’excellente prière n’est autre chose que l’amour de Dieu. [...] Le cœur ne demande que par ses désirs. Prier est donc désirer ; mais désirer ce que Dieu veut que nous désirions[...]. (OS1-(1-2))508

L’amour caché au fond de l’âme prie sans relâche, alors même que l’esprit ne peut être dans une actuelle attention. Dieu ne cesse de regarder dans cette âme le désir qu’il y forme lui-même, et dont elle ne s’aperçoit pas toujours. (OS1-(3))

C’est une fausse humilité, que de se croire indigne des bontés de Dieu, et de n’oser les attendre avec confiance [...] Mais Dieu n’a besoin de rien trouver en nous : il n’y peut jamais trouver que ce qu’il y a mis lui-même par sa grâce. (OS1-40)

Presque tous ceux qui songent à servir Dieu, n’y songent que pour eux-mêmes. Ils songent à gagner, et point à perdre ; à se consoler et point à souffrir ; à posséder, et non à être privé ; à croître et jamais à diminuer. Et au contraire, tout l’ouvrage intérieur consiste à perdre, à sacrifier, à diminuer, à s’apetisser et à se dépouiller même des dons de Dieu, pour ne tenir plus qu’à lui seul. (OS1-147)

L’amour-propre malade est attendri sur lui-même, il ne peut être touché sans crier les hauts cris. [...] Voilà tous les enfants d’Adam qui se servent de supplice les uns aux autres ; voilà la moitié des hommes qui est rendue malheureuse par l’autre, et qui la rend misérable à son tour ; voilà dans toutes les nations, dans toutes les villes, dans toutes les communautés, dans toutes les familles, et jusqu’entre deux amis, le martyre de l’amour-propre. L’unique remède pour trouver la paix est de sortir de soi. Il faut se renoncer, et perdre tout intérêt propre, pour n’avoir plus rien à perdre, ni à craindre, ni à ménager. Alors on goûte la vraie paix réservée aux hommes de bonne volonté, c’est-à-dire à ceux qui n’ont plus d’autre volonté que celle de Dieu qui devient la leur. Alors les hommes ne peuvent plus rien sur nous, car ils ne peuvent plus nous prendre par nos désirs ni par nos craintes. (OS1-165)

On se donne à vous pour devenir grand ; mais on se refuse dès qu’il faut se laisser apetisser. [...] Ce n’est pas vous aimer, c’est vouloir être aimé par vous. (OS1-191)

Ils ignorent l’esprit d’amour, qui rend tout léger. Ils ne savent pas que cette religion [mène] à la plus haute perfection par un sentiment de paix et d’amour, qui en adoucit tous les maux. Ceux qui sont à Dieu sans partage sont toujours heureux. Ils éprouvent que le joug509 de Jésus-Christ est doux et léger, qu’on trouve en lui le repos de l’âme, et qu’il soulage ceux qui sont chargés et fatigués, comme il a promis lui-même. (OS1-196)



Documents

Liste de proches de madame Guyon

Jacques Bertot 1620-1671

Archange Enguerrand 1631-1699 & Mère Granger 1600-1674

Françoise d’Aubigné marquise de Maintenon 1635-1719

François Lacombe 1640-1715

Duch.de Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716

x Arnaud de Béthune 1640-1717 >Nicolas de B.-Charost 1660-1699

Comtesse de Gramont [née Hamilton] 1640-1708

Mme Guyon 1648-1717

Paul de Beauvillier 1648-1714

x Duch.de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

>Vidame d’Amiens 1676-1744 & Marie-Thérèse de Morstein

Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712

x Duch.de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

Marie-Anne de Mortemart -1750 [née Colbert]

Marie-Françoise-Silvine de la Maisonfort 1663->1717

Isaac Dupuy >1737

Marie-Christine de Noailles, duch.de Gramont ‘la colombe’ 1672-1748

x A. de Gramont comte de Guiche

James 16th Lord Forbes 1689-1761 & Lord Deskford 1690-1764

Liste de proches de François de Fénelon

(Nous omettons de très nombreux correspondants et relations)

Louis Tronson 1622-1700

Jean-Baptiste Bossuet 1627-1704

François de Fénelon 1652-1715

Gabriel de la Cropte de Chanterac -1715

François A. de Langeron 1658-1710

Pantaleon de Beaumont 1660-1744

Marquis de Fénelon 1688-1746

Les enfants Colbert

Le 13 décembre 1648, Jean-Baptiste COLBERT épouse Marie Charron, fille d’un membre du conseil royal. Ensemble, ils auront neuf enfants. En étroite correspondance avec Fénelon et avec madame Guyon certains d’entre eux sont directement ou en relation par mariage avec les principaux destinataires de Lettres spirituelles .

Il s’agit de BLAINVILLE, des duchesses de CHEVREUSE et de BEAUVILLIER, de « la petite duchesse » de MORTEMART. Le marquis de Seignelay et l’archevêque de Rouen furent également en relation avec Fénelon.

On peut dire que presque toute la famille fut en correspondances.

Voici la liste des neuf enfants  :

1.Jeanne-Marie (1650-1732)

mariée à Charles-Honoré d’Albert de Luynes duc de CHEVREUSE (1656-1712) ;

2.Jean-Baptiste (1651-1690), marquis de Seignelay ;

3.Jacques-Nicolas (1654-1707), archevêque de Rouen ;

4.Henriette-Louise (1657-1733) 

mariée à Paul de BEAUVILLIER (1648-1714), marquis de Saint-Aignan puis duc.

5.Antoine-Martin (1659-1689) ;

6.Jean-Jules-Armand (1664-1704), marquis de BLAINVILLE ;

7.Marie-Anne (1665-1750) « la petite duchesse » pour Mme Guyon

Cette cadette (l’adjectif « petite ») ‘reprend le flambeau’ au sein du cercle des disciples après à la mort de Mme Guyon.

mariée à Louis de Rochechouart, duc de MORTEMART (neveu de Madame de Montespan) ; postérité dont notamment Talleyrand ;

8.Louis (1667-1745), comte de Linières, garde de la Bibliothèque du roi et militaire ;

9.Charles-Édouard (1670-1690), comte de Sceaux.

Les enfants Fouquet

Nicolas FOUQUET (1615-1680) l’Intendant

x Louise Fourché de Quéhillac :

1.Marie Fouquet (1640-1716) x Louis Armand de Béthune

[ duchesse de B.-Charost qui, accueillie à Montargis, rencontra la jeune Jeanne Guyon (1648-1717) avant son mariage]

x (2e noces) Marie-Madeleine de Castille :

1a.Louis-Nicolas Fouquet (1654-1705) x Jeanne-Marie Guyon


Nous terminons en reproduisant l’introduction d’I. Noye ouvrant avec des précisions nécessaires le dernier volume auquel nous sommes si redevable [CF18] :







Introduction aux lettres spirituelles (I. Noye)

La première édition des Œuvres spirituelles de Fénelon (Anvers, 1718) comportait un second volume « contenant ses lettres spirituelles », soit 248 pièces, pour la plupart sans date ni désignation du destinataire. Une « seconde édition », parue à Lyon l’année suivante, en portait le nombre à 256, sans compter un cahier préliminaire qui ajoutait cinq lettres. Après plusieurs éditions du dix-huitième siècle qui dépendaient évidemment de ces deux premières sans les enrichir beaucoup, J.-E. Gosselin plaçait aussi sous le même titre des correspondances bien identifiées, ce qui faisait de cette section un ensemble de 477 pièces dans son édition « de Versailles » (1827), puis de 502 dans celle « de Paris » (1851) [OF]. Un grand nombre d’entre elles figurent donc dans nos tomes précédents [CF], nous en donnons la référence. Pour les 146 qui restent sans date ou sans le nom d’un destinataire certain, à part quelques-unes que Gosselin avait pu vérifier sur l’autographe ou sur une copie ancienne, il faut admettre le texte qu’il donne d’après ses prédécesseurs, tout en sachant qu’ils n’ont pas toujours respecté le texte original (suppression de tout nom propre, retouches stylistiques, élimination de passages entiers, fusion d’éléments de plusieurs lettres en une seule[...]). Nous marquons ces lettres de l’astérisque* [*repris] ; il faut cependant parler d’authenticité substantielle, visible par leur parenté avec l’ensemble des pièces bien identifiées, et par la minceur des divergences quand on peut les comparer avec l’original (par exemple, dans la lettre LSP 502 qui clôt ce Supplément).

Comme l’édition de Paris a servi de référence pendant un siècle et demi pour les publications et travaux sur Fénelon, nous n’avons pas voulu introduire une nouvelle numérotation de ces 146 lettres; aussi gardons-nous les numéros de [OF], en les faisant précéder du sigle LSP. […]

L’étude attentive de ces lettres avait conduit A. Delplanque à reconnaître quelques-uns des destinataires ; les notes de Jean Orcibal dans les tomes précédents [CF] nous ont permis de continuer dans le même sens et d’aboutir dans quelques cas à une certitude ; dans beaucoup d’autres, ce n’est qu’une probabilité, que nous marquons par le point d’interrogation au nom proposé. Quand plusieurs lettres visent une même personne inconnue de nous, nous les affectons d’un sigle (O, U, Y, Z) [sigles repris] qui n’indique pas l’initiale d’un nom propre. Quant aux vingt-trois pièces dont aucun élément ne suggère le nom ou le profil d’un possible destinataire, nous les désignons par leur thème (ainsi, quatre « Consolation » [repris] ) ou par leur incipit. […]



Je souligne :

1. entre crochets : mes ajouts, soit des incipit de lettres non titrées, des références à mon éditions Madame Guyon Correspondance I Directions spirituelles [CG I],…


2.quelques passages de Keith et autres qui me paraissent notables du point de vue de l’école Bernières-Bertot-Guyon-Fénelon… ou qui portent sur la vie intérieure (choix réduit).










Mystics of the North-East

MYSTICS OF THE NORTH-EAST





INCLUDING

I. LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS TO LORD DESKFORD

II. CORRESPONDENCE BETWEEN DR. GEORGE GARDEN AND JAMES CUNNINGHAM







EDITED, WITH INTRODUCTION AND NOTES, BY G. D. HENDERSON, B.D., D.LITT.

REGIUS PROFESSOR OF CHURCH HISTORY IN THE UNIVERSITY OF ABERDEEN

ABERDEEN PRINTED FOR THE THIRD SPALDING CLUB MCMXXXIV










PREFACE

THE Charter Room of Cullen House, Banffshire, is rich in letters of historical interest. Many of these have already been published. /1/ The present volume contains another selection of the Cullen House Letters, consisting chiefly of those which reached Lord Deskford from his friend James Keith, M.D., in the period 1713-23.

The interest of these documents is varied. They shed some new light upon the biography and character of a number of prominent men in the North-East of Scotland who were involved in the ‘Fifteen, and elucidate the extent and nature of their concern with a curious religious movement. They were good Scots and good Episcopalians, but they engaged in a correspondence with certain French Roman Catholic mystics, especially the celebrated Madame Guyon, and eagerly studied mystical literature, in particular the books edited by Pierre Poiret, a French Protestant mystic residing in Holland. The letters to and from Madame Guyon and the books issued by Poiret passed through the hands of an Aberdeen medical man in London, Dr. James Keith, and his Letters provide us with entirely new information regarding these remarkable foreign influences, revealing some of the Jacobite sympathisers in a new light, and showing a side of the Scottish political situation to which little attention has been directed. In addition the letters offer incidental information on many events of the day, and reflect the social conditions of the period.

An attempt has been made to bring out in the footnotes the significance of any references in the text which might not be obvious, and also to identify the many personages mentioned. The process of identification was not always easy, and was not made easier by the practice of using mere initials. In a few cases no certainty was reached, and in some the attempt at identification has meantime

/1/ Hist. MSS. Corn., Rep. XIV, App. III (1894) ; Scot. Hist. Soc., Seafield Correspondence (1912) ; Scot. Hist. Soc., Lord Seafield's Letters (1915).

been definitely unsuccessful/510. The Editor would welcome evidence which readers may be able to provide towards clarifying any points or correcting any misunderstandings.

The Correspondence between Dr. George Garden and James Cunningham of Barns is published from a manuscript copy in the Scottish Episcopal College, Edinburgh. The opportunity is taken to publish the correspondence in this volume, because it shows the profound interest which certain of the Episcopalian landed gentry of Scotland were taking in religious matters, and how earnestly they were seeking escape from the unsatisfactory outward Church conditions of their time, and because it makes plain the extraordinary length to which such honest interest may drive pious souls unless very wisely directed, and because it reveals the sanity of judgment of Dr. George Garden in the matter of religious enthusiasm, offering a full refutation of the popular opinion of him in the Church of his day as a dangerous heretic and a "raving enthusiast." The phenomenon of the French prophets has recently been studied with reference to their English adventures. These Letters give us new knowledge of their influence and are an important addition to our information regarding their invasion of Scotland.

Acknowledgment is most gratefully made of the kindness of the Seafield Trustees in allowing the Letters from James Keith, M.D., to be published, and of David T. Samson, Esq., Seafield Estates Office, Cullen, in granting every facility to the Editor. Similar thanks are offered to the Principal of the Scottish Episcopal College, Edinburgh, for permission to publish the Correspondence between Dr. George Garden and James Cunningham of Barns ; and to Miss Isabel Grieve, Edinburgh, the Librarian of the College, for her help in the matter. The Editor wishes also to express his indebtedness to all who have rendered assistance in the progress of this work, and especially to Dr. W. Douglas Simpson, Editorial Secretary of the Third Spalding Club ; to M. l'Abbé E. Levesque, Seminaire de S. Sulpice, Paris ; the Librarian, Faculté de Theol. libre de Lausanne ; the authorities of the University Library, Amsterdam ; and those of other Libraries and similar institutions in this country ; to Alistair N. Tayler, Esq. ; the Rt. Hon. Lord Forbes ; the late Professor A. Eekhof, University of Leyden ; and many others who kindly answered enquiries or aided research.

Jan. 25, 1710 235

5. Garden to Cunningham, March, 1710 237

INDEX 236

LIST OF ILLUSTRATIONS [omitted here !]

LORD DESKFORD, AFTERWARDS 5TH EARL OF FINDLATER Frontispiece

From Painting at Cullen House.

MADAME GUYON Facing 16

JAMES, 16TH LORD FORBES 50

From Painting at Castle Forbes.

HANDWRITING OF JAMES KEITH, M.D. 79

From Letter preserved at Cullen House, printed at p. 79.

HANDWRITING OF MADAME GUYON 121

From Letter preserved at Cullen House, printed at p.121

HANDWRITING OF LORD DESKFORD 129

PIERRE POIRET 150

HANDWRITING OF ANDREW MICHAEL RAMSAY 187

DR. GEORGE CIFEYNE 203

ALEXANDER, 4TH LORD FORBES OF PITSLIGO 235“ “ 191

LETTERS :

I. Cunningham to Garden, [Nov, 17, 1709] 199

2. Garden to Cunningham, [Dec. 2, 1709] 208

3. Cunningham to Garden, Jan. 12, 1710 221

4. May, [1723] . 189

CORRESPONDENCE BETWEEN DR. GEORGE GARDEN AND JAMES CUNNINGHAM OF BARNS :

INTRODUCTION : THE FRENCH PROPHETS IN SCOTLAND . “ “ Mar. 12, 1723 . 188

63. “ “ Mar. 7, 1723 . 186

62. „ „ Aug. 14, 1722 . 180

59. A. M. Ramsay to Lord Deskford Dec. 23, [1722] 183

6o. Dr. Keith to Lord Deskford Mar. 2, 1723 185

61.„ „ „ May 1, 1722 . 176

56. Patrick Campbell of Monzie to Lord Deskford May 15, 1722 . 177

57. Dr. Keith to Lord Deskford June 16, 1722 . 178

58.„ „ 165

5o. Dr. Keith to Lord Deskford July 2, 1720 . 166

51 Sept. 20, 1720 . 163

52 Oct. 22, 1720 . 171

53. Dr. George Garden to Lord Deskford [1721] 173

J4. Dr. Keith to Lord Deskford Dec. 16, 1721 . 174

55. [1720] . Nov. 15, 1718 . 163

49. A. M. Ramsay and Marquis de Fénelon to Lord Deskford Feb. 26,“ “ Sept. 3o, 1718 . 161

48.“ “ July 5, 1718 . 159

47 “ Deskford Dec. 22, [1717]

44. Dr. Keith to Lord Deskfo rd, with extract from letter of Otto Homfeld to Dr. Keith Jan. 7, 1718 154

45. Dr. Keith to Lord Deskford Mar. 8, 1718 157

46. “

. Sept. 10, 1717 .

41. Dr. Keith to Lord Deskford, with extract from letter of A. M. Ramsay to Dr. Keith Sept. 10, [1 717]

42. Dr. Keith to Lord Deskford Oct. 29, 1717 .

43. A. M. Ramsay and Marquis de Fénelon to Lord June 29, [1717]

39. A. M. Ramsay to Lord Deskford [June, 1717] .

40. Dr. Keith to Lord Deskford July 2, 1717 .

38. Marquis de Fénelon to Lord Deskford, with postscript by A. M. Ramsay Apr. 13, 1717 .

36. Dr. Keith to Lord Deskford June I I, 1717 .

37. Dr. Keith to Lord Deskford, with extract from letter of A. M. Ramsay to Dr. Keith . Feb. 5, [1717] .

35. Dr. Keith to Lord Deskford, with copy of letter from Madame Guyon to Mrs. Keith „ „ Dec. 13, 1716

32. A. M. Ramsay to Lord Deskford Jan. 1, 1717

33. Dr. Keith to Lord Deskford Jan 3, 1 717

34. “ “ 1716

30. Dr. Keith to Lord Deskford Oct. I, 1716 .

31. July I5, June 13, 1716 .

28. Marquis de Fénelon to Lord Deskford June, [1716]

29. Dr. Keith to Lord Deskford, with postscript by Patrick Campbell of Monzie.“ “ Mar. 6, [1716]

25. Madame Guyon to Lord Deskford Mar. 17, [1716]

26. Dr. Keith to Lord Deskford May 29, 1716

27.“ “ Mar. 1, [1716]

24. Dec. 13, 1715

23. “ ” Sept. 17, 1715

20. Madame Guyon to Dr. Keith (copy) Aug. 22, 1715.

21. Dr. Keith to Lord Deskford Nov. 5, 1715

22. Aug. 30, 1715

19. Aug. 6, 1715 .

18. “ “ .

16. Dr. Keith to Lord Deskford Aug. 4, 1715

17. July I0, 1714

8. Lord Deskford to Madame Guyon (copy). Oct. 24, 1714

9. A. M. Ramsay to Lord Deskford (copy), Nov. 24, [1714].

10. Lord Deskford to Madame Guyon, with postscript to A. M. Ramsay (copy) Nov. 17, 1714

11. Dr. Keith to Lord Deskford, Jan. 25, 1715 .

12. Part of Letter from Madame Guyon to Lord Deskford, with postscript from A. M. Ramsay, Jan. 12, 1715

13. A. M. Ramsay and Madame Guyon to Lord Deskford.

14. Dr. Keith to Lord Deskford

15. Madame Guyon to (?) Lord Deskford (copy)„ „ June 26, 1714

7. May 15, 1714

6. Apr. 6, 1714

5. Mar. 20, 1714

4. Dec. 29, 1713

3. “ “

      1. CONTENTS

[table avec la pagination d’origine]



PREFACE

INTRODUCTION

I. Forerunners

2. Madame Guyon, Pierre Poiret, etc. 14 511

3. Religious Conditions in the North-East 21

4. Jacobite Sympathies 28

5. Dr. George Garden 32

6. Lord Deskford 39

7. Lord Forbes of Pitsligo . 44

8. William, 14th Lord Forbes, and James, 16th Lord Forbes 46

9. Chevalier Ramsay 51

10. James Keith, M.D. 56

11. The Garden Case 61

12. Some Minor Characters 65

13. The Letters 70

LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS TO LORD DESKFORD.

1. Dr. Keith to Lord Deskford, Oct. 10, 1713

2.




page 11 d’origine

INTRODUCTION.

      1. I. FORERUNNERS.

THE North-East of Scotland has made a number of contributions to the literature of Mystical Religion. Three of these may be specially mentioned here—The Spiritual Exercises of John Forbes of Corse, Henry Scougall's Life of God in the Soul of Man, and James Garden's Comparative Theology.

It happens that the authors all occupied the position of Professor of Divinity at King's College, Aberdeen. This is not the only link that unites them. George Garden, who will figure largely in this volume as the soul of the Mystical Movement in the North-East, translated into Latin the Spiritual Exercises of John Forbes of Corse and published them in the collected edition of Forbes's works /1/ which he issued in 1702-3 through the Wetstein 512 Press in Amsterdam. He was an ardent admirer of Forbes and remains the chief authority on his life and character. The same George Garden was the intimate personal friend of Henry Scougall, and when that young divine died in 1678 it was Garden who preached his funeral sermon. /2/Again, George Garden was most closely associated with the third work on our list, for its author was his elder brother, and the two men were one in outlook.

The Spiritual Exercises of John Forbes of Corse, which he noted down at irregular intervals between February, 1624, and July, 1647, a few months before his death, is a somewhat formless document, part diary, part exegetical study, part collection of private meditations. It has never been published /3/ as a whole save in Garden's Latin version ; but it is a living document of religion and the work of one whose faith and humility and earnestness made a deep impression upon all who knew him, and whose childlikeness and simplicity, whose charity and gentleness, whose joy and peace, whose devotion to truth and concern for the things of eternity reveal



/1/ Opera Johannis Forbesii, 2 vols., 1702-3.

/2/ Printed in Scougall, Works, 1726, and other editions.

/3/ See article by present writer on A Scottish Diary of the Seventeenth Century, " London Quarterly Review," Jan. 1929. Extracts from the Exercises will be found in Macmillan, Aberdeen Doctors, and in the Spalding Club edition of Spalding's Troubles. The original seems to be lost. There are two transcripts in the University Library, Aberdeen, and one in the library of the Scottish Episcopal College, Edinburgh.Page 12 d’origine


themselves from page to page of this manuscript. Forbes was troubled on every side yet not distressed, perplexed but not in despair, persecuted but not forsaken, cast down but not destroyed, always sustained by his trust in a very present God. He was amongst the most learned men of his time and wrote one of the few imposing works of historical theology produced in Scotland. His own generation knew him as a determined though peace-loving opponent of the Covenanters, and as a renowned champion of Episcopacy. But the doctrinal and ecclesiastical controversy in which he played his part so ably took with him no more than a secondary place. There came first, personal communion with a faithful and loving God. It is perhaps only by using the word mysticism in a loose sense that he can be termed a mystic at all. He was devoted to Theology and to the external practices of the Church. The document contains no technical terms of mystical language. Forbes had no acquaintance with expressions such as " introversion," " recollection," " purgation," " quiescence," " non-desire," nor the more difficult phrases used by mystics to attempt the expression of the inexpressible — " the dark night," " the great desolation," " the approach to Jerusalem,"—nor again was he learned in medieval mystical literature. There is, however, the language of the Bible and the thought of S. Augustine, and above all evidence of genuine mystical intercommunion with God, direct personal converse with the Almighty, and a life which consisted in seeking His presence. And there is that particular sense of proportion in the religious life which has been the source of so much true mysticism in the Church in days of formalism and externalism and institutionalism and controversy, a sense of proportion which John Forbes was a means of passing on to some who came after him in Aberdeen, bringing them to a more thorough study of the mystics than had been possible for him, and to a more self-c6nscious mystical outlook.

One extract from the Exercises of John Forbes of Corse may be quoted as showing the spirit of the man, and as indicating how his influence worked long after his own day upon such pious souls as Henry Scougall and the Gardens.

" He led me to his holy table where He fed me and refreshed and strengthened my soul with his own precious body which was broken for me and with his own precious blood which was shed for me to the remission of all my sins. . . . When the minister delivered unto me the bread, repeating the words of the Institution, as he came to speak those words of our Saviour, Do this in remembrance of Me, I yet holding that Holy Sacrament in my hand found my heart lifted up to Christ unto Heaven, and saying to Him with all my heart, Lord, I remember Thee, remember Thou me in mercy ; and so I eat the bread and drink of that blessed cup with so heavenly and abundant consolation through the mercy of my God upon me as neither can my mouth utter nor my pen express ; yea, neither could my heart comprehend it, but it comprehended and filled my heart with peace." /1/

Henry Scougall, /2/ whose promising career as writer and teacher was cut short at the age of 28, was the author of perhaps the best known Scottish contribution to devotional literature, The Life of God in the Soul of Man, first published in 1677 /3/ with a preface by Bishop Gilbert Burnet. The little book is the work of a lover of Thomas à Kempis and S. Teresa, a great admirer of M. de Renty, a friend of Bishop Leighton, a disciple of the Cambridge Platonists. Amongst those avowedly influenced by Scougall have been the Wesleys and George Whitefield. He writes in a simple straightforward style, sympathetically, persuasively, and as one who has himself found in communion with God the peace that passeth understanding. There is a quiet confidence about the book that is reassuring and uplifting. One finds no trace of morbidity or fanaticism. The teaching is sane and healthy practical idealism. Union of the soul with God he contrasts with the sectarianism which produced so much bitterness in his day and with externalism on the one hand and enthusiasm on the other, which, in all ages, have been the " shadows and false imitations " of religion.

James Garden, /4/ as his son is reported to have said, was " vastly fond " of mystical Divinity, and with his younger brother George, became a follower of Madame Bourignon and later of Madame Guyon.

His Comparative Theology (1699) /5/ was in its earliest form a lecture delivered to his students at King's College at the beginning of a session. Judging from the number of editions produced, and also from the ardour of the attacks made upon it this little volume had notable influence. Garden belonged to the circle with which we are specially concerned in our



/1/ Folios 31, 32.

/2/ V. D. Butler, Henry Scougal (1899) ; D.N.B. ; Preface to Cooper's edition of Life of God in Soul of Man.

/3/ Other editions (e.g. 1770, 1818). The best is that of Dr. Cooper in 1892. Sermons and other works have also been published at different dates. See further short article by present writer on The Life of God in Me Soul of Man in " Student Movement," Jan. 1932 ; also lecture by present writer on Leighton and his Friends in Friends of Dunblane, 1932.

/4/ D.N.B. ; Remains of John Byrom (Chetham Society) ; Preface to Bristol Edition (1756) of Garden's Comparative Theology ; note by present writer on James Garden's Ministerial Career in " Scottish Notes and Queries," Feb. 1933 ; etc.

/5/ The original was in Latin, Discursum academicum de Theologia Comparativa, 1699 (Maidment, Catalogues of Scottish Writers, p. 66). The first English edition was published in London in 1700, another at Glasgow in 1152, and an important one at Bristol in 1756. In a Latin form it appeared at Amsterdam under Poiret's editorship in 1702 as Theologiae Aurae ac pacificae vera ac souda fundamenta, sive theologia comparativa, and likewise in 1708 as the first part of Poiret's Bibliotheca Mysticorum. Poiret in his Posthuma (1721), p. 648, mentions a German edition, Gemma Theologica. See also J. G. Walchius, Bibliotheca Theologica Selecta (1757), I, p. 231 ; II, pp. 65 f.

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present study, and his name occurs at intervals in the letters here published. He is always mentioned with affection and respect. Pierre Poiret, in a learned defence /1/ of Garden's Comparative Theology, describes him as " vir doctrina solida, ejusque distincte ac Clare exponendae peritia singulari conspicuus, vir integer, pius, pacificus," etc., and again calls him " auctorem innocentissimum, admirabilemque et amabilem." He seems to have been a retiring man, but at the same time intrepid and determined, enduring sacrifice for his religious, ecclesiastical and political convictions.

The Comparative Theology attempts to introduce some sense of proportion into the religious outlook, distinguishing carefully the essence of Christianity, which is to be found in the love of God, from all means and ministers of greater or less importance, in doctrine, government, worship or discipline, wherein men may differ, the highest attainment being the enjoyment of the immediate presence of God. through penitence, self-denial, renunciation of the world, crucifixion of the flesh, cross-bearing, and the putting off of the old man. The influence of Madame Bourignon is clearly reflected, but the Comparative Theology is free from the eccentricities which were largely responsible for the condemnation of her teaching.

The mystical religion in the North-East which showed itself increasingly in these three documents developed to considerable importance early in the 18th century ; and the Letters of James Keith, M.D., are published as offering for the first time authentic evidence regarding the extent and the nature of the movement.

It flourished under foreign influences, and most of the authors whose works became popular belonged either to pre-Reformation or to Roman Catholic Christianity. A surprising interest in mystical books manifested itself. Enthusiasm for the writings of Madame Bourignon first attracted attention to the movement, but, by the date of our Letters, this phase had practically passed, and the group in the North-East had become devout disciples of a Ieader of higher type, Madame Guyon.

      1. II. MADAME GUYON, PIERRE POIRET, ETC.

MADAME GUYON, the fascinating Quietist, is much too famous to require detailed introduction here ; /2/ but as hers is the ruling influence in the whole movement with which we are concerned and in the correspondence here published, a brief reminder of the main features of her extraordinary career



/1/ Poiret, Posthuma.

/2/ Vie de madame Guyon, écrite par elle-même ; E. K. Sanders, Fénelon, his Friends and his Enemies ; R. A. Vaughan, Hours With the Mystics, Book X ; Paul Janet, Fénelon ; M. Masson, Fénelon et Mme. Guyon ; St. Cyres, Francois de Fénelon ; Jules Lemaitre, Fénelon ; Bossuet, Relation sur le Quiétisme ; Ramsay, Vie de Fénelon.

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may be permitted. Mysticism was very prominent in 17th century France, /1/ inspired largely by the Spanish S. Teresa and S. John of the Cross, and guided (to mention only names which occur in the Letters) by the life or writings of such religious geniuses as S. Francis de Sales (1567-1622), Brother Lawrence (1610-91), J. J. Olier (1608-57), J. J. Surin (1600-45), Baron de Renty (1612-49). The Quietism of Molinos /2/ was more extreme, and roused general opposition in a Church which called S. Teresa blessed. It was Madame Guyon's inclination to Quietism which made her public career so troubled and her influence so much the object of suspicion.

Born in France in 1648 of a good family she was already as a child nervous and imaginative, religiously inclined, and greatly affected by religious reading. She grew to be a very attractive girl, and was early married, but the union proved a most unhappy one for her. Home conditions were particularly cruel. Then smallpox destroyed her beauty. Life as a whole was suffering. She was driven in upon herself and to morbidity and mortification. It was an unnatural existence, and it is not surprising that the views it induced were unusual and extreme. Her attitude became one of passivity. Her husband died, and thereafter the influence of La Combe and later, the encouragement of Fénelon, Archbishop of Cambrai, led her to theorise upon her religious experiences. She wrote her Short Method of Prayer and Torrents, and gradually became the centre of a fashionable group of those who were bored by the meaningless life of the times, and uninspired by the outward religion of the day. Her most distinguished disciple was Madame Maintenon, who was then all powerful at the court of Louis XIV. Persecution set in, and there followed the investigation by Bossuet, the famous defence by Fénelon, the quarrel between those great ecclesiastics, the imprisonment of Madame Guyon in the Bastille, and the disgrace of her celebrated champion first by the court of enquiry and finally by the Pope himself. It was one of the great scandals of an age of scandal.

Madame Guyon was a strange and abnormal woman, and in those days before psychology her very strangeness and abnormality gave her power over persons of much sounder mind than herself. Her teaching was in some points dangerous and eccentric. She was far from being a systematic thinker, and much that she says might have been said by any of the mystics. Many of her utterances and expressions were indeed echoes of earlier writers venerated by the Church. There was, however, an over-emphasis of passivity which was apt to mean a fading of the sense of moral responsibility, an independence of institutional and sacramental observances, and a failure to leave room for doctrines of the incarnation and atonement. On


/1/ Bremond, Histoire littéraire du Sentiment religieux ; E. Underhill, Mystics of the Church, ch. x.

/2/ V. his Spiritual Guide (Eng. trans., 1928).

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the negative side her teachings attracted because of the protest they offered to mere theological arguing and ecclesiastical bickering, and magical or formal religion. But " naked faith," " pure and disinterested love," " nothingness," the silent prayer of mere surrender, perfection by union with God, were ideas which, while they might induce in the troubled mind and conscience calm, and peace and inward joy, and might lead almost to an ecstatic condition, were inclined to produce rather an abnormal, self-centred, individualistic, morbid state and involved much vague and confused philosophy and theology, and little sound practical and moral inspiration. It cannot be said that her Scottish adherents were carried away by any exact form of Quietism, but it is clear that they caught something of her spirit, took phrases and suggestions from her, and were directed by her in their religious attitude, and through her escaped from outward dispeace to peace within. It must be admitted that Madame Guyon was herself a person of charm, with a gift of sympathy, and a great deal of common sense. In her last years, after her release from the Bastille, the years in which we are concerned with her in these Letters, she seems to have been perfectly discreet and unsensational, a pious observer of Catholic practice, living quietly and exerting by her personality, correspondence and many writings a deep spiritual influence in France, Germany, England, Scotland and elsewhere.

She died in 1717 ; and the Letters contain interesting information regarding her last illness and death, and occasional allusions which add to our knowledge of her habits and teaching, and are evidence of the great veneration in which she was held by persons who knew her well and were capable of appreciating spiritual qualities. Some of her own letters appear for the first time in print in the present volume. /1/

The mediator of Madame Guyon's remarkable foreign influence was Pierre Poiret, /2/ a most interesting character who appears from time to time in the Letters of James Keith, and who was very obviously regarded by all the Scottish circle with the utmost respect.

He was a Frenchman513, born in 1646 of humble parents. His grandfather had suffered for his pioneer Protestantism, and with such a religious family background it'is not surprising that Pierre turned from the sculpture and painting to which he was apprenticed to study for the ministry of the French Protestant Church. When a student at Basel he tutored Heinrich Wetstein, later his sympathetic publisher. Presently we find him at Heidelberg, and in the good graces of Prince Karl Ludwig, through whom he entered into the active ministry amongst French-speaking people who were then numerous in the Rhine valley.

His mind was receptive rather than original, and it was with character-



/1/E.g. (M.N.E.), pp. 100, 111, 121, 142.

/2/Max Wieser, Peter Poiret (1932).

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-istic enthusiasm that he early absorbed the new Cartesian philosophy. Under religious influences he later developed into an ardent critic of Descartes, and as such made more than one serious contribution to the philosophical literature of his time, these works of his going through several editions and finding their way into many libraries even in this country.

There came a growing interest in mystical literature, notably the Theologia Germanica, and the writings of Tauler, and he developed into the Apostle of Mysticism. In later life he was said to read part of the Imitation of Christ every day. Presently he came across Antoinette Bourignon's La lumière née ténèbres, and soon afterwards her Le tombeau de la fausse théologie. He became her most enthusiastic disciple, sought her out personally, and became ultimately her general agent. He wrote her life and edited her voluminous outpourings, and has been largely responsible for her reputation.

Through him her works were introduced to persons who were interested in mystical literature. Thus Dr. George Garden and Dr. James Keith came to make their English translations, and Quietism made its entry into the North-East of Scotland.

Madame Bourignon died in 1680 ; and then after a few years at Amsterdam, Poiret betook himself to Rhijnsburg, a little village a few miles from Leyden, where he remained in comparative solitude till his death in 1719.

He had acquired an unrivalled knowledge of mystical literature and devoutly set himself to propagate mystical divinity by publishing new editions of mystical works, mediaeval and modern. The service he thus rendered to religion has been of permanent importance. The various works mentioned in the letters as produced by him and distributed to the group in the North-East were almost all reissues of more or less forgotten works which his devotion had unearthed. One of the most interesting points about these letters of James Keith is the new light they shed upon the influence of Poiret's activities in England and Scotland, and the extent to which his publications immediately found their way into so many libraries in the North-East. One little work which Poiret twice reprinted (1702 and 1708) was the Comparative Theology of Professor James Garden.

Most important of all was Poiret's service in arranging for the publication of the works of Madame Guyon. But for him many of these would certainly never have appeared in print. He furthered their effectiveness also by the occasional prefaces and explanations which he wrote. Practically all the works he thus issued passed through the hands of Dr. James Keith and are mentioned in the Letters.

We know that Poiret was consulted on religious matters by persons who wrote to him from various lands, or paid him visits at Rhijnsburg. More than one of these acquaintances has left an account of Poiret himself.

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He appears before us as a small man, full of life and energy, with a prominent nose, and dark eyes peering out from under heavy brows, polite and pleasant to meet, rather hard of hearing, but himself gentle spoken. To his tastefully furnished home he welcomed visitors, talked to them in Latin or French, knowing, but not readily speaking, German. We hear of his knowledge of Scripture, his excellent memory and vivid imagination, his clear-headedness and understanding. At one stage he seems to have had a kind of community-house, where all shared the housework and the dish-washing, but where all observed what religious habits they pleased, theological differences being put aside while all applied themselves to love God and practice self-denial. He disliked extreme enthusiasms, but most of all the strife of the sects. For many years he was so much of a recluse that Bayle could describe him as "un homme d'une probité reconnue et qui de grand Cartésien est devenu si dévot, que pour songer mieux aux choses du ciel, il a presque rompu tout commerce avec la terre." /1/ Haag's account of him seems to be entirely justified : " Tous ceux qui le connurent s'accordent it louer son humilité et sa modestie, la pureté de ses moeurs, l'excellence de son coeur, sa bienveillance envers tous les hommes, sa modération, dont il ne s'écarta que dans sa polémique."/2/

Very closely associated with Madame Guyon in all her influences was, of course, Fénelon,/3/ Archbishop of Cambrai. His name finds place occasionally in the Letters, and we see that he too was a force in Scottish religious life. His death occurred early in 1715 and the references to it in the Letters /4/ show how deeply his loss was felt by the group in whom we are interested. Andrew Michael Ramsay,/5/a Scot whose name will frequently occur in this volume, was for some years his secretary and became the editor of his works, and wrote his life. Lord Forbes,of Pitsligo,/6/ the well-known Jacobite, had early in life come under the influence of Fénelon. In the Letters we hear of the publication of a new edition of his works /7/ and the despatch of the volumes to the members of the group. Several /8/ of his books are specially referred to and commended, and copies of letters by him seem also to have circulated in Scotland./9/ It is easy to realise the reverence with which he and his utterances were regarded. The Life written by Ramsay is an idealised picture, a stained glass representation, but it shows the attitude of the disciples both in France and in this country.

The very high place occupied by Fénelon amongst religious writers and ecclesiastical dignitaries makes it unnecessary to do more than call attention



/1/ Contemporary accounts quoted in Wieser, Peter Poiret ; Bayle, OEuvres diverses (1725), I, p. 269.

/2/ France protestante, quoted P. Janet, Fénelon (Eng. trans.), p. 281.

/3/ V. works mentioned, M.N.E., p. 14 n

/4/ Ibid., pp. 94 ff.

/5/Ibid., p. 51.

/6/ Ibid., p. 44. '

/7/Ibid., pp. 148, 153, 162, 165.

/8/Ibid. pp. 151, 162. 9

/9/ Several at Cullen House.

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to the numerous accounts of him which have appeared, and very briefly to remind ourselves of the outstanding features of his notable career. Belonging to an old French noble family, he was born in 1651, was a student of the Seminary of S. Sulpice in Paris which had been founded by the mystic Olier, and upon entering the Church soon made a reputation as a preacher. He came to know everybody and was much about Court. A treatise on the Education of Girls showed his interest in education, and his independence of judgment. He became tutor to the heir to the throne ; and some of his most famous writings were connected with this employment, in particular his Télémaque which eventually proved one of the most popular books ever printed. It was only natural that such a position as that of Archbishop of Cambrai should soon be reached. Fénelon was now one of the greatest of spiritual directors, as well as one of the most versatile and intellectual men of that brilliant period. His deep interest in religion, his training at S. Sulpice, his acquaintance with early mystical writings, made him interested in Madame Guyon and he became her ally, according to some, her devoted disciple, according to others, a healthy moderating influence upon her. When Madame Guyon was attacked by Bossuet, Fénelon was her greatest supporter, and in order to defend her doctrine of disinterested love, issued his Maxims of the Saints. Bitter controversy ensued, and the book was ultimately condemned by the Pope. Fénelon submitted and devoted himself for the last fifteen years of his life to the work of his vast and important diocese. For his day he was a remarkably broad-minded man, and he remains one of the most attractive personalities of the distinguished reign of Louis XIV. It is interesting to find Protestants in Aberdeenshire studying his writings so soon after their publication and acknowledging a spiritual debt to this French prelate.

No one was more zealous to maintain and extend the influence of Fénelon after his death than his grand-nephew, the Marquis de Fénelon,/1/ who is another of the characters who appear in our collection of Letters. As a youth he lived much with the archbishop. Fighting against Marlborough he was badly lamed, but he continued his Military career and died on the field of battle in 1746. He was of a religious disposition, a devoted disciple of his uncle, and a warm admirer of Madame Guyon, with whom he was in constant correspondence for some years before her death. With Andrew Ramsay, the Marquis de Fénelon shares the credit for much that was done to render enduring the reputation of the Archbishop. His interest for us is chiefly that he had come personally into touch with several of the Scottish friends of Madame Guyon. A few of his letters /2/ to Lord Deskford have been preserved and are published for the first time in this collection, and other letters /3/ and greetings /4/ passed between the two noblemen.



/1/Cherel, Fénelon au xviiie siècle, chs. viii and ix, etc.

/2/M.N.E., pp. 125, 147, 153, 165.

/3/Ibid., pp. 136, 564.

/4/Ibid., pp. 95, 137.

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Ramsay draws an interesting comparison between the Marquis and Lord Deskford./1/He was closely connected with Ramsay in the opposition he made to Poiret's publication of Madame Guyon's Autobiography ; and the letters have something to say about this. /2/

Our group was thus indebted to two contemporary French mystics, Fénelon and his grand-nephew, but our interest is mainly in the part played by Madame Guyon and M. Poiret. Madame Guyon, by her correspondence, direct and indirect, and Pierre Poiret by his systematic distribution of mystical literature, obtained the spiritual direction of a group of interesting men in Scotland and especially in the North-East of Scotland and it is with these influences and the group influenced that we are concerned in the Letters.

The Scot who seems to have been more than any other the originator of this tendency in the North-East was Dr. George Garden, an Aberdeen clergyman. He had the support of his elder brother, Professor James Garden, also of Aberdeen. The most popular figure in the group was Lord Forbes of Pitsligo. There was also Lord Deskford, to whom the letters of Dr. James Keith here published were originally directed. There was James Keith himself, an Aberdeen medical man practising in London, the agent through whom Madame Guyon sent her letters and Pierre Poiret his mystical publications. Along with him was his medical friend George Cheyne, likewise of Aberdeen, the friend of Pope and Richardson. We have also William Forbes, afterwards 14th Lord Forbes, and his brother James, afterwards 16th Lord Forbes. There was, further, that enigmatic figure the Chevalier Andrew Michael Ramsay, secretary to Fénelon and M. Guyon, who had intimate associations with the men of the North-East of Scotland, though he lived mostly in France. Other names which appear in the correspondence as those of persons interested in the movement in one degree or another include Sir James Dunbar of Durn (a near relative of Lord Deskford), Sir Patrick Murray of Auchtertyre (one of the most earnest men of his time), Lord Dupplin (rather on the fringe of the movement), James Cunningham, laird of Barns at Crail in Fife, and others.

The men involved are obviously not negligible characters from any point of view. None of them was a S. Francis de Sales or a John of the Cross. None of them was in any interesting way abnormal or eccentric. They were simply intelligent men of good social position, who had seen something of life at home and abroad, had had some experience of the political and ecclesiastical conflicts of a difficult period of history, and had been led from dissatisfaction with the outward state of things to seek and to find peace within.

/1/ M.N.E., p. 95. /2/ Ibid., pp. 151, etc.

      1. III. RELIGIOUS CONDITIONS IN THE NORTH-EAST AFTER THE REVOLUTION.

[...]of the Earl of Oxford. They had a large family, but the marriage, especially in later years, was unhappy. Dupplin, like his father and brother, was on the Jacobite side and suffered imprisonment on suspicion from October, 1715, to May, 1716. He was not well off and this may (as was thought by some of his friends) have led him to accept a pension from the Hannovarian Government in 1724. His desertion of the Jacobite cause gave some anxiety, in case it should affect the fortunes of his brother, the Earl of Inverness, who was with the Pretender. From 1729 until 1734 he was Ambassador to Constantinople. Apparently he had some intellectual tastes, as notes in Nichols's Literary History suggest. He was also interested in music, and a patron of Handel. In earlier years he had been pious and read mystical literature, but a letter of Lord Deskford to Mme Guyon, published in this collection (p. 91), indicates that after he went to England to live he lost this serious religious interest./1 Swift knew him intimately, having first met him and William Penn the Quaker at Lord Oxford's house in 171o. Dupplin and his wife are frequently mentioned in the Journal to Stella, and in the Correspondence. In early years Swift had a high regard for him, but after the Constantinople period he changed his mind about him, and we find a correspondent writing him that young Lord Oxford would have to support his sister's family, " which has been brought to ruin by that unworthy man Lord Kinnoull." The poet Pope had evidently an equally poor opinion of him : there is more than one scornful reference to him in the poems. He is frequently mentioned in the Letters of James Keith, which is natural, as he was a brother of the first Lady Deskford.

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1 Marquis of Ruvigny, Blood Royal of Britain ; v. also Playfair, British Antiquity, VIII, App., pp. 1 ff.

2 Defoe, History of Union (2786 edit.), App., pp. 664, 668, etc.

3 Rae, History of the Rebellion (2nd edit.), p. 211.

4 Ibid., p. 309 Playfair, op. cit., p. xii.

5 Douglas, Baronage of Scotland, p. 146.

6 Hist. MSS. Corn., Portland MSS., Vol. VI, p. 119.

7 British Antiquity, VIII, App., p. ix.

8 M.N.E., pp. 178, etc.

9 Ibid., p. 91.

10 For particulars v. Paul, Scots Peerage ; G.E.C., Complete Peerage ; D.N.B. ; Stuart Papers ; Portland MSS., V ; Correspondence of Jonathan Swift, II, V, and VI ; Pope, Works (v. Dupplin, Kinnoull, etc., in index).

Sir Patrick Murray was interested in the mystical movement, as may be seen from the references to him in the Letters of James Keith./8 He was one of those to whom Dr. Keith sent copies of mystical books as they reached him from Holland. Perhaps the most illuminating statement regarding him is that in a letter of Lord Deskford to Madame Guyon,/9 where we learn what a strong spiritual influence he had exerted upon Lord Dupplin, and how earnestly he used to speak of religious matters. Lord Deskford mentions his interest in the works of Madame Guyon so far as he had been able to obtain these in English, and also refers to the deeply religious life of Murray's late brother David. He emphasises the respect which members of his circle entertained for Sir Patrick Murray.

George Henry, Lord Dupplin, was the son and heir of the 6th Earl of Kinnoull./10 As a young man he was a member of the House of Commons, and in 1711 was one of Oxford's twelve specially created peers and became Baron Hay of Pedwardine and a member of the House of Lords. In 1718 he succeeded his father in tie Scottish Earldom. He married a daughter

an old family to which royal descent has been attributed./1 As a member of the Scottish Parliament he steadily opposed the Union with England./2 He was a Jacobite, but surrendered to the crown on demand in 1715 and was secured for a time in Edinburgh Castle and took no part in the Rising./3 His son was an active rebel and taken prisoner at Sheriffmuir./4 Murray was a close neighbour of the Earl of Kinnoull, and was related by marriage/5 to the Campbells of Monzie, who also lived near him. He had made a fortune by provident economies, and had greatly extended his property. An interesting account of him is given by the son of the Earl of Oxford, who paid him a visit in 1725./6 Murray appears as a very worthy gentleman and a kindly host. Playfair describes him as of " great prudence and discretion," " great judgment and integrity." /7 The Ochtertyrc House Book, published by the Scottish History Society, refers to the life-time of his successor in the title, but gives a clear indication of the standard of living in his home.

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in making good to individuals whatever loss they might incur through the reduction of the coin to the English standard, and in encouraging fisheries and manufactures." V. also Defoe, History of the Union (1786 edit.), Index.


1 Wodrow, Analecta, III, p. 29o.

2 Letter in Cullen House.

3 Brunton and Haig, op. cit., p. 502.

4 Sir John Clerk, Memoirs, p. 256, note.

5 Ibid., p. 256 ; v. also A. Porteous, History of Crieff, pp. 85, 89.

6 Chamberlayne, Present State of Great Britain, 1745: " List of Offices in North Britain," p. 42.

7 " Scots Magazine," XIII, p. 358.

8 V. p. 99.

9 Analecta, IV, p. 148.

10 Metternich . v. M.N.E., p. io2.

11 An interesting indication of the authorship of this work ; v. further, 102 n.

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Wodrow /1 mentions him in 1726 as a possible successor to Lord Cullen on the Scottish bench. Writing to his father, on March 16, 1727, from Edinburgh, Lord Deskford refers to the increasing weakness of Lord Forglen, another of the Judges, and says : /2 " The talk of this town is that Monzie will succeed him, which I shou'd be very glad of, because he is a man of great justice and every way fit for that office. As he has been long my particular friend, I hope he will allways have true good will to you and your family. It wou'd give me great pleasure if you cou'd be of use to him and coud make James Campbell at London sensible of your doeing him service." Monzie was in fact raised to the bench in 1727,/3 and he also became one of the original Commissioners of the Board of Trustees for improving Fisheries and Manufactures in Scotland./4 Lord Monzie was much interested in improvements, and Sir John Clerk, writing in 1749,/5 calls him " a great encourager of the Linnen manufactories," and says that by his example the country people in his district " made a very great progress." He set up a lint-mill just about the same time as did his friend Lord Deskford (then Earl of Findlater and Seafield). Clerk also mentions his plan for a public library. His enterprise is further indicated by the fact that he became one of the early directors of the Royal Bank./6 He was a man of broad interests, sound ability, and kindly nature and one of the best type of landed proprietors. The " Scots Magazine " /7 reports his death on August 1, 1751, at Duns, where he was taking the waters for his health.

Sir John Clerk refers to Monzie's private library " where are many good books." In the Letters of James Keith we read of certain mystical works interesting him,/8 and Wodrow in 1730 reported /9 that " my Lord Monie was pretty far gone into the notions of the Pietists, and that he and Walter Pringle, my Lord--, read the books of the Count Metenish,1/0 particularly the Baron's book de Ratione Fidel." /11 We have thus the knowledge that Patrick Campbell of Monzie was one of those whose interest had been roused in this type of literature, and that he was in sympathy with the work of Dr. James Keith.

Sir Patrick Murray of Auchtertyre, 2nd Baronet (d. 1735), belonged to


1 Remains of John Byrom, II, pt. ii, p. 363.

2 Ibid., II, pt. ii p. 33o.

3 Warner, toc. cit.

4 V. Wieser, Peter Poiret, pp. 226 ff.

5 Nichols, Anecdotes of William Bowyer, p. 594.

6 Paton, The Clan Campbell, p. 104 ; Anderson, Scottish Nation, I, p. 570.

7 Retours, 1706.

8 Sir John Clerk, 2rlemoirs, p. 256 ; v. also Macfarlane, Geographical Collections, I, p. 137.

9 Album Studiosorum Acad. Lugd. Bat.

10 Memoirs, p. 15.

11 Brunton and Haig, Historical Account of Senators of College of Justice, p. 502 ; Chamberlayne, Present State of Great Britain, 1716, pp. 701 f.

12 Chamberlayne, op. cit., p. 738 ; Historical Register (Chron. Reg.), 1717, pp. 36, 46.

13 The sum of nearly L 400,000 granted to Scotland under the terms of the Act of Union, 1707. Mathieson, Scotland and the Union, p. 115, says : " The total ' Equivalent,' direct and indirect, was to be spent in paying off the public debt, in refunding to the African and Indian Company, which was to be dissolved, its capital and interest,

His interest in mysticism was deep. Reference to his published works makes this clear ; and Wm. Law states /1 that " the Dr was always talking in coffee-houses about naked faith, pure love,"—typical phrases of Madame Guyon, and he credits Cheyne with having introduced him to Jacob Behmen's writings and to Brother Lawrence. In a letter /2 to Byrom Dr. Cheyne mentions Tauler, John of the Cross, Bernier, Bertot, Marsay, and Madame Guyon, and in another letter /3 we find him bestowing high praise upon Poiret's catalogue /4 of the mystic writers. Nathaniel Hooke, who has been described as a " mystic and a quietist and a warm disciple of Fénelon," is said by Nichols /5 to have translated A. M. Ramsay's Travels of Cyrus at Dr. Cheyne's house at Bath. Various references to Cheyne in Keith's letters likewise prove his close connection with the group.

Patrick Campbell of Monzie whose name occurs in a great many of the Letters of James Keith seems to have been one of his most obliging friends. He was not a Jacobite, but it is partly on that account that he was so often used as a safe medium of correspondence. An intimate friend of Lord Deskford, and a near neighbour of Sir Patrick Murray of Auchtertyre and of the Kinnoull family, he sprang from an old branch of the Campbells,/6 and on the death of his brother in 1697 became heir to the estate of Monzie in Perthshire,/7 " a warm low seat near the great High Road." /8 With a view to the study of the Law he entered at Leyden University /9 in 1702, being a fellow student of Sir John Clerk of Penicuik, who remained his friend. Their outstanding teacher was Vitrarius whom Clerk calls a " corpus juris." /10 In 1709 Patrick Campbell was admitted to the Faculty of Advocates in Edinburgh /11 and in 1715 we find him one of the cashiers of the " Equivalent," and in 1717 a Commissioner /12 of the " Equivalent." /13

…" those who best knew him, most loved him." He is mentioned in Thackeray's Esmond.

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1 Rec. of Mar. Coll., II, p. 114.

2 1827

3 Pope, Works, VII, p. 382 (Croker and Elwin edition). Quoted, Rebecca Warner, Original Letters (1817).

4 ibid IX p172

He settled in London, became an F.R.S., and indulged in medical and mathematical controversy. At the same time he plunged into a gay life which by and by compelled a change to rigid temperance and led him to become the great authority of his time on diet. He had grown enormously fat and is said to have weighed at one time 32 stones.

His work for a time was divided between London and Bath, but latterly he confined himself to Bath. He published some popular medical treatises and philosophical disquisitions, and his striking appearance and outstanding personality as well as his intellectual accomplishments and success in his profession made him one of the best known characters of the period.

Perhaps the most interesting account of him is from the Gold Headed Cane,/2 " . . . Dr. Cheyne, a Scotchman, with an immense broad back, taking snuff incessantly out of a ponderous gold box, and thus ever and anon displaying to view his fat knuckles of a perfect Falstaff, for he was not only a good portly man and a corpulent, but was almost as witty as the knight himself, and his humour being heightened by his northern tongue, he was exceedingly mirthful. Indeed he was the most excellent wit of his time, a faculty he was often called upon to exercise, to repel the lampoons which were made by others upon his extraordinary personal appearance."

Dr. Cheyne was a friend of the poet Pope, who in one of his letters /3 says " there lives not an honester man nor a truer philosopher," and in another/4 declares he is " so very a child in true simplicity of heart that I love him as he loves Don Quixote for the most moral and reasoning madman in the world." Cheyne was also well acquainted with Samuel Richardson. His writings had the approval of Samuel Johnson, and exercised some influence upon the thought of A. M. Ramsay. Amongst religious leaders, William Law called him friend and Lady Huntingdon valued his opinions.

On his death in 1743 at the age of 7o a newspaper described him as "that learned physician, sound Christian, deep scholar and warm friend "

which states that the degree was bestowed gratis, "because he's not onely our owne countreyman and at present not rich, but is recommended by the ablest and most learned physitians in Edinburgh as one of the best mathematicians in Europe, and for his skill in medecine he hath given a sufficient indication of that by his learned tractet de Febribus which hath made him famous abroad as well as at home, and he being just now goeing to England upon invitation from some of the members of the Royal Society, in all probability he may prove ane ornament to our nation as well as to our Society." Marischal College, Aberdeen, later also gave him a degree./1

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1 Minutes of Synod of Aberdeen, Oct. 5, 174.

2 He died on April 8, 1726, and was buried in Old Machar churchyard, where his flat tombstone has its lettering still well preserved. The year of death is wrongly given on the tombstone as 1725. The most interesting account of James Garden is in the Pref. to the Bristol edition (1756) of his Comparative Theology. - V. also D.N.B. and Orem, Description of Old Aberdeen, p. 191.

3 He is described in the D.N.B. A Life was issued by Dr. Greenhill in 1846, an interesting pamphlet of 19o4 by T. McCrae gives a good account of him, and there is a careful study by J. M. Bulloch (An Aberdeen Falstaff) in " Aberdeen University Library Bulletin," June, 193o.

4 I.C. Mins., Sept. 8, 1701.

A CLOSE friend of Dr. James Keith to whom he often refers in the Letters was Dr. George Cheyne, a celebrated physician, and one of the most remarkable figures of the time. Much has been written about Cheyne./3 It will here suffice, therefore, to summarise the facts about him, and to show his connection with the mystical movement.

He belonged to an Aberdeenshire family, his arms showing relationship with the ancient but decayed house of the Cheynes of Esslemont. After a general education, he was induced by the celebrated Pitcairn to turn to medicine and may have been with him in Holland. King's College, Aberdeen, made him Doctor of Medicine in 1701, and a minute /4 is preserved

XII. SOME MINOR CHARACTERS.

The Synod of Aberdeen in October, 1714, noted that the process had " come to a desirable issue." /1 James Garden lived till 1726,/2 taking his share in the Jacobite Rebellion of 1715, and in the Usages dispute which later divided the Scottish Episcopalians, but he made no further attempt to interfere at King's College.

The case is an interesting example of the extent to which religion and politics have affected and confused one another in Scottish History.



of his most likely supporters. Keith indicates that they were moved by the charge of Bourignonism, but put forward fear of Scottish trouble as responsible for their opposition. Keith explains that the very day before the trial James Garden was " most earnestly sollicited and importun'd by some Bishops and others his good friends to desist, assuring him that if he did not, he would disoblige the Queen and the Ministry." It was on this account that Garden, on the advice of his brother and others, finally agreed to abandon his appeal. He stated that he gave up his claims, purely out of regard to the Queen's inclinations and at the desire of his superiors," and that " it griev'd him to give up what he took to be the common concern of the Church and of his friends."


1 Letter printed in Hist. MSS. Corn., Rep_ Portland MSS., X, p. 315.

2 Rae, History of the Rebellion (2nd edit.), p. 49.

3 Acts of General Assembly (Pitcairn), pp. 491 f. ; cf. Wodrow, Correspondence, I, PP. 549 $.

4 Journals of House of Lords, XIX, pp. 630, 647, 672, 688.

5 M.N.E., pp. 78 ff.

On April 10 James Garden and his brother were, along with other Aberdeen Episcopalians, presented to Queen Anne by the Earl of Mar, and graciously received./2 But the Church of Scotland was very restive under the favours which the Queen had been gradually extending to such men and the proposal to apply to the support of the Episcopalian clergy in Scotland the revenues of the Scots Bishoprics abolished in 1690 ; and steps were taken to throw out a polite warning. On May 17, 1714, the General Assembly passed a humble address to the Queen protesting against certain Episcopalian movements which they declared contrary to the Act of Union of 1707, pointing out that some Episcopalians might well be suspected of disloyalty towards her Majesty in the interests of the Pretender and expressing regret at " the disturbance Mr. David Anderson, Professor of Divinity in your College of Old Aberdeen, has met with in the peaceable possession of his office." /3

The friends of Garden were well informed as to the situation in Scotland, and they had already come to the conclusion that the Garden case would have to be abandoned, and the proposed bill in favour of the Episcopalian clergy dropped. The bill was in fact, abandoned on May 22. Garden's case was due to be heard in the House of Lords on May 13, 1714, but when the day came the appellant made no appearance and the case dropped./4 The Letters of James Keith shed some additional light upon the whole situation,/5 for there we find clear evidence of the troubles of the Government and their anxiety to avoid delicate issues. Dr. Keith, who in March had been quite hopeful, soon realised that the political situation had become unfavourable. He reports that he can persuade practically nobody to stand up for Garden in the special circumstances.

If L.M. and L.F. in the Letters represent (as would appear to be the case) Lord Mar and Lord Findlater, Garden had been deserted by some

voted to David Anderson for his expenses. William Carstares wrote on March 25, 1714, to the Earl of Oxford, craving that Anderson might have an opportunity of putting his case before him in view of the forthcoming trial in the House of Peers. He referred to the great trouble and expense occasioned to Professor Anderson by this appeal, praised his work and candour and learning, pointing out that he had been a successful pastor and was now living peaceably with his colleagues and had been legally settled in his present position, and emphasising the fact that he was no meddler in politics.

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1 Minutes of Synod of Aberdeen, October 5, 1703.

2 Article by present writer, A Family Affair, in " S.T. & Q.," May, 1932.

3 Forbes's Decisions, 1705-1713 (June 19, 1712 ; July 21, 5753), pp. 600, 705 f. v.Index Materiarium, p. 54, and cf. W. M. Morison, Dictionary of Decisions, 683o. :

4 Miscellany of Spalding Club, I, p. 203 ; Minutes of Synod of Aberdeen, April 8 and Oct. 7, 1713 ; April 6 and Oct. 5, 1714 ; Records of General Assembly (`ISS.), 1712-15, p. 223. Rather curiously the Assembly minute mistakenly speaks of the appeal as by " Dr. George Garden, sometime Professor." Doubtless the Bourignonist trouble had made George's name more familiar in Edinburgh. P. J. Anderson, in Officers and Graduates of King's College, p. 68, makes the opposite mistake in stating that the Works of John Forbes of Corse were edited " by his successor James Garden," when George was in fact the editor.

He raised an action of reduction in the Court of Session /3 on the score " that her Majesty's Act of Indemnity in the year 1703 took off his incapacity to exerce the office, and virtually reponed him ; especially considering that there was no professor established before that time, when he qualified himself by taking the oaths." It was argued against him that the Indemnity could only free him from prosecution for not qualifying before, and recapacitate him for a new position, but could not repone him to an office of which he had been deprived for disobedience to law. It was also pointed out that he had not yet subscribed the Confession of Faith, nor had he yet submitted to Presbyterian Church Government, both of which were necessary in order that he might be qualified to hold a professorship of Divinity. The Court decided against him.

James Garden appealed to the House of Lords, a course which the recent Union of the Parliaments had rendered possible. The Synod of Aberdeen, and even the General Assembly, showed interest./4 Substantial grants were

mud as well as opprobrious language finally forced them to adjourn to the New Town. Later in the day they met in Old Machar Church, and here the proceedings were interrupted by an agent of James Garden who formally submitted his claim. The Committee, however, took the view that the Professor of Divinity was obliged by the Foundation to refute such views as " the vile and abominable tenets " of Bourignonism which Garden had taught, and that he was subject to their censure and always deprivable by them, and on doctrinal grounds unacceptable for the Chair. They therefore without hesitation proceeded to their business of finding a suitable candidate./1 When in the following year the vacant position was at last filled it was by the election of George Anderson, minister at Tarves. He appears to have been a brother-in-law of James Garden,/2 and it may have been on account of this relationship that Garden made no further move until after George Anderson's death. The next incumbent of the Chair was David Anderson, who was no relative, and now again James Garden put forward his claims. Better days had in any case apparently come for those of his Episcopalian and Jacobite persuasion, and he and his friends felt there was some chance of a successful case.

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1 Fasti Aberdonenses, pp. 362 ff.

2 Ibid., pp. 379 f.

3 V. Minutes of Synod of Aberdeen, April, 1698.

4 Burial Register of Old Machar.

5 Details are given in article by present writer, A Professorship goes A-begging in " Aberdeen University Review," November, 1932.

6 Minutes of Synod of Aberdeen, April 26, 1703.

The Commissioners demanded that Garden should subscribe the Confession of Faith, take the oath of allegiance to King William and Oueen Mary, " subscribe the certificate and assurance," and declare his submission to Presbyterian Church Government. This combination of theological, political and ecclesiastical requirements was impossible for him in every detail, but meantime he appealed to the general Visitation Committee at Edinburgh on the question of jurisdiction. Decision was delayed, and the whole matter lay in abeyance till a further Visitation of Aberdeen took place in 1696 when he was summoned and appeared. He admitted " that he owes it only to the clemency and myldnes of the Government that he was continued so long in his place," and frankly stated his unwillingness to satisfy the demands of the Commissioners. He was ordered to make his appearance at Edinburgh on the third Monday of November, but on that day and at subsequent diets of the Commission he failed to compear, and as a result he was finally, on January 25, 1697, deprived of his Chair./2

He made no attempt to resist /3 this decision, but retired to the country and is said to have devoted himself to agriculture, managing somehow to provide for his large family, some of whom were at this stage still young children. Apparently he did not go very far away, for children who died in November and December, 1699, were buried in Old Machar churchyard./4

The Synod and University authorities experienced extraordinary difficulty in filling the Chair which Garden's deprivation rendered vacant, and it was not until December 14, 1704, that his successor was inducted./5 In 1703, however, while the Chair was still vacant, an Act of Indemnity was passed ; and Garden thereupon made a dramatic attempt to resume his position at King's College, declaring that in view of this Act of Indemnity he was now qualified according to law and was therefore ipso facto restored to his Professorship./6 His claim had apparently the support of the College, for when the electors attempted to meet in King's College Church (as according to the Foundation they were obliged to do) they found it closed, and they further failed to obtain access to the Principal, who was Garden's cousin and friend, and shared his views.

The Committee were threatened by students and others, and clods and

or dismissed by the Synod that had appointed him, he being under ecclesiastical and not University discipline, and not " incorporated into any colledge." /1 This turned out in after years to be a serious point of controversy and of some importance in the history of the Chair of Divinity.

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1 M.N.E., p. 13.

2 Born May 3, 1645, in the Castle of Frendraucht, where his mother had taken refuge, her home, the Manse of Forgue, having been burnt early in March by the troops of Montrose, who continued to maraud in the district : v. Preface to James Garden's Comparative Theology (Bristol edition, 1756). D.N.B. and F.E.S., new edit., VII, p. 371, are both mistaken as to the date of the birth.

3 Account of the late establishment of Pres. Govt. by the Parl. of Scotland, 1693.

JAMES GARDEN,/2 elder brother of the more prominent Dr. George Garden, had, after short ministries in several parishes, been elected in 1681 to be Professor of Divinity at King's College, Aberdeen. He was a Mystic, an Episcopalian, and a Jacobite.

After the Revolution the Universities were " visited," and few teachers were found amenable to the new ways. Numbers of the disaffected were turned out, but in the case of Aberdeen a certain leniency was evidently exercised. The district was notoriously Episcopalian and Jacobite, and the practical difficulties of establishing the Revolution order of things were obvious. A contemporary pamphlet /3 refers in this connection to the remoteness of Aberdeen, and to the lack of Presbyterians suitable for University posts and "willing at that time to undergo the toil and pedantry of speaking Latin." It also hints that the masters were more ready to compromise than their predecessors, the Aberdeen doctors, had been in face of the somewhat similar Covenanting visitation. The Commissioners, however, found one teacher in King's College who was not prepared to yield, and this was James Garden. When they met on October 15, 169o, at the college, he did not compear, but next day he put in an appearance before them at Marischal College, and was requested to come again the following morning at 9 o'clock, which he did, giving in a paper wherein he claimed to be exempt from the Visitation altogether, in respect of the peculiar constitution of his Chair according to which he could only be " visited "

XI. THE GARDEN CASE.



traffic in mystical literature, and upon the individuals interested. Keith arranged with the Wetsteins of Amsterdam as to the number of copies of the different books for which a market might be expected in England and Scotland. Most, though not all, of the books handled were new publications. The bales were directed to him, and he sent them out by carrier or by ship to their destinations. If the example he gives is typical, he could dispose of about a hundred, of which some forty-two came to readers in Scotland./1



o

      1. X. JAMES KEITH, M.D.

No one seems to have been more zealously and successfully occupied in propagating the cause of mystical religion than James Keith, M.D. He belonged to Aberdeenshire, being the son of Dr. John Keith,/1 the successor of Dr. George Garden in the ministry at Old Machar, the cathedral church of Aberdeen. The father died in 1694, having quietly carried on worship till the end in the manner customary under the Episcopalian regime, and, beyond reading any proclamations sent down by Government, paid no attention to the Revolution. After he died the ecclesiastical situation in the parish was taken in hand, and the church was closed until a Presbyterian minister could eventually be inducted./2 His widow only survived him a few months. She is mentioned several times along with her son in the Procuration accounts of King's College for 1693-4, but in the following years he alone is spoken of as executor. Dr. Keith had a daughter who married Francis Ross, minister of Renfrew, whose adventures at the Revolution have already been described./3 Francis Ross and his son are mentioned in the Letters of James Keith./4

James Keith had graduated in Arts. He is several times designated " ' jr " in records of King's College. Details of his early career are unfortunately lacking. Twice, however, his name appears in documents connected with the Parish of Birse where his father ministered before his call to Old Machar. Among the Deeds preserved in the Sheriff Clerk's office, Aberdeen, is a Minute of agreement of June 21, 1678, between Violet Strachan and Alexander Ross, witnessed by (amongst others) John Keith, parson of Birse, and " James Keith his sone." There is also a receipt from Wm. Turner dated January 27, 1682, in favour of Mr. Jn. Keith, parson of Birse in name of the Kirk Session witnessed by " Js Keith son lawful to sd Mr. Jn Keith." We have therefore evidence that as early as 1678 he was of age to act as witness to a legal document, but even in 1682 he is not called " Mr " although his father is so designated, and he may therefore not have been a graduate until after that date. On the other hand, the only trace of a person of this name graduating at Aberdeen in the period is in the Records of Marischal College where we have James Keith paying chamber-mail for the year 1671-2./5 In the circumstances this date seems a little early, but it is interesting to note that another name on the list at this same


1 F.E.S., VI, pp. 20, 83, 95 ; Munro, Records of O. Aberdeen, II ; Orem, Description of O. Aberdeen, etc.

2 M.N.E., p. 25.

3 Ibid., pp. 24 f.

4 Ibid., pp. 135, 175. 179.

5 P. J. Anderson, Records of Marischal College, II, p. 239.

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period is that of Francis Ross, the laird's son from Birse parish, who afterwards married James Keith's sister. Still another inmate of Marischal College in those years was Alexander, 3rd Lord Forbes of Pitsligo, father of the Jacobite hero, who was later a close friend of Dr. James Keith.

J. T. Findlay in his History of Peterhead quotes town records which show that a graduate named James Keith, who had been chaplain to the Laird of Skene, became schoolmaster at Peterhead in May, 1679, and left in February, 1685, on being appointed chaplain to the Earl Marischal.

It was certainly at a much later date that James Keith turned to Medicine. No doubt the events of the Revolution finally closed for him any idea of the ministry as a profession. He may at this stage have studied abroad as was the general practice of medical students. In the Matriculation Album of Leyden University under date October 26, 1686, there is an entry " Jacobus Kiets, Scotus, 24, m," which may represent James Keith./1 The ages in this record, especially in the case of foreigners, are notoriously inaccurate, and a Dutch attempt to pronounce Keith generally results in a sound very like Kiets. He was certainly later well acquainted with Holland. His knowledge of French also was such as to enable him to engage in translation work, and it may be taken that he spent some time abroad before he finally settled in London where so many Scottish medical men were making a name and a fortune.

In 1704 he received the degree of M.D. from King's College, Aberdeen,/2 and in 1706 he was admitted a licentiate of the London College of Physicians./3 By this time he was married, for when he died in 1726 he had a daughter old enough to be his executor. In 1707-8 he evidently had Lord Deskford as a patient. Lady Seafield, writing in May, 17o8, mentions " Doctor Kieths adwice." /4 We come across him again in 1712 when he made an attempt to be appointed physician to the Chelsea Hospital. There is a letter from Viscount Dupplin to his father-in-law, the Earl of Oxford,/5 regarding the situation. It appeared that the celebrated Dr. John Arbuthnot, the Queen's physician, himself a graduate of Aberdeen./6 was anxious for the post. Dr. Keith had already secured the support of "a great many of the Commissioners," but would not have thought of it had he known of this rival. Dupplin says " Dr. Keith is a sincere honest man. Your daughter and I have been infinitely obliged to him, and this


1 Review by present writer of Dr. Innes Smith's Students of Medicine at Leyden in " Aberdeen University Review," July, 1932. Dr. Innes Smith identifies Kiets with Keill, a suggestion which can scarcely be taken seriously.

2 King's College Albums C. and E.

3 Munk, Roll of R. C. of P. of London, II, p. 18.

4 Seafield Correspondence, p. 478.

5 Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, pp. 245

6 Records of Marischal College, II, pp. 252 f. ; D.V.B.

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place is the top of his ambition." We know that the position was finally given to Arbuthnot./1

Something of Keith's family life appears in the Letters and elsewhere. His two eldest boys, James and John, died of small-pox in the spring of 1717/2 He lost his wife in 1721,/3 and he himself after some months of illness died on November 1, 1726./4 Besides his grown-up daughter Elizabeth (named after her mother), he left two young children—Peter (perhaps called after his friend and correspondent and religious guide, Pierre Poiret), and Anne. The birth of Peter is recorded in a letter of June, 1717./5 There are various allusions in Keith's correspondence to illness of one kind and another which seem to indicate that he was not too robust.

Riding exercise, a remedy very strongly recommended by Keith's friend, Dr. Cheyne,/6 is mentioned, as well as visits to Tunbridge Wells./7

Keith's circle of friends was a very amazing one. Bishop Gadderer, writing to Bishop Campbell in 1724,/8 refers to the influence of " Dr. Keith, who has good acquaintances." These we know included the highest in the land, for we often find him in touch with Robert Harley, Earl of Oxford, " good Lord Harley " as he calls him./9 Besides Harley he mentions in the Letters quite a number of Scottish noblemen whom he was evidently in a position to approach, such as the Earls of liar and Kinnoull, Lord Forbes, Lord Forbes of Pitsligo, Lord Haddo, Lord Dupplin. With Lord Deskford he was of course on terms of respectful intimacy.

He knew the Gardens well, and indeed belonged to their special circle, and no doubt owed to them his interest in mystical literature. He was also acquainted with their cousin, Principal George Middleton. Campbell of Monzie (afterwards Lord Monzie of the Court of Session), Sir Thomas Hope-Bruce, Bart. of Craighall, the Cunninghams of Caprington, James Cunningham (the Jacobite Laird of Barns in Fife), Sir Patrick Murray of Auchtertyre, are amongst those to whom frequent reference is made in his correspondence.

A number of letters by Dr. Keith and some other letters which mention him are preserved in the British Museum./10 They are not important, but


1 Munk, op. cit., II, p. 29.

2 M.N.E., p. 141 ; Registrum Sepultorum in Coematerio March 2 and 15, 1717.

3 Ibid. : buried June r, 1721.

4 Ibid. : buried November 4, 1726, from S. Margarets',

yard of S. George the Martyr, now S. George's Gardens ; p. 18 ; Hist. Reg. (Chron. Reg.), 1726.

5 M.N.E., P. 144.

6 V. Aphorisms at end of Practical Essay on Regimen of

7 M.N.E., p. 126.

8 Scottish Episcopal College, Edinburgh, MS. 736.

9 Keith to Ockley, April 15 [1718].

10 MSS. 15911, ff. 1, 3o, 33 ; MSS. 23204, ff. 20, 26, 39

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they are interesting in that they reveal another circle of his acquaintances. The names include those of Ockley /1 (Professor of Arabic at Cambridge), the pious Robert Nelson,/2 Dr. Francis Lee /3 (head of the theosophical Philadelphians), Dr. James Knight /4 (vicar of St. Sepulchre's, London, who became one of his trustees), Dr. Mlead,/5 Mr. Freke,/6 of whom Keith writes, " There are but few of Mr. Freke's disengaged spirit left in the world." /7

Another set of Keith's friends were medical men, and included the celebrated Dr. Keill,/8 Dr. George Cheyne, mentioned hereafter, and Mr. Charles Maitland,/9 another Aberdonian, the surgeon who introduced innoculation into England, and who was one of the trustees nominated by Keith in his will./10

Dr. Keith lived first in Devonshire St. and then in Gloucester St. in the prosperous Holburn district of Theobald's Road, Gray's Inn Road, Red Lion Square, and Queen Square. Close by was the chapel of S. George the Martyr /11 which was one of the chief centres of the non-jurors and Jacobites of the Church of England, and of which Robert Nelson was a conspicuous member. Nelson lived at one time in Ormond St. but latterly in Gloucester St. Here also at No. /12 lived Nathaniel Hooke," the younger, the translator of Ramsay's Life of Fénelon and a member of the group interested in Mysticism.

London at the end of Queen Anne's reign and the beginning of that of George I was expanding in this area, and it was becoming the home of people who had made money in trade, and who had their negro servants and their Sedan chairs. Close by in the Lincoln's Inn Fields the gallants would fight their duels, and everywhere there was the gay coffee-house life. It was the London of Swift and Defoe, Addison and Steele, Pope and Gay, and Arbuthnot and Sir Isaac Newton. The glory of Marlborough's campaigns, the intimate contacts with the Continent, the expansion of trade with the Indies and Africa and the East were making England prosperous and haughty. There was always the undercurrent of Jacobite intrigue, and political factions were at constant war. In the matter of religion


1 D.N.B. One of his works is in the Cullen House Library.

2 Secretan, Memoirs of the Life and Times of the pious Robert Nelson.

3 D.N.B.

4 M.N.E., p. 149, note.

5 D.N.B.

6 Ibid.

7 Keith to Ockley, August 19, 1716.

8 D.N.B. ; brother of John Keill, mathematician, also mentioned in the Letters ; v. pp. 149, 155 n.

9 J. M. Bulloch, " Aberdeen University Re view," XVII ; v. also " Scots Magazine." 1748, p. 102.

10. Will in Somerset House.

11 E. C. Bedford, A Short History of the Church and Parish of St. George the Martyr (revised by A. M. Ferguson) .

12 D.N.B. v. also M.N.E., p184

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and theology there was a drift to Rationalism, which was being countered by the Boyle lectures, by a desperate clinging to orthodoxy and respectability and even to strict Sabbatarianism, and alongside of this again there was that interest in mystical religion with which we are specially concerned, and such movements as those of Pordage and other more eccentric spiritual leaders.

Keith was a convinced follower of Madame Guyon, familiar with her ideas and writings, but also well read in the older mystics, and by the time of his death the owner of a valuable collection of spiritual literature in Dutch, German, Spanish, Polish, etc./1 He was clearly a versatile as well as a cultured man. His philosophic calm is evident in his letters. His character may be judged from the respect with which he is always mentioned by others, and the trust his many friends reposed in him. Lady Deskford, writing to her husband and mentioning Dr. Keith, says, " I am very fond of his good opinion, for I believe him a very good man, and much your friend " ; /2 and Lord Deskford tells Madame Guyon how useful Keith's advice and kindness have been to him and how he can discuss serious matters so freely with him, man to man./3

Keith's religion, as we can gather from the Letters, was little concerned with dogma, and was, indeed, simply an attitude of complete passivity, abandonment, resignation, in meek submission and acquiescence in God's will and in the special guidance of Providence in whatever crosses and temptations might come, living in the presence of God, God being all while he is nothing, with the littleness of an infant, living by naked faith, in entire dependence, cultivating patience, in utter disappropriation and disengagement, free from the multiplicity of affairs, from concern about his faults and troubles, letting these drop and moving on as if they had not been, never discouraged, never reflecting, but turning inward to God his centre, and so reaching in complete union with Him, liberty, silence, joy, peace, pure love.

The work which Dr. Keith was able to accomplish in the cause of mystical religion was very considerable. In the first place, he collaborated with Dr. George Garden in the publication of an English translation of a number of the works of Madame Bourignon. Between 1696 and 1708 the Apology and seven volumes of translations were issued. James Garden, the professor's son, told John Byrom " that his uncle wrote the Apology, and that Dr. Keith and he translated." /4

But decidedly his most important work was that of a distributing agent, especially of the works issued under the direction of Poiret. The chief importance of his Letters lies in the entirely new light they shed upon this


1 Will in Somerset House. He desired his collection to be kept together even if sold.

2 Letter in Cullen House (September 19, 171.}).

3 M.N.E., p. 89.

4 Remains of John Byron, II, p. 13o.

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IT is very remarkable to find such influences as those of Madame Guyon and Pierre Poiret at work in the North-East of Scotland. Those who were involved in the movement were all, it should be noted, Episcopalians. Further, from the date of the Revolution they had been more or less persecuted Episcopalians. At the same time they formed locally a strong party, and they developed marked independence in more than one direction. The growth of the interest in mysticism which remained from the Scougall tradition was at least to some extent due to these special local circumstances in the matter of religion ; and before going further it will be useful to explore the religious conditions prevailing in the North-East at this period, and to discover what relation to the general situation those individuals occupied who were concerned in the mystical movement.

For some time after the Revolution Presbyterianism had only the slenderest hold upon the North-East of Scotland. South of the Tay closer acquaintance with the representatives of England and with the horrors of their administration, experience of the " Killing Time," intenser dread of Romanism, the weight of official opinion, and the sagacity of William Carstares combined to establish very firmly the Presbyterian rule. But Aberdeen and the North-East stood out,/1/ as it has so often done, in considerable contrast to the rest of the country. The clergy and the people in this whole district were so unanimous that the Church went on very much as before, and paid little attention to Parliament or General Assembly. The Bishop of Aberdeen continued formally to act./2/ Episcopalian clergy met as Synod and as Presbytery./3/ Episcopal ministers preached in the city churches./4/ The incumbent of S. Clement's escaped notice till after the ‘Fifteen./5/ The church of Old Machar was in Episcopal hands till April, 1694, after which there were no services of any kind in the church for some months, " the doores being shut and consequently no collections for the poor." /6/ In the district round about similar conditions prevailed. Even in 1701 the minutes of the Presbytery of Turriff refer to " all the Episcopall


/1/ Lawson, History of the Scot. Episc. Church from the Rev's., p. 139 ; Skinner, Ecclesiastical History of Scotland, II, p. 592 ; Kennedy, Annals of Aberdeen, II, pp. 49 f.

/2/Dowden, Bishops of Scotland, p. 403 ; but v. Lawson, op. cit., p. 125.

/3/Miscellany of Spalding Club, II, pp. 163 ff. In Old Machar Kirk Session Records, July 23, 1693, we read : " The minister reported that he spake to the Presbiterie anent…”

/4/Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit., VI, pp. 2, 15, 38.

/5/Ibid., p. 27.

/6/ Old Machar Kirk Session Records, July, 1694 ; Old Machar Collection Book, 1694.

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incumbents within the bounds," /1/ and no fewer than ten of these are mentioned. Indeed as far as Presbyterians were concerned, for years neither Synod nor Presbytery existed. After the Revolution the Synod did not meet till May 18, 1697./2/ No Presbytery was in being until in 1694 five ministers from Aberdeenshire and one from Banff constituted themselves such./3 In 1697 there were at last three Presbyteries in the North-East where formerly there had been eight./4 The united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce began with only five ministers (including two from without the bounds), and two elders./5 Only three were present at the first meeting of the combined Presbyteries of Garioch, Ellon and Deer./6 The Presbyteries of Aberdeen and Kincardine O'Neil were once more separated in 1700. /7 In the following year the Presbytery of Ellon was set up again with four ministers,/8 and that of Deer with six./9 Garioch and Alford were combined for a time, but separated in 1708,/10 while Turriff and Fordyce were finally disjoined in 1707./11

The General Assembly of 1690 saw only two representatives of the whole Synod of Aberdeen, and that of 1692 only one./12 An interesting letter dated just after the close of the March April Assembly of 1694 shows the general position : " Our Assembly went off easily eneugh ; for the brethren willingly agried to take no advantage of the late Act of Parliat for setling the Church, and the Commissions they have given are mostly for planting and assuming, and restricted eneugh in the mater of censure. Yet I see the northern ministers take the alarme at the Commission for the North, and Aberdein mindes to be the metropolis of the Episcopal partie ; but I belive the Commission shall be eerie moderat, and therefore I would have your countrie folks wise ; for if they make any bussell agt such just and moderat things, it will wily serve for a discoverie of their to much suspected disaffection." /13 When this Commission did visit Aberdeen they were met with a protestation from a meeting of the Episcopalian clergy assembled in King's College Kirk.14 The Commission accepted


1 Minutes of united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce, Nov. 12, 17or.

2 Minutes of Synod of Aberdeen.

3 Miscellany of Spalding Club, II, p. 170 ; Minutes of united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce, May 6, 1697.

4 Miscellany of Spalding Club, II, p. 172.

5 Minutes of united Presbyteries of Turriff, Alford and Fordyce, May 6, 1697.

6 Minutes of united Presbyteries of Garioch, Ellon and Deer, April 28, 1697.

7 Minutes of Presbytery of Kincardine, April 17, 1700.

8 Minutes of Presbytery of Ellon, Nov. 12. 17or.

9 Minutes of Presbytery of Deer, April 16, 17or.

10 Minutes of Presbytery of Garioch, Dec. r, 1708.

11 Minutes of Presbytery of Turriff.

12 Misc. of Sp. Cl., II, pp. lxiii f. : cf. Historical Relation of the late Presbyterian General Assembly held in Edinburgh in 1690 (1691), p. 22.

13 Seafield Correspondence (S.H.S.), p. 142. 14 Misc. of Sp. Cl., II, p. 163.

applications from ministers to be received into ministerial communion. A typical case is that of George Anderson, minister at Tarves, regarding whom the Commission recorded that " having heard a savourie report of him from several of the brethren who now in this place have conversed with him and they having also heard a good report of him from godlie and judicious persons in this countrie who know him, and he having declared himself willing to comply with the terms of communion aggreed upon by the last Assemblie, and subscribye the Confession of Faith and acknowledgement enjoyned, do therfor resolve to receive him and hereby receive him."/1

At this period throughout the district everything went on as before under Episcopalian clergymen, services being regularly conducted and communion celebrated, kirk sessions exercising discipline, electing elders, appointing precentors, attending to the poor, observing national thanksgivings./2 On the other hand there was no Presbyterian Communion in Aberdeen from 1690 till 1704,/3 and a similar situation occurred elsewhere./4 Few congregations had a Presbyterian Kirk Session./5 Churches fell into disrepair./6 In some places there were long vacancies./7 " Supply ministers " had to be brought from the south to fill the pulpits./8 The available probationers were on constant duty,/9 and were speedily ordained to parishes./10

One schoolmaster was licensed though " he did profess that he had not any skill in the Hebrew." /11 Occasionally the attempt to induct a Presbyterian minister caused serious rioting. Thus in 1707 members of the Presbytery of Deer on such an errand at Fraserburgh " were assaulted on the high streete with a rable of people who threw stones and dub or mire upon them, pursueing them into the church with the same weapons so that they wer forced to retire to a corner under a loft that they might think on an answer." /12 As late as 1717 we hear of a minister and the clerk of the


1 Extract of Proceedings, July 2, 1694, in Minutes of Presbytery of Aberdeen.

2 Old Machar Session Records, 1690-94, Massing.

3 Kirk Session Register of St. Nicholas, Aberdeen (2nd series), III ; Case of Episcopal Clergy (1703), P. 34.

4 Mair, Records of Presbytery of Ellon, p. 303.

5 Minutes of Presbytery of Turriff, Aug. 18, 1702 ; Dec. 3, 1718 ; Minutes of Presbytery of Deer, June 24, 1707.

6 Minutes of Synod of Aberdeen, June 3, 1699 ; Cooper, Cartul. Eccles. S. Nich., II, p. xlv.

7 Minutes of Presbytery of Turriff, May G, 1697 ; Wodrow, Correspondence, II, p. 210, etc.

8 Minutes of Synod of Aberdeen, April 7, 1698.

9 Minutes of Presbytery of Turriff, April 20, 1698 ; Minutes of Presbyter- of Deer. July 16, Aug. 20, 1706, etc.

10 Ibid., Feb. 8, 1703 (two Presbyteries seeking to place the same man) ; Minutes of Presbytery of Turriff, April 20, 1698, etc.

11 Minutes of Presbytery of Deer, Jan. 4, 1704 ; cf. May 4, 1703, June 6 and Sept. 3, 1704

12 Ibid., Feb. 4, 1707.

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Presbytery of Garioch being chased by a rabble "upwards of a mile." Sometimes visiting Presbyterian ministers found themselves without an audience—" not so much as one to ring the bell." /2 Where the church was claimed for the Presbyterians, heritors would refuse access to the building, keeping possession of communion vessels and session records, and the people would assemble at the Episcopalian intruder's house or arrange for a meeting-house of their own./3 There was no Presbyterian minister at Gamrie or Forglen till 1717, at Fyvie and Alvah till 1718, or at Monquhitter till the end of 1727./4

Most of the Episcopalian clergy in the North-East had qualified themselves according to law./5 This excluded, however, those who were conducting worship in meeting-houses./6 In some cases men who were not qualified continued for years to act as minister. In this connection George Garden, of whom we shall hear so much in this volume, must be mentioned. He continued to preach regularly in S. Nicholas Church, Aberdeen, after the Revolution just as if nothing whatever had happened ; but he declined to pray for William and Mary as King and Queen of the Realm, and he would read no proclamations which referred to them. This the Government declared was stirring up and fermenting political disaffection. It was even stated to the Privy Council that he prayed for King James "aither expressly or in ambiguous and circumstantial terms." He was summoned to Edinburgh, and on refusing to submit to the conditions required of him by the Privy Council, was deprived of his benefice and discharged from exercising any ministerial function in Scotland./7 He was not, however, prevented by this from preaching and conducting services for his followers and friends in Aberdeen, and later had a meeting-house of his own and even a curate to assist him./8

We may notice also the case of another minister whose name occurs in the Letters of James Keith, M.D., and who was in fact himself a nephew of Dr. Keith.

Francis Ross had been minister at Renfrew, but immediately after the Revolution a previous incumbent of the parish returned and established


1 Minutes of Presbytery of Garioch, Nov. 20, 1717.

2 Minutes of Presbytery of Turriff, March 16, 1698 ; cf. Minutes of Presbytery of Deer, May 4 and 11, 1707 ; June 3, 1707.

3 Ibid., May 12 and Nov. 2, 1708 ; Minutes of Presbytery of Turriff, March 16, 1698 ; Representations by the Commission of the General Assembly for the North in Miscellany of Spalding Club, II, pp. lxvi f.

4 New Statistical Account, XII, p. 607 note.

5 J. Anderson, A Defence of Presbyterians (1714), p. 7 ; A Representation of the State of the Church in North Britain (1718), p. 17.

6 Ibid., p. 22.

7 MSS. Proceedings of the Privy Council, Register House, Edin., Feb. 28, 1693 ; Aberdeen Town Council Minutes, March 8, 1693. M.N.E., p. 33.

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Presbyterian services. A rabbling assault /1 was made upon the manse, although the minister's wife was not yet recovered after the birth of a child, and the furniture was actually removed, though the persuasive efforts of some in the place presently secured its return, and the family continued to be tolerated until the Act of 1690 definitely reponed the old minister and deprived the Episcopalian " intruder." Ross went /2 to Aberdeen and for " two or three years " lived with his father-in-law, Dr. John Keith of Old Machar. Dr. Keith had been staunchly Episcopalian, but had offered no public opposition to the new government, having its proclamations duly read from the lectern. He died in March, 1694, and, patronage having been abolished by the Revolution Settlement, the heritors and elders met, qualified themselves by a loyal oath, and unanimously elected Francis Ross to be their minister. The magistrates lodged a protest stating that he was " disaffected to the government " ; but the call was duly subscribed and the members of the congregation signified their hearty approval, declaring that " the whole people of the parisch to the number of upwards of two thousand communicants " were willing and ready to accept him. Ross preached in Old Machar Church on April 8 and April 15, but being called before the Commission of the General Assembly at Aberdeen he declined to apply to them to be received into ministerial communion or to conform to Presbyterianism as now established, and his call was declared null and void. The doors of the church were locked by his friends, and only a repeated injunction from the Privy Council compelled them to hand over the keys so that at last a Presbyterian preacher occupied the pulpit on July 1./3

Enough has been said to show that Episcopacy, though, as it were, driven underground, remained strong in the North-East of Scotland, and at the time to which the Letters of James Keith belong this was still the case. The interests of the Episcopalians were partly, as has already been noted, political, and this will have to be considered more fully in discussing presently their relation to the Jacobite rebellion of 1715 ; but antipathy to the ecclesiastical conditions in which they found themselves turned their attention to two lines of development by which they might be markedly distinguished from the despised Presbyterians who had law on their side and who, in practically every other part of the country, were also almost completely victorious. These two directions of development were Liturgy and Mysticism.

It must be remembered that 17th century Episcopacy in Scotland had


1 Descriptions which differ somewhat as to details are given in Account of the Present Persecution of the Church of Scotland (169o) ; Rule, Second Vindication, and other contemporary pamphlets.

2 The remainder of this account is from the Kirk Session Records of Old Machar Church.

3 V. also Misc. of Sp. Cl., II, p. 170.

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little association with Liturgy. After Laud's unsuccessful effort in 1637 we find practically none of it. Bishop Mitchell of Aberdeen in 1662 recommended the use of Knox's Book of Common Order for morning and evening prayers ; /1 but in the regular services the prayers were extemporaneous. Perhaps the clearest account is that by Bishop Rattray,/2 which shows that even after the Revolution Settlement the Episcopalian order of worship could only be distinguished from the Presbyterian by the inclusion /3 in the former of the Lord's Prayer, the Ten Commandments and the Doxology, with use of the Creed in the Baptismal service. Gilbert Burnet /4 says he employed the English Prayer Book at Saltoun, but in this he was practically unique, although it was used at times in private families /5 and later Principal Munro of Edinburgh University read it in the College./6 This was likewise done in King's College,/7 Aberdeen, by Principal George Middleton until the Lord Advocate closed the College Chapel to prevent the practice.

The union of the Parliaments in 1707 seems to have brought the Scottish Episcopalians to look more towards English sympathy ; /8 and after the Toleration Act of 1712, which authorised their separate meetings, we find the English Prayer Book coming into fairly general use. This happened at Banchory -Devenick in 1712, copies of the "excellent liturgy of the Church of England " being provided for the people and the " dasks " in the church made " fitt for kneeling." /9 Amongst those who seem to have been energetic in encouraging the introduction of the Prayer Book in the North-East were the brothers James and George Garden already mentioned. Dr. George Garden is particularly scathing in the criticism of Presbyterian forms of worship in his Dedication of the Works of John Forbes of Corse, and the brothers were leaders in the movement in 1713 which, according to Wodrow, set up the English service ini all the corners of the Church./10

But a further step in the development of liturgical practice followed. The Gardens with their cousin Principal George Middleton became the leading supporters of the Usages in the North-East, preferring Laud's Prayer Book to that of the Church of England, adding water to the wine in the

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celebration of the Eucharist, and introducing other High Church practices regarded as apostolic. At the same time it is clear from their correspondence that something interested them much more than the Usages and that was the peace and unity of the Church which these threatened completely to destroy. " Schism," wrote George Garden, " is a matter of far more dangerous consequence to the good of the Church than is the difference of usages." 1

Here we have an indication of what drove those men to their particular interest in Mysticism. It was disgust at the controversy which turned men's attention from essentials in religion to unessentials. It is this point which is to be our main concern in the present volume.

The situation in the North-East, then, so far as described is this : The gentry of the area were on the whole definitely opposed to abandoning the Episcopacy in which they had been brought up, and disliked Presbyterianism, a system which they associated with scholastic dogmatism and ecclesiastical tyranny and social puritanism. They were encouraged by their family chaplains and tutors, and the clergy whom they had themselves presented, usually men of good family, men who had travelled, men who in many cases had none of the old taste for theological controversy, and did not care for the authority of rigid system, but felt strongly the fundamental importance of that personal religion which the struggles of the 17th century had tended to obscure. This emphasis upon religion as contrasted with dogmatic theology, this stress upon worship as distinct from preaching and lecturing drew them more and more away from the Church as now established, and into closer relations with the Church of England. The deepest need, however, was that of a personal faith such as they found in Mysticism. The common people were perhaps not much drawn to this. Its appeal was rather to the educated and the leisured. But in the North-East many were inclined to follow the minister and the laird in opposition to distant Assemblies and Parliaments, and to continue the system of Church government to which they had grown accustomed, which differed marvellously little in practice from the rival system, at least until the introduction of the English Prayer Book, and which in no other part of the country had been seen to greater or so great advantage throughout almost the whole of the past century.

1 This whole matter may be studied in the MSS. Letters of G. and J. Garden, Archibald Campbell, Dumbreck, Gadderer, etc., in the Scottish Episcopal College, Edinburgh. V. also the narratives of Lawson, Stephen, Skinner, Struthers, Grub, etc.

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IV. JACOBITE SYMPATHIES.

AT the Revolution religion and politics were inseparably associated. Episcopacy lost its opportunity because of the Jacobite sympathies of its supporters, and the Revolution involved a restoration of Presbyterianism. In the North-East Episcopacy remained in favour. It is therefore natural to look there for a considerable amount of political discontent, and one is not surprised to find that the members of our group were not only Episcopalians but Jacobites. When Dr. George Garden was ejected from his charge in S. Nicholas Church it was quite as much on political as on ecclesiastical grounds. The obligations which were imposed by oath upon ministers were equally civil and religious.

When new favour began to be shown to the Scottish Episcopalians in 1711 and the succeeding years, Scottish Presbyterians were quick to draw attention to the real political sympathies of their rivals. And when at last rebellion did break out it is perfectly clear that Presbyterians and Episcopalians were ranged upon opposite sides.

The Presbyterian stoutly supported the Hannovarian interest. Typical illustration of the attitude may be taken from the Minutes of the Presbytery of Deer in Aberdeenshire. Already in August, 1715, this Presbytery had warned its faithful people of the dreadful consequences of a popish pretender attempting to mount the throne./1 At the end of November we find that the Presbytery " did exhort the bretheren present to use all proper methods for discountenancing the present rebellion, particularly that they should adhere to the Protestant religion and to the interest of His Majestie King George whom they should pray for nc inatim so long as they should have access to preach in publick." /2 The Minutes in January of the next year record that most of the members of the Presbytery had been driven from their churches by the rebels, and Episcopalian preachers intruded in their stead./3 Things looked serious, but by the middle of February we have the Presbytery offering thanks to God " for the comfortable news of the rebels running from Perth," and further exhorting one another " that they should carry very humbly under such smiling Providence, for if the Lord should sent a deliverance att this time it would be ane act of wonderful soveraignity." /4 In the following month /5 it is reported that the rebels are scattered, and that the Presbyterian ministers " returned all to their charges on the twelfth day of February last without any lett or molestation," and it is specially noted that all the brethren " had behaved themselves faithfully during the whole time of their tryalls, severales of them being abused and plundered of their goods by the rebels."


1 Minutes of Presbytery of Deer, Aug. 23, 1715.

2November 29, 1715.

3 January 24, 1716.

4 February 14, 1716.

5 March 6, 1716.

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A similar story might be told of other Presbyteries in the county./1 Throughout the district no time was lost before turning upon the humiliated Episcopalians, when the Rebellion had collapsed. The extent to which these were definitely involved in the Rebellion is clear from the minute studies of Stephen and Lawson./2 Clergymen had already been deposed for not observing the thanksgiving for the Hanovarian accession in 1714./3 When the rising took place men such as George Garden returned to the pulpits from which they had been expelled, and made it plain that amongst the chief benefits of Stuart victory would be the re-establishment of Episcopacy. The Earl of Mar sought by such a promise to encourage Episcopalians to join him, and amongst his troops only the English Liturgy was in use./4 Mar's proclamations were publicly read in church, and assistance thus given in raising men and money and providing arms and plaids.

The Pretender arrived at Peterhead in December, 1715, and after a night in a house of the Earl Marischal at Newburgh passed on to Fetteresso, where, on the 29th, a deputation of clergy, headed by James and George Garden, presented an address of undoubted loyalty and definite adhesion./5 A day of public thanksgiving was observed /6 by the Episcopalians for the Pretender's safe arrival in Scotland.

In Fraserburgh Alexander Moore, an ardent Episcopalian, whom Bishop Robert Keith describes as " the best of men I ever saw," had intruded into the parish./7 He was a friend of the Gardens, and to him the Chevalier Andrew Michael Ramsay, whom we shall often meet in these pages, affectionately avowed his particular spiritual indebtedness./8 Moore observed the thanksgiving on February 2 for the safe arrival of the Pretender, and told the congregation " it was a great mercy the King was landed, considering the season of the year, and there being a price sett on his head by his enemies, that he ova's endued with excellent qualities, and told them likewise that he who now possesses the throne was called to it by a law contrary to all equity and justice." After the sermon he prayed explicitly for James the Eighth./9

This is typical of what went on amongst the Episcopalians of the North-East. Wodrow declared that " the whole liturgy men in Scotland,


1 V. e.g. Records of the Presbytery of Ellon (hair), pp. 314 f.

2 T. Stephen, History of the Church of Scotland (1844), IV, pp. III ff. ; Lawson, History of the Scottish Episcopal Church from the Revolution.

3 Rae, History of the Rebellion, 2nd edit., pp. 352, 476.

4 Representation of the State of the Church in North Britain, p. 22.

5 Rae, loc. cit.

6 Minutes of Presbytery of Deer, April 6, 1716.

7 Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit., VI, p. 222.

8 J. P. Lawson, Preface to R. Keith, Affairs of Church and State in Scotland, p. vii. 9 Minutes of Presbytery of Deer, August 6, 1716 ; v. also May 3o, 1716, and following entries.

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I think almost without exception, are joined with Mar. /1 Rae in his History of the Rebellion says exactly the same./2 Even at the time of the Forty-Five nearly all the Episcopalians of the district were " confessed Jacobites or active sympathisers." /3 Lawson /4 is quite emphatic about the general attachment of the clergy to the Pretender, and the Presbytery Records do not leave us in any doubts in the matter. Episcopacy was for the Pretender.

Moore and many others in the North-East were deposed when the Rebellion had been suppressed. Full advantage was taken by the Presbyterian Church courts of this opportunity of ridding their territories of men who had ever since the Revolution been a perpetual obstacle to their ecclesiastical supremacy. Each Presbytery in the North-East had its share in the work of persecution. Wodrow records that he was told of a full three dozen Episcopalians driven out for Jacobitism./5 " There is now," he says, " an open door for planting the North more wide than we have had since the Revolution. The bulk of the intruders and incumbents there joined openly with the Pretender, and kept his fasts and thanksgivings, and are skulking up and down, and a good many of the gentlemen who stood in the way of planting churches are now retired or feigning subjection." The Fasti Ecclesiae Scoticanae and Stephen and Lawson record the particular cases.

Amongst these we have that of George Garden, who declined to go into hiding and suffered imprisonment for a time. We hear of him being Marched south with other captives./6 Stephen records that at Cupar he and his companions were " thrust into the filthy dungeon where the greatest criminals were kept." /7 After some months in prison in Edinburgh he escaped to Holland./8 Some interest in his well-being was expressed by the Pretender himself ./9 He enrolled as &. medical student at the University of Leyden,/10 and it was not apparently until 1720 that he ventured back to the North-East. Particulars of his movements in those years may be gathered from incidental references in the Letters.

Like Garden, most of the group with whom we are concerned in this volume were Episcopalians and Jacobites. Prominent amongst the noblemen who were " out " and whose names figure in the Letters was Lord Forbes of Pitsligo, who after the Rebellion spent some years on the Continent, but later returned to Scotland and lived to join gallantly in the 'Forty-Five. Another ardent Jacobite whom we find among the mystics


1 Correspondence, II, p. 92. ,

2 2nd edit., p. 205.

3 A. and H. Tayler, Jacobites of Aberdeenshire and Banffshire in the 'Forty-Five.

4 Op. cit., p. 216.

5 Correspondence, II, p. 210 and footnote.

6 Ibid., II, p. 144. ,

7 op. cit., IV, p. 121.

8 Stuart Papers, III, p. 23.

9 Ibid., p. 229.

10. V. Article by present writer, " S.N. and Q.," Sept. 1932.

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was James Forbes, afterwards 16th Lord Forbes, a brother-in-law of Lord Forbes of Pitsligo. James Forbes's brother William, then Master of Forbes, afterwards 14.th Lord Forbes, was, as our Letters show, abroad all the time of the Rebellion. Evidence is wanting to show how his sympathies stood. On the one hand, it is to be remembered that his father remained staunchly and actively Hanovarian./1 On the other hand, he was on friendly terms with the Earl of Mar /2 and in religious matters was entirely at one with his brother. Lord Deskford, to whom the Letters are directed, is usually regarded as having been Hanovarian like his father and as thus mistakenly arrested at the beginning of the Rebellion ; /3 but a letter of his own to Madame Guyon, which is printed for the first time in this volume, shows him to have been at heart a Jacobite./4 Lady Deskford's father, Lord Kinnoull, and her brother, Lord Dupplin, whose names appear in the Letters, both suffered imprisonment for their Jacobite sympathies./5 Another brother was one of the leading rebels, John Hay, made Earl of Inverness by the Pretender./6 James Cunningham, Laird of Barns, whom we shall find to have been keenly interested in mysticism and allied religious enthusiasms, died as a prisoner after the Battle of Preston./7 Sir Patrick Murray of Auchtertyre was only just restrained from active rebellion. He was one of those who surrendered to the Government when commanded to do so in September, 1715./8 His son was " out " and suffered considerably. Other Jacobites whose names appear less prominently in the Letters include Sir James Dunbar of Durn, Alexander Davidson of Newtoun, and Principal George Middleton of King's College, Aberdeen. Andrew Michael Ramsay was not indeed personally involved in the Rebellion, but his sympathies are not in doubt, and in later years we find him occupying the post of tutor in the Pretender's family,/9 Charles Edward, the Young Pretender, and Henry, afterwards Cardinal of York, being both under his care as little children.

The outstanding exception in our group is Dr. James Keith himself. He wrote very cautiously where politics were concerned, and succeeded in keeping clear of the conflict.

The Letters of James Keith add something in the way of small details to the information already available regarding the First Jacobite Rebellion, but more important is the witness they offer as to how completely the group whose mystical tastes these letters display were involved in that exciting political episode.

There were many Episcopalians in the Jacobite forces who would have had no sympathy with such religious ideas as those to which this particular group were devoted. But here we do have a not entirely negligible number


1 G.E.C., Complete Peerage.

2 Stuart Papers, III, pp. 229 f.

3 M.N.E., p. 107.

4 Ibid., p. go.

5 Ibid., pp. 119, 123.

6 D.N.B.

7 M.N.E., p. 139.

8 Rae, History of the Rebellion, 2nd edit., p. 211.

9 V. M.N.E., p. 54.

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of intelligent men of good position hoping for better days for true inward personal religion associated with Episcopal forms of government and worship, under Stuart rule. It may be suggested that in the case of some at least the religious interest was of decisive importance in determining their political preference. Perhaps this is a point to which insufficient attention has generally been drawn in connection with the study of this most interesting chapter in Scottish history.

      1. V. DR. GEORGE GARDEN.

THE name of Dr. George Garden does not bulk largely in the Letters of James Keith, but it seems nevertheless desirable to speak of him at some length and with some emphasis at this stage, for his was the personality which inspired the mystical movement in the North-East. He learned mysticism in company with his friend Henry Scougall and from contact with the spirit of his master, John Forbes of Corse. He came to know Poiret and so developed into a missionary of mysticism, most notoriously a disciple of Antoinette Bourignon, but latterly with equal ardour a devotee of Madame Guyon and always an eager pupil of anyone, learned or unlearned, who could speak to the soul. This was not the only cause to which he was devoted. He was a student. He was, as we have already seen, a keen Jacobite. He was a very ready and successful controversialist on the side of suffering Episcopacy. As a man he is also of outstanding interest, a leader, dignified, cultured, of strong will and great determination, and at the same time lovable, deeply religious, entirely humble, and with the heart of a little child.

His career may be briefly described. His father,/1 the scholarly parish minister of Forgue, belonged to the distinguished family of Leys./2 His mother /3 was a near relative of the Earls of Middleton, so prominent in their connection with the House of Stuart. Born in 1649,/4 George Garden entered King's College,/5 Aberdeen, when about 13 years of age, four years after his brother James, and two years before his future soul-friend, Henry Scougall, Aberdeen's immortal mystic. After his graduation in 1666 /6 he disappears fromview. He must have studied Divinity somewhere—perhaps in Aberdeen, as we know his brother did. /7 Then it seems almost necessary to suppose


1 F.E.S., new edit., VI, p. 254 (not altogether accurate).

2 Nisbet, Heraldry (1804), II, p. 13 ; Stoe.srt, Scottish Arms, II, p. 343 (Jas. Garden wrongly described as of St. Andrews).

3 Old Machar Marriage Register ; Register of Deeds, Durie, July 21, 1664 ; A. C. Biscoe, Earls of Middleton (1876).

4 Tombstone in Old Machar church yard.

5 Fasti Aberdonenses, p. 473.

6 Ibid., p. 521.

7 Records of Exercise of Alford, p. 68.

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he went abroad and in particular to Holland, as was the fashion with scholarly young men. Certainly he formed a strong connection with the Continent, and became familiar with foreign books and foreign speech. One may also presume that he acted for a time as chaplain, tutor and secretary in one of the great houses in the North-East, and began his intimacy with the Ogilvies and Forbeses and Dunbars and Bairds and Hays and the influence which made him ultimately to such an extent their spiritual director. He maintained his interest in learning, and in 1673, when Henry Scougall became Professor of Divinity, George Garden was recalled /1 to his old college to succeed him in the work of Regent. This meant he was responsible for giving dictates and guiding disputations on all the subjects of the Arts curriculum. He only remained in office long enough, however, to take his students through the first year of their course ; and in September, 1674,/2 we find him ordained minister at Forgue in succession to his father. In June, 1679,/3 he was translated to the Cathedral Church of Old Machar, and in November, 1683,/4 to the city charge of S. Nicholas in Aberdeen. Allusion has already been made to his interests in the introduction of the English Liturgy and later in the Usages and the problems they aroused,/5 his deprivation from his ministerial charge in 1693 for political reasons and his ardent adherence to the Jacobite cause in 1715. His later years saw him occasionally in London,/6 and on the Continent,/7 for a time in semi-monastic retirement at Rosehearty,/8 but chiefly living quietly in Aberdeen ministering, with the help of a deacon, in his " small oratory." /9 He was a bachelor and his sister Margaret /10 kept house for him.

A letter /11 from Bishop Gadderer to Bishop Campbell on May 24, 1732, states that Dr. Garden is yet alive but his memory is quite gone, and on


1 Orem, Description, p. 16o.

2 Minutes of Presbytery of Turriff. Not 1677 as stated in F.E.S., new edit.. VI, p. 254 ; Anderson, Officers and Graduates of King's College, p. 58 ; D. Macmillan, Aberdeen Doctors, p. 265 ; etc. According to the Presbytery records his presentation to Forgue was reported to that court on September 3, 1674, his trials for special reasons were taken all in one day, on the following Wednesday, and the induction followed immediately. Garden is mentioned in the Minutes of January 6, 1675, and frequently thereafter.

3 His presentation and collation are preserved in the Muniment Room at King's College. See also Old Machar Kirk Session Records.

4 Aberdeen Town Council Records, LVI, p. 659.

5 See his letters preserved in Scottish Episcopal College, Edinburgh.

6 YI.N.E., pp. 8o ff.

7 Ibid., pp. 131, 151. 155, 16o.

8 Remains of John Byrom, Vol. II, part ii, p. 472 ; Minutes of Presbytery of Deer, October 19, 171o.

9 Manuscript Letters in Scottish Episcopal College, Edinburgh, 760 and 763.

10 Ibid., 76o ; Munro, Records of Old Aberdeen, II, p. 176.

11 Scottish Episc. Coll., Edinburgh.

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January 31, 1733, he died,/1 being buried next his brother in the churchyard of Old Machar Cathedral.

An interesting glimpse of Garden's appearance is afforded by one of the books directed against him, which in more than one place seems to hint at his size and physique : " The Dr. has undertaken a Gigantick attempt worthy of himself, for as the proverb is, Aquila non captat muscas, so this mighty champion . . ." ; " there is a vast disproportion of human strength and furniture between the Dr. and the author of this essay who is but Nanus ad gigantem, like a Pismire in comparison of an Elephant."/2 Evidently an impressive figure. As to Garden's high character there is universal agreement. Bishop Falconer speaks in a private letter of his " unquestionable abilities and probitie " ; /3 and Wetstein, the Amsterdam publisher, himself a man of piety, declares he has never known one gentler, more modest and with more brotherly kindness./4 A hostile pamphlet in 1690 admits him to be " both a knowing man and an able preacher, one who teacheth the truth in sincerity, without respect of persons." /5 Honyman, his opponent in the Bourignonist controversy, says he is " a known pattern of piety and temperance, and deserves so well of the learn'd world," " admired as an oracle of learning and piety by all the neighbourhood," " a knowing and judicious person," " a learned and religious person," and refers to " all that reading and knowledge he is master of," and " his own smooth style," showing how in regard to certain teaching he " with his smooth tongue licked it into a taking English dress, set off with all the advantages of his learning, eloquence and citation of authors." /6 This is all very illuminating. That Garden was indeed learned is clear from the record of his early life of study, his call to be regent at King's College, the range of references in his many pamphlets and prefaces, his laborious editing of the works of John Forbes of Corse with the translation of the Diary into effective Latin, and also the evidence of his scientific interests afforded by his letters /7 published in the transactions of the Royal Society of London.

Bower in his History of the University of Edinburgh /8 gives a totally misleading idea of him when he calls him " a raving enthusiast who was a fitter subject for an hospital than an ecclesiastical court," but he was an en-


1 Old Machar Kirk Session Accounts, Nov. 24, 1733.

2 A. Honyman, Borignonism Displayed (1710), xii, xx.

3 Letter to Bp. Campbell, Scottish Episc. Coll., Edin.

4 Opera Johannis Forbesii (1703), Vol. I, pref.

5 An Historical Relation of the late Presbyterian General Assembly held at Edinburgh, r6go (1691), p. 35.

6 Honyman, op. cit.

7 Philosophical Transactions, 1677, 1685, 1693 ; v. also correspondence in A. van Leeuwenhoek, Vierde Verfolg der Brieven ([694). e Vol. II, p. 283.

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thusiast, and a masterful enthusiast who infected others with his enthusiasm. At the same time we admire the moderation of his statements and his sympathy and charity to all men—except perhaps those dreadful Calvinists and Presbyterians of the Covenanter type ! He was a gentleman, restrained, cultured, a keen missionary, who was himself the best argument for his views.

It is as a Bourignonist that George Garden is known in Scottish Church history, but simply so to classify him is to misunderstand. The mystics did not devise rival systems, and Garden is as much a follower of S. Augustine and S. Bernard, Tauler and S. Teresa, de Renty and Pascal, Molinos and John of the Cross, Francis de Sales and Thomas à Kempis as he ever was of Madame Bourignon and latterly he was a devoted admirer of Madame Guyon. It vas, however, for Bourignonism that he was deposed from the ministry of the Church of Scotland, and he did more than anyone else to disseminate knowledge of Bourignonist ideas both by his famous A pology 1 and by translating and arranging to have translated a number of Mme. Bourignon's works, and that at considerable financial risk./2 The Synod of Aberdeen complained in 1710 of " the great increase of Bourignonism in this province, especially by means of Dr. Garden " who " keeps up a settled society of unmarried men and women living together into the house of Rosehearty for propagating the principles of A.B." /3 He was responsible for the interest taken in such views by " some of the better sort, who have been reputed men of sense, learning and probity " as his brother-in-law declares./4 The influence he exerted was not limited to the North-East, but showed itself in Fife, where Halyburton found he had to preach against the movement in Ceres in 1707,/5 and where St. Andrews was said to be much affected,/6 and the ideas he advocated proved so attractive to earnest souls with whom he came into contact that the courts of the Church were obliged at an early stage to take notice. Garden was cited before the Presbytery of Aberdeen in 17oo,/7 but did not compear, and the matter went to the General Assembly, which declared his Apology for Mine. A. Bourignon to contain " a mass of dangerous, impious, blasphemous and damnable errors," confirmed an order of suspension against him by a visiting Commission

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of Assembly, and ultimately deposed him from the Ministry./1 Intimation of his deposition was ordered to be read in all churches, and there was a certain amount of trouble with sympathisers who refused to obey this instruction./2 The Assembly of 1709 /3 enjoined the suppression of the " dangerous errors " ; and an Act of 1710 /4 refers to " Societies of Bourignonists, avowedly professing these principles and dispensing the books containing the same," and urges the Professors of Divinity to confute the new teachings. In 1711 /5 the new set of questions to be put to ministers at Ordination required the explicit disowning of Bourignonism along with Popish, Arian, Socinian and Arminian heresies and this formula remained in use in the Church of Scotland until 1889. Various works /6 were published against Bourignonism or included attacks upon it and upon George Garden.

The official and literary attacks display much misunderstanding /7 of Garden and his views, and the general attitude was one of ignorance and the suspicion and fear which ignorance begets. Professor Anderson of Glasgow University declared that the movement was a " deep laid plot by the Jesuits," /8 although we know that the Romanists themselves were made anxious by the spread of Bourignonism in Scotland./9

George Garden was undoubtedly the chief propagator of this movement in Scotland, and even in 1720 we find him prevented by the taint of Bourignonism from being seriously considered by the Scottish Episcopalians for a bishopric."


1 Acts of Gen. Assembly, pp. 306 f. ; v. also Minutes of Presbytery of Turriff, Aug. 20, Sept. 24, 1700, and Minutes of Synod of Aberdeen, April, 17o 1.

2 Minutes of Presbytery of Aberdeen, April 3o, 170I ; Minutes of Presbytery of Deer, Aug. 20, Nov. u, Dec. 2, Dec. 23, I701, and Jan. 27, 1702 ; Minutes of Presbytery of Garioch, Nov. 5, 1701, and Jan. 21, 1702 ; {Minutes of Presbytery of Turriff, Nov. 12, Dec. 1o, 1701, and Jan. 13, Feb. 24, 1702.

3 Acts of Gen. Assembly, p. 436.

4 Ibid., pp. 443 f. ; cf. Minutes of Presbytery of Deer, Oct. 19, 1710, and T. Boston, Jlernoirs (edit., Morrison, p. 249).

5 Acts of Gen. Assembly, p. 455 ; cf. Struthers, History of Relief Church, p. 175.

6 The most important of these are George White, Advertisement (1700) ; Leslie, preface to Snake in the Grass (1696) ; J. Cockburn, Bourignonism Detected (1698) ; A. Honyman, Bourignonism Displayed (1710) ; J. Hog, Notes about the Spirits' Operations (1709) ; R. Barclay, Modest and Serious Address (1708) ; A. Jaffray, Letter to Dr. G. G. (1708).

7 The history of the movement is given, and the life and opinions of M. Bourignon fully discussed in A. R. MacEwen, Antoinette Bourignon, Quietist (1910). An interesting friendly account of Mme. Bourignon occurs in Epistola de Principiis et Characteribus Mysticorum (1702), pp. 230-56, with a criticism of Bayle's attack.

8 Wodrow, Analecta, II, p. 35o ; cf. III, pp. 472 f.

9 Bellesheim, History of the Catholic Church of Scotland, Eng. Trans., IV, pp. 169, 200.

10 Lockhart Papers, Vol. II, p. Ioi ; also letter from Bishop Falconer to Bishop Campbell, Jan. 1o, 1721 (quoted Epochs of Scottish Church History, p. 87).

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Yet when all is said Garden was not a mere Bourignonist. There is a letter of Norman Macleod of the Barony, written in 1848, which sheds light on the position. " Unless," he says,/1 " the Church gets wholesome spiritual food given to it, its next development will be mysticism. Nothing outward in government, creed or mode of worship can satisfy the increasing hunger in the Church ; all are seeking something which they find not, yet know not hardly what they seek." This situation has often appeared in the history of the Church, and has given rise to movements of revolt, some of which the Church has crushed out as it did Montanism, some of which it has absorbed, as it did medival mysticism, some of which it has driven to separatism, as it did the Quakers and the Methodists. It is in the light of this explanation that we must view Garden and the whole group with which we are concerned in this volume. Garden and his friends were dissatisfied with organised Christianity in Scotland as they found it under established Presbyterianism. They intensely disliked the splitting and resplitting of hairs which characterised the theology of the Covenanters. Garden was always ready to pour out indignation upon the Westminster Confession of Faith,/2 not for the views it suggests, but for its dogmatism, and for the insistence that 171 articles of faith must all be accepted in the same sense by everybody. Children, he complains, were baptised into a narrow sect instead of into the Church of Christ. The catholicity of the Sacraments and the Creeds was forgotten, and the sense of proportion was thus lost. He wished to distinguish essentials and accidentals and to insist that everything must illustrate and inculcate Faith, Charity and Hope./3 Religion was the principal thing, and religion he found in Augustine and Thomas à Kempis, and Pascal and Henry Scougall. Then Poiret introduced him to the works of Madame Bourignon, and here he found the same thing. He was convinced that they would " revive the life and spirit of Christianity." /4 He was charmed to see here again the emphasis he knew so well from the older mystics upon the love of God as the essence of virtue. He declared that "upon the reading of her writings they have felt a deeper sense of divine things, and their hearts and consciences have been more touched than by most of other writings which they have seen. . . . There's a certain driness and deadness in most of writings and sermons nowadays about divine things, that they do not at all touch the heart ; and even the best of them savour more of the head than of the heart, ... There was never more preaching than in this age, yet never a greater spiritual famine."/5 At the same time he was careful to explain that : " They esteem her writings


1 D. Macleod, Memoir of N. Macleod, Vol. I, pp. 289 f.

2 Case of Episcopal Clergy (1703), p. 14, etc. ; Opera Joh. Forbesii, Vol. I, pref.

3 Primitive Church Government in the Practice of the Reformed in Bohemia (1703), p. 3 ; v. also Acts of General Assembly, p. 307.

4 Apology for Mme. Bourignon, pref.

5 Ibid., pp. 31 f.

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in so far as they are agreeable to the doctrine of Jesus Christ ; and as to her particular opinions, they suspend their judgment about them, since neither the belief nor disbelief of them is necessary to salvation ; for it is their earnest desire to become true followers of Jesus Xt and not of any particular person." " 'Tis true in her writings there are some singular sentiments, but such as she owns are not necessary to Salvation, and which people if they please may look upon as dreams, provided they take care to have their hearts and minds formed according to the spirit and doctrine of Jesus Xt." /1 Madame Bourignon was thus to George Garden what Tauler had been to Luther. Tauler appealed to the mystic in Luther who thereupon found in him " more solid and true theology than is to be or can be found in all the scholastic doctors." /2 Luther no doubt exaggerated and discovered much in Tauler which was due rather to the mind which read than to anything in the text, but the fact of the inspiration was undoubted. So Garden found his own thoughts so admirably echoed by Madame Bourignon that he became instantly blind to the crudities and absurdities /3 of her teaching and found in her the sum and substance of true Christianity. At the same time it was the spirit of her teaching and not the letter which he so powerfully and enthusiastically recommended.

As late as September, 1714, Wodrow records 3 that in the North there had been a considerable increase in " the enthusiastical foppery of Bourignianism " ; but in fact a new phase had by that time developed. In 1711 the Bourignonist movement was noted by the Aberdeen Synod 4 to be somewhat diminished, so much so that they felt there was now no call for special action. The translations of Madame Bourignon's Works ceased for no apparent reason in 1708. Then in 1710 George Garden went abroad,' and this may 'mark the beginning of 3 new and very powerful influence in his life and in that of his friends. It is true that we have no writings from his pen after this date, no translations, no prefaces. But he was by no means inactive. His methods were now much more secret and have remained entirely unnoticed. He retained his love of all the mystics, and his enthusiasm for A.B. was not dead, but he found a new and living anc. present source of revelation and inspiration in Madame Guyon. Poiret had by this time become intensely interested in the writings of .Madame Guyon, and was giving to her that same Boswellian encouragement and worship which he had formerly offered to Madame Bourignon. Garden


1 A. Bourignon, Renovation of the Gospel Spirit, Eng. trans., 1707, preface. The copy in New College Library, Edinburgh, attributes this preface to Dr. G. G. and that in a contemporary hand. Some of the other volumes in the same collection have also notes regarding the authorship of the pa -faces, and these show discrimination and seem accurate.

2 Mackinnon, Luther, I, p. 232 ; cf. p. 219.

3 Correspondence, I, p. S72 : other references in II, pp. 253, 307.

4 Minutes of Synod of Aberdeen, April 3, 1711.

5 Ibid., Oct. 3, 1710.

became also a close follower of Madame Guyon, and we discover from the Letters /1 that he was actually one of those present at Blois when she died in 1717. We learn also that he had been in correspondence /2 with her, and had received some of her poetical effusions,/3 and later we find him busily engaged /4 a in distributing copies of her different works to those who would buy them. He kept in close touch with the group, being in correspondence with Dr. Keith /5 and A. M. Ramsay,/6 and sharing exile with Lord Forbes of Pitsligo /7 and James Forbes./8 Altogether it was largely the work he had done in rousing interest in foreign mystical writings and leaders that created this Scottish following for Madame Guyon, and that brought it about that her books and letters found their way to Cullen and to other Scottish castles where the mystics made their appeal and where spiritual direction was welcome.

      1. VI. LORD DESKFORD.

ANOTHER very interesting member of the group who visited Madame Guyon at Blois and was in regular correspondence with her was the recipient of the letters of Dr. James Keith published in this volume. James Ogilvie, Lord Deskford, afterwards 5th Earl of Findlater and 2nd Earl of Seafield.

Lord Deskford was born in 169o,/9 son of the Chancellor Earl who had so much of the responsibility of negotiating the Union with England in 17o7. Affectionate relations with his father are indicated by the terms of some letters which have been preserved, though these deal chiefly with the price of grain and the health of the family. In writing to Madame Guyon in 1714 Lord Deskford stated/10 that his inclination was to follow his father in ordinary matters, and he may therefore to some extent have resembled his father, who was not supposed to be a man of very strong personal convictions./11 His mother /12 was Anna, eldest daughter of Sir Wm. Dunbar of Durn and his wife, Janet Brodie, grandchild of the most celebrated Laird of Brodie./13 Lady Seafield died in 1708, aged only 36, but already she had given direction to the spiritual life of her son, and to her influence in this respect he remained true. She had been very religiously brought up, and had had a good education, so that she was able to compose religious meditations, of which


1 M.N.E., p. 543.

2 Ibid., p. 124.

3 Ibid., p. 97.

4 Ibid., p. 165 n.

5 Ibid., pp. 134, etc.

6 Ibid., p. 151.

7 Ibid., p. 155.

8 Ibid., p. 139.

9 Paul, Scots Peerage, IV, p. 39 ; died July 1764, in the 75th year of his age.

10 M.N,E,, p. 9o.

11 D.N.B.

12 Paul, Scots Peerage, IV, p. 38.

13 The details are from the manuscript Life of Lady Seafield by Mary Baird of Auchmedden, wife of Sir James Dunbar of Durn, brother of Lady Seafield ; and other papers in Scottish Episcopal College, Edinburgh (Q. 12).

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some are still extant. On her dying bed she declared that her one ambition was " to have her heart wholly moulded into the Love of God," and that she thought " that the Love of God was the essence of religion." This is of course entirely on the lines of George Garden. He was intimate with the family and after her death wrote for private circulation a Life of Lady Seafield. When she was dying her son read her a letter concerning the Love of God, and we can see that he was already much interested in the mystical religion of the time.

Lord Deskford is said to have been a sickly child because of a bad nurse, and thus to have been a source of anxiety to his mother. As a young man he was also in poor health in London, and his life seems to have been in danger. His state of health gave him occasion for meditation and he said later that he had found much support in I Thess. v, 8-io. An anecdote of his childhood tells of severe chastisement from his mother when he was five or six years old for swearing, which he had learned from the servants, and of which he always afterwards had a particular dislike. When he was a few years older he was entrusted with alms for a beggar, but was induced by a companion to spend the money on figs. The incident was, of course, used to inculcate the proper moral. Childish thoughtlessness also caused him to utter what seemed a heartless remark when his brother William died. The Earl had promised William a large sum of money " for his portion." When James heard of the death he said, " Well, his father would not give him that money now."

Lord Deskford was educated by a tutor named Wm. Blake, of whom some particulars will be found in the letters of Dr. James Keith./1 Blake took him to Aberdeen, where he attended Marischal College from 1701,/2 and in 1705 they went to Utrecht, where the pupil is reported a to have been /3 in good friendship and correspondence with the English and Germans here. He walks in the fields with them, converses in coffee-housses, receives and returns their visits, but never goes along to the tavern, nor ever makes a pairt in their night caballs." He studied History and French and was preparing to follow the Law as his father had so successfully done, but his name does not appear in the university records./4 He was back in Scotland in the spring of I707,/5 and it was during the following winter that he was so ill in London./6 Within the next year or two he must have been abroad again and met Madame Guyon, under whose influence he was long to remain. He kept up his studies. He was acquainted with foreign languages./7 We


1 M.N.E., pp. 93. 127, etc.

2 Records of Mar. Coll., II, p. 281 ; v. also Seafield Correspondence (S.H.S.), pp. 323 f., 338.

3 Ibid., pp. 417 f. ; v. also pp. 416 ff., 424.

4 Album Sludiosorum.

5 Seafield Correspondence, p. 431.

6 Ibid., pp. 444, 451.

7 N.N.E., pp. 90, 104.

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hear of boxes of books arriving for him at Cullen House./1 History seems to have interested him particularly./2

At an early date, however, his interests had become strongly religious. One of the family retainers, writing in 1710, urges that Lord Deskford should be encouraged to marry not only for the sake of personal and family advancement but also because " if he gott a vertuous good woman she would keep him from his melancholy thoughts and the enthusiastick principles of religion."/3

It is not surprising then to find that his main reading was in Mystical Theology, and there are still in Cullen House Library many volumes of this type which were added in his day, and other books which are of interest as connected in some way with people mentioned in the Letters. Fénelon has a good place. There is a complete set of his works, with French and English versions of Ramsay's Life of Fénelon, copies of Téléinaque in English, French and Italian, and separate editions of several of his other writings. Madame Guyon's Works are also very fully represented—her Autobiography, the Commentaries on the Old and New Testament, her Poems, Letters, and Discourses, the Opuscules spirituels, the Justifications (2 copies), etc. There are also a number of Poiret's works in English, Latin and French. To these must be added many of the best known mystical books—several editions of the Imitation of Christ, Theologia Ger;nanica, Macarius, S. Teresa, Annelle Nicholas, Gregory Lopez, Olier, Surin, Angela de Foligni, S. Catherine of Genoa, Francis de Sales, Les vies des saintes pères des deserts, Hugo's Emblems, Henry Scougall. We find also the Cambridge Platonists, More and Cudworth, two copies of Ramsay's Philosophical Principles of Natural Religion, George Cheyne's Philosophical Principles, Campbell's Middle State (2 copies), and works by Cumberland, James Knight, J. Heylin, S. Ockley, the last three of whom were personally known to Deskford.

This list witnesses to a real interest in spiritual literature and in inward religion of the type preached by Madame Guyon.

Of Lord Deskford's personal religion the Letters now published in this volume afford ample evidence. Also there are preserved at Cullen House a number of prayers in Lord Deskford's handwriting and apparently of his own composition, along with transcripts of spiritual letters, poems, etc. There are also larger works, including Olier's Catechism, and part of Baron de Metternich's " Treatise concerning the perfection of happiness that is to be attained in this life," which he seems to have had copied by his chaplain. He was personally known to Madame Guyon, and she appears


1 M.N.E., p. 109.

2 Letter from W. Monro, bookseller, Edin., Nov. 23, 1720 (Cullen House).

3 At Cullen House. Letter of March 14, 1710, to Wm. Lorimer, chamberlain to E. of Findlater, from a cousin in London.

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to have had an affectionate motherly interest in him. Some of her letters in the collection published in her lifetime were originally addressed to him. For example in Vol. IV, letter 90 is the reply Madame Guyon sent to Lord Deskford on receipt of his letter of October 24, 1714, which is printed in this present collection./1 In Madame Guyon's published Letters dates and names are omitted, and in this case there is also omitted a little note which Ramsay, her amanuensis, had appended, wherein he calls Deskford one of Madame Guyon's dearest children and says she delights in his uprightness, candour and simplicity. There is a copy of the full letter at Cullen House, and there are two copies in the Seminaire de S. Sulpice in Paris.

Again, the letter numbered 53 in Vol. III was one of those sent to Lord Deskford. There is a copy at Cullen House. which, however, does not contain the part of the letter which begins at line 6 on page 234. But the Cullen House copy has a few interesting lines added apparently by Madame Guyon herself as a postscript, and then a short letter from Ramsay which speaks of Deskford's letters to Madame Guyon. and gives the illuminating information that Ramsay thought Deskford a Scottish Marquis de Fénelon (the Archbishop's nephew) and the Marquis a French Lord Deskford. A still further example is letter 1o8 in Vol. I which has in the Cullen House copy an addition apparently in the hand of the Marquis de Fénelon, where a reference to the birth of another son to Lord Deskford fixes the date as 1716./2 A few other letters from Madame Guyon to Lord Deskford will be found in this present collection./3 These do not seem to have been hitherto published. Manuscript copies of some of her works seem also to have been transmitted. Thus at Cullen House there is a copy (in Dr. Keith's writing and addressed to Lord Deskford) of the discourse which appears as number XI in the first 'volume of the published Discours chrétiens et spirituels (1790 edition), and along with it is a song, Dans ce vaste océan d'amour.

An exciting episode in the life of Lord Deskford was his arrest in August, 1715, on suspicion of Jacobite conspiracy. He was confined for a short time in Edinburgh Castle, but released on making a declaration regarded by the Hanovarian Government as satisfactory. The charge was based upon a story of a French letter which he had received in London in January of that year and had transmitted to the Earl of Kinnoull at Dupplin. It was from the Earl's sister in France and concerned only family affairs. Reference to this incident is made in the Letters,/4 and a number of other letters which treat of it and are preserved at Cullen House have been printed in James Grant's Records of the County of Banff./5 Grant and others who mention the matter seem to take it as established that there was no


1 V. M.N.E. pp. 35 ff.

2 Ibid., p. 126.

3 Ibid., pp. 94, 12r.

4 Ibid., pp. 107, 109.

5 New Spalding Club publication, pp. 302-7. V. also letter from Bp. Rose, MS. No. 1835 in Scottish Episcopal College, Edinburgh.

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ground for suspecting Jacobite sympathies in Lord Deskford, and certainly there seems to have been nothing in the charge actually made. A rather different light, however, is shed upon Lord Deskford's whole attitude by a letter which he wrote to Madame Guyon in November, 1714, which is printed for the first time in the present collection./1 Here he explains that his wife's family are Jacobites—and we remember that her brother, the Earl of Inverness,/2 was a very outstanding follower of the Stuarts. He goes on to say that his father is inclined to the Hannovarians, but not very enthusiastically, with the result that he has lost his place in the Government. He himself inclines to obey his father " dans toutes les choses indifferentes," and he has actually spoken to the King in loyal terms. On the other hand, he acknowledges to Madame Guyon a secret attraction to the Stuart cause, and says explicitly that if Providence should give it the victory he would be far from grieved. Had this letter of his come into the hands of the Government instead of that which actually caused his arrest. the result might have been very different. In any case we now know that he was a secret if somewhat timid Jacobite, and possibly his arrest saved him from a rebel's death.

If the arrest was intended to frighten him, it served its purpose. He did not go out in the 'Fifteen with so many of his circle ; and in the days of the 'Forty-Five he showed himself a thorough Hannovarian. His house at Cullen was plundered by the passing Jacobites,/3 and he himself distributed money to the troops of the pursuing Duke of Cumberland. He w- s reported to have " behaved with the greatest zeal and activity for the King's service." /4

Outside of the period of Madame Guyon's life and the correspondence with Dr. Keith, we know of Lord Deskford's long and useful and honourable career. He succeeded to the titles and estates in 173o, took a very active part in the local government of Cullen, introduced linen and damask manufacture into the neighbourhood, extended his authority under the new enclosure laws, became Vice-Admiral of Scotland, and died prosperous and respected in 1764./5 He was twice married. His first wife, Lady Elizabeth Hay, daughter of the Earl of Kinnoull, is repeatedly mentioned in the documents of this collection. She was a most affectionate wife, as is evident from those tender letters to her husband which are preserved in Cullen House. They are most natural and unaffected letters and followed one another to London in quick succession. Lord Deskford's second wedding took place just outside the period of Keith's letters. Lady Sophia Hope, whom he married at the close of 1723, was of the Hopetoun


1 Pp. 88 ff.

2 D.N.B. (John Hay).

3 Cramond, The Plundering of Cullen House.

4 Quoted A. and H. Tayler, Jacobites of Aberdeenshire and Banffshire, p. 71.

5 For particulars v. Cramond, Annals of Cullen. 2nd edit., 1888.

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family and was a great strength to him in all his domestic and social and financial concerns./1 It is quite conceivable that she had also some influence upon his political views. The story that she was actually a spectator of the Battle of Culloden /2 would seem to strengthen such an impression. There may also be grounds for suggesting that to some extent she cured him of " his melancholy thoughts and the enthusiastick principles of religion " as his friends had hoped his first marriage might do./3

      1. VII. ALEXANDER, 4TH LORD FORBES OF PITSLIGO.

NONE of the group is so well known as Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo, one of the most interesting of Jacobites and one of the most worthy characters in Scottish annals. He seems early to have become concerned about religion, and, while such movements were still popular in fashionable France, to have come into sympathetic relations with French mystical thought, and that apparently under the guidance of Fénelon. Sir Walter Scott says " he attracted the notice and obtained the friendship of the celebrated Fénelon, the rather that he coincided with that virtuous and benevolent prelate in certain warm and enthusiastic religious doctrines, approaching to that Quietism, as it was called, encouraged by the enthusiastic conceptions of Madame Guion." Lord Forbes of Pitsligo may well have had his mystical tendencies developed even before he went to France. His father, Alexander, the 3rd Baron, was a student in residence at Marischal College, Aberdeen, for several sessions from 1671,/5 and there is evidence to indicate that one of his fellow students may have been the future Dr. James Keith./6 Keith's father/7 was then minister of Birse, and as such was chancellor of the diocese arid so in close touch with the Bishop, Patrick Scougall. Scougall's son, Henry, had graduated in Arts at King's College in 1668 /8 and became a regent there in the following year, but he must for the next few sessions have also been studying Divinity, which he would do under Professor Menzeis at Marischal College, as no Divinity Professor had been appointed at King's since the death of Professor Douglas in 1666. Scougall's bosom friend was George Garden, a graduate in Arts of 1666, and probably not far away for some years from the College where he also became a regent in 1673. There is perhaps room to suppose that


1 Cramond, Annals of Cullen (2nd edit., 1888) ; also Cramond, Church and Churchyard of Cullen, p. 117.

2 R. Forbes, Lyon in Mourning, II, p. 25a.

3 M.N.E., p. 41.

4 Sir W. Scott, review of Lord Medwyn's edition of Pitsligo's Thoughts Concerning Man's Condition and Duties in this Life, etc.

5 P. J. Anderson, Records of Marischal College, II, pp. 239 f.

6 Ibid., II, p. 239.

7 Fasti Ecclesiae Scoticanae (new edit.), VI, p. 83.

8 Fasti Aberdonenses, p. 523 ; P. J. Anderson, Officers and Graduates, p. 316.

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the mystical spirit which showed itself then already strongly in the Scougalls and in Garden may at this period have influenced Dr. James Keith and Lord Forbes of Pitsligo, and borne fruit later when the son of this Lord Forbes of Pitsligo certainly showed himself a devoted friend both of Dr. Keith and of Dr. George Garden. Indeed Garden was able to make Rosehearty, which was the home of the Pitsligo family, the headquarters of his propaganda efforts in the days when he was spreading the tenets-of Mme Bourignon, and later they remained in close intimacy. No one could have reflected more clearly than did Lord Forbes of Pitsligo the highest tone of the movement with which we are concerned. A contemporary records that he was a man to whom " God was All, and the whole creation in itself and of itself considered, was nothing." Dr. King's account of him is famous : " Whoever is so happy either from his natural disposition, or his good judgment, substantially to observe St. Paul's precept, To speak evil of no one, will certainly acquire the love and esteem of the whole community of which he is a member. But such a man is a rara avis in terris ; and among all my acquaintaince, I have known only one person to whom I can with truth assign this character. The person I mean is the present Lord Pitsligo of Scotland."/1

The Letters of Dr. James Keith while not discussing him anywhere or offering any revelations regarding his religious outlook, bring him before us as clearly one of the group. To Ramsay, Mme Guyon's secretary, he is " notre très cher et très honoré amy." /2 He received both letters and verses from Mme Guyon, and would send them round the little circle of his fellow mystics./3 He was an exile abroad during most of the years covered by these letters,/4 but news comes of him /5 travelling in the company of his German friend, the Baron de Metternich, a profound student and ardent devotee of mysticism and himself a writer and propagator of mystical literature./6 When he returned to Scotland in 1720 after his European wanderings he brought /7 Lord Deskford a present from Ramsay of the edition of Fénelon which Ramsay was busy bringing out, and no doubt it was his own interest in the thought of Fénelon that made him read Ramond de Sabunde./8

A considerable number of letters from Lord Forbes of Pitsligo have been preserved, mostly in private collections./9 There we find mention of Poiret,


1 King, Anecdotes of his own Times, p. 143.

2 M.N.E., p. 97.

3 Ibid., p. 84.

4 For Cherel's confusion of Lord Forbes of Pitsligo with Wm., 14th Lord Forbes, v. p. 48.

5 M.N.E., p. 16o.

6 Ibid., p. 102, note.

7 Ibid., p. 165.

8 Ibid., p. 183.

9 At Cullen House, Crathes Castle, Fettercairn House, etc. Some have been published in the Stuart Papers ; in A. and H. Tayler's Letters from Lord Pitsligo ; etc. Hitherto unpublished letters appear in footnotes in present volume ; v. pp. 155, 165, 173.

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Madame Guyon, Fénelon and others, as well as of mystical books such as those of Macarius and of Pascal. Further, a collection of books and manuscripts which came from his family and are now in the Scottish Episcopal College in Edinburgh includes interesting mystical literature which had belonged to him personally or to his friends, George Cummin of Pitullie and James Ogilvie of Auchiries, and includes also careful transcripts of mystical works such as the Cantiques of Surin, various works of Poiret, the Life of Armelle Nicholas, Mme Guyon's Short and Easy Method of Prayer, the Life of .iIme. Guyon, the Life of Mme. Bourignon, etc., which had been made at his instructions.

The details of his career are too well known from published accounts to require recapitulation here. Suffice it to say that he was an active participant in both the 'Fifteen and the 'Forty-Five, and suffered accordingly. He lost his estates, had to spend years in exile on the Continent, and his marvellous adventures and escapes after the 'Forty-Five were stranger than fiction. A man of culture and breadth of education, he took life very philosophically and remained in all circumstances serenely calm. Religion was his support. He had a long life, for he was born in 1678 and survived till 1762, and to the end he maintained his piety and his nobility of character. Some writings which he left show him serious and meditative, without perhaps much originality or any great depth of thought or feeling. There is nothing to suggest the dangerous quietist ; but his self-control, his disinterestedness, his loving kindness, his trustful acceptance of ill fortune and good fortune, and his possession of a peace past understanding remained to prove him the follower of Mme Guyon and of greater mystics. His spiritual position may be summed up in his own words : " An absolute submission to the Divine Will both in ourselves and others is the only thing to be prayed for, as it is the only true essential religion./2

      1. VIII. WILLIAM, 14TH LORD FORBES, AND JAMES, 16TH LORD FORBES.

WE find in the Letters frequent mention of William Forbes who succeeded his father as 14th Lord Forbes in 1716./3 He married in the autumn of 172o the daughter of a wealthy London merchant, but it is said that her family were at this very time ruined in the collapse of the South Sea scheme. A son was born in December, 1721, and succeeded, on the death of his father


1 Biographical Sketch by Lord Medwyn (1829 and 1854) ; D.N.B. ; Jas. Stark, Lord Pitsli'o ; etc.

2 In his Apology (MSS. in possession of Dr. Leslie of Memsie) brought to the writer's notice by Alastair N. Tayler, Esq.

3 Particulars from G. E. C. Complete Peerage ; Paul, Scots Peerage.

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in 173o, but himself died in 1734, to be followed in the title by his uncle, James Forbes, of whom we shall presently speak.

William Forbes, Master of Forbes as he was when we first meet him in the Letters, was evidently very highly regarded /1 by his friends. Dr. James Keith speaks of him with particular affection./2 He seems to have spent a great part of his life abroad. Thus he came to have a somewhat different attitude from that which had characterised his family, who had been on the Covenanting side in Scotland, and who had a typical representative in his father, the 13th Lord Forbes, a Whig and a Hannovarian./3

William Forbes was abroad during the whole time /4 of the Jacobite intrigues and rebellion, and was quite definitely not implicated, but it would be surprising if his interests were not on the Jacobite side, as were those of his friends both Scottish and French. He was in friendly relations with the Earl of Mar, as we gather from a letter in the Stuart Papers ;/5 and his brother James was an avowed Jacobite.

His interest in mystical religion was outstanding. He is one of the leaders of our group. He enjoyed the hospitality of Mme Guyon at Blois, is mentioned in her letters, was in correspondence with her, was in close touch with Poiret, and Ramsay, and Dr. James Keith. was familiar with the literature, and by no means abandoned his interest and enthusiasm at the death of Mme. Guyon./6

It was clearly interest in this type of religion as encouraged by George Garden and the Bourignonists that first took William Forbes to Blois. The romantic and exciting stages of Mme Guyon's career were now over. She no longer troubled the French King's court, and directed the spiritual life of the greatest in the land, and brought the highest ecclesiastics into immortal controversy and upset the peace of the Vatican. It had not been altogether surprising that she found herself in the Bastile, but at last in 1705 she had been released and presently took up residence at Blois. She was in declining health, but she was able to continue and to extend her influence, chiefly by correspondence ; and from various lands admirers who had been in communication with ker used to make pilgrimage to her home.

Extremely interesting information of these last years of Mme Guyon's life comes to us through William Forbes. The Life of M. Guyon as published unfortunately stops short at December, 1709 ; but there are various manuscripts in the library of the Faculty of Free Theology at Lausanne which preserve many details regarding the later period, and amongst these


1 M.N.E., pp. 115, etc.

2 Ibid., pp. 132, 134, etc.

3 William, 13th Lord Forbes, had nevertheless been under the influence of George Garden, for he studied under him at King's College, Aberdeen, 1673-4 : Fasti A be, donenses, p. 493.

4 M.N.E., pp. 102, 118, 121.

5 III, pp. 229 f. : Nov. 17, 1716.

6 M.N.E., pp. 91, 121, 141, etc.

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is a Notice sur Mme. Guyon/1 recording what William Forbes (now Lord Forbes), when living at Aix la Chapelle between 172o and 173o, recounted to Petronelle d' Eschweiler, afterwards the wife of Fleischbein, a well-known German quietist.

Cherel in his valuable Fénelon au xviiie siècle en France (1917) /2 and in his André-Michel Ramsay (1926) /3 refers to this evidence, but he has mistakenly supposed that not Lord Forbes, but Lord Forbes of Pitsligo, is the subject of the narrative. This serious confusion was perhaps one into which a foreign writer might easily fall, but no one acquainted with the careers of the two men can be in any doubt.

The Lausanne documents show that a number of English and Scottish visitors came to see Mme Guyon at Blois, mostly persons acquainted with Fénelon and Poiret and well read in French mysticism. In particular about half-a-dozen, including Lord Forbes, lived a good deal in her house at intervals between 1710 and her death in 1717, being treated by the semi-invalid lady as her spiritual children and hospitably entertained. Lord Forbes told how every morning when Mme Guyon communicated in her room, the Protestants retired behind a certain curtain, and there experienced " un délectable et profond recueillement de présence de Dieu," each according to the degree of his spiritual progress. When the priest entered Madame used to say, in words very characteristic, that he was bringing to her " mon divin petit maître."

Some of Mme. Guyon's Cantiques were composed in the presence of these English and Scottish protestants. Lord Forbes declared that she would ask them to sing an air to her, and promptly write a song /4 for which it would be suitable, with a message for their spiritual condition. Her " Cher et divin amour, dont mon âme est atteinte " /5 is said to be a prophecy regarding Scotland, to which country the majority of her English-speaking friends belonged. Certain words in one of her printed Discourses/6 are also said to refer to the Scots : " Je transporterai, dit le Seigneur, mon Sanctuaire. Ceux qui ne me connoissoient pas, recevront ma vérité." Likewise the Discourse " L'Intérieur rebuté et recherché," /7 which has special reference to the Samaritans, was intended for the Scots, and dictated in the presence of Lord Forbes./8 It was also to Lord Forbes that the incident occurred which is recorded in one of Mme. Guyon's printed letters


1 MSS. T.P. 1154 (Bib1., Fac. de Théol. libre de Lausanne) ; cf. also T.P. 1155, T.S. 5013, T.S. 1015, T.S. 1016, T.H., 244C.

2 P. 48.

3 P. 25.

4 Mme. Guyon, Lettres (1768 edit.), III, p. 170 ; also M.N.E., p. 97.

5 Poésies spirituels, Vol. IV, Sect. iv., pp 176 ff.

6 Lettres, V, p. 56.

7 Lettres, V, pp. 56-9.

8 That it was spoken in Lord Forbes's presence is stated in MSS. T.P. 1155, Recueil de divers traits sur les dernières années de Madame Guyon, p. 9. The heroic poem, No. 9, in Vol. IV, of the Cantiques was similarly composed.

(Vol. III, p. 182) : " une bonne ame a dit à une personne qui lui demandoit comme elle vivoit avec d'autres personnes qui étoient dans la même maison avec elle en une espèce de communauté : nons servons le bon Dieu, disoit elle, et nous nous crucifions les unes les autres." /1

The lady to whom Lord Forbes made his narration declares that he held Mme. Guyon in such veneration that even so many years after her death he was " comme hors de lui même " when he spoke of her. He had gone far himself in the interior life. It happened that he was not present at Mme. Guyon's deathbed. He is said to have been absent on a visit to one of the communities of the followers of Mme. Guyon in the neighbourhood, and to have much regretted that he had not been able " baiser les pieds de cette grande sainte " before she died.

We are further informed that Lord Forbes, under the influence of Fénelon, had thoughts of becoming a Roman Catholic. Ramsay and an Englishman named Hughes had done this. Lord Forbes even planned entering a monastery so as to be able to give himself completely to the service of God. Mme. Guyon was of a different mind and dissuaded him, predicting that he would soon marry. The narrative goes on to say that Lord Forbes did in fact some time later marry, his wife being a rich lady from London, who was also interested in religion, and their first child born at Aix la Chapelle was held up at baptism by Mlle. d'Eschweiler and was named Jean Marie after Madame Guyon./2 It is strange to think of this little daughter of an Aberdeenshire nobleman bearing the name of this French quietist.

Mme. Guyon's views as to conversion of Protestants in circumstances such as those of Lord Forbes are not in doubt ; /3 but they are confirmed in an interesting way by a document/4 which has come to the Scottish Episcopal College in Edinburgh through the Pitsligo family. It gives a copy of a letter which seems to be from Fénelon himself, urging the Scottish group to join the Roman Church, and also a copy of the Scottish reply, which lays particular stress on Mme. Guyon's definitely expressed teaching that this was not wise. " When any of her Protestant friends consulted he; about changing and going over to the Roman Church she dissuaded them, and advised them to remain where they were, and labour there to


1 For the connection with Forbes, v. MSS. at Lausanne, T.S. 1016 (March 26, 1773) ; T.S. io15 (Nov. 3, 1761), and T.P. 1155.

2 These details from T.P. 1154 and T.P. 1155 correspond closely to the facts. V. information in Burke, Landed Gentry, where Jean Maria, eldest daughter of William, Lord Forbes is mentioned as married to James Dundas of Dundas. In Paul, Scots Peerage, Jean is placed 4th among the children of Lord Forbes. The eldest child was in fact Francis, born at Chelsea, Dec. ig, 1721.

3 MSS. T.S. 1015, refers to her treatise on Cplossians, p. 74 ; v. also Mme. Guyon, Lettres, V. p. 57. Cf. Mme. Bourignon's similar attitude, Apology, p. 23. Ramsay in his Life of Fénelon gives a curious and not very convincing account of his own conversion.

4 Quarto MSS. No. 45 : Jan. 9, 1711.

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become true Christians, that it was no more ye will of God that such distinctions should subsist, which he was to remove, and unit all and govern them in the unity of his spirit. We look upon this counsell as from God, and therefor non but God can grant us a dispensation from it, by letting us know the time and circumstance of an exception as plainly as he has done the general rule, which has not yet happened to us."

Lord Forbes continued his interest in mysticism and this interest was strengthened by the fact that it was so fully shared by his brother James, afterwards 16th Lord Forbes. This younger brother, born about 1689,/1 succeeded to the title on the death of his nephew in 1734 and died in 1761. He was twice married, first in 1715 to a sister of Lord Forbes of Pitsligo, widow of John Forbes of Monymusk, and then in 1741 to Elizabeth Gordon of Park. The universal respect in which he was held appears in the notice published in the " Aberdeen Journal " /2 announcing his decease.

His direct concern in the Jacobite Rebellion is clear from references in the Stuart Papers, in A. and H. Tayler's Cess Roll of Aberdeenshire, 1715, and in the Letters now published. When the Rebellion was decided upon he slipped north by sea from London,/3 and we find him active as captain of an independent company of the rebels with headquarters at Aberdeen./4 When the rising collapsed it was necessary for him to disappear quietly to the Continent, and at last in October, 1716, he was able to do this./5 He crossed with his friend Dr. George Garden, and like him enrolled as a student in the University of Leyden. While Garden turned to Science, Forbes devoted himself to the study of Laws/6 The Earl of Mar soon afterwards wrote him from the Court at Avignon, sending the Pretender's felicitations upon his escape and safety./7 After the Indemnity was passed he procured a licence which allowed him to return quietly to Scotland./8

James Forbes took an active interest in the mystical movement./9 He was in steady correspondence with Dr. Keith, and is frequently mentioned in his Letters./10 He was personally acquainted with Mme. Guyon, possessed manuscript poems of her composition,/11 and was one of those present when she died at Blois in 1717./12 He and his brother were certainly of the innermost circle of those who found inspiration in the company, correspondence and published works of Mme. Guyon, and in the whole of that class of mystical literature in the spread of which Dr. Keith was engaged.


1 Paul, Scots Peerage, IV, p. 64.

2 A.J., Feb. 23, 1761.

3 M.N.E., p. 113.

4 Stuart Papers, I, p. 474 ; Cess Roll of Aberdeenshire, z715 (Third Spalding Club), pp. 27, 28.

5 Stuart Papers, III, p. 23.

6 Album studiosorum Academiae Lugduno Batavae, p. 85o. V. also article by present writer on An Aberdeen Student at Leyden in " S.N. & Q.," Sept. 1932.

7 Stuart Papers, III, pp. 229 f.

8 Ibid., V, p. ro8 (Oct. 7, 1717).

9 1 I. N.E., pp. 151, 154, 162.

10 Ibid., pp. 102, etc.

11 Ibid., p. 97.

12 Ibid., p. 15o.

[ PORTRAIT:] James, 16th Lord Forbes.

(From a painting at Castle Forbes.)

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In Castle Forbes there is still preserved the following curious receipt from the parish minister of Alford which shows the concern of James Forbes to spread piety among the people on the estates :

" Received from Mr. Jeames Forbes sone to my Lord Forbes,

(1) A Short Catechisme and other tracts by Josiah Wodward,

(2) Two Letters concerning self-love and other tracts by D. Henrie More,

(3) The Spirituell Combat,

(4) A Present for servants,

(5) The whole duty of a Christian, and other tracts,

(6) Comparative Theologie,

(7) The husbandman's Manual', and other tracts,

all these being dedicat for the use of ye poor in the parish of Alford, all which books I, Mr Andrew Jaffrey, minr at Alford, oblidges me to distribute amongst the people of the sd parish, and give them to others as occasione offers, as witness my hand at Asloune the 25 day of Junii JMVII and twelve years. And. Jaffrey."

This minister was one of those deposed after the Rebellion.

In the Library at Castle Forbes there also remain a number of volumes of mystical literature and other books associated with the movement in which we are concerned, and added by James Forbes or his elder brother William, of whom we have already spoken. These include two copies of James Garden's Comparative Theology, Life of M. de Renty, Pascal's Thoughts, Hermann Hugo's Pia Desideria, several copies in French and English of the Life of Armelle Nicholas, Poiret's edition of the Imitation of Christ, A. M. Ramsay's Travels of Cyrus, Ramsay's Life of Fénelon, George Garden's edition of the Works of John Forbes of Corse, Leighton's Sermons, and a goodly number of pious tracts.

      1. IX. CHEVALIER RAMSAY.

THE letters from Madame Guyon to her Scottish followers were dictated to Andrew Michael Ramsay, and letters for her were sent to him and translated into French to be read to the Directress.

Ramsay thus appears often, both directly and indirectly, in the present Collection, and therefore, although published particulars regarding his strange character and romantic career are easily accessible,/1 something must be said about him here. In particular it is necessary to stress his intimacy


1 A. Cherel, Un Aventurier religieux au xviiie siècle, André-Michel Ramsay (cf. Cheres Fénelon au xviiie siècle en France, chs. ii ff.) ; A. M. Ramsay, Life of Fénelon ; Schiffmann, A. M. Ramsay ; Gould, History of Freemasonry ; D.N.B. ; P. Janet, Fénelon ; A. Shield and Andrew Lang, The King over the Water ; etc.

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with the whole of the group in the North-East with whom we are concerned, a matter not within the cognisance of his biographers.

He is said to have been a baker's son from the town of Ayr,/1 born about 1686,/2 and educated at Edinburgh University /3 with a view to the Presbyterian ministry of the Church of Scotland, to which his father belonged. His mother would appear to have preferred the Episcopacy of the Scotland she had known in her youth, and from this developed Ramsay's dislike of Calvinistic dogma. He found no attraction in the Rationalism which was becoming popular in the Universities, but at an early date was drawn towards Mysticism. There seems no room in his career for a supposed military adventure abroad in 1706 /4 and he did not require to go abroad for mystical influence. In 1708 we know he made the acquaintance /5 of Robert Keith, afterwards Bishop of Edinburgh in the Scottish Episcopal Church. About that time he became tutors to the small sons of the Earl of Wemyss and in February, 1709, he was with them in the south of England and wrote to Keith in words that already echoed Madame Guyon—" I have nothing to write to thee, but only this, that if we continue to aspire unto our Almighty Original, we shall still be united however far separated in the world."

He goes on to add that " after twenty years absence our souls shall be as much united as ever, and I shall embrace you at meeting with all the freedom of a Philadelphian." The Philadelphians were well known to our Scottish group, and it was through them that Baron Metternich was led to interest himself in mysticism. Ramsay elsewhere records that before he went abroad to France he had come under the influence of a Scottish clergyman who was much attached to the writings of Fénelon, Francis de Sales, and other mystics of the day./8

Who this Scottish clergyman may have been we cannot ascertain, but it was clearly one of our North-Eastern group. Cuthbertson s says " there


1 The MSS. Anecdotes, quoted by Cherel, say " la ville de Daire en Ecosse," which is not very conclusive.

2 Cherel, Fénelon, p. 35 note.

3 A student of the name of Andrew Ramsay matriculated in 1704 and graduated in 1707 v. Scholarium Matricula ab anno MDCCIV and Laureations and Degrees, 1585-1809 (Edin. Univ.)

4 Cherel, André-Michel Ramsay, pp. II f.

5 Preface to Lawson's edition of Robert Keith's Affairs of Church and State.

6 Cherel, op. cit., p. 9 ; v. also letter in above-mentioned preface to Lawson's edition.

7 V. above-mentioned preface. The letter appears also in Hist. MSS. Corn., Report on Laing MSS., Vol. II, p. 156. Another interesting letter from Ramsay at a much later date is given in Vol. II, p. 33o.

8 Cherel, op. cit., p. 15.

9 D. Cuthbertson, biographical memoir in translation of Ramsav's Life of Fénelon (1897), p. 2.

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is a strong probability for believing that he imbibed mystical views ere leaving Edinburgh, heightened, doubtless, through the trial there of a northern clergyman for entertaining and upholding what were called the pernicious views and doctrine of Antoinette Bourignon."

From the letter already quoted and written to Robert Keith in February, 1709, we gather that Ramsay was acquainted with Alexander Moore, minister of Fraserburgh, whom Keith himself so enthusiastically admired. Moore was a mystic, an Episcopalian, and a Jacobite, one of George Garden's circle, specially mentioned along with him as a leading Bourignonist in an Aberdeen Synod 'Minute in April, 171o. Ramsay's letter should be more fully quoted at this point : " If after this you chance to see Sandy Strachan, Johnny Anderson, Davidson, and the lads about Rose-hearty, mind me to them ; but to Mr. Moor, your dear friend, in a particular manner." This familiar reference to people at Rosehearty, the Bourignonist headquarters, where George Garden at this very time was living, is most interesting. Clearly he was in touch with the movement before he went abroad and attached himself, first to Poiret, the well-known adviser of the group, and then to Fénelon himself. Ramsay says he spent some time with Poiret in the summer of 1709 and was with Fénelon by the month of August./1 George Garden was reported by the Aberdeen Synod which met at the beginning of October, 171o, to have gone abroad, and no doubt he and Ramsay would meet and strengthen the latter's connection with the group in the North-East. Later they were certainly in correspondence./2

Under Fénelon's influence Ramsay became a Romanist. In his Life of Fénelon he gives a long account /3 of the arguments by which the Archbishop was supposed td have converted him. Ramsay was not distinguished for the accuracy of his narratives, and here perhaps is one of the places where his imagination was called in to assist his memory. He seems to have ingratiated himself with Fénelon in whose entourage he remained for some years, being entrusted at the end with his master's papers, and becoming his editor and biographer. Fénelon died in 1715, but before that Ramsay's close association with Madame Guyon had begun./4 A letter of March 20, 1714, included in our Letters /5 shows him already with her at Blois, and he was certainly there until early in 1717, when he went to Paris to be tutor to the young son of the Comte de Sassenage. He did not lose touch, however, and our Letters seem to indicate that he was present at Madame Guyon's deathbed in June, 1717. He continued for some years his work as tutor,


1 Cherel, op. cit., p. 12.

2 There is further evidence in the Correspondence of Garden and Cunningham where Andrew Ramsay is occasionally mentioned with reference to his pursuit of mystical religion, and even interest in the French Prophets, and is named in association with the Master of Forbes and Dr. Keith as early as November, 1709: M.N.E., pp. 2o1, 207, 231.

3 Pp. 192 ff.

4 Cherel, op. cit., p. 23.

5 M. N.E., p. 78.

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travelling with his pupil and being much engaged in literary work. Frequent reference to his movements and his writings will be found in the Letters of James Keith. Important are the allusions to the strife raised by Poiret's pious endeavour to produce a worthy Life of Madame Guyon,/1 on the basis of her own account of her career. Ramsay's Life of Fénelon, first published in 1723, is really an attack upon this work of Poiret which had appeared in 1720./2

In 1723 Ramsay received the rank of Chevalier, and next year was in Rome as tutor in the Pretender's family. His celebrated Voyages de Cyrus appeared in 1727. He returned to England, and was honoured by the Royal Society and by the University of Oxford. The tutoring of young French nobles was resumed, and this and his literary work, and the masonic activities to which he had turned, kept him occupied until, after a period of ill-health, he died in 1743.

His services to Fénelon and to Madame Guyon call for praise, and his French style is said to have great merit, but he was a strange character and seems to have been particularly lacking in true sincerity, much given to display regarding his knowledge and adventures, and troubled with a somewhat perverted sense of humour. He was not a great man, nor a man of any originality, but he made an ardent disciple, and a useful servant, and an eager friend to men of distinction. He uses the religious vocabulary of the group during the years covered by the present collection, but later he wandered into more speculative paths and aimed apparently at being regarded as a philosopher. Few careers, however, have been more romantic or have brought a man of apparently humble origin and mediocre gifts into intimate contact with so many outstanding personalities 'both in politics and in religion. A friendly account of him appears by way of introduction in the 1751 edition of his Philosophical Principles. We are told of his " unaffected simplicity of heart," and " warmth of devotion," and informed that " being at last satisfyed of the goodness and warmed with the love of the Deity, his benevolence to mankind prompted him to make it the chief aim of his life to lead others to the same knowledge and from them to the same temper ; to render God more adored and beloved and mankind more in friendship and charity with one another."

Both the references to Ramsay in the Letters of James Keith, and those of Ramsay's own letters here printed, add to our knowledge of the man and his career, but perhaps this introduction to him could not conclude better than with a letter originally addressed by him to Lord Forbes of Pitsligo and now preserved at Cullen House.

1 M. N.E., pp. 151 • 152, 159, 162, 164, 189.

2 V. discussion in Cherel, op. cit., pp. io6 ff. ; y. also 11I.N.E., p. 189.

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To M. L. P.

M. D. L.

Yours was very welcom especially by such a bearer. I'le take as good care of him as I can as long as he stays in this country, and if my mistress dy while he is there, and my male director doe not hinder me, I'le een come back with him for indeed I like you all unto well, and I have grutten very heartely sometimes when I thought on you ioo miles on t'other side the Bast : Tho the Fourmillante tête is still restless: yet I think it has gotten a gay keyvel cast so that I can not writ much of my own talk to you, but I thought you \you'd be content and perhaps edify'd with some rules that my mistress wrot a long time ago, and gave lately to me.

***

Adieu M. D. L. and believe that I can never forget you so long as I have any sincere desire to seek God in simplicity of heart. I hope he will still keep you very humble and very fear'd to doe anything that may call you from home, and imprint deeply in your heart that solid truth that since in the last times the elect are to be deceiv'd if possible, God will never send but regenerate persons to be the Guids of these little children to whom the Kingdom of God belongs. A: B: was of this mind and some others yet living have the same thought. However let us be very cautious in suffering charity to cool to those whom we may imagine deluded, or really are so. Ther is but one essential delusion, the separating the heart from the love of the truth ; now some say that wandring sometimes is the right way to the high road. God strengthen the honest upright hearts among these folks, and prepare 'em for the dreadfull shock they will one day get, when their eyes are open'd, and their souls are truely enlightened non par les faux brillans et les vifs sentimens d'une sensibilité spirituelle, cachée et propriétaire, mnais par cette vérité qui ne luit que dans un fond calme et paisible. Some must pass through great tribulations and tryals ; 'tis good for us to think that the reason why we are not in the same case is becaus we ca'n't bear such temtations ; but it is contrary to my rule to prattle so much. I end with a thousand offers of my humble duty to your Lady and to the Lady Monimusk and to Mrs Jean if you see it proper. Tho it's not fit to speak much of me seeing if the Jews know of all our story, I may find a Galley, that's nothing, but a new persecution may be rais'd agst the honest woman I go to see. Adieu and pray for yours

A. R. Pax vobis

Ora pro nobis.

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      1. XIII. THE LETTERS.



LETTERS are of special value as historical documents. The references may sometimes be obscure, and there is always a certain amount of the material that is of no possible interest to any beyond the parties corresponding. But there is gold among the dross, and the search for it is usually well worth while. Letters generally tell us more than they were ever intended to convey to anyone. The historian often learns more from what the writer incidentally remarks or accidentally hints than from what he deliberately sets out to narrate, and certainly more than he gathers from formal utterances and official accounts. A great deal depends upon having the eyes



1 It is possible that a letter from Madame Guyon of which there are two copies in the Seminaire de S. Sulpice, Paris, along with copies of letters to and from Lord Desk-ford, was sent to Lord Dupplin. The copies are marked respectively, " pour milor du. p." and " milor Dup." The letter is undated and offers consolation for " le changement arrivé dans vostre maison."

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that can see the significant in what may appear to be entirely uninteresting statements. One must know the kind of thing to expect, and it is therefore important to take a good deal of trouble with the examination of such documents and with preparing oneself to examine them, so that their full meaning may be brought out for the ordinary reader.

The main reason for the publication of the Letters of James Keith is the biographical information which they supply regarding a number of prominent persons in the North-East, and the revelation they make of little suspected relations between these and certain famous exponents of French Mysticism. But they are of definite interest apart from this, and every here and there one comes across statements or allusions which cast additional light upon political and social conditions in the reigns of Queen Anne and King George I.

Thus we hear of Queen Anne's illnesses and the rumours and intrigues to which they gave rise, and the nervous tension in political circles in 1714. The Garden case is an example of how the political situation governed all interests. " God prepare us for the worst," says Dr. Keith. He prays for the Queen's preservation, feeling that the days of peace will pass with her. We hear the echoes of the disputes between Oxford and Bolingbroke which upset Tory unity when the succession problem was so urgent. Early in George I's reign came the triumph of the Whigs. We hear of Bolingbroke's flight to France. The impeachment of Lord Oxford by the Whigs is recorded, and we read of him weak and ill but patient and cheerful in the Tower and at last after nearly two years of captivity acquitted rather surprisingly before the House of Lords.

Rumours of a possible Jacobite invasion began early in the new reign. Small Government changes in Scotland are recorded which show the state of affairs. Then follow numerous guarded allusions to the Rebellion. We hear that James Forbes has slipped away north, that Lord Deskford and Dr. George Garden are in prison, that Lord Kinnoull and his son Lord Dupplin have likewise been arrested. There is anxiety expressed regarding the fate of Lord Pitsligo and James Forbes. The prisoners march through from Preston. Bad news comes of Cunningham of Barns, suffering and finally dying in captivity after the battle. Certain friends are released from the Tower and Newgate. Lord Pitsligo turns up quietly in London and at some risk stays there till there is an opportunity of going abroad. Dr. Garden is said to be in Holland, and then heard of definitely from there, with his companion in exile, James Forbes. Not much is said, but one realises that not much dared be said. Letters were known to be opened. Every one was suspected. We hear of various attempts to aid friends in difficulty, and there is much underlying anxiety to be felt in the Letters, but at last the Indemnity passes and the danger is more or less over, and the exiles one by one return.

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At the close of 1716 a change of Government is reported. The King is in Hannover and has finally turned out Lord Townsend, and with him goes his great subordinate, Walpole. Stanhope and Sunderland now lead the Government. The Whigs are divided. Changes follow in Scotland, where Argyll is in complete disgrace—an echo of the quarrel between the King and the Prince of Wales, to which there is more than one allusion. Early in 1717 we have word of the arrest of the Swedish ambassador in London and we are reminded of the threatened invasion from Sweden.

By and by comes the spirit of speculation. We are told of its development, and then of the inevitable bursting of the bubble in the autumn of 1720, a collapse which involved some of those whose names have been appearing in the Letters. Walpole becomes supreme and we have echoes of the General Election in the spring of 1722 which was to settle Whig power in Walpole's hands for long to come. There is mention of the public suspicions roused by the suddenness of Lord Sunderland's death, and then we hear of the death of Marlborough, and Cadogan's promotion in the army. There is an undercurrent of intrigue continuing in the interests of the Jacobite succession, and the Atterbury Plot receives passing mention.

Very often in the Letters we find references to travel. Lord Deskford and his lady move to Cullen, to Edinburgh, to Dupplin. A trip to London is no infrequent occurrence. Indeed one is struck by the obviously constant movements between Scotland and the Capital. We hear of the Edinburgh stage-coach, and the Newcastle carrier. A journey without bad accidents is matter for congratulation. More often we read of journeys by sea. The Garden brothers sail part of the way down to Scotland to avoid the discomforts of the road in the dry summer of 1714. James Forbes sets out from London to Aberdeen. The voyage will be far from comfortable. Dr. Keith prays he may be preserved. Families go off to visit their country homes in Yorkshire or Hereford, or to make holiday or recruit health at Bath or Tunbridge Wells. The roads are obviously dangerous from their unmade condition, unless perhaps to those on horseback, but these are the days of Beau Nash who has been doing something to make travelling easier for those who take the waters. In addition one comes across much evidence of foreign travel and of relations with people abroad. Some of the Jacobites are in exile in Holland or travelling further afield. Ramsay has his secretarial and tutorial posts in French families. Lord Forbes of his own choice lives abroad for years.

There is apparently some difficulty, however, in keeping in touch with friends. A good deal appears in the Letters about the traffic in books, and we gather that there is often great trouble in having them safely transmitted. There are anxious enquiries about boxes and bales under way. Volumes are sent off under care of coach passengers or by ship from the Thames to the Forth, or to Cullen via the Advocates' Library or a bookseller

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in Edinburgh. We hear of parcels that are amissing, or lying unclaimed at the Hague. There is a lot of trouble about the delivery and payment of a watch.

Even letters are not so easy to send. The charge to the receiver is considerable, so that it is well to have some Member of Parliament or such friend to frank them. Several may be sent under one cover. Apparently letters occasionally go astray. One notices the hope expressed that the last arrived safely and a hint given as to its contents, to make sure. There is sometimes complaint about delay in delivery. The addresses of letters are interesting and strike us as very vague,—near a certain Coffee House, or care of some merchant. Correspondence with foreign countries is sometimes by the regular posts, but sometimes also through friends who are travelling, or by the hands of merchants.

The whole story which these Letters reveal regarding the publication of certain types of books in Holland, their despatch to London, and their distribution through the country is of interest. We come into touch with the celebrated Wetstein firm of Amsterdam, the successors of the Elzevirs. We learn something of the price of books in those days, and the conditions of publication.

As the Letters are those of a doctor, one is not surprised to find sundry references to medicine, though one realises that medicine is far from being the correspondent's main interest. One is introduced to medical circles in London and discovers that Scotland is well represented. One also picks up incidental information as to the Scottish student at Oxford. There is interesting evidence of the craze for opera which suddenly seized London in 172o and apparently infected Scotland. And we come across the pathetic figure of Lord Deskford's old tutor and realise the conditions of those days with regard to the dispensing of patronage and the grovelling obsequiousness demanded of candidates for civil service positions. The very handwriting of the letters themselves, their style, the forms of address should not pass unnoticed. Indeed to those who have eyes to see the whole period lives again in such documents.

Nor must we entirely forget the timeless element in letters. They reveal character and bring us into very intimate relations with human minds and hearts. This is the case with the Letters here presented. Beneath the formal phrasing one is conscious of warm regards and prayerful remembrances and much sincere, unselfish consideration and kindly feeling. The religious utterances, too, although they may seem to us occasionally self-conscious and overwrought and even mistaken, are expressions of something fundamental in human nature and show a striking family resemblance to what falls from earnest religious lips in all the centuries from the Montanists to the Oxford Group.

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[Fin de l’introduction]






LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS, TO LORD DESKFORD.





I. FROM DR. JAMES KEITH To LORD DESKFORD.

[Except where otherwise stated the letters are preserved at Cullen House. Lord Deskford had been much in London since he first went there in 1707-8 and this correspondence begins at a date when he had but recently left the capital. Letters at Cullen House reveal his presence in London at various dates in this year, the last being one from himself dated September 19, 1713.]

LONDON, Oct. IOth, 1713.

My LORD,

I take this opportunity most affectionately to salute your Lo: and to repeat my most hearty wishes for your real happiness and prosperity. I am often sensible of your condition, and present as it were in converse with you. Your own experience convinces you that our Life is in all respects a continual warfare, that everywhere and in all estates we must be prov'd and tried both from without and within. This is the lot of a true disciple, and I'm sure 'tis a happy one when improv'd according to our Lord's intention. Nothing then that happens must disturb or disquiet us. He will do his own work, could we but simply attend and meekly submit to him. May it please him to encrease our Faith and strengthen our Dependence on him, that we may be introduc'd within the veil and made to tast and possess substance ! May he take you into his special protection and conduct, lead you in all your ways soberly,/1 and preserve you in his powerfull and holy Presence.



1 This passage gives a general indication of the type of religious thought to be found throughout Dr. Keith's Letters. A number of the phrases are common to many of the mystics and one fancies one hears occasional echoes of Thomas à Kempis, Olier, de Renty, Fénelon and others. Many of Keith's expressions are precisely in line with what we find everywhere in the writings of Madame Guyon, and the footnotes will frequently call attention to marked similarities to what is found in her Lettres and Discours chrétiens. The following selection of short passages will illustrate the general resemblance between the thought of Keith in such a letter as this, and the thought of his directress : " Je vous conjure de vous abandonner à Dieu sans resérve pour tout ce qu'il pourroit permettre vous arriver " (Lettres, I, p. 500) ; " pour votre trouble c'est une épreuve de Dieu " (I, p. 83) ; " abandonnez-vous à lui pour le dedans comme pour le dehors " (III, p. 371) ; " celui qui ne veut que la volonté de Dieu et ce qu'il nous donne à chaque instant tel qu'il soit, est heureux, content et paisible " (I, p. 274) ; " la paix du coeur et la résignation changent les tourmens en delices " (IV, p. 391) ; " il faut nous laisser en la main de Dieu afin qu'il nous mène à sa mode " (I, p. 190) ; " la dépendance où vous devez être de Dieu " (I, p. 407) ; " cette nourriture substantielle " (Disc., I, p. 465, cf. Lettres, II, p. 462) ; " laissez-vous conduire " (Lettres, I, p. 488) ; " il faut tâcher de conserver le plus que vous pourrez la présence de Dieu " (I, p. 235).

74

I have not heard from A.R./1 since your Lo: went from this,/2 neither have I yet written being enclin'd to send some Letters and other things by one who hopes to carry them next week, and then I shall remember your Lo: and yours. I shall be glad to hear of your health and success, and whether you have seen Ld. Had./3 and when we may hope to enjoy your good Cornpany here : And also whether anything be done below for Ld. Pit./4 If your Lo: go further Northward I presume to give my humble service to him and our other friends. Things and persons continue here as formerly. Dr. Ch./5 is expected about io or 12 days hence. And I am with the greatest esteem

My Lord

Your Lo:'s most humble

& most obedient servt. J.K./6

P.S.—I should be glad to know that the Div. Oeconomys /7 wch. were sent down and consign'd to John Strachan mert. at Leith are come safe, as also whether I may expect any subscriptions for the Corn. on the Old Test./8 from the North. It may be some of D.G.'s /9 correspondents can inform your Lo: of both.

To The Right Honble.

The Lord Deskford.



de Dieu " (I, p. 83) ; " abandonnez-vous à lui pour le dedans comme pour le dehors " (III, p. 371) ; " celui qui ne veut que la volonté de Dieu et ce qu'il nous donne à chaque instant tel qu'il soit, est heureux, content et paisible " (I, p. 274) ; " la paix du coeur et la résignation changent les tourmens en delices " (IV, p. 391) ; " il faut nous laisser en la main de Dieu afin qu'il nous mène à sa mode " (I, p. 190) ; " la dépendance où vous devez être de Dieu " (I, p. 407) ; " cette nourriture substantielle " (Disc., I, p. 465, cf. Lettres, II, p. 462) ; " laissez-vous conduire " (Lettres, I, p. 488) ; " il faut tâcher de conserver le plus que vous pourrez la présence de Dieu " (I, p. 235).


1 Andrew Michael Ramsay : v. Introduction.

2 Lord Deskford had recently returned to Scotland.

3 William, Lord Haddo, b. 1679, became 2nd Earl of Aberdeen on death of his aged father, 172o : v. p. 175 (Paul, Scots Peerage.)

4 Alexander Forbes, 4th Baron Forbes of Pitsligo : v. Introduction.

5 Dr. Cheyne : v. Introduction.

6 James Keith.

7 English translation (1 713) of P. Poiret's L'Oeconomie Divine (Amsterdam, 1687) . For Poiret v. Introduction. Also Max Wieser, Peter Poiret (1932).

8 Madame Guyon, Commentaires sur le Vieux Testament, 12 vols, pub. 1714-15. In 1713 her Commentaires sur le Nouveau Testament, 8 vols., had appeared. Like Madame Guyon's other works of this period these were edited by P. Poiret. For other refs. to the Com. sur le V. T., v. pp. 79, 82, 13o. Both sets of volumes were procured by Lord Deskford, and are still in the Library of Cullen House.

9 Dr. George Garden : v. Introduction.

75



II. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

MY LORD,

This comes to acknowledge the honour of your Lo:'s two letters of the 1st and 9th inst. ; both of 'em gave me fresh occasions of thanksgiving to our blessed Lord and Savr. on your account. May it please him to en-crease our Faith, and to purifie and prepare our hearts for receiving and entertaining him /1 and walking continually in his holy Presence ! /2

Dr. C./3 tells me he writ a full Answer to your Lo:'s letter and has nothing to add to it. S.W./4 I understand is still in Town and will stay sometime longer in hope of concluding his son's marriage. 'Tis believ'd he will stiffly adhere to his first proposal without either abateing or recedeing from any part of it. Your F./5 will find it so, therefor it were to be wish'd he would come to a resolution either to comply entirely or to fix on somewhat else.



1 Lettres, IV, p. 229. Cf. Julian of Norwich, Revelations of Divine Love (Warrack), chap. lxvii ; Molinos, Spiritual Guide, chap. i ; and M.N.E., pp. 166, 133.

2 Life of Lady Guion (Eng. Trans., 1772, part ii, p. 270) : " The great means of becoming perfect is to walk in the presence of God " ; Lettres, IV, p. 316, quotes Gen. xvii, 1 : " Marchez en ma présence, et soyez parfait." Auth. Vers. reads : " Walk before me." Cf. Lettres, I, p. 25. Fénelon, Pious Thoughts (172o0), p. 114, begins the chapter on " The Presence of God " by quoting : " Walk in my presence and be thou perfect." V. also Molinos, Spiritual Guide, ch. xv ; Brother Lawrence, Presence of God. The practice of the presence of God is characteristic of all mysticism : o. E. Underhill, Mysticism.

3 Dr. Cheyne ; v. next note.

4 S.W. is Sir William Ellys of Wyham and Nocton, whose wife was a grand-daughter of the celebrated John Hampden. At Nocton in Lincolnshire he used to keep open house and a dozen dishes were in readiness each day in case guests might arrive. He is mentioned occasionally in letters preserved in Cullen House. These all refer to him as " Sir William," and his surname does not appear. One of a number of marriage proposals for Lord Deskford was that he should wed a daughter of this family, and Lord Deskford visited the Lincolnshire estate in the Spring of 1713. Later Dr. Cheyne was involved in the negotiations and his letters (Cullen House) give interesting glimpses of Sir William. One describes him as " a rigid Calvinist, tho' indifferent as to Whigry or Presbitry." Another says, " the knight is a formal, punctual, exact man, that uses few words and weighs every reply, that will lose his interest rather than risque his honour, but of great probity and candour." He died in 1727. V. further Lincolnshire Pedigrees (Harleian Socy.), and Musgrave, Obituary. The son mentioned by Dr. Keith is Richard, who succeeded his father and who distinguished himself as a scholar and a patron of learning (v. Chalmers, Biographical Dict. and D.N.B.). He has an interesting association with Scotland in that it was through his generosity that Thomas Boston's extraordinary piece of misguided research Tractatus Stigmologicus (on the Hebrew accents) was finally published in Holland. V. many references in Boston's Memoirs. Sir Richard Ellys had been attracted by reading the Four-Fold State.

5 " Father " : 4th Earl of Findlater, the Chancellor Earl. V. p. go, note.

76

But the Div. Providence I hope will conduct and overrule all for your good./1

We were strangely alarm'd /2 last Saturday and Sunday with reports from Windsor of the Q's being extremely ill, and so industrious were some to spread them that many were enclin'd to believe the worst. But God be thanked there was very little ground for all the noise, the case being only an aguish fit, wch return'd once and again but each time considerably lessen'd and without any bad symptom. Let us earnestly pray for her Maj'tie's health and preservation : for I cannot but fear that the period of our outward peace and tranquility will terminate with her. The Spirit of faction and violence seems rather to grow than decrease almost everywhere.

I han't heard from A.R./3 etc. since my last tho I have writ I think twice. I give my humble service to those worthy Gentlemen you are lately become acquainted with, as also to S. Th. H./4 and Mr. Bayne./5 I wish them all real happiness in their late nearer Relation,6 and at the same time pray God to preserve your Lo: from the evil of this wicked world, being always most dutifully and faithfully,

Yours.

To The Right Honble.

The Lord Deskford at Edinbr.



1 V. M.N.E., pp. 167, 168, etc. Cf. Madame Guyon, Discours chrétiens et spirituels (1790 edit.) , I, p. 429 : " Lorsque les choses sont passées, elle est ravie de voir . . . comment la sage Providence a conduit toutes choses ; elle s'écrie alors : Bene omnia fecit."

2 V. Dr. Shadwell's letter quoted in Tindal, Continuation of Rapin's History of England (4th edit., 1758), Vol. KVIII, pp. 134 f. ; Mahon, History of England, (1836), Vol. I, pp. 84 f.

3 A. M. Ramsay.

4 Sir Thomas Hope, Bart. of Craighall (1685-1729) . His mother was Anne Bruce, d. of Sir Wm. B. of Kinross, the distinguished architect, a keen Episcopalian (v. D.N.B. ; Life of Sage ; Eminent Men of Fife) . She inherited his estate on the death of her brother John in 1711, and after her husband's death (1686) she married Sir John Carstairs of Kilconquhar. On her death (1715) her son succeeded to the Kinross estates and is sometimes called Sir Thomas Hope-Bruce. He had succeeded his brother Sir Wm. in 1706 (v. Inq. Spec. Fife ; Services of Heirs ; Commissariot of St. Andrews). V. pp. 116, 121, 123, 167, 202. The celebrated Lord Advocate was an ancestor (r. Diary of Sir T. H. ; Omond, Lord Advocates of Scotland).

5 Alexander Bayne of Rires, son of John Bayne of Logie, Fife (v. D..V.B.) . Of an old Fife family ; 1722, Curator of Advocates Library, Edinburgh, and first Professor of Scots Law in University of Edinburgh ; d. 1737.

6 Bayne married Mary Carstairs, half-sister of Sir Thomas Hope of Craighall, and granddaughter of Sir Wm. Bruce of Kinross. Allan Ramsay, the poet, married one of their daughters. V. D.N.B.

77

Decr. 29th, 1713.

III. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

My LORD,

I have these several weeks past been impatiently expecting an account of your Lo:'s safe arrival at Cullen,/1 that I might do my self the honour to salute you and your dear Lady upon the late happy occasion./2 Now having had that agreeable account I most chearfully take this opportunity to congratulate with your Lo: and my Lady upon the felicities of your present condition, and with all to renew my Supplications to Almighty God to take You both into his holy protection and to multiply his blessings upon you. May it please him to send forth his H. Spirit of Love, Joy and Peace into tour hearts to direct and guide you in all your ways, and firmly to unite you to each other in him and in the obedience of his holy Will./3

I have been to wait on the EE. of Finlater and Kinnowl since they came to Town, and find them both exceedingly pleas'd with their late alliance./4 I took occasion to recommend to them Dr. J. G.'s Case,/5 which we suppose may be heard at the bar of the House about a moneth hence. I am pretty well assur'd the last will appear a Friend, and the first no enemy. However, if your Lo: think it proper, you may likewise recommend it to both or either of 'em in your first Letters, as also to Mar /6 and Dup./7 but I leave it wholly to your self. The Drs./8 are well and give their most humble and affectionat duty to your Lo: and my Lady ; as does Dr. Ch./9 who bids me also tell your Lo: that he fully obeyed your last letter, and in the manner that was most consistent with your Lo's honour.

Our last from A.R./10 wch. was of thefist N.S./11 gave us a most melancholy account of the vener. M.S.M. /12 state of health, wch. indeed is so very bad



1 Lord Deskford lived at Cullen House, Banffshire, with his father. Defoe described Cullen in those days as " chiefly noted for its fruitful soil and salmon fishing, for having no port it has little trade, except for its corn and salmon."

2 Lord Deskford had married early in 1714 Elizabeth Hay, second daughter of Thomas, 6th Earl of Kinnoull, and sister of the Lord Dupplin mentioned in the Letters.

3 A favourite text of Madame Guyon was Ps. ciii, v. 3o : " Emitte spiritum tuum," etc., v. p. 158 note. " Soyons toujours unis en celui qui a lié nos coeurs pour son amour et pour sa gloire," Lettres, I, p. 230 ; " O Esprit Saint, Esprit d'Amour," Discours, II, P. 349. Cf. p. 133.

4 The marriage of Lord Deskford : v. above.

5 Dr. James Garden's Case against Professor David Anderson : v. Introduction.

6 Earl of Mar, afterwards leader of the 'Fifteen Rebellion.

7 Lord Dupplin, brother-in-Iaw of Lord Deskford : v. Introduction.

8 Drs. James and George Garden.

9 Dr. Cheyne.

10 A. M. Ramsay.

11 New style.

12 " Venerable M.S.M." : Madame Guyon : v. Introduction. It was one of the harmless eccentricities of Madame Guyon and her followers to make much use of initials.

78

Handwriting of Dr. Keith. [To face page 79].



that without the extraordinary interposal of the divine power, it is hardly possible for her to hold out many days. But may we all and in all things say, thy will be done. I believe the Comment : sur le v. Test,/1 is by this time very near printed off, tho the subscription Money is not yet remitted from Scotld. : but Dr. G./2 expects it in a few days. Please to let me know to whom I shall give the bundle of books your Lo: left with me ; as also how I shall dispose of the Comment's /3 subscrib'd for, when they come. I recd. of your Lo: 6 lb, wch. at the rate of 12sh. each (prime cost) pays for ten setts. But the additional charge of 2sh. 3d. each comes to 22sh. 6d. more. Nov if your Lo: approve of it, I think it will do as well to bring the additional charge into the 6 lb already paid, and then (at 14sh. 3d. each) I have in full for 8 setts, which comes to 5 lb 14 sh, and 6sh over due to your Lo:

I take it for granted your Lo: has accounts of our publick affairs regularly sent you from hence, and therefore need not trouble you to repeat them. The party heats still continue, and wch. is most of all to be lamented, there's alas almost nothing of the Spirit of Truth, Love, Faith or Peace to be found among men.

Your Lo: I hope will have great comfort in your country retirement. I most heartily wish you and your dear Lady all the divine gifts and graces that are necessary or convenient for you, and remain with all possible respect, My Lord,

Your Lo:'s most humble and

most oblig'd faithfull servt.

Ja: Keith.

London, March 2oth,




IV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Apr. 6th, 1714.

MY LORD,

This comes to acknowledge the honour of your Lo:'s most wellcome and agreeable letter of March 7 wch came to me last post but one. I can't imagine how it came to lie so long by the way except the sure hand your



[suite de la note 12 précédente:] M.S.M. is ma sainte mère. She is often referred to as N.M. (notre mère) or N.C.M. (notre chère mère). Fénelon is N.P. (notre père). Jesus is P.M. (petit maître) or L.M. (little master). In Madame Guyon's writings there are frequent contractions such as V.C.F. (votre cher frère), M.C.S. (ma chère sœur), etc.


1 V. p 75.

2 Dr. George Garden : he had evidently accepted responsibility in the matter. V. also p. 13o.

3 V. above.

79

Lo: mentions has kept it till he came to Edr./1 The little paper of the Gentleman's Case /2 gave me some uneasiness, and would have answer'd it the moment it came had not I thought it much too late, and that the thing must be over and gone long before. Therefor I shall only refer your Lo: to the inclos'd note /3 to be communicated in case any such accident shou'd happen to him for the future.

It was with unspeakable joy that I read your Lo:'s account both of My Lady's good dispositions and your own, and may venture with confidence to bid you, in holy David's words, to wait continually on the Lord and to be of good courage, and He will strengthen and establish your hearts./4 He will strengthen and confirm what he hath wrought for you, and he will bless you with his Peace. Be not discourag'd /5 or cast down at any infirmity or failure, natural or casual that may befal you, for these will neither hurt you nor offend our L.M./6 but arise and go on in an humble and faithfull dependence upon him, and he will direct and guide your steps. New occurrences and circumstances bring always new temptations and tryals along with them. But then he giveth more Grace, and they that wait patiently for him shall renew their strength, and be fully taught what is the good and holy and perfect Will of God. I most fervently commit you, My Dear Lord, in all your difficulties to the unerring conduct of the Holy Spirit of Light and Truth, beseeching him to abide in you and to labour with you in the paths of Peace and Righteousness and to preserve you in his power.

I shall take care of your letter to A.R./7 and forward it next opportunity.

I wrote to him but last week in answer to one I recd. two days before with the joyful account of M.S.M.'s /8 being much recovered. May it please God according to his holy will to perfect what he hath so wonderfully wrought for her and for us and others in her. Amen !

The two D. G G.'s /9 are well and give their humble service to your lo: as do's D. Ch. who intends next week for the Bath./10 The Doctr's Cause /11



1 Edinburgh.

2 The reference is not clear.

3 The note is wanting.

4 Dr. Keith's letters show his close intimacy with the Bible. In this fairly typical passage, for example, there are echoes of Ps. xxvii, 14 ; Ps. xxix, I I ; Ps. xxiii, 3 ; Ps. xliii, 3 ; Prov. iii, 17 ; Prov. xvi, 9 (Jer. x, 23) ; Isaiah xl, 31 ; John xv, 4 ; Rom. xii, 2 ; Phil. iv, 3.

5 Lettres, IV, p. 71 : " Ne vous découragez pas néanmoins. Le plus grand des maux est le découragement. Il faut être humilié de nos défauts, et jamais découragé. Le vrai humble ne s'étonne point de ses fautes ; il en est rabaissé devant Dieu, et prend des forces toujours nouvelles pour recommencer à mieux faire."

6 " Little Master." For the cult of the Infant Jesus in French mysticism of the I7th century v. Bremond, Histoire littéraire du Sentiment Religieux en France, III, pp. 51I-82.

7 Lord Deskford in correspondence with A. M. Ramsay.

8 " Ma sainte mère."

9 Drs. James and George Garden.

10 Dr. Cheyne spent much of his time at Bath : v. Introduction.

11 Dr. Jas. Garden's Case : v. Introduction.

8o

is not yet come on, neither is there any day yet fix'd for it. They will meet with opposition and the event is doubtfull. Ld. Kin.'/1whom I saw yesterday was well baiting somewhat of the gout. The great people are in much confusion, and the issue is like to be the fall of some of 'em : /2 but the ferment is in a manner universal. God prepare us for the worst !

My humble duty and my wife's attends my Lady and your Lo: being always with the greatest respect

My Lord,

Your Lo:'s most obedient

humble servt. /

To The Right Honble. /

TThe Lord Deskford

at Cullen House

To the care of the Postmasters /3

of Aberdeen and Bamf p. Edinburgh.




V. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

May 15th, 1714.

MY LORD,

The last with wch. your Lo: was pleasd to honour me was of Aprile 3d ; I also wrote to your Lo: much about that time, and since then having nothing material to communicate, and having often heard of your Lo:'s health by several, I designedly put off writing till now that I can give your Lo: an account of the issue of Dr. J. G.'s affair./4 His cause should have been heard before the H. of Lds./5 on Thursday the 13th, but the very day before when all was ready, and no unfavourable prospect of the event, he is most earnestly sollicited and importun'd by some Bps and others his good friends to desist, assuring him that if he did not, he would disoblige the Q./6 and the M-y,/7 and would certainly be cast if he suffer'd the Tryal to come on ; because there was a strong combination agt. him, but few friends to appear for him. Upon wch. the good Dr. by the advice of his br./8 and other friends very meekly gave up his pretensions, declaring he did it purely out of regard to the Q's Inclinations, and at the desire of his superiors, and tho' he did



1 Lord Kinnoull, 6th Earl, father of Lady Deskford. Cf. Hist. MSS. Com., Portland MSS., VII, p. 71 : " It will cure ray Lord Kinnoull of the gout, if he should be in a fit, to hear of another boy."

2 Parliament had resumed on March 31. The confusions of these days as to the succession to the throne may be studied in Tindal, op. cit., pp. 168 ff.

3 The postal system of Scotland was still very undeveloped. Some particulars will be found in H. G. Graham, Social Life of Scotland in the 18th Century, pp. 46 f.

4 Dr. James Garden's Case : v. Introduction.

5 House of Lords.

6 Queen Anne.

7 The Ministry.

8 His brother, Dr. George Garden.

81

not consider his own Interest in the matter, yet that it griev'd him to give up what he took to be the common concern of the Church and of his friends particularly in ye North, who had enabled him to undertake both the journey and ye prosecution. To wch. they replied that if his friends knew the present scituation of affairs here, they would certainly advise him to do what he did. L.M./1 and L.F./1 were the most active and vigorous against him, who were so free as to own to some, that they oppos'd him for being a B—st ; /2 tho' the specious pretext was, to prevent tumults and disturbance in the North. But in short this is no more than what I expected. Christ must always be revil'd and persecuted in his servants. The men of this world will still conspire and unite against the Truth, wch is so very grievous and intolerable to them : a certain mark it is not of the world, otherwise the world would love it. But as it was with Christianity at first so is it now. This sect (as they're pleas'd to call it) is everywhere spoken against. But wisdom will be justified in her children./3

I han't had any account of M.S.M. or A.R./4 since my last to your Lo: wch. I much wonder at. Two posts ago I had a letter from Holld. in wch. they said they had not heard either since Apr. 7 n.s. I have remitted all the money for the Comments sur le vieux Test./5 but they write it will not be quite finished till towards the end of August.

I shall take care to observe your Lo:'s directions about your copies of the Com., /6 as also to transmit the bundle of books in my custody to Abd./7 I do not hear of any safe occasion yet. Drs. GG.8 talk of going about 2 or 3 weeks, and I think of sending them with their things, if none offer sooner, as I shall also the other little pamphlets wch your Lo: desires.

When your Lo: writes next I shall be rejoyced to have an acct of your Lo: health and my Lady's. I give my humble duty to her, and wish all real happiness to you both. I think your Lo: had best write immediately to my self. I shall never grudge the charge of your dear letters. I beg leave to salute M.F./9 and our other friends as your Lo: shall see 'em, and remain with all possible sincerity and respect

My Lord

Your Lo:'s etc.

1 Probably the Earl of Mar and the Earl of Findlater. The initials do not seem capable of any other interpretation. It seems clear that Lord Findlater did not share his son's religious interests. There is no reference to such matters in any of their correspondence at Cullen House.

2 Bourignonist : v. Introduction.

3 Notice again the extent to which Keith employs Biblical language.

4 Madame Guyon and A. M. Ramsay.

5 V. p. 75.

6 Ibid.

7 Aberdeen. V. pp. 79, 83.

8 Drs. James and George Garden.

9 William, Master of Forbes, who succeeded his father as Ld. Forbes in July, 1716, and is thereafter frequently mentioned in these letters as Ld. F. His younger brother James, appears as J.F. : v. Introduction.

82





VI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

MY DEAR LORD,

This comes to own the honour of your Lordship's most acceptable letter of May 3oth. It brought me the very comfortable acct. I long'd for both of your Lo: and my Lady. I pray God to continue you both in health and to encrease and confirm the Love of God in each of you and a mutual Love towards each other in him. Be not troubled at any of those motions of Fear, Anxiety, Melancholy, etc. wch may at any time arise in you ; nor give way to any grievous reflections upon 'em./1 Turn inward,/2 and enter meekly into the Heart of L.M./3 and they will quickly disappear. These and greater tryals too sometimes must happen, but always for your benefit. Qui enirn non est tentatus, quid scit ? /4 In everything depend on God for Strength, Counsel and Direction, walk in his presence/5 and he will conduct and establish your ways.

I forwarded your Letter with several others to A.R./6 but have not yet had any return to them. My last from thence made mention of M.S.M.'s /7 health as better tho not quite well. The two Drs. G./8 are well and give their most humble duty and best wishes to your Lo:. They intend to leave this place in a few days, and to go down part of the way at least by sea, because of the extreme heat and drought wch would render a journey by land very difficult. I have given to them the parcel of books wch your Lo: left with me, and also a few more little Treatises wch I bought for you, a list of wch I shall here enclose.


1 Cf. Lettres, II, p. 186 : " Votre entortillement ne vient que de vos réflexions : il faut les laisser tomber." Cf. Vie de Renty (1664), P. 384, " sans réflexion " ; Olier (quoted Bremond, Histoire littéraire du Sentiment Religieux en France, III, p. 481), " de ne point faire tant de réflexions sur vous." V. pp. 99, 163.

2 Cf. Short Method of Prayer and Spiritual Torrents (Eng. Trans. 1875), pp. 44, 12o. Lettres, I, p. 2 ; etc. Introversion is one of the most important practices of the mystic : v. E. Underhill, Mysticism, Part II, chs. vi and vii. A very interesting account of Introversion appears in Father Baker, Holy Wisdom, pp. 151 f. V. M.N.E., pp. 107, 16o.

3 " Little Master."

4 Cf. Lettres, III, p. 134 ; IV, p. 226 : " Celui qui n'est pas tenté, que fait-il ? " Ecclesiasticus xxxiv, 9. Cf. p. 13o. Also quoted by Fénelon.

5 V. pp. 76, 93, 507, 116, 167, 174.

6 A. M. Ramsay.

7 Madame Guyon.

8 Drs. James and George Garden.

83

I am glad that L.P./1 has sent your Lo: some papers. M.F./2 and he have several that I han't yet seen. I give my most affectionat and cordial respects to 'em both. Please to tell L.P./1 when occasion offers that I shall expect a copy of the verses on Herm. Hug., Pia desideria /3 with his Lo:'s conveniency. A.R./4 has long since advis'd me of 'em.

Your Lo:'s Relations here for ought I know are all well. There was hardly any friend that would open a mouth in the good Dr.'s /5 behalf. I was once and again with L.D./6 etc. but to no purpose ; and could behold the Truth almost deserted and forsaken by all. Pater, ignosce illis./7

I shall conclude with my best and most cordial wishes for your Lo:'s real happiness and my good Lady's and remain

My Lord

Your Lo:'s most humble and obedient servt.

June 26th,

1714




VII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

July l0th, 1714.

MY DEAR LORD,

My last of June 26th, I hope by this time is come safe. Now the inclos'd/8 wch I receiv'd but some few hours ago is what gives occasion to this. I am sure it will be wellcome and refreshing to your Lop and do not doubt but God who has been so peculiarly gracious and mercifull to you in many instances of your Life, will signally bless it to your comfort, and all the other means wch in his wise Providence he affords you. If your Lo: has at any



1 Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo, famous Jacobite and devoted follower of Madame Guyon : v. Introduction. His usual signature was Pitsligo, and in these letters he appears as L.P., but after the '45 he attempted (successfully in the Court of Session, unsuccessfully in the House of Lords) to escape on the technicality that he was charged as Lord Pitsligo instead of Lord Forbes of Pitsligo. The papers alluded to would be religious documents : v. below.

2 Master of Forbes.

3 Hermannus Hugo, Pia Desideria (Antwerp, 1624) . See further pp. 117, 13o. There were many editions published, including some in English. Madame Guyon writes (Lettres, IV, p. 235) : " Je crois que vous trouverez les vers sur les pia desideria à votre goût."

4 A. M. Ramsay.

5 Dr. James Garden : v. Introduction.

6 Lord Dupplin, who as Baron Hay had a seat of his own in the House of Lords, while his father was a member of the House as a representative Scottish peer.

7 Luke xxiii, v. 34.

8 Evidently a letter from Madame Guyon to Lord Deskford, which has not been preserved.

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time any reply or letter for the ven. M.S.M./1 I shall take all possible care to forward it./2

I give my most respectfull duty to My Lady, with my best wishes for her real felicity and yours.

The two Drs./3 are still here but talk of going down by sea next week. Yesterday the Q./4 came to the House and after a gracious speech prorogu'd the Parlt. till Aug. loth.

I am in hast

My Lord

Your Lo:'s most obedient humble servt.




VIII. [Ma chere et respectable M[ère] je vous rends graces cordiale… ]

[Publié en [CG I], pièce 439.]



[Lord Deskford was in London during the months of September, October, November and December, 1714, as is evident from letters written to him by his wife during that period and preserved at Cullen House. The following is a French translation (preserved in the Library of the Seminaire de S. Sulpice, Paris) of a letter from Lord Deskford to Madame Guyon. Such letters from foreign correspondents had naturally to be put into French (by Ramsay) for the benefit of Madame Guyon. There are two copies of this letter. One is in the collection of " Lettres diverses de Madame Guyon copiées. Copies de lettres de quelques Trans a la mere des enfants du p.m. avec des responses de cette bonne mere." The letter here printed is headed " Lettre de milor Exford a n.m. traduitte de l'anglois." The corruption " milor Exford "—in another letter " M. d'Ex."—has hitherto successfully concealed the identity of Lord Deskford (v. for example Cherel, Fénelon au xviiie siècle en France, p. 53 and note). The contents of the correspondence, however, leave no doubt whatever in the matter. An interesting example of a similar confusion is noted by Bp. Gilbert Burnet in his Reflections on Mr. Varilla's History (1686), p. 21 : " He gives his name Henry d'Arley ; this is a new proof how little he knows the books of the last age. This Henry whom he calls d'Arley was Henry Lord Darly, eldest son of the Earl of Lennox." The second copy of Lord Deskford's letter at the Seminaire de S. Sulpice is in the collection " Quelques copies de lettres détachées." The French, defective in accents and spelling, is left as in the copies which survive, and generally, as in the first-Mentioned copy.]

Ma chere et respectable M./5 je vous rends graces cordiales pour la lettre que vous m'avez envoyee la derniere. J'ai grande raison d'adorer



1 The venerable " ma sainte mère " : Madame Guyon.

2 Dr. Keith was intermediary in the correspondence of Scottish disciples with Madame Guyon at Blois.

3 Drs. James and George Garden.

4 V. Tindal, op. cit., pp. 219 f. The Queen died rather unexpectedly on Aug. r. Caermarthen wrote to Oxford next day : " The confusion we are in here on the dismal news of her Majesty's death is not to be expressed " (Hist. MSS. Com., Portland MSS., V, p. 481).

5 Mère.

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la bonté et la fidelité de mon cher p.m./1 qui attire et qui sollicite mon ame indigne et pauvre, par tants de moiens d'amour quoy que j'aie ésté tous jours crasseux et infidelle, qu'il soit beni a jamais ; car c'est lui qui arrache les pecheurs de l'abisme, et qui nous donne a manger le pain de vie, afin que nous puissions retourner a lui qui est nostre seule paix et nostre seule force. Quoy qu'avant la reception de vostre lettre, il me parut que j'avois une grande tendence a cette methode que vous m'avez prescript, je sens cependant depuis vos derniers avis une plus grande serenité dans mon ame, et une plus grande facilité de pratiquer l'oraison de la maniere que vous m'ordonnez, et je sens que la presence divine pendant le jour loin de m'empescher de remplir les devoirs de monéstat qui sont de l'ordre de la providence, nous aide a les éxecuter avec plus d'exactitude et de diligence. Je trouve aussi que la voye d'oraison dont vous parlez, j'entends celle d'une simple exposition de nos ames devant dieu, vide de touts desirs et de touts efforts, nous laissant a lui afin qu'il fasse en nous, et de nous, tout ce qu'il lui plait, communique cet ésprit a nos emploits et même aux diversions auxquelles nous sommes assujettis a la cour, plus que la meditation, la lecture, ou toutte autre voie. J'ai par la grace de dieu un desir foncier et sincere d'estre fidelle /2 au p.m., et de lui sacrifier entierement mon coeur mon ame et mon moy même, en lui rendant le tribut du pur amour, et de l'humble adoration qui appartient a son excelence, et a sa perfection immense ; mais je sens un poids extreme de proprieté et de vanité en moy dont le diable se sert pour me faire abuser des meilleures lumieres et des apels si engageants de la grace ; c'est la raison pour quoy je m'ennuie si aisement de l'oraison quand elle n'est pas accompagnée des douceurs et que la moindre petite chose me touche, et m'oste la tranquilité et serenité de mon ame. Je me trouve foible et rempant devant dieu, et l'experance que j'ai de ma vanité, de ma molesse, -de mon inconstance, et de ce fonds de corruption qui est en moy me fait desesperer de mes propres forces, et me montre la necessité de dependre de dieu seul, et de lui donner toutte la gloire. Nourissez moi par vostre charité, soutenez moy par vos prieres. Je m'immagine que j'en sens les effects comme aussi des prieres des austres saints. Le souvenir de vous m'attire doucement dans vostre coeur, et dans celui de vostre p.m. pour y reposer, et adorer avec vous paisiblement l'enfant Jesus./3 J'ai souvent des lettres très tendres et très affectionnées de ma femme./4 Elle



1 " Petit maitre " : cf. p. 78 note. " Petit maître " or its equivalent is regularly used by Madame Guyon and her friends. One finds the expression frequently in Fénelon (e.g. Oeuvres (i86î edit.), I, pp. 634, 635, etc.).

2 This word is omitted in the copy in " Lettres diverses." There are occasional slight verbal differences in the copies, but none of consequence. The " Lettres diverses " copy has been followed except where it is obviously wrong and the other obviously right.

3 V. p. 8o note.

4 See further regarding these letters, p. 43.

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m'a éscrit qu'elle est grosse. Puisse le p.m./1 former ce pauvre enfant a sa propre image, puisse-t-il estre son enfant, et son tabernacle. Tout l'interest que j'y ai je le donne au p.m/1 Priez le qu'il lui soit pliable, et souple, et qu'il detruise pendant qu'il est encore fleur en bouton tout ce qui est desagreable a lui. Depuis qu'elle m'a donné ces nouvelles, j'ai de tems en tems escrivé des petites sentences pieuses dans mes lettres, croiant qu'environ ce tems çy de ses douleurs son ame sera plus capable de recevoir ces impressions ; mais je tacherai de menager cecy avec. discretion, crainte par ma precipitation de gaster l'oeuvre de dieu qui connoit les tems et les moments pour toucher eficacement le coeur.

Tres venerable et bien aimée M./2 comme nostre ami D.K./3 n'a pas encore envoyé la lettre que je vous escrivis il y a quelques jours, je prends occasion d'y adjouster ce petit mot pour vous prier d'offrir mon coeur et mon ame a nostre aimable p.m. et d'obtenir pour moy la grace de la fidelité a lui. Mon inconstance et ma corruption sont effroyables que je n'oze rien promettre de moy. Toutte mon esperance est en lui a qui je m'abbandonne a jamais sans reserve afin qu'il dispose de mon interieur et de mon extérieur entierement selon son bon plaisir. L'amour propre voudroit bien se reserver quelque chose icy, mais la justice et la venté n'en veulent rien permettre. Je vous prie aussi pour l'amour de nostre cher p.m./1 de m'escrire de tems en tems ce que vous croiez pour le service de dieu en mon ame car chaqu'une de vos lettres fait une impression très grande en mon coeur, et la grace dont nostre Roy les accompagne me montrent evidament qu'elles viennent de lui. Quand je vous éscris, je tache de vous exposer sans aucun deguisement le veritable estat de mon ame, et de le faire tout simplement, et sans reflechir fort particulierement. Mais comme je ne connois point mon coeur, je suis persuadé que je ne dis point les choses avec autant d'exactitude, et de fidelité que je le souhaitterois, mais le p.m./1 supleera bien a cela. Mon pere aiant depuis peu perdu sa charge,/4 nous irons bientot en Ecosse, et je crois que nous demeurerons ensemble pendant quelque tems. Je tacherai avec l'aide du p.m. d'estre soumis comme il a ésté. Lorsque je me receuille pour prier, ou pour me souvenir de dieu je sens souvent un certain doux sentiment de la presence de l'etre incomprehensible. Cela se perd quelques fois par l'egarement de l'immagination ou par divers souhaits irreguliers qui s'attachent au fonds de mon coeur et se montrent aux occasions. Il se renouvelle par de petits souvenirs et par de courtes aspirations de louange. Quelques fois je me souviens que je dois outrepasser le sentiment pour jetter mon ame dans la supreme essence, et la parfaitte et pure volonté du souverain bien. Souvent je ne puis demeurer ma demie heure entièr

ee.

1 " Petit maître."

2 Mère." This postscript is only in " Lettres diverses."

3 Dr. James Keith.

4 Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, p. 496. \Writing on Sept. 13, 1714, the E. of Oxford says, " Annandale will succeed Findlater."

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a genouil sans trouver grande difficulté, mais je tache de me faire une violence pour l'amour, et l'obeissance du p.m./1 Ordinairement dieu me fait souvenir de lui souvent pendant le jour, mais peu de chose me distrait, et j'ai peu de courage. Que le royaume de nostre maitre s'etablisse dans touts les coeurs. Amen.

du 24 Octre, 1714.




IX. [Voila, mon cher Milor, ce que NM m'a dicté pour vous. Votre droiture, candeur, et simplicité luy font grand plaisir…]

[Madame Guyon's reply to the foregoing letter appears in her published Lettres (1767 edit.) Vol. IV, no. 9o, but there is nothing in the letter as printed to indicate to whom it was written. Two manuscript copies of this reply are preserved in the Seminaire de S. Sulpice, Paris (in the above-mentioned collections), and one at Cullen House. All three have appended to them the following note by A. M. Ramsay, which is not in the printed copy, and is therefore here reproduced.]

Voila, mon cher Milor, ce que NM /2 m'a dicté pour vous. Votre droiture, candeur, et simplicité luy font grand plaisir et vous êtes un de ses plus chers enfans. Je vous prie de garder toujours une copie des lettres s que je vous écris de la part de N.M. Il faut en faire faire quelque jour un receuil et les envoyer à Dr. K./4 afin qu'il les envoye avec les autres écrites aux amis à Mr. P—t./5 Unissez vous à N.M. et à tous ses enfants répandus par le monde le jour et si vous pouvez la veille de Noël /6 qui est le 25 de décembre icy et à ce que je crois le 14 de décembre chez vous. On demande alors que le p.m./1 étend son régne par toute la terre et dépêche l'heureux temps quand tous les hommes l'adoreront en esprit et en vérité. J'espère que votre chère miladie accouchera d'un petit milor. J'auray l'honneur un jour peut-être d'être son gouverneur. Adieu, mon cher Milor. Personne ne vous aime et ne vous honore plus parfaitement que moy./7

ce 24 de Novre.


X. [Tres venerable et bien aimée mere. Je sens un penchant de vous appeller ainsi…]

[CG I p. 442]

[French translation (Seminaire de S. Sulpice, Paris) of letter from Lord Deskford to Madame Guyon. Headed " autre lettre de M. d'Ex." There are copies in different handwriting in both the formerly mentioned collections. The copy of the English note to Ramsay which is added appears only in the " Quelques copies de lettres detachées." Accents, etc., as in text.]

Tres venerable et bien aimée mere. Je sens un penchant de vous appeller ainsi à cause de la grande affection que vous montrez pour moi en Jesus

1 " Petit maitre."

2 " Notre mère."

3 This is most interesting information, which shows how the large collection of Madame Guyon's letters was formed.

4 Dr. James Keith.

5 Pierre Poiret.

6 V.p.II5.

7 A. M. Ramsay.

Christ, et de l'autorité que vos paroles ont sur mon esprit. Je bénis Dieu de ce qu'il se sert de vous pour me donner le lait spirituel, qui est nécessaire pour entretenir mon ame. Quoique dans le général je ne trouve point de difficulté de m'abandonner à Dieu, cependant lorsque mon esprit envisage les croix, les traverses, les bouleversemens, les obscurités et les sécheresses par où il faut passer, pour étre entierement à l'amour, ma nature frémit, et voudroit bien retourner sur ses pas, mais mon père céleste m'encourage, me soutient, me dit secrettement au ceur, qu'il est juste que je sois a lui, et que je ne dois point craindre puis qu'il sera avec moi. Depuis que j'ai recu votre derniere lettre, j'ai trouvé une grande facilité de me receuillir pour écouter Dieu qui est partout, et qui veut regner en mon ame, mais mon oraison me semble quelquefois un peu bouillante, car comme Dieu me favorise d'un sentiment doux et simple, de sa sainte presence, souvent je fais trop grande attention à cette douceur, et je tache de le retenir par des efforts de tête, au lieu de cesser pour laisser agir Dieu dans mon ceur. Je fais ceci souvent naturellement et non de dessein prémedité, mais aussitôt que je l'appercois je tache de rentrer dans le calme. Je ne sais si je m'exprime assez bien pour me faire entendre, mais je ne doute pas que Dieu ne vous donne une connaissance suffisante pour me donner les directions necessaires. Je ne me connois pas moi même et je ne saurois faire nul fondement sur mes propres idees. Quelques fois lorsque ma tête est affectée par ces douceurs sensibles je sens une crainte des esprits qui agitent les prophetes /1 de nos jours mais mon remede est de retourner à Dieu, et de tacher de me contenter de lui et de me rejouir en sa presence. Une autre question que je voudrois vous faire, c'est, comment ferai je pour m'oublier moi même en l'oraison, car les reflexions sur moi, et sur mon état, m'importunent souvent. Mon remede est de tacher de retourner à Dieu. Il y a en mon ame des monceaux de méchanceté qui ne se montrent pas a present mais ils s'exerceraient bien s'ils avoient des occasions. Je ne puis pas vous représenter mes défauts et mes imperfections. Dieu le fera s'il le trouve à propos. Les conseils et la charité de notre cher ami D. K./2 m'ont été de grande utilité. Je prie que le bon Dieu l'en recompense. Souvent je me sens attaqué par mille imaginations et soucis frivoles qui ne conviennent point aux associez à l'enfance. Aujourdhui que je vous écris mon imagination a été remplie de beaucoup de petites craintes et fantaisies qui ne valent pas la peine d'étre couchées par écrit, quoique je ne les cacherois pas, si j'étois aupres de vous. Je les racconte tout librement



1 A reference to the French prophets and their kind as discussed later in this volume : v. pp. 191 ff. In Madame Guyon's reply as printed (Lettres, Vol. III, p. 231) we find : " Ne craignez point de tomber dans l'état des (nouveaux prétendus) Prophètes." The Cullen House copy does not have the words " nouveaux prétendus." V. also Lettres, IV, PP. 479-96, and V, pp. 499 ff.

2 Dr. James Keith.

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à D.K./1 lorsque nous sommes seuls. Une partie de ces choses c'est, que ma femme, et ce coté la de mes amis sont du parti qui ne s'avoue pas a présent. Mon pere /2 est d'une inclination contraire quoique non pas fort violent ni outré. La plus grande partie de ses dépendans et amis sont violens pour le parti présent. Pour moi, j'obéis à mon père dans toutes les choses indifferentes, ou pour le moins mon inclination est de le faire. Comme il ne sait pas parler françois, j'ai dit au Roi et a ses ministres allemans avec fidelité, ce que mon père m'a ordonné./3 Non obstant cela, il a perdu sa charge /4 à cause qu'il a suivi les mesures de la feûe bonne Reine pendant les deux dernieres années. Je me soumets avec joye à la providence. La politique ne trouble gueres mon esprit. Cependant il faut que j'avoue que j'ai une pente secrete pour le parti qui est dessous à present, tellement que si la providence favorisoit ce coté la, je serois bien éloigné d'en ètre faché. Non obstant cela j'ai une certaine imagination que si il y avoit des gueres civiles, ce seroit une source de soufrance pour moi et pour notre famille, à cause de la part que mon pere a eû dans les mesures publiques. J'ai un sentiment que c'est mon devoir d'oublier tous ces soucis, de ne point entrer dans les intrigues, ni d'ètre aucunement actif pour les bouleversemens, de laisser agir la Providence, et dans les occasions de faire avec bonne foi ce que la Providence demande de moi selon mes devoirs particuliers en tâchant d'agir pour l'amour de Dieu dans l'état ou il m'a mis, me contentant et me rejouissant perpétuellement devant lui, puisque sa volonté est bonne, parfaite, et adorable et mes idées sont frivoles, et méritent d'étre négligées. Je n'aurois pas écrit tout ceci par la poste. Apres la mort de la bonne Reine /5 nous étions en crainte à tous momens d'ètre pillés, et encore plus maltraités par les montagnars /6 en cas de soulèvement, et


1 Dr. James Keith.

2 Chancellor Earl of Seafield, v. Macky (Characters, p. 182), " a gentleman of great knowledge in the civil law . . . understands perfectly how to manage the Scottish Parliament to the advantage of the Court " (this in the reign of William III) : " He affects plainness and familiarity in his conversation, but is not sincere ; is very beautiful in his person, with a graceful behaviour, a smiling countenance and a soft f'ongue." V. also Wodrow, Analecta, III, p. 147 ; Iv, 175.

3 There is preserved at Cullen House an undated fragment of a note to Dr. Keith (addressed to him " att Mr. Dunlaps Spring Garden " : v. p. 108) apparently in the handwriting of Alex. Abercromby (v. p. 532), stating that " Findlater is most desyrous to have his son here for goeing to the King," and hinting at risk of ruin to the family " in some events," and suggesting that Dr. Keith as of himself should press for his return to town, and advising this " if he has not hopes of succeeding on the terms offered, whereof he will be at a certainty by this tyme." It is all a little obscure (intentionally so), but reveals the doubts and difficulties of political intrigue at this period.

4 V. p. 87.

5 Queen Anne.

6 Highlanders. V. Grant, Records of County of Banff (1922), pp. 291, 293 f., where (Aug. 13, 1714) we have evidence of anxiety in the Cullen neighbourhood and the people are recommended to arm for defence against depredations from the Highlands.

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il y avoient des intelligences qui nous faisoient croire que ces craintes n'étoient pas mal fondées. Les compagnies du monde ne m'atirent pas beaucoup, à cause que pendant quelque tems je n'avois pas cette gayeté et enjouement dans les conversations que j'aurois à présent, selon ce qu'il me semble, si je me laissois conduire entierement par l'enfance. Mais j'ai un naturel fort aise qui se laisse facilement entrainer dans des fautes, par la complaisance. Par exemple, le jour que M.F./1 est venu en ville, je me suis laissé persuader par le frere /2 de ma femme à demeurer avec lui plusieurs heures à boire. Lorsque je fis connoissance avec lui il avoit de l'inclination pour la piété. Pendant qu'il demeuroit en Ecosse, ce penchant a été nourri par la grace de Dieu et par les bons conseils de mon cher ami le Chevalier P. Murray,/3 mais depuis ce tems la, les flatteurs, la prosperité et les attraits du monde l'ont beaucoup gaté, et lui ont fait perdre le gout de l'intérieur. Je prie que le bon Dieu aye pitié de lui, et se fasse justice en son ame. Lorsque je suis en Ecosse il n'y a personne à qui je parle tant d'affaires intérieures qu'au Chevalier Murray./4 M.F./5 vous dira son caractere. C'est un homme qui n'affecte rien d'extraordinaire mais qui est grande ;ent touché de Dieu, et qui temoigne grand respect pour vous. Il n'entend pas le Francois mais il souhaite beaucoup de voir quelques uns de vos livres en anglois. Son frère D.M./6 qui est mort a été un homme fort, craignant Dieu et addonné à l'intérieur. Quelques uns de mes amis ont grande vénération pour lui. J'écris tout ceci afin de m'exposer entierement devant vous. Je ne m'atens point a des reponses pas à propos. Pour ce qui regarde les réflexions pendant l'oraison dont j'ai parlé au commencement de la letre, elles sont quelquefois des retours pour voir si je suis dans l'état où je voudrois ètre, quelquefois ce sont des reflexions de vanité, suscitées sans doute par la nature et le démon. Je tache de n'y faire point d'attention, mais de m'occuper de Dieu, et de ces choses auxquelles il m'applique. Le souvenir de vous et de votre ceur me receuille souvent. Je m'abandonne à Dieu, et je m'en vais me taire pour l'adorer et l'écouter. Je suis entierement à vous dans le fond de mon ceur en Jesus Christ, qui est votre Maitre, votre Roi et votre Epoux. Que son regne s'établisse en tous les ceurs. Priez Dieu pour moi. Envoiez moi les directions que vous me croyez propres. Je me soumets à Dieu pour recevoir les influences de sa grace par votre moyen, et par aucun autre qu'il trouvera à propos. Que sa volonté soit faite. J'ai leû dans un livre depuis peu que Jesus Christ nous aime tant qu'il nous



1 William, Master of Forbes.

2 Lord Dupplin, an interesting and illuminating account of whom follows : v. also Introduction.

3 Sir Patrick Murray of Auchtertyre : v. Introduction.

4 Sir Patrick Murray.

5 Master of Forbes.

6 David Murray ; a younger brother of Sir Patrick : v. R. Douglas, Baronage of Scotland, p. 146.

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porte en ses entrailles. Je crois et j'admire son amour. Comment ferai je pour reconnaitre un amour si grand, et que rendrai je à mon Seigneur pour tous ses bienfaits dont il me comble, à chaque moment.

MY DEAR FRIEND A.R./1

After the long letter I have writen above I have nothing to say to you, but only to give you thanks for your constant and affectionate friendship and to assure of my most sincere good wishes. If the worthy person who is with you, or you yourself has anything to write to me, let it be directed to the care of our dear friend D.K./2 What comes from that hand comes as I am convinced from a higher source, and has great influence on my spirit. Continue your love, remembrance and goodwill, for I can assure you, I am most cordially yours. Whether my desire of seeing such papers as you send may not have a great mixture of curiosity I can't tell, or rather I am sure that it has, but yet I am likewis convinced God makes very good use of 'em in my heart. May it and yours and all hearts be entirely his.

Novent. 17th.





XI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

MY DEAR LORD,

I hope this shall find your Lop. safely arriv'd at Edbr, and that it will come in good time to meet you there. The enclosed /3 I receiv'd two days after your Lof left this place, but in obedience to your commands delay'd transmitting it till now. I am sure it will be no less comfortable and edifying than the former have been ; and I most heartily pray our d. L.M./4 to second it with his gracious benediction. Your Lo/ will soon observe that it is in answer to that by M.F.S and not to the last wch was not then come to hand. When any other comes to me I shall not fail to forward it in due time.

I most humbly salute My Lady and wish your Lo: a joyfull meeting with her. Never doubt of the Divine Care and Conduct towards you and yours. Rejoyce always in the will of God manifested in all his providences about

1 Andrew Michael Ramsay. Deskford seems to be in most cordial relations with Ramsay.

2 Dr. James Keith.

3 V. p. 94.

4" Dear Little Master."

5 A letter from Lord Deskford to Madame Guyon had evidently been taken abroad by M. F., the Master of Forbes. V. p. 95. This would seem to refer to X of this collection.

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you. Meekly attend to L.M./1 and render his Presence familiar /2 to you ; and he will be your Joy, your Centre,/3 your Counsellr., your Guide and your All./4 Laisser tomber /5 and outre passer are most useful advice and never to be forgotten, especially in the troublesome occasions of life. I remain with the most tender respect.

My Lord

Your Lop's most obedient humble servant.

London, Janry. 25, 1714/15

(Address torn through.)

L.O./7 with his family and L.D. went last Wednesday into Herefdshire, and talk'd of returning within a month. His enemies boast loudly of their designs agt. him./8 I have recommended Mr. Blake's /9 affair more than once



1 " Little Master."

2 Lettres, IV, p. Io8 : " Dieu nous rende sa présence familiere."

3 Discours, II, p. 389 " O centre divin " ; Discours, I, p. 158: " Dieu, centre de tout repos " ; ibid., p. 26o : " Comme les choses tendent naturellement à leur centre . . . ce centre est Dieu " ; Discours, II, p. 393: " Dieu est tout en tout dans le centre de son amour " ; ibid., p. 386 : " O centre de toute félicité " ; etc. Cf. expressions of Juan de los Angeles and Diego de Estella quoted E. A. Peers, Spanish Mysticism, pp. 133 ff., 138 if., 241 ff., 245 ff. : y. also M.N.E., p. 113.

4 Discours, I, p. 162 : " Je dirai la vérité du Tout de Dieu . . . quittez-vous vous-même par hommage à ce grand Tout . . . O Tout, O Tout, demeurez Tout " ; cf. ibid., pp. 261, 286, 378 ; Lettres, I, p. 598 : " Je vous suis plus unie que jamais en notre divin Tout " ; I, p. 45o : " nous serons unies à notre Tout " ; IV, p. 525 : " O mon Dieu, soyez moi Tout " ; cf. Olier, quoted Bremond, op. cit., III, p. 481. " Deus meus et omnia " was a favourite expression with S. Francis of Assisi, S. Ignatius Loyola, M. de Renty, Henry Scougall.

5 A phrase which occurs countless times in Madame Guyon's writings : u. e.g. Lettres, I, pp. 41, 49, 52, 98, 103, 128, 149, 175, 199, etc. Dr. Keith used it in other letters, along with the following phrase : u. pp. 100, 133, 574.

6 Another favourite expression of Madame Guyon : u. e.g. Lettres, I, p. 301 ; II, p. 278 ; III, pp. 408, 598, 599 ; IV, p. 361 ; V, p. 521. Discours, II, p. 97 ; I, pp. 2, 3, 435.

7 Robert Harley, first Earl of Oxford, and his son-in-law, Lord Dupplin. The Harley home was Brampton Castle, Herefordshire.

8 Oxford was impeached in June, 1715, and sent to the Tower on July 16 : v. p. 104.

9 This is William Blake who was tutor to Lord Deskford, accompanying him to Aberdeen (1701) and then to Utrecht (17o5) : v. some of his letters in Seafield Correspondence (S.H.S.), pp. 345, 346, 355, 416. Through the interest of Lord Deskford he became a land-waiter in connection with the Customs at Bristol, but in a letter at Cullen House addressed to the Earl of Findlater, Apr. 25, 1713, he complains that his employment is " but meane, precarious and slavish," and asks further assistance. Dr. Arbuthnot presented Blake's petition to the E. of Oxford in 1713 and Deskford strongly supported it, referring to the great care Blake had taken of him when a child (Hist. MSS. Corn., Portland MSS., X, pp. 211 f.). In March, 1714, Blake tried to forward his interests by a piece of espionage and flattery, enclosing to Lord Oxford a letter which he says

93

to Dr. Ch./1 who promis'd to keep Mr. B—ly /2 in mind of him. I spoke also to Mr. Smith /3 of him. He said he had not yet deliver'd the letters but would do it.





XII. [the first few lines being from Madame Guyon and referring to the death of Fénelon, while the rest is a private note from A. M. Ramsay to Lord Deskford]

[CF I, fin de la pièce 443. À Lord Deskford. 12 janvier 1715.]

[The letter from Madame Guyon to Lord Deskford mentioned as enclosed in the foregoing letter of Dr. James Keith appears in Madame Guyon's Lettres, Vol. III, no. 53. Towards the close this differs slightly in arrangement from the copy preserved at Cullen House, and it has an additional paragraph (10) not in the Cullen House copy. On the other hand, the Cullen House copy concludes with a greeting which is lacking in the printed version, and has the following additions, the first few lines being from Madame Guyon and referring to the death of Fénelon, while the rest is a private note from A. M. Ramsay to Lord Deskford.]

Depuis /4 celle-cy écrite j'ay perdu mon vray père,/5 et mon plus cher enfant dans la personne de Mr. de St. François./6 Mais nous ne l'avons pas perdu. Il est dans le sein du p.m./7 Il est notre intercesseur dans le ciel.

Jusques /8 icy c'est NM qui m'a dicté mon cher milor. Permettez moy d'ajouter un petit mot. L'action de la pure flame quoi qu'elle paroisse



" contains malicious reflections on the greatest statesman and best patriot ... that ever England produced. With indignation I observed them suck in the poison and snatched the letter out of their hands as soon as possible " (Port. MSS., X, p. 313). In the Letters of James Keith there are further references to Blake, his troubles, illness and death, and to Lord Deskford's continued interest in this strange sycophant, a characteristic product of the times : v. pp. 127, etc.


1 Dr. Cheyne : v. Introduction. Dr. Ch. took an interest in Blake's troubles.

2 George Baillie of Jerviswood, son of the Baillie of Jerviswood martyred at the Restoration. He was educated in Holland, partly at Franeker (v. Franeker records at Leeuwarden), and returned at the Revolution, becoming M.P. for Berwickshire and obtaining a Government post as Commissioner to the Admiralty (Chamberlayne, Present State of Great Britain, 1716, p. 584). When he died in 1738 Dr. George Cheyne wrote a short Historical Character of high, where he states " I never knew his superior in solid virtue and just thinking," and further " Having been bred in the school of affliction, his compassion was never denied to those who were in distress even by their own indiscretion. He spent the last twelve years of his life in constant meditation, contemplation, and prayer. It was truly a life hid with Christ in God."

3 Not identified. The name is not uncommon

4 Madame Guyon to Lord Deskford ; Ramsay's handwriting.

5 The Archbishop of Cambray died Jan. 7, 1715 v. P. Janet, Fénelon (Eng. Trans.), pp. 246 fi.

6 Fénelon both master and disciple.

7 Cf. Lettres, IV, p. 511: " Vous avez sans doute apris la perte que nous venons de faire par la mort de xxx. Mais il est présentement dans le sein de Dieu. Il est plus que jamais avec nous."

8 A. M. Ramsay to Lord Deskford.

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fort tranquille est néanmoins infiniment plus vite que celle des eaux les plus rapides. C'est que nous mesurons la vitesse du mouvement selon que le changement successif des lieux est plus promt et plus remarquable à nos sens, mais quand cette succession à cause de sa vitesse échappe le discernement de notre vue nous la croyons ou immobile ou lente. De même dans le monde intellectuel nous mesurons l'action de nos puissances selon la multiplicité et l'ardeur de nos actes successifs & distingués quoiqu'il y ait une action bien plus vitale, efficace, noble & intime qui paroit moins parce qu'elle est moins distincte & moins superficielle. De plus les idées vives de l'esprit & lei emotions ardentes de la volonté ont une connexion naturelle avec le mouvement du sang & des esprits animaux & le branlement des fibres & des nerfs, mais quand l'opération de l'âme est plus concentrée elle n'influe pas tant sur la machine animale & par conséquent n'est pas si sensible quoiqu'elle soit beaucoup plus réelle & efficace.... Pardonnez moy si je mêle mes idées & explications imparfaites avec des verités si pures. Je tâche de vous bégayer comme un simple enfant & de vous dire ce que je conçois de l'opération de notre père céleste. J'espère qu'il agréera ma simplicité. Nous sommes à présent doublement unis, la filiation spirituelle, & la fraternité divine qui nous rend les enfans de la même mère est encore plus forte que tous les liens d'une respectueuse amitié qui m'unissoit à vous auparavant. Puissions nous par le coeur de NM /1 nous perdre un jour entièrement dans le sein de notre père céleste. Amen & amen. M.F./2 qui est arrivé icy en bonne santé vous fait ses complimens & vous embrasse du meilleur de son coeur. Le neveu /3 de Mr St François vous fait bien des complimens. Il a vû quelquunes de vos lettres à NM & il y a un grand rapport entre son naturel & le vôtre, car il a une grande candeur & simplicité. N'oubliez pas de le ressaluer dans vos lettres, car il vous aime fort quoiqu'il ne vous ait jamais vû. Et je vous appelle souvent le Marquis de F. écossois, & luy Milor Desk. françois. Je vous prie de me faire savoir votre addresse en Ecosse afin que je vous écrive tout droit sans donner la peine à Notre Cher Dr K—/4 My dear father the A. of C./5 is dead. He left his blessing to all ye transmarin friends & loyers of ye L.M. You are of the number. Unite yourself to him in the presence of God & youl find the blessd effects of such an union. Our dear mo-/6 is equally afflicted & abandonnd to the divine will.

Janry. I2. N.S. 1715.


1 " Nôtre mère."

2 Master of Forbes.

3 Marquis de Fénelon, grand-nephew of the Archbishop.

4 Dr. James Keith.

5 Archbishop of Cambray : v. p. 94.

6 Mother—Madame Guyon.

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XIII. The first part of this letter is from A. M. Ramsay to Lord Deskford, and the second is a short note dictated by Madame Guyon.

[CF I pièce 444]

ce 13 de Mars.

1715.

Voicy Mon Cher Milord une lettre de la part de NM /1 avec plusieurs jolis chansons /2 pour vous réjouir. J'y ay joint aussy la copie d'une letter de mon cher père a qui est à présent dans le sein de Dieu. Unissez vous à luy, il vous procurera de puissans secours. C'étoit le plus grand & le plus petit des hommes. Tout ce que le monde admiroit en luy n'étoit qu'un voile pour le cacher des yeux des hommes. Tout ce que les âmes pieuses condamnoit en luy étoit l'effet de la plus pure abnégation. De manière qu'il étoit également caché & des profanes & des dévots ; & encore plus de luy-même. Je sens à présent que pour un père que j'ay perdu sur terre j'ay gagné un protecteur dans le ciel. Les sens & l'imagination ont perdu leur objet, mais mon coeur le trouve dans notre centre commun. Il répand sur moy un rayon de cette paix céleste dont il jouit, quand je m'y unis en simplicité & sans détour. Il m'est un canal de grâce. Il vous le sera aussy si vous vous y unissez avec foy. Il a donné en mourant sa bénédiction à tous les enfans du p.m./4 Si vous en connoissez quelques uns près de vous dites le leur.

Je vous aurois écrit plutôt mais nous pensâmes être orfelins depuis peu & perdre NM /1 qui a été trois fois aux portes de la mort par un catarrhe qui luy tomba sur la poitrine & pensa l'étouffer. Mais le p.m./4 a eu pitié de nous & a fait ainsy que trois saignées l'ont beaucoup soulagée quoiqu'elle soit encore fort foible & allittée. C'est de son sang que j'ay écrit ces paroles qu'elle me dit de mander à tous les enfans du p.m./4 Dans le fort de sa maladie on me les dicta. Voicy la chose la plus précieuse que je saurois vous envoyer. Gardez la chèrement & accusez m'en la réception, comme aussy de cette lettre.

Comme NM /1 ne connoit pas l'air /5 dont vous parlez elle n'a pas pû

1 Madame Guyon.

2 These songs appear to be wanting.

3 Fénelon, Archbishop of Cambray : the short description of him which follows is interesting.

4 " Petit maitre."

5 Madame Guyon was in the habit of writing verses to suit airs which her followers brought to her notice : v. Introduction. V. also Lettres, III, p. 17o : " il est bien difficile de faire des chansons spirituelles sur l'air que vous m'envoyez. Il est trop court pour souffrir une certain majesté qu'il faut dans les choses spirituelles. Je vous envoye pourtant cinq on six couplets qui ne valent pas grande chose. Je vous envoye aussi quelques autres chansons avec les notes."

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vous envoyer des chansons là-dessus, mais en voycy quatre admirables, le premier a été fait dans sa prison. Les autres depuis. Si vous souhaittez d'en voir d'autres M. F./1 qui vous salue cordialement me dit de vous dire que vous en trouverez entre les mains de Mr son frère,/2 de Mr le dr. G. G./3 & de Mr Alexr. Strachan./4 Je suis sûr que tous ces trois seront prêts à vous communiquer tout ce qu'ils ont.

Je vous prie Mon Cher Milord d'envoyer ce que je vous écris a Milor Pitsligo notre très cher & très honoré amy. NM /5 vous embrasse des bras du p.m./6 qui sont longs. Pour moy je vous trouve souvent auprès de nous & au milieu de nous, quand nous sommes devant ce cher p.m./6 Comtez sur ma tendresse, sur mon respect, sur mon attachement inviolable, & quand je peux vous servir je me sens toute âme & tout coeur. Enfin notre filiation demande que nous ne soyons que Cor unum & Anima una. Adieu.

Je /7 n'ay pas pû vous faire une chanson anglaise sur l'air que vous marquez car je ne la connois point, ni aucune air. N'ayant aucune connoissance de la musique je ne pourrois peut-être pas y ajouster ma poésie quoique je sçusse les paroles de l'air. D'ailleurs ma veine poétique se dessèche, je ne say si je pourrois présentement faire 4 vers de bon rhime. Mais je tacheray de servir Mon Cher Milor par des services plus essentiels que par mes activitiés stériles & infructueuses. Je tacheray de luy envoyer de temps en temps les paroles de vie. Adieu. Osculo sancto vos amplector. Ora & ama.





1 Master of Forbes.

2 James Forbes, second son of 13th Lord Forbes, succeeded to title as 16th Baron in 1734. There are numerous references to him in the Letters : v. Introduction. Also Stuart Papers, III, pp. 23, 229, 428, 464. In the last two passages cited Lord Forbes of Pitsligo refers to James Forbes as " my brother." This is a little misleading, and has misled the Editor of the Stuart Papers, but is due to the fact that James Forbes had married a sister of Lord Forbes of Pitsligo : v. Paul, Scots Peerage.

3 Dr. George Garden.

4 V. also p. 53. There is nothing in the references on which to base an identification, but it may be noted that in a letter written in 1709 to Robert Keith, afterwards the well-known Scottish bishop, A. M. Ramsay mentions as an intimate " Sandy Strachan apparently belonging to somewhere in Aberdeenshire near Rosehearty, Dr. George Garden's Bourignonist headquarters (J. P. Lawson, Pref. to R. Keith, Affairs of Ch. and State in Scotland) . At Cullen House there is a letter from Alexander Strachan, Banff (May 23, 1723), in favour of leaving an Episcopalian minister unimpeded in his work. Ogilvie of Auchiries, a younger member of the group, married a daughter of an Alexander Strachan, merchant, Leith. Whoever is the Strachan referred to, he is not one of the Glenkindie family whose sympathies in religion and politics were on the other side (v. Allardyce, Strachans of Glenkindie (1899)).

5 Madame Guyon.

6 " Petit maitre."

7 At this point Madame Guyon's note begin.

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XIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD

[FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. This letter is undated, but the reference to Lord Bolingbroke's flight to France fixes the date at about April of 1715.]

MY DEAR LORD,

When I receiv'd your Lop's most acceptable letter I was preparing to write to your Lop, having heard but two days before of your arrival with your dear Lady at Dupplin./1 I rejoyced to hear that your journey and hers was safe and without any bad accidents. I am very hopefull the Divine Providence will continually watch over you both for good, and make you a mutual comfort and aid to each other.

My last from A.R./2 wch brought kind remembrance and salutations, to your Lop and those you know, made mention of M.S.M.'s /3 late illness wch in the opinion of all about her was like to have prov'd fatal, but was abated by frequent bleeding. It was an asthma attended with a sort of suffocation. Let us continually beseech our dear L.M./4 to prolong that precious life if it be his holy will for the glory of his Name and the advancement of his Kdom. I am expecting to hear again in a few posts, and if there be any thing material shall not fail to communicate it ; in the mean time I shall take care to forward your Lop's. The 7th of March we lost good Mr. Lister/5 who was taken ill but 5 or 6 days before, and to my great grief



1 Dupplin House near Perth, the home of Lady Deskford's family. Lady Deskford died and was buried here in 1722.

2 A. M. Ramsay.

3 " Ma sainte mère."

4 " Little Master."

5 One would like to know more of a man who seems to have taken such an interest in propagating the study of mystical literature. One can only guess his identity with John Lister, who was buried in the south aisle of Westminster Abbey on March 8, 1715 (v. Westminster Abbey Registers, p. 282). In the printed Register there is a footnote which says he was " only son of John Lister of Linton, co. York, Esq., by Jane, dau. and heir of Christopher Constable, of Great-Hatfield, in the same county. His age, according to the Funeral Book, was seventy-nine. His will, dated June 29, 1714, was proved 26 Apl., 1715, by his nephew Thomas Southby, of Birdsall, co. York, Esq., to whom he left his entire estate, and who was his sister's son." His will is in Somerset House and expresses his desire to be buried in the Abbey. A curious clause states that his nephew is to receive the rents of Linton, etc., " during my life to save and prevent all designing persons from taking or causing to take away my life." There are many small bequests, including a guinea to the clergyman of Wintringham (the parish church of Linton) to preach his funeral sermon. There is no allusion to a brother, and the above quoted footnote calls him " only son," which seems to cast some shadow of doubt upon our identification. It might also be doubted whether a burial would be likely to take place the day after death, but it is possible that Dr. Keith was a day or so out in his dating of the death. A " Mr. Lister " well known in London at the time, who survived this date, was Thomas Lister, M.P. for Clitheroe, who was chosen a Commissioner of the Public Accounts in 1714 with the highest number of votes (v. Commons Journals, June 18, 1714, p. 689).

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died without my having had an opportunity to see him. They say he gave strict orders to let nobody come to him, for I call'd three times but was not admitted. He was a truly sincere man and the greatest collector and spreader of spir. books in the whole Island. Tho he sold off many not long before his death, yet he has left behind him some hundreds still. At his brother's /1 desire I have shewn the catalogue of 'em to some friends, and to Munzie /2 among the rest who is much enclin'd to purchase many of 'em. There's one that offers to buy 'em all, if he does we must be content to let them go ; but otherwise I will endeavour to secure some of the most proper for your Lop. Munzie /2 gives his humble service to your Lop and laments his not having seen you at Edbr./3 L.F./4 and Mrs. K./5 salute also your Lop as do R.C./6 and Dr. Ch./7 the last sets out for the Bath next Thursday.

Ld. D./8 and his family are well. L.O./9 has been long expected in Town, but I do not yet hear that he is come. The reports about him are various. Some will have him to be in extreme danger, and serve not. A little more time will shew it. My prayers and best wishes are for him, for he has few fd's /10 and powerful enemies. Ld B.ke is retir'd /11 into France, so some say not only by the connivance but advice of some of the greatest ; his flight has injur'd his cause and encourag'd his accusers, who will certainly proceed to an attainder agt him. Violence and party rage are come to a strange height : and great calamities seem to be threatened. May it please God to prepare and fit us for suffering with patience and chearfulness whatsoever may thro his providence befall us and ours. I give my most affectionat service to Sr P.M./12 and shall do my best to obey his commands, when any thing comes forth that may be acceptable to him : but at present there's nothing doing of that kind. We may humbly say with St. Paul, we would have come (forth) once and again, but Satan hath hindred us. Let us pray that God would rebuke that evil spirit, and bruise him under our feet suddenly.

My D. Lord my spirit is often present with you before our bl. L.M. in union with our d. Mr./13 etc. and in a manner so intimate as cannot be suppress'd. Let us then continually rejoyce together in his holy presence, for his joy must be ours. Let us never stop at the many rubs that are thrown in our way or so much as bestow a reflexion upon them, but taking as little



1 Perhaps the " Mr. Lister " mentioned p. 118 ; and see above note.

2 Patrick Campbell of Monzie.

3 Edinburgh.

4 Perhaps 13th Lord Forbes.

5 Mrs. Keith.

6 Apparently Robert Cunningham : v. pp. Io5, 111, 13r.

7 Dr. George Cheyne.

8 Lord Dupplin.

9 Earl of Oxford.

10 " Friends."

11 Lord Bolingbroke fled to France March 26, 1715 v. Calamy, Hist. Account of my own Life, II, p. 311.

12 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

13 " Our blessed Little Master in union with our dear Mother " (Madame Guyon).

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notice of 'em as possible sink down into the Nothing,/1 where only our security lies, and there we shall be what He would have us. And as to melan./2 thoughts and pressures and multiplicities /3 of all sorts, Laisser tomber et outre passer /4 are Rules never to be forgotten. May our Lord be your strength and your all. I am for ever

Yours in him.

My humble duty to my Lady as

also to L.k./5 and the Cols

This is in hast. Adieu soyez.

To the Right Honble. The Lord Deskford at Dupplin House near Perth p. Edinburgh.




XV. Ce que j'ay prétendu, Mr. a été de vous inspirer une Oraison Libres…

[CG I pièce 445]

[Copy of letter from Madame Guyon in the handwriting of Dr. James Keith, sent to Lord Deskford and preserved at Cullen House. There is nothing to indicate for whom the letter was originally intended. Some expressions very closely resemble what we find in Madame Guyon's printed letters.]

Apr. 15. 1715.

Mr. R./1 m'a lû la lettre que vous avez pris la peine d'écrire. Ce que j'ay prétendu, Mr. a été de vous inspirer une Oraison Libres dont l'amour



1 This whole passage reflects Madame Guyon's constant teaching not to think about troubles, but to ignore them, and abandon self in God. Lettres, I, p. 450 " Soyons unies dans la petitesse et dans le rien, et par là nous serons unies à nôtre Tout " ; cf. Lettres, I, p. 463 ; Disc. I, p. 231. Cf. Fénelon, Letters to Women (Eng. trans. 1887), p. 219: " I entreat you to make yourself so small that you may nowhere be found " ; G. Garden, Apol. for M. A. Bourignon, p. 124 : " How can a Nothing do anything that's good ? Man in his Nothing was Nothing " ; A. Baker, Holy Wisdom, 2nd Treatise, sect. II, ch. xiii.

2 " Melancholy."

3 A common expression with Keith, and often used by Madame Guyon : v. p. 15a. It occurs frequently in Baker's already mentioned Holy Wisdom, e.g. pp. 31, 77, 93, 225, 239, 253, 281, 323, etc. V. also John Smith, Select Discourses (1660), pp. 413, 421 ; Vie de M. Renty, p. 295. Still earlier it may frequently be found in the works of Tauler.

4 For this favourite expression of Madame Guyon and of Dr. James Keith v. p. 93 and note. The expression " laissez tomber " is common in Fénelon also, e.g. Spir. Lettres (Oeuvres, Paris, 1861), I, pp. 535, 540 543, 544, 547. 552, etc.

5 Lord Kinnoull, to whose house the letter is directed.

6 No doubt Colonel Hay, son of Lord Kinnoull and afterwards the Jacobite Earl of Inverness. He sailed for France in October, 1715. V. D.N.B., etc.

7 A. M. Ramsay.

8 Cf. Lettres, IV, p. Ioo : " Que votre Oraison soit libre, plutôt du coeur que de la tête, plus d'afection que de raisonnement. Acoutumez-vous à entremêler vos afections d'un peu de silence."

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soit le principe, et qui parte plus du coeur que de la tête ; quelques douces affections mêlées de silence./1 Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher & à raisonner, j'ay voulu faire tomber l'activité de l'esprit par une foy simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur & simple, conforme à la simplicité de votre foy. Cela ne se fait pas par une tension de l'esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul excitant la volonté, par une tendance de cette volonté vers son Divin Objet. On est bien loin de vouloir vous donner des méthodes. Il n'en est point question pour vous. Ce seroit la même chose que de vouloir qu'un enfant déjà né rentre dans le sein de sa mère. Tous les livres sont pleins de méthodes, et ces méthodes sont très peu fructueuses. Elles servent à nourrir l'activité de l'esprit que la foy doit surpasser. L'esprit de l'homme naturellement curieux voudroit voir un système clair & net de tout ce qu'il tâche de concevoir. Il n'en est pas de même de l'oraison que des sciences. Il faut icy que le St. Esprit soit le maître, & s'abandonner à luy. Moins nous agissons, plus il agit, mais comme il ne demande que notre coeur, c'est à dire notre volonté, c'est donc par là qu'il faut aller à luy. C'est le plus court chemin. Le traité de la Réunion /2 en dit quelque chose. Le commencement des Torrens /3 en parle aussi. Mais pour ce qui vous regarde il ne faut que vous abandonner à l'esprit de Dieu, vous mettre en sa présence & rappeller cette présence par une petite affection lorsqu'elle vous échappe ; des retours fréquens en vous-même durant le jour, & prendre quelque tems plus long & plus marqué pour vous tenir auprès de Dieu, comme un enfant auprès de son père qu'il aime. Plus nous agissons simplement avec Dieu plus il est content de nous, et plus nous sommes contens de luy. Quand on a un si bon Guide on n'a pas besoin de demander une route particulière. Il a tant été écrit sur ces matières qu'il est inutile d'en dire d'avantage. Je ne le fais que pour vous marquer combien je vous suis devouée en J-Ch.

Plus nous agissons simplement avec Dieu plus il est content, et nous devons travailler à le contenter & non à nous satisfaire nous-mêmes. C'est pour celà que J-Ch. a dit, Si vous ne recevez le Royaume de Dieu /4 comme des enfans, vous n'y entrerez point. Ce royaume est l'Intérieur. L'expérience en apprend plus que toutes les théories du monde. Et j'ose même dire que sans expérience non seulement on ne peut écrire solidement de choses intérieures, mais même les bien goûter & les bien comprendre en les lisant.



1 Cf. Lettres, IV, p. Ioo.

2 Madame Guyon's La voie et la réunion de l’âme à Dieu, issued by P. Poiret in the second volume of Les Opuscules spirituels, 1712. Cf. Lettres, IV, p. 509.

3 Madame Guyon's Les Torrens spirituels reissued by P. Poiret in the first volume of Les Opuscules spirituels, 1704. The Torrents and the Short Method of Prayer are Madame Guyon's best known works.

4 Cf. Lettres, V, pp. 2, 49.

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Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous, dit J-Ch. Il dit ensuite, Cherchez le Royaume de Dieu & sa justice./1 C'est donc en nous qu'il le faut chercher. Lorsqu'on l'a trouvé on trouve sa Justice. C'est qu'on voit les oeuvres de cette divine Justice comme elle fait tout en l'âme pour détruire l'amour-propre & restituer à Dieu nos usurpations, alors tout nous est donné par surcroît. Il faut renoncer à nous-mêmes, et c'est par là qu'on parvient à la bienheureuse pauvreté d'esprit.







XVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Aug. 41h, 1715.

MY LORD,

I had the honour of your Lop's of the 23d past and am this night to forward the annex'd. I could not do it last post because J.F./2 and Mr. R./3 who were to write to their Br./4 could not then and the delay was well enough for last night we had letters from M.F./5 with kind salutations to all friends. M.S.M./6 has been again tender of late, but is better at present. R./7 goes from thence next Octobr. to be tutor to a young Gentleman a friend of the B. of Metter's./8


1 Cf. Lettres, V, p. 20 : " . . . parce que c'est par elle qu'on aprend la véritable justice, qui arache tout à la créature pour restituer tout à Dieu. . . . C'est par elle qu'on obtient la pauvreté d'esprit, et qu'on parvient à cette sainte haine de nous-mêmes. . . ." (Discours II, " de la voie intérieure ") : v. also Discours Chrétiens, I, p. 7o.

2 James Forbes.

3 Not identified. Had A. M. Ramsay perhaps a brother in London ? In connection with his Will some one of the name of Michael Ramsay is mentioned : v. Cherel, Fénelon, p. 75. A. M. Ramsay was not in the habit of using any middle name in his letters, and it seems unlikely that he had any right to it. Perhaps, however, Michael was one of the family names, and possibly that of a brother. David Hume, the philosopher, was acquainted with a Michael Ramsay, who was known to the Chevalier. Hume's correspondence includes several letters which show him to have been in Edinburgh in 1732, and in Paris in 1739 : v. Letters of David Hume (edit. Greig, 1933), I, pp. 12, 29.

4 " Brothers."

5 Master of Forbes : v. pp. 95, 97-

6 Madame Guyon.

7 A. M. Ramsay, who became tutor to the young lord de Sassenage, v. Cherel, Fénelon, p. 56.

8 Baron de Metternich, the leading German adherent of Madame Guyon. Died i731. Mentioned pp. 141, 16o, 222, etc. Many letters written to him by Madame Guyon are amongst those in the published collection : Lettres, V, Index, p. 629. A hand-written copy of part of B. de Metternich's own " treatise concerning the perfection of happiness that is to be attain'd in this life " is among the documents preserved at Cullen House from Lord Deskford's time. The German original, Die stete Freude des Geistes (1706) is characterised by Poiret in Bibliotheca Mysticorunz (1708), pp. 295 f., 307, the author being named Hilarius Theomilus. The Baron had previously been a Philadelphian, and had translated into German the Theologia Mystica of Dr. Pordage. On Pordage and his associate Jane Leade, v. Poiret, op. cit., pp. 174 f., 186 ; also D.N.B. and Walton,

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I rejoice to hear of your Lo: and my Lady's wellfare. I hope the child/1 is well also. I commit you all to the all-wise and all-powerfull influence and conduct of our dear L.M. Our lot is fain in very dangerous and trying times. But let us lift up our heads and rejoyce, knowing that He in whom we have believed is faithfull and true, and will not suffer us to be tempted above what he gives us strength to bear. Let us labour to keep our Hearts clean and our hands and spirits pure and disengaged./2 Let us ever be found Watching in the way of our duty ; then let what will come and wellcome ; it can neither surprize nor hurt us. He that believeth sees within the vail and therefor shall not make haste. He lives and walks by Faith, and cheerfully submits to everything that happens. He will not enquire into the times and the seasons of executing Justice or bringing deliverance, but he sees that the cup is almost full, that men's hearts are hardned to a mighty degree, that they are bringing the scourge upon their own backs, and will be the instruments of their mutual destruction. When one considers those things his heart mourns and is ready to break. But what we have to do is to look unto the Lord and wait from the God of our Salvation. He will hear and save us.

In a time of general perplexity and distress the sober, the pious and the good one way or the other must suffer also. Their principle is to submit to all Powers and Governments, as Chrt. and his dples./3 did, and to disturb none ; and yet they must be suspected and accounted enemies, persecuted and imprison'd it may be for not doing and saying as others do ; but let them rejoyce in this also, knowing that thus too they must fill up their share of the sufferings of Xt. in the flesh./4 May his H. Sp. of Faith, Love, Power and

Memorials of Wm. Law. Wodrow (Analecta, IV, p. 148) attributes to Metternich a book de Ratione Fidei, by which he means the Fides et Ratio collatae issued by Poiret in 1707. His view of the authorship is confirmed by the letter of Jas. Cunningham to Dr. George Garden (M.N.E., p. 222). This is interesting, as Poiret himself says nothing of it, and it is evidently unknown to Wieser (Peter Poiret, p. 1o5). Wodrow (Analecta, III, p. 473) says : " The Barron Metenish, or some such name, a counselour to the King of Prussia, who, by our publick prints, about a moneth ago was converted to Popery, was a notted disciple of Poiret's, and the step is certainly very easy from his opinions to Popery. The Papists designed by Burignion and Poieret secretly to insinuat the refined mysticall Divinity into Protestant countrys, where their emissarys had litle or [no] acces." Metternich was a friend of Lord Forbes of Pitsligo. V. also Allgemeine Deutsche Biographie, XXI.



1 A letter from Lord Deskford to Wm. Lorimer, May 2, 1715 (Cullen House), says : " On Saturday my wife was safely brought to bed of a daughter."

2 Lettres, IV, p. 139 : " la foi qui est toujours jointe à l'amour rend l'esprit simple, pur, net, dégagé d'espèces " ; Discours, II, p. 289 : " le pur amour est nud, dégagé de tout " ; cf. II, p. 363 ; Lettres, I, p. 471.

3 " Christ and his disciples."

4 Life of Lady Guion (by herself), 1772 edit., p. 32 : " Such are the souls destined to be victims hereof and to fill up what is behind of the sufferings of Christ." Cf. Lettres,

IV, p. 385.

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a sound mind dwell in us and labour with us, that in all things and states we may be enabled to do and suffer according to his holy will !

My last to your Lop of July 26 was directed to the E. of Findl.'s /1 Lodgings, Edbr. I hope it came safe. In it I desir'd to know about what value the books I am to send should be; for I have the disposing of 'em all. Munzie /2 who returns his most humble service to your Lop has not yet sent off his books, but designs to do it as soon as he gets time, and has promis'd to give me timely notice. What I shall send to your Lop shall be Latin or French ; and with all an Italian Gram. and Dictionary with one or two little ones for exercise wch you have in other languages. L.D./3 with My Lady and family are going in a few days to their House near Doncaster. I can never find an opportunity of talking with him. L.O./4 continues still very ill and weak, and much emaciated by reason of the disorder of his stomach and frequent vomitings; but I'm told he has been easier these three or four last days. One you know was an hour with him last week and was rejoyced to hear him express himself with all possible Submission and Resignation /5 to the Divine Will, and declare that he would not change his present condition under all his sufferings with that of his greatest enemies, whom he heartily forgives. People's minds are still disturb'd and uneasy, hating and reviling one another. But no news of any real preparations for an Invasion, wch by some is counted absolutely impracticable as things stand, and that the danger is over. I say nothing.

My most humble service pray to my good Lady, as also to L.H./6 if still in Town. I shall be glad to have copies of the 2 good Letters./7 Mrs. T./8 who is this day gone with their family into the Country gives her most affectionat respects and good wishes to your Lop as J.F./9 also does. D.C.'/10



1 Earl of Findlater, Lord Deskford's father, the Chancellor Earl.

2 Campbell of Monzie.

3 Lord Dupplin. His country house was at Brodesworth, co. York.

4 Oxford had been sent to the Tower July 16, 1715, and remained there till July 1, 1717 : v. p. 145. His son-in-law Dupplin followed on Oct. 13, and was a prisoner till May 25, 1716: v. p. 123.

5 Cf. Hist. MSS. Corn., Port. MSS., V, pp. 529 if. : a note of the letters written by E. of Oxford in the Tower, " filled chiefly with expressions of pious resignation to his state."

6 E Lord Haddo : v. pp. 75, 104, 119, 14o, 175, 185.

7 We find many cases of religious letters copied and circulated amongst the group.

8 Not identified : cf. pp. III, 127.

9 James Forbes.

10 Dr. Cheyne : v. Introduction. Before finally settling at Bath Dr. Cheyne used to spend the summers there. In the present writer's cop)? of Theologiae Pacificae (1702) (including Poiret's Latin edition of Garden's Comparative Theology) there is written on the fly leaf in Cheyne's handwriting : " Direct for Dr. Cheyne at Bath till the end of Octr at Mr. Skine's apothecary, after that for him at London to be left at Old Man's Coffee House near Charing Cross. Westminster," the reference being to certain of Poiret's books and G. Garden's Apology for M. A. Bourignon.

104

is still at Bath. His spouse came last week to Town. R.C./1 and Pell /2 also salute your Lo. and I am ever,

Your Lop's, etc.

I here send the little gold-beater's skin I have by me but shall get more by next time I write.

To The Right Honble. The Lord Deskford at Mr. Fraser's in Carubber's Close,

Edinburgh.







XVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Aug. 6th, 1715.

MY LORD,

Last night I had the honour of your Lop's of July 30th, and take this first opportunity to acknowledge it. My last to your Lop was of the 4th inst. two days ago, directed to Mr. Fraser's ; as a former therein mention'd was to the Earle's Lodgings. I hope both have come safe. I rejoyce to hear of your Lop's health, and that you are cheerful and easy. A total Resignation to the Divine Will /3 in all estates and circumstances outward and inward will certainly bring and preserve that solid Joy and Peace /4 wch the world neither knows nor can deprive us off. The Spirit of Faith in God and a continual attention of Love to him ministers also the truest prudence even in the most perillous times. Our Bl. Savr. who is our Life, our Wisdom and pattern did not commit himself to Man, because he knew



1 Perhaps Robert Cunningham whose name sometimes appears in association with that of the E. of Oxford. V. for example Hist. MSS. Com., Portland MSS., IV, pp. 64, 566, etc. ; X, p. 307 ; also ibid., VIII, p. 299, where a letter from Professor Stirling of Glasgow to " Robert Cunningham in Wyan Court in Great Russell Street near S. Giles' Pound," entreats him to do the favour of waiting on Mr. Secretary Harley and making certain representations to him. " Robert Cunnyngham, esq. Secretary to the Governor of Jamaica," is mentioned in Bowyer, Lit. Anec., VI, p. 81,as a member of the Gentlemen's Society at Spalding in 1726. V. pp. 99, 1o6, etc.

2 Not identified. There were several of this name in the period.

3 V. p. 161 n., pp. 107, 127, 142, etc. Cf. Lettres, IV, p. 84 : " Un abandon entier 5, la volonté de Dieu " ; Discours, II, p. 41 : " se résigner à. la volonté de Dieu pour tout ce qu'il fait et qu'il permet " ; Lettres I, pp. 304 f. " ne vouloir agir que par la volonté de Dieu . . . pour le dedans . . . recevoir extérieurement touts les petits dégoûts . . . qui arrivent dans l'état oû Dieu vous a mise."

4 Cf. Lettres, IV, p. 26o : " cette paix sera solide."

105

what was in Man. A lesson never more necessary than now. He knew the world well who recommended these three words to his friends' practice, fuge, tace, quiesce./l

As to what passes here, the publick accounts will acquaint you. One cannot avoid hearing many private reports and publick clamours if he converses at all with them. But I never counted them either worth hearing or relating. I rarely write News wherein the publick is concerned and never desire to receive any. Non loquahtur os meum opera hominum./2 I have spoken to R.C./3 to get Pell /4 to write to your Lop for 'tis probable business will call me out of Town in a little time and for this reason J. F—s/5 who gives his humble service to your Lop desires that for 3 or 4 posts after this comes to hand any Letter for J.K./6 may be directed to him at Mr. Moon's in Monmouth Court, Hedge Lane, near Charing Cross. Most Letters they say are opened,/7 as your last seem'd to have been.

I saw L.D./8 yesterday. He goes into the Country he told me next Tuesday with the Children, but my Lady who is within 6 weeks of her time does not go. My humble service to L.K./9 tell him what I long appre hended is come to pass, but people were too wise. L.O./10 is still weak but easier. I'm told the D. of Montr— laid down yesterday, and that Ila is to succeed him./11 Lord give us help from trouble, for vain is the help of Man.

I commit you and yours My Dear Lo: to the guidance and protection of L.M. May He be our strength and our all ! /12 We are in perils of all kinds..



1 Arsenius, an anchorite in the desert of Scetis c. A.D. 440 (Cath. Ency., I, p. 754 Baring Gould, Lives of the Saints, July, part II, pp. 446 ff.). The expression here given is from the account in de Vitis Patrum (pub. 1628) ; v. Migne, L.P., LXXIII, p. Sot, Madame Guyon quotes the Latin form in Discours, Vol. I, p. 264, and the whole discourse (no. 37) has this for text : v. also Disc., I, p. 157.

2 Psalm xvi, v. 4 (Vulgate) : " ut non loquatur os meum opera hominum." The A.V. (Ps. xvii, vv. 3, 4) reads differently.

3 V. p. 105. '

4 Ibid.

5 James Forbes. 8

6 Dr. James Keith.

7 A hint of the political suspicions of the times.

8 Lord Dupplin : the Hist. Reg., 1715, notes the birth of a son on Sept. 14.

9 Lord Kinnoull. V. Tindal, op. cit., p. 408 ; Rae, Hist. of the Rebellion (2nd edit.), p. 208. The allusion may be to the coming Rebellion. The Earl of Mar Ieft London secretly on August 2. The Jacobite standard was raised on Sept. 6. Lord Kinnoull had Jacobite sympathies and was arrested.

10 The Earl of Oxford, now in the Tower.

11 The Duke of Montrose had become Secretary of State in place of the E. of Mar and he and the E. of Islay (afterwards 3rd Duke of Argyll), the Lord Justice General, had much responsibility as the Government's chief representatives during the Jacobite Rebellion. V. Campbell, Life of Argyle.

12 " Que Dieu vous soit toutes choses " : a common expression of Madame Guyon, v. Lettres, IV, pp. S4, 78, 182, 184, 191, 225, 35o, 501, 506, etc

Let us remember one another in union with our Dear M.S.M. before him.' Come what will let us think, speak and walk in his spirit and in his presence.' Adieu.

To The Right Honble. The Lord Deskford at Mrs. Romes in the

Parliament Close, Edinburgh.




XVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

AUG. 30, 1715.

'Twas with uncommon concern My D./3 Lord that I heard last night the news of your confinement,/4 and therefor can't forbear taking this first opportunity to enquire after your health and circumstances, and withal to pray your Lop to be easy and chearfull under them. Nothing of this kind happens by chance. The Reason of the thing may I suppose be a mystery to yourself as well as to me, but I am confident our L.M./5 will support and comfort you at present, and work in you those salutary effects wch you will feel afterwards. Unite your self to him in the strongest ties of Faith, Love and Resignation, and he will be your Strength and your All./6 My Sp./7 is continually with you in union with our dear M./8 and I firmly believe that God will save his servant and strengthen the son of his handmaid. My last to your Lop was of the 18th with one enclosed from her./9 I hope it came safe tho directed to Mrs. Romes. I write to her next post and acqnt them with what has happen'd. The noise of company will be most of all disturbing, but be not troubled, a little Introversion /10 sets all right.


1 Cf. Lettres, IV, p. 41 : " Croyez moi toute à vous dans notre cher et divin petit maitre " ; IV, p. 129 " Je ne vous oublierai pas auprès de lui " ; II, p. 290 ; IV, p. 306, 310, etc. M.S.M. is " ma sainte mère."

2 V. p. 76.

3 " Dear."

4 Lord Deskford was arrested on suspicion of complicity in the Jacobite plot : v. Introduction ; also pp. 90, 109. Interesting letters and documents referring to the matter and preserved at Cullen House are published in Grant, Records of County of Banff, pp. 302-7. Also Tindal, op. cit., p. 408 ; Rae, Hist. of the Rebellion (2nd edit.), p. 208 ; Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, p. 518.

5 " Little Master."

6 A common expression of Dr. Keith : cf. pp. ioo, Loti, 129, etc.

7 " Spirit."

8 " Mother " (Madame Guyon) : cf. p. 28.

9 This letter and the enclosure appear to be missing. lo V. pp. 83, 16o.

107

Sr. Ja. Campbell of Arkindlass /1 about a fortnight ago recd. of Mr. Dunlop /2 gold watch for Dr. Geo. Garden, wch he promis'd to deliver to Mr. Will Mongomery /3 Marshall to the Exchequer to be put into your Lop's hands in order to fonvard it by a safe bearer to the Dr. If your Lop has heard nothing of it, pray please to send one to Mr. Mongomery /3 about it. In hast I commit you my D. Lord to the protection and commerce /4 of L.M. My heart is with you. Let me have the comfort of hearing from your Lop thro' the same channel that this comes to you. Adieu. Adieu.

I am at present with Munzie /5 who salutes your Lop most affectionately as does J.F./6 etc.

To The Right Honble. The Lord Deskford.



1 Head of an important family of the Clan Campbell. He died in 1752 aged 86. V. F. J. Grant, Index to Genealogies, etc., p. 8.

2 Andrew Dunlop, watchmaker, London. V. further references to this gold watch and others, pp. 109, 131, 141, 144, 165. Dunlop became a member of the Clockmakers Company of London in 1701 and his work is mentioned in Britten, Old Clocks and Watches and their makers (2nd edit.), p. 598. A fine grandfather clock made by him with brass dial is still in the possession of the Tailor Incorporation, Trinity Hall, Aberdeen. Dunlop was a Guild Burgess of Aberdeen (Misc. of New Spalding Club, II, p. 481), having been admitted July 12, 1700, along with Mr. Alex. Dunlop, minister at N unnington, York (y. article by present writer in " S.N. & Q.," Jan., 1933), and Mr. John Dunlop, formerly minister at Skene, Aberdeenshire (Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit, VI, p. 74) . The three were sons of Mr. Ludovic Dunlop, minister at Skene, who died 1691 (F.E.S., VI, p. 74). Their mother was a daughter of William Douglas, Professor of Divinity at King's College, Aberdeen, 1643-66 (v. F.E.S., VII, p. 370, with many errors : v. also article by present writer in " S.N . & Q.," Apr. 1929). The Douglas pedigree is interesting and distinguished. The Dunlops were keen Episcopalians. Andrew Dunlop, the watchmaker, was College bred, being a fellow student and intimate friend of Thomas Ruddiman, the celebrated grammarian and librarian, Jacobite and Episcopalian, who is himself mentioned in these letters ; v. pp. 128, etc. (Chalmers, Life of Ruddiman, p. 15). In Chalmers's manuscript collections for this work (National Library of Scotland, Edinburgh) a somewhat fuller reference appears (several versions) in an account by G. Reid, Ruddiman's nephew : " He often mentioned several of his fellow students, but none is remembered by name but Simon Fraser of Beaufort, afterwards Lord Lovat, who was then a full-grown man acid at the head of every mischief then going on, while he was but a boy ; and Mr. Dunlop, the famous watchmaker, who after a great many years' absence came to visit his native country, and made him a present of a silver watch, which after his death I got as a remembrance of my uncle from his worthy relict." An interesting manuscript in the hands of A. T. McRobert, Esq., describing a journey to London in 1729, mentions Dunlop the watchmaker, then living in Spring Garden, as the son of L. Dunlop and the brother of John Dunlop, ministers at Skene.

3 V. Chamberlayne, Present State of Gt. Britain, 1716, p. 698. 'William Montgomery was a member of the Faculty of Advocates, having been admitted 1706. Omond, Lord Advocates of Scotland, II, pp. 73 ff., speaks of him and says that he, " coming to the bar with no fortune but his brains, had risen to a respectable rank in the profession. He claimed to be a cadet of the Ayrshire family of Macbie Hill." He was laird of Coldcoat, in the county of Peebles. His son William became a Baronet and an Irish M.P. A younger son, James, became Lord Advocate and later Lord Chief Baron of Exchequer.

4 Lettres, II, pp. 468 f.

5 Campbell of Monzie.

6 James Forbes.




XIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Septr. 17th, 1715.

Two nights ago My Dear Lord, I had the honour of your most agreable letter of the 8th. It was most refreshing and wellcome to me, and the more that it was so long and so earnestly expected. The news of your liberation /1 gave me fresh occasions of praise and thanksgiving ; as indeed in some respects that of your confinement did./2 He has promis'd to be with us in trouble, and to deliver us, that we may glorifie him. The Liberty He calls us to and that we groan after is that of the Sons of God ; a deliverance from all our bands and chains, and from every affection and defilement that is unworthy of his holy Presence, and that hinders him from living /3 and resting and enjoying himself in us./4 This also is his work, and we know he is faithfull and true and will do it. He will bring our souls out of prison that we may praise his Name, and will preserve our Life from death, our eyes from tears, and our feet from falling. I acquainted M.S.M./5 with what happen'd to your Lop and when the answer comes shall communicate it. In the meantime I here send you /6 a copy of the last to me, not doubting but it will be acceptable.

Munzie /7 has recd. the box of books for your Lop and will carefully transmitt it with his own. The Catalogue shall be sent by J. F. /8 who is going down in a few days. I had the letter wch was directed for him, and shall remember the 12 Copys of each vol. of the Discourses and Letters /9 (as they come out) for your Lop, but nothing is yet determin'd about sending them hither.

I am glad your Lop has recd. the watch : /10 both Dr. G./11 and I were in some concern about it. Please to let me know p. next how to direct, for Munz./12 by whose care this and the last went, talks of leaving this place


1 Lord Deskford was liberated from Edinburgh Castle early in September. A letter of Sept. I, 1715, from the Bishop of Edinburgh to a friend in London (Lib. of Scot. Epis. Coll., Edin., 1835) mentions the order to set Lord Deskford free on bail and says " there are only now in prison the Earles of Wigton, Hume and Kinnowl."

2 Cf. Lettres, IV, p. 391.

3 Lettres, IV, p. 229 : " afin que Dieu puisse faire sa demeure en votre âme."

4 Ibid., p. 391 : " pour prendre en vous ses délices."

5 Madame Guyon.

6 V. no. xx.

7 Campbell of Monzie.

8 James Forbes, leaving London for Aberdeen to join the rebels : v. p. I13.

9 Madame Guyon, Discours chrétiens et spirituels, 2 vols., 1716, and Lettres chrétiennes et spirituelles, 4 vols., 1717-18. Note the considerable number of copies which Lord Deskford proposes to distribute. Two copies of this edition of the Discourses and one of the Letters still remain in the Library at Cullen House.

10 V. p. io8.

11 Dr. George Garden.

12 Campbell of Monzie.

109

next week. I give my most humble service to L. K./1 and S. P. M./2 My best wishes attend them. O/3 is pretty well as to his health but must keep his Lodgings all the winter. I saw D./4 yesterday and my Lady who expects her labour every hour. I give also my humble duty to my Lady and hope she bears every thing well. God help us all !

There was nothing of Surin /5 among those books but only the Catechism, nor a Rusbrochius ; /6 but there's Louis de Grenada's /7 works and Richd. de Ste Victore,/8 wch are sent. Most of the others are small and scarce. A few of the more common are added to be given away /9 as there shall be occasion, and of these some doubles. You have some of de Sales /10 Letters



1 Lord Kinnoull.

2 Sir Patrick Murray of Auchtertyre. V. Introduction.

3 Earl of Oxford.

4 Lord Dupplin : v. p. 106. Lord Dupplin was arrested and sent to the Tower on October 13.

5 J. J. Surin (1600-65), French mystical writer, a Jesuit whose strange career involved him in the exorcism of demons in the course of which he imagined himself to have become possessed. Bossuet calls him " un homme consommé dans la spiritualité " (Oeuvres, 1817, Vol. 28, p. 70z). The Catéchisme spirituel here mentioned was first published at Paris in 1661. His Cantiques spirituels de l'amour divin (1660) are mentioned p. 148 and were admired and quoted by Madame Guyon, v. Lettres, II, pp. 143, 332. Madame Guyon declares this book " m'a plus servi que tous les livres spirituels que j'aie jamais lûs." The library at Cullen House has the Dialogues spirituels (3 vols.), Paris, 1719. A MS. copy of the Cantiques deriving from the N.E. of Scotland is in the Scottish Episc. Coll., Edinburgh. For Surin, v. further Bremond, op. cit., V, chs. iv-vi.

6 Jan van Ruysbroeck (1294-1381), Dutch mystic. His complete works were published at Cologne in 1552. A modern edition contains twelve treatises. He has been the subject of numerous studies. V. Bibliography in New Schaff-Herzog Encyclopeedia of Religious Knowledge, Vol. X ; E. Underhill, Ruysbroeck (1914) and many refs. in E. Underhill, Mysticism (1911 and later editions) ; Vaughan, Hours with the Mystics (1856 and later editions) .

7 Louis of Granada (1505-88), Spanish mystic. A Dominican whose wide range of writings have been frequently republished. Catholic Encyclopedia, Vol. IX, says " Among the hundreds of eminent ascetical writers of Spain, L. of G. remains unsurpassed in the beauty and purity of his style, the solidity of his doctrine and the popularity and 'influence of his writings." V. Bibliography under L. of G. in C.E., Vol. IX. Peers in Spanish Mysticism, p. 4 note, mentions the large numbers of English translations of Louis of Granada about this period.

8 Richard of S. Victor (d. 1173), said to have been of Scottish birth. There are numerous editions of his mystical and other works. He was distinguished for an exaggerated allegoristic treatment of Scripture. V. Cath. Ency., Vol. XIII ; E. Underhill, Mysticism ; and Mystics of the Church (N.D.) ; Vaughan, op. cit. He is frequently quoted in A. Baker's Holy Wisdom (v. M.N.E., p. zoo).

9 Evidence of the propaganda work in which these mystics were engaged.

10 S. Francis of Sales (1567-1622), Savoyan noble, Bishop of Geneva, very popular devotional writer, his works including much essential Quietism. His Letters, says Fénelon, " are full of teaching and experience " (Fénelon, Letters to Women, Eng. trans. 1887, p. 79). Well known are also his Introduction à la vie dévote, and his Traité de l'amour de Dieu. A complete edition of his works appeared (23 vols.) 1892-1928. V. Bibliography in New Schaff-Herzog Ency. of Rel. Kn., Vol. IV. V. also E. K. Sanders, S. Francois de Sales (1928).

in Italian, and a few more wth 2 Dictionaries and Gram. in that Language. The greater part is in Fr. and Lat. and 5 or 6 in English. Some indeed are but indifferently bound, but as they are they may be us'd. There are several among them of various characters, wch we sometimes find usefull according to the different circumstances for our selves and/or others. The whole comes to about L10 3sh. I wish they may come safe and that your Lop may be preserv'd in health and tranquillity to use them. Munz., J.F., L.T., M/8.K., and R.C./1 send their humble service to your Lop.

I continue ever Yours in L.M.

To the Right Honble. The Lord Deskford at Edinburgh.




XX. COPY OF LETTER FROM MADAME GUYON TO DR. JAMES KEITH

[CG I pièce 448]

Ienclosed in his letter of Sept. 17 to Lord Deskford. Text according to Keith.]

Aug. 22, N.S. 1715.

A—D. K./2

J'ay toujours bien de la Joye, Mon Cher F./3 d'apprendre de vos nouvelles, et de celles de la bonne Mdlle. Fis . . ./4 Elle est bienheureuse que Dieu l'ait rendue digne de participer à la Croix de Son Fils. Je ne suis gueres sans incommodité: Le Maitre nous sçait tailler des Croix de toute arbre. O ! qu'il sçait bien les choisir et n'en point laisser manquer. Cette Croix est scandale aux Juifs, & folie aux Gentiles, mais pour ceux qui croyent, elle est le Vertu de Dieu. J. Ch. n'étoit il pas une pierre d'achoppement pour ceux qui ne croyaient pas ? Luy qui étoit une source de Vie et un fleuve jaillisant pr. ceux qui croyoient en luy. S. Paul ne dit il pas, Nous soies tous les jours pour l'Amour de vous comme des Agneaux qu'on mène à la boucherie ? Heureux ceux qui souffrent comme innocents & non pas comme coupables. Ceux qui savent se resigner avec joye à la Volonté de Dieu dans leurs peines sont heureux, quoique les hommes n'en jugent pas de la sorte, et lorsque la Conscience ne reproche rien, on a le Repos d'esprit dans les plus fortes attaques. Les hommes sont bien plus difficiles à contenter que Dieu, c'est que les hommes jugent sur des apparences souvent fausses, mais Dieu voit le fond du coeur.



1 Campbell of Monzie, James Forbes, Lady T. (cf. p. 127), Mrs. Keith, Robert Cunningham (cf. p. 105).

2 To Dr. Keith.

3 " Frère."

4 Madamoiselle Fissec, a correspondent, copies of some of whose letters are in the Library of the Seminaire de S. Sulpice, Paris : v. also Cherel, Fénelon au xviiie siècle, pp. 53, 162. Cherel quotes her description of herself as " anglaise, religieuse du p.m. dans le convent de son coeur."

Il y a ici de deux sortes de Jans. . . ./1 Les uns jurent tout ce qu'on veut, contre leur propre conscience, afin de se maintenir dans leurs benefices. Les autres au contraire ne veulent point jurer, crainte de se parjurer ; et je les estime d'avantage. Les uns & les autres ne font que caballer, s'agiter, soulever tout le monde ; ennemis jurés de la paix & de la verité. Il faut comme dit S. Paul, se soumettre à toute puissance. Les bruits, les soulevemens ne font que tout gâter. Je me souviens d'un Saint Evêque en Perse qui par un faux zele abattit un temple d'idoles & causa une terrible persecution aux Chrétiens./2

Il semble que nous soyons dans le temps descrit par le Prophete (Ezec. viii, 14, 16), où les femmes pleuroient Adonis ; & les vieillards tournoient le dos à l'autel pour adorer le soleil levant. Quand on envisage d'un coup d'oeil le monde entier, on ne voit que discordes & divisions, les hommes qui se déchirent les uns les autres ; les Torrens de l'Iniquité sout debordés par tout. Il est certain que les vrais serviteurs de Dieu, qui n'aiment que la Paix, sont à plaindre. Mais disons avec Maccabée (1 Maccab. ii, 20, 37). Mourrons dans notre simplicité,' et ne violons pas la Loy du Seigneur.

Helas ! que la simplicité est loin, et que cette loy eternelle de la Charité et de la Volonté de Dieu est loin de nos coeurs ! On ne s'attache qu'à l'apparence, et Dieu permet que nous soyons seduits & trompés par cette même apparence. La simplicité meprisée nous enfonce de plus en plus en Dieu. L'ame se trouve en sa place, lorsqu'on se voit regardé avec des yeux qui jugent & veulent penetrer, & qui s'aveuglent eux mêmes. Soyons les heureuses victimes de l'Amour & de la Foy, et Dieu nous donnera ces yeux d'aigle qui découvrent la mouelle du cedre /4 au travers de son écorce grossiere & impenetrable aux yeux de la Raison. Je suis très unie à vous en J. Ch.



1 Jansenists : v. Gazier, Histoire générale du mouvement janséniste (1923), I, p. 24o, etc. The Papal Bull Unigenitus was promulgated against later Jansenism in Sept. 1713 and after hesitation Louis XIV seemed at the date when this letter was written to be on the point of accepting it officially. The king died on August 3o. Fénelon was a most determined opponent of Jansenism : v. St. Cyres, Francois de Fénelon, ch. xi.

2 Bishop Abdas, A.D. 420, whose story is narrated in Theodoret., V, ch. 39 ; v. also J. Labourt, Le Christianisme dans L'Empire Perse, pp. 105 if.

3 Simplicity (like littleness), one of the qualities most necessary in the mystic. V. pp. 88, 96 ; Lettres, I, pp. 145. 175, 291, 388, 438, etc. ; Vie de M. Renty, pp. 326, 384. 425, etc. ; Fénelon, Oeuvres, I, pp. 368 ff., etc. ; Mirror of Simple Souls ; etc.

4 From the Vulgate version of Ezekiel xvii, 3 : " tulit medullam cedri." The A.V. has " the highest branch of the cedar." Tremellius and Junius read " Calamum summum cedri." The modern French Bible has " la cime d'un cedre." With the whole passage cf. Mirror of Simple Souls (13th century), 1927 translation, pp. 65 f., where not only the point about the cedar occurs, but the more important comparison of love and reason. The eagle-eye is a favourite figure and is to be found in Dionysius the Areopagite (de Coelesti Hierarchia, XV, § 8 (ligne)) and in Ruysbroeck (v. E. Underhill, Ruysbroeck, p. 153). It derives from Aristotle and Pliny.

112

La distance des Lieux ne fait rien aux Esprits./1 Je salue Md votre ep./2 et Mlle. Fiss . . ./3 ainsi que ceux qui appartiennent à J. Ch. Mais qu'ils sont rares. Tous veulent se posseder eux mêmes, c'est pourquoi il ne les possede pas.




XXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Nov. 5th, 1715.

MY DEAR LORD,

Your Last of the 27th past came safe to me and gave me a great deal of Joy. Thanks be to God for his great Mercies to you and to all his children. As troubles and confusions encrease so doth our Peace and Joy and Acquiescence in his holy will. Notwithstanding the interruption of our outward correspondence (wch thro various accidents may happen again) I have been favour'd with more of your Lop's agreable company than before : so true is it that the distance /4 of places signifies little to Spirits united in the common Centre./5 Our ven. M./6 remembers you continually. I had a letter from R./7 of the 5th wch speaks of her health and M.F.'s,/8 but none from either of them since that I sent by J. Forbes,/9 who went from this Sept. 28th by sea for Abd./10 I hope God has preserv'd him and brought him safe to his own house. I shall rejoyce to hear of his safe arrival. I sent also the Catalogue of the books by him, and am glad to hear they are come to your Lops hands. The money may be remitted only with your conveniency. As for the postage of letters 'tis not worth mentioning. I remember but two that came



1 Lettres, IV, p. 499 : " Vous m'êtes très présent en lui. La distance des lieux n'interrompt ni cette union ni cette présence lorsque'elle est en celui en qui tout est présent " ; IV, p. 577 : " J'espère que ni distance de lieux ni nulle autre diférence ne nous empêcheront pas d'être réunis dans ce divin objet, qui rend tous un en lui " ; cf. II, p. 52, etc. Cf. Letters of James Keith, letter of Nov. 5, 1715, immediately following. V. also Fénelon, Lettres spir. (OEuvres), I, p. 519: " Soyons donc unis par n'être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu sans ombre de distinction. C'est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble.514 C'est dans ce point indivisible que la Chine et la Canada se viennent joindre ; c'est ce qui aneantit toutes les distances." The same idea occurs elsewhere in Fénelon.

2 Mrs. Keith..

3 Mademoiselle Fissec : v. p. m.

4 V. letter of Madame Guyon printed above, and note I.

5 V. p. 93 ; cf. Fénelon, Letters to Women, p. 162 : " You will find her again in our common centre, the bosom of God." V. also M.N.E., p. 158 n.

6 Madame Guyon, our venerable mother.

7 A. M. Ramsay.

8 Master of Forbes, : v. pp. 95, etc.

9 James Forbes.

10 Aberdeen. Letters in the Stuart Papers, I, pp. 474, 475, show him in Aberdeen in December, 1715, active in the Jacobite interest.

113

to me, and as to the 1st vol. of Discourses,/1 I have not yet receiv'd any of 'em. I have had no letter from Holland these 2 months. They think I suppose 'tis an improper time to send them ; /2 but when I have talk'd with our friends here about the Number I will write again. I wrote to Dr. G./3 by Mr. Ja. F./4 and long to hear from him. Some good occasions have been neglected of sending me up the Life./5 I wish if there be any commerce with these parts, he could find a safe hand to convey it to your Lop, for then I might hope your Lop would light of one to transmit it safely to me.

I mightily approve of your Lop's retir'd way of living, wch. I'm sure is in all respects the safest and best. 'Tis what I also chuse and practise,/6 knowing it to be my duty and the will of God concerning me. Let us leave others to think and act as they please. I lament and pity them with all my heart. The children of L.I./7 whose kingdom is not of this world, must continually attend to his still voice, and faithfully abide in his presence. Here they sink down, and rest and lose sight of themselves and the world. Here they are sometimes taken into the enlargements /8 of God and into the Liberty /9 of his Chosen ; then if they cast an Eye upon the world and what is doing in it, they cannot help despising it as a very poor worthless thing. Ah poor mortals ! what are they doing and whither are they hurried ? What are they disturbing and destroying one another for ? /10 They do not consider, nor will they understand what the end of those things shall be. Let the dead in the meantime bury their dead, and let us think as little of 'em as we can, and above all let us carefully avoid entering into their Spirit, least we be entangled and hurt by it.

I shall faithfully communicate to our Ven. M./11 that part of your last and whatever else your Lop shall signifie in any other letter. If any one expects to find News or Politicks /12 in any of ours, he is mistaken : we leave all that to others whose business it is. Dr. Ch./13 and our friends are well and salute



1 V. p. log.

2 On account of the Jacobite disturbances, and no doubt the knowledge that some of the circle were involved.

3 Dr. George Garden.

4 James Forbes.

5 Possibly the manuscript of the Life of Madame Guyon by herself. In the Preface to the original French edition we are told that Madame Guyon " gave her manuscript to a nobleman amongst them who was returning to England."515 V. the later discussions regarding its publication, pp. 151, etc.

6 Dr. Keith goes out of his way to make it clear to any who may read his letter that this correspondence is not between Jacobites.

7 " Little Master."

8 Lettres, II, p. 518, 522, etc.

9 Lettres, IV, pp. 194 f., etc.

10 The 'Fifteen was now at its height, the rebels being in Kendal on the day when this letter was written. The surrender at Preston took place on the morning of the 14th. The disaster at Sheriffmuir took place practically at the same time, 13th November.

11 Madame Guyon.

12 Does he not protest overmuch ?

13 Dr. Cheyne.

114

your Lop with all possible affection ; as I do S.P./1 and all others with you, especially my dear Lady. My poor prayers are always for you and yours. I lately saw the person who recd. the good advice, but had no opportunity of saying a word to him./2 May it please God to open his ears to the voice of the present rod, and to speak to his heart the words of Life ! I wish the same blessing to them all with all my heart.

This comes by Munzie's /3 care, who gives his most humble service to your Lop. I am ever with all possible esteem and sincere affection.

My Lord,

Your Lop's most humble & most obedient servt.

To The Right Honble. The Lord Deskford.




XXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter of Pierre Poiret.]

Deer. 13th, 1715.

MY DEAR LORD,

Since my last /4 of the 4th wch I sent by Munzie /3 I have had the honour of your Lop's of the 1st with a ad. Bill. But the first having come safe and being now paid there was no occasion for the other. In the mean time it shew'd your Lop's great care in case the 1st had miscarried. I have lately written to A.R./5 and M.F./6 and with your Lop's kind love to them faithfully communicated what you desir'd. I saluted also our ven. M./7 in your Lop's name and recommended you and yours with those you mention to her powerfull prayers. Do not question but she and others remember you and them in the best manner they are Able. As soon as any answer comes, wch if mine goes safe may be reasonably expected in 2 or 3 weeks hence, I shall carefully forward it to your Lop. This evening /8 they will certainly unite with the angelick choir in wellcoming our Blessed L.M./9 with Gloria in Excelsis



1 Sir Patrick Murray.

2 The reference is obscure.

3 Campbell of Monzie.

4 Awanting.

5 A. M. Ramsay.

6 Master of Forbes.

7 Madame Guyon.

8 Christmas Eve abroad : cf. pp. 88, 133. V. Lettres, IV, p. 577: " Je vous prie de vous souvenir tous les vingt-cinq des mois que c'est la fête du divin petit maitre, et je fais dire la messe ce jour-là pour tous ses enfans, dont vous êtes un des principaux " : cf. I. 455 f., II, p. 448 f., IV, p. 29. The special stress on Christmas was connected with the cult of the Infant Jesus : v. p. 80.

9 " Little Master."

115

Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis ! May our Hearts be truly prepar'd for receiving and entertaining/1 him for ever ! In pace factus est locus ejus./2 May He alone be our Love, our Joy and our All ! May his holy Presence be our continual entertainment and delight. In the world, saith he, ye shall have trouble, but in me ye shall have Peace ; be of good Comfort, for I have overcome the World. He knows and thro' his Grace we know that we are nothing and can do nothing ; but we trust that He will be our King, our Strength, our Wisdom and Righteousness ; and that he will give us not only to believe in his name but to suffer for his Truth and thro' the power of his Holy spirit to rejoyce continually under all his providences concerning us. I have still a dread full prospect of judgments and sore plagues that are likely to fall on this sinfull people and nation, and blindness and hardness of heart is none of the least. When any people is rais'd up to scourge, to break down and to destroy, their work is not to shew Mercy, neither is there any such thing to be expected from them. There are Commissions given forth empowering certain persons to tender the publick oaths to all housekeepers and others in this city, and they say in the country too.

I was glad to hear of S.T.H.'s /3 health and tranquillity, pray please to give my humble service and best wishes to him and also to Ochtertyre./4 My hearty prayers are for them and all in distress. The prisoners about 200 came last Friday to Town,/5 but I do not hear that Mr. C. of B./6 is among them

I have just now recd. letters from Holld. with most affectionat salutations to all our dear friends both here and with you. Mr. P. prays—Puissions nous tous être un jour du nombre des Anges et Esprits bienheureux qui beniront & loueront eternellement le Seigneur. Sa sainte grace, protection benediction soient sur vous, sur tous les chers amis de vos quartiers, et particulierement sur nos chers frères d'Ecosse, entre lesquels je mentionne



1 Cf. pp. 76, 133 : v. also T. à Kempis, Imitation of Christ, Part IV, chs. 1 and 3.

2 Psalm lxxv, verse 2 (Vulgate) : " Et factus est in pace locus ejus." Quoted also A. Baker, Holy Wisdom, 3rd Treatise, sect. iii, ch. vii, § II ; also Tauler, Opera O,nnia (1615), pp. 228, 31S, 62o, etc. ; and v. Bremond, op. cit., VI, p. 221.

3 Sir Thomas Hope of Craighall : v. p. 77.

4 Sir Patrick Murray.

5 Cf. Calamy, Hist. Acc. II, pp. 331 f. ; Diary of Countess Cowper, pp. 61 f : Patten, History of the late Rebellion (1717), pp. 132 ff. These were some of the Jacobites captured at Preston (Nov. 14).

6 James Cunningham of Barns, Fife. His name occurs occasionally in these letters, but discussion is reserved till the French Prophets with whom he was deeply involved are treated at length with special reference to Cunningham's correspondence with Dr. George Garden ; v. pp. 191 ff. He was a Jacobite and actively involved in the 'Fifteen Rising. Certainly he was taken prisoner at Preston (Lancashire Memorials of 1715, p. 16o). His name does not occur in the list of those sent to London (ibid., p. 186), and it would appear that he was sent to Chester and died there (v. M.N.E., pp. 134, 139).

7 P. Poiret : Introduction.

116

notamment notre bien aimé M.G.G. and M. son frère./1 Le bon Ange du Seignr. soit à l'entour d'eux & les guarantisse de tout mal en ces tems perilleux. Amen !

Mr. Homfeld /2 writes that the 2nd vol. of the Discours Spirituels /3 is also finished, and that the two vol. wch contain about 66 sheets will be sold to the subscribers for 33 dutch stuyvers or 1 guld. 13 styv.

The Instruction d'une Mère à sa fille /4 is printed by way of Preface to the 2d vol. and so order'd that it may also be sold apart at 2 styv. being about 4 sheets. He says the Letters 5 which are now revising will follow next, and will make several voll. but withall that Mr. Vetstein proposes to print the most excellent verses sur les Emblemes de l'Amour divin de Voenius, wch your Lop has, and also those sur les Emblemes de Herman Hugo ;/7 and in order to this, to have all the figures of both engraven anew. He guesses that these last wch contain 47 figg. will come at least to 2 Guld. and that the first wch has about 6o will come to more, and in fine desires to know whether this



1 Dr. George Garden and his brother the Professor : v. pp. 14, 17. An indication of the important position the Gardens held as leaders of the Quietist movement in Scotland.

2 Frequently mentioned in the Letters in connection with the dispatch of books from Holland. He was associated with the Wetsteins and shared their mystical religious outlook : v. pp. 124, 138, etc. V. T. L. Wetstein's letter quoted Remains of John Byrom, Vol. II, pt. ii, p. 473. He was a correspondent of Madame Guyon and a number of her letters to him are in the published volumes : v. Lettres, Vol. V, p. 63o.

3 V. pp. 109, etc.

4 By Madame Guyon. A transcript of this work is among the manuscripts at Cullen House, and dates from Lord Deskford's time. An English translation was published in 1720: v. p. 167 n.

5-V. p. 109.

6 This most interesting man is Johan Heinrich Wetstein (1649-1726), scholar, publisher and printer at Amsterdam. For a full account of the firm and family v. Kleerkooper en van Stockum, De Boekhandel te Amsterdam. V. also Biographie Universelle, Vol. 46, p. 694 ; Bayle, Oeuvres diverses, IV, p. 765 ; De Navorscher, 1866, pp. 97 f. ; Ledeboer, Alfabetische Lijst der Boekdrtckkers ; M. Wieser, Peter Poiret, pp. 136, 325 ; etc. He belonged to an old Swiss family and was grandson, son and brother of distinguished theologians. Bayle says " un peu prévenu des opinions des mystiques." Poiret had been his French tutor and later wrote of him as " a friend of truth and at the sanie time my friend." He published a number of Poiret's works and the works of Mme. Bourignon as well as those mentioned in the Letters. He was well acquainted with Dr. George Garden and Dr. James Keith. He had been trained in the business of the Elzevirs and his firm really took the place of that famous house when it declined. The publishing establishment was in the Kalverstraat. V. also p. 124, etc.

7 Published Cologne 1717 : L'Amante de son Dieu, representee dans les Emblèmes de Hermannus Hugo sur ses Pieux Désirs, et dans ceux d'Othon Vaenius sur l'Amour divin. Avec des figures nouvelles, accompagnées de Vers, qui en font l'application aux dispositions les plus essentielles de la Vie intérieure. V. pp. 134, etc. V. for Vaenius, p. 525 n. A curious English version by Arwaker, of which several editions appeared from 1702 onwards, has the 47 plates, but makes alterations in the text of the Pia Desideria, substituting, for example, King Charles I in place of Menelaus.

117

undertaking will be acceptable to our friends here ; and particularly what number of the above mentioned 2 voll. shall be sent into Scotld, and to whom they shall be directed. I am to write next post but cannot advise anything as to this. But tho' we are at present in a very broken Condition, and may probably ere long be more so, I design to send at first for 50 setts of these ; and withal to encourage their going on with all the rest. Your Lop I remember mention'd a letter or two you have read wch I have not seen./1 Please to take Munzie's /2 advice about the way of sending them to me. My kind love to that worthy Gentleman and his Lady, to Mr. Falcr./3 etc. All your friends here salute your Lop with great affection and I am ever in the sincerest manner Your Lop's most obed. humble servt. My humble duty and best wishes attend my dr. lady.

To the Right Honble.

The Lord Deskford

Edinburgh.




XXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

March 1./4

MY DEAR LORD,

I have just time to let your Lop know that I had the honr of your dear letter of the 17th past with the Bill of L 4 18sh. 6d. wch Mr. Lister /5 paid at sight. I hope by this time the box with the things is come safe to hand, and that they are such as My Lady desir'd. Last week I had a few lines from the M. of F./6 in wch he signifies his intention to return to Britain in the summer on acct. of his brother's /7 circumstances and yesterday his father /8 told me he had written to him two posts ago to come over presently.


1 Interesting letters from Madame Guyon, etc., were circulated. Of some several copies exist.

2 Campbell of Monzie.

3 Mr. Falconer. This seems most likely to refer to Alexander Falconer, advocate, second son of Sir David Falconer of Newton, Lord President of the Court of Session. He married the Countess of Erroll and took her name of Hay, under which he may be mentioned pp. 175, 181. She was an extremely keen Jacobite. Of Falconer a friend wrote to the Earl of Mar in 1718 (Stuart Papers, VI, p. 356), " I know him well and am fulls' persuaded of his good intentions, capacity and great integrity." In the Letters both here and on p. 131 his name occurs in connection with that other advocate, Patrick Campbell of Monzie, who was apparently a friend.

4 No year is given, but the reference to George Garden's imprisonment shows that the letter belongs to 1716.

5 V. p. 99.

6 Master of Forbes.

7 James Forbes. The Rebellion having collapsed the situation of such as James Forbes was serious. In the autumn he escaped to Holland.

8 William, 13th Lord Forbes, then in London, where he seems to have remained till his death in July : v. p. 123. He had taken the side of the Hannovarians. V. G.E.C., Complete Peerage.

118

The melancholy acct. of G.G.'s being imprison'd /1 was very afflicting to me, but I am hopefull that our good God whose he is will be with him in trouble and will graciously support and deliver him. I have a mind in a post or two to write to Ld. Haddo,/2 who I know will do his utmost. There's hardly any one here one can speak to or trust. The great matter at first is to get any prosecution put off till a general course is taken with all in the like circumstances. No disposition to mercy appears yet, and all that seem enclin'd that way either are or will be disgraced. They will go on till their work is done, and all attempts to disturb or break them will come to nought. God governs the world : let us always rejoyce before him. Your Lop hinted to me that your head and stomach were out of order. A gentle vomit now in the spring may be proper. I pray God to preserve and support you outwardly and inwardly. My humble duty and wife's attends My Dear Lady and all yours. I salute Ld. K. who is now I hope at liberty /3 as also Sr P.M./4 not forgetting Mr. Ro. K./5

I remain always

Your Lop's most obedient humble servt.

To The Right Honble. The Lord Deskford.


1 Dr. Garden imprisoned as a Jacobite : r. Introduction. A letter from Benholm near Montrose on April 11, 1716, reported that " on Friday last, passed by this place, under the guard of a party of horse and some Swiss foot about the number of twenty-eight prisoners, among whom was Doctor George Garden " (Wodrow, Correspondence, II, p• 144). V. pp. 120, 131.

2 F. P. 75.

3 Earl of Kinnoull was soon released.

4 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

5 Probably the future Bp. Robert Keith, one of the best known of the Scottish Episcopal leaders (1681-1756). He was connected with the family of the Earls Marischal. In 1712, when abroad as tutor to the Earl of Erroll, he met Pierre Poiret. From 1713 he was settled as an Episcopalian clergyman in Edinburgh. He had assisted George Garden with the translation of


part of the Diary of John Forbes of Corse into Latin, and was well known to the whole group, including A. M. Ramsay who wrote familiar letters to him. Among his intimate friends was Thomas Ruddiman (y p. 128). His interest in mysticism is evidenced by the translations of Thomas à Kempis which he issued in Edinburgh : cf. p. 186. V. Biographical sketch by Lawson in R. Keith's Affairs of Church and State in Scotland (Sp. Socy), 1844 : also sketch of Keith's career by Bp. Russell in R. Keith's Hist. Catalogue of Scottish Bishops ; D.N.B. ; Scots Magazine. XIK, etc. V. article by present writer on Bishop Robert Keith and Thomas à Kempis in S.N. & Q.," May, 1933.

119





XXIV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

March 6th./1 [1716]

MY DEAR LORD,

Since the few lines of the 1st wch I writ your Lop under Munzie's /2 cover, I have recd the inclosed wch I'm sure will be very wellcome and acceptable to you. The Ven. M.S.M./3 tells me her health is now better than it has been for some years past. May it please L.M./4 to continue it to us for the Glory of his name, and the good of his poor Children.

I beseech your Lop to take care of yours. To remove the heaviness and aching of your head a gentle vomit may be of use to you ; but if it is attended with thirst and feaverish heats, be sure to take away first some 8 or 9 ounces of blood, and then if there be any disposition to costiveness purge once and again moderately : one ounce of Glauber's salt will do. Gentle exercise, especially rideing on horseback now in the Spring will do well. You know how to do all this by way of divertion before our bl. L.M./5 I most heartily recommend your Lop to His holy society and protection.

'Twas afflicting to me beyond expression to hear of our dear D.G's./6 confinement. He stay'd it seems in his sister's house, as if he had been determin'd to suffer. He was persuaded no doubt he did what he ought to do both first and last, and had his own reason for so doing, but I wish he had acted otherwise. In the meantime my poor prayers are continually for him, and I am hopefull God will graciously support and comfort him. He has a great deal to suffer. Mirabilis Dens in sanctis eius ; /7 various and manifold are his providences towards them and strange ways he takes to refine and purify them ; and all this to make us conformable to J. Ch. who was made perfect thro' sufferings. As soon as we hear of any orders for tryals and prosecutions we must do our utmost for him./8 Is there no way of getting a few lines to him, or of receiving a few from him ?





1 No year mentioned, but quite obviously the same as that of the previous letter (1716)

2 Campbell of Monzie.

3 Madame Guyon.

4 " Little Master."

5 " Blessed Little Master."

6 V. p. 119. Dr. George Garden in a letter to Bishop Archibald Campbell in 1724 (MS. 760, Scottish Episcopal College, Edinburgh) mentions " my sister with whom I live." He lived in New Aberdeen, for in another letter (763) he speaks of going " over to the other town " to see his brother James and Principal George Middleton, who lived in Old Aberdeen.

7 Psalm lxvii, v. 33 (Vulgate) : a verse more than once quoted by Madame Guyon, e.g. Lettres, II, p. 339 ; Discours, I, p. 398 : cf. Vie de M. Relay, p. 422.

8 The characteristic attitude of Dr. Keith.




XXV [Mon Cher Enfant ie ne scay si m f s qui va en vos cartiers aura la ioye de vous voir…]



120 [page of “Handwriting of Mme Guyon” : “Mon cher enfant je ne say…”]


[This short letter without year or address or signature is in the handwriting of Madame Guyon and is preserved at Cullen House, being no doubt intended for Lord Deskford. The reference to the departure of M.F. (Master of Forbes) from France in the spring of 1716 (he was in London in May—v. next letter) suggests this placing of the letter. It is chiefly interesting as showing the difference between autograph letters of Madame Guyon and those dictated to Ramsay. A photograph of the original appears opposite p.]


[1716] ce 17 mars,

Mon Cher Enfant ie ne scay si m f s qui va en vos cartiers aura la ioye de vous voir sy le p m permet quil vs voye il vous dira mieux que moy combien ie vous ayme dans le petit m /4 et combien ie minteresse a vostre bien spirituel Euittez toutes les pensée qui peuuent vous chagriner tenez vostre coeur dans la ioye mais ne manquez point a vôtre oraison /5 cest la nouriture de lame /6 aussy bien que la presance de Dieu durant le jour sans quoy lame se deseche david disoit mon ame sest deséchée conne laregnée parce que j'ay oublié de manger mon pain quel est se pain dont la privation fait perir lame Cest le verbe ainsy quil est dit ailleurs lhome ne vit pas seullement de pain mais de toute parolle qui sort de la bouche de Dieu cest ce diuin verbe qui est sans fin engendré de son pere qui est la seulle nouriture propre a lame et nous ne profittons de cette nouriture que par le moyen de l'oraison cest parla que cette nouriture substacielle sintroduit dans lame donnez donc lieu a se diuin verbe de vous remplir de luy meure il faut pour cela quil detruisse en nous toutes les contrarietes et les obstacles qui soppose a son empire cest 'article le plus penible car il faut mourir auant destre reuivifies il faut estre purifies de nos tenebres auant destre penetres de la vrais lumiere ie vous envoye un petit ymage /7 et vous embrasse dans le p m./8



1 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

2 Sir Thomas Hope of Craighall.

3 Monsieur Forbes (or Master of Forbes). '

4 " Petit maitre."

5 Cf. Lettres, IV, p. 52 : " ne manquez jamais à l'oraison."

6 Ibid., p. 35! : " L'oraison est la nourriture de laame."

7 Ibid., II, p. 327 : " Pourquoi me renvoiez-vous le divin petit maitre." The footnote states " c'etoit l'image de l'enfant Jesus."

8 Ibid., IV, p. 378 : " Je vous embrasse des bras du divin petit maitre."

121





XXVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

[A letter of April 24 is apparently missing.]

LONDON,

May 29th, 1716.

MY DEAR LORD,

I had the honour of your Lop's last letter of Apr. 26 in due time ; but delav'd giving an answer to it till now, in hopes that this shall find you safely return'd to Edr. The included wch came to me above a fortnight ago, and wch I'm sure will be very acceptable to you, I have also detain'd in obedience to your Lop's commands, for the same reason. I believe I told your Lop in my last of the 24th past that I had forwarded yours to M.S.M/1 and likewise that I had receiv'd the Bill of L4.

I most heartily wish your Lop all possible Joy and felicity in the young son /2 with whom God has bless'd you, and most fervently unite with your Lop, our yen M./3 and all our other friends in offering him up to our dear L.M./4 humbly beseeching him for the Love he always bears to little ones, to take the child into his holy protection and guidance, to purifie, sanctifie, and renew the Whole Being he has given him, that in due time it may become a Temple of his presence and an habitation of his Peace ! I also wish my good Lady the same Joy in this and all the other children it shall please God to give her, with the encrease of all real Goodness. I rejoyce to hear of her speedy recovery and salute her Lap in the best manner I can, as my wife also does.

As to the difficulty she has about living at C—n,/5 I think it best for your Lop to comply with her at present ; for in a little time it may please the Div. Providence wch disposeth of all things wisely and sweetly either to make the circumstances easier or to reconcile her spirit to them.

Mr. Cun. of Caprington /6 to whom I long since gave the 6 Discours Spirituels /7 for your Lop has stay'd unaccountably beyond my expectation. I call'd several times to see him and still he told me he was going as next week. However, now, I'm assur'd he went the beginning of last week, and I hope will take care to deliver the books safe.



1 Madame Guyon.

2 James, born April 16, 1716 succeeded as 6th E. of Findlater and 3rd of Seafield in 1764.

3 Madame Guyon.

4 " Little Master."

5 " Cullen."

6 One of the three sons of Sir Wm. Cunningham, Bart., of Caprington, an old Scottish house. All three became themselves Baronets : r. Burke, Landed Gentry ; Playfair, British Family Antiquity, VIII, App. pp. ix o ff.

7 V. pp. 109, 114, etc.

122

About 3 weeks ago I was taken with a violent pain in my left side, wch after bleeding ended in an aguish Indisposition, wch oblig'd me to go out of Town for a week or ten days ; there I us'd rideing on horseback pretty much wch did me a great deal of good, and tho I am now much better yet believe I must use it still.

I most affectionately salute all our dear Friends with you, particularly Sr. P.M./1 Sr. T.H./2 D.G./3 Will. M./4 and R.K./5 L.D./6 with my Lady came out of the T./7 Friday last the 25th being the first day the Habeas Corpus act took place. Mr. Baillie /8 was My Ld's bail. I was then out of Town and have not seen them since I came. They have lodg'd at Mr. Andr. Haley's /9 where I call'd yesterday morn, but they were gone some hour before to spend three or four days at Ld Bathurst's /10 house near Windsor. The same day Lds Scaresdale /11 and Powis /12 also came out of the Tower, as did Mr. Ja. Murray /13 out of Newgate.

My humble service to L. K-1./14 If you have heard anything certain of L.P./15 and J.F./16 please to let me know it. Mr. F./17 is still here and very well, but his poor father is still much indispos'd.

I commit you my D. Ld /18 and all yours to the all powerfull grace and holy presence of our dear L.M. and ever remain

Yours in all faithfulness, J.K.





1 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

2 Sir Thomas Hope of Craighall.

3 Dr. George Garden.

4 William Montgomery : v. p. 1 o8.

5 Probably Robert Keith : v. p. 119.

6 Lord Dupplin : v. Historical Register, 1716, under date May 19 (p. 224). On June 4 (p. 225) it is stated Lord D. and his bail were discharged from their recognisances.

7 The Tower.

8 H.R., loc. cit. : George Baillie, Esq., is mentioned amongst those who stood bail for the prisoners released on this occasion : cf. Stuart Papers, I, pp. 129, 260. V. p. 94.

9 Not identified.

10 Lord Bathurst is mentioned (H.R., loc. cit.) as standing bail on this occasion. He had been raised to the Peerage in 1711 along with Lord Dupplin (Baron Hay) and some others. The family seat was at Battlesden in Bedfordshire.

11 H.R., loc. cit., May 19 and June 4 : he had been in the Tower since Oct. 12, 1715

(H.R., 1715).

12 Hist. Reg., May 28, 1716 (p. 224).

13 H.R., loc. cit.,' the honourable Mr. Murray."

14 Lord Kinnoull, father of Lady Deskford and of Lord Dupplin.

15 Lord Forbes of Pitsligo, who had been engaged in the Rebellion.

16 James Forbes, also engaged in the Rebellion.

17 William, Master of Forbes, who had returned home to help to smooth over matters for his younger brother James, and who was now in London with his father Lord Forbes, who died there later in the year.

18 " my dear Lord."

123

Please to tell Will. M./1 that I writ fully to Mr. Davidson /2 about him. Let D.G./3 see what concerns him in the inclos'd./4

To D.G.





XXVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

June 131h, 1716.

MY DEAR LORD,

My last to your Lop with one from M.S.M./5 was of the 29th past. Now this comes to convey another from the same hand./6 I send it as I did the former in hopes that both shall meet you safely return'd from the North and that still tho you should not yet be come they will be kept safe.

I shall rejovce to hear of your Lop's safe return and good health, as also that My Lady whom my spouse and I most humbly salute, and with your two little ones are well. My last had a few lines to our dear D.G./7 whom I always remember with the greatest esteem and affection. The ven. M.S.M. has written one to him /8 of the same date with yours. Munzie /9 will forward it with this under his own cover. I have taken a copy of both and wish you may be able to read them./10

I foresee that in about 10 days hence I shall be oblig'd to go into the Country with my family for their health sake and mine. Tunbridge Wells /11 is the place we have pitch'd upon. Any letter directed to my house will still come to me. But your Letters for M.S.M. or R. may be directed to Munzie (or M.F. whilst here) who has R's direction and will take care to transmit them./12 I shall mention it to him before I go. The letters for them may be seal'd with a wafer.

I hope I shall hear that the 6 Discours Spirituels sent by Mr. Cun. of Caprington are come safe./13 Mr. Homfeld /14 writes that Mr. Wetstein Junr./15



1 William Montgomery : v. p. 108.

2 Probably Alexander Davidson of Newtoun in Culsalmond Parish : v. p. 141.

3Dr. George Garden.

4 V. p. 122 (beginning of this letter) : also v. next letter which shows that the enclosed (apparently missing) was a letter from Madame Guyon.

5 Madame Guyon : v. above.

6 This indicates the steady correspondence : v. letter following.

7 Dr. George Garden.

8 Garden in correspondence with Madame Guyon.

9 Campbell of Monzie.

10 Letters were frequently thus passed round several members of the group.

11 Next to Bath the most popular of health resorts. V. Thackeray, Virginians, ch. xxvi.

12 Madame Guyon, Ramsay, Campbell of Monzie, Master of Forbes.

13 V. p. I22.

14 V. p. I17.

15 Biographie Universelle, Vol. 46, p. 694, dealing with J. H. Wetstein (v. p. 117), quotes Chaufepié, Dict. Hist. : " ses deux fils Rodolphe et Gérard continuèrent." Poiret's

124

has sent some of 'em to Mr. Stuart /1 his Correspondent at Edbr ; and further that the 2d vol. of Letters /2 was ready to be put to the press, after wch will follow the Hymns with the Emblemes of Voenius and Herm. Hugo./3

My D. Lord I must conclude, and have only time to add that my poor prayers are continually for you. My heart is most intimately united to yours in our dear L.M./4 to whose grace and holy presence I recommend you and remain, always

Your Lop's most obedient servt.

To The Right Honble.

The Lord Deskford.





XXVIII. short letter from the Marquis de Fénelon to Lord Deskford.


[The letter from Madame Guyon which is referred to in the foregoing is apparently that which appears in the printed Lettres, Vol. I, no. 108. What seems to be the original of this is preserved at Cullen House. It is in the handwriting (and indifferent spelling) of Madame Guyon. To it is appended the following short letter from the Marquis de Fénelon to Lord Deskford.

The original letter from Madame Guyon does not give the year but is merely headed " M.L.D., ce 3 Juin." It is thus clearly to Lord Deskford, and from its contents, and from the reference in the Marquis's letter to the new 1717 edition of Télémaque, we seem to be tied down to the year 1716, especially when we remember that by June 3 of the next year Madame Guyon was already dead.]

R./5 mon cher milor passez ce terme à ce que sent mon coeur pour vous m'exhorte à prendre la liberté d'adjouter un mot de moy à la lettre de N.M./6 Je le fais pour vous dire que je veux estre bien uni à vous. Je serai heureux si vous le voulez aussi. Ce que vous escrit N.M. /6 est tellement



Theologiae Pac. itenaquc Myst. (1702) bears that it was published at Amsterdam " apud Henricum Wetsteinum ut & Rod. & Gerh. Wetsteinos HFF." In 1735 T. L. Wetstein is found representing the firm (v. his letter in Remains of John Byrom, Vol. II, pt. ii, pp. 472-3) . His religious language is very similar to that of Dr. Keith, whom he mentions as friend and correspondent : e.g. " The duty of all Christians . . . is to walk in His presence . . . the surest way and means will be to cast ourselves entirely on the Lord's holy and all-wise Providence . . . when the Son makes us free we be free indeed. Thus let us be patient, waiting its own time. He will do it. He will certainly do it. In this expectation we greet you heartily in the love-embraces of our Lord and master . . . I remain yours in our Lord J. C." He mentions that his family are followers of Madame Bourignon.


1 Stuart evidently preceded William Monro in this capacity : v. p. 169, etc. Probably George Stewart, bookseller in Edinburgh, who sold books printed by Ruddiman, and also R. Keith's first edition of Thomas à Kempis. There was also a James Stewart a bookseller in Edinburgh at this time. V. Plomer, Bushnell and Dix, Dictionary of Printers and Booksellers, (5922 and 1932).

2 V. p. 109, etc.

3 V. p. 117, etc. Otto Vaenius (1558-1629), Dutch painter, older contemporary of Rubens. His Emblemata Horatiana were published in 1607.

4 Little Master."

5 Ramsay.

6 Notre mère."

tout pour moy que je serois tanté de croire quelque chose de la ressemblence dont on me flatte. Ce que vous mande N./1 sur la promptitude /2 je vous le montrerois dans les lettres que j'ai d'elle je crois en mêmes termes parce que j'auois, et bien dauantage encore, le même besoin. Je vous fais mon compliment Milor sur la naissance du nouveau fils /3 que le p.m./4 vous a donné. Puisqu'il vient de lui j'espère qu'il sera à lui. Je souhaitte que vous ne soïez plus comme St Josef que son père présumé, et que ce soit le p.m./4 qui soit le véritable et que vous aïez la consolation de voir Mme vostre respectable épouse respondre à vos espérances en changeant aussi d'époux./5 Que direz-vous de ma folie ; mais je vous assure que si je ne sais ce que je dis ce n'est pas merveilles car j'ai pris la plume sans dessein que de vous communiquer l'épanchement de mon coeur auquel je n'ai point de bornes. Ainsi excusez tout en faueur de la simplicité qui j'espère sera nostre union en cette vie, et en l'éternité. J'ai été obligé de quitter N.M./6 par des raisons de nécessité ! Un heureux hazard m'y remmènera dans peu pour quelques jours. Ce ne sera pas sans me perdre avec vous entre ses bras. On va imprimer un nouveau Thelemaque /7 où il se trouuera plusieurs choses qui ne sont dans aucune autre édition. R./8 y a fait une préface /9 qui est un chef d'oeuvre de l'esprit, et du coeur, et qui sera un grand ornement pour Thelemaque. Dès qu'il sera imprimé j'aurai l'honneur de vous en enuoïer. Permettez moy de manquer à tout, je me sens point de compliment pour vous quoyque je sache tout ce que je vous dois.




XXIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with a postscript by Patrick Campbell of Monzie.]



TUNBRIDGE WELLS,

July 15.

My D

By our friend Munzie's /10 care I had the honour of your Lop's most acceptable letter of June 22d about a week after my arrival here and immediately return'd the inclosed for M.S.M. etc./11 to him begging the favour of him to put it into the hands of Mr. F./12 to be forwarded p next post. When



1 Notre mère."

2 Lettres, III, p. 155 ; IV, pp. 102, 107.

3 V. p.122

4 “petit maître”

5 A strange but characteristic utterance.

6 " Notre mère."

7 The reference is to the 1717 edition.

8 Ramsay.

9 Ramsay's Preface was an interesting Discourse on Epic Poetry.

10 Campbell of Monzie.

11 Madame Guyon.

12 Master of Forbes.

126

I left London My Ld his father /1 was but in a bad way as to his health, and I han't heard from him since. I left also poor L.T./2 very weak and low, but did not apprehend that her deliverance was so near, for it pleased God to take her to himself and I humbly believe into his eternal Rest, the 6th of this instant about 12 at night. She was certainly a great example of patience under a long train of uncommon sufferings, and of perseverance in Faith and Resignation to the end. Had I knowen any thing of her approaching change I would have return'd to Town to be present at her last minutes, wch I have had no further account off than this that she continued speechless two days.

I return your Lop my most humble thanks for the kind concern you are pleas'd to express for my health. It is now much better than it has been of late. My wife and children are also here and all pretty well, but when we shall leave this place I can't yet tell.

I was very glad to hear of your Lop's safe return from the North, and of your success whilst in it. 'Tis very unaccountable to me that the 6 Discours Spirills /3 sent by Mr. Cunningham of Caprington /4 were not come to hand. I wish any one would enquire whether he is return'd to Scotia or what is become of him. But if they are not deliver'd when this comes, I beg your Lop will let me know it, and I shall order six more to be forthwith sent by the carrier. This is what I ought to have done at first, but at a friend's desire I gave the books to that gentleman, and he has exceedingly disappointed me

I give my sincerest Love to dear D.G./5 I never cease to remember him, and do both rejoyce and suffer with him. I shall not fail in a very few days and recommend to Dr. Cheyne /6 what your Lop writes concerning Mr. Blake./7

I most dutifully salute My Lady and pray for all that's good in conformity to the Divine Will to your Lop, to her & the two babes. May the H. Sp. of our L.M./8 dwell in you and abide with you for ever !

I remain as formerly

Your Lop's most obedient humble servt.

MY D. LORD,

I take liberty to add this postscript to the Dr's and tell your Lop,' that I took care of yours which returnd from Tunbridge Wells and sent



1 Lord Forbes died in July, 1716 (v. Services of Heirs). He is described by J. Macky as " zealous for the Revolution . . . a good natured gentleman, very tall and black " (Characters, p. 253).

2 V. p. III.

3 Pp. Io9, 122, etc.

4 p.122

5 Dr. George Garden.

6 V. Introduction.

7 V. pp. 93, 131, etc.

8 " Holy Spirit of our Little Master."

127

it under my cover to A R—y /1 whom I have occasion now and then to write and can take the liberty to make an occasion that is to wryte to him always when your Lop,' has a mind to write to that corner of the world. I'm exceedingly discourag'd and knows not what hand to apply to in behalf of Barnes./2

I'm my Ld.

Your Lops most humble serve. P.C./3

LOND. 17th July, 1716.

To the Right Honble.

My Lord Deskford to the care of

Mr. Thomas Rudiman/4 a underkeeper of the

Advocats Liberary,

Edinburgh




XXX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

OctY. Is!µ, 1716.

MY DEAR LORD,

I was still at Tunbridge when I had the honour of your Lop's most acceptable letter of Aug. 20th. It was old ere it came to me, and not requiring a speedy answer, I've delayed acknowledging it till now. I rejoyced to hear

1 A. M. Ramsay. Notice that Campbell of Monzie, the writer of this postscript, is in correspondence with Ramsay.

2 James Cunningham of Barns. Campbell has been endeavouring to do something for the rebel laird : v. pp. 116, 134, 139.

3 Patrick Campbell of Monzie.

4 The famous grammarian : v. D.N.B. ; Chambers, Biog. Dice. of Eminent Scotsmen ; G. Chalmers, Life of T. Ruddiman (1794). Born in Banffshire 1674, educated at King's College, Aberdeen, where one of his intimates was Andrew Dunlop, the watchmaker, mentioned in these letters (v. p. Io8), after tutoring and schoolmastering, R. began his long connection with Advocates' Library, Edinburgh (now the National Library of Scotland), where he was Assistant Librarian 1702-30 and thereafter Keeper till 1752, when he was succeeded by David Hume, the philosopher. James Ogilvy of Achiries, one of those interested in mystical writings, was tutored by him from 2709. A letter from Lord Deskford to his father, the E. of Findlater, in 1726 says "Mr. Rudiman's new grammar which they use is acknowledg'd to be the best that has been published " (Letter preserved at Cullen House). This refers to the Rudiments of the Latin Tongue, published 1714. Of it Chalmers says : "This work will transmit our grammarian's name with celebrity to every age as long as the language of Rome shall continue to be taught in the schools of Scotland." R. engaged extensively in literary work and also took up printing and newspaper publishing. He was a convinced and ardent Jacobite. Dr. Johnson praised him as an " excellent man and eminent scholar." His prudence and industry have also been deservedly commended. He died in 1757. V. pp. 139, 15o.

128

[“Handwriting of Lord Deskford”, une page]

that Providence has provided a house /1 for your Lop and family, but much more that his Divine Grace has inspir'd you with the holy resolution of employing it and your retirement in it to the best advantage. May it please our dear L.M./2 to fortify and confirm your pious intentions, and to be Himself your Guide and your Counsellour, your Strength, your Life and your All. May that Holy One whose you are bless you and Yours with the Spirit of Faith and of Pure Love, and guide you in all your ways soberly and preserve you in his power ! He is faithfull and true and will certainly hear our prayer and grant our request. Temptations and tryals of various kinds, as your Lop well knows, must often be expected, and sometimes from occasions and things unforeseen and unprovided for : but nothing of all that must disquiet or disturb us. These are more or less unavoidable in every estate, and indeed



1 Lady Deskford's desire to be out of Cullen House (v. p. 122) was apparently met by establishment at the Castle of Boyne (v. p. 532) or Craig of Boyne as it is also called (pp. 152, 161). For a full account of this interesting old castle V. Dr. W. Douglas Simpson, Three Banffshire Castles (reprinted from the Transactions of the Banffshire Field Club, Oct. 1931). In connection with the settlement at Boyne may be noted the following letter from Lord Deskford preserved at Cullen House (recipient's name awanting). It contains some interesting details as to social conditions :

August 2d

I receiv'd your letter with one enclos'd to the taylour concerning my cloaths. In a very short time I now hope to be in the north. By this time I hope Lady Boyne: is out of the hous, and W.L. [William Lorimer, chamberlain to the E. of Findlater; has sent me the measure of the rooms, which is now the only thing I wait for. All our furniture save only stuf for hangings, which will soon be got, will be ready in the midle of next week, and is to go north in George Hay's ship, so that I expect to leave this place on the 1 ;th or 16th, you'll therfor remember to caul G.M. [George Mackie. v. p. 168) dispatch the two horses W.L. was to buy for me, so as to be at Edr against the 54th. He must send some carefull man along with them, who will walk at the side of a Sedan in returning north, for people generally think that a better way of carrying the children than in a Coach, and in that case my wife will ride. It seems ther are horse chairs in Edr, that can hold both the children's woemen, which makes this the easiest as well as the best way of transportation. Let GM. likeways send the work horse for the bagage, if he has found one fit for the purpos. Findlay carrys north a loading coal., which may eitheir be cellar'd in Portsoi, or immediatly carry'd to the Boin. W.L. thinks it most convenient for the tennants to spare their horses now or afterward-. Tell GM. to take all care to prevent any of them being stolen in the livering at fortso: or transportation from it. It is now allmost a fortnight since I syrot to my fatli.r. I thought to have done it this night, but think it better to delay till Monday when I hop, to hear or my sister's being safely brought to bed. Tell G.M. I have feed his so::. \-µ4»'-n. Your- brother Willy improves very well. I continue

Your affectionate friend

Deskfoord."

The reference to Lady Boynd, wife of James Ogilvie of Boyne, points to the Decreet of Removing and Letters of Ejection obtained by Lord Findlater in June-July. 1,-16. For these and other particulars about the family r. A. and H. Tayler, Ogilvies of Boyne.

2 " Little Master."

129

as to us necessary for the greatest ends. Qui non est tentatus quid scit ? /1 Our Lord most wisely dispenses and overrules our crosses and afflictions as he sees them profitable and convenient for us ; and they who thro patience /2 and resignation come to be bless'd with the Spirit of his Cross are enabled not only to bear, but to rejoyce in them./3

I have had no letter from M.S.M. or A.R./4 these two moneths and more, but I hope they are all well. My last from Holld. dated Aug. 22 wch being sent by a merchant did not come to me till last Friday gives the following acct. of the books we are next to expect—

Pour nos impressions on espere que les Emblèmes de Hugo & de Voenius /5 pourront être achevés en Octobre : Il y aura outre l'explication en vers franç. de ces Emblemes, que peut être vous avez deja vû, encore un autre sur Voenius (ce sont les Embl. de l'Amour Divin) faite à la Bas /6—et retrouvée depuis peu par hazard chez Md la fille de N.M./7 Les figures sont belles et iront jusqu'à 110. L'esperance que vous nous avez donnée de trouver autant de souscrivains entre les amis d'Angl./8 etc. pour cet ouvrage qu'il y en a eu pour le vieux Test./9 n'a pas peu contribué à en faire entreprendre l'impression : et puisqu. vous avez souhaitté d'en savoir le prix pour cet effet, quand il pourroit être determiné, je n'ai pas voulu differer de vous dire qu'il ira jusqu'a 4 fLor. 15 sts. d'Hollande comme on croit. On a aussi commencé l'impression du 2d volume des Lettres,/10 qui pourra aussi être achevé dans quelques mois, et alors ces 2 Tomes paroitront en même tems ; et plut être on yVµ joindra encore un troisième.

Now my Lord the number of the Com. sur le v. Test. /11 subscrib'd for was one hundred, 42 of wch were sent to Scotland./12 I do not know how many considering the scattered condition of persons and things at present I might reckon upon for that Country, I mean of the Emblemes /13 above mention'd, wch he says will come to about 4 gld 15 st., in Engl. money about 9 sh. Prime cost. Did I know what number could be taken off in Scotld, I would order



1 V. p. 83. Pure Love was one of the chief matters of controversy in connection with the Quietist Movement. It involves disinterestedness in religion. V. Lettres, I, pp. 548, 471, etc. Cf. von Hugel, Mystical Element of Religion, II, pp. 152-181. M.N.E., pp. 133, 162.

2 V. p. 161 n.

3 Madame Guvon, Short Method (Eng. Trans.), p. 22 : " A heart which has learnt to love the Cross, finds sweetness, joy and pleasure even in the bitterest things " ; Lettres, IV, p. 88 : " l'esprit du Christianisme est un esprit d'abnégation, de croix, et de mort."

4 Madame Guyon or Andrew Ramsay.

5 V. pp. 117, 225, etc.

6 Bastille, where Madame Guvon was imprisoned.

7 Duchesse de Sully ; Cherel, André Michel Ramsay, p. 42 and note, p. 106 and note.

8 " Friends in England."

9 Madame Guyon's Commentaires : v. pp. 75, etc.

10 V. p. 109.

11 V. p. 79.

12 " These numbers are interesting as indicating roughly the size of the group interested in this kind of literature. V. pp. 134, 178, 188, etc.

13 V. pp. 117, 125, etc.

130

them to be sent straight from Holland to Leith wch would save both trouble and charge. I think to get Mr. Camp. of Munz./1 to write to Mr. Falconer /2 about it.

I communicated to Dr. Cheyne /3 what your Lop wrote concerning Mr. Blake /4 and have receiv'd this answer from him. " Mr. Blake is a dying much in debt, having for sometime been impair'd in his faculties by a palsy. I told him some part of what you wrote ; he seem'd thankful, but suggested as if it had been promised him before. His funeral (if it happen) cannot be taken care of but in expectation of my Ld. D.'s /5 charity. I confess I have promis'd to assist Mr. — the Scotch mercht (to whom he ows the most, if he take care of him in a sober manner and see him decently buried) with my Lord, as far as he intended otherwise." This is all the Dr. says of it and gives his best wishes to your Lop. I have not yet mention'd the L 9 to him for the watch,/6 but shall do it in a few days. However, I think your Lop may take your own time and way of remitting it, since he writes it will be late in ye year before he comes to Town./7

I should be glad to hear that the 6 Disc. Spirituels /8 are come to hand. Greater care must be taken for the future.

Our friends here are all well and salute your Lop most affectionatly, L.P./9 in particular who was with me last night, also Munzie/10 Mr.Hayes /11 and R. Cun./12 D.G./13 is said to be in Holld. but I have no certain acct. of it yet. How does Dr. Ja./14 do and Dr. Midl. who they say is turn'd out./15 I pray God to comfort and support them and all others in distress.



1 Campbell of Monzie.

2 V. p. 118.

3 V. Introduction.

4 V. pp. 93, 127.

5 Lord Deskford.

6 V. p. 1o8.

7 From Bath.

8 V. pp. 122, 124, etc.

9 Lord Forbes of Pitsligo, still in London at considerable risk. James Forbes, writing from Rotterdam to the Earl of Mar Oct. 5, 1716, says : " I left Lady P. in health, but my Lord is in London and is I hear not very safe " (Stuart Papers, III, p. 23).

10 Campbell of Monzie.

11 Not identified. May be for " Hay " as in Aberdeen Sasines, Oct. 1693, and elsewhere.

12 R. Cunningham, V. pp. 99, 105.

13 Dr. George Garden was in fact in Holland by this time. James Forbes in the letter quoted above says, " I have been obliged to come over here and Dr. Garden who was in prison is come over with me." V. pp. 139, etc. The pair seem to have enrolled as students at the Univ. of Leyden : v. article by present writer in " S. N. and Q.," Sept., 1932.

14 Professor James Garden : v. Introduction : also pp. 78 ff.

15 Principal George Middleton, King's College, Aberdeen, cousin of the Gardens, contrived to retain his position at the Revolution in spite of his Episcopacy and later in spite of charges of Bourignonism, and now despite his Jacobitism. He was not deprived until June, 1717 (Orem, Description of O. Aberdeen (1791 ed.), p. 18o). Orem calls him (p. 156) " a great humanist and philosopher, a sound divine, and of a circumspect life and conversation." V. also Introduction.

131

I shall direct this for Mr. Abercromby /1 as you order'd me ; if your Lop shall think on any other way let me know it.

I give my most humble service to my Lady. My best wishes continually

attend her with your Lop and dear little ones, and am ever,

My Lord,

Your Lops most obedient

& humble servt.

Your Lop will no doubt see Ld. F./2 who I'm told arriv'd safely some weeks ago at Edr. I salute him in the tenderest and best manner. Mr. Pt./3 also salutes him and has sent him his new Edition of La vie de Greg. Lopez./4

When he calls any time at Abd./5 Mrs. Ped./6 may perhaps help him to the Life of M.S.M./7

To the Right Honble. The Lady Deskford at Boin.W.



1 Mentioned frequently hereafter, chiefly as franking letters, as Campbell of Monzie had hitherto done. Capt. Alexander Abercromby of Glassaugh, M.P. for Banffshire, had been a member of the Scottish Parliament before the Union. In the Portland MSS. (Hist. MSS. Com.) there are several letters regarding A.A. which shed light upon the political methods of the day. One from the E. of Seafield to the E. of Oxford recommends A.A. who " is very willing to attend the Queen's service in Parliament and observe your lordships directions in everything," and begs something to be given him for all his services in the past, for " he must return home unless your lordship do something for him " (Vol. X. pp. 192 f., y. also pp. 211, 309). Another letter of Oct. 1713 puts him at the service of the E. of Oxford (Vol. X, p. 305) and one in April, 1714, says " my straits at home and here being far greater than I am willing to express and almost irrecoverable." A few months later he is still begging and declares he will have to sail next week for Scotland if something does not turn up. An attempt had been made to have him presented with a property which had fallen into the hands of the Crown : v. Port. MSS., V, P. 351 ; X, pp. 461 f., 484 f. Writing in August, 1716, the E. of Mar calls A.A. " a creature of Seafield's." For the family v. C. D. Abercromby, Family of Abercromby

(1927).

2 Lord Forbes, hitherto in these letters M.F. (Master of Forbes) , succeeded to the title in July, 1716.

3 Pierre Poiret : V. Introduction.

4 Poiret's edition appeared in 1717. A copy of it is in the Library of Cullen House, where there is also another French edition of 1644. Madame Guyon expresses her admiration for this Life : v. Lettres, IV, p. 477 : Cf. Lettres, II, p. 247 note ; Disc., II, P. 396 note. V. further note, M.N.E. p. 134. We hear of the Earl of Perth recommending the Life to Sir R. Sibbald in 1685 (Nett, memoirs of Sir R. Sibbald, p. 88) . The Quietist Molinos (Spiritual Guide, p. 154) refers to " that profound and great mystick, the venerable Gregory Lopez, whose whole life was a continual prayer and a continued act of contemplation and of so pure and spiritual love of God that it never gave way to affections and sensible sentiments."

5 Aberdeen.

6 Mrs. Pedder was Dr. George Garden's sister, Susanna, who married John Pedder, writer, Old Aberdeen, in 1697 (Old Machar Marriage Register) and died in 1728 (Munro,

[See next page for notes 7 and 8.

132





XXXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Decr. 13th, 1716.

MY DEAR LORD,

I had the honour of your Lop's most agreeable letter of Novr. the 4th but not till full 3 weeks after the date, and forwarded the inclosed by the first opportunity. I delay'd writting till now in expectation of another from A.R./1 wch accordingly I recd. last night. He salutes your Lop most affectionatly, and tells me that our ven. M.S.M./2 God be thanked is recoverd of her last illness,/3 wch by his account was very grievous. He was to set out next morning to see her and would carry the letters with him.

They certainly remember us all this evening, being the Eve of our blessed L.M.'s /4 Nativity, as I do them and you with all our dear friends whersoever dispersed, desiring in Union with them and with all the children of our dear Lord to adore and laud and magnify his infinite Love to mankind, and humbly praying him to empty /5 and prepare our hearts for receiving and entertaining /6 him for ever. .May it please him powerfully to shed forth the Spirit of Faith and pure Love into our hearts wch may render him continually present with us, and according to his holy will unite us essentially /7 with him for ever. I am very sensible of the many entanglements wch your present situation will, especially at first, unavoidably engage you in ; but while you are in the way of your duty nothing of all that must trouble you. A quiet and recollected S mind will in a little time overcome all. Laisser tomber &





[Continuation of notes.

Records of Old Aberdeen, II, p. I74). She is mentioned in her brother's will (Commissari.ot of Aberdeen, Feb. 16, 1733). V. also Reg. of Partic. Sasines, Aber., Aug. 7, 1713.

7 Madame Guyon. This must refer to the manuscript of the Life by Herself.2 Note that many of the letters are thus addressed to Lord Deskford through Lady Deskford.

8 Note also the first mention that the Castle of Boyne is now their home : v. pp. 122, 129. A. and H. Tayler (Ogilvies of Boyne, p. 72) were in doubt as to whether Lord Deskford and his family ever occupied the house, but these letters make it clear that they did.


1 A. M. Ramsay.

2 Madame Guyon.

3 V. p. 136.

4 " Little Master " : v. p. "5.

5 Cf. Short Method of Prayer (Eng. Trans. 1875), Ch. xv : " How can we be filled with God ? Only by being emptied of self " ; cf. Lettres, III, p. 137. V. also Olier in Bremond, op. cit., III, p. 479 : Meister Eckhart, Sermons (C. Field), p. 48 : A. Baker, Holy Wisdom, 496

6 V.. pp. 76, I 16.

7 " l'union essentielle " : Lettres, IV, p. 304.

8 Cf. Short Method of Prayer, p. 29. E. Underhill says Recollection is " the first drawing inwards of attention from the world of sense " (Ruysbroeck, p. 147). Again " Recollection begins in meditation and develops into the Oraison of Inward Silence, which again melts into the true Quiet " (E. Underhill, Mysticism, 3rd edit., p. 370).

133

outre passer /1 are usefull Rules in all inward and outward disturbances, and he that believes will not make hast.

Last night I had also a bill of lading from Holland with advice of the bail of books being shipt off at Amsterdam for us. It contains 60 of the Emblemes Spir./2 and 50 of the Lettres Spir./3 en 2 voll. with Gr. Lopez's Life a new Edit./4 20. This last is on Mr. Hen. Wetstein's /5 account. When they are all come and the charge of fraught and customs knowen, then we shall be able to fix the price and not before : but as for your Lop's share at present I believe the money you design to remit will be enough for all. There will be also a 3d and 4th vol. of Letters /6 publish'd more, besides several other things, as providence shall be pleas'd to favour them. They hope that in time our friends here and in Scotld. will take off the remaining 40 of the Emblemes to make up the 100 proposed./7

D.G./8 and J.F./9 are very well. The first has writ me two or three times an account of his business with Tr—p,/10 to whom I have also written expostulating with him about it. But I am hopefull (by Mr. Falc-r's /11 Letter to Munzie /12) the matter is or quickly will be accommodated. I long much to hear from Ld. F./13 how he does, and when he thinks of coming hither.

I embrace him in the most affectionat manner. Munzie /12 (who salutes him with your Lop most kindly) thinks his Lop has the ABp of C's /14 papers sur L'Hierarchie /15 wch I had lent to him ; if My Ld has them not I doubt they are lost.

Dr. Ch./16 who also gives his most humble service to your Lop tells me that poor Mr. Blake /17 died last October very much in debt. The principal creditor is a Scotch merchant at Bristol (whose name he could not remember) to whom he owed 30 lb, who also at the Dr's desire was at the charge of burying him. He owed likewise in small sums about 12 or 15 lb more. The Dr. will if your Lop desire it get a particular and exact account of the whole. B—ns /18



1 V. pp. 93, 100.

2 V. pp. 117, etc.

3 V. pp. 109, 13o, etc.

4 Gregorio Lopez ; v. p. 132 ; Spanish hermit in West Indies and Mexico (d. 1596) : V. Hauck-Herzog, Real Encyclopaedia, XIII, p. 263 : E. A. Peers, Studies of the Spanish Mystics, Vol. II (193o), p. 36o : Baker, Holy Wisdom, p. 36r.

5 V. p. 117.

6 V. above.

7 V. p. 130.

8 Dr. Garden.

9 James Forbes.

10 Garden of Troup in Banffshire. Alexander Garden, Elder, of Troup, a staunch Hannovarian, a Deputy Lieutenant of the County, founder of Gardenstown, 172o, father of Alexander, Younger, of Troup (Civilist at King's College 1717-24), and of Francis, afterwards the celebrated judge, Lord Gardenstown.

11 V. p. 118.

12 Campbell of Monzie.

13 Lord Forbes.

14 Fénelon, Archbishop of Cambrai.

15 Fénelon has no published work with this title, but it may refer to his Lettres sur l'Eglise (Oeuvres, IS61, I), where there is an explicit use of the word " l'hierarchie."

16 Dr. Cheyne

17 V. pp. 93, 127, 131.

18 V. pp. 116, 128, 139 : the Jacobite prisoners at Chester seem to have suffered very severely : v. Capt. Stratton's letter (Stuart Papers, II, p. 9, Feb. 28 (Mar. ro), 1716)

134

was extremely ill of a fever about 6 weeks ago, and when he was but beginning to recover fell back again by catching a great cold wch brought him so low that as his sister writ two posts ago, they look'd for his death every day. Their sufferings of all kinds have been very great. God grant them all Grace to make the right use of 'em. L.O./1 is still where he was, very patient and chearfull. 'Tis not knowen what they intend to do, nor do they know themselves. L.P./2 intends to go for Holl. in a few days, and is most heartily yours. I thank your Lop for the acct you're pleas'd to give me of Mr. Fr. Ross's /3 welfare. I'm sorry that I nor any of our friends know of nothing at present for Mr. P. Cook's /4 purpose here, and therefor I would not advise him to come at an uncertainty. But I will be sure to think of him. My wife joyns with me in most humble services to My Lady. Our best wishes ever attend you and your dear children and I am always

Your Lop's etc.

I suppose your Lop has recd. mine of Oct. 3o with the enclosd from M.S.M./1 Everyone was surpriz'd yesterday to hear that by an express from Han-ver (wch came in the night before) Ld. Townsend is turn'd out /6 and to be succeeded by Mr. Stanhop who is to be made a Peer,/7 Mr. Methuen /8 continuing the other Secretary. Duke of Roxburgh is made Secretary for Scotld,

and the letter of the " Duke " of Mar (ibid., p. 57). The former says the prisoners " are in a most miserable condition, being crowded like beasts in a fold, having a raging fever amongst them, and daily dying with ill usage and want of necessaries, and little or no distinction made betwixt the best gentlemen and the meanest sort." V. also Stuart Papers, II, pp. 232-3 ; Tindal, op. cit., p. J42.

1 Oxford still in the Tower.

2 Lord Forbes of Pitsligo not yet fled the country : v. p. 139.

3 Francis Ross was brother-in-law to Dr. James Keith : v. Introduction : also F.E.S. (new edit.), III, p. 186. He was a younger brother of Hugh, laird of Tulliesnacht in the parish of Birse. He studied at Marischal College, Aberdeen (Records, II, p. 238), and became minister at Renfrew, whence he was ejected at the Revolution. Latterly he acted as an episcopal " intruder " at Dunnottar and his name occurs in the Presbytery Records of Fordoun as late as Oct. 8, 1716. His son is mentioned PP. 175, 179.

4 Not identified : v. next letter. Lord Forbes of Pitsligo had as chaplain Mr. J. Cook, in whose handwriting are several of the transcriptions of mystical works in Scottish Episcopal College Library, Edinburgh : e.g. Q. 46.

5 " Ma sainte mère " : the letters mentioned do not seem to be extant.

6 For these changes v. Mahon, History of England, I, pp. 368 ff. On p. 377 Mahon says " The news of Lord Townshend's removal was received in London with almost universal disapprobation. No clear and definite cause being then assigned for that measure, and its advisers being absent from England, a large field was left open to conjecture, exaggeration and mistrust : cf. Brereton's letter, quoted pp. 377-8.

7 James Stanhope was raised to the peerage in July, 1717 Hist. Reg., Chron. Reg.. p. 29.

8 Paul Methuen had become a Secretary of State in June, 1716, but did not continue in office as here suggested : Hist. Reg. 1716, p. 35o ; 1717, Chr. Reg., p. 17.

135

D. of Montrose /1 to have the Seal, and Polwart /2 to succeed him. 'Tis beleiv'd that Mr. Walp./3 will also be out, and that this is a prelude to more alterations of that sort, but especially that the D. of Arg./4 is in greater disgrace and will be obliged to retire. This is but changeing a coat or a pair of gloves./5 The body is the same still.

To The Right Honble. The Lady Deskford at Boyn.




XXXII. [FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.]

A Mylord

MON CHER MYLORD [1717]

J'ay reçu avec un plaisir indicible votre très aimable lettre du 3me Novre avec celle qui étoit pour NM./8 Je vous rend mille & mille grâces de la bonté que vous avez eu pour moy. Je ne saurois comment la reconnoitre suffisamment. J'en ay tous les sentimens qu'elle mérite, & je ne souhaitte qu'une occasion de m'acquitter envers vous.

J'ay envoyé votre lettre à NM /8 qui est si malade qu'elle n'a pas pû y répondre quoiqu'elle ait fait son possible de le faire. Mr le Marquis de F./9 qui est auprès d'elle présentement me mande qu'elle avoit commencé à luy dicter une lettre pour vous mais qu'elle n'a pas eu la force de l'achever après une longue suite de maladies, de fièvres, des insomnies, de dégoûts, de douleurs extrêmes, de maux d'estomac. Elle est enfin si épuisée que


1 V. Hist. Reg. 1716, p. 552. The Duke of Montrose had been Secretary for Scotland since the dismissal of the Earl of Mar after the accession of George I. He now became Keeper of the Great Seal and Roxburgh took his place. V. Mathieson, Scotland and the Union, p. 321.

2 V. Hist. Reg. 1716, p. 552.

3 Walpole did in fact resign with his chief in spite of the King's endeavour to retain him in office at the Treasury. He returned to the Government in 172o and to his former posts in April, 1721, remaining thereafter in power till 5742. V. J. Morley, Walpole, pp. 52ff.

4 V. Mahon, op. cit., pp. 364 fI. Argyll after his part in the suppression of the Rebellion lost favour at Court. Already in the summer of 1716 he and his brother had been removed from some of their offices (Hist. Reg. 1716, p. 354). Now the breach became more definite and until 1719 Argyll is found in the Opposition party which centred round the Prince of \Vales. Thereafter he and his brother returned to power in Scotland. V. J. H. Burton, History of Scotland, VIII, pp. 345 ff.

5 Cf. Hist. MSS. Com., Portland MISS., VII (Stratford Letters), p. 295 : " I hear of a saying fathered on Lord Oxford that the removing S(underland) to take in W(alpole) would be like a man's putting off one dirty shirt to put on another dirty shirt."

6 V. p. 133 n.

7 Deskford.

8 " Notre mère."

9 Marquis de Fénelon : v. Introduction.

ce cher Marquis craint pour sa vie. J'en ay quelque appréhension moymême. . Si Dieu la retire je vous le manderay sur-le-champs, si elle se rétablit mon silence sera une marque de sa convalescence. Comptez là-dessus. Vous voyez qu'il n'est pas possible que Mr Cook /1 songe à venir icy. Cela est impratticable en tout sens car outre que nous craignons chaque jour sa mort elle n'a que le simple nécessaire & ne pourroit pas avoir ouvertement dans sa maison une personne qui n'est pas de la Religion Romaine. Je vous prie de sa part que ce bon Monsieur n'y songe pas.

Le cher Marquis /2 me charge de vous assurer de son tendre attachement. Soyons unis dans la présence divine. Les esprits ne sont pas assujettis aux lieux /3 & aux temps comme les corps. Voilà ce qui fait la communion des saints. Participons-y selon notre état. Permettez moy de vous embrasser avec un tendre respect, & de vous renouveller au commencement de l'année les assurances de mon fidelle attachement & parfait dévouement. Tendrement Tout à vous. R—y.4

ce premier de l'an 1717.




XXXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Janry 3d, 1714.

MY DEAR LORD,

I rejoyced to hear by your last of Decr. the gth that your Lop. and My Lady are well, and take this opportunity to wish you both with your dear Children a joyfull and happy New Year ; and in order to it, the Blessed Sp. of L.M./5 to live and reign in you. May this Divine Spirit the only earnest and gift of the New Year of his eternal Kingdom wch we groan after, be plentifully shed forth upon all sincere hearts ; and may everyone be faithfull in attending to it and co-operating with it according to his measure !

The bail of books is now come from Holland and was but yesterday brought from the custom-house. I have not yet seen it open'd but by my letter of advice it contains 60 of the book of Emblemes,/6 50 of the two voll. of Letters /7 and 20 of the Life of Gr. Lopez, d'Andilly's /8 translation. The price of each shall be here subjoyn'd. It is hop'd that our friends in Scotland will agree to take a certain number of each, some for the South and some for



1 V. p. 135.

2 Marquis de Fénelon : t'. Introduction.

3 V. p. 113.

4 A. M. Ramsay.

5 " Spirit of Little Master."

6 V. pp. 117, 134.

7 V. pp. 109, 130, 134, etc.

8 V. pp. 132, 134 : Arnauld d'Andilly made one of the translations of the Spanish life of G. Lopez by Francisco de Losa in 1674: La Vie de bien heureux G. Lopez. Another edition appeared 1675. Poiret now issued still another, 1717.

137

the North. I will get Munzie /1 to write to one at Edr. about it, and when I know what number will do I will get Mr. Homfeld /2 to order them to be sent directly to Leith. In the mean time your Lop. shall have what number you please of those that are here sent streight to you, but how to transmit /3 them is the difficulty. I should think the Newcastle carrier the safest to Edbr. but to whom to direct them there and how to forward them from thence ; or whether any other way be better I must wait to be determin'd by your Lop. Tis strange I can never hear whether Mr. Cun. of Caprington did ever deliver those 6 Discours Spir./4 He has been long at Edbr. or at his father's house and might be ask'd about them. Mr. Homfeld /5 also recommended to me to enquire whether our friends do not want some of those Discours Spirituels. If they do, they may be sent with the others above-mentioned. As for remitting the money yr Lop may take your own time. I do not think I shall be able to return to Holld what is due for this bail before Candlemas or it may be the middle of Febry. and if your share does not come by then I shall advance it.

My Last of the 13th of Decr. gave your Lop an acct of Mr. Blake's /6 death and of the state of his affairs as I had it from Dr. Ch./7 It mention'd also the late sudden change at Court. Several Letters were written both then and since by others of the DI—ry/8 to K.G./9 representing the danger of such proceedings, but no notice at all had been taken of 'em.

I took an opportunity fully to represent the Case of those two or three Gentlemen to M—ie /10 as you put it and to ask his advice. He gives his most humble service to your Lop and prays you to believe that he would with all his heart do them or any of your friends all the service that lies in his power ; but that there's nothing to be done in the way they propose. They may possibly hear of some who will be very forward to undertake their business, but depend upon it 'tis only to trick them out of their money and do nothing for it. There have been many instances of this kind here. It had been much to be wish'd that they had kept themselves private and hid as they were. But now the only thing they have to do is to be quiet and say nothing. 'Tis the universal opinion of all here that upon the meeting of the Parlt. a general method will be taken with all, and an Act of Indemnity /11 agreed to, not excepting even them beyond the Seas, they coming in by a certain time to be therein limited. The thing 'tis believed will be done, but the particular clauses must be left to time.



1 Campbell of Monzie

2 V. below.

3 v.introduction

4 V. pp. 122, 124 etc.

5 V. pp. 117, 124, etc.

6 V. p.134

7 Dr. Cheyne.

8 Ministry

9 King George I.

10 Campbell of Monzie. Much effort was put forth for individual Jacobites, and here we have an example. Cf. Stuart Papers, VII.

11 V. p. 144.

138

L. P./1 went from here Decr. 23d. for Holld. I pray God to preserve him and long to hear of his safe arrival. D.G./2 and J.F./3 are well. Poor Mr Cun./4 of Barnes died lately at Chester.

D. Ch./5 and all our other friends kindly salute your Lop. and I am ever with all possible respect

Your Lop's etc.

The inclos'd came but just now to my hands.

6 Emblemes No. hio at 9 sh. 2 lb. 14 sh.

6 Lettres Spirlles en 2 voll at 3 6d i—i

1 Vie de Greg Lopez gratis.

To the Right Honble. The Lady Deskford 6 at Boyne.




XXXIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

[No year is given, but the Gillenberg incident mentioned fixes it as 1717.]

Febry 5th.

I had the honour of My Dear Lord's letter of Janry 3rd, and heartily rejoyced to find that amidst your various entanglements and avocations the tendency of your heart is always directed to our blessed L.M. He is indeed infinite Love and Goodness. Let us for ever trust in him, and He will be our strength and our all./7

My last to your Lop /8 was dated the same day with yours. There was one in it from R./9 Since then I have not heard anything of M.S.M.'s /10 health, wch by his account was in a very low condition.

I have sent a bundle of books to your Lop directed to Mr. Ruddiman /11 at Edr. It contains 6 of the Emblemes de l'amour divin., 6 of the Lettres Spirituelles en 2 voll. and 1 of La Vie de Greg. Lopez./12 The price I sent in my last, viz. each of the Emblemes at 9 sh. and of the Letters at 3 sh. 6d. Munzie /13 who gives his humble service to your Lop has been so kind as to recommend them to the care of a friend of his, who has put them on board a ship with his own things bound for Leith. Your Lop may write to Mr. Ruddiman to transmit them to you as you shall be pleas'd to direct.

I communicated to Dr. Ch./5 your Lop's intention to remit some money for paying Mr. Blake's creditors./14 The Dr. gives his most humble service to your Lop, highly commends your design and bids me tell you that what



1 Lord Forbes of Pitsligo.

2 Dr. George Garden, in exile at Leyden.

3 James Forbes, likewise in exile.

4 V. pp. 116, 128, 134.

5 Dr. Cheyne.

6 V. p. 133 R.

7 Cf. p. 107.

8 V. letter no. xxxii.

9 A. M. Ramsay.

10 Madame Guyon.

11 V. p. 128.

12 For these books v. p. 534.

13 Campbell of Monzie.

14 V. p. 133.

139

1 Campbell of Monzie. ' V. pp. 122, 124, etc. ~ V. p. 134.

your Lop mentions will be sufficient. He and I joyn in humble services and respects to dear L.F./1 and shall be very glad to see him here. L.P./2 and our other friends with him are we hear in very good health. I don't yet hear that your neighbour T—p /3 has done what we expected of him. I believe him to be a friendly honest man. Your Lop may take an opportunity to talk with him. Please to tell him that I rec'd his letter in due time, but did not think it fit to urge the matter any further in answer to it. I was glad to hear that Ld. Had./4 is well and am very much his humble servt.

We are here mightily alarm'd with the noise of a new plot lately discover'd agt the Government. The Swedish Envoy Mr. Gillenberg /5 was put under an arrest last week and all his papers seiz'd, and a strong guard kept upon him ever since. We are told that he is charg'd with carrying on a treasonable correspondence in order to favour an invasion from Sweden. Some few others are also taken into custody. What is in it a little time will shew. But 'tis lamentable that Mankind will not be quiet, but rush forward to their mutual destruction. Nothing of all this happens by chance. The Divine providence will overrule all to the advancement of his great and good ends. Let us chearfully submit to it in everything. Christendom seems to be universally convulsed at this time, and hastening to some great crisis. Men's minds are disturb'd and at war even amidst an outward peace, and this certainly cannot last long whilst there is no real peace within. But our God is long suffering and patient towards his poor creatures ; tho' his arm is stretched forth to smite yet he mercifully suspends the blow till the measure of their iniquities is quite full. Lord have mercy upon us.

This moment I have rec'd the inclosed /6 wch I'm sure will be very acceptable. There's one also to L.F./7 wch I am to keep till he comes. My sincere respects and humble services with my wife's attend My Dear Lady and the little ones. Ours have all been ill and are recovered thanks be to God.

I hear that L.D./8 and his are all well, but don't hear whether he is to come to Town or not. They talk loudly of bringing on L.O's /9 tryal next sess. In hast I remain always Your Lop's in L.M./10

To The Right Honble. The Lady Deskford /11

at Boyne near Bamf.



1 Lord Forbes, formerly Master of Forbes (M.F.).

2 Lord Forbes of Pitsligo (in Holland).

3 Garden of Troup : u. pp. 134. 179 n.

4 Lord Haddo : v. pp. 75, 104.

5 For the Swedish incident v. J. F. Chance, George I and the Northern War (1909), pp. 18o ff. ; Hist. Register, 1717, pp. 66 ff. ; Calame, His!. -lcc. of nay own Life, II, p. 365. The Cullen Session Records show that a Fast was observed there in April, 1717, on account of the Swedish danger.

6 Awanting.

7 Lord Forbes. S

8 Lord Dupplin.

9 Earl of Oxford : y. p. 145.

10 " Little Master."

11 V. p. 133 n.



XXXV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with copy of letter from Madame Guyon to Dr. James Keith.]

LONDON,

Apr. 13, 1717.

I had the honour of My Dear Lord's Letter of March 24th with the Bill on Mr. Abercromby/1, who accepted it the Loth instant. Mr. C. of Munzie /2 did me the favour to carry it to him, for I was not able to go myself, having been confin'd to the house about a fortnight by a sharp intermitting feaver ; but it is now over for this time and I am pretty well. It has pleas'd our dear Lord and L.M./3 to visit my Family with much sickness almost ever since Xtmass and especially with the small pox of the worst kind, by means of wch he took to himself my two eldest sons John and James, the one 8, and the other 3 1/2 years old./4 They were his, having been solemnly dedicated to him ; He therefor had the sole right to dispose of 'em as it seemed good to him. I most humble adore and acquiesce in his holy will in all things. If I have so much time I shall add what our dear M.S.M./5 upon the occasion of the first's death. After that I wrote again but have had no answer yet.

Dr. Ch./6 went for the Bath the 4th. When I have seen 11Ir. Abercromby /7 and heard what he says as to the other summ then I will write to the Dr. But in his absence I shall pay for the watch,/8 as soon as the first money comes to my hands.

I am in great concern to hear from dear Ld. Forbes, for I have recd. several letters from the Bar. of Metternick,/9 A.R./10 etc. for him, all wch suppose him to be here ; and therefor I would not forward them, having been in daily expectation of his arrival. Pray if he is yet in your neighbourhood please to let him know this with my most humble service and tender respects.

The two little Histories /11 wch your Lop mentions were sent by Mr. Al. Davidson's /12 order to Geo. Keith,/13 writer at Abd. 'Tis I believe three years







1 V. p. 132.

2 Campbell of Monzie who at this point almost disappears from the correspondence. In Sept. 1717 he was appointed Commissioner of the Equivalent and seems to have settled in Scotland. Thus he was not available as a safe means of communication.

3 " Little Master."

4 V. Introduction.

5 Madame Guyon : letter follows.

6 Dr. Cheyne.

7 V. p. 132.

8 V. p. 144, also p. 108. Keith medium.

9 V. p. 102.

10 A. M. Ramsay.

11 The reference is obscure.

12 V. p. 124 : Alexander Davidson of Newtoun in the parish of Culsalmond, a Jacobite, and one of the leaders of the Jacobite cause in the cite of Aberdeen in 1715. He was the great-great-grandfather of the poet Byron. V. A. and H. Tayler, Cess Roll of Aberdeenshire, 1715 (Third Spalding Club), pp. 77, 184, 183 : J. M. Bulloch, House of Gordon, I, pp. 272 ff. ; J. A. Henderson, Society of Advocates of Aberdeen, p. 144.

13 George Keith, Junior, proprietor of Tillyfour, treasurer of Socy. of Advocates in Aberdeen ; v. J. A. Henderson, op. cit., p. 236.

141

since they were left for him. I'm sorry your Lop should have ye trouble of 'em.

My humble duty and wife's attends my Dear Lady and all yours. I never cease to remember your Lop before our divine L.M./1 who I'm confident will be your strength and your all,/2 and will bless you with the Sp. of Faith and Resignation wch will guide you thro all your tryals and difficulties and bring you into his essential and eternal Rest. Whilst we are in the world we must expect to partake in the common calamities of countries and kingdoms, some one way and some another ; but all under the all-wise conduct and providence of our Divine L.M./1 who if we faithfully adhere to him, will preserve us from the evil of the world and from being hurt by the Spirit that reigns in it. He will hide us in the Secret of his presence from the pride of man.

Our Lot is fain indeed in perillous times, in wch nothing is to be seen or heard from every quarter but trouble, confusion, distress. But the Lord reigneth and will make all turn to good in the end. Your Lop I suppose has the publick Newspapers /3 once a week, and they will inform you of the late changes here, as also of some of the footsteps of providence in other parts.

I most heartily commit your Lop and all yours to the Grace and holy protection of the Almighty and remain in the most tender and affectionat manner

Your Lop's in L.M./1

The friends here most humbly salute your Lop. and I shall not fail to recommend to M.S.M./4

ce 19 Mars./5

M.K./6 Je m'interesse beaucoup à votre affliction sur la Mort de votre fils ainé ; mais je vous diray ma pensée ; c'est que Dieu l'a enlevé du monde de peur qu'il ne se corrompit, parce qu'il l'a aimé & qu'il vous aime. Il y a peu de fond à faire sur la pieté des enfans. J'avois mon cadet qui a marqué des sentimens pour Dieu bien au dessus de son age jusqu'à faire par sa foy des choses qui ne paroissoient pas naturelles, cependant come il étoit très beau il n'a pas été plutot dans le Monde que les femmesrresµ l'ont corrompu. J'avois une petite fille dont la pieté étoit très edifiante & sa beauté charmante. J'ay remercié Dieu qui l'avoit enlevé du monde avant qu'elle pût aimer le monde. Ainsi croyez moy le maitre qui connoit l'avenir



1 " Little Master."

2 V. pp. 107, etc.: a favourite phrase.

3 V. Chalmers, Life of T. Ruddiman (1794), Appendix 6, especially, pp. 432-4.

4 Madame Guyon.

5 Here follows a copy of Madame Guyon's letter of sympathy and consolation. Text according to Keith.

6 Dr. James Keith.

142

fait tout pour le mieux ; et ce que nous croyons des pertes sont des grands gains.

J'assure Md. votre epouse que je l'estime et luy souhaitte en J. Ch./1 le veritable bien. Je ne puis neanmoins avoit peine de la mort de Mr. son fils connoissant le P.M./2 comme je le connois. Je vous assure que lorsqu'a trouvé le secret d'être un en Dieu on est aussi present de loin que de près./3 Ma santé est mauvaise : c'est une fievre et un degout depuis un an. Je sens que la Nature s'use et defaille. Je prie Dieu qu'il soit votre consolation et à Md. v. Ep./4 Vouz serez ravis de retrouver ce cher fils un jour dans le sein de Dieu./5

To The Right Honble. The Lord Deskford at his House at Boin near Bamff.




XXXVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

June 11th, 1717.

MY DEAR LORD,

I had the honour of yours of May 9th and in a few days after forwarded the inclos'd to the Ven. M.S.M. /6 who by all our accounts at that time was again become extreamly ill. Her sickness, wch was a feaver—attended with a swelling and inflammation in her stomach with constant vomitings and difficulty of swallowing, encreas'd till the 9th of June N.S. our May 29th about 12 at night, when it pleas'd God to deliver her out of prison and to take her into his Eternal Rest./7 Blessed and adored be his holy will in all things. Let us be continually united with her in the heart of our divine L.M./8 who will not leave us orphans. A.R. and D.G./9 with the other two friends were then there, and were to set out immediatly for P./10 and the three last from thence for Holl. I have lately read over her Life,/11 wch is indeed in all respects most singular, and extraordinary, nor do I believe that since the days /12 of the Apostles there was ever any thing written like



1 Jesus Christ.

2 " Petit maître."

3 Cf. p. 113.

4 " Madame votre épouse."

5 Lettres, I, p. 400: " dans le sein de Dieu."

6 Madame Guyon.

7 V. following letters.

8 " Little Master."

9 Ramsay and Dr. George Garden. It is very interesting to have this statement that these Scots were at the deathbed of Madame Guyon. The other two friends mentioned were Lord Forbes and his brother James Forbes. V. Introduction.

10 Paris.

11 Vie de Madame Guyon, pub. in 3 vols. in 1719 : v. pp. 146, 151, etc.

12 V. p. 151.

it. Mr. P./1 will now set about printing it with all possible speed. There is a 3d vol of Letters /2 already out and the 4th in the press. When this is done both will be sent us.

Mr. Abercrom./3 after his return from Bath pay'd the Bill of L 9 of wch I immediately deliver'd to Mr. Dunlop for the watch./4 I have call'd frequently at Mr. Aber's /3 lodgings to talk with him about Mr. Bl's /5 affair, but never could find him. In the mean time whilst he was at Bath I wrote your Lop's mind fully to Dr. Ch./6 and pray'd him to take that opportunity of taking in the Accompts and adjusting them ; but he answer'd my letter in these words. " Mr. Aber./3 when here design'd to enquire about Mr. Bi's /5 debts, but he staid so short a time that I believe he did nothing in it. I have not been at Bristol since I came down, but if an occasion offers I will acquaint you from the proper persons what his debts may be, and I hope My Ld D fd /7 need not be sollicitous about it till the creditors find some way of acquainting him."

I hope to hear that My Lady is long before this time safely deliver'd of a living and healthful child,/8 and is in a fine way of recovery. I most heartily commit your Lop with my Lady and all yours, this infant in particular to the peculiar Grace and protection of the Blessed Jesus. May He be our Life, our Strength and our All ! /9 My wife was deliver'd of a son /10 the 1st of this instant, and most humbly salutes My Lady with your Lop. Our dear L.F./11 does also the same. His design of going further is now at an end.

LdDup./12 is here and in good health, as L.O./13 also is. It seems now certain that his tryal wch should have been the 13th will be put off. 'Tis thought the Lords will grant a longer day, but whether after that he will be discharged, or kept where he is till next session, is yet uncertain. He bears all with great patience and cheerfulness. The Indemnity /14 is not yet sent down to the two Houses, but is expected now in a very few days. There are several reports about the various exceptions and limitations of it but nothing to be depended on till we see it. God governs the world and will certainly over rule all for the best. The wrath of man shall ever praise him and the remainder of wrath will be restrain.



1 Pierre Poiret : v. later discussion of differences over this proposed publication.

2 V. pp. 109, etc.

3 V. p. 132.

4 For Mr. Dunlop u. p. io8. References to the watch pp. 141, 165.

5 Mr. Blake : v. pp. 139, 155.

6 Dr. Cheyne.

7 Lord Deskford.

8 Foreshadows the birth of a daughter, who became the mother-in-law of Henry Mackenzie, the Man of Feeling.

9 Again this favourite phrase : cf. pp. 507, etc.

10 Peter : v. Introduction.

11 Lord Forbes.

12 Lord Dupplin.

13 Earl of Oxford : v. p. 145.

14 It was promised by the King in his speech of Mar. 6 and reached the House of Lords on July 15 : v. Tindal, op. cit., XIX, pp. 158 ff. V. M N.E., p. 138.

Adieu My Dear Lord. My heart is united to yours in our dear M. and L.M./1 and ever remain in the tenderest and most affectionat manner.

Your Lop's etc.

To the Right Honble. The Lady Deskford /2 at Boyne near Bamf, p. Aberdeen.



XXXVII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, including extract from letter of A. NI. Ramsay describing the death of Madame Guyon.



July 2d, 1717.

MY DEAR LORD,

My last of the 11th past gave your Lop an account of the decease of M.S.M./3 wch hapned the 29th of May O.S. Now this comes to tell your Lop that Ld O's tryal /4 wch began Monday June 24th was, after a great many disputes between the contending parties in each House, and one House against the other, entirely determin'd last night to the great joy and satisfaction of all his friends ; the whole issueing in his full discharge from all the Articles not only of High Treason but of high crimes and misdeamrs brought agt him by the Coms /5 of Gt. Britain.

After the first day when the charge was opened the Commons never appeared in Westminr Hall, because they never would agree to the method of proceeding prescribd by the Lords, wch was to go upon the Articles of high Treason first. The whole last week was spent in sending and receiving messages, and in debating and conferring upon them ; the differences at last became wide insomuch that neither of the Houses being willing to recede or yeild it to the other, and the Coms /5 not appearing in the Hall after Proclamation was made, the Lords proceeded to acquit and discharge Ld O./6 and the Ld H. Steward (Couper /7) did declare him acquitted. Through the whole course of the debate his friends in the House of Peers being powerfully assisted by the Malecontents (amongst whom none were more zealous than Arg. and Ila,/8) carried every question by a great majority, and indeed most questions without a division. His confinement has been

144

in-deed long and close ; for he was impeach'd June loth 1715, and was comitted to the Tower July the 9th, having never been down stairs till he was brought to his tryal. God grant him Grace and improve both his sufferings and deliverance to the best advantage.

A.R./1 has sent the inclos'd by J.F./2 who is safely arrived here and with My Ld his Br./3 salutes you most affectionatly. Say nothing of it yet.

R./4 speaking of M.S.M. adds : " Sa mort a été semblable à sa vie. Elle a porté jusqu'à sa fin les états de Jesus crucifié, et est expiré enfin sur la croix avec une paix et une douceur où il paroissoit une insensibilité à tout ce qui est au dehors, mais ou je crois que l'Interieur étoit bien occupé, et d'une manière peu intelligible à ceux qui n'ont pas les yeux de la Foy. Elle est morte le 9 de ce mois (Juin N.S.) à onze heures et demi du soir. Elle me dit le matin avant et apres avoir reçu le saint viatique qu'elle étoit dans un état de delaissement extreme. Je compris que le P.M./5 la rendoit conforme à son état sur la Croix quand il dit, Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'avez vous abandonné. Je le lui dis même et elle ne repliqua que ces paroles avec une douceur et un abandon parfait, Mon Dieu vous m'avez abandonné. Le reste du jour jusqu'à six heures du soir se passa en grands douleurs et souffrances. Alors elle reçut l'extreme onction et sembla perdre connoissance de tout ce qui est au dehors, et expira sans douleur, sans peine, dans un silence et paix profonde."

We are in hopes that her most admirable Life will be quickly put to the press./6 The 3d vol. of Letters is printed off but I have forbid sending it till the 4th wch is now printing be also done./7 The 20 copies of Télémaque /8 are not yet come. I shall send your Lop two of 'em. In the mean time my most sincere and intimate love always attends your Lop. in union with our dear M111µ../9 I most humbly salute my Lady and am

Your Lop's etc.

To the Right Honble. The Lady Deskford l0

at Boyne, near Bamf, p. Edinburgh.








1 A. M. Ramsay : v. no. XXXIX.

2 James Forbes, returned from Madame Guyon's deathbed. His first appearance in England since the Rebellion. His licence to return is mentioned Oct. 7, 1717. v. Stuart Papers, V, p. 1o8.

3 Lord Forbes.

4 Ramsay on death of Madame Guyon. He was evidently present. Cherel (Fénelon, p. 56 note) seems inclined to doubt whether Ramsay was at Blois on this occasion.

5 " Petit maitre."

6 V. pp. 151, etc.

7 V. pp. 109, 130, 134, 154, etc.

8 The new edition of Télémaque mentioned p. 126 : v. also pp. 148, etc.

9 "Mother."

10 V. P. 133 n.

146





XXXVIII. [FROM MARQUIS DE FÉNELON TO LORD DESKFORD, with postscript by A. M. Ramsay


[The references to the death of Madame Guyon decide its date as 1717.]

A Paris ce 29 juin.

Mon cher milord. Apres la perte que nous auons faiste il ne nous reste plus que d'estre unis en celui qui ne nous manquera jamais et que nous deuons croire ne nous auoir priué de la presence sensible de N.M./1 que pour nous faire trouuer par son intercession un secours plus puissant, et plus conforme à nos besoins. Ceste bonne M./2 auroit estée, je crois, bien touchée si on lui auoit pû lire vostre derniere lettre qui arriva comme elle commencoit a agoniser. L'abbandon en Dieu, la perte de tout appui, et le detachement de toutte creature, et de tout hors Dieu est ce qu'il m'a semblé que le tems que j'ai passé aupres delle dans ces derniers moments de sa vie m'a montré dune maniere sensible estre la voye que je deuois suiure516. Dieu veuille m'y rendre fidelle. J'ai esté consolé en volant dans ceste lettre que N.M./1 n'a pû voir que vous estiez dans des dispositions conformes à ce que Dieu me faisoit sentir. Soions unis mon cher milord malgré la distence des lieux. Je n'aurai jamais rien qui me soit si pretieux que de pouuoir esperer que j'aurai tousjours en vous un ami, et un frere dans le p.m./3 Dieu le veuille, et que je ne cesse pas de l'estre par mes infidelités. Je suis bien touché de la separation des amis avec lesquels j'ai passé un tems qui sera le plus doux de ma vie. Celui qui veut bien se charger de ce billet vous instruira de tout ce qu'il a vû avec nous. Il vous presentera aussi un petit present que vous m'auez permis de vous offrir. Je souhaitte qu'il vous fasse ressouuenir quelquefois de celui de qui il vient à qui l'honneur de vostre souuenir sera tousjours egalement cher et pretieux.

Je /4 ne saurois laisser partir cette lettre Mon Tres Cher Mylord sans vous marquer ma tendresse & mon respect. Je souhaitte infiniment que notre union fraternelle subsiste à jamais. Celle qui est dans le sein de Dieu sera notre lien. Les paroles me manquent mais mon coeur vous parle. Cor meum est apud te sine voce & silentium meum loquitur tibi./5

A Milord D-f--d.



1 " Notre mère."

2 " Mère."

3 " Petit maitre."

4 What follows is in different hand and spelling517.

5 I have failed to trace this quotation. A. Baker in Holy Wisdom, 3rd Treatise, sect. III, ch. vii, § 6, and G. Garden in letter V of Cunningham Correspondence in this volume (p. 256) use Jerome's version of Ps. lxv, v. 1, " Tibi silentium laus est." Jerome in Ps. lxii, v. i reads " Apud Deum silebit anima mea."

147





XXXIX. LETTER FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.


[There is no date, but the reference to the 20 copies of the new edition of the Télémaque fixes it as 1717 and the reference to the departure of James Forbes who left for Scotland on September 2 settles the time of year : v. pp. 146, 151.]

A MYL. D./1

Nous avons perdu MTC Myl./2 la meilleure des mères, que dis-je perdu, elle nous est plus présente que jamais, & sera toujours le lien de notre union. Je vous envoye par Mr. J. F./3 trois livres que vous m'avez demandez autrefois : Les Cantiques du P. Surin, les Fondemens de la vie spirituelle, & le Catéchisme./4 J'ay crû que ces livres vous seroient d'autant plus agréables que je les ay reçu de NM /5 même, & que je me suis défait de ces dons précieux pour vous en rendre participant. Je vous prie de les recevoir de ma part comme un témoignage de mon respect & de ma tendresse. J'ay envoyé à Mr le Dr Keith vingt exemplaires de Télémaque /6 dont il y en a un pour vous. Je vous enverray de même tous les autres ouvrages du même auteur quand ils seront imprimés./7 Je vous prie de ne me point oublier, je ne vous oublieray jamais. Notre filiation & par conséquent notre union doivent être éternelles. Il me sera d'une grande consolation de recevoir de temps en temps de vos chères nouvelles. Personne ne vous est plus parfaitement devoué que moy.







XL. [A very formal business letter from Dr. James Keith to Lord Deskford.]



LONDON,

Sept,. 10th, 1717.

MY LORD,

I had the honour of your Lop's letter of Aug. 25th upon the subject of your brother's s intended journey to Oxford, and deliver'd the enclosed

1 To Lord Deskford.

2 " Mon très cher mylord."

3 James Forbes.

4 V. pp. 110Itoµ, 151. The Cantiques (166o), Fondements (1667) and Catéchisme (1659) are the principal works of Surin. His Lettres (1695) and Dialogues (1704) are also to be noted.

5 " Notre mère " : Madame Guyon.

6 V. pp. 126, 146, etc.

7 Complete works of Fénelon : v. p. 165.

8 George Ogilvie. He had been to school at Dalkeith (Grant, op. cit. p. 307). After his Oxford studies he was admitted advocate at Edinburgh in 1723. He died unmarried in 1732 : v. Paul, Scots Peerage. There is a curious passage in Wodrow, Analecta, IV, p. 534, where he speaks of George Ogilvy as " a foolish young elder, they say of very loose

148

to Mr. Knight /1 who has maturely consider'd of the matter, and here has return'd an answer. 'Tis now about two years since he left the University, being settled vicar of St. Sepulchre's here in Town, but yet if it be desired he will certainly recommend the fittest persons and use his best Interest for your brother's service. He is clearly of ye opinion that it will be much cheaper and every way more convenient for the young gentleman to lodge in a private house, where he may also board, and have any one that's qualified come to him out of any College ; to read to him the Classics with the Roman History, Antiquities, and likewise what he has a mind to learn of the Mathematicks. For the last it may not be amiss to recommend him to Dr. Keil /2 who will find one to give him a course of the Mechanick and Experimental Philosophy. My Lord will no doubt take care to send a prudent man with him who is able to direct and improve him in all his studies, and also to watch over his health and morals. What the charge of his lodging, board and education with other necessaries will come to, cannot be particularly knowen till he is on the place ; and in settling all that I do not question but wch Hunter /3 who is there will be very assisting to him. I wish him success with all my heart and in the meantime giving my most humble service to the Earle of Findlater /4 and your dear Lady and with all possible respect

My Lord

Your Lop's most obedient servt. Ja: Keith./5

To the Right Honble. The Lord Deskford

at his House at Boyne, to the care of the Postmaster of Bamf

p. Edinburgh.



principles," but the point seems to be that he had expressed approval of a sermon which was generally condemned because of its broad spirit of toleration. A number of letters at Cullen House, including some from Lord Deskford to his father, deal with the character and career of this young man.


1 James Knight, b. 1672, educ. Merchant Taylor's School, London, and St. John's College, Oxford, where he became Fellow, Tutor and Greek Reader. In 1716 he became vicar of S. Sepulchre's, London, one of the most interesting of the old London churches. He died 1735. V. Foster, Alumni Oxonienses (1891). V. further pp. 152, 155, 160, 170 f., 179.




2 Dr. John Keill, Mathematician and Astronomer, elder brother of Dr. James Keill, Physician. Both were Aberdonians and copies of some of their writings are in Cullen House Library. V. D.N.B.

3 Not identified.

4 Father of Lord Deskford and George Ogilvie.

5 Few of Dr. Keith's letters have his complete signature as here. It is altogether a much more formal document than usual, and may have been intended for Lord Findlater's eyes as well.

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XLI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

[No year is stated but references to the death of Madame Guyon, to the Télémaque and to the arrival of James Forbes fix it as belonging to 1717. It would seem therefore to have been written on the same day as the previous letter, though different in style as well as in matter.]

Sept. l0th.

I would have answer'd my Dear Lord's letter wch I recd by Mr. Rud's /1 care in due time had it not been that I was not furnished with what I took to be principally wanted in it, namely some account of the last years and hours of M.S.M.'s /2 Life. The account of the most valuable part during the last years of her Life, I have not yet had, nor do I ever expect to have, her state being wholly inexplicable, but by a few general words, and indeed the fewer the better. As for her last moments, besides what I had from J.F. who will also tell your Lop what he saw and heard,/3 I shalt here transcribe what A.R./4 wrote me upon that occasion. His letter is of Aug. 7th.

" —Elle sentit depuis longtemps que Dieu l'alloit retirer, que sa mission étoit finie, et marquoit par l'oubly profond où elle étoit desappropriée. Ses souffrances ont eté extremes, et sa patience tout à fait chrétienne. Il n'y a pas grande chose à dire d'une ame que Dieu avoit toujours caché dans le secret de sa face, et qu'on ne pouvoit connoitre que par le silence du coeur. Il y a des saints qui parlent beaucoup en mourant. Il y en a d'autres qui n'ouvrent la bouche que pour dire avec J. Ch. sur la Croix, Mon Dieu, Mon Dieu, combien vous m'avez abandonné./5 Elle a porté ce dernier état de Jesus sur la croix, et m'a dit souvent le jour de sa mort. Je suis dans un delaissement extreme. Mais tout se passa presque dans le silence, jusqu'à ce qu'enfin elle perdit connoissance de tout ce qui se passoit au dehors." He adds, " J'ay eu ses ordres d'écrire ce que je say de sa vie ; mais en verité ses ecrits et ses souffrances sont si parlantes que je ne trouve presque rien à dire : et je croirai manquer à toutes ses instructions, si je m'etendois en eloges vagues et hyperboliques. Je prie Dieu que le V.P./6 ne tombe point dans ces entousiasmes outrés /7 où il est tombé en ecrivant la vie de Mlle B./8 où il la compare avec les autres saints, et l'eleve au dessus de tous



1 Mr. Ruddiman. V. p. 12S.

2 Madame Guyon.

3 James Forbes was apparently one of those present at Madame Guyon's death : v. p. 143.

4 A. M. Ramsay : accents, etc., as given by Keith.

5 M.N.E., p. 146. Madame Guyon several times in her writings turns specially to this incident : e.g. Lettres, IV, pp. 258 f. ; V, p. 156. So also with Tauler : v. Opera Omnia (1615), pp. 44, 436, 704, etc. Cf. also use by Francis de Sales and Fénelon.

6 Venerable Poiret.

7 V. pp. 154, 189 f.

8 Madame Bourignon. Her Life by Poiret appears in Vol. II of the edition of her works issued under his editorship at Amsterdam in 19 vols., between 1679 and 1686.

150

[Page 151:The Leyden portrait of Poiret. ]

depuis le temps des Apôtres./1 NM /2 en communiquant l'esprit de l'onction à ses enfans les detachoit du Canal,/3 et ne souffriroit point qu'on s'attachât à l'Instrument."

This last period brings to my mind what perhaps your Lop has not yet heard of, namely the very strong opposition /4 that is made by A.R./5 with all the other friends in Fr./6 against Mr. P's /7 printing and publishing that most valuable Life at this time, and in order to hinder him from doing it, they have represented the copy wch he has as defective and imperfect, and therefor have desir'd him to return it to them to be corrected by one wch they call more perfect. R./5 has written several letters (by their order as he says) to Mr. P./7 himself, to D.G./8 and to us here, to this purpose, wch is highly surprising to us all, and the more that he himself transcrib'd that very copy wch Mr. P. has, and sent it to him by N.M.'s /9 express order (having first carefully revis'd and corrected it herself) to be published after her death. But the good old man refuses to give it up and resolves to be faithful to the trust reposed in him. They on the other hand have they say strong reasons for delaying it, but do not say what they are. Ld. F./10 when you see him will acquaint your Lop with all this. He and his br./11



took journey for Scotid the 2d instant and I hope may be at Edbr by this time. L.P./12 and D.G./8 are well but when they will come over I cannot tell. When the 3d and 4th voll. of Lett./13 are sent me I shall obey your Lop's orders, but the 4th is not yet finished, nor are the Télémaques /14 come. One of the next they go upon will be les Opuscules Spirituelles /15 de Mr. L'Arch. de C. wch are said to be very fine. J.F./11 has his Sentinens de Pieté,/16 wch I have read. He has also P. Surin's Cantiques Spirituelles /17 for your Lop. It was M.S.M.'s /9 own book.

Mr. Abercromby /18 desir'd me to enclose your Lop's letters to him, but I forbear to do it till I have your orders. He went down by sea with his Lade about 3 weeks ago. I hope they are safely arrived. With my best and sincerestwishes for your Lop. and your dear Lady and children in the tenderest manner, I am, ever,

Your Lop's etc. (address page torn off.)



1 Cf. p. 143.

2 " Notre mère."

3 Lettres, V, Anecdotes et reflexions, p. iv : " Madame Guyon n'a été que le canal, et l'Esprit de Dieu s'est servi de cet organe."

4 Cf. next letter. This confirms the date of the letter as 1717. Regarding this controversy v. also Introduction, and the discussion in Cherel, André Michel Ramsay, pp. lo6 ff.

5 A. M. Ramsay.

6 France.

7 Pierre Poiret.

8 Dr. George Garden.

9 Madame Guyon.

10 Lord Forbes returned from the Continent.

11 James Forbes.

12 Lord Forbes of Pitsligo.

13 V. pp. 109, etc.

14 V. pp. 148, etc.

15 Fénelon's Oeuvres spirituelles were published at Antwerp in 1715 in 2 vols.

16 Pub. Paris, 1713, and later editions.

17 V. P. 148.

18 V. p. 132.

151





XLII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Octr. 29th, 1717.

MY DEAR LORD,

'Tis above a fortnight since I had the honour of your Lop's Letter of Septr. the 3oth wch gave me ground to expect your brother /1 here about that time. I accordingly was enquiring of our countrymen as I met them whether they had heard any thing of him but did not see any that had, till three days ago Mr. Cun./2 told me to my great surprize that that day he met one who said the young gentleman had been here but was gone a few days before for Oxford. I had communicated your Lop's Letter to Mr. Knight,/3 who in order to do your brother the best service he could has writ to a friend at Oxford about proper tutors or persons to instruct him in experim. philosophy, the Roman History and Antiquities etc. and had recd a full answer from him. However I hope he will meet with others there who will put him in a good way and indeed I cannot give any reason for his not coming or sending to us, but one namely that perhaps he never recd your Lop's letter desiring him to do it.

I hope by this time your Lop may have seen L.F. or his br./4 I have not heard from them since they went into the North, but writ to them about two weeks ago, and enclosed to L.F. A.R.'s /5 answer to his last letter and mine.

The Controversy /6 about printing M.S.M.'s Life is now I hope at an end. Mr. P./7 intends to put it into the press by Xtmas next, and I hope will be very carefull to avoid every thing that may give just ground of offence. I most heartily commit your Lop with my dear Lady and all yours to the Divine grace and protection of L.M./8 and remain in hast

Your Lop's most obedient humble servt.

I have recd the Telemaques /9 from Holld and expect the 3d and 4th voll. of Letters very soon.

To the Right Honble. The Lord Deskford at Craig of Bovn /10 near Bamf.



1 V. pp. 145, etc.

2 Perhaps Robt. Cunningham : v. pp. 99, etc.

3 V. pp. 149, etc.

4 Lord Forbes and his brother James.

5 Ramsay in correspondence with Lord Forbes.

6 V. pp. r14, 143, 146, 151, 159, 162, etc.

7 Pierre Poiret. The Life was not published till 172o, after the death of Poiret.

8 " Little Master."

9 V. pp. 126, 148.

10 V. p. 129.

152





XLIII. [to Lord Deskford, the first part from A. M. Ramsay, the second from the Marquis de Fénelon]


[This Letter to Lord Deskford, the first part from A. M. Ramsay, the second from the Marquis de Fénelon, is dated only 22nd December ; but the references to Télémaque and to the Duke of Gordon show that the year must have been 1717.]

Je prens l'occasion du depart de Mylord Duc de Gordon /1 pour vous envoyer, Mon cher Mylord, un livre de Mr. l'Archeveque de Cambray/2 de la part de Mr. son Neveu./3 J'avois prié mes amis en Hollande de vous envoyer un exemplaire du Telemaque./4 Je seray bien aise de savoir si vous l'avez recû. Je ne manqueray point, mon tres cher Mylord, de vous envoyer tous les autres livres qui s'imprimeront de Mr. de C--y./2

J'ay un gout extreme pour mylord Duc de Gordon. Je le trouve doux, humble, sensé d'un naturel aimable, c'est dommage qu'il ne soit pas au p.m./5 d'une maniere parfaite. Il me vient au coeur que vous devez cultiver son amitié pour cet effet, et ne point negliger les occasions de gagner un coeur si digne du p.m./5 Je laisse place au cher Marquis /3 de vous dire un mot et je conclus avec les assurances d'un respect et d'une tendresse inviolable

Ramsay.

ce 22 Xbre.6

The Right Honorable My lord Deshford.

Je profite avec joye de la place que R./7me laisse icy mon cher mi : /8 pour vous renouveller des assurances d'un attachement qui ne finira jamais. Les liens qui l'ont formé seront j'espere indissolubles entre nous. Recevez le petit present dout R./1 vous parle. Je souhaitte que vous y trouviez nouriture pour le coeur, car tout ouvrage qui ne porte pas ce caractere me paroist frivole et vain. N'oubliez pas un homme qui vous est acquis par des titres au dessus des liaisons communes. Souvenez vous de moy où vous savez qu'il est bon de souvenir les uns des austres.

Que ne vous diroi je point si je me laissois aller à tout ce que mon coeur m'inspire. La connoissance que j'ai eu l'honneur de faire icy avec monsieur


1 Alexander, 2nd Duke of Gordon, had as Marquess of Huntly been at Mar's hunting in August, 1715, and was one of the Jacobite leaders until after Sheriffmuir, when he surrendered. After a period of imprisonment in Edinburgh Castle he was released and went abroad. He took no further share in the Rising. It is interesting to find such a friendly description of him as is given by Ramsay and by the Marquis de Fénelon. V. Rae, History of late Rebellion (1718), A. and H. Tayler, Cess Roll of Aberdeenshire. pp. 31 f. ; Stuart Papers, IV, V, and VI ; Paul, Scots Peerage, IV ; D.N.B..

2 Fénelon.

3 Marquis de Fénelon.

4 V. pp. 526, etc.

5 " Petit maitre."

6 December.

7 A. M. Ramsay.

8 " Milord."

153

le duc de Gourdon /1 me confirme de plus en plus dans le goust et l'inclination que je me sens pour l'Ecosse. On m'en fait quelques fois la guerre en ce pais cy, et je ne m'en deffends point. La vertu et la simplicité écossoise m'ont seduit. Je le serai tout a fait si je puis comter sur des bontez et sur une amitié du prix de la vostre.




XLIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter from Otto Homfeld./1

Janry. 7th, 1717/18.

MY DEAR LORD,

I had the honour of your Lop's Letter of Novr 24th above three weeks ago, and not finding anything in it that requir'd a speedy answer I was willing to put off writing till I should have something more particular from our friends in Holland concerning the Life and other writings de N.S.M./2 I have accordingly had a letter from Mr. Homfeld,/3 and also since that have receiv'd the Third and Fourth voll. of Letters./4 These are but just sent in, so that I have not yet had time to look into them. By the letter of advice I have they are larger than the two former and will be sold 6d dearer so that the 2 voll will come to 4 shill. I shall enquire for a convenient occasion of transmitting six of them to Mr. Rudiman /5 for your Lop, and one more for J.F./6 to compleet his sett. I shall likewise send the 2 Télémaques ' I promis'd before, to be dispos'd off as your Lop thinks fit. Your Lop will be glad to see what Mr. Homf. . /8 writes of Mr. R. . . ./9 " Il semble non seulement revenir de son opposition à la publication de la vie de M.S.M. surtout, après avoir entendu qu'on ne la fera pas avec tant de precipitation que les amis de dela s'étoient imaginés ; mais aussi il promet de nouveau de travailler tout de bon à un supplemt ou à une continuation selon que N.M./10 nous a écrit plusieurs fois qu'il le devoit faire. Nous esperons ainsi que l'allarme qu'on avoit pris là dessus se sera appaisée, et que le P.M./11 continuera à assister le v. P./12 à preparer cet ouvrage pour la presse. Il ne vient que


1 V. p. 156. He seems to have made an excellent impression wherever he went abroad. He had a handsome appearance, and kindly manner. The fact that he was a Roman Catholic also made him more acceptable in certain quarters.

2 " Notre sainte mère " : Madame Guyon.

3 V p. 117, etc.

4 Pp. 109, 117, 137, 139, 144, 146, etc., Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui régardent la vie intérieure ou l'esprit du vrai christianisme : pub. 1717-18.

5 V. p. 139.

6 James Forbes.

7 V. p. 146.

8 Mr. Homfeld.

9 A. M. Ramsay : v. p. 151.

10 " Notre mère."

11 " Petit maitre."

12 " Venerable Poiret."

154

d'achever la revision des Oeuvres Spirituelles de feu Mr. de C./1 qui s'impriment à present actuellemt, mais aux seuls depens de Mr. Wetstein./2 Ces ouvrages feront 3 ou 4 volumes tels à peu près que ceux de N.M./3 Sans doute que les amis d'outre mer seront bien aisés d'en avoir quelques exemplaires, et Mr. Wetst./2 se fera un plaisir de vous en envoier autant que vous en souhaiterez." L.P. and D.G./4 are well and give their kind service to all friends. Dr. Ch./5 who is now here gives his most dutifull respects to your Lop but has heard nothing yet from Mr. Bl's /6 Creditors.

Mr. Knight,/7who salutes your Lop with great respect, had a letter from your brother /8 with yours enclosed, and one also from Mr. Parker /9 in whose



1 Œuvres spirituelles of Fénelon, 1718. V. pp. 151, 159, 162, 164 f.

2 V. p. 117.

3 " Notre mère."

4 Lord Forbes of Pitsligo and Dr. George Garden still in Holland. A letter of about this date from the former (preserved at rathes Castle, Kincardineshire) says : " I have sent so many of your books in this ship according to the note at the foot. I shall buy some more and send them with another that all your stock may not be in one bottom. . . . You'll see also what pains and time men bestow upon things that are not of great consequence and how the most valuable


things are of the lowest price when you compare Macarius works with Petronius and Burman's. I coud say with Dr. Swift, Surely every man is a broomstick."

5 Dr. Cheyne.

6 Mr. Blake. V. pp. 139, 144, etc.

7 V. pp. 149, etc.

8 George, Lord Deskford's brother, now a student at Oxford. V. pp. 148, etc. On February 4, 1718, George Ogilvie's attendant, Wm. Ogilvie, wrote to Lord Deskford from Oxford giving an interesting account of the young student's doings :

" We continue still to lodge at Mr. Parkers and upon the tryal we have now had are abundantly persuaded there is no place besides in Oxford we could propose to ourselves as equally convenient. Its true there are now several who eat at his house, but since they do not lodge, we have by them no inconvenience, and may, whenever we encline, retire to read or otherways employ our time without disturbance. Mr. George has of late been employ'd upon Grotius his book de veritate religionis Christianae, and, after having trac'd him so far as he could find opportunity in his citations, appears to be pretty well satisfied in the strength of the arguments he brings. He has since begun Bp. Parker, father to Mr. Parker, his books de Deo and Demonstration of the truth of the Christian religion against Atheists and Deists, but they being somewhat large, he is scarcer- likely to have patience to go through. He is entered too upon Lock's Essay on Human Understanding and several other books in the Library, but is diverted from reading any one throughout by-the still fresh opportunity he there finds for change. As to his masters he goes on with them in the manner he wrote your Lop, and is at present perusing with Dr. Kyle his Arithmetic, vulgar and decimal, in order to Algebra ; with Mr. Collins he reads Isocrates and Sueton alternately and has the composing ane oration or writing a version now and then prescribed him as extraordinary task. He still keeps his flute master, but upon the end of the 3d moneth dispensed with his writing master, believing he could equally profit by a good copy-book." This letter is at Cullen House and there is also a short letter from George Ogilvie himself to his father dated Feb. 9, 1717 (1718) which confirms the details.

9 Apparently Samuel Parker, nonjuror and author, son of Samuel Parker, Bishop of Oxford. For both v. D.N.B.

155

house he lodges. These came soon after my last to your Lop. Mr. Knight return'd an answer to both. He speaks very well of Mr. Parker as a sober and learned man, but does not know Mr. Collins /1. He has quitted his Fellowship at Oxford and has no thoughts of returning thither in hast. In the meantime I'm sure none would be more ready than he to serve Mr. Ogilvy /2 were it in his power.

I long mightily to hear from our Dear Ld. F. and his Br. /3 One told me that the first was expected here quickly but I know nothing of it, not having heard any thing of either since they went from Edbr. D. G.—don /4 is return'd from his travel's and is pressing hard to get a pr. seal for some 10 or 12 of his friends. The Parlt. meets again the 13th when 'tis apprehended there will be some hot debates. The differences between the Father and Son /5 continue and are come to that height that whoever visits the last is not admitted to see the first. The affairs of Christendom are still in a strange situation. No sign of peace but on the contrary of war, disorder an 1 confusion. But in pace et silentio erit fortitudo nostra./6

I rejoyce My D. Lord to hear of your health and Dear Lady's. Never a day passes without my thinking more than once of you, and indeed I may say without my being present with you. I unite my prayers with all the children of our Blessed L.M. in the heart of N.S.M./7 May the Holy Spirit of our Jesus wch was so plentifully shed forth into that blessed soul, powerfully live and reign in us, and be our Life, our Strength and our All ! /8 May every thing of self and nature and whatsoever is unworthy of his Holy Presence be wholly consum'd in us, that his Name alone may be exalted, and his will be done in us and by us in time and eternity. Amen. I commit you and yours My Dear Lord to his holy conduct and protection and remain always.

Yours etc.

To the Right Honble. The Lady Deskford at Craig of Boyne near Bamf.



1 V. P. 155 n.

2 Ibid.

3 Lord Forbes and James Forbes.

4 V. p. 553 : cf. Stuart Papers, VI, p. 18o, where there is a letter dated a few weeks later than Dr. Keith's (March 23, 1718) and stating that the Duke of Gordon " was to get a privy seal for so or 12 persons." The letter is from Lord Forbes of Pitsligo.

5 King George and the Prince of Wales : v. Tindal, op. cit., xix, p. 169.

6 Isaiah, xxx, 55. The Vulgate has : In silentio et in spe erit fortitudo vestra.

7 " Little master " and " notre sainte mère " : cf. p. 159, " united in heart of ..."

8 V. p. 107.

9 V. P. 133 n.



XLV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

March 8, 1718.

MY DEAR LORD,

Before I had the honour of your Lop's last Letter of Feb. 9th I had sent in six of ye 3 and 4th voll. of Letters /1 for your Lop (with one more for J.F./2) and 2 Télémaques /3, in a bundle and directed to Mr. Rud. /4 at Edr, to be carried down by an Edr. stage coach./5 But the coachman having got his number of passengers sent them back to me the night before he went out of Town. I could not since hear of any other occasion by land, and therefor gave them in some five or six days ago to Mr. Abercromby /6 to be put up with other things wch his Lady has got ready to send down by sea. I also delivered to him four ounce bottles of Hall's Elix. propriet. and one ounce of the best Confect. Raleighana. The 4 ounces Elix. cost ten shill, and the 1 [one]µ ounce of Rawl's Cordial 12. Mr. Aber. /6 has payed me for all. The last is a dear medicine yet I have ventur'd to send it, tho' without orders, that My Lady might not be without it in case of need, for I have often prescribed it and found it good. It is chiefly proper in pains of the stomach occasion'd by sharp acrid humors, either lodg'd there or return'd by a translation of a rheumatick or goutish juice upon it : and likewise in what is commonly call'd a sinking or lowness of spirits. The dose is from a scruple to half a dram i.e. 20 to 30 grains, in any warm vehicle, as barley —Cinnamon water, compound poeony water. 2 or 3 spoonfuls, or the like quant. of warm sack or white wine. The properest time of taking it is with an empty stomach, or at night going to bed. In cases of violent pains we give of it to 2 scruples or even a dram. As for the Elixir /7, 'tis certainly the best in Town. The usual dose of it is from 40 drops to a teaspoonful in a little fair water, or wine and water in the morning fasting or half an hour before dinner. It will keep good many years.

I had a letter from R—y /8 about 3 weeks ago—in wch he acknowledg'd the receipt of your Lop's, express'd his earnest desire to hear from Ld. F. /9 and added that in a little time he was to go towards Italy with his pupil. /10



1 v. p 154.

2 James Forbes.

3 Pp. 139, 554.

4 Mr. Ruddiman at Edinburg”

5 V. Introduction.

6 v. p.132

7 In a letter to Lord Deskford, Sept. 15, 1714, his wife urges him to be careful of his health and says " particularly the elixir you use to gett from Dr. K-, bring some of it down " : (Cullen House).

8 Ramsay

9 Lord Forbes, who, as well as Lord Deskford, is in correspondence with Ramsay cf. P. 141.

10 V. p. 16o.

157

He said nothing of N.M 's Life,/1 nor did I mention anything of it to him. Dr. Ch./2 who setts out again for Bath next Monday, salutes your Lop with great respect, as do all our other friends here. I'm told Ld. Dup./3 with my Lady etc. are expected in Town in a few weeks. I don't question but Mr. Aber./4 acquaints your Lop with the current News of this place from time to time. Things are still in a very strange situation both here and all over Xtendom : but God governs the world and will at the appointed time bring his great and good ends to pass. Emittet Spiritum et renovabitur facies terrae./5 May He be our only Centre /6 and our all ! When we descend into that Centre and feel the Holy Presence of our L.M./7 we find an absence of and a security too from the mighty disorders of this world ; and how true it is, abscondes eos in abscondito faciei tuae a conturbatione hominum./8 I commit you My Dear Ld to the powerful protection of his Holy presence. I never cease to remember you in the best manner I can with My Lady and all yours whom I salute with all possible respect and remain always

Your Lop's most obed. humble servt.

I have never had a letter from Ld. F./9 since he went from Edr. I long to hear how he and his br./10 do and whether they are likely in any tolerable manner to settle their affairs with their creditors. I hope the divine providence will watch ever and assist them.

To the Right Honble. The Lady Deskford /11 at Boyne near

Bamf.



1 V. p. 151.

2 Dr. Cheyne.

3 Lord Dupplin.

4 Mr. Abercromby.

5 Ps. civ, V. 30, " Thou sendest forth," etc. Quoted in various Latin forms frequently by Madame Guyon. V. e.g. Discours, I, pp. 72 f., 77, 222, 342 ; II, pp. 35o, 3S3 ; Lettres, I, p. 684 ; III, p. 21 ; V, p. 140 ; and in French, Disc., I, p. 113 ; Lettres, I, p. 216.

6 V. pp. 93, 113 cf. use of this word by Benjamin Whichcote, the Cambridge Platonist (1609-83) : u. Sermons (Aberdeen edition, 1751), Vol. I, p. 298 ; II, p. 187 ; III, 19o, 245, 358, 374 ; IV, 69, 110 ; etc.

7 " Little Master."

8 Ps. xxx, v. 21 : quoted in French by Madame Guyon, Disc., I, p. J7 : Lettres, I, p. 351 ; IV, p. 59 ; V, p. 32. V. also Tauler, Opera amnia (1615), p. 609.

9 Lord Forbes.

10 James Forbes.

11 V. P. 133 n.

158





XLVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

July 5, 1718.

MY DEAR LORD,

This comes to acknowledge the honour of your Lop's most acceptable letter of June 1 and most humbly to beg pardon for my long silence. I may justly complain with your Lop, if it be lawful for me to complain of anything that happens to me in the order of Providence,/1 that a hurry and multiplicity /2 of little business has been the great occasion of it. But amidst all that I can assure your Lop that never a day passeth without my being present and united with you au coeur de N.S.M./3

I was very glad to hear that My Lady and the children are well, and that the medicines and books are come safe./4 Les Oeuvres de Mr. de C./5 are not yet sent but we dayly expect them : when they come I shall not fail to send your Lop one. As for the Life,/6 'tis not yet put to the press, tho' it is above half a year since it was finally revis'd and prepared for it. The trouble and opposition wch Ven. P./7 has met with on that account is to me very strange and surprizing. 'Tis now past all doubt that the Daughter /8 who is a very artfull politick Lady is at the bottom of all, and that the M. of Fen./9 and A.R./10 have been in a special manner impos'd upon by her. I have recd an abstract of their letters to V.P./7 and Otto H./11 on that subject, and am both grieved and astonished at some hard expressions in them. What I foretold A.R./10 at the beginning of this unhappy controversy is too truly come to pass. May L.M./12 quickly put an end to it and prevent the evil consequence of it ! Next post I intend to write to L.F./13 fully of the matter in answer to his last on the subject.

I am glad to hear that he is in a fair way to settle with his creditors and heartily wish it were done.



1 V. p. 163 : cf. Fénelon (Letters to Women, Eng. trans., p. 32) : " to bear a cross laid on you by God's own hands in the order of his Providence."

2 V. pp. zoo, 163. Dr. Keith takes the special use of this word from the French version of Isaiah lvii, Io. The A.V. offers no similarity. Madame Guyon frequently quotes the verse—" Ils se sont égarés dans la multiplicité de leurs voies," and similar forms, as in Disc., I, p. 67 ; II, p. 117 ; Lettres, IV, p. 587 ; and she uses the word elsewhere as Keith uses it : Disc., I, pp. 67, 121, 221, etc. ; Lettres, II, p. 237 ; III, p. 286.

3 Madame Guyon : cf. Lettres, I, p. 240 : IV, p. 18o, etc.

4 V. p. 157.

5 V. pp. 155, etc.

6 Life of Madame Guyon : r. pp. 146, 151, etc.

7 " Venerable Poiret."

8 Daughter of Madame Guyon : v. p. 130 note.

9 Marquis de Fénelon.

10 A. M. Ramsay.

11 Otto Homfeld : v. p. 117.

12 " Little Master.

13 Lord Forbes : Keith in correspondence with him.

159

A.R./1 is now at Grenoble in Dauphiné with his pupil who is lately married there. He had thoughts of going on to Italy- but one who came not long since from P./2 told me 'twas believed he would rather return thither. D.G./3 who is in very good health writ in his last that L.P./4 had been some time at Ratisb./5 with the C. and B. of Metter./6 and was come to Vienna. Dr. Ch./7 is indeed extreamly fat but yet has pretty good health. He writes that he has for ever bid an adieu to London. But I believe he must alter his mind. Mr. Knight /8 salutes your Lop with great respect. The continual care of his great parish keeps at present from publishing any thing. His frd /9 Dr. Haywood /10 who is very well acquainted with your brother Mr. Ogilvie /11 is now in Town. He has given me a particular character of him and assures me that he applies himself very closely to his studies, and is in the way of making a great progress in them.

In fine, I most heartily commit your Lop and all yours to the all powerful Grace and protection of our Divine L.M./2 May He be our strength'and our all ! /13 Be not discouraged /14 at any difficulties that may happen thro hurry of business, awakening of passion or the like. These will often happen in the commerce of the world, but by meekly turning inward /15 and sinking down in the Divine Presence /16 they will quickly be dropt /17



1 A. M. Ramsay : v p. 157. He does not seem to have visited England till 1728 : v. Cherel, op. cit., p. 63.

2 Paris.

3 Dr. George Garden still abroad, apparently at Leyden. A letter from Lord Forbes of Pitsligo dated Munich, May 13 (N.S.),1718, and preserved at Crathes Castle, Kincardineshire, speaks of the journey here mentioned and shows him on his way from Leyden to Vienna, via Ratisbon.

4 Lord Forbes of Pitsligo : the Stuart Papers, Vols. VI and VII, include a number of references to Lord Pitsligo at Vienna in July to September, 1718. He seems to have moved on to Venice and to have been in Rome at the end of the year.

5 Ratisbon.

6 Metternich ; v. p. 102.

7 Dr. Cheyne : at one time he is said to have weighed 32 stones : v. Introduction.

8 V. pp. 149, 155, etc. Knight had published On Whiston's Historical Preface (1711), Primitive Christianity Vindicated against Arian misrepresentations and Whiston (1712), and other works mentioned pp. 17o f.

9 " Friend."

10 Thomas Haywood, D.D., fellow of S. John's College, Oxford. A manuscript letter in Brit. Mus. (15911, folio 33) mentions Mr. Knight and Dr. Haywood (Oxford) as well acquainted. A letter from Haywood (fol. 38) mentions proposals from Dr. Keith in regard to certain publications.

11 George Ogilvie : v. pp. 248, 155.

12" Little Master."

13 Again this phrase : v. p. 707.

14 V. pp. 8o, 163.

15 Introversion; v. pp. 83, 507 ; cf. Madame Guyon, Discours, II, p. II; S. Augustine, Confessions, Bk. X, ch. 27 ; Molinos, Spiritual Guide, ch. i ; Fénelon, Pious Thoughts, p. 26, etc. ; Walter Hilton, Scale of Perfection, ch. xlix.

16 V. pp. 76, 107, etc.

17 Pp. 93, ioo, etc.

160

and forgotten. Patience, patience, Resignation and Silence./1 God is all and we nothing./2

I embrace your Lop in the tenderest manner possible, and remain most faithfully.

Your Lop's.

I kindly salute Mr. Aberc./3 and his good Lady with all other friends.

To the Right Honble. The Lady Deskford at Craig of Boyne near Bamf, p. Aberdeen.



XLVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Septr. 30th, 1718.

MY DEAR LORD,

I have been long intending to write to your Lop, and have long'd as much to hear from you and to know how you and your Dear Lady do. Avocations and distractions of several kinds are never wanting to all of us and to me particularly, which again and again hinder me from saluting your Lop when I would, and conversing with you coeur à coeur oftentimes when I have a mind to do it. An opportunity is soon lost and not so easily recover'd. In the mean time I can't say that I ever forget you nor our Dear L.F./5 and J.F./6 but always desire to see and be united with you in the simplest and best manner au coeur de N.M./7


1 Patience, resignation and silence are words very characteristic of the Quietist and mystical vocabulary and very frequently to be found in the writings of Madame Guyon. V. e.g. patience in Lettres, I, pp. 235, 410 ; II, pp. 226, 309 ; Disc., II, p. 122 : resignation (abandon and renounce are more common), Disc., I, p. 179 ; II, p. 20 ; Lettres, IV, p. 391 : Silence, Disc., I, pp. 157, 168, 268 f. ; Lettres, I, pp. III, 114, 26o ; II, PP. 145, 237, 376, 464 IV, pp. 493, etc. Cf. A Short Method of Prayer (Eng. Trans. 1875), ch. 4 : " Wait in patience, with a heart humbled, abandoned, resigned and contented." The above passage is close to the language of Molinos who speaks (Spiritual Guide) of " silent and humble resignation " ; " internal recollection is faith and silence in the presence of God " ; " enduring with patience, persevering in faith and silence, believing that thou art in the Lord's presence " ; etc. Similar expressions are easily found in Francis de Sales, Tauler, Augustine Baker, etc.

2 A phrase most characteristic of Madame Guyon : v. Disc., I, pp. 162, 231, 378 ; II, PP. 4, 170, 245, 333 ; Lettres, I, pp. 351, 463, 542, 678 ; II, p. 226 ; IV, p. 558, etc. Cf. Baker, Holy Wisdom, pp. 196, 32o. An important principle also with John of the Cross : v. E. A. Peers, St. John of the Cross (1932), pp. 44 ff.

3 V. p. 532.

4 V. p. 129. B

5 Lord Forbes.

6 James Forbes.

7 " Notre mère " : cf. pp. 156, 159.

161







XLVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

NOV?. 15th, 1758.

I had the honour of My Dear Lord's letter of Oct' 27th as also of a former dated Sept' 11th with L.F.'s /1 postscript of Oct. 12th. Both of 'em were most agreeable and wellcome to me, as was likewise the joyfull account I had yesterday from Mr. Abercr./2 of your Lop's and My Lady's health with that of your dear children. May it please our divine L.M./3 to continue his peculiar care and protection over you all, and to preserve you and all of us in an humble and faithfull dependance /4 upon him from day to day and moment to moment. When one sees and observes his Hand in everything that happens, and constantly stands in the order of his Providence,/5 he will not be disturb'd at the strange disorders of the world, nor discourag'd under the variety of Crosses and the Multiplicity /6 of affairs wch almost unavoidably attend him. All those things must be suffer'd to go as they came, without any forecast /7 on our part or after-reflexion./8 Let not your hearts be troubled, said our Bl. Saviour, and again take no thought for tomorrow, for sufficient to the day is the evil thereof. Words of infinite Wisdom and Love ! Our daily experience will confirm to us the Truth of them. Besides, we must have great patience with our selves /9 as well as others, and be willing to bear our frailties, defects and Infirmities, as we see little children are, without even desiring to get rid of 'em before the time./10 And as the natural growth is utterly unobserv'd and insensible as to the moments of it, so likewise is the Spiritual. But in Him is Life and Strength and Perfection. He is all, we are nothing./11 The work is his



1 Lord Forbes.

2 Mr. Abercromby V. p. 132.

3 " Little Master." '

4 V. p. 162.

5 V. p.159.

6 Pp. 1oo, I59.

7 Lettres, I, p. 687: " écarter tout raisonnement anticipé ; la grace n'anticipe rien, ne prévoit rien."

8 Lettres, I, pp. 549, 155, 369 III, p. 98 ; IV, pp. 227, 470 ; Disc., II, p. 239 ; etc. Cf. pp. 83, 99.

9 Lettres, I, p. 235 : " Ayez une grande patience avec vous-même " ; p. 410 : " d'avoir beaucoup de patience avec vous-même." Cf. Fénelon, Spiritual Letters to Women (Eng. trans. 1887), pp. 96 ff.

10 Lettres, I, p. 44o : " Aimons notre foiblesse, puisque Dieu nous la laisse, et soyons comme les petits enfans. Lorsqu'un petit enfant est sale, il ne sauroit se nettoyer si on ne le nettoye." Cf. Mirror of Simple Souls (1927 trans.), p. 52.

11 V. p. 161 : cf. A. Bourignon, L'Académie (1681), ch. I.

163

Last week I sent your Lop one of Mr. de Cambr's Oeuvres Spiritlles /1 in 2 voll stitch'd, and another for Ld. F./2

They were deliver'd by Mr. Alexr. Garden /3 to one Mr. Shand /4 Mar of an Aberdeen ship and by him directed to Mr. Ja. Gelly /5 mert at Abd son to the late Afinr of Fordyce, who I'm told is knowen to your Lop and will take care of 'em.

I thought it better to take this occasion than to send them to Mr. Ruddiman./6

I am to write to Ld. F./2 in a few days and would have done it sooner had I not been expecting another Letter from Holld wch is not yet come. I hope by this time the Life/7 may be put into the press, but cannot yet be positive. I have had no Letter from A. Ry /8 since the beginning of July, but suppose he may be now return'd to P./9 with his pupil. There is one there whom I believe L.F. and his br./10 have seen, Md La D. de G—che /11 who is much esteem'd by all the friends of that side as inheriting most of N.M.'s spirit. I have seen two or three very sweet good Letters of hers.

These Oeuvres Spirituelles are mighty beautifull and fine, but to me they have not the pure Life and Unction of N.S.M.'s./12 I most heartily commit you My Dear Ld with all yours to the guidance and conduct of that blessed Spirit wch is the very Spirit of pure Faith and Love, Disappropriation /13 and Holy Dependance /14 and ever am in the tenderest manner.

Yours

(no address). J.K.

1 V. P. 155.

2 Lord Forbes.

3 Not identified. There are several possibilities.

4 Patrick Shand is frequently mentioned in the books of the Aberdeen Shipmaster Society (then Aberdeen Seamen's Society). In 1716 he was master of the Thomas, sailing from London.

5 Fasti Ecclesiae Scoticanae, new edit., VI, p. 288.

6 V. pp. 128, etc.

7 V. P. 159.

8 A. M. Ramsay.

9 Paris : v. p. 16o.

10 Lord Forbes and his brother (James).

11 Cf. Cherel, Fénelon au XVIIIe siècle en France, p. 163, quoting a letter which says " priez pour moi-, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche." It is pointed out, p. 163, that the Maréchale de Grammont " avait succedé à Mme. Guion dans l'état apostolique," her letters to pious correspondents are mentioned, and a letter from her is transcribed. This is the same person : le duc de Guiche took the title duc de Gramont in 1720 on the death of his father. He was maréchal de France. V. Biographie universelle, xxi, pp. 626 f.

12 " Madame Guyon " : an interesting comparison. Writing to Val. Nalson (undated, printed in Nichols, Literary History, IV, p. 411) Dr. James Keith says, " You will be exceedingly pleased with the Oeuvres Spirituelles. They are indeed beautiful and fine beyond expression, and some of them, were they published in English, might be very useful to many, and especially to pave the way for receiving and tasting those of N.M. which to me are far more excellent, as coming more immediately from the fountain and having and deriving more life in them."

13 A favourite expression of Madame Guyon : v. Disc., I, pp. I I ff., 21, 64, 74, 203 ff. ; Il, pp. 231, 383 ; Lettres, III, pp. 351, 515, 524 ; IV, pp. 464, 484, etc. 11 Cf. pp. 8o, x63 ; v. Lettres, I, pp. 19o, 218, 407 ; III, p. 624, etc.

163

and He will do it./1 Let us only be little /2 and passive /3 and silent /4 before him.

I shall take care to foreward the inclosed to the Marq./5 I have no account of R's /6 arrival ; but I know he was expected about this time or sooner. Nor have I heard lately from our friends in Holld, but conclude from their last that the Life /7 is put to the press. I have sent the 2d part of it by L.F.'s /8 order to the Marq. and R./9 to be collated with what they have, and when they had done it prayed them to return it safe.

L.F./8 gives me some hopes of seeing him here this winter. I writ to him the 25th past and intend to write again speedily.

I shall be glad to hear that Mr. de C's Oeuvres Spirituelles are come to hand./10 If your Lop desires any more of them I will find another occasion to send them. In the meantime I remain always in the tenderest and sincerest manner possible

My Lord

Your Lop's most obedient and most humble servt.

To the Rt. Honoble

The Lady Deskford /11 by

Edinburgh to Bamf Scotland

free

Al. Abercromby./12



1 This suggests Isaiah xxvi, 10, a favourite text with Madame Guyon, who quotes it, e.g. Lettres, I, p. 659 ; IV, pp. 84, 157, 310 ; V, p. 511 ; Disc., I, 283. " C'est vous qui faites en nous toutes nos oeuvres."

2 A word constantly on the pen of Madame Guyon, e.g. in Lettres, I, pp. 77, 8o, 142 f., 175, 212 (" soyez bien petite et bien rien "), 215, 243, 370, 441, etc. Cf. Fénelon, Lettres spir. (Oeuvres, Paris, 1861), pp. 604, 6o6, 657, 664, etc. ; Vie de M. Renty, p. 328.

3 The word appears frequently in the writings of Madame Guyon, e.g. Disc., I, p. 182, " passif et petit," pp. 121, 143, 173 f., 177, 208, 269, 421.

4 V. pp. 1o6, 161. Great passages on Silence occur Molinos, Spiritual Guide, ch. xvii ; Baker, Holy Wisdom, pp. 23o ff., 489 ff. ; Fénelon, Spir. Letters to Women (Eng. Trans. 1887), pp. 3o ff. ; Imitation of Christ, I, ch. 20 ; Augustine, Confessions, IX, ch. 1o.

5 Lord Deskford in communication with the Marquis de Fénelon.

6 A. M. Ramsay expected in Paris.

7 The Life of Madame Guyon, v. p. 162. Writing to Val Nalson (undated, but apparently about this time) Dr. Keith says, " The Life I hope will be speedily put to the press, without consulting the French friends any further about it " (Nichols, Literary History, IV, p. 410).

8 Lord Forbes.

9 The Marquis de Fénelon and A. M. Ramsay.

10 V. pp. 151, etc.

11 V. p. 133 n.

12 Franked by Abercromby as a member of Parliament.

164



XLIX. [The first part of this letter to Lord Deskford is from A. M. Ramsay, and the second from the Marquis de Fénelon.]

MY DEAR LORD,

Please accept of the small present I send your Lop by my Lord Pitsligo. 'Tis a compleat coppy of the good Archbps. works./1 J'ay prié aussy my lord Pitsligo de vous payer le prise de ma montre /2 que vous avez eû la bonté de payer pour moy a W. le Dr. Cheyne. J'ay oublié la somme mais vous vous en souvenir sans doute.

J'espère, mon cher mylord, que la fraternité qu'il y a entre nous ne sera jamais oublié et que nous vivrons toujours dans le même lieu à la plus grande distance./3 Ce lieu est notre centre/4 commun dans lequel je vous embrasse avec un tendre respect.

Ramsay,

à Paris ce 26 Fevr.

To The Right Honorable My Lord Desford.

a Paris le 26e Fevrier.

Je ne puis voir partir le my./5 qui vent bien se charger de cette lettre sans enprofiter mon cher et R./6 my./5 pour vous faire souvenir d'un homme qui



1 A letter from Lord Forbes of Pitsligo to Lord Deskford dated at Pitsligo, July 7, 172o, is preserved in Cullen House. The following is an extract :

" You'll find the letters within of an old date, but Mr. Ramsay told me there was nothing in his that requir'd to be deliver'd in haste. There are some books from him, viz. the posthumous works of the Arch. Bp. of Cambray in a box with a few books of mine. . . , I suppose you know the Marquis de Fénelon's hand already. . . . Dr. Garden heartily salutes you. He came here just now in very good health." A further letter of Nov. 13, 172o, says : " I hope you shall find those books that were sent you by Mr. Ramsay at Edr. They have been for some time stopt with a parcell of mine in the Custom house of Enstruther, but I believe they may be out before now, and Mr. Munro will have them for your Lop. Dr. Garden wrote me yesterday he had got five or six coppys of the Life of Madame Guyon and as many of the Justifications and the Opuscules, all to be sold, the price of the Life is a florin and 13s., the Opuscules 1fl. is., the Justifications 2fl. 2s. These writeings are certainly a treasure. . . . I need not desire you to burn this."

These letters not only confirm Ramsay's letter given in the text, but date it as of 1720, and we gather also that Lord Forbes of Pitsligo returned to Scotland early in this year, apparently leaving for home about the end of February. We have also confirmation of the close relations between Lord Forbes of Pitsligo and Dr. George Garden, of Garden's movements at this date after his period of exile, and of Garden's share in the work of distributing the books of Madame Guyon.

2. V. pp. 131, 244.

3 A favourite thought with Ramsay (v. p. 137), and with Madame Guyon and Fénelon.

4 Another characteristic expression of the mystic : v. pp. 93, 113, 158.

5 " My lord."

6 " Respecté."

165

vous est tousjours également uni, et qui ne peut changer sur les sentiments qu'il a pour vous. Nostre ami vous en dira plus que je n'en pourroit mettre icy. Lorsque vous serez ensemble souvenez vous quelques fois de moy et honorez tousjours d'un peu d'amitié celui à qui elle sera toujours suprement pretieuse, et qui ne vous oublira jamais. Souvenez vous de lui auprez du p.m. Et soions tousjours de veritables enfants de N.M/1 Adieu cher milor pour qui mon respect égale mes austres sentiments.

pour my. d'Ex./2



L. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

July 2nd, 1720./3

I rejoyced to receive My Dear Lord's letter of June 14th, and that yor Lop has at last come to a resolution of settling yor children with Lady Ann Allardes,/4 who has a very good character and will certainly take all possible care of their health and education. I pray God to bless and preserve them and to season their tender hearts with his Holy Fear and Love ; that they may become real comforts to yor Lop, and true children of L.M./5

I firmly believe and hope that He will ever be yor guide, yor counsellor and yor strength, to conduct you in all yor ways and support you under all yor difficulties. We are ever now and then apt to stumble and to


1 Notre mère."

2 " Mvlord d'Exford," i.e. " Deskford." V. p. 85.

3 There occurs here a considerable blank in the correspondence between Dr. James Keith and Lord Deskford. Letters in Cullen House seem to show that Lord Deskford was in Scotland throughout the year 1719 --chiefly at Boyne and at Dupplin—so that there were probably some letters exchanged with Dr. Keith though these are not preserved. It so happens that 1719 was a year when it was impossible to do much in the way of the propaganda in which the group was interested. At the beginning of May Poiret took ill at his home in Rhijnsburg and on the 21st he died. The traffic in mystical literature depended almost entirely upon him. He had been preparing for the press more than one of Madame Guyon's literary productions, but none of these was brought out in 1719, and the Letters of Dr. James Keith begin again before the issue in 1720 of the Life of Madame Guyon, about which there had been so much unpleasant controversy. On Dec. 7, 1719, Lord Deskford was in London, but hoping soon to be in Scotland again.

2 Anna, youngest sister of the Chancellor Earl and aunt of Lord Deskford, married 1692 George Allardice of that Ilk who died 1709. She died 1735 : r. Paul, Scots Peerage, IV, p. 37 ; D. M. Rose, Allardices of that Ilk (pamphlet) ; Register of Burials in Holyrood House, p. I I ; Seafield Correspondence (S.H.S.), pp. 89 f. Various letters at Cullen House (e.g. a letter from Lord Forbes of Pitsligo to Lord Deskford, Sept. 15, 1722) are addressed " to be left at my Lady Ann Allardice's Lodgings, Edr."

3 " Little Master."

166

commit mistakes, but we must not be griev'd or troubled at them ; but rather own, and rejoyce in our infirmities, that the power of Xt may be made manifest in us. His providence overruleth even those and makes them best and most salutary for us. May his Holy Presence be ever in us and wth us !

I am glad the Books wch I sent by S. Th. Bruce /1 came safe. There were 5 of the Pious thoughts,/2 and 2 of Dr. Waterland's 3 Sermons. One of each I design'd for S. Pat. Murray./4 The price I shall set down on the other side, wth what I gave to Dr. Mead./5

I believe le Traité des Justifications /6 is by this time near finished, as is Mr. P.'s posthumous work./7 My next from Holld will give an acct. of them.

I have had no letter of late from R./8 but am assured he has absolutely quit the commission wch was given him in the Army, and obtain'd it for a friend of ours whom Ld. F./9 knows.

There is a strange Spirit gone forth both there and here of encreasing and multiplying money of a sudden./10 It has fill'd most people's heads and hearts, and turri'd them from the thoughts of every thing else. It has already had very uncommon effects, but what the issue will be God only knows. Even in this respect we live in a very trying time. God grant us Grace and strength to be faithful. I must now conclude with my best wishes for our Lop's wellf are and felicity, being always

My Lord,

Your Lop's most obedient humble servt.

J. K.





1 Formerly Sir Thomas Hope, Bt. of Craighall : v. p. 77 note.

2 Pious Thoughts concerning the Knowledge and Love of God (extracted from Oeuvres spirituelles of Fénelon), translated from French and published at London in 2720, along with a translation of Madame Guyon's Instruction from a Mother to a Daughter.

3 Daniel Waterland. D.D., Master of Magdalen College, Cambridge, Eight Sermons in Defence of the Divinity of Christ, 1720. He was one of the principal antagonists of Arianism in England. A copy of the Sermons is still in the Library at Cullen House.

4 Sir Patrick Murray of Auchtertyre.

5 Richard Mead (1673-1754), celebrated London physician : v. D.N.B. Robert Nelson (Secretan, Life, p. 177) refers to " the learned, judicious, and pious Mr. Mede."

6 Madame Guyon's Justifications, new edit. 2720 : 3 vols. V. M. Wieser, Peter Poiret, p. III : omitted by Wieser under this date, p. 341, though an earlier edition is mentioned.V I'.. also M.N11. `'..E., p. 1653 n.

7 Petri Poireti Posthuma : pub. by Wetstein 1721 : v. M. Wieser, Peter Poiret, p. 331. The Posthuma includes a defence of James Garden's Comparative Theology : v. Introduction. It also includes an important account of Poiret himself.

8 A. M. Ramsay. There is no mention of this military project for Ramsay in any of the accounts of his Life.

9 Lord Forbes.

10 V. W. R. Scott, Joint Stock Companies to 1720, Vol. III, div. xiii : List showing new schemes, etc., 2729-20 ; Calamy, Hist..Acc. of my own Life, II, p. 430.

167

March 31, 172o to Dr. Mead L 2 2

Apr. 28 to Dr. Mead . 1 1

May 19 by Sr. Th. Bruce

I of Dr. Waterland's sermons 0 4

2 Pious Thoughts bound . 0 5

2 Pious Thoughts stich'd . 0 3

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L 3 15

To The Right Honble. The Lord Deskford

To the care of Mr. George Macky,/1 near Bamf, p. Aberdeen. North Britain.



LI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

LONDON,

Sept. 20, 1720.

MY DEAR LORD,

I had the honr of yor Lop's letter of the 5th and rejoyced to hear of yor health and that of yor dear children, but especially of that meek and entire submission /2 of spirit to the Divine Providence towards you, wch I clearly perceive in it. May the H. Sp. of L.M./3 continually support and direct you, and perfect the good work wch he hath begun and carried on in you ! /4 That watchfulness over our selves and constant attention of Love to the divine presence, with naked Faith /5 and humble Resignation,/6 are what we must continually aim at, and indeed the certain means of bringing us to that frame and disposition wch or Lord requires.

I was some six weeks ago in hopes of seeing yor Lop here, and for that reason put off writing longer than I ought to have done, but having heard that yor resolution was alter'd I sent yor Lop a few lines the first inst. and



1 George Mackie was factor to Lord Deskford : v. document quoted Grant, Records of County of Banff, p. 353. His name frequently occurs in letters preserved at Cullen House. V. also p. 129 n.

2 Cf. Disc., I, p. 179 ; Lettres, I, p. 68 ; also Lettres, IV, p. 466 : " Dieu prend soin invariablement de lame qui se confie entierement à lui."

3 " Holy Spirit of Little Master."

4 Cf. Lettres, IV, p. 180 : " Jesus, que je prie d'achever en vous ce qu'il y a mencé " ; also IV, pp. 3, 103, 126.

5 One of the most characteristic expressions of Madame Guyon : v. e.g., Disc., I, pp. 6, 37, 48, 150 ; Lettres, III, pp. 4, 147, 242, 258, 286, 375, 432, 435, etc. 6 V. p. 161 n., 105, etc.

168

directed it for Bamf p. Edbr. I suppose it may not be come to hand. I recd. the Note of £6 i18sh. on Mr. Ab./1—and saw him some days after, but did not mention it to him. He was poor gentleman exceedingly dejected, being a great loser by the sudden fall of the Stocks./2 I am heartily grieved for him and his good Lady. He went for France /3 last Friday with Mr. Ogilvy of Rothemay./4 How long he intends to tarry there I know not.

Many here of all ranks are ruin'd by that Fall and many more hurt in their temporal estate. I wish all of 'em may humble themselves, and take it as a kind chastisement of providence for the pride, vanity and luxury, wch were growing exorbitant beyond measure. They talk much of retrieving their credit, but I believe it hardly possible to bring it to what it was. It has been a very strange scene both here and elsewhere, and will certainly produce very uncommon effects, all under the special conduct of providence.

Les Justifications /5 are now come over. I suppose some of 'em will be sent to Mr. Monro /6 from Holl'. Macariûs' will also be publish'd in English



1 Mr. Abercromby.

2 The slump in the stock of the South Sea Company took place August-September, 172o0 : v. Lewis Melville, The South Sea Bubble (1921) : y. M.N.E., pp. 171 ff.

3 A letter at Cullen House from Lord Deskford's sister, the Countess of Lauderdale, dated October, 172o0, no doubt refers to this when it says : " My Lord is very angrie that Abercromey shoud a gone offe but he says it was becauess he had sume dealings with Messisippi that caned him over for ther is hundereds att London that are not able to perfrom there bargains and yet do not go out of the way."

4 Archibald Ogilvie of Rothiemav, one of the Jacobite leaders in the north. For some interesting details v. A. and H. Tayler, Ogilvies of Boyne, pp. 62 ff.

5 V. p. 167. The letter from Dr. James Keith to Val. Nalson printed in Nichols, Literary History, IV, p. 410, under date Oct. 15, 1718, is obviously not of that year but of 1720. It includes this reference to the book here mentioned : " I must also let you know that Mr. Vaillant has now received Les Justifications de N.M. en 3 vols. The price bound is 7s. 6d. ; and, indeed, reasonable enough, for they are much larger than the Life. I am sure you will like them, for


they are wonderfully well done ; and not without a very extraordinary assistance. In a word, it is the best commonplace-book of that kind I ever saw."

6 William Monro here appears for the first time as the Edinburgh agent in the distribution of mystical literature. V. p. 125. Monro seems to have escaped the notice of all the authorities on the history of bookselling. He is probably the William Monro recorded in the Edinburgh Marriage Register under date February 4, 1720, as " S. of late Mr. Andrew M., minister of Thurso in Caithness," and married to " Isabel Gerrard d. of late William Gerrard, merchant in Aberdeen." Fasti Ecclesiae Scoticanae (new edit.), Vol. VII, p. 136, under heading Andrew Munro of Thurso, mentions a son William, a bookseller, but offers no authority. Mackenzie, in the History of the Munros, p. 387, has a similar entry, but says (without stating any authority) that this William the bookseller died unmarried. A letter from Monro to Lord Deskford, dated 23rd Nov.. 172o, is in Cullen House, and begins : " I had your Lop of the 15th yesterday and enclosed that for Dr. Keith to Mr. Abercromby, the Dr. having desired me to direct that way." He mentions professionally a number of recent publications, especially in History and [For note 7 ste following page.

169

next week. The Contraversies concerning the H. Trinity 1 are pretty



Travel. He also refers to an order from Lord Deskford for a Bible. There is an interesting reference to Monro in the letter written by T. L. Wetstein (e. p. 125 note) from Holland and quoted in a note in Remains of John Byrom, Vol. II, pp. 472 f. The letter dated 26th Feb. 1735, begins : " Dear Sir, Worthy friend and brother in Him who is our eldest brother and our head. To answer your queries, I must tell you that we are not acquainted with anybody in Scotland but My Lord P. (Pitsligo) and one Mr. William Monro, bookseller at Edinburgh, who have been here." The letter further mentions James Forbes, and his brother William, late Lord Forbes, George and James Garden, Dr. Keith, the Philadelphian Society, Madame Bourignon, and Mr. Homfeld. It is interesting to find Monro spoken of in such company, and personally visiting at the Wetstein place of business in Holland.

7 The letter from Dr. Keith to Rev. Val. Nalson quoted above refers also to the Macarius : " I have long since been intending to give you the 'trouble of a few lines ; but, having nothing that was urgent in point of time, I was always inclined to put it off till I should be able to give you some good account of Macarius. Now then I can tell you that it is entirely finished, and that the translation, I hope, as well as the paper and letter, will not be unacceptable. It makes a pretty large book of near 500 pages, and therefore the charge of printing it is considerable ; however, the bookseller is willing to dispose of it to subscribers and other booksellers at the very lowest price he can, which he says is 3s. 6d. in quires, and 5s. bound in the shop. You may remember I undertook for 5o of them, 20 of which you had hopes of disposing of amongst your friends and acquaintances. Please then to let me know whether you can still put off that number, and when and how they must be sent to you." Another (undated) letter given by Nichols (ITT, p. 410) mentions a copy of the 1526 Paris edition of the Homilies of Macarius (in Greek) as ordered from Vaillant for Nalson. The English translation to which Keith refers is Primitive Morality or the Spiritual Homilies of St. Macarius, London, 1721 (B.M. Catalogue). A copy of this is still in the Library at Cullen House. The Homilies are supposed to have been the work of Macarius, a 4th century monastic mystic in the deserts of Upper Egypt : v. Moeller, Hist. of Christian Church (1892), I, pp. 358, 409 ; 'Wieser, Peter Poirer, p. 221 ; but cf. G. Raüschen, Grundriss der Patrologie, pp. 234 f. Poiret praises the work of Macarius very highly, even declaring " spisitu sancto, dictante vindentur scriptae, earumque lectione saturari vix potent pia mens " (v. Epistola de przncipiis . . . mvsticorum, 1708, pp. 194 ff., 289 ff.) ; but cf. R. J. Vaughan, Hours with the Mystics, I, p.iii. John Byrom, speaking of Wm. Laws says, "I mentioned the old people, Hermes, Dionysius, Macarius, whom he commended, especially, I think, .Macarius," (Remains, II, part I, p. 113) : y. also J. H. Overton, Life and Opinions of Wm. Law (1881), p. 146. V. also Madame Guyon, Disc., I, p. 266 note ; M.N.E., P. 155 n.

8 Considerable controversy had been going on since the beginning of the century. Dr. Francis Gastrel published, 1702, Some Considerations concerning the Trinity which approved itself to the orthodox and went through several editions. The opposite side was taken by Dr. Samuel Clarke, notably in his Arian Scripture Doctrine of the Trinity (1712). To this James Knight replied, 1713, in an anonymous Scripture Doctrine of the most Holly and Undivided Trinity vindicated, which was published next year, with a prefatory letter by Robert Nelson ; and again in 1715, in further answer to Clarke, Knight issued (again anonymously and under the recommendation of Nelson) True Scripture Doctrine . . . continued and vindicated. Knight's first reply to Clarke is described by Robert Nelson as " a learned, acute and well digested performance, written with candour and good temper, and Dr. Clarke put forth his full strength in answering it " : (Secretan, Life of Robert Nelson, p. 269).

170

much at a stand. However Dr. Knight 1 is to begin his Lectures in a fortnight.

I am now forced to conclude wch I do wth my sincerest and best wishes to yor Lop and all yors, being ever

My Lord

Yor Lop's most obedient

humble servt.

J. K.

For the Right Honble.

The Lord Deskford

To Mr. William Monro

Bookseller at

Edinburgh.




LII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

LONDON,

Oct. 22, 1720.

MY DEAR LORD,

My last to yor Lop of Sept. loth, wch I hope came safe to hand, took notice of the great calamities and distresses of many here, occasion'd by the sudden fall of stocks ; /2 and particularly that several of our country-men had suffer'd considerably by them. And now I am to tell yor Lop how much I am griev'd to hear that these are beginning at home to prosecute and distress one another ; and without any bowels of compassion to do what in them lies to compleat the ruine of their friends and neighbours. I am enclin'd to hope that half of what I have been lately told is not true, but that most of those reports are groundless or malicious. To give your Lop an instance of one of 'em, wch I can't possibly believe, 'tis said that the E. of F--ter /3 has rais'd Letters of Inhibition agt. Capt. Aber.' to oblige him to pay to the E./3 one L 1000 subscription wch he had got for him. This seems very incredible to me, knowing the perfect friendship that has always been between the E. and the Capt: but especially considering that the E. had made no contract and ran no risque. It was the Capt's credit and money wch were engaged. For I well remember the Capt then told me, and indeed I thought it very generous in him, that unask'd he had procur'd by his interest 1000 subscription for the E. and another for yor Lop.



1 Refers to the Lectures founded by Lady Moyer. Knight's Lectures on the occasion mentioned were published in 1721 under the title Sermons on the Divinity of Christ and of the Holy Spirit. For Knight v. pp. 149, etc.

2 V. Lewis Melville, op. cit.

3 Earl of Findlater, father of Lord Deskford.

4 Abercromby of Glassaugh : v. p. 132.

171

Besides that subscription wch was the Third is sometime ago reduced to £400./1 And therefor in the opinion of some eminent lawyers here, all contracts made on the first subject are void in law. For wch reason many here who are able have discharg'd the contract and repaid the money.

I have always believ'd the Capt to be a very honest friendly man, most willing and ready to assist every one to utmost of his power. I am therefor the more concern'd for him, and pray that he may be supported under his difficulties and deliver'd out of 'em. He is much lamented by every one that knows him here, and none have offer'd to give him any the least trouble. I hope then the report above mention'd is false, and that yor Lop will be pleased to assure me of it./2



1 V. «. R. Scott, Joint Stock Companies to 172o (1911), Vol. III, p. 33o.

2 Dr. Keith as peacemaker. In this connection it is interesting to find at Cullen House a rough draft of a letter to be sent by the Earl of Findlater to Captain Abercromby about this very subscription :-

“ DEAR ABER :

" You'll be so good as to excuse my not vriteing in answer to your letter concerning the stocks, which I receiv'd about three weeks ago. My daughter Janet was so ill and I had such a tender affection for her that I cou'd think of nothing els, and on Christmas morning it pleas'd God to remove her by death, by which I have a very great loss and you are depriv'd of a faithful friend.

" You know I had no understanding nor trust in the stocks, and I doe with gratitude acknowledge that it v, as most friendly in you to make application to E. Sunderland on my son's behalf and mine, for some interest in the 3d subscription, and that without any commission from us or so much as acquainting us of it. However I assure you I wou'd never have approv'd of what you did in this, if you had not at the same time acquainted me by your letter of June the 18th that you had dispos'd of it even before Ld Sd's list was known, and secur'd for each of us a 1000 ster : premium from Mr. Paterson, without any advance, risk or uncertainty, and sent us Mr. Paterson's letter to you of June 17th wherby he secures the above premium of 500 L on each subscription and takes the venture of the subscriptions on himself. This being the state of this affair, and knowing nothing of the stocks but what you write, and it appearing that Mr. Paterson desires to be free of the premiums due to my son and me, in consideration of the unlucky turn stocks have taken, in case he make no other demand but this, I doe assure you, that I shal deal in it in as easy friendly and equitable a manner, with regard to the premium, as men of honour and justice doe in the like cases, and the premium is all that I have concern in, for as to the subscriptions, if Mr. Paterson had got 10,000 profit, which as they once sold, he might have had, we had nothing to demand, so if any loss does happen it must likewise be his, but ther is good reason to hope the parliament will so order it that these subscriptions will still be profitable to the proprietors of them, and I doe most sincerely wish it maybe so, for I wou'd have great pleasure in seeing both Mr. Paterson and you prosper, and all good men must be deeply concern'd, for the misfortunes of so many of our countrymen. I shal give you no further trouble at present, for I intend very soon to -write to you of my other concerns, and take your advice about my comeing up. I still depend on the continuance of your friendship, being ready as I ever was to doe you all the service in the power of . . ."

Lord Findlater's daughter mentioned in this letter was the wife of Wm. Duff of Braco. Her monument at Banff confirms the date of her death as Christmas, 172o, and not 1722 as in Paul's Scots Peerage, IV.

172

Ld. F./1 and our other friends are well and salute yor Lop with great respect as does in the tenderest manner,

My Lord,

IV Lop's most obedient humble servt.

J. K.

To The Right Honble. The Lord Deskford.




LIII. [LETTER FROM DR. GEORGE GARDEN TO LORD DESKFORD.

Preserved at Cullen House. There is no date, but the contents point to 1721.

MY LORD,

I wish I had had the opportunity to have waited on your Lordship at this time. I am sorry that the copy of the Justification /2 which was designed for your Lordship never came to your hands. It was entrusted to my care. I called once at your lodging and the mistress said she knew not when your Lordship would be in Town and so I was advised to give it in to the Equivalent Office /3 which I did, and sent it thither from Mrs. Scots where I lodged. However, it seems it has miscarried. But I have another copy, which I would have given presently to the bearer, but he pretends he had no carriage for it ; but I shall take the first opportunity to send it. I wish your Lordship a prosperous journey, and am

My Lord,

Your Lordships

Most humble servant Geo: Garden.

For The Right Honourable The Lord Deskford.


1 Lord Forbes recently married and now residing for the winter in London : v. Introduction.

2 Madame Guyon's Justifications : v. pp. 167, 169. A letter from Lord Forbes of Pitsligo to Lord Deskford (Cullen House), dated Dec. 3o, 1721, says : " Dr. G. G. told me lately that his health is much broke. I had writt to him about the coppy of the Justifications, but he said your Lop had told him you wou'd be provided at London." There is a copy of this edition of the Justifications still in Cullen House Library.

3 The Equivalent Office in Edinburgh where Patrick Campbell of Monzie was a Commissioner : v. Introduction.

173





LIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

Decr. 16, 1721.

Last week I had the hour of My dear Lord's letter of the 9th past and was not a little rejoyced to see it. Yor humble attention to our divine L.M./1 and yor watchfulness over yor self, cannot but be acceptable to him. Unto whom will I look saith the Lord ? but unto the poor, the humble and the contrite ; and to him who trembleth at my Word./2 This being the happy disposition wch he requires, it must not be disturb'd by reflex acts on what is past, nor with the perplexing thoughts of our selves, our follies and miseries./3 Our d. M's /4 advice always was, Laissez les tomber, et outre passez./5 O could we walk continually before him as little children, we shou'd always rejoyce in his holy presence, and take every thing that happens from moment to moment purely from his hand. Our natural infirmities and incidental follies may thus become instructive and salutary to us, and ought ever to be born with meekness and patience ; as parts of our daily Cross. May the Spirit of the Cross of Christ, wch is the Spirit of Love, of Wisdom, of Power, and of a sound Mind be given unto us and dwell in us, by wch we may be crucified to the world, and the world crucified to us!

Yor Lop's Reflections on the growing error of Fatalism /6 are very just and good, but I am the more unwilling now to enter further into the consideration of it, that I am made to hope for an opportunity of seeing your Lop here in a little time, and of discoursing that and other matters with you.

P. Posthuma /7 are come at last and Les Posies Spirituelles /8 en 4 tomes will be printed off in about 2 moneths hence.


1 " Little Master."

2 Isaiah lxvi. 2 : A.V. reads " To this man will I look, even to him that is poor and of a contrite spirit and trembleth at my word."

3 V. p. 163.

4 " Dear Mother."

5 V. pp. 93, etc.

6 No doubt referring to the tendencies encouraged by such influences as those of Hobbes. The Deistic controversy was beginning to assume first importance at this time and a number of important works on both sides had already appeared : v. J. Cairns, Unbelief in the 18th Century (1881). Lord Deskford seems to have been specially interested in the problem of Free Will : v. p. 184. The whole group disliked Calvinism.

7 A letter from Dr. Keith to Val. Nalson printed by Nichols (Lit. Hist., IV, p. 410) as dated from Devonshire St., Sept. 2, 1718, but quite obviously of a later year, refers to the Posthuma as not yet arrived, and explains that " the parcel has lain at the Hague ever since the middle of June, through the negligence and mistake of the booksellers. It was not directed, as I desired, to me but to Mr. Isaac Vaillant, who, being come hither about a week before, knew nothing of it ; and, though at my desire he writ again and

[For note 8 see opposite page.

174

L.F./1 and Mr. H./2 are well and salute yor Lop with great respect. I forwarded R.'s /3 letter in one of mine. L.K./4 is now I'm told in Scotld and my Lady on the road thither. Ld. Abd./5 is also well. I took occasion one day to mention yor Lop's kind and sincere remembrance of him. He express'd himself with great affection to yor Lop and charg'd me to assure you of his real respects. I return my humble thanks for yor goodness in mentioning my neph. Ross./6 I sent him something by Capt. Aberc./7



again for that parcel, was still answered that they had none of it, till at last, opening all they had received from Amsterdam, they found it. Now he is returned to the Hague I hope I may expect it in a few weeks."

8 Poésies et cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l'Esprit du vrai Christianisme, by Madame Guyon, 4 vols., 1722. Newton called the attention of the poet Cowper to these poems and he published translations of a considerable number : Poems translated from the French of M. de la Motte Guyon, 1782. Cowper mentions Madame Guyon's poetry in his Letters, and declares " her verse is the only French verse I ever read that I found agreeable ; there is a neatness in it equal to that which we applaud with so much reason in the compositions of Prior " : v. Correspondence of W. Cowper (T. Wright, 4 vols., 1904), Vol. II, p. 5. Also in another letter : " the strain of simple and unaffected piety in the original is sweet beyond expression. She sings like an angel, and for that very reason has found but few admirers " : ibid., II,p. 20. V. M.N.E., pp. 177, 178, 182.


1 Lord Forbes.

2 Perhaps Mr. Hay, formerly Alexander Falconer, husband of Countess of Erroll : v. pp. 118, 181. But the identification is of course the merest guess. There were also Hays of Montblearie, and the Kinnoull family bore the same name.

3 A. M. Ramsay.

4 George Henry Hay, 7th Earl of Kinnoull, previously referred to as Lord Dupplin, succeeded to the title on the death of his father in January, 1719 : y. Paul, Scots Peerage.

5 Lord Aberdeen, formerly referred to in the Letters as Lord Haddo, had succeeded to the title on the death of his father in 172o0, and became a Scottish representative peer in June, 1721 : v. Paul, Scots Peerage ; Journals of H. of Lords, XXI, p. 541. 1'. also M.N.E., p. 185.

6 Apparently Alexander Ross, son of the Rev. Francis Ross (v. p. 133). V. F.E.S., new edit., III, p. 186. He became a well-known physician in Aberdeen. A Deed in Sheriff Court Records, Aberdeen, subscribed July 5, 1755, recorded July 14, 1772, is evidence of the family connection of Dr. Ross with the Tulliesnaught family to which Francis Ross belonged. Similarly with the record in the Commissariot of St. Andrews of the will of Lieutenant Alex. Rose (Feb. 9, 1776), where Dr. Alex Rose (the name is sometimes Ross and sometimes Rose) is cautioner for the executors. Dr. Rose reintroduced in Aberdeen the practice of innoculation for smallpox, which his uncle's Aberdeen friend, Charles Maitland, had introduced in London : v. Introduction, p. 59. V. further A. Munro, Account of the Innoculation of Smallpox in Scotland (1765), P. 4. Dr. Rose married in 1 755 a daughter of the deceased Capt. Alex. Middleton, controller of Customs and Postmaster at Aberdeen, niece of Brig.-Gen. John Middleton of Seaton, relative of the Earls of Middleton and granddaughter of Principal George Middleton, King's College, Aberdeen, who was a cousin of Dr. George Garden : v. Aberdeen Journal, Feb. 4, 1755. Dr. Rose died May 12, 1778 " at an advanced age," and the Ab. Journal of June 1, 1778, mentions that the furniture in his house in the Upperkirkgate is to be sold, " which can hardly be equalled in elegance, goodness and variety."

7 Capt. Abercromby of Glassaugh : v. p. 132.

175

and hope he recd it but above all wish he may behave himself so as to merit yor Lop's regard.

My best wishes ever attend yor Lop and yor dear children and am under many obligations, My Lord,

Your Lop's most obedient humble servt.

J. K.

To The Right Honble. The Lord Deskford.



LV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.



DEVONSHIRE STREET, May 1, I722.

MY DEAR LORD,

Last night I rec'd yor Lop's letter of Apr. 22d with great satisfaction. I did not once suppose that yor Lop would be obliged to return to the Election of the 16 Peers,/1 however I am glad that yor Lop is now so near me. That body of men is exceedingly blamed and reproach'd for returning those very persons to represent them, who endeavour'd so unworthily to betray them last opportunity./2 All men will now believe that they approve of the design, and indeed if it should at any time take effect, they will neither pity nor assist them. I am sorry our dear Ld. F./3 was dropt. 'Tis no more than what I expected, for such always is the lot of L.M.'s /4 children. But patience ! 'tis certainly for his good. Better things are reserved for him. I suppose he is now on ye road hither. Yor Lop says nothing of the Boy Woodhouse /5 whether he be come ; or how he is lik'd. He went from hence above a moneth or 5 weeks ago, aboard Hamilton's ship, and no body here has heard from him since. His master who still gives him a very good



1 In connection with the General Election for the second Parliament of George I, the Scottish peers met at Holyrood Palace on April 21, 1722 : Hist Reg., 1722, Chronological Diary. pp. 16, 23.

2 The reference here is to the Peerage Bill which was to make 25 Scottish peers hereditary members of the House of Lords : v. Hist. MSS. Corn., Portland MSS., V, pp. 578 ff. A letter in Portland MSS., VII, p. 322, states : " Want of consent in the Scotch peers can never be pleaded again against the Peerage (Bill). They have fairly given their consent by choosing those again who were for it." Cf. Lockhart Papers.

3 Lord Forbes was a candidate, but was not elected. Lord Findlater who was not elected at this time was unanimously appointed to fill a vacancy in August, 1722 : v. p. 181. V. Journal of House of Lards, XXII, p. 4.

4 " Little Master."

5 One may suppose that this was a negro servant. Such boys were popular in London at this period when wealth had been coming (before the Bubble) from Colonial trade. V. p. 180. " Woodhouse " is heraldic term for savage.

176

character was lately with me. I then pay'd him 16 shill. for a blew rug coat and a hat for the Boy.

I have not yet been able to do anything towards publishing the first Treatise./1 The Town is empty at present. But I will try sometime hence. Our parcell of the Poesies Spirituelles/2 are at the Hague. They came a day too late for the last Bail, but Mr. Vaillant /3 expects another in a little time.

Ld. Sund's death was pretty sudden,/4 and not a little surprizing to many here. No alterations have yet happen'd upon it. But difficulties in time may arise and more hands will be wanted.

I shal be glad to hear often from yor Lop and do think we must write the common way, till we find out another. The new return'd Members here do all frank letters, but I have not seen one of 'em to-day. Indeed there are many in Town.

I have done when I have recommended yor Lop and all yours to the special protection of our Divine L.M./5 May he be yor Guide yor Strength and yor All.6 I ever am in the most tender and affectionat manner

Yor Lop's (Page with address torn off.)





LVI. FROM PATRICK CAMPBELL /7 OF MONZIE TO LORD DESKFORD.

Only the first part of the letter is relevant to this collection and the rest is therefore omitted. Lord Deskford at this time was in London. The letter is at Cullen House.

Edinbr. 15 May, 1722.

I pleasd myself much in the hopes of seeing your Lop in Perthshire and was desappointed. I saw part of your Lops to Sr Patrick Murray /8

1 V. p. 173.

2 V. pp. 174, etc. : these were the last volumes issued according to the plans of Poiret.

3 Dr. Cheyne in a letter (Warner, Original Leiters (1817), p. 85) says he obtained Poiret's catalogue of mystics at " a Mr. Vailante's shop in the Strand " ; P. Vaillant was one of the publishers of N. Hooke's translation of A. M. Ramsay's Life of Fénelon (1723), and also of Fénelon's Pious Thoughts (172o) mentioned p. 167.

4 The E. of Sunderland, First Lord of the Treasury, died April 19, 1721. Lord Mahon (op. cit., II, p. 39) says " so suddenly that poison was rumoured, but his body being opened the surgeons discovered a disease in the heart." His wife was a daughter of the Duke of Marlborough. She had died in 1716. For his character and political intrigues and passionate temper v. John Morley, Walpole. pp. 47 f. ; Mahon, op. cit., I, PP- 355 ff ; II, pp. 39 f.

5 " Little Master."

6 Again this phrase : v. pp. 207, etc.

7 V. Introduction.

8 Ibid.

177

of Ochtertyre, and I reckon as you have occasion to talk with Dr. Keith you'l be able to setle what number of coppies of the litle books /1 proposd to be printed will come to our share, I mean to Mr. Monro /2 to be sold or if wee must alter the method of contribution proposd here and what will be more agreeable to the printers at London, Sr Patrick in all events is willing to come in to the measure that shall be setled by your Lop be what it will...



LVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

June 16th, 1722.

Yesterday I had My Dear Lord's letter of ye 9th and now take this first opportunity to acknowledge it. Ld. F./3 has not yet said anything to me of the proposals wch have been made to yor Lop. Nor was it necessary. However, in the general I may venture to say the Rule you have set yor self is safe and good, and am from thence hopeful that the Divine Providence to wch you commit yor self and yor affairs, will certainly direct and guide you in the best manner. When the eye is single, the whole body is full of light./4

My Ld./3 has recd the Earle's /5 letter recommended to my care. This morning I saw Mrs. Popham./6 She shew'd me the picture /7 done by Gibson ready fram'd, and has promis'd me to get a case made for it. When that is done I will take care to pay for the case and send it down by sea as yor Lop directs. I will also at the same time send three setts of the Poësies Spirlies /8 bound and put up in a box. Mr. Zink /9 has not yet finished



1 V. p. 179.

2 Wm. Monro, bookseller, Edinburgh : v. p. 169.

3 Lord Forbes.

4 S. Matt. vi, 22 : a favourite text with Madame Guyon : v. Discours, I, pp. 23, 31, 295, 303 ; II, 167 ; Lettres, III, p. 533.

5 Presumably the E. of Findlater.

6 Brilliana, elder half-sister of E. of Oxford (Mrs. Popham, Tewkesbury), v. D.N.B. (Edward Harley) ; or Oxford's niece Anne (Mrs. Popham of Littlecote), v. Hist. MSS. Com., Portland .PISS., V, p. 521.

7 No doubt a picture of the first Lady Deskford, who died in this summer. Lord Kinnoull wrote to Lord Deskford on July 7, 1722 : “I believe Dr. Keith has sent you the copie of my poor sister's picture " (Letter at Cullen House) . Gibson may be Thomas Gibson, the painter : v. H. Walpole, Anecdotes of Painting in England, IV, P. 45.

8 V. p. 174.

9 Christian Frederic Zincke : v. H. Walpole, Anecdotes of Painting in England, IV, pp. 178 f. Young, the author of Night Thoughts, has the following lines in his Love of Fame, Satire VI (on Women) :—

I178

the little picture. He told me to-day he must have yet a fortnight or three weeks more to do it ; before wch time Will. Stuart I will certainly be gone. If no other safe occasion should offer, it must I think lie where it is, at least till yor Lop is better determin'd.

As to the design of publishing some little usefull books,/2 I hope the gentlemen yor Lop names will be assisting. The short Instruction /3 etc. is now in Dr. Knt's /4 hands. I have mention'd it once and Again to Mr. Innys,/5 who seems willing to undertake it, I engaging to take a good number of him.

Last week I had a letter from Dr. G. G./6 who I rejoyced to hear is in a much better state of health. He gives me a very good character of my nephew Ross,/7 and tells me withall that yor Lop was so kind as to remit him three Guineas, two at one time and one at another. I must beg the favour of yor Lop, when you return to the North, to let him (the young man) have two Guin. more, if it can be done with convenience and I will take care God willing to repay all the five. I cannot think of any other way of supplying him at present, and therefor hope yor Lop will forgive my freedom.

When I have shipt the things for Leith, I will advise Willm Garden /8


" You here in miniature your pictures see

Nor hope from Zincke more justice than from me.

My portraits grace your mind, as his your side.

His portraits will inflame, mine quench your pride :

He's dear, you frugal : choose my cheaper lay

And be your reformation all my pay."



1 In a letter of Jan. 2, 1727, to his Father (Cullen House) Lord Deskford sends greetings to his friend in London : " my friend Will Stuart whom I allways remember with a very sincere affection." At Cullen House there are several business letters from Will Stuart in London to Lord Deskford.

2 V. pp. 178, etc.

3 The Brieve Instruction of Père la Combe : v. p. 181.

4 Dr. James Knight : v. p. 149.

5 V. p. 188.

6 Dr. George Garden : v. p. 173 n.

7 V. p. 175.

8 Will Gairdne, Leith, has a letter recorded in Seafaeld Correspondence, p. 366, of date 1704. A letter from John Philip to his " Dear Cousine," June 6, 1710 (Cullen House) mentions " the meal qch is come safe to Leith and is in William Gardne's custody." A somewhat amusing letter from Will Gairdn, Leith, dated March 18, 1713, is also at Cullen House. Wm. Gairden, " incola de villa de Leith," appears in the Catalogue of Edinburgh Burgh Sasines, 4th Protocol of George Home, 17o9-15. Another Wm. Gairden, " writer in Edinburgh, son of Alexander Gairden of Troup," appears in Aberdeen Sasines, May 16, 1726. Wm. Gairden, writer in Edinburgh, who died in 1759, had a library of which the inventory is preserved in the Edin. Register House (Edin. Corn., Dec. 4, 1759), and this is of special note as containing the names of many of the books in which our group of mystics were interested, including the following : A. Campbell, Doctrine of a Middle State ; Poiret, de Eruditione ; Poiret, de Ideis (probably his de Natura Idearum) ; Poiret, Divine Economy ; Life of Poiret (perhaps his Posthuma which contains a short Life) ; Poiret, Bibliotheca Mysticorum selecta ; Ramsay, Life of Fénelon ; Fénelon, Télémaque ; Fénelon, Tables (v. Janet, Fénelon, p. 175) ; G. Garden, Apology for M. Bourignon ; Haywood, Man's Summum Bonum ; Meursius, Sermons ; etc. This is clearly the library of some one in close relation to our group.

179

by Mr. Monro /1 of it. I am sorry the Boy Jon Woodhouse /2 does not answer expectation. These Boys are used to a pretty strict discipline ; and therefor My Lady must give orders to have a watchful eye upon him, and to check him whenever there's occasion for it.

All I have now to add is my hearty and constant request to our divine L.M./3 that it may please him to conduct you in all yor ways to the perfect accomplishment of his holy will. May He be our Light, our Strength and our All !/4

All our friends here most affectionately salute yor Lop, and I am ever

Yor Lop's most obedient and most humble servt.

Ld. and Lady Kinnoull /5 and their family are well. She was about 3 weeks ago brought to bed of a son./6 This morning about 4 the Duke of Marlborough died /7 of an universal convulsion all over his body. He was at Windsor Lodge, and was taken ill in the beginning of the week. Several physicians were with him, but to no purpose. 'Tis not doubted but Cadogan/8s will succeed him in his command.

To The Right H(onble) The Lord De(skford) In the care of Mr. (Monro) Bookseller at Edinburgh.




LVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

DEVONSHIRE STREET,

Aug. 14, 1722.

MY DEAR LORD,

I have been these two or three last posts unaccountably diverted from acknowledging the honour of yor Lop's last letter of the 28th past. In the mean time I took care to deliver that to Ld. Forbes, who said he would answer it next post, and who, I am confident, has inviolably preserved his friendship upon this occasion to the Earle and yor Lop. No body


1 V. pp. 169, etc.

2 V. p. 176.

3 Little Master."

4 Again this favourite expression : v. p. 107.

5 V. p. 175.

6 Edward : v. Paul, Scots Peerage. Hist. Reg. says a daughter was born June 13, 1722.

7 Died June 16, 1722 : v. Mahon, op. cit., II, p. 41 ; Stuart Reid, John and Sarah, Duke and Duchess of Marlborough (1914), P. 414.

8 Cadogan had been Marlborough's second in command, and did in fact succeed him as Commander-in-chief : v. Hist. Reg., 1722, Chr. Diary, p. 32.

180

here doubts but that the Earle will carry his election,1 and that in a few days we shall hear of his success.

As to the proposal for /2 printing some books in English, Munzie mention'd some-what of it in his last, and refer'd me to yor Lop's fuller account. I am now very glad to hear that it is like to meet with encouragement, from the worthy Gentlemen you name. There are materials enough as yor Lop well knows, but I'm afraid good hands will be wanted to translate. The only one I can depend upon at present is at York,/3 and it will (be) business enough for one here to revise and correct. Were everything ready we might I think undertake to publish to the value of about 6 shill. per ann. And that the number of books subscrib'd for of each impression, shall be distributed both here and there in proportion to the respective sums. If Mr. Hay /4 or Dr. G./5 should come hither I will not fail to talk with them. The Breve Instruction 6 is not yet in the press. Some accidents have


1 The Earl of Findlater had not been elected a representative peer at the last few general elections, including that in April, 1722, but the E. of Rothes died on May 3, and on August 15 the peers met at Holyrood and unanimously elected Findlater in his place : Hist. Reg., 1722, Chr. Diary, p. 39 ; G.E.C., Complete Peerage.

2 V. pp. 178, etc.

3 The Rev. Valentine Nalson, rector of S. Martin's, Colney St., York (not S. Michael's, Coney St., as in Nichols, Lit. Hist., IV, p. 408). Four letters from Dr. James Keith to Val. Nalson are printed by Nichols (op. cit., pp. 408-II), but indexed as from James Keith, D.D. The dates of the letters are, in at least two cases, obviously wrong : v. p. 169. A letter from Val. Nalson to Dr. Keith dated York, Sept. 22, 1722, shows he was doing translations of the Spiritual Poems, etc. His note asks what interest The South Sea pays, as a friend " would encourage them now they are brought to honesty by poverty." He adds, ' ` What news of ye Little Book ? " : for which v. p. 185. The letter is preserved at Cullen House. For further reference to Nalson, v. p. ISS. V. also Dr. Keith's letter to Val. Nalson (Nichols, Lit. Hist., IV, p. 409), wrongly dated Sept. 2, 1718 : " You may remember I once told you of a legacy left some years since by a charitable lady, for publishing religious and spiritual books. The will, because it had not been duly executed according to Law, was brought into Chancery, where it has ever since remained ; but at last, after one half at least of the sum left for pious uses was taken away, the matter is come to an issue, and we find that something considerable will be set apart for the above-mentioned purpose. Nov our friend Mr. Hoare, who is one of the trustees, has more than once talked of the subject with me, and withal prayed me to give his service to you, and request you to consider of what books or treatises you judge most proper to be published first, as most universally useful. He would have them such as are most adapted to vulgar capacities. I mentioned to him Blosius's Meditations for one, which I have of yours ; but it is too small to go about alone. There are several in English might be reprinted, being scarce and hardly known but to a few ; others translated out of Latin and French. But the difficulty here will be to find proper hands, who have leisure and inclination ; and, which is most of all, who are not unacquainted with the spirit of those illuminated authors. In the meantime your thoughts of the whole matter will be acceptable."

4 Perhaps the husband of the Countess of Erroll, formerly mentioned as A. Falconer,advocate : v. p. I18.

5 Dr. George Garden.

6 Brieve Instruction by Père la Combe (director of Madame Guyon, mentioned constantly in her Life). Poiret doubted whether this work was by la Combe (v. Wieser,

181

hindred us and besides other objections, there are 3 or 4 chapters intermix'd in ye transi. wch are taken out of Les Regles des Assoc. /1 which I think will be better left out, both that the first may go entire by itself, and in hopes too of getting the second printed in time. Blosius's Meditations on the passion /2 will come at the end.

I was glad to hear that the picture /3 with the Poesies Spirituelles /4 are come safe. Mr. Zink 5 has still the little piece in his hands, and when I call'd last it was not quite finished.

I thank yor Lop for supplying my nephew /6 with the 2 Guineas. I will God willing repay them thankfully. Dr. G./7 has writ twice to me about Mr. Campbell's Middle State.8 Last March I deliver'd two of them to



Peter Poiret, p. 309). He published it with the Opuscules Spirituels of Madame Guyon, vol. II, in 1712. Writing to Val. Nalson from London. May 29, 1718 (Nichols, Literary History, IV, p. 4o8), Dr. Keith says : " I agree with you that a translation of the Instruction chrétienne pour les jeunes gens would be very proper to accompany the Moien Court with its Apology, and that the Brieve Instruction de P. la C. might be made useful also to the welldisposed who are unacquainted with the internal way ; adding Blosius's Meditation on the Passions to it. When, therefore. it shall please Providence to give you time and facility, pray fail not to undertake them, leaving it to our Div. L. M. to find an opportunity of printing them for the benefit of his poor creatures." It is possible that the date given for this letter is mistaken : v. p. 181 n. For Madame Guyon's works here mentioned, v. Wieser, Peter Poiret, p. 341 (Instruction chrétienne pour les jeunes gens, preface to Vol. II, of Discours chrétiens) ; p. 34o, etc. (Moien Court, Madame Guyon's famous early work, and the Apologie pour le Moien Court).



1 Règle des associés à l'enfance de Jesus by Madame Guyon, pub. 1685 : v. Wieser, Peter Poiret, pp. 104, 340.

2 V. p. 181 n. Ludovicus Blosius (1506-66), a Flemish Benedictine, was author of a number of works mentioned by G. Arnold in his Historia Theologiae Mysticae (1702). Poiret issued the Exercitia in passionem Jesu Christi of Blosius in 1696—the work to which reference is here made. V. Poiret, Epistola de Princ. et Char. Mysticorum, p. 143 (also p. 134). There is a convenient volume of selected works of Blosius by Newsham (1859) entitled Manuale Vitae Spiritualis. Blosius is frequently referred to by Father Baker. V. also Fénelon, Oeuvres, II, p. I21, etc. ; Cuthbert Butler, Western Mysticism, pp. Io f., 305.

3 V. p. 173.

4 Ibid.

5 Ibid.

6 V. P. 179.

7 Dr. George Garden.

8 In this connection we may note a copy of part of a letter written by Dr. George Garden from Aberdeen, Decr. 11, 1721, to Dr. James Keith. The copy is No. 757 among the manuscripts in Scottish Episcopal College, Edinburgh. It is of interest on account of the opinions expressed regarding Bishop Campbell's Middle State, of which a new edition had just appeared :-

" You may remember when we went to wait on Mr. Arch: Campbell at his lodgings the day before I parted from London he spake to us of his resolution to finish and publish his Treatise of a Midle State. I had never occasion to see the first edition, but now I have seen this second ; and indeed I do very much esteem it, and it has given me quite another idea of his sentiments and disposition with respect to true Christianity, so that I am very hopefull that it may be of good use to open the eyes of many, and to let them see what it is to be a true Christian, and to be indeed truly regenerated and

182

yor Lop to be put up with yor own books. No doubt they are safe, but yor Lop has not had time it may be to look for them. There was also a Raymund de Sabunde /1 for Ld. Pitsl./2

I should be willing to have another letter before your Lop leave Edbr. In the meantime my best wishes are always with you, and I do not question but the Divine Providence will conduct your Lop in all yor designs and affairrs, for yor real Good. I commit your Lop for this end to the protection of our Divine L. M./3 and remain

My Lord

Yor Lop's most obedient

humble servt. J.K.

To the Right Honble. The Lord Deskford

To the care of Mr. Monro Bookseller at Edinburgh.


born again wch if begun here must certainly be advanced and perfected hereafter. Pray offer my service to him. I do indeed very much esteem him. . . ."

Hon. Archibald Campbell, D.D., was Scottish Episcopalian Bishop of Aberdeen, but resident in England, Jacobite, nonjuror. V. D.N.B. ; J. Dowden, Bishops of Scotland, pp. 404 ff. ; J. H. Overton, The Nonjurors, pp. 44o f. ; H. Broxap, The Later Nonjurors, pp. 12 f. ; and considerable correspondence in Scottish Episcopal College, Edinburgh. His well-known book here mentioned was first published anonymously in 1713 (copy in Edin. Univ. Library). Second enlarged edition, 1721 (not 1731 as D.N.B., nor 1719 as Broxap, op. cit.). A favourable judgment upon this curious but interesting work appears in Overton, op. cit., pp. 402 ff. V. also Broxap, op. cit., pp. 73, 322. There are two copies of the second edition still in Cullen House Library, no doubt the two here mentioned.

1 Raymund de Sabunde (d. 1432), Spanish theological and theosophical writer. V. M. de Wulf, History of .tIediaval Philosophy (3rd ed., Eng. trans. 1909), pp. 455 f. ; W. Fulton, Nature and God (1927), pp. 55 ff., etc. His Theologia naturalis was frequently republished but is best known through the treatment of it by Montaigne in his long essay, Apologie de Raimond Sebond. Sainte-Beuve says that the Theologia naturalis anticipates such works as Fénelon's l'Existence de Dieu (quoted Essais de Montaigne, edit. Louandre, II, p. 255, note) . This might account for Lord Pitsligo's interest.

2 Lord Forbes of Pitsligo.

3 " Little Master."




LIX. FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.


[No year is mentioned in the date, but the contents suggest 1722.]

J'ay reçu votre lettre Mon très cher Mvlord et je l'av donné à Mr. le Marquis de Fénelon. Voicy la réponse. Je feray attention à ce que vous


born again wch if begun here must certainly be advanced and perfected hereafter. Pray offer my service to him. I do indeed very much esteem him. . . ."

Hon. Archibald Campbell, D.D., was Scottish Episcopalian Bishop of Aberdeen, but resident in England, Jacobite, nonjuror. V. D.N.B. ; J. Dowden, Bishops of Scotland, pp. 404 ff. ; J. H. Overton, The Nonjurors, pp. 44o f. ; H. Broxap, The Later Nonjurors, pp. 12 f. ; and considerable correspondence in Scottish Episcopal College, Edinburgh. His well-known book here mentioned was first published anonymously in 1713 (copy in Edin. Univ. Library). Second enlarged edition, 1721 (not 1731 as D.N.B., nor 1719 as Broxap, op. cit.). A favourable judgment upon this curious but interesting work appears in Overton, op. cit., pp. 402 ff. V. also Broxap, op. cit., pp. 73, 322. There are two copies of the second edition still in Cullen House Library, no doubt the two here mentioned.


1 Raymund de Sabunde (d. 1432), Spanish theological and theosophical writer. V. M. de Wulf, History of .tIediaval Philosophy (3rd ed., Eng. trans. 1909), pp. 455 f. ; W. Fulton, Nature and God (1927), pp. 55 ff., etc. His Theologia naturalis was frequently republished but is best known through the treatment of it by Montaigne in his long essay, Apologie de Raimond Sebond. Sainte-Beuve says that the Theologia naturalis anticipates such works as Fénelon's l'Existence de Dieu (quoted Essais de Montaigne, edit. Louandre, II, p. 255, note) . This might account for Lord Pitsligo's interest.

2 Lord Forbes of Pitsligo. S

3 " Little Master."

183

me dites sur le libre arbitre. Je seray bien aise de voir les livres dont vous me parlez. Je voudrois bien que vous y ajoutassiez Cumberland de Legibus Naturae./1 Dans les intervalles de ma solitude qui ne sont pas mieux employés, j'écris un essay qui aura pour titre Ethicis Arincipia ordine mathematico enuccleata./2 On n'a pas encore ce me semble réduit les grandes vérités à des principes assez simples, assez féconds, assez clairs, assez suivis & arrangés. On trouve l'une ou l'autre de ces qualités dans les différents auteurs. Il seroit bon de les réunir. Je ne sais si j'en suis capable. Je travaille par obéissance, & dans l'esprit d'amour. Que tout périsse qui ne part & qui ne retourne à ce principe. Pour bien écrire il faut être prêt à ne rien écrire, avant que de commencer, écrire par obéissance enfantine, & être disposé à tout brûler quand on a finy. Voilà Noël qui approche. Entrons dans l'esprit de Jésus Enfant. Je vous suis dévoué au suprême degré. Je vous serois fort obligé de voir si notre frère et amy manque de quelque chose. J'entens Mr. Hooke./3 La vie de Mr. de C--y luy a beaucoup coûté de lettres & de peine. Je vous supplie de l'interroger sur les besoins qui me tiennent plus au coeur que les miens propres. Malheur à celuy qui a quelque chose à soy. Adieu Mon très cher Mylord. Je vous rendray fidellement tout ce que vous avancerez pour luy.

ce 23 decre.

To the Right Honorable

The Lord Desford at

Mr. Hooks No. 12 in Glocester Street by red Lyon Square 5 A Londres

ANGLETERRE.


1 Published 5672. V. Sidgwick, History of Ethics, pp. 173 ff.

2 In 1748 at Glasgow there appeared Ramsay's Philosophical Principles of Natural and Revealed Religion unfolded in a geometrical order. In the preface he says, " We have digested the great principles of'the first part into a geometrical order, which is certainly the most exact way of reasoning, the most proper to convince others, and undeceive ourselves." The above letter shows he had been working on such lines at an early date.

3 Nathaniel Hooke, junior, then engaged in translating Ramsay's Vie de Fénelon. Nichols, Bowyer's Biographical and Literary Anecdotes (1782), p. 393, quotes a letter from Hooke to the Earl of Oxford (Oct. 17, 1722) in which he says that on account of the South Sea troubles he was " just worth nothing," and asking permission to dedicate to his Lordship the translation of Ramsay's Fénelon upon which he was then engaged. This makes it fairly clear that the letter from Ramsay here published dates from 1722.

4 The English translation appeared in 1723, but there is no dedication.

5 A letter (Cullen House) was addressed to Lord Deskford on December 13, 1722, " at hes house att Mr. Louson's over against Pall Mall Court, London."

184



LX. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

March 2, 1722/23.

I had the honour of my dear Lord's letter of Feb. 21st the day before yesterday, and would have own'd it by that night's post, had I met the Lady at home, who last time took the trouble to procure me the opera tunes./1 But yesterday I did bespeak them. She promis'd to chuse and pick out a dozen of the very best and newest, without words, or thorough bass, as desired, and withall to get some of 'em, three at least, ready by Tuesday's post. If so, I will not fail to forward them, and the rest too as they come to hand.

I rejoyced to hear of yor Lop's safe arrival, and that all yor friends are well. Ld. Abd./2 set out Thursday morning for Scotld., and yesterday a narrative of the horrid plot,/3 etc. was read to the H. of Commons.

I have had a long letter from Dr. Ch./4 concerning the proposal, wch he does by no means approve off, as being in every respect improper.

Our Little Book,/5 preface and all, are now printed off, but the sheets are not yet gather'd. My best wishes do ever attend yor Lop.

This is enough till next post.

To the Rt Honoble My Lord Deskford att Edinburgh free

Al. Abercromby.


1 A craze for Italian Opera appeared with other crazes in 172o. There had been no opera in London for several years, but the Royal Academy of Music was founded in 1719 and in 172o Handel produced Radamisto which began a period of unprecedented popularity for such works. In January, 1723, Cuzzoni first sang in London in Handel's Ottone which contained many particularly fine songs and brought the enthusiasm to its highest pitch : V. E. Walker, History of Music in England ; R. A. Streatfield, Handel ; Rockstro, Life of Handel ; Lady Cowper, Diary.

2 V. P. 75.

3 This refers to the supposed plot which led to the disgrace and banishment of the celebrated Bishop Atterbury. The King at the opening of this Parliament referred to the " dangerous conspiracy." A Committee of enquiry was appointed, and reported through Pulteney on March 1, 1722/23. The Commons considered the matter, decided there had been a " horrid and detestable conspiracy," and voted that the Lord Bishop of Rochester " was principally concerned " in it, its object being to place the Pretender on the throne. A full account is given in Tindal's Rapin, op. cit., XIX, pp. 457-86 : v. also Journals of House of Commons, March 1, 1722, etc. ; Reports of H. of C., Vol. I, pp. 99-350. Keith's reference seems a little sarcastic. There is no doubt as to his Toryism.

4 Dr. Cheyne. The reference here is obscure. Dr. Cheyne's advice is not now being sought for the first time by Lord Deskford. At Cullen House there are letters from him dated Nov. 14, and Dec. 17, 1713, advising in a delicate matter. The former mentions that he had been asked by Dr. Keith to write.

5 V. pp. 178, etc.

185





LXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

March 7th, 1722/23.

MY DEAR LORD,

In my last of Sat. the 2d, wherein I acknowledged the honour of yor Lop's letter of Feb. 21 I told yor Lop I had bespoke some of the newest opera tunes, /1 and gave you ground to expect some of 'em three at least by the Tuesdays post. But because of the good Lady's illness who undertook to chuse and bespeak them, I have been disappointed, and am very sorry yor Lop should be so too. I have call'd two or three times since, and last of all to-day about noon, when the Lady told me she was going out to bespeak them, and that I might expect some by Saturday night. I can only now engage that if they come to me, I will forward them without fail.

When Aber./2 sent me the fr./3 covers he sent me the enclosed with them. I have given him no answer to it. I lament My Dear Ld's situation,/4 and always hope our Div. L.M./5 will enable him at present to bear it meekly and patiently and that in his good time he will grant an happy issue. In the mean time I wish the Lady and her Mother would be more flexible, and agree to make an end on the terms propos'd and approved.

I have had two letters from Dr. G. G./6 in answer to what was propos'd to him concerning the money rais'd for publishing A.B.'s /7 writings. He says it was in Sr. Ja. D. of Durn's /8 hand, but is now lying by him, not knowing where to place it with safety. He agrees to the proposal, but adds : I see little good that's done by most translations, but money to the printer and undertaker. They have begun lately at Edbr. a new transi. of all the Treatises that go under the name of Tho. à. Kempis, two little tomes of wch


1 V. p. 185. A few weeks before the date of this letter Gay wrote to Swift (Correspondence of Jonathan Swift, III, pp. 1S4 f.) : " Everybody is grown now as great a judge of music as they were in your time of poetry, and folks that could not distinguish one tune from another, now daily dispute about the different styles of Handel, Bononcini and Attilio."

2 Alex. Abercromby.

3 " Franked " : v. p. 164.

4 Perhaps a reference to Lord Deskford's thoughts of a second marriage. In December of this year he married Sophia Hope, who was not the lady hinted at in this letter, as correspondence at Cullen House shows.

5 " Divine Little Master."

6 Dr. George Garden.

7 Antoinette Bourignon : v. Introduction. Dr. Garden and Dr. James Keith translated a number of these works, but the scheme for a complete translation seems to have been abandoned.

8 Sir James Dunbar of Darn (Banffshire) : relative of Lord Deskford. An interesting reference to him occurs in J. F. S. Gordon, The Book of the Chronicles of Keith, pp. 342 ff. He was a Jacobite, but surrendered to the local authorities in November, 1716 : v. A. and H. Tayler, Ogilvies of Boyne, p. 65. The above reference shows he was also interested in the mystical movement.

186

Handwriting of Ramsay [one page]

are publish'd,/1 wch seem to be done with great simplicity, not like the pompous stile of yor English translators. My humble duty to Ld. D./2 and Mr. C./3 I humbly thank the last for his German present. Please to advise with Mr. C. what is proper to be done.


1 The reference is to the edition begun in 1717 by Robert Keith (afterwards a Bishop of the Scottish Episcopal Church) . V. Article by present writer in " S. N. Sc Q.," May, 1933. The Imitation of Christ appeared in 1717 and the Soliloquies and the Valley of Lilies in 1721. The preface to the first volume says, " It was thought adviseable to send forth this impression in the plain simple style of the author who imitates the stile of the Holy Scriptures." . . . " Some late editions have been complained of, at least in this country, for the too great liberty which was used (no doubt with a good intention) in departing too far from the author's words and by giving to several passages a different turn by foreign additions or illustrations."

The reference here is probably to Lord Dun, David Erskine, Laird of Dun (167o-- 1758). He was, unlike his ancestors, an Episcopalian, and he was also (within safe limits) a Jacobite. The Scots Magazine (XX, 276) referred to him as " greatly distinguished for piety," and Ramsay of Ochtertyre, in a most interesting account (Scotland and Scotsmen, I, pp. 84 ff.), says : " his piety and zeal were conspicuous even in times when all men prided themselves upon being decent in these matters." Lord Dun was a unique and striking personality, with not a few singularities, one of which, Ramsay of Ochtertyre tells us, was " that he spake a language peculiar to himself, which he called English." For further particulars v. D.N.B. ; Brunton and Haig, Senators of College of Justice, p. 491 ; Violet Jacob, Lairds of Dun. He was in touch with several of our group, and interesting evidence of this is to be found in an incidental reference in the following letter at Cullen House from A. M. Ramsay to Lord Deskford, undated, but evidently (from the mention of the enlarged edition of Ramsay's famous book Cyrus) of the year 173o :-

" My LORD,

" Your Lo ! has no doubt heard of my being come to England, to print a new edition of Cyrus with many additions amounting to near a third part of the work. I have sent two hundred subscriptions to Scotland to my Lord Dun. Our common friend Mr. Monroe has some of them, and will furnish your Lo ! with all those you can dispose of among your friends. I hope I may expect on this occasion some marks of your Lo ! goodness that is so universal.

" I had the honor to wait sometimes upon my Ld Finlater who receiv'd me very kindly, and who told me your Lo ! would be glad to hear from me. No absence, distance, nor silence can make me forget your Lo ! ancient friendship, the nearer we approach our center the more we are united to each other. And tho my motions be sometimes excentricat and projectile, yet I hope the great principle of attraction prevails. I should be glad during my stay here to hear from your Lo ! If I had either money or time I would have certainly gone to Scotland to embrace your Lo ! feet, and these of some other friends whose tender regard for me I look upon as the principal happvness of this mortal state. Since that cannot be, I hope we shall forgather again aboon the lift. I am with great respect and the most tender esteem, My Lord,

" Your Lo ! most obedient and most oblidged humble servant, A. Ramsay.

" London, July )4th at Mr. Abercromby's in Germen Street over agst. Ld. Cobham's.

" The Right Honorable,

The Lord Deskford at Hopton, near Edinburgh, Scotland." 3 Perhaps Campbell of Monzie (?).

187

It hath pleased God to take to himself one of our best translators, My dear friend, Mr. Nalson /1 at York, who departed Wedn. Feb. 27th with perfect Resignation to the Divine will. He was a true lover of our Lord J. Ch. and of his holy Truth ; and He I humbly hope has receiv'd him into his Eternal Rest.

The Letter of Instruction /2 is finished and gather'd, but not yet come to Mr. Innys s from the printers. I will take the first opportunity to send down So of 'em to Mr. Monro, and advise him of their being sent by a bill of lading.

I ever continue in the tenderest manner Yor Lop's most obed. servt.

(No address etc.)





LXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.]

Tuesday, March I2th, I7H.

DIY LORD,

By my last of the 7th a I signified my hopes of sending the enclosed by Saturday's post, but nothing coming to me till last night, I could not forward it till now.

I have received at once 32 leaves all wch pass but for three tunes. 4 of those leaves I here send your Lop., they being large enough for one letter, and shall continue to forward the rest till all are sent. In the mean time if these will suffize, please to let me know it, and I shall not bespeak any more. For these seem to be much larger than what your Lop. means by= naming a dozen, three of which may be sent every post by one frank. Expecting then yor further commands

I remain

Yor Lop's most obedient humble servt.

To The Right Honble. The Lord Deskford

Edinburgh.


1 V. p. 181 n. His epitaph is given by Nichols (Lit. Hist., IV, p. 865). It mentions that he was in his 4oth year, and that he was son of Dr. John Nalson, rector of Doddington. The date of his death is wrongly given by Nichols, op. cit., IV, p. 408.

2 V. p. 181. The 1772 Eng. trans. of the Life of Lady Guion (part iii, p. 295) refers to this Short Letter of Instruction skewing the surest way to Christian Perfection, states that it is translated from the French of de la Combe, and gives extracts.

3 Wm. Innys, bookseller, London, died Dec. 1, 1756 (Musgrave, Obituaries). W. and J. Innes, West End of St. Paul's, published Waterland's Sermons mentioned in the Letters, and Knight's. The firm is frequently referred to in Nichols, Lit. Hist.

4 V. p. 186. Dr. Keith apparently proved useful to Lord Deskford in many small matters. These letters about opera tunes show how wide was the range of the services he was called upon to render.

188

LXIII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.

The year has been torn off, but the mention of the " little book," and also what seems like a reference to Lord Deskford's forthcoming second marriage, which took place towards the close of 1723, and other slight indications. point to 1723.

May [ ]

MY DEAR LORD,

I had the honour of yor (letter of) the 2d and was not a little refreshed by it. Yor silence requires no apology. I know the situation of your affairs,/1 and enter into it as far as I am able. I thank our Div. L.M./2 with all my heart for his goodness to you in supporting you under all Nor difficulties and delivering you from all anxiety as to future events. May he confirm and strengthen your heart, and establish it in his eternal peace !

I approve much of the dutiful resolution and wish it may prove successful. I rejoyce likewise that the Dear Lady concurs in it, and pray that she may be brought to taste what yor Lop knows and feels, and with you be united to the Divine will in all things. Happy Union ! but founded in ye Cross.

I am glad the 8o copies of the little book/3 came safe ; but can't tell yor Lop when that of Fr. Laurent /4 may be expected. Mr. Heylin/5 has been at Bristol these 2 moneths for his health and is not yet return'd. When he comes Ld. F./6 will hasten him. He Ld. F. (was with me this morn. and most tenderly (greets) yor Lop. He is still at great pains (to put) a stop to R.'s /7 impetuosity, and is (hoping) to publish a vindication of V.P./8 (in) time. Mr. H./9 also has kept that expression in the English translation



1 Apparently a reference to schemes for the second marriage of Lord Deskford.

2 " Divine Little Master."

3 This seems to date the letter in 5723 the 8o copies were mentioned March 7th, 1723 : v. p. 188.

4 Devotional tracts concerning the presence of God, translated from French and published by Downing in London, 5724 : v. Brit. Mus. Catalogue.

5 J. Heylin (d. 5759), D.D. (Cantab.), became a well-known preacher in London and as such is repeatedly mentioned in John Byrom's Remains. He apparently translated Brother Laurence's work at this time. D.N.B. mentions " his indulgence in mysticism." Some theological lectures he delivered at Westminster Abbey were published in 1749, and two copies are in the Library at Cullen House.

6 Lord Forbes apparently at this date still resident in London.

7 A. M. Ramsay. The reference is to the controversy over Poiret's Life of Madame Guyon : v. pp. 151, etc. Ramsay's Life of Fénelon was published both in French and in English in this year (1723) and was intended to be an answer to Poiret.

8 " Venerable Poiret."

9 Nathaniel Hooke, younger, who did the translation of Ramsay's Fénelon : v. p. 584. Hooke wrote to Lord Deskford at Edinburgh, March 12, 1722/3, (Cullen House), Dr. Keith having given him the address. He says, " Your Lordship will be surpris'd to

189

wch is actually printing here, and inflexibly persists in it. He pretends obedience ; as his friend also does. But for my part I do not understand what they mean by it. My sense of holy Xtian obedience can never oblige me to break a knowen Law, as namely, to bear a false Testimony against my neighbour as that practise of theirs certainly does.

As to myself, I have not this moment any design of any kind, nor can I think of any. I leave my self wholly to providence, and humbly and solely depend upon it.

Je me trouve satisfait d'autant

Que je sçay bien

Oue bienheureux celuy

Qui ne possede rien.

P. Surin./1

Here I conclude with my most ardent prayers for yor Lop in all yor circumstances, being in the tenderest manner and with all possible esteem always.

Yor Lop's most obed. servt.

To The Right Honble.

The Lord Deskford, to the care of Mr. Monro, Bookseller at Edinburgh.


learn that the Bishop's Life is gone to Holland, without any alteration in the disputed passage. I have obey'd orders which I can never disobey, but at the same time have remonstrated in the strongest terms and have good hopes that before the Book be sent to the press there will be new instructions to leave out that clause." The clause which caused the trouble appears on p. 33 of the Translation : " to take away the false ideas which certain persons have fram'd of her by reading a History of her Life, lately printed in a foreign country, contrary to her last intentions." The reference is to Poiret's issue of Madame Guyon's Vie . . . écrite par elle-même.

1 V. p. 110.




CORRESPONDENCE BETWEEN JAMES CUNNINGHAM OF BARNS AND DR. GEORGE GARDEN.

      1. INTRODUCTION : THE FRENCH PROPHETS IN SCOTLAND.



THE tragic drama of French Protestantism has no scene more tragic or dramatic than that of the Wars of the Camisards.. The inhabitants of the mountainous forest region of the Cevennes were ardent Protestants, and at the time of the revocation of the Edict of Nantes in 1685 they had their share of the general persecution which almost destroyed and certainly ruined the cause of the Reformation in France. The nature of their country and the quality of their faith had power to contrive that, at the beginning of the 18th century, in spite of the cruelty of government policy, they still survived. The situation became then even more acute, and driven to desperation by their tormentors, the peasants rose in passionate revolt. From 1702 until 1705 they maintained with the utmost skill and devotion a marvellously successful guerilla defence. Gifted leaders appeared among them. The names of Rolland and the boy Cavalier are amongst those of the world's romantic heroes. Both sides acted ruthlessly and relentlessly, and the conflict was savage. The Camisards, as the rebels were nicknamed, endured terrible sufferings, but seemed invincible. At last when in 1704 a new Royalist leader attempted less callous and more diplomatic measures, Cavalier yielded to the King. Soon afterwards Rolland was killed in a skirmish and presently the struggle died down, though the Protestant faith survives in this region even to-day. Cavalier escaped from France and ultimately served in the British army and died in 174o Governor of Jersey. A popular account of him will be found in Arthur Grubb's Jean Cavalier (1931)./1 The whole story has been immortalised in English literature by Robert Louis Stevenson in his Travels with a Donkey in the Cevennes, and has been the subject of a number of academic studies in recent years.

A remarkable feature of the revolt was the appearance of abnormal phenomena similar to those which are described in the Book of Acts, and which characterised early Montanism, the 17th century Shakers and Quakers, the beginnings of the Wesleyan movement, the work of Edward Irving

1 V. also Cavalier's Memoirs (English Edition, 1726).

191

and other occasions of unusual religious excitement. Extraordinary conditions of physical agitation were developed, and the victims in a state of trance gave utterance to words which were regarded by astonished witnesses as inspired and prophetic.

In 1707 three of these hysterical, but no doubt sincere and well-meaning, French Prophets—Durand Fage, Elias Marion, and Cavalier of Sauve (cousin of Jean Cavalier)—came to England. A marvellous amount of interest was excited and many pious persons were impressed by what they took to be manifestations of the Holy Spirit. The Camisards were said to be " drunk with Prophecy." Their whole bodies trembled and twitched, their faces were distorted, they foamed at the mouth, they swooned, they sobbed and groaned, they were lifted off their feet and moved across the room, they were thrown down violently without hurt. Even children and infants were supposed to prophesy. The messages which came from the lips of these unconscious instruments were of destruction because of God's wrath. They called for repentance and envisioned a Kingdom of Glory upon earth. They had little use for the clergy, the Church, the sacraments. Dogmatic theology did not interest them. Learning they tended to despise. They were credited with miracles of healing. The most sensational incident of their London campaign was an attempt to raise the dead. Dr. Thomas Emes died on December 22, 1707, and it was prophesied that he would rise again. The event was fixed for May 25, 1708, between noon and six o'clock. An expectant crowd waited in vain, and the magistrates had to interfere with the Prophets.

Their propaganda was supported by Sir Richard Bulkeley in his Impartial Account of the Prophets, and John Lacy published his Warnings, his Cry from the Desert, and other revelations. A whole literature appeared in opposition. French Protestants in London repudiated the Prophets, Spinckes issued his New Pretenders to Prophecy Examined (1709), Edmund Calamy and others not so well known studied the outbreak and endeavoured by their writings to prevent its spread. The movement had, however, affected other parts of England. Spinckes tells us that " detachments of these pretenders are sent abroad throughout the nation," and the following letter (which was printed in the " European Magazine " for March, 1798) gives interesting corroboration. It is written from Oxford by Mr. Thwaites to Dr. Charlett and wrongly dated Aug. 170o0. " The Prophets are here at the Greyhound. They made themselves known by strange convulsions and abrupt talk yesterday. I was there at three. ioo Masters of Arts (I think) might be there and 15o0 more persons. We stayed an hour, but no motion. There were four prophetic women as the two men call them. One of the men was a Scholar of Cambridge. He is cunning and has temper. His name is Lardner, the other's Jackson. When Lacy's Warning was read by one of the men, some of us objected too much, and hindered the coming of what

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they call the Spirit. They have more names for it. In the meantime the Vice-Chancellor came and dispersed us. I cannot express the confusion ; but in three minutes he made the house easy. The prophets were to march by his order in an hour, but their linen being out they stay till to-morrow. They are become the Constable's ward."

As late as 1739 we find John Wesley /1 describing in his "Journal " the case of a young woman who was a follower of the French Prophets, but the movement had long before that passed from general notice and it had, of course, no permanence.

In 1709 the Prophets made a descent upon Edinburgh. They appeared on March 19, and their first visit extended to April 12. The prophecies of Anna Maria King, John Moult, Mary Turner, and Ann Topham were printed in the same year under the title Warnings of the Eternal Spirit pronounced at Edinburgh. This publication informs us that on March 24 the Prophets were obliged to appear before the magistrates of Edinburgh. On April 11 the Spirit ordered them to leave the city. There was some difficulty about money, but a country gentleman whom they met at Restalrig supplied their wants. Later in the year they had another Edinburgh campaign. On the command of the Spirit a new contingent sailed from London, arriving in the Scottish capital on June 10, 1709. The prophecies then uttered by Thomas Dutton, Guy Nutt, and John Glover were published in 1710, as likewise still later utterances of Ann Topham, Anna Maria King, and Guy Nutt. The instructions which led to this second campaign enjoined the Prophets to tell the Church of Scotland that God esteemed Episcopacy and Presbytery " much alike," and that it was not by such differerces that He would distinguish His people at the Day of Judgment. They repudiated any denominational title and called themselves only " Christians and followers of the Lord Jesus." In view of the letters before us it is interesting to find Wodrow both in his Analecta /2 and in his Correspondence /3 stating that the movement had only affected those who were Bourignonists and Jacobites.

It was this second group of the French Prophets which James Cunningham of Barns tells us he met on returning to Scotland after a summer spent at Bath for the benefit of his health. He had had time in those months for religious reflection, and had been in touch with Dr. George Cheyne who had decided mystical tendencies. On the way from England he employed the time in reading Baker's Sancta Sophia, the work of an English spiritual director, an admirable guide to inward religion, but with certain Quietist leanings against which the modern English edition of the work carefully warns the reader. Cunningham was much pleased with the kind of influence he found the Prophets were having upon some of his friends, but, remaining somewhat sceptical, he continued his journey to his home at Crail in Fife. There

1 Journal, January 28, 1739.

2 I, p. 309.

3 I, p. 169.

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he went on reading mystical books, but he was presently excited by news that some of his Edinburgh acquaintances had experienced the physical agitations which characterised the Prophets. His doubts and bad impressions were gradually removed. He mentions the interest that was being taken in the Prophets by Andrew Michael Ramsay, by Lord Forbes of Pitsligo, and by a nephew of Dr. George Garden, and reports several occasions when he himself was present at supposed revelations by Lady Abden in a state of trance. What affected him more than anything else was a number of utterances by Lady Abden exactly in the spirit of the Quietist parts of Baker's work, and further some references in her words which seemed too directly applicable to himself to be coincidences.

Lady Abden is mentioned in the Warnings published in 1710. Her introduction to us is very curious. On July 25, 1709, there was evidently a private gathering, and we are told : /1 " The Lady A—n arose under the operations of the Spirit and was carried to Guy Nutt, who danced with her about the room, holding her by both her hands and said, This is the appearance of your God among you, which ye shall see more and more. Behold the works of your Lord. You shall rejoice in the Dance. Thou (to l—y A—n) art beloved of thy God, thy soul shall rejoice in him who doth embrace thee in his bosom (embraces her). Behold the love of your God to his Spouse, who is coming to make her glorious. She shall be all glorious within. She is sick of love. Thy Lord kisseth thee with the kisses of his mouth. Rejoice you for ever." There are other similarly curious incidents, which gave Cunningham and others unfavourable impressions, but later what she had said and done had completely changed his mind. On July 31 /2 the Spirit by the mouth of Lady Abden ordered the Prophets to be ready to leave for London within the week, which they did. According to Dr. George Garden in the correspondence here published, Lady Abden afterwards came to think she had been deluded in imagining herself to have been under the influence of the Holy Spirit.

James Cunningham eventually joined the Prophets, and though according to Wodrow's Analecta /3 he did not " pretend to prophecy, but only to denounce judgments," he made many utterances which were published along with others of Margaret Mackenzie. These consist of Warnings delivered at Edinburgh in July, 1710, and Warnings at Glasgow at the end of November and beginning of December in the same year. He had apparently been busy between those missions, for there is a very interesting letter from the Rev. James Webster to the Rev. Robert Wodrow, written at Edinburgh, September 20, 171o. This letter is mentioned in an editorial footnote in Wodrow's Correspondence, but it has not been printed and is to

1 Warnings . . . by the mouths of Thomas Dutton, etc. (i7î0), pp. 153 f.: cf. p. 167.

2 Ibid., p. 176.

3 I, p. 309 ; v. also the reference in II, p. 304, evidently displaced as to date.

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be found among the Wodrow MSS. in the National Library, Edinburgh. The following is the relevant passage : " This day eight last Barns Cunninghame with three others, namely Dutton and his wife, & Kennet Gordon were prophesying on our streets, for which the mag: imprison'd them & they are still in firmance ; they have published ye prophesies under ye title of ye Warnings of ye Eternal Spirit to Edb'' and Barns positively asserts that judgemente will within fourty days fall on this toun."

There was also a small volume published at Edinburgh in 1710 entitled A Trite Copy of Letters past betwixt Mr. Robert Calder and Mr. James Cunninghame of Barns concerning the Trial of the Mission of these people that pass under the Name of Prophets. In a letter of September 22, 1710, Calder says, " I am heartily sorry for you & your fellow-sufferers imprisonment ; you have reason to rejoice if your persecution be for a good cause ; but this is the question." Cunningham's reply of 23rd and then a reply of 27th to a second letter by Calder are merely formal ; but Calder amidst his denunciations says of the Prophets in Scotland that they had prophesied " a judgment coming to pass on the city of Edinburgh within 40 natural days from the 12 of September 1710, which should be fufill'd on the 22 of October following ; & that written to Sir Patrick Johnston, late provost of Edinburgh."

Cunningham's published utterances are sometimes in the nature of simple orders, as when at Stirling on November 23, 1710, he said, " It is my will that ye enter not into that city till Monday," /2 the reference being to the beginning of their campaign in Glasgow. Also when he and his friends found themselves in the Glasgow Tolbooth on December 1 he was guided to intimate, " I will permit you to depart hence on Tuesday next," and before they left the city he announced, " I have at present fully answer'd my end in this your Mission." /3

Most of his utterances are laden with Biblical quotations, which certainly show him to have been a very earnest student of the Scriptures. Generally they consist of what we should call evangelical addresses summoning people under threat of immediate judgment to repent, be acquainted with the life of God in the Soul (which echoes Henry Scougall or John Smith, the Cambridge Platonist) and so to become living members of the Mystical Body of Christ. His reading of the mystics is very obviously reflected in some of his expressions.

More interesting still are certain passages where his own feelings about the movement stand out clearly. For example, he says to the Edinburgh crowd : " Search and see what motives have brought you hither ? Was it only to gaze at my servants ? If ye imagine them to be under the power of a disease or a satanical delusion, does it become Christians . . . to stare

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at and ridicule them. . . . If ye do suspect that there is any . . . trick or contrivance in the matter, then but think which of you would enter into such a design whereby ye must necessarily forsake every worldly thing. Dare any of you say that my servants can propose any profit, any pleasure, any reputation to themselves by being thus expos'd to the World ? . . . There is not so much as a shadow of reason for asserting thereof. . . . Do you wish His Glory may be spread over the face of the Earth ? . . . Then wou'd you wish well a set of people that both by their words and behaviour demonstrate that they have nothing else in their view. Do ye not all wish or pretend to do so that there might be a renovation upon the face of this Church ? . . . Does it not then become tour duty to wish that these things were really true ? My people, did I but discover in your hearts but this wish . . . I wou'd discover to that soul that it were true."/1

He was now perfectly convinced that a study of the Scriptures would convince people that the French Prophets were not the false prophets against which Scripture and so many of the mystics warn the faithful, and it is obvious that the correspondence with Dr. George Garden had done nothing to lessen his confidence.

The movement had created some excitement in Edinburgh, Stirling and Glasgow, and we have seen that in the first and last of these places the magistrates had to take action. Elsewhere rumours at least had arrived, for Calamy /2 tells us that when he visited Aberdeen in 1709, he and his friends had at first a strangely cold reception due to the fact that people had suspected that they were French Prophets. Rhind's Apology also mentions these "Modern Prophets in their agitations " and attempts to class with them all Presbyterian evangelical enthusiasts, while Anderson in his reply points out that the Prophets were associated only with Episcopalians and Bourignonists./3 James Hog of Carnock felt obliged to enter the lists against the visitors and in 1709 had already published his Notes about the Spirit's Operations, with special reference to the Cevenois, A.B., etc. He writes in the language of controversy, and consequently we are not surprised to hear of “the loathesome and dangerous gangrene of delusion among the pretendedly inspired Cevenois." His main grounds of criticism were that the sure word of ancient prophecy was overlooked, that the scope and tenor of the new Warnings was contrary to Scripture, that the name of Christ was very rare in their utterances, which ran out only in " the Channel of the Covenant of Works," that miracles might well be performed by false prophets, and that the new movement carries us away from the Foundations of the Christian revelation and leaves us " a prey to every pretending deluder."

1 Warnings . . . Edinburgh (1710), pp. 26 f. : v. also pp. 34 f.

2 Hist, Account of My Life, II, p. 197 ; v. also Wodrow, Analecta, II, p. 304.

3 J. Anderson, A Defence of the Presbyterians (1714), pp. 297, 299 f.

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This brings us to the correspondence now printed for the first time, consisting of three letters from James Cunningham of Barns to Dr. George Garden of Aberdeen, and two letters which were sent in reply. One or two earlier letters which Cunningham mentions have not been preserved. Those here published are taken from copies in a manuscript volume (Q. 39) in the Library of the Scottish Episcopal College in Edinburgh. The volume came there from the Hon. Mrs. Forbes of Pitsligo who has entered a note to the effect that the handwriting is that of James Ogilvie of Auchiries whom we know to have ben one of the group in the North-East interested in mystical religion. In the same collection in the Scottish Episcopal College there is another manuscript volume (Q. 12) which seems to be in the handwriting of Mary Baird of Auchmedan and contains (along with copies of Madame Guyon's Short and Easy Method of Prayer, part of the Life of Armelle Nicholas, the Morals of Epictetus, etc.), an account by Mary Baird (following Dr. George Garden) of the career and religious outIook of Lady Seafield, wife of the Chancellor Earl, notes of a sermon by Dr. Garden on the occasion of the death of Lady Jean Hay, 1721, and two other funeral sermons, and also Letters I, II, and part of III of the Cunningham-Garden Correspondence. The copy is weak in spelling, but it has an interesting introduction which must be quoted : " Here are some copies of Lettres which war wreat. This first is from the Laird of Barans, a gentlman of a good fortune and no less sens, who enttred among a sett of Camsaris, as we call them. Thy thPmselvs often assume the name of prophetts, and on many occasions in ther warnings, as thy call them, thy personte God. Thy war mightly taken up will ther propchies for a whel, but thos of good judgment among them did endevour to wey such nottions. Upon ane occson a famous man among them who mead no dout of his being guided by the imidtt Spret of God, did say that un Doctor Emes who had dyed I think in 179 : this nottion was that the Docttor should rise in the May of that year. . . . "

In addition to these copies of the Letters, there is, in the Charter Room of Cullen House, a copy of Letter No. II from George Garden to James Cunningham, in the handwriting of a chaplain.

Of the original Letters there is no trace, but it is clear that the correspondence had caused real interest at the time and that copies had been made and distributed in the small circle in the North-East which we have found centred upon Dr. George Garden. The movement had created not only interest but alarm in the circle, and we find from the correspondence that not only Dr. Garden, but also Lord Forbes of Pitsligo, the Master of Forbes (afterwards 14th Lord Forbes), Dr. James Keith of London, and Andrew Michael Ramsay had come, after investigation, to be hostile to it. The correspondence is of importance as showing two possible views of such a movement, and the general line both of the defence and of the

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attack is actually of value at the present day in connection with the modern equivalents of this strange religious outbreak.

Of George Garden enough has already been said in the earlier part of this volume./1 It only remains at this point to notice that he had been almost " hoist with his own petar." This correspondence shows us one of his own disciples out-Gardening him, and the master endeavouring to save the disciple from too logically obeying his teaching. We are reminded of Luther and Zwingli suddenly made aware of their too logical followers, the Anabaptists. What drove James Cunningham into the arms of the French Prophets was exactly what had guided the group to Madame Bourignon and Madame Guyon. Like Garden, Cunningham was an Episcopalian and a Jacobite, and had a hearty disrespect for Westminster dogmatism. He had eagerly followed Garden's lead and had been soaking himself in Mysticism and Quietism. The French Prophets simply offered him a further advance in the approved direction.

James Cunningham of Barns, the writer of the letters to Garden, is not a person known to fame, but the few available details regarding him must be recorded. He was born about 168o /2 and succeeded his father in the estate of Barns in the parish of Crail in Fife in the year 1706./3 He belonged to an ancient family said to have had a Charter from Robert II./4 Some of their property was granted by the King in 1672,/5 and the Isle of May came into their possession under Charles I, who permitted Alexander Cunningham to build the lighthouse there./6 A family tragedy was the sudden death of a daughter of the house who had been on the point of being married to the poet Drummond of Hawthornden./7 An important connection was that formed by the marriage 8 of John Cunningham in 1679 to Isabella, a daughter of the recently murdered Archbishop Sharp of St. Andrews, whom the family had known since the days when he was minister at Crail.

James Cunningham,/9 the correspondent of George Garden, was a well educated man, able to write Latin and French and with some knowledge of Greek, deeply read in religious works, and acquainted with the whole group whom we have learned to know from the Letters of James Keith, M.D. He knew personally Dr. Garden, Lord Forbes of Pitsligo, Dr. George Cheyne, Dr. James Keith, William, afterwards 14th Lord Forbes, Andrew


1 M.N.E., pp. 32 ff.

2 For particulars of the family, v. Wood, East Neuk of Fife, pp. 397 ff. ; also Erskine Beveridge, Churchyard Memorials of Crail.

3 Gen. Reg. Sasines, Nov. 22, 1706 : v. also Fife Sasines, May 5, 1704.

4 Sibbald, History of Fife and Kinross, p. 133.

5 Reg. Mag. Sig., April to, 1572.

6 Sibbald, loc. cit.

7 Masson, Drummond of Hawthornden, p. 44 ; v. also pp. 178 f., 478 ff.

8 Contract, Dec. 19, 1679 : v. also Reg. of Deeds (Mackenzie), Feb. 19, 1704.

9 The evidence is in the correspondence itself.

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Michael Ramsay, Lord Deskford, and at least by correspondence, Pierre Poiret. His studies had made him familiar with the writings of Madame Bourignon and Madame Guyon, but he also shows his acquaintance with St. Augustine, Cassian, John of the Cross, Baron Metternich, Jacob Boehme, Augustine Baker, Angela de Foligno. He is thus a typical example of the group of Scottish landed gentry whose interest in mystical religion we have been endeavouring in this volume to establish.

Information regarding the later career of James Cunningham seems to come almost entirely from the Letters of James Keith in this volume. He was " out " in the Fifteen, and took part in the Battle of Preston, was made prisoner and sent to Chester, where he suffered a good deal from the prison conditions. We know i.e had long been a man in poor health, and at Chester he finally caught cold and died in 1716./1 Two sisters survived him, Helen and Margaret ; after their brother's death they settled at Bothkennar in Stirlingshire, where the latter died in 1718./2 The Fife estates do not appear amongst those sequestrated after the Rebellion, but by 1722 we find at least part of them in the possession of the Scotts of Scotstarvet./3

The correspondence is printed in this volume without any attempt at more than the most necessary annotation./4 The letters speak for themselves, and are of interest chiefly as revealing the serious tendencies and mystical reading of these leisured cultivated men. They form an important supplement to the preceding study, and reveal the pitfalls that very naturally tended to appear in the way of those in the position of the Mystics of the North-East.



I. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BASINS TO DR. GEORGE GARDEN.



VERY REVEREND SIR,

Yours of the 19th of October came to my hands on the 29th, and it was indeed no small satisfaction to receive it. Your long silence had rais'd some cares in me, which the event shows to have been all groundless, for your nephew, tho' he show'd me your long letter to him, forgot it seems to deliver the short one to me. Blessed be my God, who seeing my weakness yet unable to bear with the loss of my friends, has inspired the most valuable of 'em to express more concern for me than I could either expect or desire. As I must heartily joyn in the conclusion of your Letter wishing that



1 V. M.N.E., pp. 116, 134, 139.

2 Gen. Reg. of Sasines, Sep. 22, 1718 : y. also M.N.E., p. 135.

3 Fife Sasines, Jan. 9, 1722 : v. also Wood, East Neuk of Fife, p. 399.

4 No attempt has been made to amend syntax. spelling or punctuation.

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no event may ever disjoyn our hearts, but that they may ever be united in the strictest bonds of spiritual friendship, so 'tis with no small reluctancy I dare own my thoughts differing from your sentiments in any thing ; were my thoughts or judgment now in my power, I should with reason be obliged to submit 'em to yours, but all I can do in my present circumstances is to give you a small account of my conduct in this affair, with the consequences thereof in my own mind ; 'tis needless to resume things too far, I shall then begin to tell you that upon my recovery this summer at the Bath, and enjoying something more than ordinary solitude there, I began to feel a more than usual peace and composure in my mind ; my soul was I thought drawn more inward, and at the same time filled with desires of employing a life (so often and so miraculously restor'd to me) to the glory and service of the giver. In my journie down, I enjoy'd a perfect solitude of ten days, the sweetest time I ever past in my life. I employ'd my spare hours in reading Baker's Sancta Sophia, /1 and against I came home I found a strong attachment to practise the prayer of Affection or forced acts of the will which he so largely describes.' At Edinr. I saw the second sett of prophets,/3 I could not but be very well pleas'd with the good influence they had on several of my acquaintances, and the strictness of their lives. I found my self restrained from passing any judgment on 'em, but as their discourses produc'd no rational conviction, and that the time for any other was not come, I return'd home in the old suspense about them, and continued the exercise I just now spoke of and found it still more and more delightful, when I am surpris'd with account from Edinr. that some of my best friends were turn'd firm believers in this dispensation, and some actually agitated, I cannot express the concern that this occasion'd in me not as yet for my self, but for my friends about whose state I was very suspicious, I spent several weeks in perusing all the Mysticks, especially John of the Cross,/4 and made several extracts from them, which I sent to Edinr. pointing out the danger of esteeming too much, and much more of coveting those gifts,


1 Sancta Sophia . . . extracted out of more than forty treatises written by . . . F. .4 Augustin Baker . . . and methodically digested by R. F. Serenus Cressy, 16J7. Other editions 1857 and 1876. The latest, 1932, is entitled Holy Wisdom. V. also Life of Father Augustine Baker, edit. McCann (1933) ; Confessions of Ven. F. Augustine Baker (1922) ; Cloud of Unknowing (Commentary by A. Baker in 1924 edit.). V. also Dom. D. Knowles, English Mystics (1927). Baker lived from 1575 to 1641. His Sancta Sophia is one of the most valuable works of direction " for the prayer of contemplation," and well deserves study.

2 Holy Wisdom, p. 432, etc.

3 V. Introduction.

4 S. John of the Cross (1542-9i), almost as famous as the " seraphic mother," S. Teresa. Chief works in Bibl. de Autores Espaïtoles, tomo XXVII. Latin and French translations were available at the date of the Correspondence. A new English translation in 3 vols. is just being issued by Professor E. A. Peers of Liverpool (1934). V. further, Peers, Studies of the Spanish Mystics, vol. I.

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and pressing all to come to the Dark and Simple Faith, I likewise remarkt all I could of the signs for distinguishing spirits and the result was that I was well pleas'd with the results I had from Edinr. of the state of my friends, and whatever the spirit was they were acted by, I could not know how to blame their conduct, and hoped it would at last turn to their good, but as to my self I continued still in my old irresolution and darkness in this matter. I saw not yet how it particularly concern'd me, and was come the length of expecting no conviction in it from any outward means or arguments, yea was resolv'd not to yield my assent, till I should find conviction from God in the inward ground of my spirit, which at the same time, I did no way covet or desire, but labour'd to be resign'd to God, whether he should leave me still in darkness, or give me light, and free my mind from these prejudices and distractions which might be a hindrance to it. About this time, in my ordinary exercises, I began to feel some attraction to something that was more silent and wherein my imagination or affections had less share, but I made little reflection thereon. In this state I went to Edinrm. about some affairs and as providence would have it, all the favourers of this Dispensation, who could deal with me in a rational way, were then out of town, and the first person I spoke to of that affair, gave me no very favourable impressions of the L. Abden./1 I went to a house where without my knowledge she was, and having a little before receiv'd a letter from A.R./2 telling me how by his attendance to what he saw at a meeting of the prophets, he was drawn out from his inward recollection, I was minded to try that experiment myself. I was then whispering to Mr. Spence /3 and telling him I could not positively assure this was not the Spirit of God, yet I still wanted evidence from himself, and without that I could not believe ; the Lady then came, and I left off the discourse to try the experiment. In a very little she fell in her agitations, and shortly after spoke, and indeed had all the direct contrary effect upon me, as on him, but it will be necessary to transcribe some of that warning which began thus : " My Children will listen to my voice, for I am resolv'd to give 'em such conviction as they 'shall not be able to resist, I cry unto the world in such a way and manner that they cannot say that this is not their God speaking to them, all they have to say then is, we only want conviction from God to assure us that this is his own voice. I give the world directions whereby they may come to have real conviction of the thing, but they all reject the precept given thinking it impossible obey it. The precept given is this, that ev'ryman and woman retire, and enter into their closets, humble themselves as in my sight, hold their peace, silence their thoughts, be careful that their imagination do

1 V. Introduction.

2 Andrew Michael Ramsay : v. 11.N.E., pp. 51 ff.

3 Not identified, but according to Services of Heirs, William Spence, merchant in Edinburgh, was succeeded in 1712 by his son of same name.

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not interpose, that they may be altogether still, when they are in such a disposition, then will I pour my Spirit into their souls," &c. Tho' I was then in the most recollected state I had ever felt before, yet my imagination was very active, partly when it was said, " Enter into your closets," my imagination represented to me the wound of my Saviour's side, as the closet into which I should enter, but when she spoke the words, " Be careful," that imagination was torn from me, and indeed all other thoughts, and I was as much in the state then describ'd as my corruption and weakness could admit of. This I confess struck me a little, I knowing well that it is only the word of God that can pierce to the dividing asunder betwixt soul and spirit. I saw besides my own sentiments which she could know by no human means represented unto me, and an exhortation to a method of prayer, which when I thought more upon, I was charm'd with it and was satisfied that if I practised it I could be expos'd to no delusion, whatever spirit advised it, tho' this was a strong presumption, it could not be a bad one. The second warning I heard, was an answer to some difficulties your nephew had been proposing to me anent Lithgow,/2 and which it was not possible she should have known, but by a supernatural way. The third etc. were those My Lord Pitsligo /3 also heard, and of which I believe he has a copy, in which there were things no less extraordinary, but 'tis needless now to insist on the whole. I left Edinr. with a much greater byass than before in their favours. I found my reason intirely baffi'd and struck down, all those prejudices I formerly entertain'd evanish'd, and above all a strong attraction to practise the prayer of internal silence there recommended to me, so that by degrees my daily recollections were all spent therein, yet after all I could not say I was absolutely convinc'd or had the Divine Light and evidence which I all along thought necessary. God's time was not yet come, but it did not long tarry. He no longer refus'd that vouchsafement unto me when it was necessary for my conduct. I was but a few days come home when I got that warning sent me from Lithgow 2 which it seems you have heard of, wherein I was told that it was this spirit that did help me to address my God in that acceptable way of silent prayer, wheras I am sure I never told any mortal I had ever felt anything of that kind, and that I know that by this method of praying, my enemy could have no ground to work upon me (words I spoke that very day to Mrs. Ireland /4 at Craighall)./5 After some other things I was commanded in obedience to my



1 Not identified. Dr. G. had many nephews.

2 Possibly William Lithgow, writer, Edinburgh, whose son of same name succeeded to his estate in 1717 ; v. Services of Heirs.

3 Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo : v. M.N.E., pp. 44 ff.

4 Not identified : v. again, p. 207. Wm. Ireland, sometime tenant in Newhall in the Parish of Crail is mentioned Oct. 3o, 1700, in Commissariot of St. Andrews.

5 Craighall, near Cupar, Fife, was the residence of Sir Thomas Hope, Bart. : v. .M.N.E., pp. 77, etc. Sir Thomas was an Episcopalian and perhaps he or at least

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[Portrait de George Cheyne]



Heavenly Father to go to Couper /1 the 14th of Octor. where he would speak by the mouth of that young vessel, that is, the Lady Abden's child,/2 and afterwards there was a promise in answer to a resolution and desire I have offer'd up to God now these two years, but never told any mortal of it but Dr. Cheyne./3 Well now, the thing was come home to me, and it was necessary I should be determin'd, and therefore offer'd up the whole affair to God, with all the purity and disengagement I was capable of, and sunk into my prayer of silence, where indeed I soon receiv'd such light and conviction as I could no longer resist. The more silent my prayer was, and the less mixture of any thing of my own, the stronger was my conviction ; and on the other hand I found my belief herein powerfully to promote my prayer, and render it more habitual and delightful. It was now no longer in my power to doubt that this was the voice of God unto my soul calling it powerfully inward, as from all outward distractions, so from my own judgment and opinions, thoughts, imaginations, and affections, that ev'ry thing of the creatures in me being annihilated, he might become All in All ; and in particular as to the command I saw clearly it was my duty to obey with that purity of intention was enjoyn'd me, and that morning before I went, having offer'd up myself to God to be put by him in the dispositions in which I ought to go, I found my mind fill'd, as with a strong resolution, so with a perfect indifferency, yea want of concern and thought as to the event, and when that fail'd, I enjoy'd an inexpressible calm and tranquillity in my mind with the testimony of my conscience, that having done my duty, I ought to leave all the rest to God, and as I know well these dispositions could never flow either from my nature or from an evil spirit, so this event which might have shaken my belief serv'd only to confirm it, and ever since entertaining no doubt, I have gone on in the practice of my silent prayer, I have had clearer views of my own nothing than I thought ever possible before, I found my mind disengag'd from the creatures, and ready to


some of his dependants had adopted the tenets of Madame Bourignon, for in 1707 the minister of the parish, Thomas Halyburton, of Ceres, found these doctrines spreading and felt it his duty to preach against them. An interesting note on the subject appears in his Memoirs (v. Works, 1833 edit., p. 763). Like other followers of A.B. these persons seem to have turned to the French Prophets. Sir Thomas later still belonged to the same group of those interested in mystical literature as Dr. Keith and Lord Deskford : v. M.N.E., p. 123. Craighall (not to be confused with that other well-known Episcopalian seat at Rattray in Perthshire) is described by Sibbald (Hist. of Fife and Kinross, pp. 138 f.). The house was burnt down towards the close of the i8th century and remains only a picturesque ruin.


1 Cupar, Fife.

2 Cf. R. Bulkeley, An Answer to Several Treatises (1708), p. 100 : " I have been also by a child in ecstasy instructed in my domestick affairs " ; also the same author's Impartial A ccount of the Prophets, p. 11 : " to see a little girl of four years old have these agitations very frequently."

3 V. M.N.E., pp. 65 ff. Cunningham would be in touch with Cheyne at Bath.

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forsake all, and to embrace any sufferings, I see more distinctly the necessity of self, all self-love, and self-will being destroy'd, and of practising those things I knew before but in story ; in fine, I enjoy that peace and serenity of mind which I never felt before, and were not my infidelity and wandrings excessive and unaccountable, I might speedily arrive to that state which I am so mercifully call'd to. Thus, Dear Sir, having given you a full account of my conduct in this affair, I shall next tell you some of the effects whereof I am very sensible that God has formerly made use of as very powerful and effectual means with my soul, but I have by the strength of my corruption and infidelity frustrated 'em all, and they were at last become more matter of speculation to me than practice. The theory was beautiful, and satisfy'd my reason, but my heart continued still as much wedded to self and creatures as ever, wherefore I cannot sufficiently bless my God, for making known to me at last, a means not expos'd to those inconveniences, in which there is little exercise for my reason, on the contrary baffi'd and defeated. There is no fine theory to please my understanding, but I am drawn to a state wherein the exercise of that, and all my other faculties are silenc'd, and e v'ry thing of the creatures, for the time, annihilated, by an awfull view of the presence of the Almighty, which powerfully weans my heart from all its former attachments, shows me the All of God, and the Nothing of the creature : /1 in fine, moves me to make an absolute sacrifice of my whole self unto his Fatherly hands that he may do with me what he pleases. As I cannot doubt that this proceeds from God, consequently that this is his voice to my soul, so when I discover the like, yea much more wonderful effects it has upon others also, this amounts to the highest probability that the same cause must also produce them, and as my conviction was never grounded on any outward thing but (as I think) on the Rock of Israel who is the same yesterday, today, and for ever, so 'tis not in the power of any thing but my own infidelity to destroy it. All the outward disappointments, the failing of predictions, what they speak of mixtures, yea of things more stumbling, does not'at all move me, I need but have my discourse to my Heavenly Father sinking all my doubts and fears into the -inexhausted abyss of his mercy, and I find my soul restor'd to its former Deace and tranquillity, and my conviction more bright than before. Often indeed, my corruption exposes me to much aridity and darkness, and sometimes perhaps my Lord doth hide his face to punish or try me, but even then

I endeavour to wait his return, with patience and humility, contentment and resignation, and ere long, he vouchsafes his presence again, and in his presence is fulness of joy. As to any particular commands, I believe the Merciful God sends no man a warfare upon his own charges, but with the command affords sufficient light and strength, for discerning and obeying

1 M.N.E., pp. 161, 163.

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it, if we do not wilfully stiffle 'em, and as I have had a comfortable experience of this so I cannot err in trusting to his mercy for the like in times to come. You'll easily believe after this that no outward arguments could much move me, even tho' they were such as to baffle and nonplus my reason, of which, in such a case, I could make a cheerful sacrifice, but I must also freely own, I do not see the strength of the arguments you use anent which those things occur'd to me.

It does not appear to me that the name of Jehovah is peculiar to the Eternal Father, in contradistinction to the Son and Holy Spirit. It seems rather the most awful and tremendous name of the Great God the ever-blessed and undivided Trinity, in contradistinction to, and incommunicable with any creatures whosoever. /2 : The observation that after our Lord's resurrection, Jehovah is not brought in speaking to his servants, does not seem exact. The word indeed not being Greek, does not occur in the New Testament, but I am told by those who understand Hebrew that it signifies the three times. Now the Revelations of St. John are thus usher'd in Chap. i. 8 (I am Alpha & Omega, the Beginning and the Ending saith the Lord, which is, which was, and which is to come), i.e. Jehovah, the Almighty. Again (II v.) I am Alpha, and Omega, the first and the last. What thou seest write in a Book. Thus (for it is needful to transcribe all) Chap. 5 1 v. 4. 8. ii. 17 (where the Kingdom is also ascrib'd to him) ; v. i6 (where also the Judgment) ; thus also Cap. 21 v. 5 : He that sat on the Throne (who appears by Rev. 21 and 22 to be contradistinct from the Lamb) said ` Behold I make all things new, and write,' &c. But Sly : In this Dispensation the bulk of the warnings are not in the name of Jehovah, but of God, or the Almighty. Some are spoke by that Jesus that was crucified at Jerusalem. You know all Mr. Lacy's /2 are call'd The warnings of the Eternal Spirit, but 4ly : Should one receiving a message which he knows to be from God, by the Concomitant Light, and other effects, reject the Message, because spoke by one person, whereas he expected it from another of the same Holy and undivided and contradistinct Trinity, One God, blessed for ever. 5ly. The sense of what Jacob Bohman /3 says, That none can have communication with the Eternal Father, but by and thro' the Son. seems to me to be, that the only medium of our union with God, is the Increated superessential Light (which he calls the Son) and that unless he follow that Sun-Light which enlightneth every man that cometh


1 Probably Chap. 6 is intended.

2 One of the leaders of the movement in London, author of several volumes : v. Spinckes, New Pretenders ; D.N.B., etc.

3 Jacob Boehme (1575-1624), one of the greatest of theosophists and mystics : v. Inge, Christian Mysticism (7th edit.), pp. 277 ff. ; also Vaughan, Hours with the Mystics. II, pp. 79 ff. ; E. Underhill; Mystics of the Church, pp. 214 ff. ; Notes and Materials for a biography of William Law (1854). Works translated into English, 5644-61.

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into the world, (by others call'd preventing Grace) he can never come to the Father which seems also the meaning of some of the passages you cite, but I see not how far this can make against a dispensation that so strongly presses all to follow that Inward Divine Light, even to the silencing all particular affections and desires sinking them all into the supereminent essential desire of the Father, as the most immediate means of union with, and transformation into God. 6ly. There only remains that passage anent the Son's judging and reigning, and I confess I understand little what that mysterious, and perhaps not useful speculation of the different periods of reigns of the Three Persons in the passages you cite, 1 Cor. 15. 24, 25. 'Tis plain from 15. 27 that it is the Father, who puts all things under the foot of the Son ; this appears also Heb. 2. 8. where 'tis also said, We see not all things put under him. From all which, and what I noted before out of the Revelation, it would seem that the Reign of the Son does not commence, till what is call'd the Millenium, but either way it makes little either for, or against the present Appearance. Your next argument to invalidate the proofs brought from the good efforts that flow from this Dispensation, is, That the same have been produc'd by all appearances, particularly that of the Quakers. But, Dear Sir, shall we for the sake of this argument deny that there was some good in the beginning of that sect, or shall we so far weaken the arguments adduc'd by our Blessed Saviour and his Apostles, for proving the Divinity of our Holy Religion as to suppose it probable that Satan can be divided against himself, or to destroy his own Kingdom in the soul of man, yea, to silence all thoughts and imaginations, by which alone he can have any ground to attack him, shall we think it possible that a corrupt tree can bring forth the good fruit of Inward Holiness and Amendment of Life. Must not we own that the strongest arguments the apostles always appeal to, is the Inward Testimony of the Conscience, the outward reformation in the lives of their disciples. Shall I so far deny the Author of ev'ry good gift as to ascribe his Graces, Attributes, and Names to Satan ? Can he be the searcher of hearts, can he advise, yea help to silent prayer, can he overcome all human regards in us, can he in fine, produce such a strong faith, as hopeth even against hope ? No, my Dear Friend, those things are utterly impossible, and I must give up all notions of good and bad, of right and wrong, before I believe them. The hazard you press of giving up one's self intirely to the conduct of this Spirit, is sufficiently obviated by some things said a little above ; I bless my God I have resign'd myself to none but him, being absolutely resolv'd to follow none but him, and only will whensoever he maketh it known to me, believing that this obedience is better than sacrifice. My nature is indeed so prodigiously corrupted that one may think there is to me in particular still a possibility of delusion, but I bless God who has enabled me to resign myself even to suffer that, if such be his will. But in the meantime, I cannot, yea dare not without

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either inexpressible ingratitude, or weakness, act otherwise than I do, when my convictions remain. I told you at the beginning, the pains I took to inform my self from the Mysticks of the danger of following or esteeming extraordinary Gifts, Visions, Voices. I bless my God, I find no greater attachment to those things than before, I hope never to be led by them but by the inward Light of Faith, and you'll conclude by what I have said above, that my conviction never proceeded from them. Thus, Dearest Sir, I have given you as distinct and sincere an account as was possible for me of all that has happened to me in this affair, and of my present disposition, and I have endeavour'd to write it all in the presence of God, and as a plenary confession to one whom I have this good time lookt upon as my Spiritual Father and Director, and I beg for the Love of God, and as you value the salvation of my soul, that you'll write to me with the like freedom I have now used. If you think either my former conduct, or present state, are to be blamed, and how they may be helped, as I see more clearly than ever my own ignorance and folly, so I am willing to take advice from any, much more from one I so highly esteem and love. Whatever other effects this Dispensation has produc'd in me, it has increas'd my affection to my friends, and I think made it more pure and more impartial. I love you, Mr. Monro,/1 and the Master of Forbes,/2 Mrs. St.,/3 Dr. K./4 and and in fine, all those that oppose this Dispensation, more than before, and upon purer motives, and ev'ry white as much as if ye were all in it. Yea (since I am sure you all act upon a good intention) I am perfectly easy and indifferent if ever ye shall favour it or not, knowing that as God has different designs upon his children, so his ways of dealing towards 'em are very various. I dare not ask anything in particular for you, no more than for my self, but make an illimited resignation of us all into the merciful hands of our Heavenly Father ; and as I am sensible, my state is dangerous, and that I incur a double guilt if I don't co-operate with this new and wonderful mercy, so I hope this will be a motive for all your most fervent prayers in my behalf, which I beg with all the earnestness I am capable of. It remains only that I return you my hearty thanks for the prayer you sent inclos'd, I have read it twice over with a dale of satisfaction, but cannot see what it makes against this Dispensation which so powerfully draws people inward, from all activities and sensibilities to the practice of the most silent prayer, and the most internal abnegation. I shall not fail to show it to Mrs. Ireland, /6 and all others concern'd in this matter, to whom I believe it will be acceptable and of use. I must add one word more about your nephew,/7 I was here when he went away, and even could not blame his conduct, he never gave himself up to any thing but God, and went on that Mission from very pure motives,



1 Not identified.

2 William, afterwards 1 4th Lord Forbes.

3 Mrs. Strachan (?).

4 Dr. James Keith.

5 Andrew Michael Rarr,ay.

6 V. p. 2o2.

7Not identified : p. 202.

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and after very serious and frequent recommending it to God, found his Mind fill'd with an unspeakable calm and serenity when resolving to go, but overwhelm'd with unsufferable anguish and horrour when thinking to stay. What also then could he have done in those circumstances. If ye knew all the consequences it has produc'd in him, ye would find reason to bless God for his wonderful mercies unto him. Now to conclude, as I have endeavour'd to write all this under an immediate sense of the Divine presence, so perhaps something I have said in it may give you too favourable ideas of my present state, but I hope my Dearest Friend will not judge of me by some feelings I may have, when recollected before God, for while distracted from that, I am plung'd into my former follies and backslidings. This indeed may serve to give me a fuller view of what I am in my self, and to make me discern betwixt what flows from God, and what from my own corruption to see that all fulness is in him and in the operation of his Holy Spirit all-purifying, enlightning and strengthening, wheras in me, is nothing but what hinders or destroys those operations. O may ev'rything of self be soon annihilated in us all, that he may become all in all to us.




II. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS.



HONORED AND DEAR SIR,

Yours of the 17th of Novr. came to my hands the 28th, and that of the 26th yesternight the 2d instant. I acknowledge it as a great instance of your friendly affection that you embrace the occasions of writing to me even before I have pay'd the debt I owe of a return to the former, and that you so favourably interpret the slowness of the return I formerly made you (for Charity thinketh no evil) ; but much more that with such ingenuous freedom and sincerity you lay open the state of your mind with respect to the present Appearance ; by what steps you have been brought to an Inward Conviction about it, and what effects this hath had upon your soul ; which I most thankfully receive (not as a Director, for it were no small presumption in the to assume that office who have such need, in truly Divine things to be taught which be the first principles of the Oracles of God, but) for that I desire to be excited by the Experiences of others to the more effectuall practice of true and internall devotion.

I cannot cease, My Dear Friend, to adore the Divine Mercy and Goodness towards you in drawing you so effectually from the world and self unto his Divine Light and Love, and to an entire Resignation of your own will, opinions, reason, affections, and all unto him. This is the very essence of all religion and the true way to real divine experimentall knowledge,

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and the ideal notional knowledge we have of things doth as much differ from that as a blind man's notions about light and colours from the sensible perceptions of him who sees the light. And the divine effects upon your heart and soul of your silent prayer to God your Heavenly Father cannot proceed but from the Father of Lights, from whom every good and perfect gift doth come. Such a pure Love of God, and of your neighbours for his sake, such a profound humility and deep sense of your own nothingness, such as an abandoning of your will, and an entire resignation of all you are and all you have to his will ; such a contentedness and satisfaction to suffer reproach or any other evil for his sake, and in obedience to what you are perswaded to be his will ; such an absolute and unlimited faith in God so that he is become all in all to you, can be effected by nothing but the Spirit of God ; for the fruits of the Spirit are Love, Joy, Peace, Longsuffering, Gentleness, Goodness, Faith, Meekness, Temperance. And all this being the fruit of that silent prayer and pure faith in God which you are now led into, and which, as you know, so many spirituall souls have recommended from their own practice, it doth greatly recommend the use of the same. Tho' I cannot say there is any particular promise as to the prayer of silence that one shall be less in danger of any delusion if he shall use it than in praying otherwise, if he prayed to God in sincerity and with his whole heart. For the promises made are not to this way of prayer in particular, but to the seeking of God with the whole heart, in which case he graciously promises to be found of us ; and to the hungering and thirsting after righteousness, in which case he promises that we shall be satisfied ; and to the asking and seeking and knocking, in which case he promises we shall receive and find, and it shall be opened unto us. And we are bid not only to pray, but to watch that we enter not into temptation. So that tho' the prayer of silence may be of excellent use to some, yet I cannot see that it is a greater security to all who attempt to use it against the hazard of delusion, than any other kind of sincere and earnest prayer, particularly that continual prayer in the 8th Letter of IVth part of the Funeral of false Theology and from thence translated in the end of the Apol. for A.B./1 And tho' the philosophy of the Mystick Theology would perswade us that when persons sink themselves into the prayer of silence, they are out of all hazard of delusion because they silence the imagination and the sensitive facultys, in which only they suppose that delusion can have place, yet I am afraid it is not always so in reality ; for when corrupt nature is not subdued in us, when we are not regenerated in the Spirit of Jesus Christ, it is not an actuall sinking of our facultys into a present silence waiting for a divine impulse, that will secure us in such a state against delusion. It seems rather to make way

1 G. Garden, Apology for M. Antonia Bourignon (A.B.), pp. 417 ff. (actually 7th and not 8th letter).

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for it. For when a soul that is unregenerate will needs at certain times silence its facultys that it may be acted upon by a Divine impulse, it may perhaps give occasion to the Seducer who yet rules in its corrupt nature, which is his element, to agitate and inspire it with his delusions, and make 'em pass for Divine motions.

But, Dear Sir, I am far from entertaining the least apprehension of this concerning you. I know the sincerity of your heart, and the good efforts produced in your soul are the fruits of the Holy Spirit, and I am not afraid that any delusion shall hurt you even tho' you were attack'd by it, for God makes all things to work together for good to them that love him. And whatever may be designed by the enemy of your soul for your hurt, your Heavenly Father will make it turn to your Good ; and your stedfast Faith in him alone will not be disappointed.

But since you have so freely imparted your thoughts in this matter, and that you do so earnestly obtest me to write to you with the like freedom, as to this affair and of your state and conduct in it, I shall endeavour to do it under a sense of the Divine presence and sincere desire of your spiritual Good, being sensible in the meantime of my own blindness, and begging and hoping from the inexhaustible fountain of all Light and Goodness that something may be written here which may work together for your good.

First then, This prayer of silence both that of acquired and that of infused contemplation, has, you know, been treated of by most of all the spiritual writers, and is the present exercise of the Quietists throughout the Roman Communion, by which they seem to be distinguish'd from the rest of the Church.

2. It appears by yours that you have been insensibly led to this, first by the practice of the prayer of the Affections so largely treated of by Baker in his Sancta Sophia, /1 and then attracted insensibly thereby into a state of silence.

3. Perhaps it will not be found that this present dispensation of prophets doth generally lead thereunto. Tho' it may be some of your acquaintances are so disposed, yet this is not thought to be the general tendency of this Appearance, but the quite contrary. They who have conversed with some of the prophets seem to think that they are utter strangers to this both in their understanding and practice. And as little doth appear of it in the Warnings that I have seen as in any writings that pretend to be from the Spirit of God. Except in the warning mention'd in yours, I have not seen it in any.

4. There have been many who have been led into the prayer of silence that were never agitated and inspired after the manner of the prophets ; as on the other hand, many of the agitated and inspired prophets did never exercise the prayer of silence.

1 M.N.E., p. 200.

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5. As there are never wanting some who counterfeit the best things ; so there hath been in the world, and may still be a spurious quietism ; as Rusbrochius tells some strange instances of it in his time./1 And Petrucci makes mention of the Illuminati in Spain /2 from the Chronicle of the Minorites ; and he vindicates Molinos /4 and the present Quietists of the Church of Rome from being of that Spirit.

6. They who give themselves to the prayer of silence, 'tis supposed that their senses, appetites and passions are already in a great measure mortified and subdued, and that the soul has already acquired the habits of virtues, and has a will habitually prompt to be humble, obedient, poor in spirit and vertuous in all things, also they may be led into a false Quiet which doth not purify the heart but expose it to delusion.

7. The prayer of silence being the soul's turning away the understanding from all the creatures and all their images and the fixing it by pure Faith on God the Supreme Truth and Good, as he is in himself infinitely beyond the conceptions of any creature, and by ardently loving that supreme and boundless and incomprehensible lovelyness, the great End of this is to be rooted and grounded in Divine Hope and Love, and in all vertue, and while it is exercised only for this end, it cannot but be of excellent profit to the soul, and there is no occasion of deceit in this. He who prays in this manner does not wait for speeches, nor motions, nor extraordinary lights. nor other miracles ; nor desires any other thing but always most profoundly and firmly to believe in God, to hope in him and to love him in time and throughout Unchangeable Eternity.

8. But if such souls have at any time extraordinary Lights and Conditions about particular things, they are not wedded to them, because they know that what is known, possest and felt here below is not God ; who here on earth has given himself to be believed, not understood ; hoped for, not possest ; and lov'd, not felt. The only way which a soul which applys it self to acquire silent prayer can be out of hazard of delusion therein, is, by seeking therein to adore in pure faith as present to it and in it, the invisible, unconceivble, unfigurable, supreme, infinite Being and Good. and to love him as such ; and while it thus employs its Faith and Love it cannot be deceived. But if from thence it pass to rely on extraordinary Lights and Sensations that come to it thereby, these are not God, this is not pure faith, in these a soul may be deceived as in other ways.

9. The ordinary state of a soul that is in the way of acquired silent prayer, is a state of pure and dark faith. It doth not know God, it doth


1 Confirmed in E. Underhill, Ruysbroeck, p. 124 : v. also M. V.E., p. 243.

2 Cardinal Petrucci (1636-17o1) was interested in Quietism and was known in England from his Christian Perfection, a translation from the Italian in 1704.

3 V. Cath. Ency., XVI, p. 46.

4 The Quietist leader : v. Vaughan, Hours with the Mystics, II, pp. 242 ff.

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not feel him. Clouds and darkness are round about him. It is placed as in a dry and thirsty land where no water is : and yet it doth still more hunger and thirst after God and prayer, and its disgust of temporal things doth increase the more, while it seems to it self to have no vertue and not to love God. And this is its true purification, not merely from the images, and the Love of corporeal things, but from self, self-love, self-complacency, self-seeking, or the cleaving to anything but God. Such must in patience possess their souls. And of those Tauler says : /1 " Quicunque ad extremum usque desolatas has tenebras patienter ferunt, amabilissimi pariter ac praeclarissimi efficiuntur homines." They are in the exercise of the most pure graces and vertues. Such a soul believes without seeing any thing, hopes without possessing any thing and loves without tasting any thing of the consolations of its Beloved in this place of banishment. The soul that tastes God is bless'd, not in exile. He who believes in the Supreme Truth is sufficiently perswaded in his Divine word, without vision. He who hopes in the Supreme Charity gaits with a humble certainty for the future efforts of its favours, even when he does not yet possess the sweet earnests of them. He who loves purely the Supreme Goodness, loves it for itself, and not for the gusts of his own heart.

10. Since in spiritual matters, the true use of every thing, is, that we may be thereby brought to die to self, to self-will, and to the cleaving to any thing but God, and that we may live wholly to the will of God, it seems from hence to follow that inward spiritual consolations and joys and extraordinary divine gifts and lights are a much more dangerous state to souls that are not wholly mortified to self nor to an adhesion to any thing besides God. For those consolations and spiritual gifts are not God ; and the soul is ready to take a complacency in them, from which nothing but the being crucified with Christ to self and self-seeking can preserve us.

11. Since God is the Incomprehensible Truth and Wisdom as unsearchable in his ways as in his essence, so that we cannot penetrate them with our understanding, we ought humbly to accept of all the manifestations he has made by his spirit in all the fulness of the sense and meaning intended by the Divine Spirit without cleaving so to one meaning or one way as if it were the only meaning or only way of the Spirit, and all others now false. And God being Love, and all he doth and saith tending to Love, that sense and way that leads us effectually to the Love of God is good and saving to us, and instead of a solid truth, whether it be true in itself or not, it is enough that God who is the Living and Essential Truth and unites us thereunto by Love, has by the occasion of this sense and meaning, this doctrine, this way, made his Love to arise in our hearts : without which, tho' the doctrine

1 This characteristic utterance is from Tauler's first sermon for the fifteenth Sunday after Trinity (Opera Omnia, Cologne, 5615, p. 451).

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or way were never so true it would be of no profit to us. In the whole world there is but one only Good, and that is the Divine Will ; and one only Evil, and that is the will of the Creature, so that the center of all religion being to dy to self-will, that we may live only to the Divine will, whatever Doctrine (way, practice or experience) we find effectual for this, is to us a solid truth tho' it were false in itself. And whatever diverts us from that Death and this Life tho' never so true in it self, is more hurtfull to us than all those errors which do not withdraw us from so necessary a death. Therefore it is not fit to contend with any about opinions, nor to affirm any that we embrace (excepting the most common Fundamentals of Religion) to be the pure truth free from all mixture of error, while our Spirit is not translated into the pure element of Light. In the meantime I embrace these doctrines that seem best to me, and believe them to be true, while I know not better, but without adhesion or presumption, nor will I condemn those that differ from mine, but leave all to God, being ready to quite them when it shall please him to afford me more light.

Thus whatever there may be as to the nature of this Appearance it self ; yet since our Heavenly Father upon the occasion of it, is pleas'd to turn you, My Dear Friend, more inward, and in the exercise of pure Faith and Dependance upon God to wean your heart more effectually from self and all the creatures, it is for your good, while in the mean time you do not cleave to it but to God, not judging others who have not that savoury taste o this appearance to be out of the true way to God, and being ready to quite the same when it shall please him to afford you more light.

As I know no external argument will make any impression on your Spirit as to the present Appearance while you have an inward conviction about it, so neither will I offer any. I shall tell you that I continue in the same uncertainty as to the Divine authority of this Appearance. On the one hand I cannot but acknowledge that it is a strong presumption for it that upon this occasion there have been such singular effects upon the minds and spirits of so many different sorts of persons, that some who were said to have been Deists have been awakned to a serious sense of Religion and of Divine Revelation ; that others who were abandon'd to their lusts and passions have been struck with remorse and led to penitence ; that others who were desirous to live in the Fear and Love of God, and to be wholly resign'd unto him, have been brought to do it more effectually ; and so seem all to be living testimonys of a Divine power and force.

On the other hand, there are strong prejudices which withhold me from assenting to it as a Divine Dispensation of the Eternal Spirit of God.

First then our Lord hath so expressly forewarned us that in the Last Times there shall be false prophets that shall show great signs and wonders, that if possible they shall deceive the very elect. And he saith : " Behold I have told you before ; " implying thereby the great need we shall have

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to mind his warning. And there has not arisen any set of prophets in these last days which this forewarning seems more expressly to respect than these ; who are more like to deceive the best meaning ; who pretend such miraculous things, to go and abide into the hottest fire till it be spent, and not a hair of their head singed ; to speak in variety of unknown tongues, which they never learned and do not understand ; to know the secrets of men's hearts ; to raise the dead ; to call for fire from heaven and to predict the fate of kings, kingdoms and citys.

2. Most of the spiritual writers, as you know very well, and in particular A.B./1 give express cautions against the prophets of these last days : and I am perswaded, were she alive at this day she would as much declare against the prophets of this age as she did against those of her own time. They tell us that Antichrist doth now reign, and hath at this present great dominion over the spirits of men, ensnaring them by false appearances of goodness and virtue, transforming himself into an angel of light that he may seduce the best meaning persons, and that the Devil can still speak of Divine Mysterys as well as when he was an Angel. And if what he says is true, as to the number of his immediate pactionaires in the world, then the hazard is so much the greater, since by an apparent sanctity, and a pretence of immediate inspiration from God, and a gift of foretelling things to come, and of discovering the secrets of men's hearts, they are apt to impose on the best meaning persons. This last instance of discovering the thoughts of mens hearts brings to my mind a remarkable passage in the first Book of S. Augustine's treatise Contra Academicos,/2 Cap. VI. of a certain soothsayer residing for many years in that age at Carthage, called Albicerius, who was consulted by people of all sorts to whom he gave wonderful responses, even so far as to tell them their secret thoughts ; and that particularly one of S. Augustin's disciples resolving to puzzle him with a question which he was perswaded he could not answer, and bidding him peremptorily tell him upon what he was just then thinking, he immediately replyed, upon a verse of Virgil ; and when the other being astonish'd asked what terse it was ? Albicerius who had scarce ever been within a Grammar School repeated the verse as nimbly as a boy can do when bidden repeat a verse that he has learn'd perfectly by heart.

3. The manner of their uttering their warnings is to me a great prejudice against its being of divine authority. God is a Spirit, and communicates himself to the soul in a spiritual manner ; and if the notices he gives the soul be when it is still and free from all imaginations, and its own facultys do cease, one would be apt to think that this would be manifested in the still and small voice, and not by such agitations of the body,


1 Mme. A. Bourignon, Tombeau de la fausse Theologie, Pt. I, letter 8 : v. also G. G., Apology, pp. 196 ff.

2 Migne, P.L., XXXII, pp. 914 f.

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as appear in the prophets of the present age which one should think would rather pull the soul out of its silent state, than preserve it in it. This was not the way that our Lord spoke, who had the Spirit without measure. But they who pronounced the heathen Oracles are said to have utter'd them with such agitations and fury.

4. Their making so many predictions and the failing of them is no small prejudice against the divine authority of their commission to those who have no inward conviction of it. You see this is the rule given by God. Deut. Is. 22 : " When a prophet speaketh in the name of the Lord, if the thing follow not nor come to pass, that is the thing which the Lord hath not spoken, but the prophet hath spoken it presumptuously ; thou shalt not be afraid of him."

5. If this dispensation lead to inward silence, and the prophets are agitated and do speak in this inward silence, then it seems this cannot preserve them from the delusion of a foreign spirit, or of their own imagination ; neither are they able to discern, notwithstanding of this inward stillness between what proceeds from the Divine Spirit, and what from a forreign Spirit, or their own imagination, witness the case of the L. Abden of whom M. D—n /1 writes in a Letter to XXX./2 thus : " It is not altogether so as hath been represented to you, for none of the inspired ever thought or said she had not received the visit of the Good Spirit, and also spoke by it ; tho' they were also satisfied both from the nature of thy- things, and more fully from what the spirit has done and said, concerning the same, that she hath been under a great temptation, and that many things spoke and deliver'd by her, have not been the pure dictats of the Holy Spirit, but proceeded from the influence of a foreign spirit tempting and seducing her to utter her own thoughts, or his suggestions as from the Spirit of God. What the Spirit has done here in her case has been only this ; one of the orders, sent to F° /3 was by the Spirit in M. Marion /4 taken and torn : the like was done by the spirit in M. L--y /5 in another to him. And all that was publick was only at a meeting of the Inspired upon occasion of an order in the same Letter to M. L--y,/5 the Spirit by F.A./6 declared the Letter was not from the Holy Spirit. Indeed in private I had something to the same purpose on some other orders of her's. And the spirit likewise both by signs and otherwise declared that the book called the Last Revelation, etc. spoke by her of which I saw the beginning was not of Divine Authority." Thus far M. Dn.1



1 Dutton : v. Introduction.

2 Not identified.

3 Mr. Facio mentioned in connection with the London movement : Enthusiastick Impostors (1707), p. 17, etc. ; Bulkeley, Answer to Several Treatises (t 7o8), p. 92. One of the three French originators of the movement in England.

4 John Lacy.

5 F.A.: not identified.

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6. When the prophets are divided and contradict one another under inspiration it is a great prejudice against their being acted by a Divine Spirit. This is more remarkable in the affair of Mr. Whitro /1 who is now declared by many of the prophets to speak by a foreign spirit, and therefore curses are said to have been pronounced against him by persons under inspiration. And yet nevertheless his warnings seem to have as much of unction as any of the rest. And Sr. Richard Bulkly /2 declares he is the greatest penitent he ever saw in his life time, and that he never discerned more of sanctifying grace in any person than in him, and he is said to have made as many disciples and converts as any of 'em, and that there are as great changes in their life and manners, of which Sr. Richard himself is a remarkable instance who is now brought to such a generous contempt of the world and of all earthly things, and to such an effectual and practical sense of his being but a steward of that worldly abundance which God has been pleas'd to entrust him with for the good of his fellow creatures. He tells also of the wonderful effects of Mr. Whitro's blessings particularly that of Richard Cheynie attested by the man himself. Now here is one who has discovered the thoughts of men's hearts, by whose warnings men are brought to a change of their hearts and lives, and yet by the other prophets he is said to be led by a foreign spirit.

7. It seems still a prejudice to me and not a small one against this Appearance, that all the warnings are given out as spoken immediately by God himself ; not in the stile of the ancient prophets as messengers and embassadors from God to declare his will, with a Thus saith the Lord ; but as if it were God himself the great Jehovah speaking immediately by the organ of their tongues. Thus the present prophets have most literally fulfilled what our Lord hath forewarned us that the prophets of the last age would do, that they would not as his disciples did, call themselves embassadors for Christ, but would say, Lo here is Christ himself speaking to you ; Lo here is the Eternal Father, the great Jehovah, the Eternal Spirit speaking to you. Our Lord saith : Go not out to them, believe it not, Behold I have told you before. Now whither it is better for us to obey Jesus Christ or the prophets, judge ye. And where such come to vent their own imaginations or the delusions of a foreign spirit as spoken immediately by God, obliging their believers to receive it with veneration as God's word, as the prophets under inspiration do acknowledge it has been done among them, they are thereby guilty of taking the name of God in vain in



1 Abraham Whitrow : v. Nicholson, Falshood of the New Prophets Manifested (17o8), p. 18, etc. In Enthusiastick Impostors, p. 73, we read, " Mr. Whitrow, Mr. Dutton, and Mr. Cuff who were sometime Philadelphians."

2 Perhaps the most prominent of the upholders of the French Prophets in England author of Impartial Account of the Prophets, etc.

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a high degree. And in this case it must be acknowledg'd that amongst them sometimes the great Enemy of Mankind opposeth and exalteth himself above all that is called God, or that is worshipped ; and that he sitteth in the temple of God, the heart of the prophet and the believer, showing himself that he is God, and making his word to be heard and reverenced as the word of the Great Jehovah, the Everlasting God. Lord ! Lay not this sin to their charge.

8. As to what I wrote in my last to you of pronouncing the warnings as immediately uttered by Jehovah the Eternal Father in contradistinction to the Son of God there has been some mistake about it both by you and it seems by the writer of the letter to XXX./1 subscribed by the Lady Clara./2 as if I had thought that the name Jehovah was not communicable to the Son and to the Holy Spirit, which never entered into my mind ; and as if I had not known that all the manifestations of the Deity under the Old Testament, are generally (and in particular by A.B.) /3 attributed to the Son, and yet he is called Jehovah. This the writer of that letter may easily believe that I could not be ignorant of nor of the many instances he adduces to make that appear, if I have at any time perused the Apol. for A .B. /4; But the reason why I said that I thought it singular that the Great Jehovah the Eternal Father is brought in speaking ip contradistinction from his Son, is, that several of the L. Abden's warnings are so pronounced. As for instance (I have none of them at present by me) that wherein the Great Jehovah is brought in speaking and wondering how any can think this a delusion of Satan. " 'Tis true (saith that warning) he had the presumption to corrupt my Son, and that was too great a presumption ; but he durst never presume to take my sacred name Jehovah that I have reserved for my self." It may be considered whether Mr. Whitro s makes use of that sacred name, or of the import of it in his warnings. Now the reason why I thought this a singular thing, is, because as all the Divine Manifestations under the Old Testament are generally supposed to have been by the Son of God, so seem all those generally under the New after our Saviour's Ascension. It was Jesus that spoke to Paul from Heaven ; that gave John the warnings to the angels of the seven Churches where he is called the First and the Last. And John having such visions of the glory of God, and the things to come, and of the throne of God, and of the glory of his majesty. 'tis no wonder if once or twice he hears the voice of God. But the present case is a quite different thing, the Great Jehovah speaking daily out of the prophets. It were indeed very unjust for one to reject a message which he knows to be from God because spoken by one person of the Trinity when he expected it from another ; but that is the thing in question.



1 M.N.E., p. 215.

2 Not identified.

3 Madame Bourignon.

4 A curious way of referring to what was certainly his own work. M.N.E., p. 226.

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9. What I wrote concerning J.B./1 was only occasionally ; for I had not read those passages myself, and so can give you no account of them. But a friend happening to speak of it at that time (who withal knew not where to point to it) I gave you a hint of it, tho' I doubt if it is to be understood in this sense you speak of. For he lays no small stress upon the Incarnation and Humanity of the Son of God. And you know, there is one God and one Mediator between God and Man, the man Jesus Christ, who interposes with God for man, and again solicits man to return to God. And therefore the Apostle says, 2 Cor. 5. 20 : " Now then we are embassadors for Christ as if God did beseech you by us, we pray you in Christ's stead, be ye reconciled to God." As for the speculation of the different periods of the reign of the three persons of the Trinity, I had no thought about it. As for the Millennium, perhaps there's no such thing ; and Mr. J./2 can tell you that J.B. had no opening about it, and far less as to the sudden approach of it. And therefore that this dispensation is from God had need of more convincing evidence than the prophets advancing of this. You have heard the famous story of Mr. Mason /3 a Minr of the Church of England that happened in our days, who was a man of great piety and devotion, and firmly perswaded as he thought by Divine inspiration that Jesus Christ was to come upon the earth within a very short time, half a year or so and he gain'd some numbers of believers who left all and liv'd for some time in tents with him, to attend our Lord's Coming. But the period being short, the mistake was soon laid open.

10. Because there might have been some mixture of good amongst the Quakers at first, and some of them may be still well-meaning persons ; is it therefore advisable, or was it then fit to enter into that sect or party ? Was that a sufficient reason for any body to give themselves up to it ? They direct all men to turn to the Light within them, recommend the prayer of silence and even practise it sometimes in their meetings, where then none speaks. They pretend to be led by the Spirit of God, and to pray and warn by the spirit. Does this lay an obligation to be of their sect and party ? Are the prophets the only persons that recommend the prayer of silence ? Or that have practis'd it ? Do you think all the inspired in the Cevennes young and old were in the prayer of silence when they were agitated and inspired ? And that they were regenerated in the spirit of Christ ? Was not S. Saulieu /4 tho' one of Satan's emissarys as ready to recommend silent prayer and a contempt of the world ? How come the warnings of Mr. Whitro (whom the spirit in the other prophets declares to be led by a



1 Jacob Boehme : v. M.N.E., p. 205.

2 Or possibly Mr. I : not identified.

3 V. N. Spinckes, New Pretenders to Prophecy (1709), pp. 501 ff. Also R. Bulkeley, Answer to Several Treatises (1708), pp. 54 ff. ; Calamy, Caveat (1708), p. 47.

4 Apology, pp. 283 ff.

5 M.N.E., p. 216.

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foreign spirit) to produce such good effects, the good fruits of inward holyness and amendment of Life, the inward testimony of the conscience, and the outward reformation of the life of his disciples ? I still acknowledge that an evil tree cannot bring forth good fruit, but that all good is from God. and what the evil mean for evil, God is pleas'd to turn it into the good of others : as Joseph said to his brethren : " As for you, ye thought evil against me, but God meant it unto good." " Some indeed," saith S. Paul, Phil. I. 15, " preach Christ even of envy and strife, and some of goodwill "i8. " What then ? Notwithstanding every way, whether in pretence or in truth, Christ is preached, and I therein do rejoyce, yea and will rejoyce." The gospel of Jesus Christ even tho' preached thro' strife, if it be received in an honest heart, the Spirit of God may there bring forth good fruit ; and thus among the prophets there may be a mixture of good and evil as well as among other partys.

Now I have written all this, not that I think that anything I have said will make any impression upon you, but to show you plainly that since I have no immediate inward conviction that this dispensation is of Divine Authority, the outward appearances of it are such as do leave me in no small doubts about it, and oblige me to regard My Lord's warning, who bids me beware of the false prophets of the last days, and not to go after them.

And if this appearance be a delusion, then it gives this prospect of the strange artifices of Satan whereby to counteract J. Christ, he first stirr'd up all the powers of the world against Christianity to suppress and stiffle it in its birth. When it flourished the more by persecution then he set up to be a Christian, brought in all his followers and all the power of wealth of the world into the Church, and his adherents into the most eminent places in it, and appeared highly zealous for the outside of Christianity, undermining in the meantime its true inward life and spirit. When this corruption was come to its height, and many serious persons groaned for a reformation of life and manners, he then set up for a reformer, and divides the Christian world into a great many contending parties, fills them with strife and envy against one another, and so with confusion and every evil work, and makes them place their religion in a zeal against the errors and corruptions of the contrary partys, without taking care to deny themselves and to be followers of Jesus in humility and charity. And when the Spirit of God begins in the several partys of Christendom to open men's eyes, to let them see the folly and madness of their mutual strife and contention about the outward rights, forms and opinions among Christians, and to awaken them to the more inward life and spirit of Christianity by learning to take off their heart, love and desires from self and earthly things, and to turn them wholly unto God ; Satan then sets up to be a Mystick and an inward spiritual person, and this spirit of true devotion beginning first in the Church of Rome, he employs his emissarys to act the same part there,

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so that whole convents were discover'd (which had been famous for raptures and extatical devotion) to have been in the meantime agitated by the evil spirit. This in the meantime was so little regarded amongst the protestants, that they could hardly believe that any such thing could have been ; but when the like writing and truths came to be spread among them, then we are allarum'd with multitudes of prophets of the highest form in those spiritual things, they pretending that not they, but the great Jehovah speaks by their tongues. and what this at last may turn to, time will discover.

In the meantime I will not take upon me, Dear Sir, to blame you for your conduct in this matter, for I may be greatly mistaken in my apprehensions about this appearance. Happy are you who have chosen God only for your Director ; " The meek will he guide in judgment, the meek will he teach his way." Bless'd be he who hath taught you so effectually to resign yourself wholly and only to him. Continue to ask wisdom of God in all sincerity, and he will direct you. Let us labour to be the true followers of J. Christ, in the spirit of penitence, selfdenial, humility and charity without respect to any party, and live in the midst of partys without being of a party. We are call'd to be the followers of our Lord J. Christ, and not either of Luther or Calvin or A.B./1 or J.B./2 or the prophets. This is one true shepherd who calls us to one sheepfold. Let us hear his voice and follow him. In so far as any of our fellow creatures do excite us to this by word or deed, they are to be regarded by us : but in so far as they lead us to espouse their partys we have need to watch and pray that we enter not into temptation. We have one great enemy and that is self, and if that were subdued, nothing could hurt us. May we deny our selves and take up the cross and follow Jesus. Your friends here do remember you with an intire affection ; and as they doubt not of the sincerity of yours, so they are perswaded you will be equally just in your thoughts of them. By this let it be known that we are the Disciples of Jesus that we love one another. To his grace I do most affectionately commend you, and desire the continuance of the same remembrance by you, being

Dear Sir

Your most affect. servant

in Jesus Christ, G.G.

I have given you the trouble of this, not that I desire a particular return from you as to the things mention'd in this letter ; for I think that is out of your present road ; but only that I might plainly show you what witholds me from going hastily into the Society of the present prophets, for which I think you will not blame me, since you did not think your self obliged to receive them as such without a divine inward conviction.

1 A. Bourignon.

2 Jacob Boehme.

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I have had no line from M.P./1 this twelve month, nor have I sent any return to his last. I encline to write to him shortly, and having lately seen a short line of his in answer to one sent him it seems from London about the prophets, in which perhaps they will not think they are fairly represented. I encline to translate yours to me into Latine and to send it to him if you are not averse to it, or if you chuse to do it your self either in French or in Latine, please to acquaint me by the first.



III. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNS TO DR. GEORGE GARDEN.

To the very Reverend

Dr. George Garden at Roseheartie./3



VERY REVD. & DEAR SIR,

Your's of the 2d of December came not to my hands till the 24th and as I desire with all imaginable sentiments of affection and gratitude to return you my hearty acknowledgments for it so I had given it an answer last week, but that I could not so soon determine after what manner I should write unto you. At last I thought that the affectionate concern of my soul, the sincerity and freedom that appeared in yours, the condescendance you used in telling me so freely the reasons of your opinion seem'd to require an answer somewhat of the same nature.

But I hope My Dear Friend won't imagine that I either flatter my self with the hopes or presume to wish that anything I write should determine you. God forbid you were so foolish as to build any thing on so weak a foundation. I only thought it might be convenient once for all to lay the prejudices that make in favours of the p. . . . /3 as fairly before you as those on the contrary side seem to be ; besides I did not know how far it might be my duty, with meekness and reverence to give the reason of the hope that is in me to one whom upon many accounts I ought to look upon as my most valuable friend and most experienced adviser, if you'll take no other character that might intitle you to more authority. And as I design hereby to answer fully those only views that move me to write, and to give full evidence that this affair occasions in me no reserve, so I hope you'll neither desire nor expect I should ever write to you again on this subject.

In your last you handle two subjects the prayer of silence and the affair of the p. . . . /3 of both which I design to say somewhat in the presence and with the help of the Almighty, if he please to vouchsafe it. May his will be done and all tend to his Glory.

1 Monsieur Poiret : v.. M.N.E., pp. 16 ff.

2 V. M.N.E..pp. 33, 45.

3 " Prophets."

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I. You have indeed said in yours a great many excellent and useful things anent the prayer of Internal Silence, but still there remains some thing, in which our notions about it seem to differ. A. Baker in the 7 Chap: of ' the 3e Sect: of his 3d Treatise /1 has so admirably and from such a fund of vital experimental knowledge, given a description of that prayer of its nature and advantages, that instead of repeating any thing there said, I chuse to refer you to it and restrict my- self to some particular things that seem to relate more immediately to our present enquiry.

Not only (as you express it) the philosophy of the Mystick Theology, but he and all other mystical writers who treat of this way of prayer, of its nature and advantages, have from their own happy experience assured us, that there is no danger nor possibility of delusion in it, and even to the Rational Faculties there may be very solid reasons given for this assertion. The enemy of our souls can have no access to them, but by means of some orrnpt acts of our own of some images in our understanding or affections, those being in this exercise intirely silenced, there's no ground left for him to work on or tempt us. He who made our souls can alone act upon them without the mediation or intervention of any thing ; whereas all communications betwixt created spirits must be by the means of some mutual act exerted by them. Further in this exercise all the lower faculties of the soul being silenced and still, and only the whole desire in a general manner turned towards God, we may well say that at such a time only the SUPREME PURE SPIRIT does act (which according to the doctrine of the B. of M./2 Fides et Ratio, p. 52, 53) can be reached affected or operated upon by no creature whatsoever, and consequently is uncapable of all error or delusion. Should therefore the prince of this world come to assault such a soul in such a state, he would get no entry, and for the time would find nothing of his own there. He is an absolute stranger to all that is performed in that mysterious silence as St. Ignatius s and all the Mysticks since have taught us. I know indeed that while corrupt nature is not yet subdued in us, Satan has still the power to work upon our imaginations, or affections, and thereby even in that state to represent some images to our mind, but hitherto there is no sin nor delusion, until the soul willingly withdraw the attention of its supreme fund from the most high and begin to mind and regard those floating images : then indeed is a fair door opened for all the wildest errors ; but we must take notice that by that very act


1 It is very interesting to find how this particular section of Sancta Sophia appealed especially in view of the fact that the modern English translation (p. 489) contains the note : " The instructions contained in this chapter are to be received with the utmost caution " and on pp. 490 if. there is a full note explaining the orthodox position regarding internal silence.

2 Baron v. Metternich : M.N.E., pp. 102, 160, 226, 229.

3 Epistle to the Eplesians, etc.

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the soul interrupts and abandons its prayer of silence, during which it was absolutely secure. And I hope, Dear Sir, you did not understand what I said of the security of one that was drawn to the exercise of silent prayer, as if I thought him at all times and occasions safe against the fiery darts of the Devil. I only believe him so for the time that he is employed in the exercise, making use of the shield of this naked faith that infallibly quenches them all. The great duty then of such a soul seems to be carefully but quietly and calmly to watch against the entry of all such images (which may be one sense of that passage you mention " Watch and pray that ye enter not into temptation ") and if any such are presented, faithfully to overlook and disregard them, with much quietness, sinking the deeper into the divine presence, into that dark silence, where we see, taste and feel nothing: being well assured (according to the most solid and sublime doctrine of J._ Cruce) /1 that tho' these images and representations do truly flow from God. as often they may, yet he is not offended by this way of behaving toward them, and that they produce all their effects the moment they are presented without any direct attention or reflex acts of ours. If this ought to be the conduct of a soul, in this prayer of internal silence, it may be wonder'd whence any lights, motions or divine convictions should be spoke of as the effects thereof. This I understand and have in part experienced after this manner. In general thus, a soul after due preparation being led into that state and remaining some considerable time in it, at coming out of it is surprised to find it self fill'd with new and most lively powerful sensations of its own nothingness and that of all the creatures and of the All of God ; or with a deep sense of the vanity and folly of those gays of its own choosing it has hitherto walked in and of the necessity of its being absolutely and blindly resigned to the Divine Conduct over it, or feell itself inflamed with love to God and hatred to its own corruption ; or finally sees more distinctly than ever the numerous ginns and snares its spiritual enemies are laying for it, whence its former falls proceeded and how to ship the like in time to come. I say such a soul may confidently ascribe those effects and those lights to the preceding exercise. But to give some more particular instances in my self more directly relating to the present case. of which I have not felt above 4 or 5, when the order came to go to Cowper./2 I found all the powers of my corrupt nature rise up with many specious arguments in opposition to it. I was fully then determined to go north, which I thought would be for the health of both my body and mind. I saw thereby I was to forfeit my reputation, and that step might possibly engage me into many others ; the consequences whereof I could not then foresee. However I thought I should not be too absolutely determined without haying my recourse to my God in this method of prayer and having

1 John of the Cross.

2 Cupar : v. p. 203.

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continued sometime in that state I was indeed surprised to find my mind fully and irresistibly determined to go, be the consequences what they will. I could therefore no longer consult with flesh and blood, but resolv'd to follow what I thought a heavenly motion. Again at Craighall that day I went to Cowpar,/1 a thought occurred to my mind that perhaps my firm faith that the child was to speak might be required in order to the events really happening as our Lord always requires faith in the persons in or before whom he wrought any miracles. I resolv'd however not to trust this my own imagination, but in a general manner to offer up myself to God to be placed by him in the Dispensation that was most agreeable to his will on that occasion ; and being then drawn into this prayer of internal silence, I found on the ceasing of it the former imagination intirely torn from me, and my soul filled as with a firm resolution to go, so with intire indifferency, want of concern or thought about the event, which disposition continued long unshaken in me, even after the disappointment. At other times when doubts anents this affair have arisen in my mind, I have found upon the exercise of this prayer, my soul restored to its former tranquillity and conviction, and the doubts quite evanished, tho' perhaps for a considerable time after no satisfaction as to them afforded to the rational faculty. It were needless to mention more instances, but tell me, my Dear Friend, how can I doubt of my being in these determined by some superiour yea Divine Influence, unless I should accuse all the mysticks not only as so themselves deceived, but gross deceivers of others ; since they have all with one voice recommended this as an infallible method for obtaining of light in all doubtful cases. It were tedious to you to mention them all, but 'tis most fully handled in the 4. 5. 6. 7. 8 Chap: of the 2d § & 1st Treatise of Sancta Sophia./2 You may easily believe, Dear Sir, that a soul in this state is far from waiting for, expecting or desiring (its exercise being to silence all particular desires) any extraordinary Divine impulse, speech, motion, light, sensation, or miracle whatsoever. It knows too well its own unworthiness and the danger of being led in such a way. But if any such should be given, it hopes and in part feels, that they shall be accompanied with that infallible criterion of their being Divine that was given to the B. Angela de Foligni (p. 252 Theol. de la Croix) /3 : " see then," said the Holy Spirit, "and make the experiment if thou canst draw any vain glory from or exalt thy self upon account of all the things I have said unto thee. Yea use all thy efforts to think if thou canst, on any thing else but my words." But such a soul is far from proposeing those or any feeling of the Divine presence and consolations or any thing else as the end of its exercise, but what


1 Craighall at Cupar (Fife) : M.N.E., p. 202.

2 1932 edit., pp. 92 $.

3 Poiret issued an edition of this work in 1696. For the sentiment here expressed v. Steegmann, Book of Divine Consolation of B. Angela of Foligno (1909), p. 164.

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ought to be the end /1 of its life, a simple and illimited conformity to the will of God. It knows the design of prayer is (not to move or prevail on the Almighty, he needs no entreaty, but is much more ready to give than we to ask, nor can he be moved or interpelled by any thing, but) that the soul may thereby become more souple and pliable unto and more capable of receiving divine impressions ; and this end it thinks can be much more effectually obtained, by its yielding up it self in a general illimited manner to be operated upon by the Holy Spirit, than by continuing in its own activities and operations. It believes therefore that the promises made by God to prayer are more peculiarly adapted to this method of it. It thinks this the best way to love, desire or pray to (which are all one) its God with all its heart, when it forms no particular desire at all, breaths after nothing but his will and abandons it self without reserve unto him. Shou'd it pray for any particular grace or vertue it knows that it is not God, and consequently that its heart and desire is by that very act divided : whereas in the general desire of God alone all these good things are included, for in him are all things. It knows it has formerly often asked and received not, because it ask'd amiss ; it feells that it yet knows not what to pray for as it ought, it believes therefore that the best way to have all its infirmities supplied is, by blindly yielding up all its desires to the Spirit of God that he may make intercession for it according to the will of God with groanings that cannot be uttered. It understands the directions of our blessed Lord anent prayer (Matt. 6. 6) also in this sense. This it thinks is to pray to him in secret who alone sees what passes there, and who without the intervention of any words or thoughts of ours, knows perfectly what we have need of. And it reckons the form there prescribed to be a method of preparation thereto. It thinks it self invited to this by these gracious words of his (Matt. II. 28) : " Come unto me all ye that labour and are heavy loaden, I will give you rest”. Rest, not only from the heavy burthen of your grosser sins, but also from your smaller imperfections, from officious distracting images, in fine, from every thing that hinders you to learn of me. This it thinks may be some imperfect foretaste perhaps of that rest he is gone to prepare for the children of God, and which we are by his apostles so earnestly exhorted to enter into : and also some faint glimmerings of that peace of God, which passeth all understanding which he left as his last and best legacy to his followers. This was also his own practice particularly in the Garden. In short it fancies that in one sense all the scriptures concerning prayer may be applyed to this way of it ; that the asking, seeking, knocking to which the promises are made (as is plain by the context Luk ii. 9. &c.) are no particular desire, but the general illimited one of the Holy Spirit's living and operating in us

1 Mary Baird's version of the correspondence stops abruptly here.

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in which all good things are included ; that the hungring and thirsting after righteousness is not after any particular vertue but the state of justification ; that righteousness of God, which is by the faith of Jesus Christ : that Kingdom of God and his righteousness which we are commanded principally and in the first place to seek after. For hereby the Kingdom of God is indeed begun in a soul, when it feells the power of God casting down (according to St. Paul's expression) all imaginations and every thing that exalteth it self against the knowledge of God ; and bringing into captivity every thought to the obedience of Christ. Yea, such a soul hopes hereby to attain to that poverty of spirit and purity of heart so beatified by our Saviour. It finds herein the substance of the Fides nuda of the B: of M: /1 since its exercise is to place it self in the presence of God and cleave to him as he is in his own blessed essence incomprehensible to all creatures, and infinitely transcending all his gifts and graces and all it can ever possibly taste or feell, which it therefore passes all over, sinking still deeper into the pure and naked apprehension or desire of God himself as present in it and (as you express it) invisible, inconceivable, unfigurable, the supreme infinite Being and Good. Thus it will gradually be led through all the different steps of the Nox Obscnra till it be brought into the great desolation. It will find it self not only purified from the images and from the love of all corporeal things, but from these of all creatures and of it self also. It will find all self-love and self-will most effectually mortified and subdued. The supreme languor, bitter sharp anguish and desire of the soul being once excited and powerfully awakened by its first divine sensations, and it allowing it self no image, no affection, no thought whatsoever to deaden or divert it (which was all its former vain study and endeavour) and God for the most part vouchsafing his refreshing and all sufficeing countenance, what state, what agony, what suffering must such a soul be in ? What but the power of the most high can sustain it ? Corrupt nature finds here no aliment for it, no rest, nothing to lean to or satisfie it, and is crucified and annihilated in such a manner as none but these who have tasted of the powers or the world to come, can have any notion of. And this is the most ordinary state of these souls who know themselves unworthy and dare not presume to ask for Divine favour or consolation. Such a soul finds to its experience that this prayer can be practised under severe bodily sufferings, which become insensible, yea, comparatively pleasant unto it, and it begins to have a view how that silence can, as to the Supreme Fund, be rendered incessant and continual when it reads the 7th Letter of the 4th part of the Tombeau &c.,/2 it sees it fulfilled in its own exercise. The advice there given, being in short this : that one should upon all his needs which he continually feells apply himself to God, begging his assistance, or praising him for

1 Baron v. Metternich.

2 M.N.E., p. 209.

226

mercies received. Now this is all true, necessary and divine ; but the question returns as to our wants, whither 'tis better to beg the Divine assistance in a particular or general manner ? Whither if a soul finds it self tempted to anger, it be more advisable to beg immediately of God the particular vertue of meekness, when, it not knowing what to pray for as it ought, it may be improper in its station to have that particular grace bestowed, or Infinite Love and Wisdom may think fit to leave it that thorn in its flesh for its mortification, punishment or tryal. Or rather if 'tis not better from a deep sense of our own unworthiness and imperfection, to place our selves as beggars in the divine presence, not presuming to ask any thing but his will, abandoning our selves quietly, absolutely intirely unto it. And as to praise, the psalmist teaches us the most effectual way of praising our God, Tibi silentium Labs est.' Even Angels and Glorify'd Spirits are unworthy to praise him, what then should we crawling worms of the earth pretend to ? A soul in this state will not amuse it self in inquiring into all the pretensions to Quietism, true or false. It knows its time is more profitably employed in its own silence, than in examining that of others and endeavours to cut off that and all other distractions that are not necessary and involuntary. And it is in no fear of that false quiet or silence which the Mysticks warn against ; which consists in the understanding's being indeed freed of images, while the will and affections adhere more firmly and securely to the creatures than before, whereas its exercise is to turn away its whole will and desire from every creature, from every particular thing, and fix it purely and simply on God alone. Yea, it sees that even this false silence is good so far as the silence goes, and the only hazard arises from one's suffering the will still to be active. Thus a soul acquiring the habit of this prayer, and daily discovering more of its excellency and at the same time becoming every day more vitally sensible of its own unworthiness and nothing ; it may perhaps thereby be thrown into a very powerful and subtile temptation ; it may begin to doubt if ever it was in such a state, or be tempted to forsake that exercise as tots sublime for it. But 'tis to be hoped that God who has led them by the hand hitherto, will not then leave them to themselves, but in his infinite love and mercy will vouchsafe himself to teach them that vertue and perfection consists not, in choosing even the lower place for our selves, but in implicitly following the Divine attraction ; that he does this unto them not for any worth or vertue in them, but for his own glory, and to make known the wonders of his goodness and power in making of so vile, sinful, imperfect a creature, a temple for his Holiness to dwell in, and that the treasure is not the less precious because hid in earthen vessels, but that thereby more fully appears that the Excellency is of God and not of man, therefore the more God exalts it, the more it is humbled,

1 M.N.E., p. 147 n.

227

and the more it tastes of the love and all-sufficiency of God, the more truly sensible it becomes of its own ingratitude and nothingness, the less it trusts to itself. and the stronger is its dependance on the Lord Jehovah its everlasting strength.

Thus. My Dear Friend, I have endeavoured to give you some view of my present notions of the prayer of Internal Silence. I may seem to have been too tedious therein or to have magnified it too much, but far be it from me to undervalue or condemn any other method of prayer or internal exercise whatsoever. I know that different are the ways of God's dealing with every soul. I should only think it a loss, if any pious, devout soul shou'd, as not knowing the excellency and advantage of this way of prayer. fly from or resist the divine attraction thereto, which I'm perswaded all internal livers will sooner or later feell. Upon reading all this over I seem only to have omitted one question. How far this exercise may be proper for beginners which indeed in my opinion it may. All the arguments for it drawn from the unworthiness of our thoughts and desires to be presented unto God from our ignorance what to ask, from the danger of our activities, &c.. seem more cogent and conclusive as to them. And tho' for some very active spirits, it may be necessary to employ at first their imagination in good things to blot out the former bad images ; yet this might only be used as an immediate preparation to the prayer of silence. And the fewer of these images are raised, 'tis the better, it being perhaps harder tho' as necessary to abandon them, as the former bad ones, and probably all the errors and miscarriages in a spiritual life arises from an inordinate adhesion to these images, or from thence forming ideal schemes of perfection and the sways thereto, thus turning all religion into speculation and walking in ways of our own contriving, while we fancy our selves in the path that leadeth unto Life. But in general let all internal livers try this exercise. and if it is not proper for them. they may be assur'd they shall feell nothing thereof, there being a great deal of passivity and Divine operation even in acquired contemplation.

II. The Second General Head is the p. . . . r as to which I'm glad my Dear Friend does not expect I should give a particular answer to all the objections mentioned in yours. That were indeed very distracting and might engage us in an endless and fruitless controversy. I shall therefore only mention some general prejudices in their favours, that you may lay them in the ballance with those you mention against them. You know, Dear Sir, that the immediate necessary disposition for attaining Divine light in any matter, is to free one's mind from all prejudices, prepossessions or byass to either side, wishing to be determined by some higher power than the activity of our own reason.

1 " Prophets."

228

I. 1st then there being two general ways of judging of any thing : the one external by the exercise of our own active faculties ; which from the nature of these must be always fallible and uncertain in every thing ; much more in divine spiritual matters, in which they are absolutely blind, which none but the Spirit of God can know, and of whom 'tis the highest presumption in the natural man to pretend to judge: It becomes us then in ail such matters to try the other true internal and infallible way, to apply immediately to the Father of Spirits, the source of light and author of every good gift that he may vouchsafe us his light and direction in them, and enable us to know and judge so far as is necessary for us. and agreeable to his will. And this I think may be most effectually done in the way abovementioned. Now it seems 1st/ a prejudice in favours of the prophets that they have all from the beginning with one voice and without any variation appeal'd to this tryal, desir'd to be judg'd only by this only infallible rule, and exhorted every one to beg of God to chew them if these were his spirit. Would any foreign spirit so constantly appeal to a test by which 'tis impossible he should gain any thing, but would very probably be detected ? But 2,11S' : 'tis still cogent that very many serious souls upon making this tryal in the most pure unbyassed manner they coud have felt convictions, which brought their own evidence along with them, and could not be resisted, and consequently they might be secure against delusion, and it was their duty to follow them, (see Fides & Ratio,/1 p. 53), but especially p. 147, 148, 149 the whole whereof is very applicable to this inquiry) specially as has often happen'd in this case, when this impression was made on the supreme spirit, all the other faculties being silenced and still. And the strength of this argument cannot be evited, unless we deny the certainty of all inward feelings and so unhinge the foundation on which all revelation is grounded, overthrow the doctrine of divine calls and impulses on which all the mystick writings do depend, and so bring us back to the outward the letter which killeth. And as this is irresistible evidence to the person that feels it, so to am convinc'd of the sincerity of that person, it may amount to the highest favourable prejudice, which is still the stronger if many witnesses concur. Nor is this weaken'd by the consideration that dthers equally serious have not felt the like, for supposing they make the trial with all requisite preparation, who is to limit the Spirit of God, who blows when and where it listeth ? and for infinitely wise reasons may not think proper or necessary at that time to give that particular light to that person. But I never yet heard of any who upon making this tryal aright, could say it was clearly and irresistibly manifested unto them, that this was an evil spirit.

2. 2dly it seems a very favourable prejudice for them that most if not all of the objections brought against them, as failure of predictions, appearing

1 M. N.E., p. 222

229

contradictions &c., may be easily answered upon granting the supposition that it is the Spirit of God, and so it would seem after all these, the question must be determined by some other rule. Whereas many appearances in this dispensation can scarce possibly be accounted for upon any other supposition than of its being the holy, eternal Spirit that acts in it. I shall mention some of these. 1st. It being a very easie certain and distinguishing criterion of the Good from the Bad Spirit, that the last draws always outward, and engages in multitudes of distractions and amusements ; whereas the Spirit of God draws us always inward (Redite, praevaricatores, ad Cor./1 Isai. 46. 8. Vulg:) to pure recollection, introversion and passivity. It is asserted by all the p….2 that I ever conversed with that this spirit never fails to produce this effect. It has taught many unexperienced souls to enter into a spiritual life, and has led them into these internal ways they had not so much as the notion of before ; and others who were but beginners in it, have been hereby advanc'd in a most surprizing manner : and to make this still more certain, all who have felt the agitations declare that they infallibly produce this introversion and passivity ; and the like effects follow from reading or hearing the warnings, or being present at their meetings. 2dly, the wonderful good effects produced by this dispensation in the minds and lives of all who favour it, is even acknowledged by their enemies. We confess, say they at London, this dispensation has made no body worse that joined it, but many better ; and here I know such powerful saving effects to have been produced by it in every particular soul that favours it. as can never flow from an evil principle. In yours, Dear Sir, you acknowledge this to be a strong presumption for it, but may I dare to say amounts to more. Wou'd Satan be thus divided against himself, and so powerfully in so many different persons destroy his own Kingdom ? Were Mys—ism and Bour—ism 3 making such wonderful progress in the Island, as to make him find such a stratagem necessary ? But let us suppose him never so willing, 'tis impossible he should produce the least good effect. He is himself all darkness, all weakness, death and corruption, and can he produce in another any true light, any saving knowledge, a principle of a new and Divine Life ? Can he overcome our lusts in us and bring forth fruits of holiness and amendment of Life ? No, 'tis impossible any should give to another what they have not themselves ; 'tis impossible a corrupt tree should bring forth those good fruits. Do men gather grapes of thorns or figs of thistles ? Our Blessed Lord has told us 'tis impossible, and left this as a standing rule to judge of all prophets by (Matt: 7. 15) " By their fruits ye shall know them." Those fruits are Love, Joy, Peace, and the rest you mention from Gal: 5. 22. To this unerring rule the p. . . .2 appeal



1 Quoted in the same connection by P. Poiret, Epistola de principiis mysticorum(1702), § 91.

2 " Prophets."

3 " Mysticism and Bourignonism."

230

and by it desire to stand or fall. False prophets indeed may pretend to visions, extasies and revelations, to fasting and other exercises of outward devotion : those are all (according to the Doctrine of Holy Augustine in Comment: ad h.l.) /1 but part of the sheep's cloathing, but still inwardly, they are but ravening wolves. He that sent them can give them no interior Light, no Grace, no Life, no Love, whereas here I can tell you numerous instances of all these. Now is it possible that the Rule of the omniscient it self should faill or become out of date ? Or will this learned age find defects therein, that this more subtile reasonings can supply ? Nor will the strength of this argument be eluded by saying that tho' this be an evil spirit, yet the Holy Spirit of God may upon occasion of any one's being operated upon, or believing in it, work it self these good effects. For it were strange if the Spirit of God should thus tye it self up to work most powerfully in these precise circumstances, and would not Satan upon so many repeated experiences hereof give over this unsuccessful design ? Besides let's consider if the same reasoning holds not good to enervate the force of all divine revelations. Might it not have been said to Teresa,' " the good spirit produces these virtues we see in you, but still 'tis the Devil that appears in vision ? " Might it not have been said to our Lord himself, " 'xis Beelzebub that acts in you, tho' God takes occasion from thence to throw out legions of devils ? " And 'tis also hard not to allow one to be judge himself what it is that produces any effects upon his mind. I shall mention but one instance more, which is, knowing the hearts of men and exercising power over them. I can give you many examples, wherein this Spirit has done so, both in my self and others, but what I wrote in my last of the imagination that was torn from me may suffice. Now I truly think that no other spirit, but the Holy Eternal one, can possibly perform this. His word alone can divide betwixt the soul and spirit : He alone is the searcher of the heart and tryer of the reins : His All-seeing Eye can penetrate alone into the most secret dispositions, the most inward ground of the spirit, to which no created being can have access. When a soul is swallow'd up in pure recollection and internal prayer, it is for so long in the element of light, whereunto an evil spirit cannot pierce, nor discover any thing. Tho' Light shines in darkness, yet even in this sense darkness comprehends it not. This argument was thought sufficient to prove our Saviour's Mission, Joh. 16. 3o : and that of the primitive prophets 1. Cor. 14. 24, 25. and is the force of it any less in our days ? I know A. R.3 suggests something (as he sayes) from Cassian against this. but they amount to no more than that the devil from some



1 De Sern:mone in Monte, Migne, P.L., XXXIV, p. 13o6.

2 S. Teresa.

3 A. M. Ramsay.

4 Evidently a reference to the discussion in Cassian, Collatio, VII, Cap. XV, as to how far demons can be conscious of men's inmost thoughts. V. Migne, P.L., XLIX. PP. 687 ff.

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outward things can make some conjectures of what passes within, which is far from answering the present appearance : and your instance of Albicerius can be easily accounted for, the devil could readily suggest a verse of a prophane author to one who was so foolish as to make such an experiment. Had he told him the method of his prayer, what passed in the most inward ground of his mind, his most secret byasses and hidden inclinations, and not only discovered but removed his imperfections, this indeed had been wonderful, and to our present purpose.

3. 3dly Another prejudice I shall mention in favours of the p. …/2 is from their warning. The doctrine therein is so pure, so sublime, so mortifying to corrupt nature, and so clearly discovers all the veils that our hypocrisy and self-love throws over our corruption, that 'tis scarce to be imagin'd the devil is the author thereof ; yea they have all the characters of the Word of God mentioned Heb. 4. 12, 13. For many can from their own experience declare it to be quick and powerful and sharper than any two-edged sword, piercing even to the dividing asunder of soul and spirit and of the joints and marrow, and is a discerner of the thoughts and intents of the heart, &c. Besides the Father of Lies can't be suppos'd to have learn'd so well the art of speaking truth, that in many thousand warnings, he should not betray himself in the least, nor utter anything but what is perfectly agreeable with the Holy Scriptures and of a piece with the rest. Many obscure and mysterious places of the Holy Write are also thereby explained and we see from thence an easy way how many dark prophesies of the Scriptures should come to be accomplished, and also those of other inspired writers ; as what J.B./3 speaks of the time of the Lilly and the Enochian Life and spirit of prophesy to be restored immediately before the sixth period, or coming of our Lord, as also many revelations made to A.B./4 and recorded in her Vie Interieure. .Much more might be said on this head for which I refer to the preface before the warnings of the 15 Inspired./5 'Tis true they have all along acknowledged that there is a mixture in some warnings, but even this is a prejudice in their favours and a demonstration of their impartiality, disinterestedness and ingenuity. The same was certainly in the prophets of the primitive Church, as is plain from the accounts we have of them from S. Paul &c., and in the present case these mixtures are always discovered in time and serve another admirable ‘±nd of warning every one upon occasion of any order or any other occasion to return to their interiour, and consult the Divine Light within them and



1 V. p. 214.

2 " Prophets."

3 Jacob Boehme, SCmnztliche Werke, vol. V, pp. 208-16 ; also VI, pp. 127 ff., etc.

4 An Abridgment of the Life of A.B. appears in Garden's Apology, pp. 263 ff. Her Vie Intérieure, written by herself, was published by Poiret as Part II of the Life in his edition of her works in 19 volumes.

5 A Collection of Prophetical Warnings, London, 1708.

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only follow what that dictates. And this is the only true way to free the world from all errours, divisions, parties, schisms and distractions, and is the distinguishing character of all the messengers of God who only labour to lead their hearers from all outward distractions to hear the gentle and still voice of the true Christ the Teacher and Shepherd from within, whose voice his own sheep do know and follow.

4. The last Prejudice I shall mention is that the mission of those p. . . .1 has been confirm'd and attested in the most inward ground of the soul, to one who has those several years in a constant habit of receiving communications from God after the same manner the Mysticks have done, and such as none who know them can question but they are Divine. I know not how far this may go with you, but I am sure it wou'd be of some weight, were you acquainted with the person I mean.

And now, Dear Sir, having touched some of the general prejudices in their favours, I shall not enter into the consideration of your objections, knowing they would evanish upon the supposition mentioned before, and that a fuller inquiry into Whitro's /2 story wou'd also remove that difficulty, and that no warnings that have been condemn'd were pronounced in the name of Jehovah. I shall only therefore take notice of the difficulty about the agitations, and that because it seems also to have weight with Mr. P. He had indeed the happiness to live with one who was blessed with great measures of somewhat different Divine communications. A.B./4 was long before that freed of all sensibilities, and they were made to her in the most gentle still manner imaginable ; but the case is vastly differing betwixt the Holy Spirit's continually inhabiting, living and acting in a purified regenerated soul, and its only acting at times upon a person still imperfect and unregenerated, which is the case not only with these, but with many of the old prophets. Now how should it be known when they speak of themselves, or when not, unless by some outward visible sign, which 'tis more than probable from many places of Scripture and also other authors more conspicuous in all the old prophets. 2. In general all Divine communications are accompanied with some outward sensibility, motion, and operation upon the body, while the soul is yet imperfectly purified ; for this we may appeal to almost all the Mysticks who have felt these more or less in the beginnings of their inward life. See for instance, in the 25. p. of M.P's./5 preface to M. Guyon ; and this seems to be more necessary in this case, when perhaps the time left for our purification is so short that the Divine operations tending thereto must be more than in proportion to the disposition of our souls ; and such would infallibly kill and reduce us to nothing, unless



1 " Prophets."

2 M.N.E., p. 216.

3 Poiret.

4 Antonia Bourignon.

5 Poiret's preface to his Mme. Guyon's Opuscules spirituels (5704).

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they got some vent, if I may so speak, and overflowed the body also. But 3dIY, what needs any further difficulty about those agitations when if any of all these that have felt them, is to be believed, their constant never failing effect is not to disturb their imagination, but to silence it, and to call them powerfully into their interiour, and there to produce an inexpressible peace, calmness, and silence, resignation and joy. Can these effects be suspicious or proceed from an Evil Spirit ? And may not this Spirit be rather called Tranquillator than Perturbator Spiritus.

I have but one thing more to add occasioned by some insinuations you make of the danger of engaging in a party. I don't indeed know myself to be of any ; but I think it my duty where ever I discover the good spirit of my God to pay all imaginable reverence, submission and obedience unto it. 'Tis all one to me by what organ that spirit speaks, if by a p.,' a Quaker, a Church-man priest or a Laick ; 'tis none of their persons I follow or have any attachment to, but the Good Spirit that speaks by them, which leads me unto and speaks the same things with the sole true director within. There is a certain sympathy, communion, and if I dare use the word homogeneity betwixt light and light, the spirit in others and that within our selves by which alone we can judge. There's no need of joyning outward Societies in order to be in this dispensation. All who constantly attend unto and follow their inward light are as to their essential part already so ; and when 'tis God's will and time shall be so in another manner. Thus, my Dear Friend, I have presumed to write a great dale to you on this subject. For what errors may be in it I ask God's pardon and yours, begging of him to permit no offence hereby to be given to any, nor any new stumbling block thrown in their way. 'Twere better for me never to have been born than that thro' my forwardness or folly any of God's children should receive any prejudice. I beg therefore you'll only shew this to such as are in no hazard thereof. I see not well for what end your sending any thing of mine to Mr. P.2 will serve, because I have no copy of my former, so cannot judge [ ] 3 to be seen, however I desire to leave my self, and all I have writ entirely at your discretion ; and if you still judge it convenient you may translate so much of that and even of this as you please and send it him, leaving the event to God, only I should be glad to see the translation before it were sent, lest possibly you may mistake my sense in any thing. I have one favour further to beg of you that if you think proper to write any more to me on this head you might abstain from saying any thing that looks too much to my commendation, for that lays a restraint upon me from sheaving yours to such as it might be of use to. I am resolved to follow this conduct here, and to reserve for another occasion the telling you my



1 " Prophet."

2 Poiret.

3 A blank of half a line occurs here in the manuscript copy.

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sentiments of friendship, affection and esteem for you. I only beg with all earnestness the assistance of your prayers and while I have life or being will continue

Very Revd. & Dear Sir

Your most Affectionate Servant in our Lord.

Barns, 12 Jary 1710.

DEAR SIR,

I must add one thing more that if I have adventured here to take any place of scripture in a sense that may perhaps seem singular, I'm very far from restricting it to that sense. I only tell my thoughts, that that may be one of the many meanings it may be taken in. I recommend my self most affectionately to all your good friends, particularly M.M./1 Mrs. St./2 and her Daughter, I would write to them but I know what I say to you I say to all. ':d be glad to hear from my Dear M.M./1 I sent him a message and some papers by My La P./3 which he has hitherto never wrote if he had received. May the Almighty be with you all and lead you safe thro' thi: valley of tears to the land of never fading joy the fountain of love that flows for ever. Adieu.





IV.FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNES TO DR. GEORGE GARDEN.

To the very Reverend Dr. George Garden at Roseheartie.

VERY REVD. & DEAR SIR,

Having wrote to you a fourth night ago a very long and particular letter on the subject of the prophets I shou'd not have wrote to you so soon again, but that having so good an occasion I would not neglect thereby to give you repeated assurances of the continuance of my respect, esteem and affection for you and the rest of your friends with you. As nothing indeed in the strict sense can deserve or claim these but the infinitely perfect Being, so I have of some time endeavour'd to regulate my Love to the creature, so as it shou'd been proportioned to what I discovered of the Divinity in them, of the Divine Image and Divine Love, and as I found those qualities more conspicuous (I speak it in the presence of God without flattery or complement) in none than your selves, so was my love to you proportionable :

1 Perhaps Mr. Moore (of Fraserburgh) : u. M.N.E., p. 29 : possibly Mr. Munro (v. p. 207).

2 Mrs. Strachan (?). a Lord Forbes of Pitsligo.

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neither is it in the least abated by our differing now in some sentiments, since the foundations thereof are not at all weakened. On the contrary I discover in your proceedings herein a new zeal for the Glory of God, the interests of religion and the good of souls. And tho' I am fully perswaded of the truth of this dispensation, yet I dare not pronounce it necessary in your state ; and I am very hopeful God will no longer leave you to uncertainties herein than he sees it can be useful for your purification or ours.

I must also beg leave to tell you the motives upon which I have hitherto wrote so fully to you on this head. I never was so foolish as to be much on the lay of making converts to any of my opinions, nor would I have chosen for the subjects of such an attempt, people from whom I should be glad to learn ev'n the first principles of our religion ; nor durst I attempt with my activities to support that what I believed to be the work of God or to bring over people to it from other grounds or less evidences than I had felt my self. But this simply was my view that tho' I was brought into the belief of this dispensation in a way that carried light and conviction along with it, and which was not in my power to resist ; and tho' since then multitudes of reasons for it have been impress'd on my mind without any desire or forethoughts of mine, yea tho' now every day I am more confirmed in that belief, and that every event, every hour of recollection, every passage I read in any inspired writings add some new degree of evidence if possible, vet I say after all, it being of the last consequence to me not to be deceived in a thing of this importance upon which my all depends, I thought myself obliged in the sincerity of my soul to take all imaginable precautions against such a delusion ; and so not only to apply to my God many times in the most perfect manner I could, and likewise to search and examine mine own heart and all its secret byasses and motions with the utmost impartiality, and also to make use of all the other methods of trying spirits prescrib'd by inspir'd persons ; and having on the event of all this found myself more and more convinc'd and rooted in this perswasion ; I resolv'd as the last effort to lay open before you (of whose experience, sincerity and friendship I'm fully perswaded), first the state of my own mind and then the motives born in upon me for believing this Dis: that I might know your judgment on the whole. And now I must beg of you a few things that if ye think fit to write to me again on this subject you will first let me know what it is that hinders the arguments mentioned in my last to be conclusive, 21y: what are the characteristicks, infallible rules and marks laid down in Scripture for discerning betwixt good and bad spirits, true and false p. ... s/1 since certainly our gracious Lord could not have left us at uncertainties in a matter of so vast importance. And Sly what proofs they are that can amount to a full and unquestionable evidence either to

1 " Prophets."

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a particular reason, or the world in general that a message comes from God or upon what grounds it is that we think our selves so infallibly certain of the truth of our religion and the inspiration of some other writers. Now, my Dearest Friends, I most earnestly beg of you to satisfie my mind herein that they may apply all to the case in hand with all the sincerity I am capable of. I must indeed profess in the presence of God, who seeth the most secret corners of my heart, that I have hitherto endeavoured to act in this matter with all the sincerity, seriousness, caution and resignation that the weight of it required ; and as all my trust is in his infinite mercy, who quencheth not the smoaking flax, and will not break the bruised reed, so I most earnestly beg of you and all our friends with you to become intercessors for me at the Throne of Grace to recommend my state to the Fountain of Love in the most perfect recollection and thereafter to resign me finally into his hands where alone I can be safe. I have only one thing to add that there's no possibility of separating or making any difference betwixt my case and that of our other friends engaged herein. This I may be thought a proper enough judge in, if there is any truth in me it is so. And thus I'le conclude all that I shall ever, for ought I know, write to you on this subject ; and I recommend you and all our friends to the Divine Grace which alone can keep us from falling. Let nothing ever have the power to shake or overcloud our friendship. Let it be seen that 'tis grounded on some better foundation than in our agreeing in certain notions. By this only can we be known to be disciples of the God of Love if we love one another, love all that love him, all that deny themselves, take up their cross and follow him. Let this be our daily practice. Adieu.

Yours in Him.

Barns, 25 Jary,

1710.



V. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS.



MUCH HONOURED & DEAR SIR,

I had both your's of the 12 & 25th of Jary at the same time, I having been absent from this place for two or three weeks before my receipt of them. Your friendly acceptance of my last, and most obliging return to it are a pure effect of your goodness, since another in your circumstances would perhaps have treated it with contempt. As I did not look for so large a return from you in your present state, so I have no reason to expect another from you on the same subject, you having writ so fully at this time with respect to the pp./1 and set the prejudices in their behalf in so full a light, that more,

1 “prophets”

I think, needs not be said to that purpose. And I do not wonder that while you look upon them in this light, and have those views of them, and withal an inward conviction, you believe their mission to be Divine. And as you were apt to think that this would not determine me, so you may be perswaded that I do not imagine that any thing I can say will alter you. But since our sentiments differ in this matter, and you allow me the honour of your friendship, which I greatly value, and that from this principle you have freely exposed your thoughts about them, I shall as freely and sincerely tell you mine with respect to the contents of your letter, which I hope you will favourably construct as the thoughts not of an experienced adviser, which I assure you, I am not, but of an affectionate friend, who wishes your welfare as that of my own soul, and has need rather of advice from you, than that I am capable of giving you any in this matter : and may the Divine Love be the Life of both.

As to the first part of your letter concerning the prayer of silence, the principal doubt I have about it, is, whether there be no danger nor impossibility of delusion in it, as you say the Mystick writers who treat of this way of prayer have from their own happy experience assured us, and that very solid reasons may be given for this assertion even to the rational faculties. Perhaps the difference of our sentiments in this matter, when 'tis fairly stated, may be found less than at first it appears to be.

We may then consider two sorts of persons that apply to the prayer of silence, and two sorts of lights which thereby they think they come to be affected with. The first are those whose desire and will are turned away from self and the creatures, and who have resigned their will and desire wholly and perseveringly to God. The second are those who live still in corupt nature, and have their desire and will still set upon self and upon the creatures, but nevertheless at some times in imitation of what they read and hear of the true devotion and sanctify'd souls, do silence all their faculties and turn to the prayer of silence, waiting to be acted upon by the Divine Eternal Spirit. Again, there is first a Divine light that sanctifies and renews the soul into which it enters, consumes and burns up all its dross, purges it from all its impurities and lusts, from all filthiness of the spirit as well as of the flesh, and transforms it into the Divine nature. Or 21y, there is a light that gives knowledge of mysterious and inward revelations about particular Dispensations, Appearances and Persons, &c. Now as to the first of these two sorts of persons, they are not subject to delusion in the exercise of the prayer of silence with respect to the first sort of Divine light, whereby they are sanctify'd and renew'd according to the Divine image, and the soul is purged from its dross : and to the soul it is perhaps rather a fire going before the Lord, and burning up in the soul his enemies round about ; and tho' the Light be in the Darkness, yet the Darkness comprehendeth it not. But whether the Light be felt or perceived by the

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soul or not, yet in so far as the heart is thereby purified, there is no delusion ; tho' the soul walk in Darkness, and perceives no Light, yet let it trust in the Lord, and stay it self upon its God. But as for those who live still in corrupt nature, yet nevertheless at some times, in imitation of what they read or hear of the true devotion of sanctified souls, do silence their faculties and turn to the prayer of silence, waiting to be acted upon by the Divine Eternal Spirit, I must still own that I think they are in great hazard of delusion. For what communion hath Light with Darkness ? Or what concord hath Christ with Belial ? Or how can we drink the cup of the Lord, in the true spiritual sense, and the cup of devils ? How can it be imagined that God will communicate his Light and Spirit to a soul that follows its own will and desires, only because at certain times it suspends the acting of its faculties, waiting for the Divine communication, and gives it self to the prayer of silence ? I hope, my Dear Friend, you will be so just as not to imagine that I have said this with the least respect to you and your disposition. Neither must you think that what I have said respects any sincere soul who desires to seek God with its whole heart, and yet having strong corruptions to mortify and subdue, against which it wrestles, it is often foil'd, yet is not thereby discourag'd, but in the strength of the Divine Grace goes on to resist them, being confident that God will at last give it the victory. Such if they happen in the exercise of this to fall into delusion, it is to be hoped that it is for their trial, and that God will afterwards discover it to them. But this chiefly respects those who hearing so much spoke of the prayer of silence, and how easily it may be attain'd unto, and how they may come to Divine conviction about things which they think to be of the greatest concern and attain to Divine communications, will be ready to apply to this method of prayer while in the mean time their passions are not mortified, and self still rules and bears sway in them. And yet they may by this way of the Internal Silence of their faculties kindle a fire within and compass themselves about with their own sparks, and walk in the Light of their own fire, and in the sparks that they have kindled, and take all for Divine light, and Divine communications, and possess the minds of sincere persons with the same perswasion concerning them.

But as to the second sort of Light mention'd above, even those who are led into the prayer of silence by a Divine attraction, and exercise it in the sincerity of their hearts, must not therefore think that in this respect they are out of all hazard of delusion because they have silenc'd their imagination. If they receive convictions and revelations about particular things, and cleave to these as proceeding from God and make them the Rule of their conduct, they are still in hazard of being deceiv'd, for tho' these may sometimes be motions from the Divine Grace, yet such may also proceed from the motions of one's own mind, and understanding, or from the delusion of a foreign spirit, and yet be looked upon as Divine motions. In this you

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know Jo. a Cruce /1 is very positive in his Ascens. Mont. Carmel. Lib. 2. Cap. 23. to the end of that book where he treats of the spiritual apprehensions of the understanding, which he calls purely spiritual, because they are not communicated unto the understanding after the manner of the corporeal ones, and of those of the imagination, by the way of the bodily senses, but are clearly and distinctly imprinted on the understanding in a supernatural way without the meditation of either the external, or internal senses ; it being only passive, and no active proper operation of the soul interveening. And those you know he distinguishes into Visions, Revelations, Speakings, and Spiritual Touches, all which he supposes to be Intellectual, and not from the Imagination, nor from the outward senses. And he makes appear in what hazard, the soul is from being deluded in these, (especially in the three first) either by the operations of its own understanding (while it imagines that it is wholly passive, and imprest upon by the Divine Spirit, the heart being deceitful above all things), or by the impressions of a subtile evil Spirit. And tho' he gives some signs whereby to distinguish the one from the other, yet it being so hard to do it, and the danger of the delusion being so great, he gives advice not to lean to such impressions, nor to be taken up about them, but to deny one's self as to them, as well as to outward things, (for these are not God) and to tend unto God by pure Faith and Love. de la Theologie Chretienne &c.1 saith to good purpose) it is the same spirit that communicates the truths of our salvation to all the members of the Church, yet it is according to the need and destination of every one's state. He communicates them to the prophets and apostles to serve for an invariable rule and canon for the whole body of the Church ; to the guides and pastors whom he calls to succeed them, that they may teach and conduct the people under the direction of that sacred rule and canon and to the people that they may walk holly under the conduct of good pastors who are lawfully set over them." So far that author. As our reason is corrupt, so are our hearts, and our understanding is darkened and the eyes thereof blinded thro' our natural corruption and the habits of our lusts and passions : and tho' the light shine in the darkness, yet the darkness comprehendeth it not, no more than a blind man doth the light of the sun. And tho' the chief duty of the blind man is to have faith in God, and to depend upon his good providence for his preservation, yet he must do this, not in trusting to his own eyes, but in submitting to the conduct and direction of an honest faithful guide, who sees the light and knows the way. Even so, our understandings being wholly darkned as to Divine things, it may ?erhaps be no small presumption in us to look for immediate illumination in Divine things, because of the cessation and introversion of our faculties for some time. They are blind and cannot see the things of God. The true answer and operation of the Holy Spirit in this state is to direct us to the Holy Rule of Christian life and doctrine, and (we being blind our selves) to follow the conduct of him who had the Spirit without measure. I will not therefore trust to mine own reason, nor will I presume to look for immediate inward Divine light upon a cessation and introversion of my faculties, they being so corrupt ; but in the humble prayer of Faith will listen to the counsel and advices of those who have been immediately directed by the Holy Spirit of God, but especially and above all to Jesus Christ himself. And this is what I am taught inwardly, that I am blind and stand in need of a guide, that the pure in heart only are capable of seeing God and Divine things, that I must be purged from my corruptions ere I can attain that bliss, that the life and doctrine of Jesus Christ while in the flesh, is the only true physick for the cure of all my spiritual maladies, if by a living practical Faith that worketh by Love, I do carefully apply the same. And therefore instead of aspiring after inward Divine infallible light in my present corrupt estate, I am moved to live by faith and not by sight, and to make the life and doctrine of Jesus my rule, my meditation and my practice. And upon this consideration, neither is the prophet's appeal to the begging of God to show if this is not his Spirit, nor the inward irresistible conviction that it is so, which you say so many souls feell upon the making of this tryal, a sufficient

As to the affair of the prophets, as I was not willing that you should take the trouble of giving a particular answer to the prejudices which made me still doubt of their Divine mission ; so I know you do not look that I should answer each of the particular prejudices which you bring on their behalf, I having, I assure you, as little inclination to dispute and controversy as you have, being sensible how unprofitable and hurtful it is. I shall only tell you, how it comes that they do not determine me on their behalf. By prejudices I mean not a byass for or against them, but such appearances as on the one hand seem to import a Divine mission, or other appearances that seem to evidence the quite contrary.

As to the way of being determin'd and directed about divine things, I acknowledge that our dark and corrupt reason is very unfit to judge of them, and that as no man knoweth the things of a Man, save the spirit of man which is in him ; so the things of God knoweth no man but the Spirit of God. And therefore 'tis our duty to apply to the Father of Lights, and beg that he may vouchsafe us his Spirit, and grant us such light and direction as is agreeable to his will, but we must not presently conclude that every inward conviction we receive upon our Interiour Recollection is an Infallible light. " Tho' (as the Author of the Introduction aux vraies et solides principes


1 Ascent of Mount Carmel, one of the great works of John of the Cross : quoted also at p. 244 and by G. Garden in his Apology, pp. 230o ff. The reference may be found in Bibli. de Autores Españrïoles, XXVII, pp. 53 ff.

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de la Theologie Chretienne &c.1 saith to good purpose) it is the same spirit that communicates the truths of our salvation to all the members of the Church, yet it is according to the need and destination of every one's state. He communicates them to the prophets and apostles to serve for an invariable rule and canon for the whole body of the Church ; to the guides and pastors whom he calls to succeed them, that they may teach and conduct the people under the direction of that sacred rule and canon and to the people that they may walk holily under the conduct of good pastors who are lawfully set over them." So far that author. As our reason is corrupt, so are our hearts, and our understanding is darkened and the eyes thereof blinded thro' our natural corruption and the habits of our lusts and passions : and tho' the light shine in the darkness, yet the darkness comprehendeth it not, no more than a blind man doth the light of the sun. And tho' the chief duty of the blind man is to have faith in God, and to depend upon his good providence for his preservation, yet he must do this, not in trusting to his own eyes, but in submitting to the conduct and direction of an honest faithful guide, who sees the light and knows the way. Even so, our understandings being wholly darkned as to Divine things, it may ?erhaps be no small presumption in us to look for immediate illumination in Divine things, because of the cessation and introversion of our faculties for some time. They are blind and cannot see the things of God. The true answer and operation of the Holy Spirit in this state is to direct us to the Holy Rule of Christian life and doctrine, and (we being blind our selves) to follow the conduct of him who had the Spirit without measure. I will not therefore trust to mine own reason, nor will I presume to look for immediate inward Divine light upon a cessation and introversion of my faculties, they being so corrupt ; but in the humble prayer of Faith will listen to the counsel and advices of those who have been immediately directed by the Holy Spirit of God, but especially and above all to Jesus Christ himself. And this is what I am taught inwardly, that I am blind and stand in need of a guide, that the pure in heart only are capable of seeing God and Divine things, that I must be purged from my corruptions ere I can attain that bliss, that the life and doctrine of Jesus Christ while in the flesh, is the only true physick for the cure of all my spiritual maladies, if by a living practical Faith that worketh by Love, I do carefully apply the same. And therefore instead of aspiring after inward Divine infallible light in my present corrupt estate, I am moved to live by faith and not by sight, and to make the life and doctrine of Jesus my rule, my meditation and my practice. And upon this consideration, neither is the prophet's appeal to the begging of God to show if this is not his Spirit, nor the inward irresistible conviction that it is so, which you say so many souls feell upon the making of this tryal, a sufficient

1 Written by P. Poiret, 1r70o9 : v. Wieser, Peter Poiret, pp. 10o6, 338.

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evidence to me that it is the Divine Spirit, neither according to my present apprehension of things, ought it to determine them. To seek after such a Divine illumination and irresistible conviction looks like a tempting of God. So far is this from being infallible, that to me such seem not to be out of the hazard of illusion from their own minds, or from a foreign spirit, while they are not yet transform'd in their minds, according to the Divine image.

I believe the author of Fides & Ratio &c.,/1 were the matter fairly represented to him, would scarce think that his sentiments, p. 147, 148, 149, cited in your's were fitly applied to the present case. He tells us, p. 149, § 388, “That such a Revelation containing an invincible character of Truth useth not perhaps to happen to any other but most pure souls, and such as by long use have their senses exercised in spiritual things." He tells us in the next page, § 395 &c., " That a strong desire of internal Illumination has a magical force in it, creating within it self what it ardently desires ; and that such a desire being criminal, it is not to be thought that the enemy will omit to cooperate with it. And that therefore such desires are by all means to be suppress'd, avoided, and deprecated. But (§ 40o) especial care ought to be taken that the heart do not cleave to such illuminations. which it is not easy to avoid, and that it do not lay much stress upon them, but that it still turn to God in the most inward recess of the soul, and there apprehend and cleave to him as he is in himself by dark and naked faith." And as he says, § 402 : " that Humility is the best safeguard against the hazards of this state, so such is the blindness of our mind, that we often think we are humble, when truly we are not so."

Now, Sir, since I ought not to trust my own Reason in Divine things, and that so corrupt a creature must not presume to look for immediate inward illumination, I flee to the merciful and faithful guide Jesus (who has promis'd to be with us to the end of the world) and beg that the Holy Spirit may direct me by his doctrine which is the Truth. Now his warning always occurs to me upon this occasion, he having expressly told us of the last times, Math: 24 : " That many false prophets shall arise, and shall deceive many, and shall shew great signs and wonders, insomuch that (if it were possible) they shall deceive the very elect. Behold, saith our Lord,

I have told you before. Wherefore if they shall say unto you, behold he is in the desert, go not forth ; behold he is in the secret chamber, believe it not." Never, for ought I know, was there any appearance since our Lord's Ascension which this Divine warning seems more to respect than this present Appearance, when such a multitude of prophets in the desert and in the secret chamber invite us to come to them, and to enter into their Dispensation and believe it, who pretend that they do not speak, but Christ speaks immediately out of them, and that not as Man, as he did when cloathed with our mortality, as the Son of Man, but as he is the Eternal

1 M.N.E., p. 222.

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God. On Mount Sinai a voice was heard out of the thick darkness at the giving of the Ten Commandments in audience of all the people, and this but once ; but now 'tis pretended that the same Eternal God speaks immediately and daily, out of men, women, and children, as he spoke unto Moses in the audience of the people out of the cloud. Strange signs also are shown, speaking of strange tongues, discovering the thoughts of men's hearts, &c. If you say however that this warning cannot respect the present prophets, because of the good fruits you tell of them, and when our Saviour bids us beware of false prophets, Math. 7, he tell us, by their fruits we shall know them, if the prophets, of whom our Lord warns us had not apparently good fruits, how should the elect be in hazard of being deceived by them ? It is to be considered that these are two different warnings which respect different persons and times. This was given in his sermon on the mount, and respects false pastors and false teachers that should creep into his Church, who might be discovered by their fruits. But the other respects the last times of the world, and such prophets as cannot be easily discerned by their fruits to be false prophets ; such as if it were possible would deceive the very elect. And therefore he does not bid us try their spirit and examine it by their fruits, but forbids us to go out to them, or to believe them ; and those are the two things which they require. Such persons shall they be, saith A.B.' in the exposition of this warning, as may deceive and seduce the elect, who will easily be seduced, seeing such apparent signs and miracles, and will be afraid lest they should offend God, if they should believe any evil of persons so wonderful for their Goodness and virtue. The Divine Goodness insists, saying, Lo I have foretold you, to show, saith A.B.' that none ought to pretend ignorance, for it is Jesus Christ himself that declares it. Were it only some illuminated person, every one would be examining whether it proceeded from God or from the Devil. But who can question Jesus Christ's words that proceeded out of his own mouth ? He goes on saying : If therefore it be said unto you, Lo he is in the desert, go not out ; Lo he is in the closet, believe it not, as if he had said : There will be holy and righteous persons in appearance, who will say unto you, Do this or that, and you shall be saved ; believe them not.' Salvation is no where to be found but in the doctrines of Jesus Christ which are contain'd in the Gospel. Thus far A.B./1 p. 76, 77, of the first part of Light arisen in Darkness. Engl. Edition./2

Now as our Lord's warning imports the hazard that the best shall be in of being deceived by those prophets, so what S. Bernard /3 says, with respect



1 Mme. Bourignon.

2 Light arising in Darkness : published in four parts in 1703.

3 digne, P.L., CLXXXIII, pp. 9.58 f.: not a continuous passage but a summary in extracts. Cf. the remainder of the sermon, pp. 951 ff., and also Sermon 6 (not 7) on Psalm xc, at pp. 199 f. V. also Vaughan, Hours with the Mystics, I, p. £45.

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to this danger, he being a very enlightned and holy man, deserves great consideration. 'Tis in his 7th serm: on the 90 psalm, and in his 33d upon the Song of Solomon, in both which he expounding the 5th & 6th verses of that psalm, applies the four evils there mention'd to the state of the Church, showing first " that the primitive Church was assaulted by the terrour by night, by grievous persecutions, when they who killed them thought they did God service. And when this tempest was calm'd, the enemy had recourse nixt to the arrow that flyeth by day, and raised up men full of vainglory to vex the Church by diverse and perverse doctrines. And when this plague was also removed by the wisdom of the saints, as the former was by the patience of the Martyrs, he then stirreth up the pestilence that walketh in darkness, and then a grievous contagion spread thro' the whole body of the Church, which the more universal it is, the more desperate ; and the more inward it is, the more dangerous. All are friends and all are enemies. Men are the Ministers of Christ, and they serve Anti-Christ. All pretend to honour Christ, and all seek their own things. There remains only now to make appear the Damonium Meridianum (as it is in the vulgar Latine) the Noon-day Damon (in our translation it is rendered the destruction that walketh at noon-day) for the seducing of those who yet abide in Christ in the simplicity of their hearts. He hath drunk up the rivers of the learned, and the torrents of the mighty, and he trusts that he shall draw up Jordan, that is, the simple and the humble of the Church into his mouth. This is the Anti-Christ, who not only falsely calls himself above all that is called God, whom the Lord Jesus shall consume with the Spirit of his Mouth, and shall destroy with the Brightness of his Coming." Thus far S. Bernard. If it is possible that there may be such a Damonium Meridianum chiefly bent to catch the well-meaning, what need is there for such to watch and pray that they enter not into temptation.

And how easily may we deceive our selves, and may others be deceived in the matter of true vertue, which you know can never be without true charity. There is nothing more terrible, nor more humbling, than the supposition which the Apostle makes, z. Cor. 13, that a man may speak with the tongues of men and angels, may have the gift of prophecy, and understand all mysteries, and have all Faith, so as to be able to remove mountains, and bestow all his goods to feed the poor and give his body to be burned, and yet not have Charity ; and then all is nothing.

You know, Sir, that there is a natural enthusiasm, and a demoniacal one, as well as a Divine, and that it is hard to discern the one from the other. You know Jo. a Cruce 1 in the 29th Ch. of the 2d Book of the Ascent of _Mount Carmel shows that some intellects are so vivacious and so piercing that they are no sooner Introverted and Recollected than they form with

1 John of the Cross : v. pp. 200, 223, 240 Ribl. de Autores Espanoles, XXVII, pp. 6o ff.

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great facility lively Reasonings and Words about the subject they apply to, which they conceive to be immediately from God, tho' they proceed only from the intellect itself, which when abstracted from the senses can perform all this and much greater. And this, he says, happens frequently, and many do therein deceive themselves, and think they have attain'd to sublime prayer and communication with God, and they cause to write what occurs to them in this Introversion. And he advises such to learn to despise those things, and to have their will strengthened in humble love and the exercise of good works, and to imitate the Life of Christ in suffering, by mortifying themselves in all things. He makes appear also how a Demon may mingle with such an Enthusiasm in those especially who are addicted to this ; and that when they enter upon inward Recollection, he uses to afford them copious matter of digressions, forming to the understanding conceptions and words and so doth most subtilly precipitate and deceive them by most plausible things ; and that his operations are very hard to be discerned. For tho' for the most part they make the will but remiss and cold in the Love of God and incline the mind to vanity, self-esteem, self-complacency ; yet sometimes they instill into the soul a false kind of Humility, and into the will a fervent kind of affection ; (tho' founded on self-love) so that it requires a very enlightned person to discern his delusions. He knows also by the sentiments he excites how to move fears, and to imprint in the soul the affections that he intends. But he still moves the will highly to esteem those communications, to give it self to them, tho' they are not the exercise of vertue, but rather an occasion of the loss of that already acquired. You know how he makes appear in Lib. 2. C. 21, that a Damon doth usually take the same ways of conversing with a soul that God doth, and proposeth things like to those which God communicates, and like a wolf in the flock covers himself so cunningly with the sheep's skin that he can hardly be discerned. And when he reveals many things that are true and conformable to reason, and withal do certainly come to pass, souls may be easily deceived by him, and made to believe, that things which he foretells coming to pass exactly atcording to the prediction, it must needs be from God. And therefore he says, a soul can never be safe from Illusions, but by avoiding all revelations, visions, speeches, there being no necessity of these, since natural reason and the law and doctrine of the Gospel do afford what may serve to direct the soul, and that we ought so highly to value the light of natural reason, and the doctrine of the Gospel, and so to cleave to them that tho' any words were supernaturally spoke to us, (whether with or against our desire) we ought to receive those only that are conformable to reason and to the Gospel-Law. Yea we ought so much the more to weigh this Gospel-Law upon the coming of any revelation, since the Devil utters many things that are to happen, and are conformable to reason, that he may deceive the better.

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But there's hardly any thing in this matter that seems more surprising, than that those who had and still affirm they have no small esteem for the writings of A.B.' who, you say, had the Divine communications made known to her in the most gentle still manner, being freed of all sensibilities, and who gave such repeated warnings to beware of the prophets of this last age, that such, I say, should have been drawn into this Appearance. and brought to think that her writings do favour the same. How often doth she say, that God had made known to her that we live now in the dangerous times foretold by Jesus Christ, wherein false Christs, and false prophets should arise, and deceive many ; of which he said, he had told us before, that when the time came we might mind it and not be deceived by them ; that there is no need of new prophets, the old having foretold all that shall happen to the end of the world ; and Jesus Christ the most perfect of all the prophets having foretold for the last all that we have need to know : that God will send none as his prophets and embassadours in this last age of the world, but such as are regenerated into his Spirit, as have the fruits and gifts of the same, and the qualities of true Charity, and are partakers of the Divine nature in righteousness, goodness and truth, and that a soul that has not these, and pretends to be sent a prophet from God, is certainly deceived it self, or would deceive others by false appearances : that without this there can be no infallible evidences of a true prophet sent from God : that the great Enemy of God and of men's souls having gain'd the wicked to himself by their evil deeds, labours subtilly to draw in the good and the well-meaning by the most plausible appearances of sanctity and of Good, that by his adherents he can work extraordinary things, make 'em foretell things to come. speak of Divine things like seraphims so as to draw tears from and ravish those that hear them ; and give such good impressions, as that the good are confounded at it, and believe they are all Divine operations : that the Gospel was sufficiently confirmed by the undoubted miracles of our Lord and his Apostles, so that now there is no need of them for the Confirmation of our Faith ; and tho' he is pleased to give particular favours to some souls ; yet it is not his will that this should be published to the world, lest the Devil should take advantage of them, and the true miracles should authorize the false ones which he works by his adherents : that neither signs, nor prophesies, *nor the gift of tongues, nor any miracles whatsoever are sufficient to discern the Spirit of God, since all those and much more may be performed by the operation of the Devil : that she had seen his adherents do admirable things ; • some were blind for some years, and then receiv'd their sight in an instant : others were dumb, without being able to speak, and recovered their speech by supernatural ways ; others were suspended and did flie in the air visibly, before all the people ; others

1 Mme. Bourignon.

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were without pulse or motion for some days and nights, and in an instant arose and walked freely ; that tho' one had a true revelation, yet credit is not to be given to it, so long as he lives to himself, because self-love mingles easily with the Spirit of God, and spoils the inspiration ; so that such take their own imaginations for inspirations : that to be assured of any inspiration the soul must be wholly annihilated in it self that God alone may move it and operate freely in it ; that there is much more evil and sin in judging evil to be good, then in doubting of that which is Good ; for in doing the first, we cooperate with the evil, and commit many sins, deceiving those to whom we praise and commend the evil, and making them embrace lying for truth ; and we puff up the other by the vain praises we give them : but to doubt of that which is Good, doth not diminish the real Good in the soul that possesseth it, and to be despised doth more good to a soul than to be flatter'd or prais'd. And as to what is said, that she owns the time will come when God will pour out his spirit upon all flesh, and that he promiseth to his people, that their sons and their daughters shall prophesy, and their old men shall see visions ; this promise is, she says, to the people of God that are regenerate, and that they are not so now, but that we live at present in the full Reign of Anti-Christ, who rules over almost the hearts of all men, and amuses even the most pious and well-meaning with a pretext of venue and sanctity. And what some are apt to apply to this present Appearance of the state she tells the Church shall be in (p. iii Confer. 28. of the L. of the W.' p. 220. Engl. Edit.) is certainly to be understood of the Church Renew'd and Regenerated in the Spirit of Jesus Christ, when all men in general who shall remain on the earth then, shall, she says, subject their wills to that of God.

You grant a Demon may discover the thoughts of another where the imagination takes place. Corrupt nature in us is, you know, his Element wherein he acts, and how far his conjectures may go, as to our most secret and inward operations is 'hot easy for us to discern. And this may appear from the strange instance that Rusbrochius gives us of the false Quietists in his days, of which you may read in his Treatise De Ornate Spirit. nupt.2 L. 2. c. 76, 77, 78, 79 ; of whom he tells us, that when they pleased they retired and remain'd still from the exercise either of their senses, or their imagination, silencing all their faculties, their intellect and will, and ceasing from all inward as well as outward actions, and stript of all images. In which state they felt a great and delightful quiet, solace and sweetness ; some of which, he says, led a strict life, and used great acts of penitence, some of 'em pray'd for many and singular favours from God, and were often deluded : God often permitting those things to befall them by the help

1 Light of the World, by A. Bourignon ; Eng. trans., 1696.

2 De Ornatu Spiritualium Nuptiarum (Latin trans. of Ruysbroeck's Flemish work in 1512).

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of Demons, which yet they attributed to their sanctity : of which, he says, there was no wonder, they being proud, and neither divinely touched nor illuminated. They did cleave to themselves, and a small consolation greatly touched them, they little knowing how much they wanted, and were bent upon the inward gust of a spiritual delight, which may be called a spiritual luxury, it being an inordinate propensity of self-love that still seeks its own consolation in every thing. They also labour'd under a spiritual pride, and were addicted to self-will, and were therefore so earnest for what they desired and asked of God, tho' they were deceived and some of them seiz'd by an evil spirit. And yet this natural self-love is in outward acts as like to Charity, as two hairs of the same head are like to one another. These Quietists, he says, thought they were much in contemplation of God, and most holy. They thought this state of Quiet of such excellency, that it was not to be interrupted by the most excellent things, because it excell'd all vertues. Therefore they give themselves up to this state of pure passivity, asking nothing, waiting as an instrument till the artificer work with it. For they think if they should do any thing it would hinder God's work. They abide therefore Quiet from the desire or act of any vertue ; so that they will neither praise nor give thanks to God, nor know, nor will, nor love, nor pray, nor desire ; and so they are poor in spirit, because they have no will, and are without the propriety of any choice, and that they have obtain'd that for which all worship in the Church is instituted ; because they have no will, and have resigned their spirit unto God, and are made one with him. And such is their subtilty that they can hardly be overcome by reason. And yet, saith he, if you consider well the Holy Scriptures, and the doctrine and institutions of Jesus Christ it will evidently appear that they are far from being his true followers. This Quiet, he says, is what all men by nature reach unto without the Grace of God, if they but know how to rid themselves of all images and acts. But a soul that loves God cannot embrace this Quiet, for the love of God, and an inward touch of the Divine Grace is not idle. And thereafter he shows wherein the true prayer of Silence does consist. Now since the soul is naturally capable of putting it self into this Quiet, and of silencing all its faculties, and that this natural Quiet is accompanied with a great delight and content, and that souls given up to it are apt to think that they are much in contemplation of God, and that they yield up all their faculties to be acted upon by him, while yet self-love bears sway in them, is it not to be feared, I: Lest the general advice and practice of leading people into the prayer of Quiet, while their hearts are not as yet in a due disposition for it, may not bring in generally the false Quietism, the evil of which Rusbrochius doth so often represent, and into which men will naturally fall, while corrupt nature prevails in them. 2: Whether in this state of natural Quietism it is not possible for an evil spirit to perceive that a man has silenced his faculties, and is gone into

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a state of Quiet ? Now you going to the meeting mention'd in your first letter, to try, as you say, an experiment, how warrantably I shall not say, and the warning from the L. A's.' mouth advising to that very state of Quiet which Rusbrochius calls the False Quiet, ' ` that every man and woman hold their peace, silence their thoughts, be careful that their imagination do not interpose, that they be altogether still " 2 ; was it impossible that the Imagination you had then might have been torn from you, and you put into this natural state of the silence of your faculties, and that you might have been directed to it by a foreign spirit, when you came to try the experiment, especially when the good innocent well-meaning Lady herself is now perswaded, and I think, not without reason, that all was a delusion and a foreign spirit. And by the way I think the rencounter was not so miraculous that a person who in pursuance of M. Guoyon's Method of Prayer3 had given herself to the prayer of silence for half a year before she joyn'd the prophets, should recommend it in her warnings. 3. Since men may naturally put themselves into this state of passivity and Quiet and silence their faculties, while corrupt nature doth still prevail in them are they not still as much and perhaps more in hazard to be acted upon by a foreign spirit, and to take all its suggestions for Divine motions, Lights, Revelations, Speeches, and more uncapable of discovering the same, as thinking they are out of the element of a foreign spirit by having silenced their imagination, and that all light and conviction that comes to 'em in that state must be from the Eternal Divine Spirit ?

The mention I have made of the L.A's.l case puts me in mind of a remarkable passage contain'd in one of Fr. de Sales Bp. of Geneva his Letters,' viz. Lett: 23. Book 2, directed to the Religious of the Order of the Visitation ; the purport of the letter being to show that frequent revelations are to be suspected. Upon this occasion he tells this remarkable story. " There was," saith he, " in the time of the Blessed Sister Mary of the Incarnation, a \laid that was imposed upon by the most extraordinary delusion that can be imagined. The Enemy in the likeness of our Lord did for a long time repeat her hours to her, and sung them with so melodious a voice that it perpetually ravished her. He gave her the Communion very often under the Appearance of a silver and splendid cloud, within which he made the false Host to come into her mouth : he made her live without eating any thing. When she carried alms to the gate, he multiplied the loaves in her apron, so that if she carried bread thither only for three poor persons, and if there happen'd to be thirty there, there was bread enough to serve 'em all abundantly, and that very delicious bread, of which her confessour sent some portions here and there to his spiritual friends, out of devotion.



1 Lady Abden : M.N.E., p. 394.

2 Ibid., p.201.

3 Ibid., p. 15.

4 OEuvres complètes (1831, Lettres, IV, pp. 125 ff.

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This maid had so many revelations, that at last it rendred her suspicious with knowing men. She had a very dangerous one which made 'em to resolve to make a tryal of her sanctity, and for this end they plac'd her with the B. Sister Mary of the Incarnation,' where serving and being treated somewhat severely by the deceast Me. Acary,2 they discovr'd that this Maid was not holy, and that her outward Meekness and Humility were but an outward gilding which the enemy made use of to make her take the pills of his delusion ; and in short they discovr'd there was nothing in her but a mass of false visions : and as to her, they perceiv'd that she did not maliciously deceive the world, but that she was first deceived herself, there being no fault on her side but the complacency she had to imagine that she was holy, and so contributed some little dissimulation to keep up the reputation of her vain sanctity. And all this," saith he, " was told me by the B. Sister Mary of the Incarnation."

You speak of an admirable end of the mixture granted to be in some warnings, I suppose you mean of a foreign spirit, or of their own imagination ; that this serves to warn every one to consult the Divine Light within them, and only follow what that dictates. And this you say is the only true way to free the world from the errours, divisions, parties, schisms, and distraction, to hear the gentle and still voice of the true Christ, the Teacher and Shepherd from within. Dear Sir, perhaps in this matter our sentiments are the same ; but because some may mistake the manner of expressing it, I shall here take occasion to tell you how I conceive it. We come to know any thing either by the eyes and senses of the body, or of the mind, or by neither, but we believe them to be upon the credit and testimony of others. Again the eyes and senses of the mind are either those which we may call the humane and rational faculties, which all men do more or less exercise, and by which they have the perception of humane things, or those which we may call the Divine powers, which are capable of receiving impressions from the Divine Light. Thus, that the sun shines we perceive by the eyes of the body ; that we think, see, and hear, that we will this or that, that we love and hate, that a thing cannot be and [not] be at the same time, and in the same manner, we perceive by the eyes of the mind, our humane and rational faculties : that there are such places as the West Indies, that you purpose to favour your friends in the north with a visite nixt month, we perceive neither with the eyes of the body nor the mind ; but we believe the one upon the credit of your writing so, and the other upon the testimony of thousands who have gone thither and brought of the product of those places for so many years, and could not conspire in this to make a lie. After that Job had been purified and tried as gold in the fire, the eyes of his Divine

1 (1599-1672) : v. Underhill, Mystics of the Church, pp. 202 ff.

2 Madame Acarie (1566—x618) : v. Underhill, op. cit., pp. 187 ff.

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faculties were opened, and then he saw by the Divine Light, which made him cry out, " Who is he that darkneth counsel without knowledge Therefore have I utter'd that I understood not, things too wonderful for me, which I knew not. I have heard of Thee by the hearing of the ear. but now mine eye seeth Thee ; wherefore I abhor my self and repent in dust and ashes." Now this Divine Light is the Eternal LOGOS, the Eternal Word who was with God in the beginning, and is God, by whom all things are made. in whom is Life, and his Life is the Light of men ; and the Light shineth in darkness, and the darkness comprehendeth it not. Man is turned away from God, his understanding is darkned, he is alienated from the Life of God, he is not capable in his corrupt state to behold that Light. The pure in heart only shall see God. Man is most grievously diseas'd and disorder'd in all his faculties, naturally dead in sin and void of the Life of God. and all his Divine faculties and senses are as uncapable of Divine things, as the blind are to see and enjoy the Light. From this wretched state, man could never have recovered himself, but great is the Mystery of Godliness and of the recovery of Lost Man ! God was manifested in the Flesh. the Word was made Flesh and dwelt among us, took on him all the infirmities and weaknesses that sin had made us lyable to, became in all things like to us yet without sin, and in this state he became our physician full of Grace and Truth to heal all our diseases : and so he came to do the will of his Father ; and to offer himself a most perfect sacrifice for us. So he came in this state to be the Light of the World, and to show us both by word and deed, accotnpanyed with his powerful Grace how to retirn to God, and to those who receive him in this state, he gives power to become the sons of God, even to those who believe in his name. 'Tis not enough for us to know the end, we must also know the way that leads to it. Now our Lord Jesus Christ is all. He is not only the End, the Truth and the Life, as he is God, and the Eternal Word, but he is also the way in his humane nature and as he is man, and the great duty he requires of us is Faith in him, that we wholly trust in him, take his prescripts, cleave to him and follow his steps. So that our state here is to walk by Faith, and not by Light. The End is proposed to us, and we see it not ; God the Supream Good and the enjoyment of him. And the only sure way to the End is laid before us, to follow God manifested in the flesh, to tread in the steps of the life and doctrine of Jesus, our Redeemer, our Physician, our Captain, our Guide. He requires us that we wholly trust him, believe in him, take cheerfully the prescripts of our physican tho' we do not yet see by Divine Light how effectual they shall prove to heal all our diseases : that we follow closely our Captain and our Guide, resigning our selves wholly to his conduct and command, as a soldier doth unto his general, without enquiring into the light and reasons of his orders. You see then, our state in this world is to walk by Faith, and not by sight. We are not commanded to consult the Divine Light

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within us, the Eternal Word, for we are naturally blind, and our darkness comprehendeth it not : and instead of seeing by the true Divine Light, we are ready to kindle a fire of our own, and to compass our selves about with sparks, and to walk in the Light of our own fire, and in the sparks that we have kindled. But who is among you that feareth the Lord, that obeyeth the voice of his servant, that walketh in darkness and hath no light : let him trust in the name of the Lord, and stay himself upon his God. Our state in this world is a state of darkness, our duty is that of Faith and Trust, and staying upon a most faithful and unerring Guide, the Word made Flesh. We think that we are rich and have need of nothing, and know not that we are poor, and miserable, and wretched, and blind, and naked. He counsels us to buy of him gold tried in the fire that we may be rich, and white ravment that we may be cloathed, and that the shame of our nakedness do not appear, and to anoint our eyes with eye-salve that they may see. When we have put off the old man with his affections and lusts, and we are renew'd in the spirit of our minds, we may then hope to see what we now believe, or even according to the different degrees of that renovation, we come to perceive and feell different degrees of Divine Light,

I mean that light that operates the Divine Grace for which it is sent. For as he knows not the true taste of honey, who never tasted it, so neither doth one know what the true Love of God is who never had it, and it is shed abroad in the heart by the Holy Spirit. But to think, to consult the Light within, and to follow what that dictates, is the only way to free the world from all errours, divisions, parties, schisms, and distractions, is in my opinion a dangerous mistake in the present corrupt state of mankind. Our great duty is to consult Jesus, God-man, his life and doctrine. " Go," saith he, " and teach them to do all things that I have commanded you." He doth not say, Go, and teach them to consult only the Light within them. In our corrupt state, men consult only the Light of their own fire, and walk in the sparks of their own kindling and call this the Divine Light within them. And thus you see many parties have pretended thereunto. If you say the parties and sects are as numerous who pretend to be guided by the doctrine of Jesus Christ, it is because their hearts and their lives are contrary to their profession, they do not regard the plain rules and doctrine of the Gospel, but dote about questions and strifes of words, and teach for his doctrines the commandments of men. If it be said that if men would truly consult and follow the Divine Light within them, it would put an end to all errours, etc. it may be considered that men in their corrupt state are uncapable of perceiving and being directed by this Light untill their hearts be purified by Faith. Not but that this Divine Faith is the work of the Divine Spirit, by which the heart being inspired with the Love of God's Righteousness, and the hatred of it self, doth embrace and believe the doctrine of Jesus which is so agreeable to this. But here is the true standard

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whereby to judge whether the inward Light unto which men pretend, be Divine or not. Jesus, he is the Light of the world, if we follow him, we shall not walk in darkness, but shall have the Light of Life. Now I suppose, you mean nothing in your's but what is consistent with the substance of what is said here. And I know you will not think it impertinent that I adduce to the same purpose a passage or two of S. Augustin, who both in practice and speculation was no stranger to what is now called the Mvstick Divinity, and experienced and breath'd after the internal Divine Light in no small degree. " To enjoy that Truth and Light which is unchangeable, the soul," he sayes, " must be purified, that it may be capable of beholding that Light and of cleaving to it. Which purification is like a travelling and sailing into one's native countrey. For we cannot go to him who is every where present by change of place, but by change of manners and disposition. This we could not do, if wisdom it self had not humbled himself to condescend to our infirmities, and if he had not, because we are men, given us an example in the humane nature how to live. How came He ? even thus that the word was made flesh." De Doctr. Christ. L. 1. c. 19.1

" The mind," he says, " being darkned with vicious affections, is not only uncapable to cleave to the unchangeable Light, but even cannot suffer it. But being renew'd from day to day, it must become capable of this bliss. It must first be endued with and purified by Faith ; in which that it may the more confidently travel towards the Truth, the Truth it self, God the Son, becoming Man, but not ceasing to be God, establish'd and founded this Truth, that man must go to G,)d by God-man : for this is the Mediatour between God and Man, the Man Christ Jesus. By this he is the Mediator, by which he is Man, and by this he is the Way. For if there be a middle way between him who travelleth and that to which he travelleth, there is hope of attaining to it. But if there is no way by which he may go, or if he is wholly ignorant of it, what will it avail that he knows whither he ought to go ? Now the only sure way against all mistakes is that he who is the way, is both God and Man ; and that to which Man tends is God." De Civil. Dei. Lib. 2. c. 3.2

" The eye of the soul, is," he says, " the mind (or understanding) pure from all defilements of the body, that is, purged from the love of earthly things, which nothing can effect but Faith. For that which cannot be demonstrated to the soul while it is sick and defiled with corruption, and which it cannot see unless it were in health, if it doth not otherwise believe that it shall see it, it will never apply to recover its health. But if it believes indeed that the thing is as is said, and that it would perceive it if it did see, and in the mean time despairs of health and of recovering its sight, it will



1 Dods's edition, Christian Doctrine, pp. 13, 14 (Bk. I, chaps. 50-13) : cf. G. Garden's Apology, pp. to f.

2 Dods's edition, City of God, Vol. II, p. 438 (Bk. XI, chap. 2).

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wholly neglect the prescripts of the physician, especially if they are unpleasant and bitter medicines : and therefore Hope is to be added to Faith. But if it believes that all is as is said, and if it hope it might be whole, but in the mean time doth not love the light that is proposed, and doth not desire it, but is pleas'd with its own darkness, which custom has made pleasant to it, it will slight the physician. So that Charity is necessary as well as Faith and Hope ; and without these three no soul is healed that it may see its God." Soh /. L. r. c. 5.1

S. Augustin esteem'd the platonists above all the other philosophers, who, he says, " accounted those only to be wise who know to imitate and love God, by the enjoyment of whom only they can be happy. They reckon'd this true philosophy to Love God the Supream Good, and that the soul has no being above it but God, and that he is its intellectual Light. They acknowledg'd the Father and the Son, whom they call'd the Mind of the Father. Thus," he says, " they seem to have some dark and faint apprehension of the countrey whither they ought to tend, but did not know the way that leads thither ; how God hath so highly commended his Love to us, in that the only Son of God, remaining unchangeable in himself became man, and gave men the hope of his favour and love by this mods-man by whom men might come to him, who being Immortal was so far removed from mortals ; and being Immutable was so far removed from mutable creatures ; and being most righteous, was so far from the wicked ; and being most bless'd, was so far from the wretched and the miserable. And having given us a natural instinct to desire to be happy and immortal, he remaining bless'd assum'd mortality, that he might confer on us what we desire and love. And by suffering he taught us to desire what we are afraid of. But this Truth, he says, the Platonists would not embrace, nor become Christians, because Christ came in humility, and they were proud. The learned thought it below them from the disciples of Plato to become the disciples of Christ, who by his Spirit taught a fisherman to Know and say : In the beginning was the word, and the word was with God, and the word was God ; the same was in the beginning with God. All things were made by him, and without him was not any thing made that was made. In him was life and the life was the light of men, and the light shineth in darkness, and the darkness comprehendeth it not. Which beginning of the Gospel according to S. John, a Platonist said (saith S. Augustin) ought to be written in Letters of Gold, and set in the most eminent place thro' all the Churches. But this God our Master and Teacher was vile in the eyes of the proud, because the Word was made Flesh, and dwelt among us. Thus it is not enough for the miserable to be diseas'd, but they must be puffed up also in their sickness and despise

1 Migne, P.L., XXXII, pp. 875 f.

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the physick by which they must be healed." De Civil. Dei. Lib. 8 c. r. Lib. to. Ch. 29.1

Dear Sir, I have written all this upon this head, not that I think you entertain a different sentiment, but because the manner of your expressing it may give occasion to some both to think so and to make it their practice ; as perhaps it is the practice of many who pretend now to consult and to be guided in all things by the Light and Christ within them, while in the mean time they are unregenerate in their spirit, follow the motions of corrupt nature, and because of some introversions take these for the dictates of the Divine Light within them, whereas, I think, there seems nothing more evident than that both for our own particular direction and conduct, and for the satisfaction of others that our motions are from a Divine Light and Spirit, and for the establishment of Truth, Unity and Peace, there must be a general known standard whereby all sentiments, motions, and lights pretended to be from God, ought to be measured, both by those who pretend to have them, and by those to whom they offer them : and that is the plain doctrine and life of Jesus Christ, God-man. The preservation of the records of men in the Holy Gospels is no small blessing, and as A.B.2 observes, no small miracle ; and by which she desires that all she writes may be examin'd and tryed ; and whatsoever is contrary thereunto, rejected. In which also the great end and duty of man is so plainly set down, charity, to love God with all our heart, and in him our neighbour as ourselves : and the way and means to it so visibly held forth in Christ's life and doctrine, that he who runs may read it ; and to which the true Divine Light within will always correspond and direct : but if we apply our hearts to consult only the Light within without respect to the other, we who are so corrupt cannot fail to take our own motions, (perhaps those of a foreign spirit) for Divine Light ; as you know the Q.3 and many pretending to be guided by the Divine Light have done and do daily. You know the instances mention'd by A.B.4 (and many such there are in the world) in her Warning against the Quakers, pag. 34. of a Q., who knocking at a gentleman's gate at Amsterdam defaced with his knife the gentleman's name cut out upon the lintel of the gate, and being askt by him, why he had done so, told, because the spirit had moved him to do it, and that it ought not to be there : to which the other replied that if it ought not to be there, it was well done to raze it out, but then askt him, in case he were moved by the spirit to kill him with the same knife, whether he would do it, he said, he would, since they must always obey the spirit. And of the Dutch woman



1 Dods's edition, City of God, pp. 312, 423-6 : (Bk. VIII, ch. 5, and Bk. X, ch. 29.) Not a continuous extract, though given as such in the manuscript.

2 A. Bourignon : v. Apology, pp. 3, 78, etc.

3" Quakers."

4 A. Bourignon, Warning against the Quakers, Eng. trans., 1708.

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among the Quakers, p. 25. who said, that the Light of the Holy Spirit had shew'd her that her husband was to dy within a little, and she to be married to a young man, and that she was bid tell it to both, and yet was a person of good judgment in other things. And of the English Quaker woman who was moved by inspiration to go to foreign countries to publish the Divine Light. p. 27. and abandon'd all things, and spoke very sublimely of Divine Mysteries, tho' A.B.' says, the Spirit told her she was of the Devil and not of God, as it seems was afterwards discover'd.

In my former to you I made mention of that way of continual prayer recommended in the 7th Letter of 4th part of Tomb. de la F. Theol.2 as not the same with the prayer of silence. To this you say, that a soul in that state sees that prayer fulfilled in its own exercise, the advice there given being that one should in all his needs which he continually feells, apply himself to God, begging his assistance, and praising him for mercies received, that this is all true, necessary and Divine, but that the question returns as to our wants, whether it is better to beg the Divine assistance in a general or particular manner, whether if a soul finds itself tempted to anger, it be more advisable to beg immediately of God the particular vertue of meekness, when it not knowing to pray for as it ought it may be improper in its state to have that particular Grace bestow'd or Infinite Love and Wisdom may think fit to leave it that thorn in its flesh, for its mortification, punishment or tryal or rather, if it is not from a deep sense of our own unworthiness and imperfection to place ourselves as beggars in the Divine presence, not presuming to ask any thing but his will, abandoning ourselves quietly, absolutely and intirely unto it and as to praise, you say the psalmists teaches us the most effectual way of praising our God. Tibi Silentium Laus est.2 Even Angels and Glorified Spirits are unworthy to praise him, what then should we crawling worms of the earth pretend to ? I shall not say but they who are in this state of the prayer of silence and arrived at the perfection you speak of, may see it fit only to abandon themselves to the Divine will without asking any particular Grace, and yet see that prayer fulfilled in their own exercise. But I do not think that this was the meaning of A.B. in the advice she gives in that letter.; " Some," she says, " make prayers to consist in a great many vocal words, others in meditation and speculations of the mind, which they call mental prayer, but neither of these are prayer. True prayer consists in the conversation of a man's soul and spirit with God ; when the heart speaks to him, and begs the things it has need of, or blesses and thanks him for his favours, or adores his greatness, goodness, love, and other qualities which the soul observes in its God. This is that



1 A. Bourignon, Warning against the Quaker, Eng. trans., 1708.

2 M.N.E., p. 209. 3

3 id., p. 147.

4 A. Bourignon, v. Apology, pp. 422 f. The passage given is not quite a continuous extract from Mme. Bourignon's Letter.

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continual prayer which God requires of man, the conversation of his spirit with God. In this he may be continually exercised in working, in eating and drinking, yea in sleeping : for the soul having walk'd with its God while awake, reposes with him when asleep. Thus," she says, " 'tis possible always to pray and never to cease, and it is good and pleasant. And he who is in this continual prayer, is never melancholy." She counsels men to give themselves to this continual prayer, telling 'em that thereby they shall overcome both their outward and inward enemies, shall have inward joy and quiet, and learn all they ought to do and avoid. She counsels them " if they are tempted, to beg his assistance ; if they are in ignorance, to beg wisdom of him to fulfil his will ; if they are weak, to beg strength, and if they receive favours, to bless and thank him for that favour done to them sinners. Thus," she says, " they shall have continual matter of having recourse to God in spirit, and at last he will speak to them, and they shall be united to him here, waiting for that perfect and compleat unity throughout eternity." Now which of these two ways is the best, whether to beg the Divine assistance in a general or particular manner, I shall not presume to determine. But even this seems to be an excellent way of continual prayer, and of the exercise of the Divine presence, and perhaps fitter and more necessary for some rather than the other. 'Tis to be considered that by the Divine Will we understand either that of his Laws and Commands of our duty, or that of his providence, whether general or special : and in both these respects we owe a resignation to his will. As to that of his law and our duty, in this his will is unchangeable, and always the same, that we love not the world nor the things that are in the world, and that we love him with all our hearts. And as this will of God is our constant duty, so it is no less our duty to implore his grace to perform it. And since we are continually assaulted with temptations to the contrary from within and from without, and it is our duty to resist them, and we cannot overcome them of our selves, but stand in need of the Divine Grace, it is no less our duty to beg it. And as it is not enough that we desire in general to resist



temptations, but that we apply to resist the particular temptation we are assaulted with, so it seems necessary that we beg grace to resist that temptation in particular. Thus if one is tempted to lust or covetousness, he ought to resist the temptation and desire to overcome it and consequently to beg grace to resist it. - Not that God needs to be told what our present strait is, for our Heavenly Father knows what things we stand in need of before we ask him ; nor that he needs entreaty, who is much more ready to give, as you say, than we to ask ; but since we ought to desire none in heaven or earth but God, when any other unlawful desire assaults us, or is the habitual plague of our heart, we ought to resist it, and consequently in faith and hope to beg grace_so to do, and to overcome it. And this we are sure is not contrary to the will of God ; for this is the will of God even our sanctification ; and if we shall

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not presently obtain that Grace, we must not therefore cease to beg it, but with submission to the Divine will as to the time and when and how he shall be pleas'd to grant it, we ought to be the more instant in prayer, and not to faint, as the Canaanitish woman was for her daughter. And the contrary practice so long as men have strong evil habits to mortify and subdue, the not begging the Divine assistance particularly to overcome them, and asking nothing but his will in the general, seems to be a dangerous and deceitful way for persons in whom corrupt nature yet prevails. For suppose a man covetous and worldly minded, who yet desires to love God and to be resigned to his will, and so gives himself to this way of prayer, not begging of him the grace to overcome the world, but resigning himself, as he thinks, to the Divine will, will not he, the heart being deceitful above all things, be apt to think that his soul is in a Divine frame, and that his concern about the world is nothing inconsistent with this, or that it is a thorn in the flesh for his trial, and if he ought not to ask grace particularly to overcome this habit, neither ought he particularly to desire and strive to overcome it. As to what is said, Rom. 8. 26 : " We know not what we should pray for as we ought," S. Aug., Tom. 3. Epist. 121 : i De orando Deum, says with respect to this, " That it is not to be believed that either the Apostle or those to whom he wrote this were ignorant of the Lord's prayer ; why then, do we think, he said this, which he could neither speak rashly nor falsely, but because temporal evils and tribulations are for the most part profitable either to cure the swelling of pride, or to exercise patience, to which thus tried a greater reward is laid up, or to correct and root out sins ; and yet we, not knowing how profitable they are, desire to be deliver'd from all tribulations and therefore," saith he, " in those temporal tribulations, which may be either profitable or hurtful, we know not what we should pray for as we ought ; and yet because they are grievous and uneasy, we are ready to pray to be deliver'd from them. But we ought to have that resignation to our God, as that tho' he do not remove them, we should not therefore thiiik we are neglected by him, but rather by a patient suffering of the present Evil, to hope for more valuable blessings. And it being there said by the Apostle, the spirit helps our infirmities, for we know not what we should pray for, as we ought, but the spirit it self maketh intercession for us with groans which cannot be uttered." S. Augustin in the forecited Epistle saith : " It is not to be understood as if the Holy Spirit who with the Father and the Son is one unchangeable God in Trinity, did make intercession as one who is not God, would do for the saints. But it is said, he makes intercession for the saints because he makes the saints to supplicate for themselves, even as it is said : Deut. 23. 3 : ' The Lord your God proveth you to know whether you love the Lord your God,' that is, that he may make you know whether you love him." 2 Thus far S. Augustin.

1 Migne, P.L., XXXIII, p. 504.

2 Ibid., p. 505.

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Now the begging for the Divine assistance in a particular manner according to the soul's present state and spiritual needs, is so much the tenor of all the Holy Scriptures both as to precept and practice that perhaps it may be a dangerous thing to slight it in our present corrupt state, and to aspire to that for which we are not yet fitted. And however the other way you recommend may be judged fitter for persons advanced to some degree of Christian perfection, I am perswaded it is not so for persons in whom corrupt nature and vicious habits are yet most prevalent, against which they ought both to watch and pray. And the practice of this continual prayer doth not consist in a multitude of words, but in darting up a fervent desire for the Divine aid, from the sense of our danger and impotency, and faith in the Divine power and mercy. You know what Cassian 1 tells us of the Fathers of the Desert in his tenth Conference how Abbot Isaac instructed him in the short form of prayer taught the solitaries and deliver'd down to them by their Fathers, by the continual inward use of which they were kept in a constant sense of the Divine presence, and in the exercise of continual prayer : which short form was : " 0 Lord make speed to save me, O Lord make haste to help me." " This," saith he to them, " contains all the affections that humane nature can be subject unto, and may be applied to every state. It contains an invocation of God in dangers, the humility of a pious confession, a watchful sollicitude and spiritual fear ; the sense of one's own frailty, a confidence of being heard, and of the Divine presence and holy always ready at hand. The soul that still calls on its protector, is sure he is always present. It contains the ardour of charity, a prospect of snares and a dread of enemies, with which finding it self to be night and day surrounded, it acknowledgeth it cannot be saved but by the help of its Defender. This petition is necessary and profitable to every one in whatsoever state. For he who desires in all cases to be helped, shows that he not only wants the Divine aid in adversity to support and deliver him, but in prosperity also, to keep him from being exalted and puffed up, and in every temptation to enable him to withstand it." As to praise, tho' we are unworthy to praise him, yet it is our duty, he invites us to do it, it has been the practice of all the saints of God, all his works praise him : in this as in other cases, if there be a willing Mind, it is accepted according to what a man hath. Tho' even the Angels, as you say, are unworthy to praise him, yet they cease not day and night so to do : and the praises and hymn of a multitude of the heavenly host was heard by the shepherds at our Lord's birth, and the not doing of this, is, you know, one of the things which Rusbrochius blames in the false quietists of that age, (De Ornate Sp. Nupt. Lib. I. c. 78), " that they would neither give thanks nor praise to God, nor know, nor will, nor love, nor pray, nor desire, and so reckon'd themselves to be poor in spirit, as living without all choice."

1 Collatio X, Cap. X (Migne, P.L., XLIX, pp. 831-6).

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I hope, Dear Sir, that after all this, you will not expect I should give a particular answer as to the Three Heads proposed in the last short letter you sent me. As to the first, the grounds upon which I think the arguments mention'd in your's in behalf of the prophets not to be conclusive are contain'd in what is written above, and those founded upon our Lord's warnings, and the warnings of those whose light and experience I know you regard, and not upon any sentiments of mine. As to the second, to set down the caracteristicks laid down in scripture for discerning between good and bad spirits, true and false prophets, in the age we live in, when Satan shall not only transform himself into an Angel of Light, but into a D emonium Meridianum, and shall speak as if he were the supreme God, and seek to be worshipped as such, we may be sure he will cover himself with such sublimity of doctrine, and such pure pretences of absolute resignation to the Divine will (so as not to dare so much as to beg to be inspired with the Divine Love, as in the case of the L. Abden) that one had need to have no small degree of the gift of discerning spirits, that would set up to give precise marks whereby to discern him. Neither is it needful that we should apply to this, for we have a more sure word of prophesy, the life & doctrine of our Lord Jesus Christ. Let us walk by that rule, and we have his warning whereby to avoid the being imposed upon, when they say, Lo here is Christ speaking, Lo there he is, believe it not, go not out to them. Besides, I think there is no need of urging this so earnestly, when the most obvious mark given in the Holy Scriptures, Deut. 18. 22. whereby to discern a false prophet seems so universally to hold in them. " They speak in the name of the Lord, and the thing doth not follow nor come to pass ; and therefore what they speak, the Lord hath not said it, but they speak presumptuously." And as it is justly observed by some, they speaking as if the eternal God were speaking out of them to warn the world of the near approaching of his dreadful universal judgments, and in the mean time failing in their particular predictions, they take the most effectual course to make the careless world go on in their security, and not to prepare for the Divine judgments. This seems to,be a spirit very different from that by which the true old prophets were led who foretold the first coming of the Messiah. This was their great message, and it was not to be fulfill'd in their days, but they brought credentials to confirm the truth of what they said in this, by making particular predictions of things that were to happen in their own days or shortly after them, which accordingly came to pass ; whereas the particular predictions of the present prophets do all fail. By which they tempt the careless world to think their warnings of the approach of the universal judgments, are a false alarum. You know the excellent thought of Mr. Paschal concerning the ancient prophets as to this subject, p. 137, of the Eng. Edit., " The

1 Pascal : L. Brunschvicg edit., Vol. III, pp. 145 f. : P. Faugère edit., II, p. 310.

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prophets have interwoven particular prophecies with those concerning the Messiah, that neither the prophesies concerning the Messiah should be without their proof, nor the particular prophecies without their fruit," viz : of confirming those which respected the Messiah. Now the case of the present prophets with respect to his second coming seems to be the reverse of this.

And as to the third, upon what grounds it is that we think ourselves so infallibly certain of the truth of our religion, I know, my Dear Friend, you do not expect that I should let down the particular grounds of the certainty of the truth of our Holy religion, nor do I think that you look upon this present Appearance of the prophets as having as undoubted evidences that it is from God. I know you do not think that there has been such a series of prophets and prophesies going before this Appearance, and foretelling all the circumstances of it, even the time when it should come to pass, as for some thousands of years did precede the coming of our Lord Jesus Christ and were fulfill'd in his person, and the records of 'em in the possession of and vouched by his greatest enemies. I know you will not equal their miracles to those of Jesus Christ or his Apostles : " Go, tell John," said our Lord to two of John's disciples, " what things you have seen and heard, how that the blind see, the lame walk, the lepers are cleansed, the deaf hear, the dead are raised : " nor will you equal the certainty of their predictions to his, of which the state of the Jews is to this day a wonderful instance. Nor will you say that there was any mixture in his spirit, and that sometimes a foreign spirit speaks out of him, and by him : nor will you say there was any impurity in his heart and life, neither will you offer to make their doctrine the standard of his, but will own his the true rule and standard whereby to try all doctrines pretended to be from God : neither do you doubt of his resurrection from the dead as was foretold, and that his Apostles laid down their lives to bear witness to it, neither is there any the least evidence that there was any mixture of a foreign spirit in what they declared to be from the spirit of God : neither, I think, will you say that the Apostles after our Lord's ascension, and after their having receiv'd the Holy Ghost, were still persons unregenerated, in whom the Holy Spirit did not reside, live and act, as he doth in purified and regenerated souls, but that he only acted upon them at times as still unregenerate, which you grant is the case of the present prophets. And this seems to me a most satisfying answer even to the first of the Three Heads in which you desire me to make appear that the arguments you bring for the prophets being led by the Eternal Spirit are not conclusive : for if it is a spirit that acts upon them only at times, they being still unregenerated, in which there is granted to be a mixture, it will not be easy to discover whether it may not be still either the natural enthusiasm of their own spirit, or therewith the agitations of that foreign spirit that can transform himself into an Angel of Light. And if there was a mixture in the prophets

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of old, yet we have ground to believe that among these there were still some who were not children, or young men, but fathers regenerated by the spirit of God, who were his living temple, and by whom the spirit by which others spoke might be discerned if it was Divine or not, as Jeremiah, you know, was among the other prophets of his time. But we live in an age wherein such innumerable prophets are arisen, by whose organs the Eternal God is said to speak immediately, and yet not one of them is regenerated ; `o that I cannot see how the testimony of them can be relied upon as to the discerning of Spirits. And since you have the same esteem that you had formerly for the writings of A.B.' you may easily perceive that this renders your arguments for the prophets not conclusive, there being nothing in which she is more peremptory (and I think not without reason) than that God will send none as prophets and embassadors in this last age of the world, but such as are regenerated into his spirit, as have the gifts and fruits of the same, and the qualities of true charity, and are partakers of the Divine nature in righteousness, goodness and truth ; and you acknowledge that they are not so regenerated, and that the spirit acts upon them only at certain times.

Thus, Dear Sir, I give you the trouble of this long letter in return to your's : and since you have so fully declared what has determin'd you to believe the Divine authority of this Appearance, and I have plainly told you what makes me still doubtful of the same, I incline not to trouble you with any more upon this subject. I lean not to my own reason, but to the authority of our Lord Jesus Christ, and to the truth and importance of his warnings : and I regard much the warnings also of those who have been in so great a measure enlightned by the Holy Spirit. And tho' some despise a letter, when they see it is all citations, yet I know you will not do it, having such regard to the originals. You and I go upon different suppositions in this affair, which give us different views, you upon the supposition that this appearance is of Divine authority, (and it may be upon the perswasion that it is so) and I upon supposition that it may be not of Divine authority. And this, I think is the safer side, it being founded upon the Divine warning of our Lord Jesus Christ himself, and there being less hazard, as has been said, in doubting of that which may be good, than in praising and commending and embracing that which is evil, as if it were good. In this, my Dear Friend, your goodness makes you to exceed that you are ready to conceive an extraordinary good opinion of others, perhaps beyond what is just and fit. And that which you are pleased to say so advantageously of me, both in the last and in your former makes me sensible to this, being conscious of my self of my own unworthiness, &c.

March, 1710

1 Mme. Bourignon.

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Table des matières

Le Père Milley 1668-1720 et la Mère de Siry -1738 12

LES ORIGINES DU P. MILLEY 18

APT ET EMBRUN 21

AIX ET NÎMES 24

MARSEILLE 38

LA MÈRE DE SIRY 1 59

LA DOCTRINE DE L’ABANDON 64

L’ABANDON, ÉTAT PRIVILÉGIÉ 65

ÉTAT D’ORAISON 70

ÉTAT DE PUR AMOUR 74

DIRECTION DU SAINT-ESPRIT 81

CONDUITE DU DIRECTEUR 87

TRADITION SALÉSIENNE 93

ABANDON ET QUIÉTISME 98

LE CHOIX ET LE TEXTE DES LETTRES 103

BIBLIOGRAPHIE 106

TROIS RÉDACTIONS DE LA PREMIÈRE LETTRE : TABLEAU COMPARATIF 110

Les lettres du P. Milley 114

I À LA MÈRE DE SIRY 114

II À LA MÈRE DE SIRY 116

III À LA MÈRE DE SIRY 117

IV À LA MÈRE DE SIRY 120

V À LA MÈRE DE SIRY 122

VI À LA MÈRE DE SIRY 123

VII À LA MÈRE DE SIRY 124

VIII À LA MÈRE DE SIRY 125

IX À LA MÈRE DE SIRY 127

X À LA MÈRE DE SIRY 129

XI À UNE RELIGIEUSE URSULINE 130

XII À UNE DAME MARIÉE/1 132

XIII À LA MÈRE DE SIRY 133

XIV À LA MÈRE DE SIRY 134

XV À UNE RELIGIEUSE URSULINE 135

XVI À LA MÈRE DE SIRY 136

XVII À UNE RELIGIEUSE URSULINE 138

XVIII À UNE RELIGIEUSE URSULINE/1 139

XIX A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION/1 140

XX À LA MÈRE CATHERINE MOREL 141

XXI A LA MÈRE DE SIRY 142

XXII À UNE RELIGIEUSE URSULINE/1 143

XXIII À UNE RELIGIEUSE URSULINE 145

XXIV À LA MÈRE DE SIRY 146

XXV À LA MÈRE DE SIRY 148

XXVI À UNE RELIGIEUSE URSULINE 150

XXVII À LA MÈRE DE SIRY 151

XXVIII À LA MÈRE DE SIRY 152

XXIX À UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION 153

XXX À LA MÈRE DE SIRY 154

XXXI À UNE SUPÉRIEURE URSULINE 156

XXXII À UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION 157

XXXIII À LA MÈRE DE SIRY 159

XXXIV À UNE RELIGIEUSE URSULINE 160

XXXV À LA MÈRE CATHERINE MOREL 161

XXXVI À LA MÈRE DE SIRY 162

XXXVII À LA MÈRE CATHERINE MOREL 163

XXXVIII À UNE RELIGIEUSE URSULINE 164

XXXIX À LA MÈRE DE SIRY 165

XL À UNE RELIGIEUSE URSULINE/1 167

XLI À LA MÈRE DE SIRY 169

XLII À LA MÈRE DE SIRY 171

XLIII À UNE RELIGIEUSE URSULINE 173

XLIV À LA MÈRE DE SIRY 174

XLV À UNE DAME MARIÉE 175

XLVI À UNE RELIGIEUSE URSULINE 176

XLVII À LA MÈRE DE SIRY 177

XLVIII À UNE RELIGIEUSE URSULINE 177

XLIX À UNE RELIGIEUSE URSULINE 179

L À UNE RELIGIEUSE URSULINE 180

LI À LA MÈRE DE SIRY 181

LII À LA MÈRE DE SIRY 182

CXLI À UN PÈRE JÉSUITE, SON AMI INTIME 184

LIII À UNE RELIGIEUSE/1 188

LIV À UNE SUPÉRIEURE URSULINE 192

LV À LA MÈRE DE SIRY 193

LVI À LA MÈRE DE SIRY 194

LVII À LA MÈRE DE SIRY 195

LVIII À LA MÈRE DE SIRY 196

LIX À LA MÈRE DE SIRY 199

LX À UNE DAME DE PIÉTÉ 201

LXI A UNE RELIGIEUSE URSULINE 202

LXII À LA MÈRE DE SIRY 204

LXIII À LA MÈRE DE SIRY 206

LXIV À LA MÈRE DE SIRY 207

LXV À UNE RELIGIEUSE URSULINE 210

LXVI À UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION 211

CVI À UNE SUPéRIEURE DE LA VISITATION 213

LXVII À UNE DEMOISELLE QU’IL NOMMAIT SA FILLE AÎNÉE 214

LXVIII À LA MÈRE DE SIRY 215

LXIX À UNE RELIGIEUSE URSULINE 217

LXX À UNE DAME MARIÉE 218

LXXI À LA MÈRE DE SIRY 219

LXXII À UNE DAME MARIÉE 221

LXXIII À LA MÈRE DE SIRY 222

LXXIV À LA MÈRE DE SIRY 224

LXXV À UNE RELIGIEUSE URSULINE 227

LXXVI À UNE DEMOISELLE 229

LXXVII À LA MÈRE DE SIRY 230

LXXVIII À UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION 232

LXXIX À LA MÈRE DE SIRY 234

LXXXI À UNE RELIGIEUSE URSULINE 235

LXXXII À LA MÈRE DE SIRY 237

LXXXIII À UNE DAME DE GRANDE PIÉTÉ 238

LXXXIV À LA MÈRE DE SIRY 239

LXXXV À UNE DAME VEUVE 240

LXXXVI À MADEMOISELLE DE GALLIFET/1 240

LXXXVII À LA MÈRE DE SIRY 242

LXXXVIII À LA MÈRE DE SIRY 244

LXXXIX À LA COMMUNAUTÉ DE MAMERS 247

XC À LA MÈRE DE SIRY 248

XCI À LA MÈRE DE SIRY 249

XCII À UNE DAME DE GRANDE PIÉTÉ 251

XCIII À UNE DAME VEUVE 252

XCIV À LA MÈRE DE SIRY 252

XCV À LA MÈRE DE SIRY 254

XCVI À LA MÈRE DE SIRY 256

XCVII À LA MÈRE DE SIRY 258

XCVIII À LA MÈRE DE SIRY 260

XCIX À LA MÈRE DE SIRY 264

C À LA MÈRE DE SIRY 267

CI À UNE DEMOISELLE D’APT/1 268

CII LETTRE DU R. P. MILLEY, JÉSUITE, AU P. SALOMON, PRÊTRE DE L’ORATOIRE 269

Jean-Pierre de Caussade 272

Lettres attribuées à J.-P. de Caussade 272

I. De 1675 à 1738 273

3. LES SOURCES LITTÉRAIRES 279

Une âme agitée Marie-Thérèse de Vioménil 284

Chapitre premier. MARIE-THÉRÈSE DE VIOMÉNIL 284

I. ESQUISSE BIOGRAPHIQUE 284

[...] 287

LETTRE PREMIÈRE 287

LETTRE 2 288

LETTRE 3 292

LETTRE 4 292

LETTRE 5 295

LETTRE 6 301

LETTRE 7 302

2. VERS LE RETOUR A NANCY 304

LETTRE 8 305

LETTRE 8bis 306

LETTRE 9 307

LETTRE 10 308

LETTRE 11 309

LETTRE 12 310

LETTRE 13 311

LETTRE 14 312

LETTRE 15 313

LETTRE 16 314

Chapitre III L’ACCEPTATION DES CROIX 316

LETTRE 17 317

LETTRE 18 319

I. LA CROIX DE LA MALADIE 321

LETTRE 19 321

LETTRE 20 327

LETTRE 2I 330

LETTRE 22 332

2. LES CROIX De LA VIE COMMUNE 333

LETTRE 23 333

LETTRE 24 335

LETTRE 25 336

LETTRE 26 338

3. LA CROIX DE L’EMPLOI 341

LETTRE 27 341

LETTRE 28 343

LETTRE 29 344

LETTRE 30 346

4. LES CROIX INTÉRIEURES 349

LETTRE 31 349

LETTRE 32 353

LETTRE 33 354

LETTRE 34 356

LETTRE 35 358

LETTRE 36 358

LETTRE 37 360

LETTRE 38 361

LETTRE 39 362

LETTRE 40 364

LETTRE 41 365

LETTRE 42 366

Chapitre IV LA PAUVRETÉ SPIRITUELLE 368

LETTRE 43 369

I. SENTIMENT DE SA MISÈRE 377

LETTRE 44 377

LETTRE 45 378

LETTRE 46 381

LETTRE 47 384

LETTRE 48 389

LETTRE 49 392

LETTRE 50 394

LETTRE 51 395

LETTRE 52 399

2. CRAINTES ET SCRUPULES 401

LETTRE 53 401

3. SÉCHERESSES ET OBSCURITÉS 402

LETTRE 54 402

LETTRE 55 403

LETTRF. 56 406

LETTRE 57 410

LETTRE 58 412

Chapitre V L’ABANDON DU PERE DE CAUSSADE 414

LETTRE 59 415

LETTRE 60 417

LETTRE 61 418

LETTRE 62 420

LETTRE 63 423

LETTRE 64 425

DEUXIÈME PARTIE. 428

DEUX ITINÉRAIRES MYSTIQUES : 428

Marie-Anne-Thérèse de Rosen et madame de Lésen 428

MARIE-ANNE-THéRÈSE DE ROSEN 428

Chapitre premier UNE ÂME D’ORAISON 430

I. L’ORAISON DE MÈRE MARIE-ANNE-THÉRÈSE DE ROSEN 430

LETTRE 65 431

LETTRE 66 434

2. UNE AMITIÉ SPIRITUELLE 436

LETTRE 67 436

LETTRE 68 438

LETTRE 69 441

LETTRE 70 443

Chapitre II L’ASCENSION MYSTIQUE DE MADAME DE LÉSEN 445

LETTRE 71 445

LETTRE 72 447

LETTRE 73 451

LETTRE 74 452

LETTRE 75 456

LETTRE 76 458

LETTRE 77 462

Chapitre III NUITS MYSTIQUES 466

LETTRE 78 466

LETTRE 79 468

LETTRE 80 473

LETTRE 81 479

LETTRE 82 481

Troisième partie 484

UNE GRANDE SUPÉRIEURE : LA MÈRE LOUISE-FRANÇOISE DE ROSEN 484

LETTRE 83 486

LETTRE 84 490

LETTRE 85 493

LETTRE 86 494

LETTRE 87 496

LETTRE 88 498

LETTRE 89 502

LETTRE 90 503

JEAN-PIERRE DE CAUSSADE 507

Lettres Spirituelles Tome II : plusieurs soeurs 507

AVERTISSEMENT 507

QUATRIÈME PARTIE SŒUR CHARLOTTE-ÉLISABETH BOURCIER DE MONTHUREUX 508

Chapitre premier MORS ET VITA 508

LETTRE 91 508

LETTRE 92 514

LETTRE 93 517

LETTRE 94 521

LETTRE 95 522

LETTRE 96 527

LETTRE 97 529

LETTRE 98 531

LETTRE 99 534

LETTRE I00 537

LETTRE 101 541

Chapitre II LA PAIX DE L’ABANDON 542

LETTRE 102 543

LETTRE 103 547

LETTRE 104 553

CINQUIÈME PARTIE SŒUR MARIE-ANTOINETTE DE MAHUET DE LUPTCOURT 556

Chapitre unique LA DIRECTION D’UNE ÂME SCRUPULEUSE 556

LETTRE 105 556

LETTRE I06 562

LETTRE I07 565

LETTRE 108 568

LETTRE 109 570

LETTRE 110 571

LETTRE III 575

LETTRE II2 580

LETTRE 113 581

SIXIÈME PARTIE SŒUR ANNE-MARGUERITE BOUDET DE LA BELLIÈRE 584

Chapitre unique LE REPENTIR D’UNE ÂME RELIGIEUSE 584

LETTRE 114 585

LETTRE 115 589

LETTRE 116 592

LETTRE 117 595

Ms. V. 31-33. R. II, 83 597

SEPTIÈME PARTIE SŒUR MARIE-HENRIETTE DE BOUSMARD & SŒUR JEANNE-ÉLISABETH GUOERRY 598

Chapitre premier LE PRIX DE LA CONTEMPLATION 598

LETTRE I18 599

LETTRE I19 601

LETTRE I20 604

LETTRE I2I 607

Chapitre II L’ORAISON DE RECUEILLEMENT 611

LETTRE I22 611

HUITIÈME PARTIE MÈRE MARIE-ANNE-SOPHIE DE ROTTEMBOURG & SŒUR CATHERINE-ANGÉLIQUE DE SERRE 615

Chapitre premier UNE ÂME SALéSIENNE 615

LETTRE I23 616

LETTRE 124 618

R. I, 276-277 621

R. I, 255-256 622

LETTRE I25 623

Chapitre II UNE VOCATION COMBATTUE 627

LETTRE I26 627

LETTRE 127 629

LETTRE I28 630

LETTRE 129 632

LETTRE 130 633

LETTRE 131 635

LETTRES INÉDITES 637

Chapitre unique UN ITINÉRAIRE MYSTIQUE 637

LETTRE 132 638

LETTRE 133 640

LETTRE 134 642

LETTRE 135 644

LETTRE 136 647

LETTRE 137 648

LETTRE 138 649

LETTRE 139 650

DIXIÈME PARTIE AVIS ET MAXIMES [omis] 651

Lettres de M. de Fleischbein au baron de Klinckowström (1763-1764) 652

Mystics of the North-East 669

PREFACE 669

INTRODUCTION. 671

1.I. FORERUNNERS. 671

2.II. MADAME GUYON, PIERRE POIRET, ETC. 674

3.III. RELIGIOUS CONDITIONS IN THE NORTH-EAST AFTER THE REVOLUTION. 681

4.XIII. THE LETTERS. 681

LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS, TO LORD DESKFORD. 685

I. FROM DR. JAMES KEITH To LORD DESKFORD. 685

II. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 688

III. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 690

IV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 692

V. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 694

VI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 696

VII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 698

VIII. [Ma chere et respectable M[ère] je vous rends graces cordiale… ] 699

IX. [Voila, mon cher Milor, ce que NM m'a dicté pour vous. Votre droiture, candeur, et simplicité luy font grand plaisir…] 702

X. [Tres venerable et bien aimée mere. Je sens un penchant de vous appeller ainsi…] 704

[CG I p. 442] 704

XI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 708

XII. [the first few lines being from Madame Guyon and referring to the death of Fénelon, while the rest is a private note from A. M. Ramsay to Lord Deskford] 711

XIII. The first part of this letter is from A. M. Ramsay to Lord Deskford, and the second is a short note dictated by Madame Guyon. 713

XIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD 715

XV. Ce que j'ay prétendu, Mr. a été de vous inspirer une Oraison Libres… 719

XVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 722

XVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 725

XVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 728

XIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 731

XX. COPY OF LETTER FROM MADAME GUYON TO DR. JAMES KEITH 734

XXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 737

XXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter of Pierre Poiret.] 739

XXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 744

XXIV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 746

XXV [Mon Cher Enfant ie ne scay si m f s qui va en vos cartiers aura la ioye de vous voir…] 748

XXVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 749

XXVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 751

XXVIII. short letter from the Marquis de Fénelon to Lord Deskford. 753

XXIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with a postscript by Patrick Campbell of Monzie.] 755

XXX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 758

XXXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 764

XXXII. [FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.] 769

XXXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 771

XXXIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 774

XXXV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with copy of letter from Madame Guyon to Dr. James Keith.] 776

XXXVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 780

XXXVII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, including extract from letter of A. NI. Ramsay describing the death of Madame Guyon. 782

XXXVIII. [FROM MARQUIS DE FÉNELON TO LORD DESKFORD, with postscript by A. M. Ramsay 784

XXXIX. LETTER FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD. 785

XL. [A very formal business letter from Dr. James Keith to Lord Deskford.] 785

XLI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 787

XLII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 790

XLIII. [to Lord Deskford, the first part from A. M. Ramsay, the second from the Marquis de Fénelon] 791

XLIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter from Otto Homfeld./1 793

XLV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 797

XLVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 799

XLVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 802

XLVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 803

XLIX. [The first part of this letter to Lord Deskford is from A. M. Ramsay, and the second from the Marquis de Fénelon.] 806

L. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 808

LI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 811

LII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 815

LIII. [LETTER FROM DR. GEORGE GARDEN TO LORD DESKFORD. 818

LIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 818

LV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 821

LVI. FROM PATRICK CAMPBELL /7 OF MONZIE TO LORD DESKFORD. 823

LVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 825

LVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 828

LIX. FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD. 832

LX. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 833

LXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 834

LXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 837

LXIII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 838

CORRESPONDENCE BETWEEN JAMES CUNNINGHAM OF BARNS AND DR. GEORGE GARDEN. 841

INTRODUCTION : THE FRENCH PROPHETS IN SCOTLAND. 841

I. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BASINS TO DR. GEORGE GARDEN. 850

II. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS. 860

III. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNS TO DR. GEORGE GARDEN. 874

IV.FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNES TO DR. GEORGE GARDEN. 889

V. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS. 891

[DT] Bibliographie 929

Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles 929

Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats 929

Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques 929

François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2017. 930

Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, 2016. 930

Listes de figures mystiques et autres influences 931

Liste de figures mystiques ayant connues le XVIIe siècle 931

Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie. 935

Autres influences exercées sur l’école du Coeur 938

Il s’agit de la mise en notes de fin de nos relevés en cours de révision. LO place les notes de fin ...à la fin mais sans pagination… 959

Soit ~26 pages A4 non numérotées 959

Passages relevés en vue d’une future anthologie 960




LIBRARIES.

Aberdeen Grammar School Library, Aberdeen.

Aberdeen Public Library, Aberdeen.

Aberdeen Town House, Aberdeen.

Anderson Library, 356 Clifton Road, Aberdeen.

Aberdeen University—Marischal College Library.

Aberdeen University—hing's College Library.

National Library of Wales, Aberystwyth.

New York State Library, Albany, N.Y., U.S.A.

Basel L niversitdts Bibliothek, Basel, Switzerland.

Birmingham Public Library, Birmingham.

Boston Public Library, Boston, Mass., U.S.A.

Cambridge University Library, Cambridge.

Harvard College, Cambridge, _Mass., U.S.A.

Newbury Library, Chicago, U.S.A.

Chicago University, Chicago, U.S.A.

Cleveland Public Library, Cleveland, Ohio, U.S.A.

Dundee Public Libraries, Dundee.

Dundee University College, Dundee.

Edinburgh Public Library, George IV. Bridge, Edinburgh.

Edinburgh Theological College, Rosebery Crescent, Edinburgh.

New Club, Edinburgh.

New College, Edinburgh.

Royal Scottish Geographical Society, Edinburgh.

Signet Library, Edinburgh.

University Library, Edinburgh.

The Abbey Library, Fort Augustus.

Baillies Institution, Glasgow.

Mitchell Library, Glasgow.

Glasgow Faculty of Procurators, 62 St. George's Place, Glasgow.

University Library, Glasgow.

Inverness Public Library, Inverness,

Liverpool Public Library, William Brown Street, Liverpool.

London Library, St. James's Square, London, S.W.

University Library, South Kensington, London, S.W. 7.

Chetham's Library, Hunt's Bank, Manchester.

John Rylands Library, Manchester.

Manchester Public Library, Piccadilly, Manchester.

Melbourne Public Library, Melbourne, Australia.

Michigan University, Ann .arbor, Michigan, U.S.A.

Nairn Literary Institute, Royal Bank, Nairn.

Nebraska University, Lincoln, Nebraska, U.S.A.

Newcastle-on-Tyne Public Library, Newcastle-on-Tyne.

Yale University Library, Newhaven, Connecticut, U.S.A.

New York Public Library, New York, U.S.A.

12 LIBR.4 RIES

Columbia University Library, 16 Broadway, New York, U.S.A.

Bodleian Library, Oxford.

Public Library (Sandeman), i6 Kinnoull Street, Perth.

Free Library of Philadelphia, Periodical Dept., Middle City Station, Philadelphia,

U.S.A.

University of Pennsylvania Library, 34th Street and Woodland Avenue, Phila-

delphia, Penn., U.S.A.

Princetown University Library, Princetown, New Jersey, U.S.A.

St. Andrews University Library, St. Andrews.

Hay Fleming Trust, c/o The Librarian, The University, St. Andrews.

Henry E. Huntingdon Library and Art Gallery, San Marino, California, U.S.A.

Stirling Public Library, Stirling.

Texas University Library, Austin, Texas, U.S.A.

Toronto Public Library, Toronto, Canada.

«Washington Library of Congress. Washington, U.S.A.

State Historical Society, Madison, Wisconsin, U.S.A.

Members of the Club are particularly requested to intimate to the Hon. Treasurer any alteration of address, designation, etc., so that the Roll may be kept up to date.


3.

r.}.W. Mitchell Smith, C.A., Glenburn Lodge, Rubislaw Den North, Aberdeen.

Miss M. Davidson Smith, 12 Carden Place, Aberdeen.

\V. Clark Souter, M.D., 9 Albyn Place, Aberdeen.

J. Mackie Spalding, Balquhidder, Murtle.

Major Alexander Stables, R.A.M.C., Drum Darragh, Forres.

Miss Julia C. Stewart, Drumduan, Banchorv-Devenick.

NV. Middleton Stewart, 45t Union Street, Aberdeen.

Rey. John Stirton, D.D., The Manse, Crathie, Ballater.

George Strachan, iS High Street, Nairn.

R. Gordon Strange, M.S., 2 Belsize Avenue, Belsize Park, Hampstead, London,

N.W. 3.

Miss M. R. Strange, Belsize Avenue, Belsize Park, Hampstead, London, Y.\\

T. R. Sutherland, 6 Upperkirkgate, Aberdeen.

Miss Mary Symon, Pittyvaich, Duiftown.

1-I. Bell Tawse, F.R.C.S. (Eng.), \Vymeswoid Hall, Loughborough.

Alistair N. Tayler, r8r Queen's Gate, London, S.W. ;.

Miss Henrietta A. H. Tayler, 1ST Queen's Gate, London, S W. 7.

Hon. Mrs. Percy Thesiger, 25 Cranley Gardens, London, S.W.

D. C. Thomson. 22 Meadowside, Dundee.

Sir F. C. Thomson, Bt., _M.P., S Egerton Place, London, S.W. 3.

Leslie G. Thomson, F.S.A. Scot., Inglewood, TS Hermitage Drive. Edinburgh.

James F. Tocher, D.Sc., 1; Carden Place, Aberdeen.

Miss M. C. Tocher, 37 Cromwell Road. Aberdeen.

Sir Geo. A. Touche, Bt., Broomfield, Westcott, nr. Dorking.

Mrs. Trail. LL.D., Sr High Street, Old Aberdeen.

Mrs. Turner, hinharrachie, Ellon.

Rev. Andrew Tweedie, Manse of Maryculter, Militimber.

Francis J. Valentine, Nyaunghla, Upper Burma.

Alexander Walker, F.S.A. Scot., 424 Great Western Road, Aberdeen.

James F. Walker, M.A., _.l Rubislaw Terrace, Aberdeen.

F. L. Wallace, 24 Park Lane, London, W. T.

David M. Watt, J.P., " Ross-shire Journal," Dingwall.

Lt.-Col. E. W. Watt, T.D.,M.A., Glenburnie Park, r3 Rubislaw Den North,

Aberdeen.

Rt. Rev. Lauchlan MacLean Watt, D.D., i Athole Gardens, Glasgow, W. 2.

Theodore Watt, M.A., ro Moray Place, Aberdeen.

Rey. James Waugh, L'.D., 4) Elmbank Terrace, Aberdeen

William Will, 23 Oakwood Court, Kensington, London, W.

Sir Robert Williams, Bt., LL.D., of Park, Drumoak.

William Williams, M.A., Netherdale, Bieldside.

Charles Williamson, C.A., 98 Queen's Road. Aberdeen.

Rev. W. S. Wilson, St. John's Rectory, 'Llloa.

Frederick Wishart, 193 Great Western _ oad, Aberdeen.

D. Wyllie & Sori, 247 Union Street, Abc rdeen.

John Young, J.P., Crombagh, Inverne's.

William Young, I Belmont Street, Aberdeen.

Miss _Mary Vunnie, g Holburn Street, Aberdeen.LIST OF MEMBERS LIBRARIES

Will. 179 and n.

Sully, Duchesse de, 130 and n., 159.

Sunderland, Earl of, 72, 136 n., 172 n., 177 and n.

Surin, J. J. ; and Works of, 15, 41, 46, no and n., 148 and n., 151, 190.

Swift, Jonathan, S9, 70.

T., L., III, 127.

- Mrs., 104.

Tauler, 17, 35, 38, 67, 116 n., 15o n., 161 n.,

212 and n.

Teresa, Saint, 13, 15. 35, 41, 231

Theologia Germanica, 17, 41.

Topham, Ann (French prophet), 193. Townshend, Lord. 135 and n. Turner, Mary (French prophet), 193.

VAILLANTE, I?4 I1., 177 and n.

Voenius, 117, 125 and n., 130, 534. 137, 139-

WALPOLE, Robert, 72, 136 and n.

Waterland, Dr. ; Sermons, 167 and n., 168, 188 n.

Wetstein (firm, J. H., T. L., etc.), II, Id, 34, 35 n., 61, 73, 117 and n., 124 and n., 125 n., 134, 155, 170 n.

Whichcote, Bishop ; Sermons, 158 n. Whitrow, 216 and n., 217, 218.

Wodward, Josiah, 5i.

Woodhouse, John, 176 and n., 180.

YOUNG (poet), 178 n.

ZINCKE (painter), 178 and n., 179 n., 182

266

267


Mr., 94 and n.

Spence, Mr., 201 and n. St., Mrs., 207 and n., 235.

Stanhope, Lord, 72, 135 and n.

Stevenson, R. L., Travels with a Donkey, '9'.

Strachan, Alexander (Sandy), J3, 97 and n. Stuart (bookseller), 125 and n.

- Patrick, Bishop, 44.

Seaficld ; v. Findlater.

Shand, P. (shipmaster), 162 and n.

Sharp, Archbishop James, 198.

Smith, John ; Select Discourses, loc. n.,

195.

- Francis, 24, 56, 135 and n., 175 n. Ruddiman, Thomas (grammarian), 108 n.,

125 n., 128 and n., 139, 150, 154, 157, 162. Ruysbroeck, i io and n., 112 n., 211 and n.,

247 and n., 259.

SAULIEU, Saint, 218 and n.

Scaresdalc, Lord, 123 and n.

Scougall, Henry ; and Works of, is, 13 and n., 32, 33, 37, 41, 44, 93 n., 195.

- James, of Auchiries, 46, 97 n., 128 n., 197.

Olier, J. J., 15, 41, 74 n., 133 n.

Oxford, Earl of, 57, 58, 64. 70, 71, 93 and n., 99, 104 and n., 106 and n., 110, 135 and n.,

136 n., 140, 144, 145. PARKER, 155 and n., 156. Pascal, 35. 37, 46, 51, 260. Pedder, Mrs., 132 and n. Pell, 505 and n., 106.

Penn, William, 70.

Pères, Les vies des saintes, (de vitis patru?H),

41, Io6 n.

Petrucci, Cardinal, 211 and n.

Philadelphians, 52, 59, 102 n., 17o n.

Pitsligo, Alexander, 4th Lord Forbes of, IS, 20, 30, 31, 39. 44 ff .. 45 n., 46 n., 48, 54 f., 58. 71, 75. 84 and n., 97 n., 102 n., 123 and n., 131 and n., 135 and n., 139, 140, 151, 155 and n., 16o and n., 165 and n., 166 n., 17o n., 193 and n., 194. 197. 198, 202, 235.

Poiret, Pierre ; and Works of, 14 and n., 16 f., 20, 21, 32, 37, 41, 45, 47, 48, 51, 53, 54, 58, 60. 67, 75 and n., 88. loi n., 102 n., I04 n., 116, 119 n., 124 n., 132, 144, 150, 151, 152, 154, 159, 166 n., 167 and D., 170 n., 174, 177 n., 579 n.. 581 n., 182 n., 189 and n., 199, 221, 230 n., 233 and n., 234, 240 f.

Polwarth, Lord, 536.

Pope, Alexander (poet), S9. 66, 7o. Popham, Mrs., 178 and a.

Pordage, Dr., 6o, 102 n.

Pow is, Lord, 123.

Pretender. the Old, 29, 31, 50, S4, 70. Prophets, French, 89 and n., 191 L

QUAKERS, 37, 218, 234, 255. 256.

Quietism, Quietist, 14. 16, 17. 36 n., 44. 48. 67, II0 n., I32 n., 161 n., 198, 210, 215 and n., 248.

RAMSAY, Allan (poet), 77 n.

- Andrew Michael, 18, 19, 20, 29, 31, 39, 41. 42. 45. 47. 49. 51 ff-. 55. 66. 72, 75, 77. 80. 82, 83, 84, 85, 88, 92 and n., 94. 96. 97 n.. 98. 102 and n.. 113, 115, 159 n., I24, I25, 126, I28, 130, 133, 136 f., 139, 141, 143, 146 and n., 147, 148, 150, 151, 152. 153, 154. 157. 159. 160, 162, 164, 165 and n., 167, 175, 183, 184, 187 n., 589 and n., 194, 197, 199, 201, 207, 231.

Life of Fénelon (Vie de Fénelon),

14 n., 18, 41, 51, 53, 54. 59. 179 n., 184 and n., 189 n.

- - Philosophical Principles, 45, 54, 184 n.

- - Travels of Cyrus (Voyager de Cyrus) , 51. 54, 67, 187 n. Raymund de Sabunde, 45, 183 and n_

Renty, M. de, Life of (Vie de), 13. 15, 35, 51, 74 n., 83 11., I00 n., 112 n., 120 164 11.

Richardson, Samuel (novelist), 66. Rosehearty, 33, 45, 53, 97 n.

Ross, Alexander, 175 and n., 579, 182.

- George, 148 and n., 155 and n., 156, Ibo.

- Sir Patrick, 20, 31, 58, 67, 68 f., 91, 99, no, 0, I 15, 116, 119, 121, 123, 167, 177.

NALSON, Valentine, 162 n., 164 n., 169 n., 170 n., 174 n., 181 and n., 182 and n.,

188 and n.

Nelson, Robert, 59, 167 n., 170 n. Nicholas, Armelle, Life of, 41, 46, 51, 197. Nutt, Guy (French prophet), 193.

OCKLEY, Samuel, 41, 59.

Ogilvie, of Rothiemay, 169 and n.

- 187 n., 188, 190, 207 (?), 235 and n (?). Montrose, Duke of, Io6 and n., 136 and n. Moore, Alexander, 29, 30, 53, 235 and n (?). More, Henry (Cambridge Platonist), 41, 51. Moult, John (French prophet), 193. Murray, James, 123 and n.

-

.

Mongomery, William, Io8 and n., 123, 124. Monro, William (bookseller), 41 n., 125 n., 165 n., 169, 170 n., 171, 178, i So, 183,II2

Metternich, Baron von ; and Works of, 41, 45, 52, 68, 102 and n., 141, 160, 199, 222, 226, 229, 242.

Middleton, Principal George, 26, 31, 58, 62, 120 n., 131 and n., 175 n.

Mirror of Simple Souls, 112 n., 163 n. Molinos ; and Spiritual Guide of, 15 and n.,

35, 76 n., 132 n., 160 n., 161 n., 164 n.,_Margaret (French prophet), 194. Mackie, George (factor), 129 n., 168 and n. Maitland, Charles (surgeon), 59, 175 n. Mar, Earl of, 29, 30, 35, 47, 50, 58, 64, 78,

32 and n., 106 n., IIS n.

Marion, Elias (French prophet), 192, 215. Marlborough, Duke of, J9, 72, 177 n., ISo and n.

Marsay, 67.

Mary, Blessed, of the Incarnation, 249, 250 and n.

Mason, Mr., 218 and n.

Mead, Dr., 59, 167 and n., 16S.

Methuen, Paul, 135 and n.

-

Lopez, Gregory ; Life of, 41, 132 and n., 134 and n., 137 and n., 139. Louis de Granada, iio and n.

MACARIUS, 41, 46, 155 n., 169, 170 n. Mackenzie, Henry (the man of Feeling), 144 n.


INDEX

7th Earl of, 70, 175 and n., 180 ; v. also Dupplin, Lord.

Knight, Dr. James, 41, 59, 149, 152, 155, 156, 16o and n., 270 n., 171 and n., 279, 188 n.

LACY, John (French prophet), 192, 205,

2I5.

Law, William, 66 f.

Lawrence, Brother ; Presence of God, 15,

67, 76 n., 189 and n.

Leade, Jane, 102 n.

Lee, Dr. Francis, 59.

Leighton, Archbishop, 13, 51.

Lister, Mr., 98 and n., 99, 118.

Lithgow, 202 and n.

Locke, John (philosopher), 155 n.

265 78 and n., 81 and n., zoo and n., Io6

and n., 109 n., iio, 119, 123, 275 n.

-

King, Anna Maria (French prophet), 193. Kinnoull, 6th Earl of, 31, 42, 43, 58, 69, 71,

35, 37, 41, 51, 74 n., 116 n., 125 n., 264 n., 187 n.

Kempis, Thomas à ; and Works of, 13, 17,

Robert (Bishop), 29, 52 f., 97 n., 119 and n., 123, 125 n., 287 n. Peter, 58.

- Mrs., 58, 99, III, I13, 143.

- John, Junior, 58, 141.

-- Dr. John, 44, 56.

ames, Junior, 58, 141.

-.TGeorge, 141.

- Elizabeth, 58.

- Anne, 58.

- - John, J9 n., 249 and n., 155 n. Keith, Dr. James, passim.

-- Divine Love, 76 n.

KEILL, Dr. James, 59, 149 n.


200 and n., 223, 240 and n., 244 f. Johnson, Samuel, 66.

Julian of Norwich, Saint ; Revelation of

Sir Thomas, 58, 77 and n., I16, 121, 123, 167 and n., 168, 203 n.

Hugo, Hermann ; Pia Desideria, and Emblems, 41, 5 1, 84 and n., r 17 and n.,

125, 130, 234, 137. 139.

Hume, David (philosopher), 102 n., 128 n.

IGNATIUS, Saint, 222. 43, 70,

Innys (publishers), 179, IS8 and n. Inverness, Earl of (John Hay), 31, Ioo and n.

Ireland, Mrs., 202 and n., 207. Islay, Earl of, 206 and n., 145.

JANSENISTS, 112 and n.

John of the Cross, 15, 20, 35, 67, 161 n., 199, 284 and n., 189 and n.

Hope, Sophia : v. Deskford, Lady.

-

159, 170 n.

Hooke, Nathaniel (younger), 59, 67, 177 n.,

Mr., 181 and n.

Hayes, 131 and n.

Haywood, 16o and n., 179 n.

Heylin, John, 41, 189 and n.

Hilarius Theomilus, 102 n. : v. Metternich,

B. of.

Hilton, Walter ; Scale of Perfection, 16o n.

Hobbes, Thomas, 174 n.

Hog, James, of Carnock, 196.

Homfeld, Otto, 117 and n., 124. 138, 154, v. also Aberdeen, Earl of.

Haley, Andrew, 123.

Handel (composer), 70.

Hay, John ; v. Inverness, Earl of.

-

- Opuscules spirituels, 41, toi n., 165 n., 182 n., 233 and n.

Poésies spirituels (Cantiques), 41, 48 and n., 174, 175 n., 177, 178. Reunion, de la, Ica and n.

Short and Easy Method of Prayer (Moien Court), 15, 46, 182 n., 197 ; quoted 83 n., 130 n., 133 n., 161 n.

Torrents, 15, IOI and n. ; quoted 83 n.

HADDO, Lord, 58, 75 and n., 104, 109, 140 ;- - Life of, 14 n., 41, 46, 47, 54, 76 n., I14 and n., 132, 133 n., 154, 158, 159, 162, 164 and n., 165 n., 166 n., 189 n., 190 n.

- - Lettres, 41, 74 n., 109 n., 125, 130, 134, 137, 139, 144, 146, 151, 154 and n., 157 ; also quoted in footnotes passim.

- - Justifications, 41, 165 n., 167 and n., 169 and n., 173 and n.

- - Instruction from a Mother to a Daughter, 167 n.

- - Discours, 41, 42, 48, 74 n., 109 n., I14, 117, 122, I24, I27, 131, 138 ; also quoted in footnotes passim.

- - Commentaires sur le N.T., 41, 75 n. 41, 75 and n., 79, 82, 130.

- - Apologie pour le .Mien Court, 182 n.

- Kennet, 195.

Grammont, Maréchale de : v. Guiche. Grotius, Hugo, 155 n.

Guiche, Mme. la D. de, 162 and n.

Guyon, Madame, passim.

v. also Pedder, Mrs. Gel -y, James, 162 and n. George, King, I, 28, 59, 72, 138, 156. Gibson (painter), 278 and n.

Gillenberg, 14o and n.

Glover, John (French prophet), 193.

264

Gordon, Alexander, 2nd Duke of, 153 and n., 2S4 and n., 156.

- William, 179 and n.

- Margaret, 33, 120 n.

- James, Junior, 60.

- - James ; and Works of, xi, 13 and n., 14, 17, 20, 26, 29, 51, 61 ff., 65 n., 71, 78, 80, 81, 82, 84, 85, 104 n., 117 and n., 120 n., 131, 167 n., 170 n.

-- Dr. George ; and Works of, It, 13, 17• 20, 24, 26, 27, 28, 29, 30, 32 ff., 44 f., 47. 50, 51, 53, 58, 6o, 61, 63 n., 71, 75, 78, 79, 8o, 8i, 82, 85, 97, I00 n., 104 n., 109, 114, 117 and n., I18 n., I19 and n., 120 and n., x23, I24 and n., 131 and n., x34, 139 and n., 143, 147 n., 151, '55 and n., 16o and n., 165 n., 17o n., x73 and n., 175, 179 and n., 181, 182 and n., 186 and n., 144, 196, 197, 198, 202 n., 209 and n., 217 and n., 232 n., 255 n.

162 and n.

- - Sales ; and Works o!, 15. 20. 35• 41, 52, 1Io and n.. 150 n., 16t n., 249.

Freke, Mr., 59.

GARDEN, Alexander, of Troup, 134 and n.. 140, 179 n.

- - -William, 13th Lord Forbes, 47, 58, 99, 118 and n., 123 n., 127 and n.

14th Lord Forbes, 20, 31, 45 n., 46 ff.,49 and n.,72,82 and n..84.91. 92 and n., 95, 97, 102, 113, 115, II8, I21, I23 and n., I24, 126, 132 and n., 134, 140 and n., 141, 143 n., 144, 146, x51, 152, 156, 157 and n., 158, 159, 161, 162, 163, 164, 167, 170 n., 175, 176 and n., 178, 180, 189 and n., 197, 198, 207.

Francis, Saint of Assisi, 93 n.

- Master of : v. Forbes, William, 24th Lord Forbes.

- John, of Corse ; and Works of, ix and n., 12, 26, 32, 34, 51, 119 n.

- of Caprington, 58, 122 and n., 124, 13S.

Forbes, James (afterwards 16th Lord Forbes), 20, 31, 39, 46 ff., 72, 72, 82 n., 97 n., IO2, I04, 106, I08, 109, III, 113 and n., 124, 118 and n., 223 and n., 131 n., 234, 139 and n., 143 n., 246 and n., 148, 25o and n., 251, 152, 154, 156, 157, 158, 161, 162, 270 n.

- Robert, 99, 105 and n., III, 131, 152.

- Ludovic, io8 n.

Dupplin, Lord, 20, 31, 57, 58, 69 f., 71, 78 and n., 84 and n., 91 and n., 93, 99, 104, 106 and n., no and n., 123 and n., 140, 144, 158. V. also Kinnoull, 7th Earl of.

Dutton, Thomas (French prophet), 193, 194 n., 195, 215.

Cunningham, Margaret, 199.

- John, io8 n.

- Andrew (watchmaker), 90 n., 108 and n., 128 n., 144.

- Lord, 74-190 passim, and 19 f., 31, 39 ff.,

45, 58, 60, 67, 68, 71, 72, 199, 203 n. Dionvsius, the Areopagite, 112 n., 2 7o n. Douglas, Prof. William, 208 n. Drummond, of Hawthornden (poet), 198. Dun, Lord, 187 and n.

Dunbar, Sir James, of Durn, 20, 31, 186 and n.

Dunlop, Alexander, io8 n.

- (Sophia Hope), 43, 186 n.

- - Countess of, 39 f., 57. Fissec, :Mlle, 2II and n., 113.

DAVIDSON, Alexander, of Newtoun, 31, 124 and n., 141 and n.

Deskford, Lady (Elizabeth Hay), 74-190 passim, and 31, 43, 60, 70, 72.

-

- 6th Earl of, 122 and n.

- Marquis de, 19 f., 42, 95 and n., 125, 136, 137, 147, 153, 159, 264, 165 n., 183.

Findlater, 4th Earl of, 40, 64, 76 and n., 78, 82 and n., 87 n., 90 n., 93 n., 204, 129 n., 132 n., 149 and n., 171, 172 n., 175 n., 178 and n., 18o, 282 and n.- - William, 76 and n. Ernes, Dr. T., 192, 197.

FAC1o, Mr., 215.

Fage, Durand (French prophet), 192.

Falconer, Mr., I'S and n., 131, 234.

Fénelon, Archbishop ; and various Works of, 15, 18 f., 41, 45. 46,48, 49, 52, 53, 54. 74 n., 76 n., 79 n., 83 n., 94 and n., 95, 96 and n., Ioo n., IIo n., 112 n., 1 13 n., 125, 126, 134 and n., 146 and n., 148, 15o and n., 151 and n., 152, 153, 154, 155 and n., 157, 159 and n., 16o n., 262 and n., 263 n., 164 and n., 165 n., 167 and n., 168, 279 n., 182 n., 183 n.


-

ECKHART, Meister ; Sermons, 133 n. Ellvs, Sir Richard, 76 n.

INDEXJohn, of Barns, 598.

263 James, Of Barns, 20, 31, 71, 516 and n., 128 and n., 134 and n., 139, 195 ff.

-•

- Helen, 599 41.

Cummin, George, of Pitullie, 46. Cunningham, Alexander, of Barns, 598.

-

Lord, 145 and n.

Cudworth, Ralph (Cambridge Platonist), -

(of Sauve), 192.

Cheyne, Dr. George, 2o, 41, A and n., 59, 65 $., 75, 76 and n., 78, 8o, 94 and n., 99, 504 and n., 114, 135, 138, 139, 141, 144, 155, 158, 16o, 165, 177 n., 185 and n., 193, 598, 203.

Combe, Père de la ; Instruction, 179 and n., 181 and n., 188 and n.

Cook, J. ; and P., 135 and n., 137.

Cowper, William (poet), 175 n. -

Patrick, of Monzie, 5.3, 67 if., 99, xo8, 109, III, II5, I18 and n., 120, I24, 126, 128, 131, 134, 138 and n., 139, 141, 177, 181, 187 (?).

Carstares, William, 64.

Cassian, 199, 231 and n., 259.

Catherine, Saint, of Genoa, 45.

Cavalier, Jean, 191 f.

- Sir James, of Ardkindlass, 108 and n.

- n., 579 n., 182 and n., 183 n.

Wm., Kinross, 77 n.

Bulkeley, Sir Richard, 192, 203 n., 215 n., 216 and n.

Burnet, Bishop Gilbert, 13, 26, 85.

CADOGAN, General, 72, 180 and n.

Calder, Robert, 195.

Camisards, 191 f. 197.

Campbell, Bishop Archibald, 33, 45, 58, I2o - -

n., 90. -

Arbuthnot, Dr. John, 57 f., 59, 93 n. Argyll, Duke of, 72, 136 and n., 145. Arsenius, io6 n. Atterbury, Bishop, 72, 185 n.

Augustine, Saint ; and Works of, 12, 35, 37, 16o n., 564 n., 199, 214, 231 and n., 253, 254 f., 258.

BAILLIE, George, 94 and n., 123 and n. Baird, Mary, 197, 225 n.

Baker, Father Augustine ; Holy Wisdom (Sancta Sophia), etc., 83 n., zoo n., IIO n., 116 n., 133 n., 547 n., 161 n., 164 n., 582 n., 193, 194, 199, 200 and n., 210, 222 and n., 224.

Bathurst, Lord, 123 and n.

Bayne, Alexander, 77 and n.

Bernard, Saint, 35, 243 and n., 244. Bernier, 67.

Bertôt, 67.

Blake, William, 4o, 93 and n., 131, 134, 138, 139, 144. 155.

Blosius ; and Works of, 181 n., 182 and n. Boehme, Jacob, 67, 199, 205, 218, 220, 232 and n.

Bolingbroke, Lord, 71, 99 and n.

Bossuet, 15, 19.

Boston, Thomas, 76 n.

Bourignon, Antoinette ; and Works of, 13, 14.17, 32, 35. 37.38.45.46, 53,6o, 103 n., 117 n., 125 n., 55o and n., 163 n., 17o n., 186 and n., 198, 199, 203 n., 209, 214, 217, 220, 226, 232 and n., 233, 243. 246, 247, 255, 256, 262.

Bourignonism, Bourignonists, 35, 36, 37, 38, 47, 53, 65, 82, 97 n., 193, 596, 230. Bruce, Sir T. ; V. Hope, Sir T.

- George, 23, 63.

Angela de Foligno ; and Works of, 45, 599, 224 and n.

Anne, Queen, J9, 64, 65, 71, 77, 81, 85 and



INDEX



ABDAS, Bishop, 112 n.

Abden, Lady, 194, 201, 203, 213, 217, 249, 260.

Abercromby, Alex., of Glassaugh, 90 n., 132 and n., 141, 544, 151, 157, 158, 161, 163, 164 and n., 169 and n., 17r, 172 and n., 175, 185, 186, 1S7 n.

Aberdeen, znd Earl of, 75 n., 175 and n., 185. V. also Haddo.

Acarie, Madame, 25o and n.

Albicerius, 214, 232.

Allardice, Lady Ann, 166 and n.

Anderson, Prof. David, 63, 64.




[DT] Bibliographie



limitée aux sources utilisées pour les correspondances



P. Chrysostome de Saint-Lô

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’École du Pur Amour. Dossier de sources transcrites et présentées par Dominique Tronc. Lulu.com, 2017

Monsieur de Bernières

Jean de Bernières, Lettres et Maximes mystiques, Un florilège

Jean de Bernieres et l’Ermitage de Caen, une école d’oraison contemplative au XVIIe siècle, I II, [éditeur Dom Éric de Reviers, o.s. b], Honoré Champion, sous presse [Intégrale de la Correspondance]

Monsieur Bertot

Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Éditions du Carmel, Toulouse, 573 p., 2005.

Les Oeuvres mystiques de Jacques Bertot, I II III, Lulu, 2020.

Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles

Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la première fois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]

Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats

Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier » utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].

Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques

Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle


Disciples

François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2017.

Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, 2016.



Listes de figures mystiques et autres influences



Liste de figures mystiques ayant connues le XVIIsiècle

Table à consulter pour situer les figures mystiques, leurs rencontres possibles par un indice de probabilité (groupes d’appartenance).


Nom (Prénom) naissance-décès âge Groupe Appartenance


Anne de Jésus 1545-1621 76 9 c,F

Anne de Saint-Barthélémy 1549-1626 77 9 c,F

Brétigny (Jean Quintanadav.) 1556-1634 78 1

Gallemant (Jacques) 559-1630 71 1

Beaucousin (Richard) 1561-1610 49 1

Canfield (Benoit de —) 1562-1610 48 1 cp

Quiroga (Joseph de Jésus M.) 1562-1628 66 9 c

Ange de Joyeuse 1563-1608 45 1 cp

Coton (Pierre) 1564-1626 62 1 j

Isabelle des Anges 1565-1644 79 9 c,F

Marie de l’Incarnation (Acarie) 1566-1618 52 1 c,F

François de Sales 1567-1622 55 2

Saint-Samson (Jean de —) 1571-1636 65 c

Chantal (Jeanne de —) 1572-1641 69 2 F

Le Gaudier (Antoine) 1572-1622 50 j

Marie de Beauvilliers 1574-1657 83 1 b, F

Baker (David-Augustin) 1575-1641 66 4 b

Rubéric (Séverin) Apr.1625 r

Bérulle (Pierre de —) 1575-1629 54 1

Martial d’Étampes 1575-1635 60 cp

Marie de Valence (Teysson.) 1576-1648 72 F

Joseph du Tremblay (« Père J. ») 1577-1638 61 1 cp

Gregorio da Napoli 1577-1641 64

Madeleine de St-Joseph (de Font.) 1578-1637 59 1 c,F

Sandaeus (Maximilien) 1578-1656 78 9

Marie de Jésus (de Bréauté) 1579-1652 73 1 c,F

Marguerite d’Arbouze 1580-1626 46 b, F

Cambry (Jeanne de —) 1581-1639 58 4 F

Saint-Cyran (Duvergier de H.) 1581-1643 62 1

Vincent de Paul 1581-1660 79 5

Camus (Jean-Pierre) 1582-1652 70 2

Constantin de Barbanson 1582-1631 49 4 cp

Jaspart (Hubert) 1582-1655 73

Bourgoing (François) 1585-1662 77 1

Condren (Charles de —) 1588-1641 53 5

Jean-Evangéliste de Bois-le-Duc 1588-1635 47 9 cp

Lallemant (Louis) 1588-1635 47 5 j

Saint-Jure (Jean-Baptiste) 1588-1657 69 6

Catherine de Jésus 1589-1623 34 c,F

Marie des Vallées 1590-1656 66 6 F

Marillac (Louise de —) 1591-1660 69 F

Angélique Arnauld 1591-1661 71 3 F

Louise de Ballon 1591-1668 77 b, F

Agnès (Mère) 1593-1671 78 3 F

Chrysostome de Saint-Lô (Jean) 1594-1646 52 6 t

Chardon (Louis) 1595-1651 56

Falconi (Jean) 1596-1638 42 9

Rigoleuc (Jean) 1596-1658 62 5 j

Marie-Mad.de J. (de Bains) 1598-1679 81 5 c,F

Marie de l’Incarn. (du Canada) (Guyart) 1599-1672 73 c,F

Granger (Geneviève) 1600-1674 74 6 b, F

Surin (Jean-Joseph) 1600-1665 65 5 j

Eudes (Jean) 1601-1680 79 7

Bernières (Jean de —) 1602-1659 57 6 L

Victorin Aubertin 1604-1669 65 r

Noulleau (Jean-Bapt.) 1604-1672 68

Charlotte Le Sergent 1604-1677 73 b, F

Cyprien de la Nativité 1605-1680 75 c

Cluniac (Pierre) 1606-1642 5 j

Armelle (Nicolas) 1606-1671 65 F,L

César de Bus 1607

Aumont (Jean) (« Le vigneron ») 1608-1689 81 6 L

Civoré (Antoine) 1608-1668 60 j

Olier (Jean-Jacques) 1608-1657 49 5

Amelote (Denis) 1609-1679 70 5 j

Neuvillette (Madeleine de —) 1610-1657 47 5 F,L

Labadie (Jean de —) 161 061 674 64

Renty (Gaston de —) 1611-1649 38 7 L

Agnès de Jés.Maria (Bellefonds) 1611-1691 80 5 c,F

Hardouin de S.Jacques (Eloi) 1612 ? 1661 cp

Antoinette de Jésus 1612-1678 66 F

Louys (Épiphane) 1614-1682

Mectilde (Mère du St-Sacrement) 1614-1698 84 7 b, F

Laurent de la Résurrection 1614-1691 77 5 c

Maur de l’Enfant-Jésus 1615-1690 c

Guilloré (François) 1615-1684 69 j

Bourignon (Antoinette) 1616-1680 64 9 F

Blémur (Jacqueline Bouette de —) 1618-16967 -- 87 b, F

Moine (Claudine) 1618apr.1655 5 F,L

Hamon (Jean) 1618-1687 69 3 L

Claude Martin (dom) 1619-1696 77 7 b

Bertot (Jacques) 1620-1681 61 6

Barré (Nicolas) 1621-1686 65 5

Pascal (Blaise) 1623-1662 39 3 L

Boudon (Henri-Marie) 1624-1702 78 7

Bellinzaga (Isabelle)(« dame milanaise») 1624 9 F,L

Scheffler (Angelus Silesius) 1624-1677 53 9 L

Rancé (Armand-Jean de —) 1626-1700 74

Boniface Maes 1627-1706 79 9

Bossuet (Jacques-Bénigne) 1627-1704 77 5

Malaval (François) 1627-1719 92 8

Molinos (Michel de —) 1628-1696 68 8

Laurent de Paris 1631 cp

Enguerrand (Archange) 1631-1699 68 6 r

Le Gall de Querdu 1633-1694 61 7

Bon (Marie de l’Incarnation —) 1636-1680 44 8 F

Petrucci (Pierre-Matthieu) 1636-1701 65 8

Piny (Alexandre) 1640-1709 69 5

La Combe (François) 1640-1715 74 8

La Colombière (Claude de —) 1641-1682 41

Hélyot (Claude et Marie) 1644-1682 37 5 F, L

Poiret (Pierre) 1646-1719 73 9 L

Barclay (Robert) 1648-1690 42 9 L

Guyon (Jeanne-Marie) 1648-1717 69 6 F, L

Scougal (Henry) 1650-1678 28 9

Fénelon (François de —) 1651-1715 64 6

Honoré de Sainte Marie (dom) 1651-1729 78 5 c

Jean-François de Reims 1660 cp

Milley (François-Claude) 1668-1720 52

Caussade (Jean-Pierre de —) 1675-1751 76 6 j

Dutoit (Jean-Philippe) 1721-1793 72 6

Bernezay (Maximien de —) Apr.1686 r

Paul de Lagny cp

Pierre de Poitiers cp

Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie.

I. Avant 1700

Chrysostome de Saint-Lô (Jean) 1594-1646

Marie de l’Incarn. (du Canada) (Guyart) 1599-1672

Granger (Geneviève) 1600-1674

Eudes (Jean) 1601-1680 79 7

Bernières (Jean de —) 1602-1659

Charlotte Le Sergent 1604-1677 73 b, F

Aumont (Jean) (« Le vigneron ») 1608-1689 81 6 L

Renty (Gaston de —) 1611-1649 38 7 L

Louys (Épiphane) 1614-1682

Mectilde (Mère du St-Sacrement) 1614-1698 84 7 b, F

Laurent de la Résurrection 1614-1691 77 5 c

Maur de l’Enfant-Jésus 1615-1690 c

Pierre de Poitiers cp

Guilloré (François) 1615-1684 69 j

Blémur (Jacqueline Bouette de —) 1618-16967 -- 87 b, F

Claude Martin (dom) 1619-1696 77 7 b

Bertot (Jacques) 1620-1681 61 6

Boudon (Henri-Marie) 1624-1702 78 7

Bossuet (Jacques-Bénigne) 1627-1704 77 5

Malaval (François) 1627-1719 92 8

Molinos (Michel de —) 1628-1696 68 8

Enguerrand (Archange) 1631-1699 68 6 r

Bon (Marie de l’Incarnation —) 1636-1680 44 8 F

Petrucci (Pierre-Matthieu) 1636-1701 65 8

La Combe (François) 1640-1715 74 8

Poiret (Pierre) 1646-1719 73 9 L

Guyon (Jeanne-Marie) 1648-1717 69 6 F, L

Fénelon (François de —) 1651-1715 64 6

Milley (François-Claude) 1668-1720 52

Caussade (Jean-Pierre de —) 1675-1751 76 6 j

Dutoit (Jean-Philippe) 1721-1793 72 6

Bernezay (Maximien de —) Apr.1686 r


II. Après 1700.

Les figures très importantes sont en gras et importantes figurent en italiques.

1712 Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712

1714 Paul de Beauvillier 1648-1714

1715 François Lacombe 1640-1715

1715 François de Fénelon 1652-1715

1716 Duch.de Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641 ?-1716

1717 Madame Guyon (1648-1717)

1719 Pierre Poiret (1646-1719)

1726 Le Dr. James Keith (-1726)

1726 James Garden (1645-1726)

1731 Wolf von Metternich (-1731).

1732 Duch.de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

1733 Georges Garden (1649-1733).

1733 Duch.de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

1737+Isaac Dupuy >1737

1740 Pétronille d’Echweiler (1682-1740)

1743 Le « chevalier » Ramsay (1686-1743)

1746 Marquis de Fénelon 1688-1746

1748 Marie-Christine de Noailles, duch.de Gramont « la colombe » 1672-1748

1750 Marie-Anne de Mortemart -1750 [née Colbert]

1752 Jean-François Monod (1674-1752)

1761 James 16 th Lord Forbes 1689-1761

1764 Lord Deskford 1690-1764

1764 James Ogilvie, Lord Deskford (1690-1764).

1769 Gerhard Tersteegen (1697-1769)

1774 Frédéric de Fleischbein (1700-1774)

1774 Klinckowström (apr.1700?-1774), gentilhomme danois.

1793 Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793)

Autres influences exercées sur les mebresde l’école du Coeur

Marie des Vallées et Chrysostome oralement.

Bernières reconnu jusqu’à la fin du dix-huitième siècle (saisie du pasterur suisse Dutoit).

Mectilde au sein de son Ordre de bénédictines sur ses « filles ».

Bertot par ses « Traités » probablement issus de lettres (comme le Chrétien intérieur de son prédécesseur).

Guyon par la collecte de lettres publiée par ses disciples sans destinataires.

Poiret par ses éditions de mystiques distribuées en Europe.









TABLE DES MATIERES

Table des matières

1

Mystics of the North-East 2

PREFACE 2

INTRODUCTION. 4

1. I. FORERUNNERS. 4

2. II. MADAME GUYON, PIERRE POIRET, ETC. 7

3. III. RELIGIOUS CONDITIONS IN THE NORTH-EAST AFTER THE REVOLUTION. 14

4. XIII. THE LETTERS. 14

LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS, TO LORD DESKFORD. 18

I. FROM DR. JAMES KEITH To LORD DESKFORD. 18

II. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 21

III. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 23

IV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 25

V. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 27

VI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 29

VII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 31

VIII. [Ma chere et respectable M[ère] je vous rends graces cordiale… ] 32

IX. [Voila, mon cher Milor, ce que NM m'a dicté pour vous. Votre droiture, candeur, et simplicité luy font grand plaisir…] 35

X. [Tres venerable et bien aimée mere. Je sens un penchant de vous appeller ainsi…] 37

[CG I p. 442] 37

XI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 41

XII. [the first few lines being from Madame Guyon and referring to the death of Fénelon, while the rest is a private note from A. M. Ramsay to Lord Deskford] 44

XIII. The first part of this letter is from A. M. Ramsay to Lord Deskford, and the second is a short note dictated by Madame Guyon. 46

XIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD 48

XV. Ce que j'ay prétendu, Mr. a été de vous inspirer une Oraison Libres… 52

XVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 55

XVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 58

XVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 61

XIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 64

XX. COPY OF LETTER FROM MADAME GUYON TO DR. JAMES KEITH 67

XXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 70

XXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter of Pierre Poiret.] 72

XXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 77

XXIV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 79

XXV [Mon Cher Enfant ie ne scay si m f s qui va en vos cartiers aura la ioye de vous voir…] 81

XXVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 82

XXVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 84

XXVIII. short letter from the Marquis de Fénelon to Lord Deskford. 86

XXIX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with a postscript by Patrick Campbell of Monzie.] 88

XXX. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 91

XXXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 97

XXXII. [FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD.] 102

XXXIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 104

XXXIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 107

XXXV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, with copy of letter from Madame Guyon to Dr. James Keith.] 109

XXXVI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 113

XXXVII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD, including extract from letter of A. NI. Ramsay describing the death of Madame Guyon. 115

XXXVIII. [FROM MARQUIS DE FÉNELON TO LORD DESKFORD, with postscript by A. M. Ramsay 117

XXXIX. LETTER FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD. 118

XL. [A very formal business letter from Dr. James Keith to Lord Deskford.] 119

XLI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 120

XLII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 123

XLIII. [to Lord Deskford, the first part from A. M. Ramsay, the second from the Marquis de Fénelon] 124

XLIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. Includes an extract from a letter from Otto Homfeld./1 126

XLV. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 130

XLVI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 132

XLVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 135

XLVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 136

XLIX. [The first part of this letter to Lord Deskford is from A. M. Ramsay, and the second from the Marquis de Fénelon.] 139

L. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 141

LI. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 144

LII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 148

LIII. [LETTER FROM DR. GEORGE GARDEN TO LORD DESKFORD. 151

LIV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 151

LV. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 154

LVI. FROM PATRICK CAMPBELL /7 OF MONZIE TO LORD DESKFORD. 156

LVII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 158

LVIII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 161

LIX. FROM A. M. RAMSAY TO LORD DESKFORD. 165

LX. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 166

LXI. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 167

LXII. [FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD.] 170

LXIII. FROM DR. JAMES KEITH TO LORD DESKFORD. 171

CORRESPONDENCE BETWEEN JAMES CUNNINGHAM OF BARNS AND DR. GEORGE GARDEN. 174

INTRODUCTION : THE FRENCH PROPHETS IN SCOTLAND. 174

I. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BASINS TO DR. GEORGE GARDEN. 183

II. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS. 193

III. FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNS TO DR. GEORGE GARDEN. 207

IV.FROM JAMES CUNNINGHAM OF BARNES TO DR. GEORGE GARDEN. 222

V. FROM DR. GEORGE GARDEN TO JAMES CUNNINGHAM OF BARNS. 224

[DT] Bibliographie 263

Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles 263

Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats 263

Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques 263

François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2017. 264

Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, 2016. 264

Listes de figures mystiques et autres influences 265

Liste de figures mystiques ayant connues le XVIIsiècle 265

Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie. 269

Autres influences exercées sur l’école du Coeur 272

276

Il s’agit de la mise en notes de fin de nos relevés en cours de révision. LO place les notes de fin ...à la fin mais sans pagination… 277

Soit ~26 pages A4 non numérotées 277

Passages relevés en vue d’une future anthologie 277



























Table des matières

1

Mystics of the North-East 2

PREFACE 2

INTRODUCTION. 4

LETTERS OF JAMES KEITH, M.D., AND OTHERS, TO LORD DESKFORD. 18

CORRESPONDENCE BETWEEN JAMES CUNNINGHAM OF BARNS AND DR. GEORGE GARDEN. 174

[DT] Bibliographie 263

Listes de figures mystiques et autres influences 265

Liste de figures mystiques ayant connues le XVIIsiècle 265

Liste chronologique de membres ou de sympathisants de la Voie. 269

Autres influences exercées sur l’école du Coeur 272

282

Passages relevés en vue d’une future anthologie 283





© 2021.

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Ce travail est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International. - This work by Dominique Tronc is licensed under CC BY-NC-ND 4.0. To view a copy of this license, visit https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0

fin



Garamond 10 pts gras /maigre – interligne simple ( i 0,38 Bertot > - 20 pages = appliqué !)



Pour l’instant pour étude...



Il s’agit de la mise en notes de fin de nos relevés en cours de révision. LO place les notes de fin ...à la fin mais sans pagination…

Soit ~26 pages A4 non numérotées 518



D’où une grand total de 640 +~ ? = ~700 pages A4 pour <800 permises



Passages relevés en vue d’une future anthologie

1 « Petite » duchesse parce que cadette des duchesses de Chevreuse et de Beauvillier. Mais consciente et fière de sa famille, par fois raide, car d’un fort tempérament : elle n’hésitait pas à provoquer certains à la Cour en allant sans se cacher rendre visite à « l’exilé » de Cambrai.

2 Fénelon, Correspondance, Tome XVIII, Suppléments et corrections, par Jacques Le Brun, Bruno Neveu (+) et Irénée Noye [ce dernier a assuré l’essentiel du travail], Genève, Droz, 2007.

Le modeste sous-titre de Suppléments et corrections voile l’intérêt très exceptionnel de ce dernier tome : en effet il présente en partie centrale la séquence chronologique des Lettres spirituelles, en donnant les références de celles qui furent publiées dans les tomes précédents à leurs dates attestées ou estimées, et surtout en les complétant par de nombreuses lettres ou fragments. Il s’agit dans ce dernier cas des merveilles choisies et publiées par le cercle des disciples en 1718 sans dates ni nom de destinataires : elles n’avaient donc pas trouvé leur place dans l’édition critique des dix-sept tomes précédents qui respectait très rigoureusement la chronologie et excluait de ce fait toute lettre ou fragment non daté. Fénelon, dont la plus grande partie des écrits si appréciés au XVIIIsiècle a quelque peu vieilli, demeure ici très vivant par le cœur intemporel de son œuvre. Car ce très grand directeur spirituel est un mystique qui analyse sans concession, mais avec grande finesse et complétude le domaine intérieur profond le plus souvent demeuré caché, même aux plus grands moralistes du XVIIsiècle, puisqu’il suppose, outre des qualités d’introspection, le travail à plus grande profondeur opéré par la grâce.


3 Les Années d’épreuves de Madame Guyon…, Honoré Champion, 2009.

4 Je fais suivre ces extraits de mon Madame Guyon, Correspondance II, Combats des notes intercalées en petit corps dans le fil du plein texte. Elles sont attachées aux renvois par lettre (renvois 1 à 6 pour cette lettre n° 136).

5 Il y avait donc eu une réconciliation entre la duchesse et les guyoniens « indociles » après la brouille qui remplissait la correspondance des années précédentes… [O]

6 Mme de La Maisonfort se trouvait alors près de Saint-Denis et dom Lamy lui transmettait les lettres de Fénelon. Le bénédictin étant mort le 11 avril 1711, il est naturel que l’archevêque ait demandé le même service à la duchesse qui s’était retirée à la Visitation de Saint-Denis. [O]

7 À défaut d’autre lettre datée à la duchesse, on trouvera mention de son nom dans les lettres des 28 mars, 21 mai, 6 août 1713 (au marquis) et dans celles des 4 et 10 juin 1714 (à Mme de Chevry). [O]

8 Patience, indulgence – par opposition à insupportable de la phrase précédente. [O]

9 La critique de l’« activité », le « recueillement passif », le « laisser faire Dieu », le « laisser tomber l’activité » sont caractéristiques de l’adaptation du guyonisme dans les écrits de Fénelon de la période 1690-1699. [O]

10 Expression employée ailleurs pour désigner les membres du « petit troupeau » guyonien… [O]

11 Il sera encore question de Mme de Mortemart dans les lettres à Mme de Chevry des 4 et 10 juin 1714. Outre les rapports mondains, Fénelon souhaite qu’il s’établisse entre sa nièce et l’« ancienne » du guyonisme des relations spirituelles, dont la première avait particulièrement besoin dans ses épreuves physiques et familiales… [O]

12 Mme de Mortemart semble avoir été hostile au mariage de sa fille avec le marquis de Cany, fils du ministre Chamillart, qui avait eu lieu le 12 janvier 1708… [O]

13 … Madame Guyon, que la duchesse avait recommencé à consulter (cf. infra, la lettre de l’exilée de mai [?] 1710, n. 4 et surtout la fin de la lettre de Fénelon du 11 octobre 1710). [O]

14 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à « régenter » qui avait amené la révolte d’autres membres du « petit troupeau guyonien » dont elle était « l’ancienne » : voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

15 Tous nos bonnes gens, les disciples de Mme Guyon. Lorsqu’en 1696 celle-ci ne fut plus en mesure de guider son petit troupeau, ils considérèrent que Mme de Mortemart (qui était d’ailleurs seule à pouvoir faire des séjours à Cambrai) devait la remplacer. Cf. supra, la lettre du 9 janvier 1707. [O]

16 Nous apprenons chaque jour, ma bonne D [uchesse], que vous ne cessez point de souffrir. J’en ai une véritable peine et je crains les suites de cet état de souffrance si longue. D’ailleurs je suis ravi d’apprendre que M. le D [uc] de M [ortemart] fait bien vers vous et vers le public, et que la jeune duchesse est en meilleur train. Vous ne sauriez user de trop grande patience avec elle en-deçà de la flatterie, car je suis fort tenté de croire que la vivacité de son imagination, son habitude de se livrer aux romans de son amour-propre, et la médiocrité de son fonds pour résister à toutes ces difficultés, ne la mette souvent dans une espèce d’impuissance d’aller jusqu’au but. Il me paraît bien plus important de ne rien forcer et de n’altérer pas la confiance en vous, que de presser la correction de ses défauts. Il faut suivre pas à pas la grâce, et se contenter de tirer peu à peu des âmes ce qu’elles donnent. Pour M. le D [uc] de Mortemart, on assure qu’il se conduit bien, et il m’a paru que M. le D [uc] de S. Aignan [n. Orcibal : Paul-Hippolyte de Saint-Aignan (25 novembre 1684 - 22 janvier 1776), issu du second mariage du père de Beauvillier…] estime sa conduite. Il loue même la noblesse de ses sentiments, et le fait d’une façon que je crois sincère. Je souhaite que vous soyez soulagée pour l’embarras et pour la dépense sur votre table. Vous avez besoin de mettre un bon ordre à vos affaires. Mais puisque M. votre fils fait bien, je crois que vous ne voudrez montrer au public ni séparation, ni changement qui puisse faire penser que vous n’êtes pas contente. Mandez-moi, quand vous le pourrez, en quel état il est avec M. le D [uc] de Beauvillier, et ce qu’il y a à espérer sur la charge. /Je crois vous devoir dire…

17 Camille de Vérine de l’Eschelle : cf. sur lui, supra, lettre du 13 juin 1698, n. 22, et, sur ses séjours à Cambrai, celle du ler juillet 1700, n. 19. [O].

18 Frère du précédent, César-Michel de Vérine, abbé de Leschelle est considéré comme « sulpicien » par Saint-Simon (BOISLISLE, t. II, p. 412), mais on ne trouve son nom dans aucun registre de Saint-Sulpice. Les remarques échangées à son sujet en mai 1710 par Fénelon (n. 16) et Mme Guyon sont plus favorables à sa piété qu’à ses capacités. [O].

19 N désigne fréquemment Mme Guyon sous la plume de ses disciples. Mme de Mortemart était restée en rapport avec elle (cf. dans la réponse de Mme Guyon au mémoire de mai 1710, n. 2-4, une pénétrante analyse du caractère de la duchesse). [O].

20 Fénelon n’avait donc pas à cette date de relations directes avec l’exilée. Parmi les « amis » qu’il dénonce, il devait aussi compter Isaac du Puy, autre gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne. [O].

21 … Leschelle. /Bon soir, ma bonne Duchesse ; ménagez votre santé, et croyez que je ne fus jamais à vous au point que j’y suis. /M. Quinot [n. : ancien précepteur des enfants de Beauvillier] a dit à M. Provenchères [n. : aumônier de Fénelon] que le cardinal de Noailles lui avait témoigné les plus belles choses du monde pour moi, jusqu’à faire entendre qu’il serait venu me voir à la Villette, s’il eût cru les choses bien disposées de ma part. Il ajoutait que ce cardinal voulait le loger chez lui, mais qu’il ne voulait pas le faire sans mon conseil. Pour ce qui est du premier article, voyez, ma bonne Duchesse, s’il n’est pas à propos que vous lui disiez que je suis très éloigné d’avoir le cœur malade contre M. le Card. de N [oailles] ; que je voudrais, au contraire, être à portée de lui témoigner tous les sentiments convenables ; mais que je ne crois pas devoir faire des avances, qui feraient croire au monde que je me reconnais coupable de tout ce qu’on m’a imputé, et que j’ai quelque démangeaison de me raccrocher à la cour. Le bon M. Quinot disait qu’il n’avait pas trouvé, ni en vous ni en M. le D [uc] de Beauvillier, de facilité pour ce raccommodement. Ainsi je serais bien aise que vous fussiez déchargés l’un et l’autre à cet égard-là. Ayez la bonté de dire tout ce qui doit édifier touchant la disposition du cœur, sans engager aucune négociation.

Quant à l’offre de M. le Card. de N [oailles], de loger M. Quinot chez lui, M. Quinot n’a qu’à l’accepter si elle lui convient. Je ne saurais lui donner un conseil là-dessus ; car je ne sais ni les commodités qu’il en tirerait, ni les engagements où cela le pourrait mettre, ni le degré de confiance qu’on lui donne, ni le désir qu’on a de l’avoir, ni le bien qu’il serait à portée de faire dans cette situation. Ainsi c’est à lui à prendre son parti sur les choses qu’il voit et que je ne vois point. Mais ce qui est très assuré, c’est que s’il va demeurer chez M. le Card. de N [oailles), je ne l’en considérerai pas moins, et ne compterai pas moins sur son amitié pour moi. Cette démarche, s’il la fait, ne me causera aucune peine. Je n’en ai aucune contre le cardinal même, encore moins contre un très bon ecclésiastique que je crois plein d’affection pour moi, et qui peut très facilement loger chez ce cardinal, avec un grand attachement pour lui, sans blesser celui qu’il a pour moi. En un mot, c’est à lui à examiner ce qui lui convient. Pour moi tout est bon, et sa demeure dans cette maison ne me sera ni pénible ni suspecte. Je crois même que M. le D [uc] de Beauvillier ne doit nullement être peiné que M. Quinot prenne ce parti, s’il y trouve quelque commodité, ou quelque bien à faire pour l’Eglise.


22 Cette pièce non datée figure en V (n° 465) et en OF à la fin des lettres adressées à la comtesse de Montberon ; mais, dans les quelque deux cent vingt-cinq lettres qu’elle reçut de Fénelon, on ne voit pas qu’elle ait porté la charge d’une assistance spirituelle à divers hommes (M., N. et G. des derniers alinéas), charge régulièrement assumée par Mme de Mortemart (supra, lettres SP 129 n. 1, 130, 137 etc.). (Noye).

23 Début perdu.

24 Une longue note d’I.Noye compare diverses attributions avancées.

25 « Rite particulier aux offices des “ténèbres” de la Semaine sainte ; Fénelon en tire une parabole originale. » (Noye).

26 « Cet alinéa permet de situer cette pièce dans une des dernières années de l’archevêque ; rappelons qu’on ne connaît pas de lettre datée adressée à la duchesse douairière après juillet 1711. » (Noye).


27 Cette lettre nous paraît être adressée à Mme de Mortemart pour la difficile direction de son fils (N.). On remarquera la dureté des expressions : « jamais lui faire quartier », [et, en fin de lettre donnée en note :] « subjugué », « je voudrais le mettre bas, bas, bas ». [N].

28 Act. V, 1-10.

29 … de route. /N... n’avancera qu’autant qu’il sera subjugué. On s’imagine, quand on est dans une certaine voie de simplicité, qu’il n’y a plus ni recueillement ni mortification à pratiquer ; c’est une grande illusion. l° On a encore besoin de ces deux choses, parce qu’on n’est point encore entièrement dans l’état où l’on se flatte d’être, et que souvent on y a reculé. 2° Lors même qu’on est en cet état, on pratique le recueillement et la mortification sans pratiques de méthode. On est recueilli simplement, pour ne se point dissiper par des vivacités naturelles, et en demeurant en paix au gré de l’esprit de grâce. On est mortifié par ce même esprit qu’on suit uniquement sans suivre le sien propre. Ne vivre que de foi, c’est une vie bien morte. Quand Dieu seul vit, agit, parle et se tait en nous, le moi ne trouve plus de quoi respirer. C’est à quoi il faut tendre ; c’est ce que le principe intérieur, quand on ne lui résiste point, avance sans cesse.

Quand on n’est que faible, la faiblesse d’enfant n’empêche point la bonne enfance ; mais être faible et indocile, c’est n’avoir de l’enfance que la seule faiblesse, et y joindre la hauteur des grands. Ceci est pour N.... Au nom de Dieu, qu’il soit ouvert et petit. Je voudrais le mettre bas, bas, bas. Il ne peut être bon qu’à force de dépendre.


30 … de Jésus-Christ. /Laissez-vous donc ôter jusqu’aux derniers ornements de l’amour-propre, et jusqu’aux derniers voiles dont il tâche de se couvrir, pour recevoir la robe qui n’est blanchie que du sang de l’Agneau [cf. Apoc. VII, 14], et qui n’a plus d’autre pureté que la sienne. O trop heureuse l’âme qui n’a plus rien à soi, qui n’a même rien d’emprunté non plus que rien de propre, et qui se délaisse au bien-aimé, étant jalouse de n’avoir plus de beauté que lui seul ! O épouse, que vous serez belle quand il ne vous restera plus nulle parure propre ! Vous serez toute la complaisance de l’époux quand l’époux sera lui seul toute votre beauté. Alors il vous aimera sans mesure, parce que ce sera lui-même qu’il aimera uniquement en vous. Écoutez ces choses, et croyez-les. Cet aliment de pure vérité sera d’abord amer dans votre bouche et dans vos entrailles ; mais il nourrira votre cœur, et il le nourrira de la mort qui est l’unique vies. Croyez ceci, et ne vous écoutez point. Le moi est le grand séducteur : il séduit plus que le serpent séducteur d’Eve. Heureuse l’âme qui écoute en toute simplicité ce qui l’empêche de s’écouter et de s’attendrir sur soi ! /Que ne puis-je…


31 « Pour voir en Mme de Mortemart la destinataire de cette lettre, Delplanque invoque comme motif la proximité du thème avec les lettres qui l’entourent dès l’éd. À, ce qui n’est pas convaincant ». [N] — À qui d’autre penser ?

32 … avec vous. /Soyez simple et petit enfant. C’est dans l’enfance qu’habite la paix inaltérable et à toute épreuve. Toutes les régularités où l’on possède sa vertu sont sujettes à l’illusion et au mécompte. Il n’y a que ceux qui ne comptent jamais, lesquels ne sont sujets à aucun mécompte. Il n’y a que les âmes désappropriées par l’abnégation évangélique qui n’ont plus rien à perdre. Il n’y a que ceux qui ne cherchent aucune lumière, qui ne se trompent point. Il n’y a que les petits enfants qui trouvent en Dieu la sagesse, qui n’est point dans les grands et les sages qu’on admire.


33 … je vous conjure. Il faut aimer la main de Dieu qui nous frappe et qui nous détruit. La créature n’a été faite que pour être détruite au bon plaisir de celui qui ne l’a faite que pour lui O heureux usage de notre substance ! Notre rien glorifie l’Être éternel et le tout Dieu. Périsse donc ce que l’amour-propre voudrait tant conserver ! Soyons l’holocauste que le feu de l’amour réduit en cendres. Le trouble ne vient jamais que d’amour-propre ; l’amour divin n’est que paix et abandon. Il n’y a qu’à souffrir, qu’à laisser tomber, qu’à perdre, qu’à ne retenir rien, qu’à n’arrêter jamais un seul moment la main crucifiante. Cette non-résistance est horrible à la nature : mais Dieu la donne ; le bien-aimé l’adoucit, il mesure toute tentation.

Mon Dieu, qu’il est beau de faire son purgatoire en ce monde ! La nature voudrait ne le faire ni en cette vie ni en l’autre ; mais Dieu le prépare en ce monde, et c’est nous qui, par nos chicanes, en faisons deux au lieu d’un. Nous rendons celui-ci tellement inutile par nos résistances, que tout est encore à recommencer après la mort. Il faudrait être dès cette vie comme les âmes du purgatoire, paisibles et souples dans la main de Dieu, pour s’y abandonner et pour se laisser détruire par le feu vengeur de l’amour. Heureux qui souffre ainsi ! Je vous aime…

34 Daniel XIV, 35.

35 Col III, 3 et Augustin De continentia, XIII, 29.

36 Cit. : Matth. V, 4 & Jean XX, 29, puis Hébr. XI, 8.

37 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215). (Noye)

38 Pour désigner le groupe guyonien dont elle portait la responsabilité, cette expression se trouve aussi dans la lettre 1215. (Noye).

39 Il est probable qu’il manque ici le début de la lettre, qui devait viser la destinataire. Comme en d’autres lettres de direction, Fénelon fait part de ses propres épreuves […] (Noye).

40 Dans le rôle de directrice assigné à la destinataire, on peut reconnaître la duchesse de Mortemart, dont la difficulté à supporter les défauts d’autrui a été souvent notée. D’autre part, N... serait son frère Blainville, qui durant un temps admettait mal cette assistance (voir, en juillet 1700, L.667, n. 16 et L.670, n. 7). (Noye).

41 L’unité en Dieu de ceux qui « ont dépouillé le moi » en demeurant dans leur « unique centre », est ouverte à toute l’humanité […] (Noye).

42Son frère, le marquis de Blainville, qu’elle avait à guider, cf. LSP 133 et 134.

43 … les phrases suivantes font allusion à sa responsabilité envers « autrui », « son prochain », son « troupeau ». Cette dernière expression fait penser à Mme de Mortemart, dont le rôle dans le groupe guyonien n’alla pas sans difficultés. … (Noye).

44 … dans sa source. /Pour l’oraison, vous pouvez la faire en divers temps de la journée, parce que vous avez beaucoup de temps libre, et que vous pouvez être souvent en silence. Il faut seulement prendre garde de ne faire point une oraison avec contention d’esprit qui fatigue votre tête. /Je remercie Dieu de ce que vous êtes fatiguée de votre propre esprit. Rien n’est plus fatigant que ce faux appui. Malheur à qui s’y confie ! Heureux qui en est lassé, et qui cherche un vrai repos dans l’esprit de recueillement et de renoncement à l’amour-propre !

Si vous retourniez à une vie honnête selon le monde, après avoir goûté Dieu dans la retraite, vous tomberiez bien bas, et vous le mériteriez dans un relâchement si infidèle à la grâce. J’espère que ce malheur ne vous arrivera point. Dieu vous aime bien, puisqu’il ne vous laisse pas un moment de paix dans ce milieu entre lui et le monde. Dieu nous demande à tous la perfection, et il nous y prépare par l’attrait de sa grâce ; c’est pourquoi Jésus-Christ dit à ses disciples : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Et c’est pour cela qu’il nous a enseigné cette prière : Que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel. Tous sont invités à cette perfection sur la terre ; mais la plupart s’effarouchent et reculent. Ne soyez pas du nombre de ceux qui, ayant mangé la manne au désert, regrettent les oignons d’Egypte ». C’est la persévérance qui est couronnée.


45 Souffrez donc le prochain, et apprivoisez-vous avec nos misères. Quelquefois vous avez le cœur saisi quand certains défauts vous choquent, et vous pouvez croire que c’est une répugnance du fond qui vient de la grâce : mais il peut se faire que c’est votre vivacité naturelle qui vous serre le cœur. Je crois qu’il faut plus de support ; mais je crois aussi qu’il faut corriger vos défauts comme ceux des autres, non par effort et par sévérité, mais en cédant simplement à Dieu, et en le laissant faire pour étendre votre cœur et pour le rendre plus souple. Acquiescez, sans savoir comment tout cela se pourra faire.


46 La correction mutuelle, en usage dans le groupe guyonien.

47 Cette lettre se situe vraisemblablement dans les débuts de la direction de Mme de Mortemart, « envoyée » à Fénelon, et qui songe encore à entrer dans un couvent. (Noye). — Nous la plaçons ainsi que la suivante, LSP 136, en 1693.

48 Le masculin sert à cacher Mme Guyon, comme ci-dessous.

49 … s’il se rapproche. /Il y a une extrême différence entre la peine et le troubles. La simple peine fait le purgatoire ; le trouble fait l’enfer. La peine sans infidélité est douce et paisible, par l’accord où toute l’âme est avec elle-même pour vouloir la souffrance que Dieu donne. Mais le trouble est une révolte du fond contre Dieu, et une division de la volonté contraire à elle-même ; le fond de l’âme est comme déchiré dans cette division. O que la douleur est purifiante quand elle est seule ! O qu’elle est douce, quoiqu’elle fasse beaucoup souffrir ! Vouloir ce qu’on souffre, c’est ne souffrir rien dans la volonté ; c’est y être en paix. Heureux germe du paradis dans le purgatoire ! Mais résister à Dieu sous de beaux prétextes, c’est engager Dieu à nous résister à son tour. En sortant de votre grâce, vous sortez d’abord de la paix ; et cette expérience est comme la colonne de feu pour la nuit et celle de nuée pour le jour, qui conduisait dans le désert les Israélites. Vivez de foi, pour mourir à toute sagesse.

50 La duchesse a donc écarté récemment la solution du couvent ; on la verra fréquemment retirée à la Visitation de Saint-Denis, où sa fille était religieuse. [N].

51 L’une des « liaisons extérieures de providence » évoquées ci-dessus plutôt qu’un des « membres du petit troupeau ». [N].

52 « Les volumes précédents de la Correspondance [CF] ne comportent que six lettres de Fénelon à Mme de Mortemart, de 1707 à 1711, toutes autographes et non signées, dont seules les deux lettres de 1708 ont figuré (privées de toute indication de personne) dès la première édition des “lettres spirituelles” (Anvers, 1718).

On sait pourtant qu’il y eut des échanges épistolaires nombreux entre elle et l’archevêque ; au plus fort de sa disgrâce, celui-ci affirmait au duc de Beauvillier : “Je n’écris qu’à vous, à la petite D [uchesse] et au P. Ab. [de Langeron]”. Albert Delplanque a établi en 1907 que dix sept autres pièces des éditions d’Anvers et Lyon devaient avoir été adressées à la duchesse douairière. Nous pensons établir que la présente lettre relève du même groupe et peut même être datée, approximativement, comme l’une des premières : en effet, écrivant un “22 juin” (1693 ?) à Mme de Gramont, Fénelon a parlé de Mme de Mortemart avec les termes mêmes qui commencent cette pièce : “Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l’être de plus en plus” (CF 2, L.300). Situées sans doute assez tôt dans l’itinéraire spirituel de la duchesse, les observations dont Fénelon lui fait part ici, très cohérentes avec ce que l’on sait d’elle par ailleurs, éclairent singulièrement la personnalité de celle qui deviendrait bientôt pour le “petit troupeau” la suppléante de Mme Guyon. […] » (CF 18, LSP 126*, n.1 par I.Noye).


53 « Il n’y a pas de marché à faire avec Dieu » (CF 2, L.126, au propre frère de Mme de Mortemart) […] » (CF 18, LSP126*, n.2).

54 Certaines parties sont reportées en notes.

55 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215). (Noye)

56 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à « régenter » qui avait amené la révolte d’autres membres du « petit troupeau guyonien » dont elle était « l’ancienne » : voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

57 CF 18 respecte la séquence des pièces LSP, car elles sont adressées à divers correspondants — dont I.Noye propose souvent une identification. Ici où nous privilégions la répartition par destinataires, ce qui rend une mise en ordre même incertaine souhaitable.

58 Correspondance de Fénelon, 1829, tome onzième, 345.

59 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 165. — nous modernisons toujours l’orthographe, « gardoit » en « gardait », etc.

60 Saint-Simon, Mémoires, Boislisle, 413, « Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau », « 127. Mme Guyon et les commencements de son école. »

61 Le « pilier mâle » est bien entendu « l’abbé de Fénelon, qui était leur prophète, dans qui ils ne voyaient rien que de divin » selon cette même addition au journal de Dangeau (réf. n. suivante).

62 « Ce mot se trouve plusieurs fois dans Saint-Simon avec le sens de chansons satiriques, ou simplement de reproches vifs et piquants. » (Chéruel).

63 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 4, chap. 12 [1703], 213-214.

64 « L’esprit Mortemart » est décrit ainsi de manière irrésistible par le même Saint-Simon à l’occasion d’une autre figure : « Mme de Castries étoit un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau ; ni derrière, ni gorge, ni menton, fort laide, l’air toujours en peine et étonné, avec cela une physionomie qui éclatait d’esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes, et jamais il ne paroissait qu’elle sût mieux que parler français, mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes, avec ce tour unique qui n’est propre qu’aux Mortemart [notre soulignement]. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans la vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne les jamais oublier, glorieuse, choquée de mille choses avec un ton plaintif qui emportait la pièce, cruellement méchante quand il lui plaisait, et fort bonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général, sans aucune galanterie, mais délicate sur l’esprit et amoureuse de l’esprit… » (Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 1, chap. 25 [1696], 406.)

65 « Marie-Anne Colbert, sœur cadette des duchesses de Beauvillier et de Chevreuse, née le 17 octobre 1668, épousa, le 14 février 1679, Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, fils du maréchal de Vivonne et général des galères en survivance. Elle n’avait que treize ans, et son mari quatorze. Devenue veuve le 3 avril 1688, elle mourut à Saint-Denis, le 14 janvier 1750. Selon Mme de Caylus, son mariage avait coûté quatorze cent mille livres au Roi. » (Boislisle, tome second, n. 1 de sa p. 7) — « Le Roi donnait d’ordinaire deux cent mille livres, à moins que les embarras financiers du moment ne le forçassent de réduire ses libéralités, Mlle de Beauvillier eut cette somme quand elle épousa le duc du Mortemart [fils de la “petite duchesse”], en 1703. » (Boislisle, t. second, n. 3 de sa p. 8).

66 [CF] 3, L.168, n.2 d’Orcibal.

67 « […] On y voit qu’après sa première disgrâce, ce fut chez la duchesse de Charost, à Beynes, château tout voisin de Saint-Cyr, qu’elle trouva asile, et que la duchesse de Mortemart la conduisit à Meaux, le 13 janvier 1695, pour se mettre à la disposition de Bossuet. Ses doctrines ayant été condamnées le 10 mars, et ce jugement suivi de sa rétractation solennelle, elle obtint la permission de se rendre aux eaux de Bourbon ; mais les deux duchesses vinrent la prendre, le 9 juillet, et la ramenèrent à Paris, d’abord dans le faubourg Saint-Germain, puis dans le faubourg Saint-Antoine, où Desgrez l’arrêta vers la fin de décembre. » (Boislisle, tome II, n. 4 de sa p. 65).

68 En témoignent les très nombreux échanges précédant de très peu l’embastillement de Mme Guyon, (Correspondance Tome II Annéess de Combats, lettres à la « Petite Duchesse »). Ils portent sur plus de cent lettres entre juin 1695 et mai 1698, le mois du dernier contact avec l’embastillée).

69 « Au premier mot qu’ils [les Beauvilliers entreprennent de marier sa fille au fils du ministre Chamillart] en touchèrent à la duchesse de Mortemart, elle bondit de colère, et sa fille y sentit tant d’aversion, que plus d’une année avant qu’il se fit, la marquise de Charost, fort initiée avec eux, lui ayant demandé sa protection en riant lorsqu’elle seroit dans la faveur, pour la sonder là-dessus : “Et moi la vôtre, lui répondit-elle, lorsque par quelque revers je serai redevenue bourgeoise de Paris.” » (Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 163).

70 Attribution par A. Delplanque en 1907.

71 Edition [CF 18] par I. Noye, Droz, 2007 : un progrès par siècle !

72 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215). (Noye)

73 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à « régenter » qui avait amené la révolte d’autres membres du « petit troupeau guyonien » dont elle était « l’ancienne » : voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

74 Extraite de [CG I], 640-641.

75 AMettant en évidence l’absence — exceptionnelle — de positionnement chronologique. Regrouper les directions ciblées et connues m’a paru primer. le souci chronologique.

Il s’agit du dernier tiers de Correspondance I Directions spirituelles, Champion, 2003. Reprises dans DT, Etudes III, 223-252.

76 & v. Dominique Tronc, Synthèses et Etudes I., 471 sq.

77 v&. DT Etudes IV, 75-77.

78 Correspondance II années de Combat, 2004, jusquuq’à fin juillet 1694, Guyon et Fénelon préparent des « Justifications ». Elles vont couvrir les tomes suivants 6 et 7. Bientôt ont lieu les « Entretiens » d’Issy — procès des mystiques.

Le tome 8 livrera la suite et fin de la Vie par elle-même et les Prisons, la correspondance ne reprenant qu’aux tomes 9 « de 1694 à la Bastille » et 10. « Voie mystique » ou directoire de lettres non datées ni destinataires assemblé par les disciples.

79 v&. DT Etudes IV, 43-54

80 v&. DT Etudes IV, 55-66.

81 v&. DT Etudes IV, 67-68. [les paginations corrrespondent à la première édition 2020 d’Etudes I à IV.]

82« J’espère que vous vous trouverez bien d’entrer en société spirituelle avec M. N. Vous vous aiderez mutuellement dans le chemin de la foi et de l’amour. Je veux bien y entrer en tiers en esprit. » (Première lettre de Madame Guyon). 

83A. Delplanque, Fénelon et ses amis, Paris, 1910, VI, 167ss.

84R. Faille, « Autour de l’Examen de conscience pour un roi de Fénelon », Revue Française d’Histoire du livre 1974, page 7, note 1.

85 Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignac de La Mothe-Fenelon,…, nouvelle édition revue et considérablement enrichie [par rapport à celles de 1718 et 1723], À Rotterdam, Chez Jean Hofhout, 1738 in-4 ; réédité sans nom d’éditeur, mais précédé d’un « Avis de l’imprimeur » qui s’étend sur « l’amour de Dieu pour Lui-même », 1740, 4 vol. in-12.

86Pages III-XLVIII de l’édition de 1738. Nous éditerons dans le vol. II Combats cet exposé clair et précis de la Querelle. Le texte du marquis reflète en effet fidèlement la vision du cercle guyonien, représenté dans le Complément à la Vie de Lausanne, précédemment édité à la suite de la Vie.

87La plus grande partie est en fait consacrée à Madame Guyon : pour cette raison nous l’éditons dans le volume II Combats.

88Sauf pour la trente-huitième et dernière, que nous avons placée en tête, et deux interversions justifiées par les dates.

89Lettres datées issues de Correspondance III Chemins mystiques, Champion, 2005.

90Lettres datées ou de destinataires connus issues de Correspondance III Chemins mystiques, Champion, 2005.

91Le directeur Mystique…, vol. II à IV, 1726.

92 M. Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994.

93 Supplément à la vie de Madame Guyon écrite par elle-même, ms. de Lausanne TP1155, édité dans : Vie, « Compléments biographiques ».

94 CHEVALLIER, Marjolaine, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985.

95 M. Chevallier, Pierre Poiret…, p. 76.

96 ANDERSON, Mystics of the N.-E., 1934.

97 Lettre du 10 novembre 1739, citée par M. Chevallier, Pierre Poiret…, p. 118.

98Adaptation de la courte notice parue dans : Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexicon, Verlag Traugott Bautz, Herzberg 1993, V. band, p. 1399. Bibliographie jointe : La joie permanente de l’esprit et une collection d’écrits théosophiques parus en 1729.

Le catalogue de la B.N.F. en donne le résumé suivant : « Alethophili Meditationes aliquot sacrae et philosophicae : I. de existentia Dei, immortalitate animae… II. de Sacrosancta Trinitate ; III. de activitate creaturarum propria … IV. de aparitionibus spirituum ; V. de una, vera et catolica fie… VI. de fide falsa … VII. de transmutatione metallorum … VIII. de artibus philosophorum ad occultandam artem …, Francofurtiae, 1729, In-8°, 119 p. » (Catalogue des livres, Auteurs, no. 113, « Metternich (Bon Wolf von) pseud. Alexophilus… »).

On voit que le baron continua à s’intéresser à la « chimie », malgré les conseils de Madame Guyon : « Votre application à la chimie peut vous divertir quelques moments, mais je ne voudrais pas en faire mon application : vos affaires, le temps qu’il faut donner à Dieu doivent être préférés à tout. » (lettre 389).

99 M. Chevallier, Pierre Poiret…, p. 135-136.

100 Henderson, G. D., Mystics of the North-East, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club (serie of nearly vol.), 1934 ; outre la correspondance éditée, la remarquable Introduction (p. 11-73) fait revivre le groupe quiétiste.

101 Scougal, Life of God in the soul of man, 1677 ; réédité de nos jours : Christian Heritage, 1996.

102 Henderson, p.61.

103 Prophétesse mystique née à Lille en 1616, morte exilée et persécutée en 1680 ; v. M. Chevalier, Pierre Poiret, op.cit., chap. III.

104 Henderson, p. 38 & 60.

105 Henderson, p. 67.

106 Henderson, p. 34.

107 Henderson, p. 85, relève la confusion qui s’ensuit chez Cherel ; la corruption en « milor  Exford » est présente dans le cahier de lettres du marquis de Fénelon.

108 Il existe une branche suédoise guyonienne dont le lien pourrait ainsi provenir des Forbes. Mais deux autres contacts s’avèrent possibles, l’un suisse, passant par le chevalier de Klinkjoström, et l’autre hollandais, passant par le compagnon suédois de Poiret, I. Norraüs.

109 The House of Forbes, ed. by A. & H. Tayler, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club, 1937, v. p. 239ss. & 348ss. ; paru postérieurement à l’étude d’Henderson.

110 id., p. 348.

111 The House of Forbes, p. 349-350.

112 Henderson, p. 46.  

113 Henderson, p. 50.

114 A. Chérel, Un aventurier religieux au XVIIIsiècle, André-Michel Ramsay, Paris, 1926 — G. D. Henderson, Chevalier Ramsay, Aberdeen, 1952.

115 Chérel, Un aventurier…, p. X.

116 Encyclopédie de la Franc-Maçonnerie, art. « Ramsay », 2000, p.697.

117 Cahiers de la grande loge de France, 1982, VIOT, M., « Inquiétude mystique et quête de la réintégration : les origines de l’Ecossisme. »

118 Chérel, Un aventurier…, p. 63 ; Henderson, op. cit., 233.

119 Chérel, Un aventurier…, p. 106-107.

120 Henderson, p. 235.

121 Henderson, p. 110. Elle réagira aussi en 1732 à la Relation du quiétisme de Phelippeaux.

122 Vie, 2.14.8.

123 Voir Chavannes, J.-Ph. Dutoit, sa vie, son caractère et ses doctrines, Lausanne, 1865 ; un large fonds guyonien reste à exploiter à la bibliothèque universitaire de Lausanne, dont de très nombreuses lettres (en allemand) de Fleischbein ; de nombreux documents concernent Lacombe, Dutoit, etc. Nous avons publié le ms. TP1155 dans Vie « 5. Compléments biographiques. » 

124 V. notre note étendue sur Fleischbein, La Vie…, p. 1008.

125Chavannes, J.-Ph. Dutoit…, op.cit. ; Favre, J.-Ph. Dutoit, Genève, 1911.

126 Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, « Bibliographie chronologique (1940-2000) ».

127 Fénelon, Œuvres spirituelles, Introduction et choix de textes par François Varillon S.J, Aubier, 1954 ; François Trémolières, Fénelon et le sublime, Littérature, anthropologie, spiritualité, Honoré Champion, 2009.

128 L’authenticité de la correspondance avec la « Dame directrice » ne sera reconnue qu’en 1907 par un érudit d’origine suisse.

129 Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions spirituelles, Honoré Champion, 2003 [CG], [ échanges avec Fénelon : « I. La ‘correspondance secrète’ en 1688 et 1689, II. Le ‘complément’ de l’année 1690. III. Lettres écrites après 1703, 215-564 ] - Synthèse avec des additions : La direction de Fénelon par madame Guyon, présentation par Murielle et Dominique Tronc, 2015, web.

130 Nous bénéficions de l’édition assemblée par I. Noye et publiée en 2007. Elle achève la monumentale Correspondance de Fénelon [CF] sous le titre fort discret de Suppléments et corrections. Il s’agit du tome  XVIII et dernier de l’entreprise. Il livre à la suite de diverses lettres retrouvées : « II. Lettres spirituelles » [LSP], 87-223. Ces « pages détachées » sont accompagnées de renvois aux lettres éditées dans les tomes II, IV, VI, VIII, XII (1972 à 1999). – Nous allons recourir largement à ce [CF 18].

131 Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, Volume second contenant ses lettres spirituelles, A Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718 [OS 2].

132 Comparé par exemple aux Moralistes du XVIIe siècle assemblés par J. Lafond, « Bouquins », Robert Laffont, 1992.

133 Des correctifs furent apportés par A. Delplanque (1907), par la Revue Fénelon (1911-1812) dirigée par E. Griselle, par Jeanne-Lydie Goré (1957), par Mino Bergamo (1994), par Irénée Noye (2007), par F. Trémolières (2009).

134 desengaño : désillusion, désenchantement. Attribué à des auteurs de la fin du siècle d’or espagnol.

135 Sobriquet attaché à la ‘veuve Guyon’ par des ecclésiastiques jaloux ou incompréhensifs : c’est le cas de son inventeur Tronson, malgré son honnêté rare. Tronson (1622-1700) fut le directeur de Saint-Sulpice et le confesseur du jeune abbé.

136 « Maintenant quand je découpe, je n’ai plus en esprit que le principe. Mes sens n’agissent plus ; seule ma volonté est active. Suivant les lignes naturelles du bœuf, mon couteau pénètre et divise, tranchant les chairs molles, contournant les os, faisant sa besogne comme naturellement et sans effort. Et cela sans s’user… » (Tchoang-tseu, chap. 3, B, traduction Léon Wieger, Cathasia, 1950).

137 La « nature » est aujourd’hui perçue autrement depuis Darwin, mais chez Fénelon on découvre un beau lyrisme – qui l’interprète ‘au second degré’ selon la perception unifiante mystique commune à diverses traditions : « Mais parce que Vous êtes trop au-dedans d’eux-mêmes, où ils ne rentrent jamais, Vous leur êtes un Dieu caché […] tout ce qui n’est point Vous disparaît, et à peine me reste-t-il de quoi me trouver encore moi-même… » [OP 1, 44-45].

138 Le choix de recourir à des notes assez étendues permet de ne pas rompre une première lecture à but méditatif de « Fénelon par lui-même ». - Nous y reportons ce qui est moins « mystique », mais témoigne de résistances diverses de dirigé(e)s comme du soin dévoué du directeur archevêque (il est comparable en cela à celui de l’évêque François dans son pauvre diocèse). Nous y reportons les très précieuses notices d’Orcibal [O] et de Noye [N].

139 [CF] n° impairs, en fin des volumes.

140 « Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien », Honoré Champion, 2009, [EG], ‘dossier’ précédé d’une brève synthèse : « Années d’épreuves et stratégie inquisitoriale », 14-30, situant les événements de la période couvrant la majorité des documents livrés dans le présent volume. Ces événements succèdent à ceux, mieux connus, d’une ‘période publique’ qui prend fin en 1695 (elle couverte par le Crépuscule des mystiques de Louis Cognet).

141 Qui n’était pas un médiocre même s’il reste à l’ombre de sa « dirigée ». Voir François La Combe (1640-1715), Correspondance avec Mme Guyon, Œuvres, Etudes, assemblées par D. Tronc, hors commerce, 2016.


142 Nous avons procédé par travail exhaustif opéré sur des volumes de la [CF]. Nous pouvons fournir à des chercheurs les échafaudages : OCR, etc. Ils pourraient facilement être publiés.

143 Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même, Honoré Champion, 2001, [VG] - Un manuscrit autobiographique fut livré partiellement à Bossuet sous promesse non tenue de confidentialité. Le projet d’édition souleva par la suite de sérieuses objections au sein du cercle guyonnien. Il fut mené à terme en 1720 par le pasteur Poiret opérant sur le manuscrit tardif dit d’Oxford. Cette source fut alors révisée, réordonnée et parfois atténuée. Ses extraits sont donnés ici en caractères romains. Nous la complétons en italiques par les feuillets ôtés par le duc de Chevreuse (v. note suivante) : il s’agit du recueil de Saint-Sulpice qui s’avère très proche du manuscrit découvert au XXe siècle à Saint-Brieuc.

144 [3.9.10 = troisième partie de [VG] chapitre 9, § 10 (page 750)] - Ici débutent les feuillets dont Madame Guyon avait demandé le 1er septembre 1694 au duc de Chevreuse leur suppression lors de la communication de ses écrits aux examinateurs d’Issy (ils se réunirent - sans jamais la convoquer - en fin d’année et au début de l’année suivante) : «  Pour tout ce qui regarde St B. [= Fénelon] autant qu'il y aura de feuillets … il les faut ôter absolument, car rien ne me peut obliger à confier ma vie. Je l'ai fait à Mr de M[eaux = Bossuet] par excès de bonne foi, mais si je me fusse souvenue de ces endroits je les eusse ôté. »  Utilisés par Bossuet ils furent publiés par l’érudit d’origine suisse Masson en 1907.

145 Sortie du couvent-prison de la Visitation le 13 septembre 1688 : « la dite Dame Guyon, par ordre du Roi, fut rétablie en sa première liberté, et après que Sa Majesté fut informée que cette Dame avait sacrifié par charité une somme considérable en faveur d'une Demoiselle qui se trouvait en péril dans le monde à cause de sa beauté et qui est devenue religieuse par le moyen de cette charitable Dame. »

146 Petit village sur la Mauldre, à l’ouest de Versailles. La Duchesse de Charost y avait une « maison de campagne ».

147 Omission propre à la source.

148 A l’époque où se situe cet épisode, l’abbé de Fénelon a trente-sept ans. Épaulé par Bossuet, il sera nommé précepteur du dauphin l’année suivante.

149 J’allège en omettant le début et la fin de ce chapitre 10. La variante donnée en italiques est commune aux sources de Saint-Sulpice et de Saint-Brieuc. Elle éclaire le manuscrit principal tardif actuellement à Oxford. Ce dernier commence son chapitre 10 par la soudure rédigée plus tardivement : « Je ne saurais plus rien écrire de ce qui me regarde. Je ne le ferai plus, je porte souvent la peine des âmes pour les en délivrer. J’ai oublié de dire… ». L’expérience a été en effet chèrement acquise, suite à l’indélicatesse de Bossuet ! Quant au « récit des prisons », il restera manuscrit jusqu’à son édition par madame Gondal puis par nous-mêmes, Vie, 4e partie. Puis on reprend infra Oxford en caractères romains.

150 Le 4 octobre.

151 Tout ceci reste largement inexpliquable scientifiquement de nos jours (2015) et semble une invention de l’imagination pour qui n’a pas connu une expérience mystique de correspondance reçue. Nous abordons le nœud délicat « souvent occulté qui explique les doutes de critiques jusqu’à nos jours les mieux disposés… », dans le récit-synthèse qui ouvre Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements de interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques…, Honoré Champion, 2009, 15-30 ; dans Madame Guyon, Œuvres mystiques, 2008, Présentation, 38 sq. ; dans de nombreux témoignages traditionnels repris dans Expériences mystiques en occident, vol. I à III, Les Deux Océans, 2012-2014 (volumes III à V à paraître).

152 L’abbé de Fénelon fut précepteur de Louis de France, duc de Bourgogne, né au château de Versailles le 6 août 1682, brièvement dauphin (1711-1712).

153 La rédaction de la Vie par elle-même s’est étalée de 1682 à 1709 avec de fréquente reprises. Le compte-rendu présent est proche de l’événement.

154 Elle écrit à Fénelon le 15 juin 1689 : « Ce que l'on veut aussi que je vous déclare, c'est que vous ne serez point conduit par les fortes croix, par les peines violentes, mais par les faiblesses des enfants. C'est cet état d'enfance qui doit être votre propre caractère : c'est lui qui vous donnera toutes grâces. »

155 Titre de l’ouvrage de Constantin de Barbanson (1582-1631) apprécié des mystiques du siècle. Mme Guyon cite largement Constantin dans ses Justifications (1694).

156« Je vous l’ai écrit dès le commencement, dans le temps même que je n’avais point de commerce [spirituel] de lettres avec vous. »  (Lettre 85, octobre-novembre 1688). V. la discussion de Masson, Correspondance secrète…, 1907, « Introduction », p. XXXVI-XXXVII, soulignant les rapports probables entre le supérieur des Nouvelles Catholiques et la fondatrice à Gex.

157Masson avait coupé les passages présentant à ses yeux des longueurs spirituelles jugées de peu d’intérêt ; Orcibal a édité les lettres de Fénelon sans la correspondance passive de madame Guyon (il était prévu une édition séparée des lettres de madame Guyon).

158 [CF] édite en deux « lettres » séparées 1373 et 1373A les séquences des questions de Fénelon puis de leurs réponses par Madame Guyon : aussi chaque « lettre » présente une séquence - non numérotée - de paragraphes disjoints au niveau du sens…

159 Repris de [CG 1], 216 sq.

160 Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions spirituelles, op.cit. [CG 1], « Une relation mystique (Murielle Tronc) », pages 216-224.

161 On a perdu une moitié de la correspondance Fénelon-Guyon probablement « des débuts » (Fénelon est « exilé » à Cambrai en 1695 et Mme Guyon sera bientôt emprisonnée), car on sait que quatre volumes manuscrits qui existaient dans la bibliothèque des Théatins furent dispersés à la Révolution. Le premier fut édité dès le XVIIIe siècle par Dutoit (reconnu authentique en 1907 par Masson) ; nous avons édité le second, découvert par I. Noye, en [CG 1] ; les deux derniers restent des « Anonymes » à découvrir, probablement de l’écriture très reconnaissable de « put » (du Puy).

162 De l’édition du même volume [CG 1].

163 C’est l’interprétation du duc de Saint-Simon dont on connaît les descriptions parfois féroces suite au mariage manqué avec une fille Beavilliers (qui rentre au couvent faute à l’abbé de Fénelon). Pour apprécier le style inimitable du duc, on lira au tome 1, chap. 17 [1695] 283 sq. (Chéruel, rééd. 1966), la célèbre rencontre avec Mme Guyon, « Il la vit , leur esprit se plut l'un à l'autre, leur sublime s'amalgama. » ; au t. 1, ch. 27 [1697] 422 sq., « le célèbre tour que fit si prestement M. de Cambrai de se confesser à M. de Meaux, pour lui fermer la bouche » ; au t. 11, ch. 22, 434 sq., « un grand homme maigre , bien fait, pâle, avec un grand nez, des yeux dont le feu et l'esprit sortaient comme un torrent », mais aussi « la sagesse et la douceur de son gouvernement, ses prédications fréquentes dans la ville et dans les villages, la facilité de son accès, son humanité avec les petits ». – Nous citerons dans ce volume le duc dont nous avons assemblé un choix d’extraits : Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, 2016, hors commerce.

164 Né le 17 janvier 1622, Louis Tronson était le fils d'un secrétaire de cabinet et de Marie de Sève. Élève du collège des Grassins, licencié en droit canon, prêtre en décembre 1647, il acquit une charge d'aumônier ordinaire du Roi le 23 décembre 1654. Entré à Saint-Sulpice le 1er mars 1656, il devint supérieur de la Solitude, puis, quand M. de Bretonvilliers fut élu supérieur, premier directeur (1657). Supérieur général de la congrégation le 1er juillet 1676, il s'établit à Issy en 1687, et mourut le 26 février 1700. (Orcibal [O], Lettre 1 note 14, [CF] 10).

Sur le lien avec Fénelon, en note 16 Orcibal cite Bremond évoquant une « curieuse lettre, entortillée, maladroite, qui nous révèle, à nous, une foule de choses, mais qui n'en veut dire qu'une, à savoir que Fénelon s'est converti à la sainteté. Ces bonnes nouvelles, une âme pudique ne les crie pas très haut ni d'emblée. De là ces détours, cet embarras, ce long début sur l'union de grâce qui s'est nouée entre lui et M. Tronson. Qu'importe ? Sa vie est orientée désormais. Parfait dès cet instant ? Non pas, ni aujourd'hui, ni demain. Mais il ne cessera pas de vouloir l'être. Ne cherchez pas ailleurs son secret » (Les plus belles pages de Fénelon, Paris, 1930, 25) ».

165 Un trimestre auparavant Mme de Maintenon écrivait le 15 novembre 1695 à l’archevêque de Paris : « …nous parlâmes de Mme Guyon ; il ne change point là-dessus, et je crois qu’il souffrirait le martyre , plutôt que de convenir qu’elle a tort ». Depuis, le 27 décembre, Mme Guyon a été arrêtée. Le duc de Beauvillier vient d’écrire le 29 février 1696 à M. Tronson : « Quoi ! dans un temps où M. de la Reynie vient, pendant six semaines entières, d’interroger Mme Guyon sur nous tous, quand on la laisse prisonnière, et que ses réponses sont cachées avec soin ; M. de Cambrai, un an après MM. de Paris et de Meaux, s’aviserait tout d’un coup de faire une censure de livres inconnus dans son diocèse ! » Nous résumons ici les points utiles à la compréhension des événements relevés par [O].

166 M. de Paris (Harlay), M. de Meaux (Bossuet), Mgr l’évêque comte de Chaalons (Noailles), M. de Chartres (Godet des Marais). « Ces ordonnances qui se succèdent d’octobre 1694 à fin novembre 1695 forment la base canonique dont il faut partir pour déterminer la teneur des critiques de fond … s’y adjoindra par la suite une immense littérature secondaire de controverses et de libelles… » (v. Madame Guyon, Œuvres mystiques, 2008, « Les Ordonnances » sont analysées pages 64-66.)

167 Accabler remplace déchiré, rayé. [O].

168 « J’ai eu de grands commerces avec M. de Cambrai qui roulent toujours sur Mme Guyon. Nous ne nous persuadons ni l’un ni l’autre » : [O] cite Mme de Maintenon écrivant le 8 mars à Noailles.

169 L’expression fait « partie de l’arsenal anti-quiétiste de Nicole » [O].

170 Donner de l’autorité, du crédit.

171 Expression malheureuse utilisée par l’aumônier de Lourdes « converti » par Lacombe, confesseur de Mme Guyon qui avait reconstitué en prison un cercle spirituel : « La petite église d’ici vous salue, illustre persécutée ». Elle provoquera bien des peines à la prisonnière. Voir Les années d’épreuves… [EG], 164 sq. – Mme de Maintenon lisait les compte-rendus d’interrogatoires.

172 Récit du rêve du mont Liban, Vie par elle-même, 2.16.7, confié imprudemment sous le sceau du secret ! à Bossuet. – Ce récit s’apparente à celui de Marie des Vallées. µ…

173 Orcibal signale une lettre de fin mai 1694 à l’écuyer Foucquet mourant dont voici l’extrait « d’une mère qui a des enfants » : « Je vous envoie la bénédiction du petit Maître. Partez, âme bienheureuse, et allez recevoir la récompense réservée à tous ceux qui, comme vous, seront à Lui sans ménagement ni retour. Allez entre Ses bras, préparez le lieu, priez pour les enfants et pour la mère : qu’ils ne s’écartent jamais ni pour le temps ni pour l’éternité de la volonté suprême et adorable. Allez, partez au nom du Seigneur, et que nous soyons unis dans l’éternité comme nous l’avons été dans le temps. J’espère de la bonté de Dieu que je serai présente au moment de votre mort en esprit et de cœur pour vous recevoir avec le petit Maître qui vous attend. Soyez mon ambassadeur auprès de Lui pour Lui dire que je L’aime. » (Madame Guyon, Correspondance Tome II Combats, [CG 2], pièce 176).

174 Mme de Maintenon avait fait délivrer Mme Guyon de son premier emprisonnement du 29 janvier au 13 septembre 1688 à la Visitation Saint-Antoine.

175 Décréditer, ôter la réputation.

176 En jugeant des livres qui contiennent des erreurs formelles par les sentiments.

177 Omission signalée par des points de suspension sans l’usage traditionnel de crochets au début (ou à la fin) des textes retenus, car ne pouvant présenter d’ambiguité avec des points de suspension propres aux sources.

178 « Né vers 1640, clerc du diocèse de Périgueux, prieur de Pontu, séminariste à Saint-Sulpice du 14 juillet 1662 à 1668. Il assista le 15 août 1668 au mariage de son frère David-François avec la nièce de Fénelon. Il était certainement prêtre le 15 octobre 1670. Bien qu'il n'ait pas acquis de grades à Paris, des pièces d'archives lui donnent le titre de docteur en théologie. Il passa les années suivantes à la Mission de Périgueux, fondée par son oncle Jean. C'est sans doute alors qu'il reçut le prieuré de Parcoul. Sa première charge semble avoir été celle de supérieur et recteur du couvent Saint-Joseph des Carmélites déchaussées de Bordeaux. Cette nomination fut approuvée le 8 juin 1675 par le nonce Fabr. Spada. En 1681 il était réélu pour la troisième fois et l'acte était confirmé le 8 avril par les vicaires capitulaires. Il était encore supérieur en 1695. Mais, dès 1676, M. de Sarlat souhaitait avoir pour vicaire général le beau-frère de sa petite-nièce. Hésitant l'abbé de Chantérac s'adressait à M. Tronson qui l'encouragea le 19 décembre 1676 à accepter, sans abandonner pour autant les carmélites. Chantérac représenta son évêque aux assemblées provinciales de 1681 et de 1685 et fit si bien que Fénelon put écrire le 2 août 1697 au Pape que l'abbé « avait été le principal soutien de son oncle l'évêque. » Pendant cette période, il restait en rapports étroits avec M. Tronson. C'est à celui-ci que la prieure de Bordeaux, Marie-Madeleine du Saint-Sacrement, adressait les lettres destinées à Chantérac : le 8 décembre 1680 le sulpicien lui répondait que l'abbé était toujours en bonne santé et qu'il se disposait à retourner bientôt à Bordeaux. […] A la charge de vicaire général se joignit la dignité de prévôt du chapitre de Sarlat dont nous le voyons pourvu en 1686, le 19 décembre 1689 et en 1694 et il n'y eut de successeur qu'en 1695. Néanmoins Godet-Desmarais, qui tenait à s'entourer de « bons ouvriers », le nomma avant le 11 novembre 1690 chanoine de Chartres. A la fin de 1694, Fénelon lui cédait le prieuré de Carennac et bientôt il l'appelait auprès de lui à Cambrai comme vicaire général. Il y devint archidiacre de Brabant et mourut à Périgueux le 20 août 1715. » (Orcibal [O], [CF] tome I, ch. II, App., note (36)).



179 524A. DE L'ABBÉ DE CHANTÉRAC A FÉNELON. A Rome, 31 mai 1698. … Les expressions de bonne amie, dont vous vous servez en parlant d'elle, et les louanges que vous lui donnez, jointes à l'application que vous avez à excuser ses sentiments, servent de prétexte à douter s'il est vrai que vous condamniez sincèrement ses livres, et si en effet vous n'avez point eu dessein de les excuser en faisant le vôtre.   …

180 Le destinataire est un « saint prélat qui sert l’Eglise avec zèle depuis tant d’années ». Il serait le tuteur des enfants du frère aîné de Fénelon selon Orcibal.

181 « Allusion probable à la sœur Rose, oracle de J.J.Boileau qu’elle animait contre Mme Guyon. Allusion possible à Catherine Gary que Ledieu appelle ‘la dévote de M. de Meaux’ » [O]. On pense aussi à l’imaginaire de la sœur Cornu qui impressionnait si fort Bossuet.

182 De mémoires rédigés en latin se détache des traductions de son livre.

183 Madame Guyon vient d’être interrogée par le terrible d’Argenson qui a succédé à l’honnête La Reynie. Bossuet écrit à son neveu à Rome : « La liaison de la Dame avec lui est manifeste. »

184 « Ce bruit n’avait d’autre fondement que la mort à la Bastille d’une femme qui servait Mme Guyon. Il fut néanmoins largement répandu en France et même à Rome où le cardinal de Bouillon l’aurait propagé. » [O]. Cet ambassadeur de France représentait les intérêts du roi. La femme fut placée auprès de la prisonnière pour l’espionner, puis finalement « l’on espérait que l’aumônier en tirerait bien des choses contre moi et que le témoignage d’un mourant pourrait être d’un grand poids. Mais le transport lui prit, elle leur dit du bien de moi… » On lira le récit haletant de leur cohabitation dans Les années d’épreuves…, « Le ‘mouton’ », pages 388-391, reprise de La Vie par elle-même, 4. Les prisons… , chapitre 6, pages 955-959. Puis « On me donna une autre fille… » : le récit de la nouvelle cohabitation figure au chapitre 7 de la même Vie, pages 963-965. Ne reste donc libre que le choix du sujet…

185 Prudence liée à la liberté conditionnelle de Mme Guyon sortie récemment de la Bastille (juin 1703). – Certains écrits « de N. » seront édités par Poiret comme Discours Spirituels.

186 Pièce 295 de la Correspondance Tome I Directions spirituelles [CG 1]. Lettres [CF] 1373 et 1373A. La division en deux lettres séparées sans correspondance entre questions et réponses les rend presque incompréhensibles, rien ne signalant la disjonction d’un paragraphe au suivant. – La difficulté est d’autant plus grande par le « respect » de l’orthographe toute phonétique adoptée par Mme Guyon. C’est un cas unique dans la [CF]. On est ainsi sûr de ne pas faire dépendre Fénelon d’une encombrante directrice peu cultivée.

Nous annotons ici plus précisément que lors de notre édition antérieure [CG 1] par un choix large des notes [O].

Le manuscrit Coll. Rothchild A[utographes] se présente selon deux colonnes sur des folios (qui furent ensuite pliés en quatre). Fénelon écrivant en colonne de gauche de sa haute écriture, laissait la place libre à droite pour des réponses à venir de sa correspondante. Procédure simple et efficace car l’archevêque disposait d’un porteur et pèlerin bénévole voyageant discrètement de Cambrai à Blois puis prenant le même chemin du retour (il s’agissait du neveu marquis de Fénelon, ou du bon Dupuy ‘Put’, ou du chevalier écossais Ramsay…) On se reportera au volume Madame Guyon Correspondance I Directions spirituelles, pièce 295, 556 sq., pour des précisions érudites dont les positionnements au sein et entre les divers folios du manuscrit.

187 Ajout de la main du Marquis de Fénelon son neveu. V. infra la section qui lui est consacrée.

188 C’est l’époque des graves revers français face à deux génies militaires, Marlborough et le prince Eugène. Louis XIV décidera de tout risquer : « Je ne consentirai jamais à laisser approcher l’ennemi de ma capitale ». Villars sauvera la France d’une situation presque désespérée le 23 juillet 1712 par la bataille de Denain.

189 Il semble s’agir du Mémoire sur les raisons qui semblent obliger Philippe V à abdiqer la couronne d’Espagne (OF 7, 164-270) mais cela pourrait aussi être le « nouveau mémoire sur les affaires générales » cité dans la lettre 1370 à Chevreuse du 3 mai : «…je voudrais bien qu’après l’avoir lu vous le confiassiez à M. Dupuy pour en envoyer une copie à N…[Mme Guyon]. Je souhaite de tout mon cœur qu’elle voie tout ce que je pense, et qu’elle me redresse si le fond de son cœur est opposé à mes pensées. »

190 « Les Hollandais demandaient à Louis XIV de tourner ses armes contre son petit-fils roi d’Espagne. Villars déclara, en partant commander la dernière des armées du Roi, que « l’État se trouvant exposé au hasard d’une journée », il avait cru devoir, comme un bon sujet, « presser S.M. de faire la paix à des conditions dures, même en déclarant la guerre au roi d’Espagne ». Cette condition exorbitante fut refusée par Louis ; heureusement Villars fut victorieux… » [O].

191« Libérée de la Bastille le 24 mars 1703, Mme Guyon avait été placée sous la surveillance de l'évêque de Blois D. de Bertier et accueillie par son fils aîné Armand-Jacques, seigneur de Briare et de Champoulet, qui vivait à Diziers dans une terre de sa femme. Vers le milieu de 1706 elle voulut s'établir dans un autre domaine, Courbouzon, mais Pontchartrain refusa parce que ç'aurait été sortir du diocèse de Blois. Vers le 15 septembre, elle allait demeurer dans la maison des Forges, près Suèvres, et, au bout de trois mois, elle eut l'autorisation d'acheter à Blois une maison située au dessus des fossés du château. Elle y mourut en 1717, en très bons termes avec D. de Bertier » [O].

192 Duchesse de Mortemart, v. infra la section qui est consacrée à celle qui fut l’animatrice du cercle des disciples durant les indisponibilités de Mme Guyon et de Fénelon exilé. - Les noms des destinataires « p.D., put », plus bas « L’ab. De B., L’abé de Leschel, L’abbé Colas », sont rayés.

193 Cela se produira. Nous pensons qu’elle succéda à Mme Guyon.

194 « Langeron souffrait depuis au moins quinze ans d’une propension au sommeil dont il se moquait lui-même [...] Dès le 12 juillet 1710, il n’était plus en état de répondre à Mme de Noailles et allait mourir le 10 novembre suivant à Cambrai [...] » [O]. – Langeron étai un « ami intime » dont la perte désolera Fénelon. V. infra « A des correspondants connus », L. 667, note.

195 « Pendant sa mission à Rome, Chantérac avait déjà les jambes malades […] Une aggravation de sa maladie l’avait empêché de signer « à cause du tremblement continuel de ses mains » [ce qui suggère une maladie de Parkinson] le second testament qu’il avait passé à Cambrai le 20 juillet 1709 en faveur du séminaire et des pauvres. [...] il mourut à Périgueux le 20 août 1715… » [O].

196 Des intrigues jansénistes ? Mgr de Noailles, cardinal-archevêque de Paris est galllican, hostile aux jésuites et n’acceptera pas en 1713 la bulle Unigenitus suivi en cela par sept autres évêques. Fénelon se bat contre les jansénistes.

197 Né en 1668, neveu du premier évêque de Québec, il fut proposé par Fénelon et devint en 1709 archidiacre et official : la note d’Orcibal à la lettre 1373A donne sa biographie.

198 « Encouragé par Mme Guyon, Fénelon travailla à procurer un « petit évêché », comme Lombez, à l’abbé de Laval [...] La nomination de celui-ci à Ypres le 16 février 1713 parut un grand coup [...], mais il mourut dès le 24 août 1713. » [O].

199 Beaumont (Pantaléon de), fils de Henri de Beaumont et de Marie de Salignac, sœur consanguine de Fénelon, naquit en 1660 au château du Gibaut. Il fut associé à Fénelon, en 1689, en qualité de sous‑précepteur du duc de Bourgogne. La disgrâce qui accabla, au mois de juin 1698, les amis de Fénelon, obligea l'abbé à se retirer à Cambrai, où l'archevêque le fit son grand‑vicaire. Il est souvent désigné dans la Correspondance sous le nom de Panta. Nommé en 1716 à l’évêché de Saintes, il se concilia l’estime et la considération générale. Il mourut à Saintes en 1744.

200 « En particulier par son goût des recherches généalogiques : voir sa lettre du 4 mai 1710 à Clairambault. Mais Fénelon écrivait le même jour à l’érudit ! » [O].

201 Mme Guyon pouvait avoir reçu une copie du mémoire au P. Le Tellier de février 1710, où Fénelon annonçait : « Je me charge d’une explication claire et précise du texte de saint Augustin […] M. l’abbé de Langeron travaille actuellement pour faire une semblable explication du texte de saint Thomas… » [O].

202 Beauvillier aurait fait en 1689 de cet exempt des gardes du corps un gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne. Saint-Simon l’oppose à Isaac du Puy comme « dévot de bonne foi aussi et plein d’honneur, mais un des plus plats hommes de France ». Après sa disgrâce il allait parfois à Cambrai, mais l’archevêque n’approuvait pas qu’il « se mêla de direction » [O].

203 Armand-Jacques, qui accueillit à Dizier près de Blois sa mère à la sortie de la Bastille le 24 mars 1703. « Vers le milieu de 1706 elle voulut s’établir dans un autre domaine, Courbouzon, mais Pontchartrain refusa, parce que ç’aurait été sortir du diocèse de Blois. Vers le 15 septembre, elle alla demeurer dans la maison de Forges, près Suèvres, et au bout de trois mois, elle eut l’autorisation d’acheter à Blois une maison… » [O].

204 « Pierre Collas […] sans doute receveur des tailles à Montargis, cousin germain du mari de Mme Guyon, était un des cinq parents qui confièrent le 27 septembre 1683 la tutelle de ses enfants à Denis Huguet… » [O].

205 Le reste de la colonne est resté en blanc et de même f. 4v° sauf une annotation : «  Cet écrit de la propre main de feu M. l’archevêque de Cambrai, mon grand-oncle, et les réponses en marge de Madame Guion, qui sont de la main de cette dame, doivent être de l’année 1710 qui est le temps où les armées commencèrent à se trouver dans le grand voisinage où elles furent de Cambrai, cette campagne et les deux suivantes. De semblables consultations à une dame par ce grand archevêque, montrent de quelle vénération sa mémoire est digne. J’atteste ces écritures comme les connaissant parfaitement. Le Marquis de Fénelon. » (Source : Coll. Rothschild A[utographes], XVII, t. V, 296).

206 [CF] lettre 1377. « Extrait d’une lettre de M. de Cambray », Aberdeen University Library, ms. 2746.

207Jour de l’Ascension. La neuvaine se terminerait donc la veille de la Pentecôte, qui tombait le 8 juin 1710. [O]

208 Entre 1710 et 1717, Madame Guyon eut auprès d’elle à Blois jusqu’à sept Écossais à la fois, ce qui explique la présence de ce manuscrit à Aberdeen. [O]

209 L’édition de référence [CF] respecte un ordre strictement chronologique ce qui noie la minorité spirituelle au sein de multiples « lettres d’affaires ». Son organisation rend difficile une lecture méditative. Par contre l’ordre par destinataire avait été choisi en 1848-1852 dans le huitième tome de l’édition [OC] dite de Paris au sein des lettres rassemblées sous le titre de Lettres Spirituelles (LSP 1 à 502) (OC 8). Mais l’ensemble était trop large, le spirituel voilant le mystique. Surtout il a été complété en 2007 par I. Noye qui propose des destinataires (en particulier la « petite duchesse » de Mortemart, probable successeur de Madame Guyon, apparaît enfin).

210 C’est la grande variable humaine, celle des tempéraments, abordée par la caractérologie à l’aide de divers classements, depuis la variété propre à un Lavater (1740-1801) jusqu’à la dichotomie propre à des modernes popularisés par un Mounier (1905-1950) et d’autres : introversion vs. extraversion, etc.

211 À l’ordre d’âge qui ne signifie guère au plan mystique et par ailleurs difficile à établir – à tout regroupement sur des critères « généralistes » arbitraires et peu significatifs intérieurement compte tenu de la variété des tempéraments.

212 [CF], Tome XVIII, « Suppléments et Corrections ».

213 Nous l’avons entrepris à notre usage et son « brouillon » est disponible sur demande adressée au webmaster de www.cheminsmystiques.fr.


214 À l’aide de fragments non repérés dans [CF].

215 Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon (1635 – 1719) naquit en 1635 dans une prison de Niort, où sa mère était renfermée avec son père, Constant d'Aubigné, ardent calviniste, suspect au cardinal de Richelieu. Elle épousa en 1652 le poète Scarron, qui la laissa veuve en 1660. Nommée gouvernante de Louis‑Auguste de Bourbon, duc du Maine, fils naturel de Louis XIV et de Mme de Montespan, elle gagna dans cette place toutes les affections du monarque, par les charmes et la solidité de son esprit. Enfin ce prince, résolu de rompre les attachements criminels auxquels il avait été trop longtemps assujetti, s'unit à elle, en 1685, par les liens indissolubles d'un mariage secret, mais revêtu de toutes les formalités prescrites par l’Église. » (Fénelon, édition ancienne de 1829). - Au-delà du rappel de ces quelques dates, on note son « enracinement de la vie religieuse dans la vie morale » et son souci, en fondant la maison d’éducation de Saint-Cyr, d’éviter à d’autres ce qu’elle a connu elle-même. V. DS, 10.115-118. – Elle exaspère Saint-Simon : par ex. t.13, ch.2 & 3 : « Elle n'avoit de suite en rien que par contrainte et par force. Son goût étoit de voltiger en connoissances et en amis comme en amusements […] L'abjection et la détresse où elle avoit si longtemps vécu lui avoit rétréci l'esprit, et avili le coeur et les sentiments. »

216 Fénelon se justifiera à Issy citant Catherine de Gênes : « Dieu alors dépouille l’âme de toutes les vertus et il la salit pour l’humilier ». [O].

217 J’utilise pour ce relevé et les suivants les index de la [CF] parue chez Klincksieck puis Droz pour les tomes II, IV, …XVI, 1972-1999, XVIII, 2007 tome dernier établi par I. Noye. – Je tiens à disposition les relevés OCR correspondants.

218 Citations : CF 3, L.43, n.1 ; CF 3, L.283, n.5. 

219 Ce que ne suggère aucunement la première note attachée à la lettre LSP 32*, première des lettres de cette section « Marquis de Blainville ». Mais c’est ce qu’avancera avec prudence I. Noye [N] dans sa note 6 attachée à LSP 36*, reproduite infra. - Le contenu du début adressé « au converti » correspond par ailleurs à ce qu’avoua le marquis à Mme Guyon.

Orcibal [O] hésite dans son attribution à la première note de la L.43, dont nous venons d’extraire ci-dessus la biographie de Jules-Armand Colbert. Puis il met en avant la présente attribution : « Il est cependant plus naturel de supposer que cette lettre est adressée à Blainville lui-même avec qui l’archevêque échangera par la suite une abondante correspondance et qu’il connaissait certainement déjà à cette date. Quatrième fils du ministre… »

On trouvera un bref extrait de la L.43 infra, première lettre succédant à celles adressées « à un converti » et datée de la fin de 1688.

220 « Les lettres LSP 31 à LSP 34 semblent adressées à un homme que Fénelon guide dans les débuts de sa conversion. Il paraît préférable de lire d’abord LSP 32, démarche audacieuse de l’apôtre qui aborde un inconnu auquel des amis communs ont procuré ce rapprochement. L’intéressé a accueilli favorablement cette démarche, comme l’indique le début de LSP 31. Après un voyage qu’il a fait en réponse à l’invitation initiale, il a laissé Fénelon sans nouvelles (LSP 33), et un peu plus tard il l’inquiète par des dispositions dangereuses (LSP 34). » [N].

I.Noye regroupe ces lettres sous un unique destinataire : « O ». Nous les donnons ici intégralement car elles furent « présélectionnée » par les disciples pour l’édition de 1717. Nous venons de voir qu’il s’agissait très probablement de Blainville selon [O] et n. 6 attachée à LSP 36* [N].

221 Appel de note reportée en fin de lettre. De même par la suite.

222 Pour la plupart éditées en [CF 18] après celles « au converti O », sauf la première 43. en [CF 2] – nous faisons donc précéder LSP 66 de « 43. » - et sauf les deux dernières, datées de la fin de la vie de Blainville.

223 En LSP 137 Fénelon évoque de même pour Mme de Mortemart la rencontre dans le «centre commun », où « la Chine et le Canada viennent se joindre ». [N].

224 Blainville recourait à sa soeur, Mme de Mortemart, comme guide spirituelle; très sensible aux défauts d'autrui (« Demeurez uni à la bonne... [duchesse] malgré l'opposition de vos deux naturels, et la vivacité qui vous rend l'un et l'autre si sensibles », 672. LSP 80), elle souffrait spécialement des fautes ou défauts qu'elle constatait en lui. (CF 18, LSP 133, [N]. Dans ce qui suit nous omettons les notes [N] constamment reprises).

225 Sa soeur, Mme de Mortemart.

226 Le groupe guyonien se trouve ici caractérisé par son origine inspirée son fonctionnement solidaire et son but. [N].

227 On connaît deux voyages de la duchesse de Mortemart au cours desquels elle put être reçue par Fénelon : en 1699, elle passa au Cateau-Cambrésis au début d'octobre et repassa pour en repartir le 15 (il y résida du 4 au 14); en 1702. elle séjourna à Cambrai quelques jours à partir du 8 juillet.

228 Retour sur l'objectif assigné au groupe guyonien.

229 Vraisemblablement la folie de sa femme, née Gabrielle de Tonnay-Charente.

230 Sa soeur, la duchesse de Mortemart.

231 Comme souvent avec les correspondants dont il est spirituellement proche, Fénelon se montre éprouvé autant que Blainville; l'avant-dernière phrase, ci-dessous, exprime aussi leur union. (Noye).

232 Col. III, 3.

233 La fille de Blainville, visitandine à Saint-Denis, allait mourir le 18 octobre 1698.

234 Rom. XIV, 8.

235 Thérèse d’Avila, Pensées diverses, 2.

236 La lettre s’adresse d’abord aux deux correspondants, tout comme le dernier alinéa. En admettant que N... soit, comme souvent, Mme de Mortemart, et que le premier « nous » représente Fénelon avec Blainville, on peut voir dans cette lettre une étape importante dans l’évolution de celui-ci : ayant conversé avec Fénelon, il est décidé à adopter le programme spirituel que celui-ci lui propose, ce qui fait prévoir une étroite union avec sa soeur. Il est donc chargé d’apprendre à celle-ci la bonne nouvelle (à moins que le second N. ne désigne Mme Guyon?). La lettre, datant d’un mois de novembre, peut être de 1694, 1695 ou 1696, dates où Fénelon était à Versailles ou Paris ; 1694 nous paraît plus probable […] (Noye).

237 Le marquis avait surveillé en décembre 1696 et janvier 1697 l’impression des Maximes des Saints. (O]

238 Il doit s’agir de Mme de Beauvillier ou de Mme de Mortemart. [O]

239 Les suites de la condamnation du quiétisme par le pape. « C’était l’époque de l’Assemblée du clergé où triomphait Bossuet… » [O]

240 « Placées à la suite de la lettre 715 du 4 août 1701 dans une copie revue par le marquis de Fénelon (A.S.S., pièce 552), cette lettre et les deux qui la suivent peuvent appartenir à la période 1701-1704 pour laquelle on ne connaît pas de lettres datées de Fénelon à Blainville. » (CF 18, LSP 83, n. Noye).

241 II Cor. XI, 2.

242 Addition marginale de Gosselin qui avait eu sans doute sous les yeux un manuscrit qui les comportait, non retenue dans (OC): « Renouvelez-vous souvent devant Dieu et soyez, par son esprit, doux, simple et petit avec les hommes ». (Noye).

243 Jean XII, 360.

244 Fénelon range sans doute la géométrie parmi « les curiosités qui passionnent »; mais puisqu'elle « a expliqué l'art de découvrir les vérités inconnues » (Pascal, De l'esprit géométrique, 1), peut-être voit-il en elle une pente vers le rationalisme. (Noye).

245 Hilaire de Poitiers, De Trinitate, IV, 25, suivi par saint Augustin.

246 [CF 3] note 1 à la lettre 23. Orcibal ajoute : « On ne doit pas la confondre avec Marie-Christine de Noailles, duchesse de Gramont (1672-1748), née le 4 août 1672, mariée le 12 mars 1687 à Antoine de Gramont, comte de Guiche, duc en 1695, plus tard maréchal de France. Veuve en 1725, elle mourut le 14 février 1748. « La colombe était une ardente disciple de Mme Guyon » selon Saint-Simon… » Nous avons un temps pensé à tort qu’elle pourrait avoir succédé à Madame Guyon. - Ni la confondre avec sa mère Mme de Noailles (1656-1748), épouse du maréchal, en relation parfois tendue avec Fénelon, dont une lettre figure infra.

247 [CF 18] « Lettres retrouvées ».

248 Ibid., v. note [N].


249 Et non [1695] selon [CF 18], page 19.

250 [CF 3], note 1 à L.295, 473-474. – v. le Dict. de Spir., 9.175.


251 LSP 7 est suivie de LSP 8 à 12 au même dom Lamy : CF 14, L.1189, 1217, 1297, 1398, 1405, non retenues.

252 Un bénédictin italien.

253 [OF 2]: Œuvres complètes de Fénelon, Tome deuxième, Paris, 1848, p. 159.

254 Charles-Honoré d’Albert, duc de Luynes, duc de Chevreuse (1656-1712). Il fut élève des petites écoles de Port-Royal, gendre de Colbert, beau-frère et ami du duc de Beauvillier, conseiller particulier respecté par Louis XIV, et après 1704, ministre d’État : « les ministres des affaires étrangères, de la Guerre, de la Marine et des Finances avaient ordre de ne lui rien cacher » (Pillorget, R. et S., France baroque, France classique 1589-1715, I. Récit, Laffont, 1995, 1162.)

Saint-Simon lui élève le « tombeau » suivant : « J’ai parlé ailleurs [...] de la droiture de son cœur, et avec quelle effective candeur il se persuadait quelquefois des choses absurdes et les voulait persuader aux autres [...], mais toujours avec cette douceur et cette politesse insinuante qui ne l’abandonna jamais, et qui était si sincèrement éloignée de tout ce qui pouvait sentir domination ni même supériorité en aucun genre [...] C’est ce même goût de raisonnements peu naturels qui le livra avec un abandon qui dura autant que sa vie aux prestiges de la Guyon et aux fleurs de M. de Cambrai [...] Sa déférence pour son père le ruina, par l’établissement de toutes ses sœurs du second lit dont il répondit, et les avantages quoique légers auxquels il consentit pour ses frères aussi du second lit, et qui ne pouvaient rien prétendre sans cette bonté. Jamais homme ne posséda son âme en paix comme celui-là. [...] Le désordre de ses affaires, la disgrâce de l’orage du quiétisme qui fut au moment de le renverser, la perte de ses enfants, celle de ce parfait dauphin, nul événement ne put l’émouvoir ni le tirer de ses occupations et de sa situation ordinaire avec un cœur bon et tendre toutefois. Il offrait tout à Dieu, qu’il ne perdait jamais de vue ; et dans cette même vue, il dirigeait sa vie et toute la suite de ses actions. Jusqu’avec ses valets il était doux, modeste, poli ; en liberté dans un intérieur d’amis et de famille intime, il était gai et d’excellente compagnie, sans rien de contraint pour lui ni pour les autres, dont il aimait l’amusement et le plaisir; mais si particulier par le mépris intime du monde… » (Saint-Simon, éd. Cheruel, tome 10, chap. 12.).

Voir [CF] T. III, n.15 page 155 sur l’origine de ses relations avec Fénelon et avec Mme Guyon.

255 Madame Guyon, Correspondance, Tome II, très nombreuses lettres transitant par Chevreuse.

256 « Quant au destinataire, c’est Chevreuse d’après Saint-Simon et Beauvillier selon toutes les autres sources » (CF 7, présentation de la L.433). La lettre se répandit dans toute la Cour  et parut « une espèce de manifeste » : elle s’ouvre par « Ne soyez pas en peine de moi, Monsieur : l’affaire de mon livre va à Rome […] Je demande seulement au Pape qu’il ait la bonté de marquer précisément les endroits qu’il condamne… »

257 Les amis de Port-Royal qui avaient dirigé son éducation et avec lesquels il n’avait rompu, à cause de Mme Guyon, que vers 1693. Le portrait (ou la caricature) qu’en propose Fénelon, vise surtout Pierre Nicole… [O]

258 « Saisissante indication psychologique. » [O]

259 Ce court extrait n’est pas « spirituel » mais permet de situer les conditions vécues par l’archevêque et par le dauphin (qui sera critiqué).

260 « En 1667, les armées de Louis XIV conquièrent Ath. Vauban fera construire une fortification nouvelle entre 1668 et 1674. Cette imposante enceinte comprendra non moins de 8 bastions, reliés par des courtines, elles-mêmes protégées par des tenailles et des demi-lunes. » Bertrand, Histoire de la Ville d'Ath.

261 Maximilien-Emmanuel, électeur de Bavière, gouverneur des Pays-Bas espagnols. En mai 1699 l’émeute avait grondé à Bruxelles…[O]

262 Gen. XIII, 9.

263 Eph. IV, 23.

264 « Encore un mot bien guyonien […] » [O]

265 Lettre 640 B. LE DUC DE CHEVREUSE A FÉNELON. A Paris le 11e janvier 1700. Votre réponse, mon bon Archevêque, m'a fait un plaisir que je ne puis vous exprimer. Elle m'a découvert à mes propres yeux, elle a porté la lumière dans les endroits que la nature ne voulait point voir. Il me paraît clairement que tout ce que vous me dites est vrai. Il me semble même que depuis que vous me l'avez dit par votre lettre, la même chose m'est presque continuellement redite au-dedans. Je suis averti, et chaque avertissement tout prompt et léger qu'il est, porte sa conviction avec soi. Pour l'exécution, ce n'est pas la même chose. Il y a quelque changement en moi, mais très petit. Je cesse souvent d'écouter ces avertissements intérieurs dont l'impression s'efface dans le moment qu'on y est sourd, et je demeure enveloppé dans la foule de paroles et d'actions ou circonstances superflues. Cependant il me semble que j'ai bon courage, et votre lettre est pour mon coeur une loi inviolable dont il est bien résolu de ne se départir jamais. […] /, Mais, mon cher Archevêque, ce que vous me proposez d'excellent et dont le choix est bien difficile, c'est le commerce d'une personne avec qui l'on s'ouvre pleinement et sans réserve en toute simplicité. Je n'en vois qu'une qui ait pour cela tout ce qu'il faut, c'est-à-dire qui soit dans la voie, qui ait de la grâce, que je puisse voir assez souvent sans qu'on le remarque ou s'en étonne, qui soit franche et simple. C'est la Bon[ne] Pet[ite] Duch[esse][de Mortemart]. Mais je vois en elle bien des choses que je n'approuve pas et quoiqu'elles ne soient point essentielles, je ne pourrais lui parler franchement sans les lui dire. Apparemment cela ne lui conviendrait pas. Ces choses sont un peu trop de liberté en beaucoup de choses où une personne aussi avancée n'en devrait pas prendre. Cependant je n'en juge pas, et je n'aurai nulle peine à lier avec elle ce commerce de simplicité si vous le voulez. Je ne vois nulle autre personne qui me convienne pour cela, comme je viens de le dire. Car je doute que Marv[alière] y fût propre, ni même peut-être le B[on] D[uc][de Beauvillier] que je ne vois pas même assez de suite pour ce commerce, et je n'en sais nul autre. Mandez-moi donc votre avis sur cet article, ou plutôt votre volonté que je veux suivre en tout. Voilà, mon très cher Archevêque, ce que j'avais bien envie de répondre à votre dernière lettre. Vous pouvez juger si vous aviez raison de douter que votre franchise et votre ouverture me fit plaisir. Je sais que Dieu me parle par vous. Je sens que ce qu'il vous fait dire porte sa grâce avec soi. Je me sens ouvert et petit avec joie sous votre main, quoique nature en ait d'abord un peu de tristesse et de serrement, mais passager et sans suite. Je me sens enfin une liaison intime du coeur avec vous qui me porte et m'unit à Dieu. Je vous mande tout de suite et sans réflexion ce qui me vient dans le temps que j'écris, et je ne le relis point [fin de lettre très guyonienne [O]. Adieu, mon très bon, aimons-nous. Demeurez unis en notre Dieu sans entre-deux et pour toujours.

266 v. CF 3, L.240, n.2 sur cet homme de confiance de Beauvillier et de Madame Guyon.

267 En faveur de la duchesse de Mortemart, la B.P.D. ; voir infra, L.912A.

268 « On ne pouvait en effet trouver étranges ces rencontres de Chevreuse avec sa belle-sœur. » [O]

269 « Fénelon dénonce souvent les « racines » jansénistes de la formation de Chevreuse. … » [O]

270 « Ce n’est pas un hasard si Fénelon reprend ici un titre du P. Malebranche. » [O]

271 Matth. VI, 31 puis Ps. XLV, 11.

272 Témoignage qui suggère que la B[onne] P[etite] D[uchesse] de Mortemart devenue confidente en relation étroite avec Madame Guyon à la suite de Fénelon lorsqu’il fallait protéger l’archevêque juste avant l’enfermement « définitif » à la Bastille, pourrait avoir succédé dans la lignée puisqu’elle vécut jusqu’au milieu du siècle suivant.

273 Ephes. V, 16 : « … Et rachetez le temps, (parce que les jours sont mauvais) » (Amelote).

274 II Cor. VII, 3 : « …ni la vie, ni la mort (ne vous sépareraient jamais de mon cœur). » (Amelote).

275 Lettre qui souligne les difficultés rencontrées par le dauphin puis les épreuves vécues par l’ancien précepteur devenu dignitaire d’Église pendant les misères de la guerre. En petit corps.

276 Le vidame d’Amiens, fils du duc de Chevreuse.

277 Le fidèle Isaac du Puy, « fort honnête, fort droit, fort sûr… » selon Saint-Simon, renseignait encore le marquis de Fénelon en 1737.

278 [CF] 8, L.271 du 15 avril 1700. Dans la même longue lettre : « Tout ce qui excite vos réflexions ardentes et délicates vous est un piège dangereux. … Ne soyez pas martyre des bienséances … si vous êtes bien occupée de Dieu, vous le serez moins de plaire aux hommes, et vous leur plairez davantage. »

279 La correspondance avec la comtesse est la plus longue de toutes les « Correspondances spirituelles ». Fénelon lui adresse 325 lettres [OC 8], L.267 à L.591, dont nous retenons des fragments prélevés sur moins d’un dixième : « Une demi-heure de conversation simple fera plus que cent lettres, et nous mettra à portée de rendre toutes les lettres utiles, en les rendant proportionnées aux vrais besoins » lui écrivait-il dès le début de leur relation [CF 8], L.270 du 15 mars 1700.

280 [O] attache à cette lettre un longue note (deux pages !) situant la famille de la fille de sa correspondante, dont plusieurs membres apparaîtront dans la [CF] : v. [CF 11], L.648, n.3.

281 II Cor. III, 17.

282 et le mérite bien ajout.

283 entraînement journalier surcharge.

284 « Trop est avare à qui Dieu ne suffit » (Institutions de Tauler).

285 « Cette phrase et celles qui la suivent font de cette lettre un morceau d’anthologie » [Orcibal].

286 De Jean de Bernières (1602-1659). - Fénelon n’a pas été arrêté par sa condamnation en 1689 ni par Bossuet (« la matière des Maximes des saints … déjà jugée ne la personne de Molinos, de La Combe, de Mme Guyon, de Bernières ») [O]

287 de sentiment surcharge.

288 sans qu’elles le sachent … au besoin surcharge.

289 Fin de lettre omise ainsi que les douze lettres suivantes (celle du 19 février est spirituellement fine : « …on n’écoute point les dépits de l’orgueil … quand on ne fait que les souffrir …Dieu nous purifie et nous perfectionne. Il faut donc laisser passer cette souffrance, comme on laisse passer un accès de fièvre ou une migraine… »).

290 [CF 18], Lettres retrouvées.

291 Cant. II, 16.

292 Dont la fête tombait précisément le 10 juin. [O]

293 Matth. V, 34.

294 Longue fin omise ainsi que les huit lettres suivantes. (L.du 16 juin : « pour la crainte des consolations, elle va trop loin : prenez simplement celles qui vous viennent … Je conclus que je vous enverrai dimanche un relai à S… pour venir coucher à Cambrai. Je comprends que vous voudriez que j’allasse le mardi à… et c’est à quoi je suis tout prêt. » [un archevêque vraiment dévoué] ; 27 juin : « vous êtes scrupuleuse sur des bagatelles » ; 11 juillet : « On prétend même que vous avez fait diverses austérités » ; 5 août : «  il me tarde infiniment de me raccommoder avec vous, madame, et beaucoup plus encore de vous raccommoder avec Dieu » ; 14 août : « Vous avez voulu vous donner ce que Dieu ne vous donnait pas, et vous ôter par courage ce qu’il ne vous ôtait point ».

295 Qui n’est pas le confesseur ordinaire de la comtesse. [O]

296 Première moitié de lettre reproduite, illustrant les effets forts causé par scrupules : et pourtant il ne s’agit pas d’une personne en clôture ! - Suivent douze lettres sans compter la 771 incertaine, dont : « Laissez Mme d’Oisy lire, goûter, prier, se nourrir. Il faut donner patiemment aux âmes, avant que de leur demander. Il faut qu’elles aient été nourries intérieurement de l’oraison… » (16 octobre) ;

Une belle confidence : « Je n'ai rien à vous dire aujourd'hui de moi; je ne sais qu'en dire ni qu'en penser. Il me semble que j'aime Dieu jusqu'à la folie, quand je ne recherche point cet amour. Si je le cherche je ne le trouve plus. Ce qui me paraît vrai en le pensant d'une première vue, devient un mensonge dans ma bouche, quand je le veux dire. Je ne vois rien qui soulage mon coeur ; et si vous me demandiez ce qu'il souffre , je ne saurois vous l'expliquer. Je ne désire rien ; il n'y a rien que j'espère ni que j'envisage avec complaisance. Mon état ne me pèse point ; je suis surmonté des moindres bagatelles. D'un autre côté, les moindres bagatelles m'amusent, mais le cœur demeure sec et languissant. Dans le moment que j'écris ceci , il me parait que je mens. Tout se brouille. Dans ces changemens perpétuels , je ne sais quoi ne change point, ce me semble.” (20 novembre) ;

Mais aussi : “Combien de fois m’avez-vous promis des merveilles ! C’est toujours à recommencer…” (18 janvier 1702) ; “ On assure que vous y allez [à l’église] deux fois par jour” (!) (15 février) aussi : “j’irai à l’église pour vous” (12 avril) ;

La subtilité du connaisseur des âmes : “Les sentimens et les discours de la personne révoltée ne sont pas de votre véritable fond. L'autre personne est la véritable, qui veut ce qu'elle pense et ce qu'elle dit. Vous le voulez lors même que vous ne croyez plus le vouloir, et vous ne voulez ni ne croyez jamais ce qui passe par l'imagination et par le senti- ment de cette autre personne, qui assure tout ce qu'elle sent et imagine. Il n'y a que l'expérience des peines intérieures qui donne la clef de ce mystère.”


297 La "petite duchesse" confidente de madame Guyon juste avant l’emprisonnement « définitif » à la Bastille. C’est peut-être celle qui lui succéda.

298 Mme de Souastre … expression associée d’une manière originale à la spiritualité du moment présent… » [O] note 4.

299 « La fin de ce paragraphe semble décrire les communications de grâces guyoniennes. » (Note 6 d’Orcibal).

300 Suivent seize lettres avant la fine et sévère analyse [O] du 10 octobre de la même année : « J’ai vu aujourd’hui, après cinq ans de séparation, M. le duc de [Bourgogne] ; mais D[ieu] a assaisonné cette consolation d’une très sensible amertume… » [ici Orcibal cite Saint-Simon: « le Roi défendit de plus » au duc « de sortir de sa chaise… » la rencontre eut cependant lieu, mais fut brève, v. la suite de la note 7] (26 avril 1702) ; « Un jour de persévérance dans la peine est plus agréable à Dieu, et avance davantage une âme, que plusieurs années dans l'enivrement des prospérités spirituelles, où l'on dit comme saint Pierre : Nous sommes bien ici. Votre amie a besoin de vous, et vous voyez le bien que vous lui faites. Je vous la recommanderais de tout mon coeur, si ce n'était vous faire in­jure, que de vous recommander une personne qui vous est si chère. J’en espère beaucoup et il me tarde bien de voir ce que vous avez fait dans son coeur. Mais vous, qui faites du bien aux autres, ne vous faites plus de mal à vous-même. Ne vous écoutez plus; n'écoutez que Celui dont la voix vivifie l'âme en l'anéan­tissant. Surtout déliez-vous de votre délicatesse, comme de la plus dangeureuse tentation. . Dieu soit en vous, et vous possède , jusqu'à ne vous plus permettre de vous posséder.” (13 mai).

301 Treize lettres dans [OC] nous séparent du 30 juillet 1703 (L.926 infra): “La direction n'est point un commerce où il doive entrer rien d'humain, quelque innocent et régulier qu'il soit : c'est une conduite de pure foi , toute de grâce, de fidélité, et de mort à soi-même. Qu'importe que la médecine cé­leste soit dans un vase d'or ou dans un vase d'argile, pourvu qu'il soit présenté de la main de Dieu , et qu'il contienne ses dons.” (13 octobre); “Il y a une illusion très-subtile dans vos peines, car vous vous pa­raissez à vous-même toute occupée de ce qui est dit à Dieu , et de sa pure gloire ; mais dans le fond , c'est de vous dont vous êtes en peine. Vous voulez bien que Dieu soit glorifié, mais vous voulez qu'il le soit par votre perfection, et par là vous rentrez dans toutes les délicatesses de votre amour-propre.” (8 mai 1703); “L'amour-propre poussé à bout ne peut plus se cacher et se déguiser. Il se montre dans un transport de désespoir ; en se montrant , il déshonore toutes les délicatesses, et dissipe les illusions flatteuses de toute la vie : il paraît dans toute sa difformité. C'est vous-même idole de vous-même, que Dieu met devant vos propres yeux.” (LSP 358).

302 [CF 18], Lettres retrouvées.

303 Job, III, 25. « l'une des pages les plus fortes de Fénelon sur l'amour-propre. » (Noye).

304 Dix-sept lettres : « On cherche des ragoûts d'amour-propre, et des appuis sensibles, au lieu de chercher l'amour. On se trompe même, en cherchant moins à aimer , qu'à voir qu'on aime.” (30 septembre 1704).

305 Prendre un autre directeur que Fénelon.

306 Pas de rupture, huit lettres pour l’année.

307 Douze lettres pour l’année : «Je ne suis ni mort ni malade, mon impatience pour mon retour est grande : je n'y perdrai pas un quart d'heure. En attendant, je prie le D[ieu] de paix de garder votre coeur, et de le garder contre vous-même. Je ne me défie que de vous : le reste ne peut rien.” (28 septembre 1706) ; « On ne peut pas dire qu'une personne est ma­lade, quand elle n'a besoin, pour se bien porter, que de n'user d'aucun remède. Une santé est bonne, quand on n'a besoin, pour l'entretenir, que de n'y rien faire. Alors on n'a point d'autres maux que ceux qu'on se fait à soi-même, en voulant se guérir de ceux qu'on n'a pas.” (21 mars 1707).

308 Job, IX, 4.

309 Multiples lettres abordant toujours les mêmes thèmes : « amour-propre effréné » du 10 août, est devenu « furieux » le 3 septembre, causé par « une vaine estime de l’esprit » (9 novembre), par une « contention perpétuelle contre un danger imaginaire de pécher » ((27 novembre)…

310La comtesse meurt en 1720, après Fénelon (†1715). On ne peut pas dire que l’état de la comtesse ait bien évolué depuis 1709 : nous ne retenons rien des années suivantes. Fénelon pouvait-il venir à bout d’un esprit aussi scrupuleux et jaloux ? On relève comme dernier contact entre directeur et dirigée le « billet d’affaire » de la L.1947 du 24 décembre 1714, précédant de peu la dernière L.1954 d’adieu du 6 janvier 1715 adressée au P. Le Tellier, « Je viens de recevoir l’extrême-onction… » 

311 Saint-Simon voudrait épouser une fille Beauvilliers, Mémoires, t.1, ch.8 [1694] ; l’orage menace les ducs et duchesses qui à la Cour « essuyèrent une désertion presque générale », Fénelon est « cassé », Mme Guyon est transférée à la Bastille, t.2, ch. 8 [1698] ; Beauvilliers responsable du voyage du duc d’Anjou déclaré roi d’Espagne, t.3, ch.3 [1700] ; le duc de Bourgogne deviendra Dauphin mais ce grand espoir sera vite déçu, t.6 [1708] & t.9 [1711] & t.10 [1712] ;

‘Tombeau’ élevé par le duc à Beauvilliers, t.11, ch.11-12, « On a vu ailleurs avec quelle grandeur d'âme, quel détachement, quelle soumission à Dieu, quelle délicatesse de totale dépendance à son ordre, il soutint l'orage du quiétisme, la disgrâce de l'archevêque de Cambrai , de ceux qui y furent enveloppés, et le péril extrême qu'il y courut […] la probité la plus innée, l'amour et la soif de la vérité la plus ardente et la plus sincère, la pureté la plus scrupuleuse, une présence de Dieu sensible, habituelle dans toutes les diverses fonctions et situations de ses journées… ».

312 Deux cit. latines : I Reg. X, 6 puis II Cor.VI, 13.

313 Autre appréciation positive de la B.P.D. après celles donnée à Chevreuse.

314 Après sa très grave maladie du printemps de 1701 le duc avait encore eu une rechute à l'été 1702. [O]

315 Inspiré de I Cor. XII

316 Trois jours après, le 1er janvier au soir, Fénelon ressent une forte fièvre et des douleurs très aiguës. Il expire le 7 janvier à 5 heures et quart du matin. (CF 17, chronologie).

317 Jean XIV, 28.

318 « A des correspondants connus », L.1027 à Joseph-Clément de Bavière.

319 « Les lettres A 200 et 201 sont authentifiées par les autographes comme adressées à Marie-Françoise d’Ursel, épouse de Risbourg. Quand on sait les liens d’amitié du marquis Gabriel-Jacques de Fénelon avec elle et avec sa fille, on peut estimer probable qu’elles lui ont communiqué d’autres pièces pour la première édition des Lettres spirituelles, publiées sans date ni indication de destinataire. On ne peut repérer de telles lettres qu’en tenant compte des renseignements fournis par les huit lettres autographes éditées et commentées dans nos t. XIV-XVII, et par la n. 4 de la 1. 846, t. XI, p. 237. On remarquera que la première lettre datée est de la fin de 1710, alors que Fénelon parle une dizaine de fois de Mme de Risbourg dans ses lettres à la comtesse de Montberon entre 1702 et 1707 ; en 1708, c’est très probablement pour elle qu’il s’inquiète et demande à cette dernière d’aider cette amie « dans ses besoins spirituels ». Il semble que la marquise n’était pas encore sous la direction de l’archevêque. Elle y était certainement venue avant décembre 1710, où les lettres 1426 et 1427 témoignent d’un temps de ferveur ; mais en avril et juillet 1712 elle mérite de vifs reproches de Fénelon, puis des encouragements en septembre, mais à nouveau une lettre très sévère le 13 août 1713, qui semble avoir porté ses fruits. Plusieurs fois, le directeur avait dû combattre sa tendance à négliger la communion. Par des allusions de Fénelon et par les dires de Mlle de Risbourg, on sait que sa mère n’avait pas bon caractère. L’un ou l’autre de ces traits de sa personnalité se retrouvent dans les lettres suivantes, que nous mettons donc à son nom, sous toutes réserves. » (CF 18, page 156, I. Noye).

320 Marie-Lydie-Albertine de Risbourg ? [N].

321Cette lettre peut se situer à l’une des périodes où la piété de Mme de Risbourg avait faibli (première moitié de 1712 ou été 1713). [N]

322 On a vu l’archevêque empêché déléguer Leschelle auprès de Mme de Montberon: « il est meilleur que moi » (1. 1477). S’il s’agit de l’abbé de Langeron, bien introduit chez Mme de Risbourg, la lettre serait antérieure à l’été 1710. [N].

323 « Publiée dès 1718 (A 238) avec la mention: «Cette lettre a été écrite au sujet d’une pauvre fille villageoise dans le diocèse d’Arras qui vécut sept ans sans manger « […] Le marquis Gabriel-Jacques de Fénelon l’a copiée dans un recueil de lettres du groupe guyonien, en indiquant: «Copie d’une lettre de n. p. [notre père] au sujet d’une âme favorisée de Dieu» (A.S.S., ms. 2176, ff. 93-94); D. Tronc a publié cette copie, mais comme étant «de Fénelon au marquis de Fénelon. 1714 (?) » (Madame Guyon, Correspondance, III Chemins mystiques , 67-69). Ce n’est pas à proprement parler une lettre, mais une réponse à une consultation par correspondance. Nous suivons le texte autographe… » (Noye).

324 Voir les très nombreuses notes de [CF 3] : page 298, note 1 à la lettre 151, résumée ici ; p. 300, note 4 à la même lettre ; p. 333 et suivantes, note 1 à la lettre 188 ; p. 354, note 1 à la lettre 203 ; p.373, note 2 à la lettre 225 ; p. 388, note 1 à la lettre 242 ; p. 423, note 1 à la lettre 255.


325 Explications des maximes des saints, « …Alors on exerce toutes les vertus distinctes sans penser qu’elles sont vertus, on ne pense en chaque moment qu’à faire ce que Dieu veut… »

326 LSP 29 : L.287 et L.305 à la même (omises).

327 «En rappelant discrètement qu’il a prôné l’abandon et le dépouillement, Fénelon laisse entendre aux « supérieurs », qui verront sa lettre, qu’il n’est pour rien dans ce qu’on a pu reprocher à la religieuse. » (Noye). 

328 Mme de La Maisonfort fut chassée de Saint-Cyr le 10 mai 1697 et conduite à Meaux ; Fénelon, certain de ne plus pouvoir la conseiller, lui écrit dans le temps où elle ne sait encore où elle résidera. (Noye).

329 « Vraisemblablement une de ses collègues dans la direction de Saint-Cyr. » [N]. Ce qui permet de placer la lettre avant mai 1697.

330 Voir la L.1063 du 5 novembre 1705 où le duc [de Chevreuse] est prié de garder son fils « pour ainsi dire, à vue contre lui-même », mais « avec une patience infinie ». Cette lettre pourrait se placer en 1706. Au 9 février 1707, le jeune homme n'était pas encore sensible aux «entretiens pleins de foi et de zèle, mais assaisonnés de tendresse et de modération» de son père, et la lettre de Fénelon du 10 août 1708, feignant de concerner un tiers, le montre toujours «faible et plein de goût pour l'amusement ». (CF 18, LSP 148, n.1)

Louis-Auguste d’Albert, devenu le fils puîné du duc de Chevreuse par la mort de trois de ses aînés en bas-âge fut fait capitaine puis colonel en 1695. A la mort de son cadet le chevalier d’Albert, le roi lui donna en 1701 le régiment de dragons du défunt […] Il épousa une nièce des Noailles, devint lieutenant des chevau-légers […] maréchal de France en 1741. (CF 13, L.1016, n.1).


331 Suite à ces avis, le vidame demandera « la manière dont il faut prier » et recevra la longue lettre du 31 mai 1707.

332 Cette pièce paraît trouver sa place dans la série des lettres des 25 juin 1706, 7 février et 31 mai 1707, adressées au vidame d’Amiens, éclairées par la correspondance entre son père, le duc de Chevreuse, et Fénelon (L. 1109, 1110 A n. 23, 1120 et LSP 148). La « très bonne lettre » ici évoquée semble avoir été la réponse du vidame à l’appel pathétique du 7 février 1707: Fénelon y a perçu une bonne volonté entravée par l’activité naturelle et la dissipation. (CF 18, LSP174, n.1).

333 Hebr. XI, 8 - Delplanque propose Blainville comme destinataire, […] Il nous paraît surtout que les mises en garde du second alinéa correspondent bien à ce que l’archevêque demandait au vidame en 1710 et 1711. [N].

334 Menacé par les risques de la guerre (1. 1457), le vidame l’est aussi à cette époque dans sa santé (1. 1447, 1461, 1467 6°). (Noye).

335 Matth. VI, 34.

336 [CG 1], « La direction du marquis de Fénelon après 1710 », nombreuses lettres (pièces 315 à 383) qui nous ont été transmises par le marquis qui les avait recopiées en un petit volume. Hormi Fénelon, c’est la seule correspondance de taille conséquente par Mme Guyon s’adressant à un dirigé.

337 L.37 [CF 3] note 1.

338 LSP 26 début janvier 1689 (CF 18-90), LSP 13 à 22 = LL.354, 339, 342, 363S, 329S, 380S, 344S, 1437, 1776, 1514. Soit un total de 11 lettres auxquelles s’ajoute une 12e (376S). Leur mise en ordre – nous suivons Orcibal – donne la séquence LSP 26, 17, 14, 15, 19, 13, 16, 376S, 18, 20, 22, 21, données infra.

339 « Il me semblait que tous mes os se détachaient les uns des autres » (Vie écrite par elle-même, début du chap. IV, trad. Grégoire de Saint-Joseph).

340 Matth. II, 1-11.

341 « Les leçons que Fénelon tire de l'exemple des mages situent cette lettre autour d'un 6 janvier. L'allusion à la profession prochaine de la destinataire a pu suggérer de reconnaître en celle-ci Mme de La Maisonfort, auquel cas la pièce daterait de 1692; mais Jean Orcibal écarte cette identification et juge que la novice « est sans doute une carmélite ». Comme il signale ailleurs que les Nouvelles ecclésiastiques, en janvier 1689, faisaient savoir que Mlle du Péray « attendait Mme sa mère pour faire sa profession », nous pouvons voir en elle la novice anonyme. Elle vivait encore lors des premières éditions des Oeuvres spirituelles, et le marquis de Fénelon lui avait vraisemblablement demandé communication des lettres qu'elle avait reçues de Fénelon. » (I. Noye).

342 Copie faite à Saintes sur l’original […] (CF 5, L.329S).

343 « Les pièges seraient alors ceux que tendaient à la néophyte une activité littéraire que les Nouvelles ecclésiastiques, sans douter renseignées par les Dangeau, firent connaître à un large public jusqu’en février 1690. […] Il s’agit d’abord de poèmes sur l’Incarnation (le texte en est conservé) ou sur la Nativité […] Fénelon « les passait bien plus volontiers » que sa réponse au ministre Jurieu et de petits traités de controverse qu’elle adressait à ses parentes de Hollande… » (CF 3, L.37, n.2)

344 depuis votre enfance (variante relevées [O] dans la L.329S, comme pour les suivantes de cette lettre)

345 « Bien qu'elle ne donnât de copies de ses oeuvres que « par obéissance » la religieuse devait savoir que le nouvelliste les qualifiait d' « admirables » et la présentait elle-même comme « un prodige d'esprit et de grâce » : on conçoit l'inquiétude de Fénelon. D'après G. Vuillart Racine lui-même admirait les vers de la carmélite. » (CF 3, L.37, n.5)

346 Retour à Versailles. (var. ajout)

347 le zèle que vous aurez.

348 « Elle avait en Hollande son père, deux soeurs et ses tantes et, si sa mère et d'autres parentes assistèrent à sa profession, le nouvelliste [Boislisle] ne semble pas bien sûr de la sincérité de leurs conversions » (CF 3, L.37 n.7)

349 révère. J'ai fait de mon mieux ce que la Mère Prieure a souhaité, et on m'a bien répondu. Ne m'oubliez pas quand vous verrez M. que j'honore très particulièrement. Je suis, ma chère soeur, tout à vous en N. S. J. C. (Ajout) - La mère prieure : Marie du Saint-Sacrement de La Thuillerie, présentée en CF 3, L.182, n.1).

350 « Trois ouvrages de ce titre semblent avoir été à cette date accessible au lecteur français… » (CF 5,L.339, n.1)

351 idiots au sens de simples et ignorants.

352 « Marie du Saint-Sacrement de La Thuillerie [Prieure déjà citée] et Marie Hippolyte de Béthune-Charost (1664-1709), fille de la « grande âme » du troupeau guyonien. » (CF 5, L.344S, n.4)

353 Cette lettre constitue un véritable traité intérieur.

Elle  est citée dans les « Vingt questions proposées à M. de Paris par M. Cambrai en présence de madame de Maintenon et de M. le duc de Chevreuse », question X : « N’est-il pas vrai qu’ensuite j’écrivis à la sœur Charlotte, carmélite, de mon pur mouvement, une lettre qui expliquait toute la matière, que M. de Meaux approuva toute entière, après m’avoir prié seulement d’expliquer, pour plus grande précaution,, le terme d’enfance, qui est de l’Évangile ?  » (OP 2, 253)

Elle fut approuvée par Bossuet et répandue : « Le succès de ce second essai [après l’Explication des Articles d’Issy] sur l’oraison de contemplation et les différents états de la perfection chrétienne ne pouvait qu’encourager Fénelon à écrire l’Explication des Maximes des Saints ».[O].

« Fénelon explique dans son Mémoire sur le refus d'approbation du 2 août 1696 l'origine de cette lettre : « Dans la suite, une carmélite m'ayant demandé quelque éclaircissement sur cette matière, je lui écrivis une grande lettre dans la plus exacte conformité aux trente-quatre Propositions, où je condamnais très sévèrement toutes les erreurs contraires, que M. de Meaux impute à Mme Guyon. Je l'ai fait de mon propre mouvement, et sans y être même sollicité. N'était-ce pas aller au-devant des occasions de me déclarer ? Avant que d'envoyer cette lettre, où j'avais mis tout ce qui pouvait faire quelque difficulté, je la montrai à M. de Meaux, et je la soumis à sa censure; il l'examina, me proposa d'expliquer plus clairement quelques termes que des gens ombrageux, disait-il, pourraient rendre équivoques; je le fis au-delà de tout ce qu'il souhaitait. Il approuva, il loua ma lettre; il lui donna beaucoup d'éloges inutiles; il dit que, si on en parlait, il dirait qu'elle ne laissait rien à désirer ». (O. F., t. II = OP 2, p. 251) ». (CF 5, L.354, n.1)

354 Les supérieures du Carmel. Bossuet avait prononcé le sermon lors de la profession.

355« Balthasar Alvarez (1533-1580) entré en 1555 dans la Compagnie de Jésus y exerça les charges de maître des novices, de recteur, de visiteur et de provincial de Tolède. Il était confesseur de sainte Thérèse au moment où elle atteignit les plus hauts états mystiques (1559-1566). Ses idées sur l'oraison de quiétude ou de silence le firent soupçonner d'illuminisme et elles furent condamnées par le visiteur Avellaneda et par le général Mercurian. […] » (CF 5, L.354, n.3)

356 Citation de mémoire de l’extase d’Ostie (Confessions).

357 Se rassurer.

358 « Les dix paragraphes suivants constituent une sorte de lexique de la vie mystique » [O].

359 Après le petit traité spirituel impersonnel commence une longue liste de recommandations adaptées aux défauts de Charlotte.

360 Rom. XI, 20 (Vulg.19) : …ne vous élevez point…

361 Lisez, mais lisez pour (seconde copie) (CF 5, L.354, n.32)

362 Le docteur Edme Pirot (163-1713), « esprit le plus éclairé de la Sorbonne […] fait aveuglément tout ce que veulent les gens qui l’emploient » (P.Léonard). Il participa à l’interrogatoire de Mme Guyon en 1688, mais il « agissait de bonne foi », et « n’a jamais rien su des fourberies, car on n’a jamais voulu que je lui parlasse en particulier » (Vie par elle-même, 3.5.7, p.698).

363 Exceptionnellement pour cette série des lettres à Charlotte, nous omettons le début relatif à des tiers.

364 Mot associé à « états sublimes » et « imagination » : à la lettre précédente, « ne compter pour rien toutes les lumières de grâce et les communications intérieures… ».

365 Début de lettre perdu ?

366 Au sens de détermination, résolution.

367 Au sens de « faire d’un autre le participant de ce qu’on possède ». [O]

368 « Fénelon connaissait depuis 1676 « l'ami intime », en la personne duquel il venait de « perdre la plus grande douceur de sa vie et le principal secours que Dieu lui avait donné pour le service de l'Eglise ». Né le 20 juin 1658 […] Prieur d'Anzeline, il « fut » d'abord chez l’évêque d'Autun G. de Hoquette où il rencontra Bussy-Rabutin à la fin d' août 1677, puis il fit au séminaire de Saint-Sulpice, où il s'était inscrit connue clerc du diocèse de Nevers, un séjour de trois mois (2 novembre 1680 - 2 février 1681). Maître ès arts le 24 mai 1681, il avait commencé ses études théologiques, mais les avait interrompues en 1684 pour prêcher le Carême à Meaux et pour participer, de l'Ascension à la Pentecôte, à une mission à Coulommiers. A la fin de 1685, Fénelon le prit pour collaborateur dans ses missions de Saintonge. L'étudiant dut solliciter des dispenses et n'obtint à la licence de 1688 que le 103e rang sur 109. Mais Fénelon le fit nommer le 25 août 1690 lecteur des princes […] » (CF 3, L.7, n.1).


369 Maladie d’yeux.

370 Les Souffrances de Notre Seigneur Jésus-Christ, du portugais Thomas de Jésus. [O]

371 Confessions, lib. VIII, c. XII, n.29 [O]

372 Isaïe, LXVI, 2.

373 Sans doute sa sœur Catherine du Péray. [O]

374 Sa sœur Catherine du Péray. [O]

375 Voir CF 17, L.1776, n.2.

376 Liv. I, c.XXV, n.10.

377 « […] On y voit qu'après sa première disgrâce, ce fut chez la duchesse de Charost, à Beynes, château tout voisin de Saint-Cyr, qu'elle trouva asile, et que la duchesse de Mortemart la conduisit à Meaux, le 13 janvier 1695, pour se mettre à la disposition de Bossuet. Ses doctrines ayant été condamnées le 10 mars, et ce jugement suivi de sa rétractation solennelle, elle obtint la permission de se rendre aux eaux de Bourbon; mais les deux duchesses vinrent la prendre, le 9 juillet, et la ramenèrent à Paris, d'abord dans le faubourg Saint-Germain, puis dans le faubourg Saint-Antoine, où Desgrez l'arrêta vers la fin de décembre. » (Boislisle, tome II, n. 4 de sa p. 65).

378 En témoignent les très nombreux échanges précédant de très peu l’embastillement de Mme Guyon, (Correspondance Tome II Annéess de Combats, lettres à la « Petite Duchesse »). Ils portent sur plus de cent lettres entre juin 1695 et mai 1698, le mois du dernier contact avec l’embastillée).

379 « Au premier mot qu'ils [les Beauvilliers entreprennent de marier sa fille au fils du ministre Chamillart] en touchèrent à la duchesse de Mortemart, elle bondit de colère, et sa fille y sentit tant d'aversion , que plus d'une année avant qu'il se fit, la marquise de Charost, fort initiée avec eux, lui ayant demandé sa protection en riant lorsqu'elle seroit dans la faveur, pour la sonder là-dessus: ‘Et moi la vôtre, lui répondit-elle, lorsque par quelque revers je serai redevenue bourgeoise de Paris.’ » (Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 163).

380 Attribution par A. Delplanque en 1907.

381 Edition [CF 18] par I. Noye, Droz, 2007 : un progrès par siècle !

382 « Marie-Anne Colbert, soeur cadette des duchesses de Beauvillier et de Chevreuse, née le 17 octobre 1668, épousa, le 14 février 1679, Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, fils du maréchal de Vivonne et général des galères en survivance. Elle n'avait que treize ans, et son mari quatorze. Devenue veuve le 3 avril 1688, elle mourut à Saint-Denis, le 14 janvier 1750. Selon Mme de Caylus, son mariage avait coûté quatorze cent mille livres au Roi. » (Boislisle, tome second, n. 1 de sa p. 7) – « Le Roi donnait d'ordinaire deux cent mille livres, à moins que les embarras financiers du moment ne le forçassent de réduire ses libéralités, Mlle de Beauvillier eut cette somme quand elle épousa le duc du Mortemart [fils de la ‘petite duchesse’], en 1703. » (Boislisle, t. second, n. 3 de sa p. 8).

383 [CF] 3, L.168, n.2 d’Orcibal.

384 « L’esprit Mortemart » est décrit ainsi de manière irrésistible par le même Saint-Simon à l’occasion d’une autre figure : « Mme de Castries étoit un quart de femme, une espèce de biscuit manqué, extrêmement petite, mais bien prise, et aurait passé dans un médiocre anneau ; ni derrière , ni gorge, ni menton, fort laide, l'air toujours en peine et étonné , avec cela une physionomie qui éclatait d'esprit et qui tenait encore plus parole. Elle savait tout : histoire, philosophie, mathématiques, langues savantes, et jamais il ne paroissait qu'elle sût mieux que parler français, mais son parler avait une justesse, une énergie, une éloquence, une grâce jusque dans les choses les plus communes, avec ce tour unique qui n'est propre qu'aux Mortemart [notre soulignement]. Aimable, amusante, gaie, sérieuse, toute à tous, charmante quand elle voulait plaire, plaisante naturellement avec la dernière finesse sans la vouloir être, et assénant aussi les ridicules à ne les jamais oublier, glorieuse, choquée de mille choses avec un ton plaintif qui emportait la pièce, cruellement méchante quand il lui plaisait, et fort bonne amie, polie, gracieuse, obligeante en général, sans aucune galanterie, mais délicate sur l'esprit et amoureuse de l'esprit… » (Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 1, chap. 25 [1696], 406.)

385 « Ce mot se trouve plusieurs fois dans Saint-Simon avec le sens de chansons satiriques, ou simplement de reproches vifs et piquants. » (Chéruel).

386 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 4, chap. 12 [1703], 213-214.

387 Le « pilier mâle » est bien entendu « l'abbé de Fénelon, qui était leur prophète, dans qui ils ne voyaient rien que de divin » selon cette même addition au journal de Dangeau (réf. n. suivante).

388 Saint-Simon, Mémoires, Boislisle, 413, « Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau », « 127. Mme Guyon et les commencements de son école. »

389 Correspondance de Fénelon, 1829, tome onzième, 345.

390 Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 165. – nous modernisons toujours l’orthographe, « gardoit » en « gardait », etc.

391 CF 18 respecte la séquence des pièces LSP, car elles sont adressées à divers correspondants – dont I.Noye propose souvent une identification. Ici où nous privilégions la répartition par destinataires, ce qui rend une mise en ordre même incertaine souhaitable.

392 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215).(Noye)

393 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à «régenter» qui avait amené la révolte d'autres membres du «petit troupeau guyonien» dont elle était «l'ancienne»: voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

394 Certaines parties sont reportées en notes.

395 « Les volumes précédents de la Correspondance [CF] ne comportent que six lettres de Fénelon à Mme de Mortemart, de 1707 à 1711, toutes autographes et non signées, dont seules les deux lettres de 1708 ont figuré (privées de toute indication de personne) dès la première édition des « lettres spirituelles » (Anvers, 1718).

On sait pourtant qu'il y eut des échanges épistolaires nombreux entre elle et l'archevêque; au plus fort de sa disgrâce, celui-ci affirmait au duc de Beauvillier: « Je n'écris qu'à vous, à la petite D[uchesse] et au P. Ab. [de Langeron] ». Albert Delplanque a établi en 1907 que dix sept autres pièces des éditions d'Anvers et Lyon devaient avoir été adressées à la duchesse douairière. Nous pensons établir que la présente lettre relève du même groupe et peut même être datée, approximativement, comme l'une des premières : en effet, écrivant un « 22 juin» (1693 ?) à Mme de Gramont, Fénelon a parlé de Mme de Mortemart avec les termes mêmes qui commencent cette pièce: « Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l'être de plus en plus » (CF 2, L.300). Situées sans doute assez tôt dans l'itinéraire spirituel de la duchesse, les observations dont Fénelon lui fait part ici, très cohérentes avec ce que l'on sait d'elle par ailleurs, éclairent singulièrement la personnalité de celle qui deviendrait bientôt pour le « petit troupeau » la suppléante de Mme Guyon. […] » (CF 18, LSP 126*, n.1 par I.Noye).


396 « Il n'y a pas de marché à faire avec Dieu » (CF 2, L.126, au propre frère de Mme de Mortemart) […] » (CF 18, LSP126*, n.2).

397 Cette lettre se situe vraisemblablement dans les débuts de la direction de Mme de Mortemart, « envoyée » à Fénelon, et qui songe encore à entrer dans un couvent. (Noye). – Nous la plaçons ainsi que la suivante, LSP 136, en 1693.

398 Le masculin sert à cacher Mme Guyon, comme ci-dessous.

399 …s'il se rapproche. / Il y a une extrême différence entre la peine et le troubles. La simple peine fait le purgatoire ; le trouble fait l'enfer. La peine sans infidélité est douce et paisible, par l'accord où toute l'âme est avec elle-même pour vouloir la souffrance que Dieu donne. Mais le trouble est une révolte du fond contre Dieu, et une division de la volonté contraire à elle-même ; le fond de l'âme est comme déchiré dans cette division. O que la douleur est purifiante quand elle est seule ! O qu'elle est douce, quoiqu'elle fasse beaucoup souffrir ! Vouloir ce qu'on souffre, c'est ne souffrir rien dans la volonté; c'est y être en paix. Heureux germe du paradis dans le purgatoire ! Mais résister à Dieu sous de beaux prétextes, c'est engager Dieu à nous résister à son tour. En sortant de votre grâce, vous sortez d'abord de la paix; et cette expérience est comme la colonne de feu pour la nuit et celle de nuée pour le jour, qui conduisait dans le désert les Israélites. Vivez de foi, pour mourir à toute sagesse.

400 La duchesse a donc écarté récemment la solution du couvent ; on la verra fréquemment retirée à la Visitation de Saint-Denis, où sa fille était religieuse. [N].

401 L'une des « liaisons extérieures de providence » évoquées ci-dessus plutôt qu'un des « membres du petit troupeau ». [N].

402 La correction mutuelle, en usage dans le groupe guyonien.

403 Souffrez donc le prochain, et apprivoisez-vous avec nos misères. Quelquefois vous avez le coeur saisi quand certains défauts vous choquent, et vous pouvez croire que c'est une répugnance du fond qui vient de la grâce : mais il peut se faire que c'est votre vivacité naturelle qui vous serre le coeur. Je crois qu'il faut plus de support; mais je crois aussi qu'il faut corriger vos défauts comme ceux des autres, non par effort et par sévérité, mais en cédant simplement à Dieu, et en le laissant faire pour étendre votre coeur et pour le rendre plus souple. Acquiescez, sans savoir comment tout cela se pourra faire.


404 … les phrases suivantes font allusion à sa responsabilité envers « autrui », « son prochain », son « troupeau ». Cette dernière expression fait penser à Mme de Mortemart, dont le rôle dans le groupe guyonien n'alla pas sans difficultés. … (Noye).

405 …dans sa source. /Pour l'oraison, vous pouvez la faire en divers temps de la journée, parce que vous avez beaucoup de temps libre, et que vous pouvez être souvent en silence. Il faut seulement prendre garde de ne faire point une oraison avec contention d'esprit qui fatigue votre tête. / Je remercie Dieu de ce que vous êtes fatiguée de votre propre esprit. Rien n'est plus fatigant que ce faux appui. Malheur à qui s'y confie ! Heureux qui en est lassé, et qui cherche un vrai repos dans l'esprit de recueillement et de renoncement à l'amour-propre !

Si vous retourniez à une vie honnête selon le monde, après avoir goûté Dieu dans la retraite, vous tomberiez bien bas, et vous le mériteriez dans un relâchement si infidèle à la grâce. J'espère que ce malheur ne vous arrivera point. Dieu vous aime bien, puisqu'il ne vous laisse pas un moment de paix dans ce milieu entre lui et le monde. Dieu nous demande à tous la perfection, et il nous y prépare par l'attrait de sa grâce ; c'est pourquoi Jésus-Christ dit à ses disciples : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.' Et c'est pour cela qu'il nous a enseigné cette prière : Que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel. Tous sont invités à cette perfection sur la terre; mais la plupart s'effarouchent et reculent. Ne soyez pas du nombre de ceux qui, ayant mangé la manne au désert, regrettent les oignons d'Egypte'. C'est la persévérance qui est couronnée.


406 L'unité en Dieu de ceux qui « ont dépouillé le moi » en demeurant dans leur « unique centre », est ouverte à toute l'humanité […] (Noye).

407Son frère, le marquis de Blainville, qu'elle avait à guider, cf. LSP 133 et 134.

408 Dans le rôle de directrice assigné à la destinataire, on peut reconnaître la duchesse de Mortemart, dont la difficulté à supporter les défauts d’autrui a été souvent notée. D’autre part, N... serait son frère Blainville, qui durant un temps admettait mal cette assistance (voir, en juillet 1700, L.667, n. 16 et L.670, n. 7).(Noye).

409 Il est probable qu’il manque ici le début de la lettre, qui devait viser la destinataire. Comme en d’autres lettres de direction, Fénelon fait part de ses propres épreuves […] (Noye).

410 En juin 1708, Fénelon la mettait en garde sur son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215).(Noye)

411 Pour désigner le groupe guyonien dont elle portait la responsabilité, cette expression se trouve aussi dans la lettre 1215. (Noye).

412 Cit. : Matth. V, 4 & Jean XX, 29, puis Hébr. XI, 8.

413 …je vous conjure. Il faut aimer la main de Dieu qui nous frappe et qui nous détruit. La créature n'a été faite que pour être détruite au bon plaisir de celui qui ne l'a faite que pour lui O heureux usage de notre substance ! Notre rien glorifie l'Être éternel et le tout Dieu. Périsse donc ce que l'amour-propre voudrait tant conserver ! Soyons l'holocauste que le feu de l'amour réduit en cendres. Le trouble ne vient jamais que d'amour-propre; l'amour divin n'est que paix et abandon. Il n'y a qu'à souffrir, qu'à laisser tomber, qu'à perdre, qu'à ne retenir rien, qu'à n'arrêter jamais un seul moment la main crucifiante. Cette non-résistance est horrible à la nature : mais Dieu la donne ; le bien-aimé l'adoucit, il mesure toute tentation.

Mon Dieu, qu'il est beau de faire son purgatoire en ce monde! La nature voudrait ne le faire ni en cette vie ni en l'autre ; mais Dieu le prépare en ce monde, et c'est nous qui, par nos chicanes, en faisons deux au lieu d'un. Nous rendons celui-ci tellement inutile par nos résistances, que tout est encore à recommencer après la mort. Il faudrait être dès cette vie comme les âmes du purgatoire, paisibles et souples dans la main de Dieu, pour s'y abandonner et pour se laisser détruire par le feu vengeur de l'amour. Heureux qui souffre ainsi !Je vous aime…

414 Daniel XIV, 35.

415 Col III, 3 et Augustin De continentia, XIII, 29.

416 « Pour voir en Mme de Mortemart la destinataire de cette lettre, Delplanque invoque comme motif la proximité du thème avec les lettres qui l’entourent dès l’éd. A, ce qui n’est pas convaincant ». [N]– À qui d’autre penser ?

417 …avec vous. / Soyez simple et petit enfant. C'est dans l'enfance qu'habite la paix inaltérable et à toute épreuve. Toutes les régularités où l'on possède sa vertu sont sujettes à l'illusion et au mécompte. Il n'y a que ceux qui ne comptent jamais, lesquels ne sont sujets à aucun mécompte. Il n'y a que les âmes désappropriées par l'abnégation évangélique qui n'ont plus rien à perdre. Il n'y a que ceux qui ne cherchent aucune lumière, qui ne se trompent point. Il n'y a que les petits enfants qui trouvent en Dieu la sagesse, qui n'est point dans les grands et les sages qu'on admire.


418 …de Jésus-Christ. /Laissez-vous donc ôter jusqu'aux derniers ornements de l'amour-propre, et jusqu'aux derniers voiles dont il tâche de se couvrir, pour recevoir la robe qui n'est blanchie que du sang de l'Agneau [cf. Apoc. VII,14], et qui n'a plus d'autre pureté que la sienne. O trop heureuse l'âme qui n'a plus rien à soi, qui n'a même rien d'emprunté non plus que rien de propre, et qui se délaisse au bien-aimé, étant jalouse de n'avoir plus de beauté que lui seul ! O épouse, que vous serez belle quand il ne vous restera plus nulle parure propre ! Vous serez toute la complaisance de l'époux quand l'époux sera lui seul toute votre beauté. Alors il vous aimera sans mesure, parce que ce sera lui-même qu'il aimera uniquement en vous. Écoutez ces choses, et croyez-les. Cet aliment de pure vérité sera d'abord amer dans votre bouche et dans vos entrailles ; mais il nourrira votre coeur, et il le nourrira de la mort qui est l'unique vies. Croyez ceci, et ne vous écoutez point. Le moi est le grand séducteur: il séduit plus que le serpent séducteur d'Eve. Heureuse l'âme qui écoute en toute simplicité ce qui l'empêche de s'écouter et de s'attendrir sur soi ! / Que ne puis-je…


419 Cette lettre nous paraît être adressée à Mme de Mortemart pour la difficile direction de son fils (N.). On remarquera la dureté des expressions: «jamais lui faire quartier », [et, en fin de lettre donnée en note :] «subjugué », «je voudrais le mettre bas, bas, bas ». [N].

420 Act. V, 1-10.

421 …de route. / N... n'avancera qu'autant qu'il sera subjugué. On s'imagine, quand on est dans une certaine voie de simplicité, qu'il n'y a plus ni recueillement ni mortification à pratiquer; c'est une grande illusion. l° On a encore besoin de ces deux choses, parce qu'on n'est point encore entièrement dans l'état où l'on se flatte d'être, et que souvent on y a reculé. 2° Lors même qu'on est en cet état, on pratique le recueillement et la mortification sans pratiques de méthode. On est recueilli simplement, pour ne se point dissiper par des vivacités naturelles, et en demeurant en paix au gré de l'esprit de grâce. On est mortifié par ce même esprit qu'on suit uniquement sans suivre le sien propre. Ne vivre que de foi, c'est une vie bien morte. Quand Dieu seul vit, agit, parle et se tait en nous, le moi ne trouve plus de quoi respirer. C'est à quoi il faut tendre; c'est ce que le principe intérieur, quand on ne lui résiste point, avance sans cesse.

Quand on n'est que faible, la faiblesse d'enfant n'empêche point la bonne enfance; mais être faible et indocile, c'est n'avoir de l'enfance que la seule faiblesse, et y joindre la hauteur des grands. Ceci est pour N.... Au nom de Dieu, qu'il soit ouvert et petit. Je voudrais le mettre bas, bas, bas. Il ne peut être bon qu'à force de dépendre.


422 « Rite particulier aux offices des « ténèbres» de la Semaine sainte; Fénelon en tire une parabole originale. » (Noye).

423 « Cet alinéa permet de situer cette pièce dans une des dernières années de l’archevêque; rappelons qu’on ne connaît pas de lettre datée adressée à la duchesse douairière après juillet 1711. » (Noye).


424 Début perdu.

425 Une longue note d’I.Noye compare diverses attributions avancées.

426 Cette pièce non datée figure en V (n° 465) et en OF à la fin des lettres adressées à la comtesse de Montberon; mais, dans les quelque deux cent vingt-cinq lettres qu’elle reçut de Fénelon, on ne voit pas qu’elle ait porté la charge d’une assistance spirituelle à divers hommes (M., N. et G. des derniers alinéas), charge régulièrement assumée par Mme de Mortemart (supra, lettres SP 129 n. 1, 130, 137 etc.).(Noye).

427 Nous apprenons chaque jour, ma bonne D[uchesse], que vous ne cessez point de souffrir. J'en ai une véritable peine et je crains les suites de cet état de souffrance si longue. D'ailleurs je suis ravi d'apprendre que M. le D[uc] de M[ortemart] fait bien vers vous et vers le public, et que la jeune duchesse est en meilleur train. Vous ne sauriez user de trop grande patience avec elle en-deçà de la flatterie, car je suis fort tenté de croire que la vivacité de son imagination, son habitude de se livrer aux romans de son amour-propre, et la médiocrité de son fonds pour résister à toutes ces difficultés, ne la mette souvent dans une espèce d'impuissance d'aller jusqu'au but. Il me paraît bien plus important de ne rien forcer et de n'altérer pas la confiance en vous, que de presser la correction de ses défauts. Il faut suivre pas à pas la grâce, et se contenter de tirer peu à peu des âmes ce qu'elles donnent. Pour M. le D[uc] de Mortemart, on assure qu'il se conduit bien, et il m'a paru que M. le D[uc] de S. Aignan [n. Orcibal : Paul-Hippolyte de Saint-Aignan (25 novembre 1684 - 22 janvier 1776), issu du second mariage du père de Beauvillier…] estime sa conduite. Il loue même la noblesse de ses sentiments, et le fait d'une façon que je crois sincère. Je souhaite que vous soyez soulagée pour l'embarras et pour la dépense sur votre table. Vous avez besoin de mettre un bon ordre à vos affaires. Mais puisque M. votre fils fait bien, je crois que vous ne voudrez montrer au public ni séparation, ni changement qui puisse faire penser que vous n'êtes pas contente. Mandez-moi, quand vous le pourrez, en quel état il est avec M. le D[uc] de Beauvillier, et ce qu'il y a à espérer sur la charge. / Je crois vous devoir dire…

428 Camille de Vérine de l'Eschelle: cf. sur lui, supra, lettre du 13 juin 1698, n. 22, et, sur ses séjours à Cambrai, celle du ler juillet 1700, n. 19. [O].

429 Frère du précédent, César-Michel de Vérine, abbé de Leschelle est considéré comme «sulpicien» par Saint-Simon (BOISLISLE, t. II, p. 412), mais on ne trouve son nom dans aucun registre de Saint-Sulpice. Les remarques échangées à son sujet en mai 1710 par Fénelon (n. 16) et Mme Guyon sont plus favorables à sa piété qu'à ses capacités. [O].

430 N désigne fréquemment Mme Guyon sous la plume de ses disciples. Mme de Mortemart était restée en rapport avec elle (cf. dans la réponse de Mme Guyon au mémoire de mai 1710, n. 2-4, une pénétrante analyse du caractère de la duchesse). [O].

431 Fénelon n'avait donc pas à cette date de relations directes avec l'exilée. Parmi les «amis» qu'il dénonce, il devait aussi compter Isaac du Puy, autre gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne. [O].

432 …Leschelle. / Bon soir, ma bonne Duchesse; ménagez votre santé, et croyez que je ne fus jamais à vous au point que j'y suis. /M. Quinot [n. : ancien précepteur des enfants de Beauvillier] a dit à M. Provenchères [n. : aumônier de Fénelon] que le cardinal de Noailles lui avait témoigné les plus belles choses du monde pour moi, jusqu'à faire entendre qu'il serait venu me voir à la Villette, s'il eût cru les choses bien disposées de ma part. Il ajoutait que ce cardinal voulait le loger chez lui, mais qu'il ne voulait pas le faire sans mon conseil. Pour ce qui est du premier article, voyez, ma bonne Duchesse, s'il n'est pas à propos que vous lui disiez que je suis très éloigné d'avoir le coeur malade contre M. le Card. de N[oailles]; que je voudrais, au contraire, être à portée de lui témoigner tous les sentiments convenables; mais que je ne crois pas devoir faire des avances, qui feraient croire au monde que je me reconnais coupable de tout ce qu'on m'a imputé, et que j'ai quelque démangeaison de me raccrocher à la cour. Le bon M. Quinot disait qu'il n'avait pas trouvé, ni en vous ni en M. le D[uc] de Beauvillier, de facilité pour ce raccommodement. Ainsi je serais bien aise que vous fussiez déchargés l'un et l'autre à cet égard-là. Ayez la bonté de dire tout ce qui doit édifier touchant la disposition du coeur, sans engager aucune négociation.

Quant à l'offre de M. le Card. de N [oailles], de loger M. Quinot chez lui, M. Quinot n'a qu'à l'accepter si elle lui convient. Je ne saurais lui donner un conseil là-dessus; car je ne sais ni les commodités qu'il en tirerait, ni les engagements où cela le pourrait mettre, ni le degré de confiance qu'on lui donne, ni le désir qu'on a de l'avoir, ni le bien qu'il serait à portée de faire dans cette situation. Ainsi c'est à lui à prendre son parti sur les choses qu'il voit et que je ne vois point. Mais ce qui est très assuré, c'est que s'il va demeurer chez M. le Card. de N[oailles), je ne l'en considérerai pas moins, et ne compterai pas moins sur son amitié pour moi. Cette démarche, s'il la fait, ne me causera aucune peine. Je n'en ai aucune contre le cardinal même, encore moins contre un très bon ecclésiastique que je crois plein d'affection pour moi, et qui peut très facilement loger chez ce cardinal, avec un grand attachement pour lui, sans blesser celui qu'il a pour moi. En un mot, c'est à lui à examiner ce qui lui convient. Pour moi tout est bon, et sa demeure dans cette maison ne me sera ni pénible ni suspecte. Je crois même que M. le D[uc] de Beauvillier ne doit nullement être peiné que M. Quinot prenne ce parti, s'il y trouve quelque commodité, ou quelque bien à faire pour l’Eglise.


433 Allusion brève, mais forte, à la tendance de la duchesse à «régenter» qui avait amené la révolte d'autres membres du «petit troupeau guyonien» dont elle était «l'ancienne»: voir la lettre adressée le 4 (?) mai 1710 par Fénelon à Mme Guyon, n. 4, et la réponse de celle-ci, n. 4. [O]

434 Tous nos bonnes gens, les disciples de Mme Guyon. Lorsqu'en 1696 celle-ci ne fut plus en mesure de guider son petit troupeau, ils considérèrent que Mme de Mortemart (qui était d'ailleurs seule à pouvoir faire des séjours à Cambrai) devait la remplacer. Cf. supra, la lettre du 9 janvier 1707. [O]

435 Mme de Mortemart semble avoir été hostile au mariage de sa fille avec le marquis de Cany, fils du ministre Chamillart, qui avait eu lieu le 12 janvier 1708… [O]

436 … Madame Guyon, que la duchesse avait recommencé à consulter (cf. infra, la lettre de l'exilée de mai (?) 1710, n. 4 et surtout la fin de la lettre de Fénelon du 11 octobre 1710). [O]

437 Patience, indulgence – par opposition à insupportable de la phrase précédente. [O]

438 La critique de l'« activité », le « recueillement passif », le « laisser faire Dieu », le « laisser tomber l'activité » sont caractéristiques de l'adaptation du guyonisme dans les écrits de Fénelon de la période 1690-1699. [O]

439 Expression employée ailleurs pour désigner les membres du « petit troupeau » guyonien… [O]

440 Il sera encore question de Mme de Mortemart dans les lettres à Mme de Chevry des 4 et 10 juin 1714. Outre les rapports mondains, Fénelon souhaite qu'il s'établisse entre sa nièce et l'« ancienne » du guyonisme des relations spirituelles, dont la première avait particulièrement besoin dans ses épreuves physiques et familiales… [O]

441 Il y avait donc eu une réconciliation entre la duchesse et les guyoniens « indociles » après la brouille qui remplissait la correspondance des années précédentes… [O]

442 Mme de La Maisonfort se trouvait alors près de Saint-Denis et dom Lamy lui transmettait les lettres de Fénelon. Le bénédictin étant mort le 11 avril 1711, il est naturel que l'archevêque ait demandé le même service à la duchesse qui s'était retirée à la Visitation de Saint-Denis. [O]

443 À défaut d'autre lettre datée à la duchesse, on trouvera mention de son nom dans les lettres des 28 mars, 21 mai, 6 août 1713 (au marquis) et dans celles des 4 et 10 juin 1714 (à Mme de Chevry). [O]

444 Dans les éditions depuis 1718, cette pièce ouvre une série de dix lettres « écrites à la même personne et dans le même ordre ». Mieux que ce premier extrait, les lettres suivantes livrent quelques traits d'une physionomie spirituelle. (cf 18, LSP89, note par I . Noye)


445 « Fénelon a toujours mis en garde contre les inspirations extraordinaires; il prescrivait de «les compter pour rien » (lettre 363 S à Charlotte de Saint-Cyprien); cf. la lettre 355 à une religieuse, et l’article vit VRAI de l’Explication des Maximes des saints, éd. Pléiade, t. I, pp. 1028 et 1575. - I. Noye, art. « Fénelon », Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, dir. P. Sbalchiero, Paris, 2002, pp. 295-296. » (Noye).

446 Dès l'édition des Œuvres spirituelles de 1718, t. II, les vingt-sept lettres qu'on va lire sont annoncées comme écrites à une même correspondante. «Cette personne, après avoir vécu dans le monde, entra, vers la fin de sa vie, dans une communauté religieuse » (Gosselin, O.F., t. VIII, p. 527). Ces lettres font connaître sa charité active (L. 99), l'assistance qu'elle apportait à une personne très exigeante (L. 103, 108, 110), mais aussi ses défauts: « insupportable vivacité» (L. 103), «penchant terrible à la dissipation » et autres propensions que Fénelon l'aide à discerner et à faire mourir (L. 103, 104, 105...). Il n'est pas certain que l'ordre chronologique des lettres ait été respecté par le premier éditeur; les autographes n'ont pas reparu depuis. (CF 18, LSP 99, n.1 par I. Noye)

447 Le mot est en petites capitales dans les premières éditions, qui placent en sous-titre à cette lettre les mots «Abrégé d’instructions ». Portée à prier « par la tête », et à «savoir beaucoup» (L.103), cette personne avait sans doute demandé un enseignement pour guider sa progression spirituelle; Fénelon l’oriente vers l’ignorance familière aux mystiques. (Noye).

448 Ce premier alinéa évoque l’itinéraire parcouru par cette correspondante, la plus ancienne étape étant mentionnée en dernier lieu. Jadis contente d’elle-même, elle a connu une période d’amertume, « ici », vraisemblablement à Versailles, où les contradictions et les humiliations l’ont éclairée sur elle-même; de retour en province, son succès facile provoque les craintes de son directeur. (Noye).

449 Ardeur, «passion, vivacité, emportement, fougue» (Furetière), tout l’opposé du « laisser » qui est le maître mot de cette lettre. (Noye).

450 Ici, vraisemblablement Cambrai, où la correspondante a eu des entretiens avec Fénelon (cf. LSP 107); depuis, elle a fait un temps de noviciat dans la ferveur; puis, dans sa communauté, ailleurs, « une espèce d’oisiveté » est éprouvante pour sa nature portée à l’activité. (Noye).

451 I Petr. V, 8, l’un des versets de l’Écriture les plus souvent cités par Fénelon.


452Cette lettre est antérieure à l’entrée en communauté de la destinataire.

453 Ps.142,2 & Job XV, 15 & Jac. III, 2

454 Les « disputes » spécialement vives après la publication de la bulle Unigenitus de septembre 1713.

455 Sur Matth. VI, 11, Fénelon emploie le plus souvent cette traduction du supersubstantialem de la Vulgate latine […] c’était la traduction de la Bible de Louvain, souvent reprise, par exemple par Pillehotte à Lyon en 1603. Mme Guyon, dans son commentaire sur saint Matthieu, met « notre pain qui surpasse toute substance » et parle ensuite de « ce pain supersubstantiel ». (Noye).

456 Ps. 142, 2 & II Cor. XII, 9-10 & II Cor. III, 17 & Matth. V, 3.

457 Apoc. xix, 4.

458 Saint-Simon défend et estime le duc de Bourgogne : t.6 [1708], ch. 19-20 (sa campagne militaire) ; t.7 [1709], ch. 7 (un projet politique) ; t.9, ch. 15 [1711] « Je vis un prince pieux, juste, débonnaire, éclairé et qui cherchoit à le devenir de plus en plus, et l'inutilité avec lui du futile, pièce toujours si principale avec ces personnes-là ; t.10, ch. 4 à 6 (s’agirait-il d’un empoisonnement ?).

459 [CF] 18 Lettres retrouvées. – « Le texte est donné comme lettre dans les Œuvres spirituelles de Fénelon de 1718 et des éditions suivantes ; celle de Rotterdam, 1738 (t. 2, pp. 9-11), de l'avis même du marquis de Fénelon, doit être préférée. […] Aussi suivons-nous l'édition de 1738. Aucun de ces témoins du texte ne porte de date ; il ne peut être antérieur à 1702. » (I. Noye).

460 L.1446 ; Au DUC DE CHEVREUSE. [ …] Ne vous contentez pas des belles maximes en spéculation, et des bons propos de P. P. [le duc de Bourgogne]. Il se paie et s'éblouit lui-même de ces bons propos vagues. On dit qu'il est toujours également facile, faible, rempli de puérilités, trop attaché à la table, trop renfermé. On ajoute qu'il demeure content de sa vie obscure, dans l'avilissement et dans le mépris du public. On dit que Mad. la D. de Bourg[ogne] fait fort bien pour le soutenir, mais qu'il est honteux qu'il ait besoin d'être soutenu par elle, et qu'au lieu d'être attaché à elle par raison, par estime, par vertu, et par fidélité à la religion, il paraît l'être par passion, par faiblesse, et par entêtement, en sorte qu'il fait mal ce qui est bien en soi. Voilà ce que j'entends dire à diverses gens. Je ne sais ce qui en est, et je souhaite de tout mon coeur que tout ceci soit faux. Mais je crois devoir vous le confier en secret. […]

461 I Cor. IX, 22.

462 « Troisième fils du ministre, Antoine-Martin naquit le 2 octobre 1659 et fut destiné à l'ordre de Malte. Il eut presque aussitôt la commanderie de Boncourt. Général des galères de l'ordre en Méditerranée pendant deux ans, il fut très critiqué pour n'avoir pas poursuivi trois vaisseaux tripolitains. Bailli le 25 décembre 1685, il reçut le 29 novembre 1686 une commanderie de 14 000 livres. Il fit aux côtés du Dauphin la campagne d'Allemagne de 1688. Sa mort survenue quelques mois plus tard donna l'occasion de noter qu'il « avait parfaitement rectifié la conduite de sa jeunesse. Il était aimé et estimé de tout le monde, et sa famille le regardait comme un de ses principaux appuis, ce qui s'accorde bien avec le ton des lettres de Fénelon. » (CF 3, L.40, n.1)

463 Marie-Françoise de Bournonville, fille du marquis Ambroise-François, grand seigneur des Pays-Bas qui s'était mis en 1634 au service de la France, y avait été nommé en septembre 1652 duc à brevet et devait y mourir le 12 décembre 1693. Née en 1656, elle avait apporté le bien paternel au duc Anne-Jules, comte d'Ayen, futur duc de Noailles et maréchal, qu'elle avait épousé le 13 août 1671. Nommée le 2 janvier 1674 dame du Palais de la Reine, elle mourut le 16 juillet 1748 après avoir eu vingt-deux enfants. (CF 2, L.153, n.1).

464 Madame de Sévigné avait écrit le 5 janvier 1674 : « Les dames du Palais sont dans une grande sujétion. Le Roi s'en est expliqué et veut que la Reine en soit toujours entourée... La comtesse d'Ayen est la sixième; elle a bien peur de cet attachement, et d'aller tous les jours à vêpres, au sermon ou au salut. »

465 Allusion au grand nombre d'enfants de la duchesse.

466 Les rapports entre la maréchale et Fénelon furent par la suite tendus, v. la série de lettres retrouvées in CP 18, 71 sq.

467 Sur la marquise « la plus belle du monde » et son « épreuve particulièrement pénible » v. CF 9, L.588, longue n.1.

468 François Andrault de Langeron, né en 1658, fut pris comme collaborateur par Fénelon, qui le connaissait depuis 1676, pour ses missions de Saintonge en 1685/6. Il le fit nommer lecteur des princes en 1690. Fénelon connaissait « ‘l’ami intime’ en la personne duquel il venait de ‘perdre la plus grande douceur de sa vie et le principal secours que Dieu lui avait donné pour le service de l’Eglise.’ » (lettre du 20 novembre 1710). (CF 3, L.7, n.1).

469 Petite Duchesse de Mortemart.


470 Anne-Marie Des Fontaines figure dans les actes de la Maison des Nouvelles Catholiques à partir de juillet 1683. (voir CF 1, Chapitre IV, « Le supérieur des Nouvelles Catholiques » Fénelon).

471 Charles-Auguste d'Allonville, marquis de Louville (1664 - 20 août 1731), fit de bonnes études et devint ensuite capitaine au régiment du Roi-infanterie. Des liaisons étroites avec le père de Saint-Simon et surtout avec le duc de Beauvillier (qui le dira le 10 novembre 1701 « son parent ») lui valurent d'être placé le 25 août 1690 auprès du duc d'Anjou en qualité de gentilhomme de la manche : il y réussit si bien que le prince lui garantit « son amitié pour quatre-vingts ans ». Candidat de Beauvillier et de Torcy, il fut désigné pour accompagner le nouveau Roi avec Montviel. Il fut alors pendant deux ans le favori de Philippe V dont il rédigeait les dépêches. Le 17 septembre 1701 il avait été déclaré gentilhomme de la chambre gouverneur des officiers français et aussi colonel.

2. C'est donc peu après leur installation à Madrid que Louville avait sollicité de Fénelon — avec lequel il avait travaillé sept ans — des conseils personnels et un plan de gouvernement, parallèles aux avis de Louis XIV (B.N., ms. fr. 10333, ff. 115-123) et aux mémoires que Beauvillier avait composés pour Philippe V avant le 3 décembre 1700

472 Frère cadet de Max-Emmanuel, électeur de Bavière, Joseph-Clément était né le 5 décembre 1671; évêque de Freisingen (1683) et de Ratisbonne (1685), il fut nommé le 20 septembre 1688 par Innocent XI à l'archevêché de Cologne. Coadjuteur de Hildesheim le 28 janvier 1694 (il sera titulaire du siège en 1702), il fut enfin élu évêque de Liège le 20 avril 1694. Bien qu'il dût ses nombreux diocèses à l'appui de l'Empereur, il fut des premiers à se ranger du côté des Bourbons pendant la Guerre de la Succession d'Espagne et fit en 1701 occuper son électorat par les troupes de Montrevel; mais les Français en ayant successivement perdu les diverses places, il se retira à Luxembourg, puis à Namur, dont il dut partir en mai 1704 pour Mons, puis Tournai. Il fit le 28 juillet 1704 son entrée à Lille et y revint le 10 octobre après avoir rencontré l'Électeur de Bavière qui venait de son côté de perdre ses États héréditaires (réf.) Joseph-Clément risquait donc de ne jamais rentrer en possession d'églises auxquelles ne l'attachait aucun lien spirituel (réf.)

473 Ayant nourri longtemps l’espoir de succéder à son frère Max-Emmanuel, électeur de Bavière, Joseph-Clément avait jusqu’alors refusé de s’engager dans les ordres … Le Pape lui a fait représenter qu’il n’est pas juste qu’il ait joui si longtemps des revenus de ces bénéfices [l’archevêché de Cologne] sans commencer à en faire les fonctions… [O]

474 II Cor. IV, 5.

475 Luc XVII, 21.

476 Ep. CXL ad Honoratum.

477 Ps. 84, 9.

478 Que nous éclairons par le témoignage de la lettre 1501 bis entre tiers : DANIEL-FRANÇOIS VOYSIN A MAIGNART DE BERNIÈRES. A Versailles ce 18 octobre 1711 : […] Je ne puis vous laisser ignorer en cette occasion, Monsieur, que M. l’archevêque, depuis le commencement de la campagne, a été le refuge de tous les malades et affligés de l’armée, dont sa maison n’a pas cessé un seul jour d’être pleine, sans parler d’une multitude de pauvres du pays qui y sont réfugiés et dont il prend soin’, que tous ses biens qui sont dans l’Artois et le Cambresis ont été fourragés, à l’exception de la terre du Cateau, et que ceux qu’il a du côté de Condé et de Valenciennes sont sous l’inondation. En deux mots, Monsieur, il a fait et fait journellement tout ce que nous entendons dire de ces anciens évêques si respectables, et c’est parce qu’il voudrait que cela fût ignoré, que je croie devoir prendre la liberté de vous le faire savoir. Je suis avec tout le respect que je vous dois, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur’. DE BERNIÈRES.

479 Nous complétons par le témoignage d’un militaire, le sauveur d’une situation dramatique : lettre1503 D. LE MARÉCHAL DE VILLARS A FÉNELON

A Marly ce 9 novembre 1711. [23 novembre 1711]. […]

J’étais tranquille sur mon zèle, mon application à son service, la certitude d’avoir fait tout ce qui, dans des conjonctures difficiles, était le plus convenable au bien de l’Etat, mais je ne savais pas tout ce que l’on avait imaginé ni mandé de l’armée. Le Roi, mieux informé que moi, dit tout haut ce qui était le plus propre à mortifier les écrivains. Plusieurs l’ont été ici, et quelques-uns doivent l’être ailleurs.

M. le Dauphin m’a fait l’honneur de me donner de très longues et favorables audiences dans lesquelles, Monsieur, il a été fort question de vous, et je me suis fait un vrai plaisir de lui parler de votre tranquillité sur la perte de votre bien, de votre joie d’en avoir pu prêter au Roi une partie considérable, du plaisir de dépenser le reste avec la dignité convenable à votre état; que les appartements de votre maison en haut étaient occupés par tous les officiers considérables de l’armée qui avaient été malade, le bas, par les pauvres auxquels il servait d’asile et de refuge, et, d’ordinaire trois ou quatre tables magnifiques pour tous les officiers; que la modestie et la bienséance de votre maison égalaient la magnificence, que votre piété renfermait en vous-même ce que vous croyez ne devoir pas montrer à ceux qui ne la cherchent pas.

J’ai dit à M. le Dauphin que vos sages conseils, dans des temps où les mauvais discours étaient les plus propres à déranger l’homme le plus sage, m’avaient été d’un grand secours, m’exhortant toujours à mépriser les clabaudeurs et suivre avec force ce qui convenait le mieux au service du Roi et au bien de l’État; que votre attachement pour la personne de Sa Majesté et le bien de son service ressortent dans tous vos discours et dans toutes vos actions. […]


480 Chapitre XV d’une lettre-traité en réponse à l’évêque d’Arras, cousin de M. Tronson avec qui Fénelon eut presque toujours des relations excellentes malgré sa proximité avec les Messieurs de Port-Royal, concernant le problème posé par la lecture de la Bible en français. Fénelon est réticent, car pour lui : « En notre temps chacun est son propre casuiste, chacun est son docteur … Les critiques … dessèchent les coeurs, ils élèvent les esprits au-dessus de leur portée. Ils apprennent à mépriser la piété simple et intérieure. Ils ne tendent qu'à faire des philosophes sur le christianisme, et non pas des chrétiens. Leur piété est plutôt une étude sèche et présomptueuse, qu'une vie de recueillement et d'humilité. » (suite du même chapitre XV).

481 « Cette lettre paraît donc amputée d’un début, comme elle semble l’être d’une conclusion […] » (Noye)


482 « Enseignement fondamental chez Fénelon » (Noye).


483 Marthe de Beauvais de Chantérac, nièce de l'abbé de Chantérac et petite-nièce de l'archevêque, était née vers 1673. Entrée vers 1690 au Premier Carmel de Bordeaux sous le nom de Marie-Marthe de l'Ascension (sa tante, fille de François II et nièce de l'archevêque, avait porté le nom de Marie de l'Ascension, mais elle était morte le 7 août 1683, ayant vingt-cinq ans d'âge et sept années de vie religieuse), elle fut plusieurs fois prieure et a signé des notices en 1714, 1733 et 1738. Elle mourut en 1742 à soixante-neuf ans. Son oncle l'abbé de Chantérac avait été vingt-cinq ans supérieur de ce monastère (d'après le livre des notices nécrologiques du Premier monastère). (CF 17, L.1567, n.1).

484 Gal. V, 13.

485 I Tim. I, 9.

486 « In epist. Iam Joannis, tract. VII, 8, P.L. 34, col. 2033. Ce développement sur la « liberté des enfants » de Dieu se retrouve à l'article XXXII de l'Explication des maximes des saints (éd. Pléiade, t. I, pp. 1078 sq.) » (Noye).

487 Phil. III,13.

488 Le Livre des demeures, 4eme demeure, ch. 2, fin.

489 II Cor. XII, 9 sq.

490 « L’abandon, qui est si souvent loué dans la Correspondance (cf. 1. 90, 175 annexe, 190...; LSP 182, 183, 190...), trouve ici son expression la plus achevée, non sans liens avec les thèmes les plus marquants de la spiritualité fénelonienne (« moment présent », «petitesse», «laisser faire Dieu », «ne préparant rien », sans « ressource »). (Noye).

491 Jean, VI, 68 sq.

492 CF 18, « Lettres retrouvées » avec notes Noye : « Pas de manuscrit connu. Nous suivons la première édition du texte, paru dans les Œuvres spirituelles, Rotterdam, 1738, t. II, pp. 534-535, en respectant la ponctuation, un peu modifiée dans les éditions suivantes. […] Ce bref bilan de santé d'un Fénelon épuisé et surchargé, et quelques retours sur son passé (la pauvreté de sa jeunesse, les récentes trois ou quatre années où il se sentit courtisé) font le principal intérêt de cette page. » - Signalée ensuite en « Lettres spirituelles » comme LSP 127 précédant la LSP 128.* À UNE DAME.


493 Le pluriel de cette finale laisse penser que la pièce est composite, à moins qu’elle ne vise un groupe uni autour de la correspondante malade. [N]

494 « Le destinataire serait un curé du diocèse, désabusé du jansénisme » (CF, présentation de la L.1238)

495 « […] Il nous paraît que cette longue pièce regroupe des éléments de trois lettres. […] Quant au dernier N., il serait un proche capable d’être un guide spirituel, comme l’étaient le duc de Chevreuse pour son fils et Mme de Mortemart pour plusieurs membres du « petit troupeau ». (Noye).

496 Rom., XIV, 8.

497 Col. III, 3.

498 Adressée à la même personne que LSP 152.

499 L’enthousiasme, à l’époque, désigne comme le fanatisme « le délire de ceux qui croient avoir des inspirations divines » (Noye).

500 Ps. 33, 11.

501 Dans les éditions du 18e siècle, les cinq paragraphes qui suivent sont détachés par un intervalle muni du signe § ; il semble s’agir d’extraits de lettres dont les premiers éditeurs n’ont retenu que ces passages.

502 Sans doute un candidat ou débutant (trop disert) au groupe guyonien, où la correction fraternelle est de règle (cf. second alinéa). Fénelon conseille la personne qui aura à l’écouter, mais aussi à « le décider ».

503 I Cor. X, 13.

504 « Dès l’édition de Versailles, sept lettres sont groupées sous le titre « Lettres de consolation »; quatre d’entre elles, dont on ne connaît ni la date ni le destinataire, se suivent ici (LSP 220-223). »(Noye).

505 « Se tenir en soi-même » rejoint la définition de «l’amour propre (...) dans l’usage des dons intérieurs » que Fénelon dans la L. 354 dénonçait en le rapprochant du « péché de l’ange (...), péché de propriété […] » (Noye).


506 «Aucun détail personnel n'ayant été conservé dans l'édition, cette pièce a surtout l'intérêt de donner un exemple succinct, mais riche, de la direction spirituelle de Fénelon sous sa dernière forme. » (CF 17, L.1889, n.1). 

507 Cette lettre constitue un aide-mémoire de la spiritualité fénelonienne, important en raison de sa date… (CF 17, L.1903, n.2)

508 OS1-(1-2) : Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, pages (1) à (2). Les pages (1) à (16) précèdent les pages 1 à 510. -- Passages difficiles à retrouver d’où leur « réemploi » en finale.

509 Matthieu, 11, 29-30.

510 Cette lecture-édition de l’ouvrage corrige une reconnaissance de caractères sous Omnipage en limitant le travail au respect du texte : nous reprenons les notes (en leur attribuant un corps réduit pour mieux les distinguer du texte principal). Nous signalons la pagination d’origine dans la ligne précédant la reprise du texte en haut de page de l’imprimé primitif. Nous omettons ses hauts et bas de pages.

511 Numéros de pages de l’imprimé primitif que l’on retrouvera souvent mis en ligne entre // au sein du texte (ces numéros n’ont pas tous été saisis dans la présente table).

512 Un ami de Pierre Poiret (Nous introduirons à la lecture quelques précisions : /DT)/

513 Voir Marjolaine Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719 Du Protestrantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994. /DT/

514 Bertot

515Oxford

516 Plongée mystique

517 Ramsay

518 Et non “copiables “ sous LO sinon une par une (puisque ce sont des notes !)

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